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culture et histoire - Page 1907

  • Le Mont Saint-Michel, une épopée spirituelle

    Le Figaro Magazine - 11/06/2011
    La beauté du site, la richesse de son histoire et la vie religieuse qui s'y maintient se conjuguent pour faire du Mont-Saint-Michel un lieu sans équivalent.
     
    C'est une des plus petites communes de France par la superficie et le nombre d'habitants : une quarantaine de personnes sont domiciliées au Mont-Saint-Michel. Chaque année, elles doivent pourtant accueillir plus de 3 millions de visiteurs. Franchi en 2005, ce seuil vaut au célèbre rocher d'être classé comme le deuxième site touristique du pays.

    « On ne s'habitue pas au Mont-Saint-Michel, s'exclame Patrice de Plunkett. Cet endroit stupéfie depuis mille ans. C'est le seul cas de surprise inusable. » Journaliste (cofondateur du Figaro Magazine, dont il fut le directeur de la rédaction dans les années 1990), blogueur et écrivain (on lui doit une dizaine de livres), l'auteur raconte l'histoire du Mont dans la collection « Le Roman de... », que dirige Vladimir Fédorovski. Un moine du XIIe siècle ayant déjà écrit Le Romanz del Munt Saint-Michel, Plunkett a mis son titre au pluriel *.

    Voici donc huit romans du Mont-Saint-Michel : la terre et la mer, l'archange, les pèlerins, les moines, les chevaliers, les prisonniers, les romanciers et les foules d'aujourd'hui ont chacun le leur. Nourri d'anecdotes, l'ensemble se lit d'un trait et permet de comprendre ce qui attire ici : la beauté du site, la richesse de son patrimoine, la spiritualité qui s'y attache. De quelque côté qu'on l'aborde, le Mont-Saint-Michel représente un choc visuel : l'immensité de la baie, le flux de la marée, les irisations de la grève, la silhouette de l'abbaye se détachant sur la masse de granit. Spectacle dont nul ne se lasse, et auquel le cycle des saisons ajoute sa touche : les amateurs de lumière préfèrent le printemps, les rêveurs ont une dilection pour l'hiver.

    L'ensablement de la baie est un phénomène naturel, mais il a été amplifié, à partir du XIXe siècle, par la poldérisation d'importantes parcelles et par l'édification de la digue qui a permis d'accéder au Mont à pied sec. Pour maintenir l'originalité du site, différents projets ont été élaborés entre 1975 et 1995. La solution finalement choisie consiste à faire jouer au nouveau barrage mis en service en 2009 sur le Couesnon un effet de chasse d'eau : la retenue, constituée à marée montante et lâchée à marée descendante, devra s'écouler par des chenaux entourant le Mont de part et d'autre. Le parking devant être supprimé afin de rétablir la circulation de l'eau, des navettes spéciales transporteront les visiteurs. Menacé dans son écosystème, le Mont millénaire est ainsi devenu l'objet d'une passion contemporaine : le respect de l'environnement.

    En été, on compte jusqu'à 20 000 visiteurs par jour. Les deux tiers se contentent d'arpenter l'unique ruelle du Mont. Rien de nouveau sous le soleil, rappelle Patrice de Plunkett : en 1318, treize pèlerins meurent étouffés par la foule. En 1527, le secrétaire du cardinal d'Aragon constate que les Montois vivent de leurs boutiques de souvenirs : coquilles, statuettes de saint Michel, bijoux bon marché, jouets d'enfants. Les promeneurs qui, aujourd'hui, se plaignent des tarifs des crêpes ou des glaces devraient savoir qu'en 1402, l'abbé du Mont-Saint-Michel sévissait contre un cabaretier de Genêts, à l'ouest de la baie, parce qu'il avait forcé sur les prix...

    C'est en 709 que l'évêque d'Avranches, Aubert, fonde sur le rocher un sanctuaire dédié à saint Michel. Les pèlerinages s'y succèdent. En 966, les bénédictins prennent possession de l'endroit. En 1203, lorsqu'un incendie détruit l'abbatiale, il est décidé de rebâtir tous les bâtiments monastiques, mais la configuration des lieux interdit de les disposer autour du cloître, selon le schéma classique. C'est donc sur trois niveaux que s'élèvera la Merveille, prouesse technique et chef-d'œuvre artistique. Saint Louis, Philippe III, Philippe le Bel et Charles VI font pèlerinage au « Mont-Saint-Michel au péril de la mer ». Pendant la guerre de Cent Ans, les défenseurs du Mont restent fidèles au roi de France. Au XVIIe siècle, les mauristes tentent d'enrayer la décadence monastique, mais ils sont bannis par la Révolution. Transformé en prison, le Mont nourrit la légende romantique. Dans des pages plaisantes, Plunkett évoque les rivalités entre détenus républicains et légitimistes sous la monarchie de Juillet, tous faisant front commun contre l'incendie de 1834. Napoléon III ferme la prison en 1863, et le Mont est classé monument historique. De Paul Féval à Maupassant, il inspire les écrivains. Les touristes arrivent, des hôtels et des restaurants s'ouvrent, et Anne Poulard met au point la recette d'une célèbre omelette.

    En 1966, pour le millénaire de l'arrivée des bénédictins, des moines reviennent, encouragés par Malraux. En 2001, le relais est pris par les Fraternités monastiques de Jérusalem, communauté habituée à vivre à proximité des foules modernes. Dans l'abbatiale, les passants déposent des intentions de prière - pour un malade ou un disparu - qui ne diffèrent guère de celles de leurs prédécesseurs médiévaux. Le pèlerinage au Mont-Saint-Michel est devenu tendance : les chemins sont rénovés et balisés, et des passeurs professionnels font traverser la baie à des milliers de marcheurs. Comme à Saint- Jacques de Compostelle, ces pèlerins ne sont pas forcément chrétiens, mais tous sont en quête de quelque chose qui les dépasse. Les Japonais - le bus de Rennes en débarque tous les jours - sont fascinés par le Mont. En 2005, un couple de Tokyoïtes, bouddhistes et ne connaissant ni le christianisme ni le français, était saisi par la grâce et, quatre ans plus tard, se faisait baptiser.

    Le Mont, « ce granit spirituel », écrit Patrice de Plunkett, « fait contrepoids à notre société : il témoigne d'une autre vision de l'existence ». Au pied de l'archange, même s'ils ne le savent pas, les badauds sont aussi des pèlerins.
    Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
    *Les Romans du Mont Saint-Michel, de Patrice de Plunkett, Editions du Rocher.

  • LA RAGE ET L'ORGUEIL D'ORIANA FALLACI

    Une fois de plus, certains ont voulu décider ce que les Français avaient le droit de lire ou de ne pas lire. En attendant la décision de la justice, on peut toujours acheter ce livre qui est le cri d'une Italienne, d'une femme (pas forcément féministe).
    Lorsqu'on arrive à la fin, on ne trouve dans le fond que ce que dit le Front national depuis des années, avec même plus de véhémence de la part de la journaliste. Comme Oriana Fallaci est de gauche, antifasciste, cela passe mieux, enfin presque.
    Ce livre rappelle à sa façon le choc des civilisations ! de Samuel Huntington mais ici les choses sont dites de façon instinctive, passionnelle alors que le livre de l'Américain était l'œuvre d'un professeur, d'un universitaire. Le livre « La rage et l'orgueil » traite du choc Islam-Occident. En tant que correspondant de guerre, elle a vu les fils d'Allah au travail. « Je les ai vus détruire les églises, je les ai vus brûler les crucifix, je les ai vus souiller les statues de la Vierge, je les ai vus pisser sur les autels, transformer les autels en chiottes, je les ai vus à Beyrouth ... » Si elle reconnaît être athée, elle est culturellement très catholique. Lorsqu'elle va dans un temple, elle trouve cela bien froid. Son rapport avec l'argent est aussi très catholique Elle ne renie en rien l'héritage chrétien sur le plan intellectuel et esthétique. « La musique des cloches me plaît tellement. Elle me caresse le cœur ».
    « D'ailleurs, soyons honnêtes les cathédrales que le catholicisme nous a laissées sont belles. A mon avis, plus belles que les mosquées et les synagogues. Elles sont belles aussi les petites églises de campagne. Plus belles que les temples protestants .. »
    Si Oriana Fallaci adore son pays l'Italie et même toute la culture occidentale, elle n'aime pas l'islam, ce qui pour certains n'est pas correct. Elle le dit, elle l'écrit, elle le crie. En tant que femme, elle ressent de toutes ses tripes que cette religion n'apporte rien de bon pour les femmes et même pour les Occidentaux.
    Pour elle, les musulmans qui vivent en Italie ne sont que des envahisseurs. Chaque construction d'une mosquée dans son pays fait saigner son cœur. L'adjectif « raciste-raciste » pour qualifier ce qu'elle pense ne la terrorise pas. Cela est dit parfois en des termes un peu crus mais ce n'est quand même pas « Bagatelles pour un massacre » de Louis-Ferdinand Céline. Ce livre a déjà été vendu à plus d'un million d'exemplaires en Italie et commence déjà à bien se vendre en France. Pour Oriana Fallaci, ceux qui bêlent dans le politiquement correct sont des « sans couilles ». En tout cas, elle en a. Elle le dit d'ailleurs. L'italienne a de la personnalité, du caractère, certains diront même de la mégalomanie. Elle a même un humour grinçant sur elle-même lorsqu'elle rapporte que certains disent qu'il est facile d'avoir du courage lorsqu'on a déjà un pied dans la tombe. Selon la journaliste, les musulmans jaloux de l'Occident et de ses réussites ne cherchent qu'à s'étendre et s'imposer en Europe et ailleurs.
    « Vous ne comprenez pas, vous ne voulez pas comprendre, qu'une Croisade à l'envers est en marche. Une guerre de religion qu'ils appellent Djihad, guerre Sainte. Vous ne comprenez pas, vous ne voulez pas comprendre que l'Occident est pour eux un monde à conquérir. A châtier, soumettre à l'Islam ».
    Elle enrage que nos hommes politiques, des eunuques selon elle, se couchent devant n'importe quel immigré ou sans-papiers par commodité ou lâcheté.
    À propos, cela fait penser au maire vert de Saumur qui, six mois après les attentats de New-York, organise une exposition sur l'Islam-religion-de-paix-et-d'amour. Ceci avait quelque chose d'indécent et d'obscène En conclusion, nous dirons que si certains refusent la mise en garde de l'Italienne, les événements lui donneront néanmoins raison.
    par Patrice GROS-SUAUDEAU (2002)

  • Robert Ménard à la Traboule (Lyon) (+intégralité de la conférence en vidéo)

    Addendum vidéo : Robert Ménard s’explique notamment sur la polémique ayant suivi l’annonce de sa conférence à la Traboule et sur son départ de RTL à cause de sa phrase sur Marine Le Pen.

    « Sur un certain nombre de points, je suis d’accord avec Marine Le Pen. »

    Totalité de la conférence de Robert Ménard sur Lyonlemelhor.com

     

    MàJ 25/02/13 : Interview de Robert Ménard sur LyonCapitale.fr

    Lyoncapitale.fr : Vous êtes invité à la Traboule, local des Jeunes Identitaires lyonnais. Pourquoi ce choix ? Quel sens faut-il donner à votre présence dans ce local d’extrême droite ?

    Robert Ménard : Je vais là où je suis invité. Quand je me rends dans une loge maçonnique, personne ne le relève. Même chose pour la Fête de l’Humanité : aucun journaliste pour me demander ce que je fais là. Il y a quelques années, j’ai été invité à un rassemblement de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) et j’y suis allé. Peu m’importe les idées de ceux qui me reçoivent. Ce qui compte, c’est ma liberté de parole. (…)

    LyonCapitale.fr

    http://www.fdesouche.com/

  • « Profession cinéaste, politiquement incorrect » de jacques dupont

    Jacques Dupont, mémoire d'un Français, livre présenté par G. Gambier

    Qui connaît aujourd’hui Jacques Dupont ? Plus grand monde, sans doute. Il fut pourtant l’un des meilleurs cinéastes de sa génération, promis à un brillant avenir. Sorti major de la première promotion de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, aujourd’hui Fémis), il choisit les documentaires pour l’aventure. Ses premiers courts-métrages, réalisés dans des conditions particulièrement difficiles (Au pays des pygmées, 1946, et Pirogues sur l’Ogooué, 1947), sont unanimement salués. Suivront La Grande Case (1949), L’Enfant au fennec (1954) ou encore Coureurs de brousse (1955). Cette même année sort Crèvecœur, filmé aux côtés des soldats français combattant en Corée (1950-1953) et nommé pour l’Oscar du meilleur film documentaire en 1956 : le Parti communiste lance ses militants à l’assaut des rares cinémas qui osent le programmer. Après La Passe du Diable (1958), tourné en Afghanistan avec Joseph Kessel, Pierre Schoendoerffer et Raoul Coutard, Jacques Dupont réalise son premier grand film de fiction : Les Distractions (1960). A moins de 40 ans, il dirige Jean-Paul Belmondo, Claude Brasseur, Alexandra Stewart et Mireille d'Arc... G.G

    Lors d’une rediffusion sur Canal Plus, dans les années 1980, Télérama se fend d’une critique étonnamment élogieuse : « Crèvecœur, film sur le rôle du bataillon français dans la guerre de Corée, avait valu à Jacques Dupont la réputation d’un cinéaste “de droite ”. Lorsqu’il tourna Les Distractions au début de la Nouvelle Vague, la plupart des critiques se montrèrent tièdes ou hostiles. Le cinéaste fut accablé sous le poids de la comparaison avec Godard (A bout de souffle) à cause de Belmondo. Tout cela fut très injuste et il faut carrément, aujourd’hui, découvrir ce film. Bien construit, bien mis en scène, bien interprété, il représente, à la fois, une certaine façon de vivre dangereusement, d’être arriviste ou cynique, et une très belle relation d’amitié dans laquelle se transforment les personnages, même s’il n’y a pas de fin heureuse. Le désarroi d’une époque y est inscrit. »

    Du cinéma à la télévision, en passant par la case… prison !

    L’époque est de braise… Comme l’écrit Philippe d’Hugues dans sa préface : « C’est le moment que choisit Jacques Dupont pour s’engager à fond dans une cause perdue, lui, les siens, famille et amis. Bientôt, l’étiquette aux trois lettres infamantes : OAS, leur collera sur le dos pour longtemps, si longtemps que Jacques Dupont ne pourra plus jamais faire de longs métrages. En effet, à son nom, toutes les portes se ferment, tous les projets sont refusés. » Il faut dire que les Dupont paient leur « activisme » – comme l’on disait à l’époque – au prix fort. Arrêté dans l’affaire du « complot de Paris », censé relayer en métropole le putsch des généraux à Alger, Jacques Dupont est innocenté par le tribunal mais le pouvoir le considère suffisamment dangereux pour le condamner à plusieurs mois d’internement administratif au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, dans le Gard.  Sa fille aînée Claudine devient à 17 ans « la plus jeune détenue pour l’Algérie française », à la prison de la Petite-Roquette, à Paris. Le virus politique ne la quittera plus puisque, ancienne élue régionale FN puis MNR en Bretagne, Claudine Dupont-Tingaud préside aujourd’hui encore l’association RéAGIR (pour « Résister et agir »), à Quimper. Enfin, le fils de Jacques Dupont, Jean-Jacques, aura le temps de faire sauter quelques pains de plastic avant d’être appréhendé par le commissaire Jacques Delarue : il ne sera libéré de la prison de Saint-Martin-de-Ré qu’en 1966, à l’âge de 22 ans. Tout reste à re-construire.

    « Non seulement dans l’aventure la France a perdu l’Algérie, mais aussi nombre de ses meilleurs serviteurs, militaires et civils. Elle a perdu notamment un futur grand cinéaste et c’est bien dommage », commente sobrement Philippe d’Hugues. Jacques Dupont trouve salut et refuge à la télévision, où il réalisera plusieurs des Grandes Batailles du passé en compagnie de Daniel Costelle et Henri de Turenne dans les années 1970, ainsi que de nombreux films des séries sur les Grands Fleuves, les Grands Pèlerinages et les Grandes Villes du monde. Il renoue ainsi avec sa passion pour l’histoire et pour les voyages lointains – au détriment parfois de ses responsabilités familiales immédiates. En 1981, l’arrivée de la gauche au pouvoir lui inspire une retraite forcée, qu’il met à profit pour entreprendre une monumentale histoire des guerres carlistes. Elle ne sera jamais achevée : en 1986, avec l’alternance, la télévision publique se rappelle à son bon souvenir. A l’occasion de la célébration du couronnement d’Hugues Capet (987), il réalise Les grandes chroniques du millénaire, vaste fresque de l’histoire de France diffusée sur FR3. S’enchaînent ensuite, avec l’appui d’Alain Griotteray, un téléfilm sur Honoré d’Estienne d’Orves, le premier fusillé de la France Libre (1990), puis un autre sur L’Abbé Stock, le passeur d’âmes (1991), et enfin Les Vendéens (1993), en hommage aux combattants de la « Grande armée catholique et royale », qui bénéficie du concours et de la complicité de Philippe de Villiers au Puy-du-Fou.

    Idées politiques : une « nostalgie française » ?

    Les personnages illustres fourmillent dans ces mémoires, où se croisent sans cesse grande et petite histoire, anecdotes, récits épiques et considérations politiques. A cet égard, Jacques Dupont reconnaît être atteint du « virus » du patriotisme. Le 11 novembre 1940, il fait partie des quelques lycéens et étudiants qui défient les autorités d’occupation allemandes en se regroupant à l’Arc de Triomphe pour honorer le soldat inconnu. Arrêté, il est conduit à la prison de la Santé – ce qui lui vaudra d’être considéré comme récidiviste 20 ans plus tard ! Rapidement libéré, il tente de rejoindre Londres, gagne Marseille (où il croise la philosophe Simone Weil) mais est une nouvelle fois arrêté, après avoir traversé les Pyrénées, par la garde civile espagnole. Il ne réussira finalement à s’engager qu’à l’occasion des combats de la Libération, dans la Première Armée du général de Lattre, avec laquelle il finira la guerre en Allemagne.

    Tous ces événements, et bien d’autres encore, sont l’occasion de commentaires politiques, mais l’ouvrage est dénué de toute analyse ou mise en perspective proprement politique. Jacques Dupont est au sens propre un réactionnaire : il réagit, avec son cœur et ses tripes, aux événements. A l’aune de l’histoire, il a le goût des causes perdues : les Guerres de Vendée et la royauté, la guerre de Sécession ou celle des Boers, l’empire colonial français, les peuples autochtones authentiques qui se battent pour leur survie (à l’instar de son ami Jean Raspail)… Il est en cela assez symptomatique d’une certaine droite, que René Rémond aurait qualifiée de « légitimiste », davantage tentée, même inconsciemment, par le confort intellectuel de ses défaites passées que par l’audace – mais aussi les transgressions – qu’exige toute  victoire.

    Jacques Dupont est donc un révolté, dont la forte capacité d’indignation est cependant mâtinée d’ironie, voire d’autodérision, ce qui évite qu’elle ne verse dans les pénibles sermons, mi-larmoyants, mi-inquisiteurs, caractéristiques de l’intelligentsia de gauche. Au contraire, tout à la fois artiste – puisque « metteur en scène » – et viscéralement français, il a cette légèreté d’esprit et de ton qui correspond bien à une partie de sa génération, celle des Hussards, dont il sera évidemment un proche : des hérauts d’un anticonformisme rafraîchissant qui manquent dramatiquement à notre époque.

    Dupont, un modèle anthropologique

    A l’origine, ces mémoires devaient s’intituler Dupont, fils Dupont et La Grande Aventure de nos vies. Sur trois générations : celle de son père Georges, combattant de la Grande Guerre, la sienne, confrontée à la Seconde, et celle de son fils, Jean-Jacques, engagé dans les combats pour l’Algérie française. C’est-à-dire l’histoire d’une famille française et, en creux, de la France elle-même au cours de ce terrible Siècle de 1914 (Dominique Venner).

    La publication de Profession cinéaste… permettra à un large public de revivre cette histoire, à la fois si proche et si lointaine, de l’immédiat Avant-Guerre aux lendemains de la chute du Mur de Berlin. Elle permettra aussi de redécouvrir voire, pour les plus jeunes, de mieux comprendre ce qu’est un Français. « Pourquoi la France ? » avait titré la revue Eléments il y a quelques années. Cet ouvrage semble y répondre, à sa manière, simplement : « Parce qu’il y a des Français ! » Un modèle anthropologique singulier à l’échelle de l’histoire, un peuple qui a fini par se fabriquer un pays à sa juste mesure.

    Le nom même de Dupont peut paraître ordinaire. Sauf que c’est de moins en moins vrai si l’on veut bien comparer, dans chaque commune de France, la liste des naissances à celle des noms inscrits au monument aux morts. Et la banalité même du nom « Dupont » est lourde de sens, de signification. En témoignant en faveur de l’auteur lors du procès du « complot de Paris », devant le tribunal militaire, le grand écrivain et polémiste Jacques Perret dira que ce patronyme « désigne le Français moyen et impose de ce fait à celui qui le porte une charge d’honneur » – mais pour mieux ajouter que « Dupont sera un nom de plus en plus difficile à porter si les vertus qu’il implique, naguères banales, deviennent suspectes et attentatoires aux valeurs de la France de demain… » Et dans « la France d’après » que l’on nous a promise, les Dupont sont de toute évidence, d’ores et déjà, une espèce menacée, un ADN « en dormition ». Peu de Français prendraient aujourd’hui tous les risques pour l’idée même de patrie, de l’honneur qui s’y attache et que l’on se doit d’abord à soi-même. Parmi les nombreuses maximes qui émaillent cet ouvrage en tous points étonnant, il en est deux que Jacques Dupont semble adresser plus particulièrement à ses compatriotes, en pensant à la France : « Ne pas subir » et « Cessez de pleurer comme des femmes ce que vous n’avez pas su défendre comme des hommes ! »

    G. Gambier http://www.polemia.com
    27/02/2013

    Jacques Dupont, Profession cinéaste… politiquement incorrect !, éditions Italiques, 2013, 354 pages, 23 €

    Correspondance Polémia – 5/03/2013

  • Gouverner Rome

    De la monarchie à la fin de l'empire, existèrent diverses manières de régir la Ville et le monde. Jamais innocentes.
    Le pouvoir, à Rome, est d'essence divine. Numa Pompilius, son second roi, l'a si bien compris que, selon les mythes fondateurs, il a, aidé par la nymphe Égérie, passé contrat directement avec « le Père du Ciel », signification étymologique du nom de Jupiter. Au terme d'une tractation serrée, le dieu accepte de s'installer au sommet du Capitole et d'accorder sa protection à la cité. Dès lors, de sa colline sacrée, Jupiter présidera aux destinées de Rome et servira de socle à ses institutions, de garant à ses grands hommes. Comment se concilie-ton Jupiter ? Comment en fait-on son agent électoral ? Comment, avec l'établissement du Principat, la gloire du dieu et celle de César finissent-elles par se confondre, l'une légitimant l'autre ?
    La politique et le sacré
    Pouvoir et religion à Rome de John Scheid est une remarquable petite synthèse, acérée et pleine d'humour, des rapports inextricables, savamment truqués pour les besoins des hommes en place, de la politique et du sacré dans le monde romain. Rapports qui s'effriteront avec le triomphe du christianisme, lorsque les empereurs chrétiens ne pourront plus, sans se mettre l'Église à dos, prendre le titre de Pontife suprême de Jupiter très bon et très grand. Les païens les accusèrent d'avoir, par cette rupture unilatérale de contrat, provoqué la fin de la Ville et de l'empire. Ils n'avaient pas tort puisque les dynasties chrétiennes élaboreront une nouvelle conception des rapports entre les puissances de ce monde et celle du Ciel. Faut-il intéresser le peuple aux affaires publiques ? La question s'est posée dans une société fort peu démocratique, divisée entre patriciens, descendants prétendus des compagnons d'Énée, et plébéiens, lesquels, d'ailleurs, ne tarderont pas à constituer une seconde aristocratie étroitement unie à la première, ce qui leur permettra de conserver le pouvoir. C'est contre ce système bien rodé mais injuste que s'insurgent, en 133 avant notre ère, Tiberius Gracchus puis son jeune frère, Caius, petits-fils, par leur mère, Cornelia, de Scipion l'Africain. Rome émerge, exsangue, des guerres puniques ; elle a survécu, écrasé sa rivale carthaginoise mais au prix d'une crise économique et sociale sans précédent. Trop longtemps retenus aux armées, les petits propriétaires terriens, clef de voûte de la République des « soldats et paysans », ont dû aliéner leurs champs et gagner Rome où ils constituent un prolétariat urbain voué au chômage. En proposant de voter des  lois agraires qui obligeraient les grands propriétaires fonciers, bénéficiaires du conflit, à rétrocéder les domaines dont ils se sont emparés, les Gracques vont mettre tout le système politique en péril. À dix ans d'intervalle, ils le paieront de leur vie. Exemples pour "Gracchu" Babœuf et les tenants du collectivisme, les frères Gracchi ont-ils été d'authentiques défenseurs des opprimés, ou de redoutables opportunistes qui, pour s'emparer du pouvoir, ne reculèrent devant aucune déstabilisation ? À travers les textes antiques rassemblés et commentés par Christopher Bouix dans la collection La Véritable Histoire, il apparaît que les historiens romains, hommes d'ordre, n'éprouvèrent guère de sympathie envers les fils de Cornelia. Le fait est que leurs initiatives allaient plonger Rome dans une guerre civile de plus d'un siècle... Il appartiendrait à Auguste d'y mettre fin.
    Claude méconnu
    Si la dynastie julio-claudienne fascine les historiens jusque dans ses figures les plus inquiétantes que sont Caligula et Néron, il est un prince que la chronique a laissé de côté, sauf à le transformer en personnage de vaudeville : Claude. On sait pourtant aujourd'hui qu'il valait mieux que ses ennemis l'ont prétendu. En se faisant son biographe, avec grand talent et beaucoup de sensibilité, Pierre Renucci rend enfin justice à un homme méconnu. Fils de Drusus, frère de Tibère, et d'Antonia Minor, l'une des filles que Marc Antoine avait eues d'Octavia, sœur d'Auguste, frère de Germanicus, Claude naît atteint, semble-t-il, de la maladie de Little, affection neurologique rare qui, sans altérer l'intellect, donne l'air d'un crétin souffrant de troubles de la parole et de la coordination. Dans le milieu impitoyable de la cour impériale, l'enfant devient sujet de honte et objet de cruautés gratuites. Seul Auguste s'aperçoit que le garçon est loin d'être idiot. Sans lui permettre, toutefois, de suivre le moindre cursus honorum. Ce sera la chance de Claude qui, enfermé dans son rôle d'imbécile, traversera les épurations successives décimant sa famille. L'assassinat, en janvier 40, de son neveu Caligula l'amène à la pourpre. Cette élévation fera énormément rire, à tort. Comme le démontre Renucci, Claude est un savant, plus au courant des choses du pouvoir qu'il y semble. Il possède une vision politique, n'hésite pas, afin de la réaliser, à épouser sa nièce Agrippine et adopter son fils, Néron, au détriment des enfants de ses premiers lits, parce que la fille de Germanicus descend en ligne directe d'Auguste, et lui confère, à lui, issu de la branche claudienne de la gens, un surplus de légitimité. Il modernise l'État, s'appuyant sur des affranchis dépeints par les chroniqueurs sénatoriaux comme de redoutables intrigants, ce qui ne les empêcha pas d’être grands ministres et administrateurs plus doués que les rejetons de la classe dirigeante. Il termine la conquête de la Bretagne, ouvre les portes du Sénat aux provinciaux, à commencer par les Gaulois, car il est né à Lyon et s'en souvient. Quand il meurt, en 54, empoisonné, ou simplement usé par les excès, il laisse l'empire puissant et en paix. On est loin de l'image du débile sadique et concupiscent, du cocu complaisant et pleutre accréditée par les contemporains... Tout cela, Renucci le dit avec une sympathie pour son héros qui force celle du lecteur.
    Campagne électorale
    Au vrai, ce que le Sénat et l'ordre équestre n'ont pas pardonné à Claude, c'est d'avoir entamé un peu plus ce qu'il leur restait d'apparence de pouvoir. Mais, si Rome ne se gouverne plus, le jeu démocratique, ou supposé tel, se poursuit en Italie. La catastrophe d'août 79, en figeant dans un funèbre instantané le quotidien, a saisi sur le vif les rouages des campagnes électorales pompéiennes, non seulement pour le renouvellement des mandats de l'année, mais sur plusieurs décennies. Fièvre électorale à Pompéi de Karl-Wilhelm Weeber n'est pas une reconstitution de la vie municipale dans la cité campanienne mais une étude épigraphique des graffiti et slogans politiques retrouvés sur les murs par milliers. Répétitive, l'analyse permet de mettre en évidence comportements, promesses électorales, groupes de pression, alliances familiales ou professionnelles, insultes sournoises à rencontre du candidat adverse et, phénomène postérieur au tremblement de terre de 62 qui modifia les mentalités, ingérence grandissante des femmes, par l'intermédiaire du mari ou des fils, seuls à jouir du droit de vote, dans la campagne. Nihil novi sub sole... S'étonnera-t-on que le dix-septième centenaire de la victoire de Constantin sur Maxence au Pont Milvius, en octobre 312, ait été tu comme, en ce début d'année, celui de la promulgation de l'édit de Milan ? C'est que, dans notre monde déchristianisé, l'empereur qui mit fin aux persécutions et reconnut officiellement l'Église, posant un acte déterminant pour l'avenir, ne saurait faire l'objet d'aucune célébration... Il faut donc lire, avec tout l'intérêt qu'elle mérite, l'excellente biographie que Pierre Maraval lui a consacrée. Revenant aux sources, le professeur Maraval révèle un Constantin le Grand qui mérite ce surnom. Très éloigné du soudard illyrien dépeint par la propagande païenne, le fils de Constance Chlore, écarté de la succession à la tétrarchie, reconquit le pouvoir par les armes mais surtout par un jeu d'alliances stratégiques remarquablement mené, quitte à se débarrasser après coup d'alliés indésirables. Si, en politique, les scrupules ne l'étouffaient pas, ce qui explique qu'il attendit son lit de mort avant de réclamer le baptême, arien, Constantin se montra, dans le domaine social, d'un souci des humbles qui le conduisit à édicter une législation réellement chrétienne. Restaurateur de Rome, fondateur de Constantinople, et de Coutances, il protégea les arts et laissa, à sa mort en 337, un empire réunifié, stabilisé, christianisé. Cela mérite de célébrer cet anniversaire.
    Anne Bernet Action Française 2000 février - mars 2013
    ✓ John Scheid, Pouvoir et religion à Rome, Fayard Pluriel, 220 p., 8 € ; Christopher Bouix, La Véritable Histoire des Gracques, Les Belles Lettres, 180 p., 13,50 € ; Pierre Renucci, Claude, Perrin, 375 p., 23 € ; Karl Wilhelm Weeber, Fièvre électorale à Pompéi, Les Belles Lettres, 155 p., 13, 50 € ; Pierre Maraval, Constantin le Grand, Tallandier, 400 p., 23,90 €.

  • Entre Barrès et Maurras

    Dans la continuité de la chronique publiée dans notre précédent numéro, nous revenons sur l'œuvre de Maurice Barrès (1962-1923), et plus particulièrement sur l'influence qu'il exerça sur Charles Maurras.
    Bon et mauvais tons
    Maurras admirait Barrés, qui le lui rendait bien. Leur amitié fut profonde. Nous en sommes les bénéficiaires. On peut aller jusqu'à dire que nous restons débiteurs de Barrés en ce qu'il contribua à ramener notre principal maître politique des égarements anarchiques de sa prime jeunesse parisienne. On ne parle pas d'idées, mais d'attitude morale : « Je traversais alors, écrit Maurras, une petite crise qu'il est difficile de définir. La délicieuse brousse parisienne, les franchises sans limites de ce vaste désert d'hommes, le contact d'un certain nombre d'étudiants, de jeunes journalistes et de petits rapins, les uns mes compatriotes, les autres, amis de mon frère, avaient fini par me communiquer, pour quelques saisons, d'assez mauvaises habitudes de langage et de tenue, un débraillé de bru-talisme bohème qui permettait de me libérer des anciens plis de l'éducation... Jusqu'où cela est-il allé ? Je ne sais. Or, nous suivions, Barrés et moi, la pente des rues qui conduisent à Notre-Dame de Lorette. Soudain, il fit un mouvement, se redressa, le dos au mur et s'effaçant devant une dame qu'il ne connaissait évidemment pas : ni très jeune, ni très jolie, ni très élégante, une dame pourtant ! Mon compagnon faisait ce qu’on m’avait appris à faire, ce que j’avais toujours fait et que j’étais en train d’oublier.
    Ainsi le rappris-je instantanément. La fierté, la délicatesse et le goût que la personne de ce Barrés rayonnait, me ramenait vers le pays natal, et je lui en vouais ma reconnaissance secrète : c'en fut fini du mauvais ton pour lequel je m'étais encanaillé un peu de temps. » En somme, Barrés avait "réenraciné" Maurras... Ce texte en rappelle invinciblement un autre, justement célèbre, du Mont de Saturne (1950), où ce dernier use d'une métaphore que Barrés aurait certainement goûtée tant elle lui est consonante. Après avoir rapporté qu'il se refusa, d'un mouvement comme instinctif, à trahir par coucherie son ami, Denys Talon - c'est-à-dire Maurras - analyse : « Avez-vous vu danser un bouchon sur la vague ? L'affaire découvrait, non sans joyeux étonnement, que je n'étais pas le simple bouchon et valais au moins autant d'être comparé à ces carrés de liège auxquels sont suspendus nos filets de pêcheurs. Eux-aussi dansent sur le flot. Mais sur les hauts et bas de l'onde, d'invisibles petits cylindres de plomb leur sont liés de place en place pour sous-tendre tout le réseau. Où étaient mes lingots de plomb ? Et combien en avais-je ? Je l'ignorais, mais ils étaient bons. » Telles sont les vertus d'un véritable et salutaire "surmoi", caché mais agissant, que Barres et Maurras, avant freud - qui en faisait lui aussi une instance nécessaire - prêtaient à l’hérédité sociale.
    On remarquera que toute l'interprétation maurrassienne du "culte du moi" en découle : « Si la doctrine avait consisté à dire : Monsieur, madame, défendez à tout prix n'importe quel moi, elle eût été fausse, et la réponse indiquée eût été trop facile : le Moi de qui ? d'un imbécile, d'un méchant, d'un bas profiteur ? Il ne s'agissait que d'un Moi constitué par la suite historique des générations cultivées ; le Moi d'un Français normal. »
    Où la raison ne suffit pas
    Ces réflexions témoignent chez Maurras d'une part barrésienne peut-être plus importante qu'on l'imagine, si l'on prête attention au fait que ce Moi hérité et instinctif ne réagit pas en vertu d'un quelconque système d'idées. Or l'on sait que Barrés était aussi doué pour les idées que sceptique quant à leur efficace, tandis que Maurras demeura toujours une sorte de "rationaliste" impénitent. Maurras refusait notamment l'idée que « les chemins de la pensée puissent dépendre de ce qui les fraye », ce qui ne gênait pas Barrés, pourvu que ces derniers fussent bons et et les siens.
    Cette leçon barrésienne, ici épousée par Maurras, doit sans doute être retenue : notre cause a peut-être davantage besoin de personnes saines en profondeur, parce que lestées du « plomb » des bonnes mœurs mystérieusement héritées et de l'or de la tradition catholique civilisatrice que de doctrinaires et de fins dialecticiens. Peut-être s'agit-il moins aujourd'hui d'avoir seulement "raison", ce qui est bien sûr essentiel, que de commencer à éprouver une aversion instinctive pour tout ce qui détruit la société, et d'abord la nôtre, et avilit l'homme, et d'abord notre compatriote.
    Francis Venant Action Française 2000 de février-mars 2013
    Une erreur de composition s'est glissée dans notre numéro précédent : en page 14, dans l'article « Lire (ou relire) Maurice Barrés » (dont la suite est publiée ci-dessus), les deux derniers paragraphes constituaient une citation ; ces lignes étaient bien de Maurras comme l’auront remarqué nos lecteurs les plus familiers de son oeuvre.

  • Les valeurs chrétiennes sont partout !

    À en croire un ancien numéro de votre revue, Éléments, si le catholicisme du XXe siècle a vidé les églises, au moins aura-t-il empli les idées, notre monde étant constitué d’idées chrétiennes, non point devenues « folles », pour reprendre l’expression de G.K. Chesterton, mais « laïcisées ». Le diagnostic tient-il toujours la route ?

    Il a en tout cas été porté de longue date. L’avènement de la modernité se confond avec un mouvement de sécularisation qui doit s’envisager de façon dialectique. D’un côté, la religion perd sa place sociale et son rôle politique, désormais rabattu sur la sphère privée. De l’autre, les valeurs et les concepts chrétiens ne disparaissent pas ; ils sont seulement retranscrits en un langage profane. C’est en ce sens que la modernité reste tributaire de la religion. Le très catholique Carl Schmitt affirmait que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologique sécularisés ». Il faisait lui-même un parallèle entre monarchie et monothéisme, entre déisme et constitutionnalisme (« Le Dieu tout-puissant est devenu le législateur omnipotent »). Karl Löwith et bien d’autres ont montré, de leur côté, que l’idéologie du progrès reprend la conception linéaire et finalisée de la temporalité historique qui, dans le christianisme, a remplacé la vision cyclique des Grecs : le bonheur remplace le salut, le futur se substitue à l’au-delà. L’idéologie des droits de l’homme tire pareillement son origine de l’idée chrétienne d’une égale dignité de tous les hommes, membres d’une famille unique. Les notions mêmes de sécularité et de laïcité appartiennent à la terminologie chrétienne. C’est la raison pour laquelle Marcel Gauchet a pu définir le christianisme comme la « religion de la sortie de la religion ».

    Vous n’êtes pas spécialement connu pour hanter les églises, mais, à titre personnel, que vous inspire le pontificat de Benoît XVI ?

    Benoît XVI a été dans son rôle. Il a beaucoup fait pour rapprocher les chrétiens des juifs. Il a dénoncé le « fondamentalisme islamique », sans préciser toutefois que ce sont surtout les musulmans qui en sont les victimes. Avec le motu proprio qui a réhabilité la messe traditionnelle, il a tenté sans grand succès de ramener les traditionalistes dans le giron de l’Église. Pour le reste, il est toujours comique de voir les médias lui reprocher de n’avoir pas été plus « en phase avec son époque », comme si la doctrine de l’Église (à laquelle nul n’est obligé d’adhérer) était une sorte de programme politique qu’on pourrait infléchir au gré des circonstances. Il est curieux également qu’aucun de ceux qui le présentent comme un « conservateur », que ce soit pour s’en féliciter ou pour le déplorer, n’ait rappelé que dans l’encyclique Caritas in veritate (2009), il s’était explicitement prononcé pour l’instauration d’un gouvernement mondial : « Il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité mondiale, telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII […] Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation. » (§ 67)

    En 2013, une chrétienté bousculée par l’islam et, surtout, par un monde de plus en plus sécularisé, a-t-elle quelque chose à apporter à une humanité tendant à perdre le sens du sacré ?

    Je fais partie de ceux qui pensent que le sens du sacré ne se perd jamais totalement : la production d’une individualité collective est déjà de nature religieuse. Même sur le plan politique, le sacré est une composante inéliminable du pouvoir dans la mesure où le pouvoir met en jeu le problème de la vie et de la mort. Toute époque a ses zones de sacré. Pour savoir ce qui est aujourd’hui sacré, cherchez ce qui est tabou. La chrétienté, qui n’a pas le monopole du sacré, est aujourd’hui menacée par l’individualisation et, surtout, la privatisation de la foi. Pour retrouver une visibilité publique et en finir avec la relégation du fait religieux dans la sphère de la conscience privée, l’Église s’appuie sur l’émergence de la « société civile ». On l’a bien vu avec la mobilisation des familles catholiques contre le mariage gay. Pour continuer d’avoir un impact sur une société sécularisée, l’Église se pose en autorité morale, en experte ès affaires humaines, voire en marqueur identitaire. Cela n’empêche pas qu’il n’y a plus que 5 % de pratiquants en France et que l’âge moyen des prêtres est de 75 ans. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a là quelque chose qui touche à sa fin.

    Interview réalisée par Nicolas Gauthier.http://www.voxnr.com/