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culture et histoire - Page 1905

  • Gouverner Rome

    De la monarchie à la fin de l'empire, existèrent diverses manières de régir la Ville et le monde. Jamais innocentes.
    Le pouvoir, à Rome, est d'essence divine. Numa Pompilius, son second roi, l'a si bien compris que, selon les mythes fondateurs, il a, aidé par la nymphe Égérie, passé contrat directement avec « le Père du Ciel », signification étymologique du nom de Jupiter. Au terme d'une tractation serrée, le dieu accepte de s'installer au sommet du Capitole et d'accorder sa protection à la cité. Dès lors, de sa colline sacrée, Jupiter présidera aux destinées de Rome et servira de socle à ses institutions, de garant à ses grands hommes. Comment se concilie-ton Jupiter ? Comment en fait-on son agent électoral ? Comment, avec l'établissement du Principat, la gloire du dieu et celle de César finissent-elles par se confondre, l'une légitimant l'autre ?
    La politique et le sacré
    Pouvoir et religion à Rome de John Scheid est une remarquable petite synthèse, acérée et pleine d'humour, des rapports inextricables, savamment truqués pour les besoins des hommes en place, de la politique et du sacré dans le monde romain. Rapports qui s'effriteront avec le triomphe du christianisme, lorsque les empereurs chrétiens ne pourront plus, sans se mettre l'Église à dos, prendre le titre de Pontife suprême de Jupiter très bon et très grand. Les païens les accusèrent d'avoir, par cette rupture unilatérale de contrat, provoqué la fin de la Ville et de l'empire. Ils n'avaient pas tort puisque les dynasties chrétiennes élaboreront une nouvelle conception des rapports entre les puissances de ce monde et celle du Ciel. Faut-il intéresser le peuple aux affaires publiques ? La question s'est posée dans une société fort peu démocratique, divisée entre patriciens, descendants prétendus des compagnons d'Énée, et plébéiens, lesquels, d'ailleurs, ne tarderont pas à constituer une seconde aristocratie étroitement unie à la première, ce qui leur permettra de conserver le pouvoir. C'est contre ce système bien rodé mais injuste que s'insurgent, en 133 avant notre ère, Tiberius Gracchus puis son jeune frère, Caius, petits-fils, par leur mère, Cornelia, de Scipion l'Africain. Rome émerge, exsangue, des guerres puniques ; elle a survécu, écrasé sa rivale carthaginoise mais au prix d'une crise économique et sociale sans précédent. Trop longtemps retenus aux armées, les petits propriétaires terriens, clef de voûte de la République des « soldats et paysans », ont dû aliéner leurs champs et gagner Rome où ils constituent un prolétariat urbain voué au chômage. En proposant de voter des  lois agraires qui obligeraient les grands propriétaires fonciers, bénéficiaires du conflit, à rétrocéder les domaines dont ils se sont emparés, les Gracques vont mettre tout le système politique en péril. À dix ans d'intervalle, ils le paieront de leur vie. Exemples pour "Gracchu" Babœuf et les tenants du collectivisme, les frères Gracchi ont-ils été d'authentiques défenseurs des opprimés, ou de redoutables opportunistes qui, pour s'emparer du pouvoir, ne reculèrent devant aucune déstabilisation ? À travers les textes antiques rassemblés et commentés par Christopher Bouix dans la collection La Véritable Histoire, il apparaît que les historiens romains, hommes d'ordre, n'éprouvèrent guère de sympathie envers les fils de Cornelia. Le fait est que leurs initiatives allaient plonger Rome dans une guerre civile de plus d'un siècle... Il appartiendrait à Auguste d'y mettre fin.
    Claude méconnu
    Si la dynastie julio-claudienne fascine les historiens jusque dans ses figures les plus inquiétantes que sont Caligula et Néron, il est un prince que la chronique a laissé de côté, sauf à le transformer en personnage de vaudeville : Claude. On sait pourtant aujourd'hui qu'il valait mieux que ses ennemis l'ont prétendu. En se faisant son biographe, avec grand talent et beaucoup de sensibilité, Pierre Renucci rend enfin justice à un homme méconnu. Fils de Drusus, frère de Tibère, et d'Antonia Minor, l'une des filles que Marc Antoine avait eues d'Octavia, sœur d'Auguste, frère de Germanicus, Claude naît atteint, semble-t-il, de la maladie de Little, affection neurologique rare qui, sans altérer l'intellect, donne l'air d'un crétin souffrant de troubles de la parole et de la coordination. Dans le milieu impitoyable de la cour impériale, l'enfant devient sujet de honte et objet de cruautés gratuites. Seul Auguste s'aperçoit que le garçon est loin d'être idiot. Sans lui permettre, toutefois, de suivre le moindre cursus honorum. Ce sera la chance de Claude qui, enfermé dans son rôle d'imbécile, traversera les épurations successives décimant sa famille. L'assassinat, en janvier 40, de son neveu Caligula l'amène à la pourpre. Cette élévation fera énormément rire, à tort. Comme le démontre Renucci, Claude est un savant, plus au courant des choses du pouvoir qu'il y semble. Il possède une vision politique, n'hésite pas, afin de la réaliser, à épouser sa nièce Agrippine et adopter son fils, Néron, au détriment des enfants de ses premiers lits, parce que la fille de Germanicus descend en ligne directe d'Auguste, et lui confère, à lui, issu de la branche claudienne de la gens, un surplus de légitimité. Il modernise l'État, s'appuyant sur des affranchis dépeints par les chroniqueurs sénatoriaux comme de redoutables intrigants, ce qui ne les empêcha pas d’être grands ministres et administrateurs plus doués que les rejetons de la classe dirigeante. Il termine la conquête de la Bretagne, ouvre les portes du Sénat aux provinciaux, à commencer par les Gaulois, car il est né à Lyon et s'en souvient. Quand il meurt, en 54, empoisonné, ou simplement usé par les excès, il laisse l'empire puissant et en paix. On est loin de l'image du débile sadique et concupiscent, du cocu complaisant et pleutre accréditée par les contemporains... Tout cela, Renucci le dit avec une sympathie pour son héros qui force celle du lecteur.
    Campagne électorale
    Au vrai, ce que le Sénat et l'ordre équestre n'ont pas pardonné à Claude, c'est d'avoir entamé un peu plus ce qu'il leur restait d'apparence de pouvoir. Mais, si Rome ne se gouverne plus, le jeu démocratique, ou supposé tel, se poursuit en Italie. La catastrophe d'août 79, en figeant dans un funèbre instantané le quotidien, a saisi sur le vif les rouages des campagnes électorales pompéiennes, non seulement pour le renouvellement des mandats de l'année, mais sur plusieurs décennies. Fièvre électorale à Pompéi de Karl-Wilhelm Weeber n'est pas une reconstitution de la vie municipale dans la cité campanienne mais une étude épigraphique des graffiti et slogans politiques retrouvés sur les murs par milliers. Répétitive, l'analyse permet de mettre en évidence comportements, promesses électorales, groupes de pression, alliances familiales ou professionnelles, insultes sournoises à rencontre du candidat adverse et, phénomène postérieur au tremblement de terre de 62 qui modifia les mentalités, ingérence grandissante des femmes, par l'intermédiaire du mari ou des fils, seuls à jouir du droit de vote, dans la campagne. Nihil novi sub sole... S'étonnera-t-on que le dix-septième centenaire de la victoire de Constantin sur Maxence au Pont Milvius, en octobre 312, ait été tu comme, en ce début d'année, celui de la promulgation de l'édit de Milan ? C'est que, dans notre monde déchristianisé, l'empereur qui mit fin aux persécutions et reconnut officiellement l'Église, posant un acte déterminant pour l'avenir, ne saurait faire l'objet d'aucune célébration... Il faut donc lire, avec tout l'intérêt qu'elle mérite, l'excellente biographie que Pierre Maraval lui a consacrée. Revenant aux sources, le professeur Maraval révèle un Constantin le Grand qui mérite ce surnom. Très éloigné du soudard illyrien dépeint par la propagande païenne, le fils de Constance Chlore, écarté de la succession à la tétrarchie, reconquit le pouvoir par les armes mais surtout par un jeu d'alliances stratégiques remarquablement mené, quitte à se débarrasser après coup d'alliés indésirables. Si, en politique, les scrupules ne l'étouffaient pas, ce qui explique qu'il attendit son lit de mort avant de réclamer le baptême, arien, Constantin se montra, dans le domaine social, d'un souci des humbles qui le conduisit à édicter une législation réellement chrétienne. Restaurateur de Rome, fondateur de Constantinople, et de Coutances, il protégea les arts et laissa, à sa mort en 337, un empire réunifié, stabilisé, christianisé. Cela mérite de célébrer cet anniversaire.
    Anne Bernet Action Française 2000 février - mars 2013
    ✓ John Scheid, Pouvoir et religion à Rome, Fayard Pluriel, 220 p., 8 € ; Christopher Bouix, La Véritable Histoire des Gracques, Les Belles Lettres, 180 p., 13,50 € ; Pierre Renucci, Claude, Perrin, 375 p., 23 € ; Karl Wilhelm Weeber, Fièvre électorale à Pompéi, Les Belles Lettres, 155 p., 13, 50 € ; Pierre Maraval, Constantin le Grand, Tallandier, 400 p., 23,90 €.

  • Entre Barrès et Maurras

    Dans la continuité de la chronique publiée dans notre précédent numéro, nous revenons sur l'œuvre de Maurice Barrès (1962-1923), et plus particulièrement sur l'influence qu'il exerça sur Charles Maurras.
    Bon et mauvais tons
    Maurras admirait Barrés, qui le lui rendait bien. Leur amitié fut profonde. Nous en sommes les bénéficiaires. On peut aller jusqu'à dire que nous restons débiteurs de Barrés en ce qu'il contribua à ramener notre principal maître politique des égarements anarchiques de sa prime jeunesse parisienne. On ne parle pas d'idées, mais d'attitude morale : « Je traversais alors, écrit Maurras, une petite crise qu'il est difficile de définir. La délicieuse brousse parisienne, les franchises sans limites de ce vaste désert d'hommes, le contact d'un certain nombre d'étudiants, de jeunes journalistes et de petits rapins, les uns mes compatriotes, les autres, amis de mon frère, avaient fini par me communiquer, pour quelques saisons, d'assez mauvaises habitudes de langage et de tenue, un débraillé de bru-talisme bohème qui permettait de me libérer des anciens plis de l'éducation... Jusqu'où cela est-il allé ? Je ne sais. Or, nous suivions, Barrés et moi, la pente des rues qui conduisent à Notre-Dame de Lorette. Soudain, il fit un mouvement, se redressa, le dos au mur et s'effaçant devant une dame qu'il ne connaissait évidemment pas : ni très jeune, ni très jolie, ni très élégante, une dame pourtant ! Mon compagnon faisait ce qu’on m’avait appris à faire, ce que j’avais toujours fait et que j’étais en train d’oublier.
    Ainsi le rappris-je instantanément. La fierté, la délicatesse et le goût que la personne de ce Barrés rayonnait, me ramenait vers le pays natal, et je lui en vouais ma reconnaissance secrète : c'en fut fini du mauvais ton pour lequel je m'étais encanaillé un peu de temps. » En somme, Barrés avait "réenraciné" Maurras... Ce texte en rappelle invinciblement un autre, justement célèbre, du Mont de Saturne (1950), où ce dernier use d'une métaphore que Barrés aurait certainement goûtée tant elle lui est consonante. Après avoir rapporté qu'il se refusa, d'un mouvement comme instinctif, à trahir par coucherie son ami, Denys Talon - c'est-à-dire Maurras - analyse : « Avez-vous vu danser un bouchon sur la vague ? L'affaire découvrait, non sans joyeux étonnement, que je n'étais pas le simple bouchon et valais au moins autant d'être comparé à ces carrés de liège auxquels sont suspendus nos filets de pêcheurs. Eux-aussi dansent sur le flot. Mais sur les hauts et bas de l'onde, d'invisibles petits cylindres de plomb leur sont liés de place en place pour sous-tendre tout le réseau. Où étaient mes lingots de plomb ? Et combien en avais-je ? Je l'ignorais, mais ils étaient bons. » Telles sont les vertus d'un véritable et salutaire "surmoi", caché mais agissant, que Barres et Maurras, avant freud - qui en faisait lui aussi une instance nécessaire - prêtaient à l’hérédité sociale.
    On remarquera que toute l'interprétation maurrassienne du "culte du moi" en découle : « Si la doctrine avait consisté à dire : Monsieur, madame, défendez à tout prix n'importe quel moi, elle eût été fausse, et la réponse indiquée eût été trop facile : le Moi de qui ? d'un imbécile, d'un méchant, d'un bas profiteur ? Il ne s'agissait que d'un Moi constitué par la suite historique des générations cultivées ; le Moi d'un Français normal. »
    Où la raison ne suffit pas
    Ces réflexions témoignent chez Maurras d'une part barrésienne peut-être plus importante qu'on l'imagine, si l'on prête attention au fait que ce Moi hérité et instinctif ne réagit pas en vertu d'un quelconque système d'idées. Or l'on sait que Barrés était aussi doué pour les idées que sceptique quant à leur efficace, tandis que Maurras demeura toujours une sorte de "rationaliste" impénitent. Maurras refusait notamment l'idée que « les chemins de la pensée puissent dépendre de ce qui les fraye », ce qui ne gênait pas Barrés, pourvu que ces derniers fussent bons et et les siens.
    Cette leçon barrésienne, ici épousée par Maurras, doit sans doute être retenue : notre cause a peut-être davantage besoin de personnes saines en profondeur, parce que lestées du « plomb » des bonnes mœurs mystérieusement héritées et de l'or de la tradition catholique civilisatrice que de doctrinaires et de fins dialecticiens. Peut-être s'agit-il moins aujourd'hui d'avoir seulement "raison", ce qui est bien sûr essentiel, que de commencer à éprouver une aversion instinctive pour tout ce qui détruit la société, et d'abord la nôtre, et avilit l'homme, et d'abord notre compatriote.
    Francis Venant Action Française 2000 de février-mars 2013
    Une erreur de composition s'est glissée dans notre numéro précédent : en page 14, dans l'article « Lire (ou relire) Maurice Barrés » (dont la suite est publiée ci-dessus), les deux derniers paragraphes constituaient une citation ; ces lignes étaient bien de Maurras comme l’auront remarqué nos lecteurs les plus familiers de son oeuvre.

  • Les valeurs chrétiennes sont partout !

    À en croire un ancien numéro de votre revue, Éléments, si le catholicisme du XXe siècle a vidé les églises, au moins aura-t-il empli les idées, notre monde étant constitué d’idées chrétiennes, non point devenues « folles », pour reprendre l’expression de G.K. Chesterton, mais « laïcisées ». Le diagnostic tient-il toujours la route ?

    Il a en tout cas été porté de longue date. L’avènement de la modernité se confond avec un mouvement de sécularisation qui doit s’envisager de façon dialectique. D’un côté, la religion perd sa place sociale et son rôle politique, désormais rabattu sur la sphère privée. De l’autre, les valeurs et les concepts chrétiens ne disparaissent pas ; ils sont seulement retranscrits en un langage profane. C’est en ce sens que la modernité reste tributaire de la religion. Le très catholique Carl Schmitt affirmait que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologique sécularisés ». Il faisait lui-même un parallèle entre monarchie et monothéisme, entre déisme et constitutionnalisme (« Le Dieu tout-puissant est devenu le législateur omnipotent »). Karl Löwith et bien d’autres ont montré, de leur côté, que l’idéologie du progrès reprend la conception linéaire et finalisée de la temporalité historique qui, dans le christianisme, a remplacé la vision cyclique des Grecs : le bonheur remplace le salut, le futur se substitue à l’au-delà. L’idéologie des droits de l’homme tire pareillement son origine de l’idée chrétienne d’une égale dignité de tous les hommes, membres d’une famille unique. Les notions mêmes de sécularité et de laïcité appartiennent à la terminologie chrétienne. C’est la raison pour laquelle Marcel Gauchet a pu définir le christianisme comme la « religion de la sortie de la religion ».

    Vous n’êtes pas spécialement connu pour hanter les églises, mais, à titre personnel, que vous inspire le pontificat de Benoît XVI ?

    Benoît XVI a été dans son rôle. Il a beaucoup fait pour rapprocher les chrétiens des juifs. Il a dénoncé le « fondamentalisme islamique », sans préciser toutefois que ce sont surtout les musulmans qui en sont les victimes. Avec le motu proprio qui a réhabilité la messe traditionnelle, il a tenté sans grand succès de ramener les traditionalistes dans le giron de l’Église. Pour le reste, il est toujours comique de voir les médias lui reprocher de n’avoir pas été plus « en phase avec son époque », comme si la doctrine de l’Église (à laquelle nul n’est obligé d’adhérer) était une sorte de programme politique qu’on pourrait infléchir au gré des circonstances. Il est curieux également qu’aucun de ceux qui le présentent comme un « conservateur », que ce soit pour s’en féliciter ou pour le déplorer, n’ait rappelé que dans l’encyclique Caritas in veritate (2009), il s’était explicitement prononcé pour l’instauration d’un gouvernement mondial : « Il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité mondiale, telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII […] Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation. » (§ 67)

    En 2013, une chrétienté bousculée par l’islam et, surtout, par un monde de plus en plus sécularisé, a-t-elle quelque chose à apporter à une humanité tendant à perdre le sens du sacré ?

    Je fais partie de ceux qui pensent que le sens du sacré ne se perd jamais totalement : la production d’une individualité collective est déjà de nature religieuse. Même sur le plan politique, le sacré est une composante inéliminable du pouvoir dans la mesure où le pouvoir met en jeu le problème de la vie et de la mort. Toute époque a ses zones de sacré. Pour savoir ce qui est aujourd’hui sacré, cherchez ce qui est tabou. La chrétienté, qui n’a pas le monopole du sacré, est aujourd’hui menacée par l’individualisation et, surtout, la privatisation de la foi. Pour retrouver une visibilité publique et en finir avec la relégation du fait religieux dans la sphère de la conscience privée, l’Église s’appuie sur l’émergence de la « société civile ». On l’a bien vu avec la mobilisation des familles catholiques contre le mariage gay. Pour continuer d’avoir un impact sur une société sécularisée, l’Église se pose en autorité morale, en experte ès affaires humaines, voire en marqueur identitaire. Cela n’empêche pas qu’il n’y a plus que 5 % de pratiquants en France et que l’âge moyen des prêtres est de 75 ans. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a là quelque chose qui touche à sa fin.

    Interview réalisée par Nicolas Gauthier.http://www.voxnr.com/

  • "La Chute du président Caillaux" de Dominique Jamet

    Un livre présenté par Camille Galic.

    Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, la face du monde en eût-elle vraiment été changée ? Ce qui est à peu près sûr, c’est que si Henriette Caillaux avait eu plus de nez (politique) et de sang-froid, la face de l’Europe eût été bien différente puisque la Grande Guerre et ses incalculables conséquences (dont « Hitler, né à Versailles… ») nous auraient peut-être été épargnées. C.G

    Homme fort du Parti radical, maintes fois ministre, notamment des Finances à partir de 1899, et même président du Conseil de juin 1911 à janvier 1912, le Sarthois Joseph Marie Auguste Caillaux (1863-1944) est l’un des hommes politiques les plus importants mais aussi l’un des plus méconnus de la IIIe République : si son nom dit quelque chose à nos contemporains, c’est essentiellement en raison de l’assassinat par sa seconde épouse du directeur du Figaro, Gaston Calmette, qui s’était juré d’abattre le ministre. Entre le 4 janvier et le 13 mars 1914, le quotidien publia quelque cent trente-huit articles mélangeant allégrement le vrai et le faux, l’approximation et la calomnie, sans jamais tenir compte des démentis apportés par la victime !

    L’homme qui aurait tout fait pour éviter la Grande Guerre

    N’esquissant qu’à grands traits la biographie de Joseph Caillaux, c’est à la montée de la crise, à la convergence et à l’exacerbation des haines contre le ministre trop doué, trop ambitieux et trop cassant, sur fond de montée aussi des périls extérieurs, que s’intéresse le journaliste-historien Dominique Jamet, ancien président de la Bibliothèque nationale par la grâce de François Mitterrand mais surtout fils du militant socialiste et pacifiste Claude Jamet (1910-1993), traducteur de L’Iliade… et auteur du pamphlet antirésistancialiste Fifi Roi.

    En effet, Joseph Caillaux ne fut pas seulement le zélateur de l’impôt progressif sur le revenu – un impôt alors limité à 3% et même à 1,5% pour les revenus du travail, on est loin des prélèvements confiscatoires d’aujourd’hui ! – mais, se méfiant, à l’inverse de tant de ténors radicaux, de l’Entente cordiale avec l’Angleterre comme de l’Alliance franco-russe susceptibles à ses yeux de nous entraîner dans des complications internationales funestes à nos intérêts, Caillaux fut également hostile aux gesticulations, alors très en vogue, devant l’ennemi héréditaire allemand (le nouveau, le multiséculaire ennemi ayant jusque-là été la Perfide Albion). Ayant réussi à désamorcer la crise d’Agadir au printemps 1911 – quelques concessions au Kaiser en Afrique en échange de la liberté de manœuvre française au Maroc –, il s’opposa au projet de loi sur l’extension du service militaire à trois ans, mesure prise dans l’improvisation, ruineuse pour le budget et d’ailleurs trop tardive.

    Grands succès, nombreux ennemis

    Ces options lui aliénèrent évidemment la droite « revancharde » (dans L’Action française, Léon Daudet fustigeait « le traître, le vendu, l’individu sans pudeur et sans dignité, l’ignoble et vil trafiquant de son pays qu’est l’Allemand (sic) Joseph Caillaux »), mais aussi une large frange des républicains modérés dont il était issu et même des radicaux, qui reprochaient à l’ancien élève des jésuites son opposition passée au petit père Combes et son refus obstiné de rallier la franc-maçonnerie, ADN du parti.

    Se dresse ainsi contre lui un front allant du président de la République, le Lorrain Raymond Poincaré, au Vendéen Clemenceau, sans doute son plus farouche et constant ennemi, dont Dominique Jamet brosse un portrait assez terrible : « Clemenceau détestait Caillaux plus que tout autre adversaire. D’abord parce que celui-ci incarnait le rapprochement avec l’Allemagne, sa hantise. Mais aussi parce qu’il voyait dans son ancien ministre qui avait osé le braver le seul rival, depuis Jules Ferry, qui fût à sa taille, parce qu’il flairait et redoutait son double, comme lui autoritaire et lunatique, comme lui indiscipliné et pourtant césarien, son semblable, mais certainement pas son frère. »

    L’or de Petersbourg pour Calmette ?

    Or, début décembre 1913, le « semblable », non content d’avoir organisé la chute du gouvernement Barthou, redevient ministre des Finances dans un cabinet dirigé par Paul Doumergue auquel il entend bien succéder. Il faut agir. Commence alors la campagne hystérique menée par Le Figaro. Bénéficiant de fuites politiques, Calmette a-t-il aussi été le stipendié des services russes, via l’ambassadeur comte Isvolsky et le conseiller Raffalovitch, dont les noms seront également prononcés avec insistance après l’assassinat du socialiste (et surtout pacifiste) Jean Jaurès par Raoul Villain ?

    Si Caillaux résiste tant bien que mal à l’offensive du Figaro, sa « chère petite Riri », qui redoute de voir sa vie privée étalée sur la place publique, le quotidien ayant annoncé la publication de lettres intimes (fournies par le frère de la première Mme Caillaux, Berthe Gueydan), s’affole. Croyant ainsi protéger son mari, elle entend agir elle-même. Le  16 mars 1914, elle achète un browning de manchon, se rend au Figaro, y attend Calmette et, celui-ci arrivé, l’atteint de quatre balles. Immédiatement arrêtée, Henriette Caillaux est inculpée de meurtre avec préméditation. Son procès, suivi de très près par son mari, qui a évidemment démissionné, s’achèvera par une relaxe le 28 juillet 1914 – trois jours avant l’assassinat de Jaurès – mais, même si les urnes lui sont à nouveau favorables aux législatives de 1914, Caillaux lui-même est durablement sur la touche.

    Complot(s) contre la paix

    Jaurès physiquement liquidé, Caillaux politiquement éliminé, les bellicistes ont la voie libre alors que l’attentat de Sarajevo (28 juin 1914), où le couple héritier autrichien a perdu la vie, donne la fièvre à toute l’Europe, qui s’embrase définitivement le 4 août 1914.

    Y eut-il complot(s) contre la paix ? Sans aucun doute. Mais si des conjurés, politiciens français et agents étrangers, travaillaient depuis des mois à « la chute du président Caillaux », aucun d’eux ne pouvait évidemment prévoir la folle réaction de son épouse. Ce que l’on pouvait parfaitement prévoir, en revanche, c’est la suite. « Jamais, écrit l’auteur, l’Europe n’avait été plus belle, plus raffinée, plus riche, plus rayonnante. Elle régnait et faisait régner sa paix sur le monde. Elle s’était partagé l’Afrique et l’Asie. Elle régnait par son avance technique, par sa capacité industrielle, par sa puissance financière, par sa supériorité militaire. Et voilà qu’en l’espace de quelques jours, l’invraisemblable éventualité du suicide collectif d’une civilisation et du continent qui l’avait enfantée était redevenue réalité. »

    La vengeance du « Père la victoire »

    « C’est ma guerre », aurait fanfaronné Isvolsky. Mais ce serait aussi l’anéantissement du tsarisme et de sa patrie, laminée par plus de sept décennies de marxisme-léninisme… Quant à Caillaux, il n’en avait pas fini avec Clemenceau.  Ayant figuré « au petit nombre des hommes de bonne volonté – le pape Benoît XV, l’empereur d’Autriche Charles 1er, le prince Sixte de Bourbon-Parme – qui, en 1917, épouvantés par l’ampleur, la sauvagerie et l’absurdité du massacre, plaidèrent vainement pour la fermeture de la grande boucherie en gros et en détail, fût-ce au prix d’une paix blanche », il le paya très cher : « Au faîte de sa puissance, le Tigre, qui le guettait au premier faux pas, ne fit qu’une bouchée du rival blessé qu’il avait résolu de sacrifier sur l’autel de ses rancunes personnelles et de sa monomanie guerrière. Jeté en prison, incarcéré pendant deux ans, Caillaux frôla le poteau d’exécution (…). Sauvé par l’armistice, il fut condamné par le Sénat siégeant en Haute Cour à trois ans de détention et dix ans d’inéligibilité ». Et c’est seulement en 1924 qu’il fut amnistié.

    Le livre de Dominique Jamet se veut non un livre d’histoire mais un « récit », parfois à la limite du roman. On pourra regretter l’absence d’index, de sources référencées et de bibliographie mais on ne peut que saluer le talent de l’auteur, son don d’évocation et la sincérité de la révolte qui, près d’un siècle plus tard, continue à l’animer devant le drame que fut, et que reste, le suicide – voulu, téléguidé et dûment préparé – de l’Europe.

    Camille Galic
    25/02/2013

    Dominique Jamet : La Chute du président Caillaux, Pygmalion éditions, Paris 2013. 324 pages, 20,90 €.

    Correspondance Polémia – 4/03/2013

  • SYMBOLES, DU MONDE PAÏEN AU MONDE CHRÉTIEN

    Depuis la nuit des temps, l'homme use de symboles : les dessins rupestres sont symboles religieux et non, comme on l'a cru longtemps, des fresques narratives. La symbolique évolue en fonction du degré de la civilisation : on peut distinguer quatre étapes qui se chevauchent et/ou coexistent.


    1) Le symbole matérialise un concept philosophique ou religieux inaccessible autrement au commun des mortels. En général, le symbole est inclus dans une narration, mythe, conte, légende, épopée...

    
2) Le symbole représente une chose concrète ou abstraite et se substitue à elle par souci de poésie (neige et vieillesse), par pudeur ou tabou (avoir la puce à l'oreille), par similitude de forme (ventre et grotte), par recouvrement de caractère (rat et avarice)...

    
3) Le symbole masque une vérité que l'on ne veut pas ou que l'on ne peut pas exprimer en clair : ésotérisme (alchimie), sociétés secrètes ou sectes (franc-maçonnerie), politique, psychanalyse...

    
4) Le symbole permet les jeux de mot, sur les armes (Hugues Capet, abbé de Senlis, élu roi, pris pour écu un semis de lys  — cent lis —  sur champ d'azur  — le fleuve —) ; les rébus, le pictionary (contraction de picture et dictionary).

    
La deuxième série permet d'obtenir quelques renseignements sur les mœurs, la troisième est inexploitable sauf par les personnes concernées directement, la quatrième catégorie, un temps utilisée pour favoriser l'éveil des enfants à leur langue maternelle, a été abandonnée par suite de trop nombreuses confusions de sens et d'orthographe.


    Universalité des symboles philosophiques

    
Les symboles philosophiques et religieux sont remarquables par leur universalité. Du Mexique au Danemark, du Japon à la France, de Chine en Australie, le même animal, la même plante expriment la même idée. Aucune explication rationnelle ne peut être avancée sinon l'observation : mais est-ce vraiment une explication ? En effet, à partir d'une même observation, il est possible d'entreprendre différentes études qui déboucheront sur des enseignements différents ; or, les anciennes civilisations ont une sorte d'uniformité de vue ! Ces symboles, dont certains remontent au néolithique, ont été repris ou absorbés par la religion chrétienne, mais, l'Europe seule est réellement concernée car, la christianisation de l'Amérique s'est faite par le vide (massacres importants, isolation des autochtones, non-souci de conversion) ; celle de l'Afrique n'a concerné que les zones non-musulmanes, les massacres furent politiques, et, du point de vue religieux, les idoles ont cédé le pas aux rituels (“Gospel” par ex.) ; en Asie, comme dans le monde islamisé du temps passé, il y a eu coexistence (pas forcément pacifique) des anciennes religions et de la nouvelle.

    
Sanctuaires mariaux et déesses-mères païennes

    
D'une façon générale, on remarque que les sanctuaires mariaux les plus importants se situent sur les zones d'influence d'une déesse païenne : Lourdes et la Vénus de Cauterets, et, plus troublant, les régions ayant opté pour le protestantisme sont les aires de tribus guerrières où les femmes ne jouaient aucun rôle dans l'organisation sociale (épouses et mères seulement), alors que les pays actuellement catholiques et fortement attachés à la Vierge furent des nations dévouées à une déesse-mère toute puissante (Maeva en Irlande).
    Le nomadisme et le fractionnement en petites unités sociales ont aussi joué un rôle dans l'essaimage des symboles et leur amalgame au christianisme. Jusqu'en l'an 500, les mouvements migratoires répondent à des impératifs alimentaires plus que conquérants, même si l'on se bat souvent. Si, durant une période de 30 à 50 ans aucune épidémie ou catastrophe naturelle ne décimait la tribu, il y avait surpopulation, d'où nécessité d'éliminer le surnombre d'individus par un départ concerté. Pour accroître les chances de survie des exilés, plusieurs tribus regroupaient leurs migrants, et se mettait en marche une horde qui, en cours de route, s'augmentait souvent. Chaque groupe avait son langage, ses dieux, ses coutumes, mais, chemin faisant, progressivement et inconsciemment, tout cela se mêlait. Ils allaient ainsi, parfois en un voyage de plusieurs décennies, jusqu'à ce qu'ils trouvent une terre vierge pouvant les nourrir : partis des Monts de Thuringe vers la Pologne puis la Biélorussie, descendant vers l'Ukraine pour revenir sur leurs pas par la Slovaquie, la Hongrie, atteindre la vallée du Rhône, la descendre, suivre la côte méditerranéenne jusqu'à l'Andalousie, tel fut le périple des Wisigoths d'Espagne ! (Une partie de la troupe s'installa sur une bande de terre de l'Italie du Nord à la Croatie actuelles, en gros). Au terme du voyage, ceux qui étaient partis étaient morts en route, ceux qui arrivaient ne savaient pas leur origine, la culture initiale s'était diluée au contact d'autres cultures (haltes, compagnons de voyage, unions...) ; le temps est facteur d'oubli.
    Le CYGNE :
    Sous la forme de cet oiseau, Zeus féconda Léda. Dans la Grèce antique, le cygne n'est pas un animal local, mais, le pays est situé sur un axe de migration : les gens ont pu voir un animal, fatigué ou blessé, lors d'une pause. La rareté, la beauté ont fait naître l'idée de l'associer à Zeus. Sur l'axe de migration, en Europe centrale, les devins étudiaient le vol des cygnes pour en tirer un présage pour l'année nouvelle (qui commençait au printemps). Pour les peuples familiers des cygnes, plus que la grâce et la blancheur, le fait marquant était sa disparition durant les mois de froidure. Il devint donc symbole de pureté et de jeunesse : de nombreuses légendes mettent en scène des hommes-cygnes (Lohengrin en Allemagne ; Andersen d'après des traditions orales, au Danemark ; ...). Il est à noter que le cygne est associé à une femme (épouse, sœur) mais que la femme elle-même n'est que rarement cygne.
    Ces légendes orales ont atteint des régions où le cygne est très rare, voire inexistant, il a donc été remplacé logiquement par l'oie et le canard. L'oie était associée au dieu Mars dans la Rome antique (les oies du Capitole). Sequana est représentée debout, un canard dans ses bras ou à ses pieds : le long de la vallée de la Seine, il existe plusieurs représentations de la Vierge au canard, (av. le XIIe siècle). Très tôt, les tribunaux ecclésiastiques, (l'Inquisition), se sont élevés contre cette imagerie : le canard a toujours joui de mœurs sexuelles douteuses, contre sa volonté sûrement !!! Extrait d'un texte religieux du XIIe, en français moderne : « L'oie est un animal blanc extérieurement, mais sa chair est noire ; Notre Seigneur l'a mise parmi les hommes afin qu'ils ne se laissent pas duper par ces faux croyants dont l'apparence de pureté cache l'âme la plus noire ; la Très Glorieuse Mère de notre Sauveur ne saurait être représentée au côté de cet animal ou de tout autre lui ressemblant ». Le rapport cygne-pureté ou cygne-protection divine est aussi linguistique. Au VIe siècle, on constate dans des traductions latines, un glissement entre Algis = cygne et Hal ghis  = protection du sanctuaire (actuelle Allemagne). Plus tard, le gothique oublié, pour garder cette association, on liera étymologiquement swen = blanc et sunn = soleil (mot féminin) (XIe).
    Le SANGLIER :
    Lui aussi est un animal courant et va englober dans sa symbolique la laie, le cochon et la truie. Dans la Grèce, la mythologie représente le sanglier comme instrument des dieux : il est tueur ou tué selon que le héros a été condamné par les dieux ou testé (Héraclès, Adonis, Attis...). Le sanglier était attribut de Déméter et d'Atalante. Dans les cultures germano-nordiques, il est attribut de Freya, et Frey, son frère, a pour monture un sanglier aux poils d'or. C'est peut-être Freya qui est devenue en terres erses et celtiques la déesse Arwina, figurée avec un sanglier, et qui, en France, a donné son nom aux Ardennes et à l'Aude, ainsi que divers prénoms : Aude, Audrey, Aldouin, Ardwin... En outre, en Irlande et en France, le sanglier représente symboliquement la classe des druides et, plus tard, les prêtres : il figure à ce titre sur un des chapiteaux de la basilique de Saulieu — 21 —. Parce que lié à la fécondité, de nombreuses légendes mettent en scène des héros élevés par des suidés ; parce que lié à la force mâle, sa chasse fut longtemps initiatique.


    L'Église a tenté d'intervenir, mais sans succès cette fois, pour 4 raisons essentielles :
1) trop répandus, sangliers et porcs sont une ressource alimentaire importante ; la peau, les défenses, les ongles, les os... tout ce qui n'est pas mangeable sert à l'artisanat utilitaire ;


    2) il est associé à trop de saints populaires : Antoine, Émile, Colomban... ;


    3) mettre l'interdit sur les porcs serait avoir la même attitude que les juifs,
4) en Allemagne, il y eut confusion étymologique entre Eber = sanglier et Ibri, ancêtre mythique des Hébreux et donc du Christ, parfois représenté sous forme de sanglier (à Erfurt not.).


    Le CERF :


    Le dernier élément du bestiaire symbolique que je présente est le cerf (élan, renne, chevreuil, daim...). « Au pied de l'Arbre du Monde, quatre élans broutaient... », ainsi commence la légende germano-nordique. La Bible, Cantique des Cantiques, développe l'association femme-gazelle, laquelle correspond très exactement à l'association femme-biche. Héraclès chasse la Biche aux Pieds d'Airain tandis qu'Artémis se promène dans un char tiré par quatre biches. De nombreuses légendes mettent en scène des femmes-biches : Ossian en Irlande, naissance de la Hongrie... Gengis Khan serait né d'une biche et d'un loup ! La biche, sous son apparente douceur, reste un animal inquiétant, toujours doté de pouvoirs magiques : fée ou sorcière se transformant ou innocente victime d'un maléfice.


    Les mâles, par contre, sont symboles de force et de courage, image issue de tribus où la chasse est vitale. Leur ramure est associée aux rayons du soleil : le dieu celte Esus porte une ramure de cerf. C'est ce rapport qu'il faut voir dans le char (symbole solaire également) du Père Noël, tiré par des rennes (solstice d'hiver). Quant aux cornes des cocus, elles sont historiques et honorifiques ! Lorsque les rois, puis empereurs, de Byzance prenaient pour favorite, concubine ou maîtresse une femme mariée, des cornes d'or étaient apposées sur la façade de la maison de l'époux, en signe de haute distinction. L'Église a tenté de gommer ces cerfs gênants parce que trop païens, sans plus de succès qu'avec les sangliers, parce que :


    1) le cerf était un gibier noble, uniquement chassé par les nobles et le dévaloriser était s'attaquer à la force politique et militaire ;


    2) de ce fait, ils étaient, aux yeux du peuple, nobles et sacrés (peine de mort pour le manant qui abattait un cerf) ;


    3) trop de saints populaires l'avaient pour attribut : Hubert, Meinhold, Oswald, Procope...
Cependant, le travail de sape des ecclésiastiques a donné un résultat inattendu, l'expression “couard comme un cerf”, en dépit du bon sens.
De la symbolique des plantes


    Pour la symbolique des plantes, la signification est plus ciblée, car, jusqu'au XVIIIe siècle, la classification n'existait pas, et, deux plantes voisines peuvent être dissemblables alors que deux plantes sans parenté peuvent se ressembler. La situation géographique, climat et géologie, influe plus sur les plantes que sur les animaux. Enfin, une plante est statique, et frappe moins l'imagination qu'un animal. Donc, les plantes symboles sont médicinales ou comestibles, avec une restriction : nous devons garder à l'esprit que durant plusieurs millénaires la plante-mère a évoluée par sélection naturelle ou intervention humaine (l'épeautre a une action bénéfique sur le système nerveux que le blé n'a pas).

    
Le CHARDON :


    Le chardon, plante médicinale (il en existe plusieurs variétés), et légume en période de disette (avant l'artichaut ou en son absence), a frappé l'imagination parce qu'il pousse dans des conditions extrêmes (terrain pauvre, résistance aux chaleurs et aux froidures)... Il a donc été symbole de la résistance à l'oppresseur (en Écosse) et étalé sur les portes ou posé sur les cheminées pour chasser les mauvais esprits. Le chardon acaule s'ouvre ou se resserre en fonction du taux d'humidité de l'air : ne sachant à quoi attribuer ces mouvements de corolle, certains peuples l'utilisèrent comme oracle : on posait une question au chardon et on revenait le lendemain, si le chardon était ouvert la réponse était favorable. Il fut aussi symbole de la femme-mère protectrice du foyer en référence à la carde (qui servait à carder la laine). Les gnomes et autres esprits domestiques s'en servaient pour punir (mis dans les litières, paillasses, chaussures...) ou pour aider (carder, guérir...). Les ronces et le citronnier ne poussant pas partout, il fut Couronne d'Épines du Christ.

    
La TANAISIE :


    La Tanaisie est un chrysanthème, qui, comme le chardon, se dessèche sans faner. De cette qualité d'immortelle et de sa couleur jaune, elle fut très tôt associée au soleil, d'autant qu'elle fleurit en été, puis, aux débuts de la christianisation, à la vie éternelle. L'odeur très forte qu'elle dégage dut être liée à des pratiques magiques avant que l'homme ne s'avise qu'elle éloigne bon nombre de “parasites” (avec plus ou moins d'efficacité) : puces, poux, mouches, moustiques... La médecine progressant, de l'usage externe, on passa à l'usage interne, tisanes et décoctions vermifuges : l'Église suivit, et la tanaisie devint symbole de la foi missionnaire. Mais, en faire des bouquets que l'on pendait dans les étables ou les pièces d'habitation en fit, très tôt aussi, une fleur ornementale et le symbolisme y perdit sa force et sa valeur.

    
L'ÉGLANTINE :

    
L'églantine (et la rose), sont symboles de jeunesse inaltérable, de noblesse et de pureté ; ces fleurs furent naturellement attributs de la Vierge ; en Grèce, rattachées au mythe et au culte d'Adonis, elles expriment la métamorphose et la renaissance. Souvent représentées en quintefeuilles sur les écus, bas-reliefs, chapiteaux, linteaux, guirlandes..., ces fleurs font intervenir un autre type de symbole, plus profond peut-être, celui des chiffres : 5 = 3 + 2, c'est l'association du concept mâle (3) et du concept femelle (2).

    
Arbres-symboles


    Très peu nombreux sont les arbres symboles païens devenus symboles chrétiens : peut-être parce que dans l'esprit des hommes anciens il n'existait que 2 types d'arbres, ceux que l'on pouvait utiliser (chauffage, construction, teinture, alimentation...) et ceux qui ne servaient à rien ; les premiers étaient trop “matérialistes”, les seconds “inexistants” pour qu'ils aient valeur symbolique.

    
Le CHÊNE :


    Cependant, le chêne, par son aspect majestueux et la qualité de son bois s'est imposé. Il est toujours associé à un dieu majeur : Thor dans les civilisations nordiques, Donar en Allemagne, Perkunas en Lithuanie, Zeus en Grèce, Jupiter à Rome ; arbre isolé représentant le dieu lui-même, bois sacrés ou forêts sanctuaires. Si, en Grèce le chêne était la demeure des dryades (nymphes), en Europe Centrale il se transformait en une sorte de sirène-vampire. Pour les chrétiens, il est symbole d'immortalité : le bois de la Croix fut longtemps en chêne ! Le chêne sous lequel Saint Louis rendait la justice est sûrement plus symbolique qu'historique.

    
Le SAPIN :


    Le SAPIN, a un parcourt plus tortueux et moins net. À l'origine, le pin noir est attribut d'un dieu ou déesse des batailles, sur une grande partie des pays nordiques et baltes : il était habituel de pendre les dépouilles (sauf le cadavre) des soldats vaincus aux branches de ces arbres ; il est bien difficile de démêler le rite social du rite religieux d'un tel comportement, les deux étant probablement liés : image tangible de la victoire et offrande. Au moment de la christianisation de ces régions, cette pratique s'était effacée, mais, devaient subsister, de façon occulte, des “dons” à un arbre représentant une divinité, sortes d'ex voto. Par quelles arcanes de la mémoire collective cette coutume a-t-elle transitée ? Car, ce n'est qu'au XIXe siècle que le Sapin de Noël (un épicéa, le plus souvent), a resurgi, les branches couvertes d'offrandes, mais associé au christianisme sans être élément religieux. Il faut noter que le “mai” a une autre origine, reprise par les “Rameaux”. 


    Les choses-symboles


    Les choses symboles sont innombrables et surtout reflet de civilisation. Il nous est difficile, à nous, hommes modernes, d'imaginer ce que tel objet pouvait représenter pour les hommes anciens : un pot, c'est toujours un pot, un récipient pour cuire ou conserver. Il y a mille ans, un pot était signe d'aisance, objet utilitaire et précieux que l'on transmettait en héritage ; c'était aussi la recherche de la meilleure argile, du décor ; c'était encore l'angoisse de la cuisson dernière épreuve pouvant anéantir bien des heures de travail ; c'était enfin l'image d'une famille réunie dans l'assurance d'un repas ; c'était... peut-on savoir ?
    Le CŒUR :
    Dans l'imagerie religieuse, sans cesse revient le CŒUR. Il était courant de prêter à ce muscle les qualités du cerveau, à ce point que, de nos jours, restent toute une série d'expressions qui en atteste : agir selon son cœur, va où le cœur te porte... Les premières formes d'écriture en Europe sont des idéogrammes dont certains subsisteront jusqu'au XIIIe siècle avec valeur de lettre (runes), d'autres disparaîtront : le cœur est de ceux-là. Il était symbole de la femme puisqu'il représente en réalité les organes génitaux externes stylisés, symbole étendu à tout ce qui est d'essence féminine, il est associé à la terre et au soleil, au cycle de reproduction et de culture. L'iconographie chrétienne en a largement usé et abusé comme représentation de l'Amour, siège des pensées et sentiments nobles... au point que le cœur dans tous ces états (sauf celui de viande !) s'étale depuis des siècles dans une certaine littérature qui fut tour à tour courtoise, galante, romanesque avant d'être rose, grivoise ou X !
    L'ANCRE :
    L'ANCRE n'est pas présente dans les anciennes cultures, et pour cause, c'est un objet récent. Sans que rien le laisse prévoir, l'ancre est apparue associée à la Vierge sur quelques représentations moyenâgeuses, sporadiquement et spontanément, puis est retombée dans l'oubli. Cette bizarrerie n'en est que plus suspecte, d'autant que les dites Vierges, en pied sur l'ancre, surgissent dans les terres, loin de la mer et des voies d'eau navigables : il faut y voir la transposition d'une déesse (Freya ?) debout sur le marteau de Thor. Beaucoup plus tard, les mariniers reprirent cette image, en toute logique. Quant aux croix ancrées, il s'agit d'un système de fermeture de porte et non d'une ancre ; les croix ancrées sont apparues tout d'abord sur les écus, dans les armes et signifiaient “je garde au nom du Christ”.

    Le MARTEAU :


    Puisque le MARTEAU est cité, autant signaler que lui n'a jamais quitté la symbolique païenne ; Thor, juge impitoyable des guerriers, a transmis, tel quel, son instrument aux hommes contemporains : le marteau siège au tribunal ! Avant d'être utilisé, également avec le sens de sentence rendue, par les commissaires priseurs, il servit, toujours avec ce sens, a entériner les mariages. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, on pouvait trouver dans les campagnes françaises des “forgeux” : forgerons véritables qui, en plus de leur métier somme toute banal, chassaient les esprits ; le malade (souvent névrosé ou psychotique) était étendu nu sur une table dans la forge ; le “forgeux” abattait sur lui sa masse la plus effrayante et arrêtait son geste au ras de la poitrine ou du ventre. Ou on était débarrassé de toute psychose ou on devenait complètement fou de terreur !
    Les premières sociétés humaines dressèrent des axes de vie ou axes du monde, symbole du lien des dieux avec les hommes. Sous différents aspects, ce symbole est universel et perdure : menhir, lingam, pyramide, totem, arbres ou pieux sculptés... La Croix et les cierges (avec la flamme en plus) sont chargés de ce sens.
    L'évolution n'est donc que la prise de conscience des phénomènes et leur enrobage dans diverses enveloppes fournies par la société. Notre esprit est le même que celui de Lucy !


    ► Marie Brassamin, Vouloir n°142/145, 1998. vouloir