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culture et histoire - Page 1958

  • Taine et l’homme moderne rapetissé

     

    D’un paysage nous avons fait un potager.

     

    Dans "La Fontaine et les Fables", son meilleur livre, Taine règle ses comptes avec l’homme moderne. En profitant du culte qu’il voue à notre fabuliste et ses animaux, le grand théoricien si caricaturé par nos vilains manuels scolaires (« le vice et la vertu, le sucre et le vitriol »...), dresse un tableau des homoncules modernes, avec une inspiration et une précision qui font de lui l’égal de Nietzsche ou de Guénon (Nietzsche d’ailleurs le respectait beaucoup).

     

    L’homme moderne devient ainsi l’équivalent d’une grande ville où tout est laid, artificiel et fonctionnel :

     

    « L’homme aujourd’hui ressemble à ces grandes capitales qui sont les chefs-d’oeuvre et les nourrices de sa pensée et de son industrie ; le pavé y couvre la terre, les maisons offusquent le ciel, les lumières artificielles effacent la nuit, les inventions ingénieuses et laborieuses encombrent les rues, les visages actifs et flétris se pressent le long des vitrines ; les souterrains, les égouts, les quais, les palais, les arcs de triomphe, l’entassement des machines étalent et multiplient le magnifique et douloureux spectacle de la nature maîtrisée et défigurée. Nous en voulons sortir. Nous sommes las de ces coûteuses merveilles. »

     

    La France a joué un rôle sinistre au cours de sa révolution, Taine l’a montré mieux que personne ; c’est que la France est la terre par excellence du bourgeois étriqué et mesquin qui naît malencontreusement sous la monarchie de Louis XIV (et même avant, si l’on en croit Michelet, qui voit la farce poindre avec son maître Patelin) :

     

    « Le bourgeois est un être de formation récente, inconnu à l’antiquité, produit des grandes monarchies bien administrées, et, parmi toutes les espèces d’hommes que la société façonne, la moins capable d’exciter quelque intérêt. Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu’ailleurs. »

    Le bourgeois qui fleurit ! Naît alors l’homme moderne, le dernier homme de Nietzsche, le médiocre de Tocqueville, l’homme rapetissé de Taine qui le compare superbement au grand cordonnier de l’Athènes antique (ici aussi, Hippolyte, il faut prendre garde car le cordonnier de Démosthène n’est pas celui de Thémistocle !). Mais pourquoi notre bourgeois rapetisse-t-il ?

     

    « Le gouvernement l’a déchargé des affaires politiques, et le clergé des affaires religieuses. La ville capitale a pris pour elle la pensée, et les gens de cour l’élégance. L’administration, par sa régularité, lui épargne les aiguillons du danger et du besoin. Il vivote ainsi, rapetissé et tranquille. A côté de lui un cordonnier d’Athènes qui jugeait, votait, allait à la guerre, et pour tous meubles avait un lit et deux cruches de terre, était un noble. »

     

    Et là un grand épanchement qui survient comme une méditation guénonienne :

     

    « De là vient la laideur du monde moderne. Autrefois à Rome, en Grèce, l’homme, à demi exempt des professions et des métiers, sobre, n’ayant besoin que d’un toit et d’un manteau, ayant pour meubles quelques vases de terre, vivait tout entier pour la politique, la pensée et la guerre. Aujourd’hui l’égalité partout répandue l’a chargé des arts serviles ; les progrès du luxe lui ont imposé la nécessité du gain ; l’établissement des grandes machines administratives l’a écarté de la politique et de la guerre. »

     

    Enfonçons le clou sur la civilisation matérielle et le règne de la quantité !

     

    « La civilisation, en instituant l’égalité, le bien-être et l’ordre, a diminué l’audace et la noblesse de l’âme. Le bonheur est plus grand dans le monde, mais la beauté est moindre. Le nivellement et la culture, parmi tous leurs mérites, ont leurs désavantages : d’un paysage nous avons fait un potager. »

     

    Taine comprend que l’éducation industrialisée et forcée va détruire le vrai goût pour la culture et les humanités. Qui lit Virgile ou Shakespeare pour son plaisir de nos jours ? On se le tape avec le prof et puis on se précipite sur le dernier Rihanna !

     

    « Il est plus triste encore d’observer ce que devient la science tournée en métier. Les occupations nobles s’altèrent en devenant marchandises. Le sentiment s’en va et fait place à la routine. Une page de Virgile, que vous avez fait réciter à vingt écoliers pendant vingt ans vous touchera-t-elle encore ? Vous devez la lire tel jour, à telle heure ; l’émotion coulera-t-elle à point nommé comme quand on tourne un robinet? »

     

    Dès lors on comprend pourquoi Taine comme Nietzsche et les moralistes Français du Grand Siècle recommandent leurs âmes aux animaux !

     

    « Au contraire, voici un bon et honnête chat qui, les yeux à demi clos, sommeille au coin de l’âtre. Sa fourrure est à lui de naissance, comme aussi sa sagesse. Il n’a point sué pour l’obtenir. Il n’y a point pour lui de règle morale qui dégrade ses ruses ; il quête des épluchures d’assiette sans pour cela devenir bas, il n’est pas avili par la servitude. Il ne s’inquiète point de l’avenir ; il pourvoit au présent, et subit le mal patiemment quand le mal le rencontre. En attendant il dort et restera ainsi jusqu’au soir, sans avoir envie de changer de place. »

     

    La règle morale qui dégrade les ruses, thème typiquement nietzschéen ! La servitude, thème très digne de Tocqueville ! Taine va encore plus loin et voyait à l’instar de La Fontaine dans les animaux des modèles de liberté et de spiritualité :

     

    « Au fond, toutes les bêtes sont nobles. Si elles pouvaient parler, elles nous tutoieraient comme font les enfants. En effet, ce sont des enfants qui, arrêtés dans leur croissance, ont gardé la simplicité, l’indépendance et la beauté du premier âge. Leur cou ne porte pas les marques de la déformation que nous impose le métier, ni des flétrissures dont nous salit l’expérience. S’ils sont plus bornés, ils sont plus purs. »

     

    Je ne rappellerai pas qui nous demande d’être comme les enfants. On comprend dès lors, et l’on s’arrêtera en recommandant ce fabuleux bouquin, lisible en ligne, que la poésie vraie ait pour Taine une mission et des caractères sacrés :

     

    « C’est que les vers sont tout autre chose que des lignes non finies. Je crois que s’ils ont tant de puissance, c’est qu’ils remettent l’âme dans l’état sensitif et primitif. Ceux qui ont inventé le langage n’ont point noté les objets par des signes abstraits à la façon des algébristes ; ils ont joué en leur présence et pour les exprimer un drame figuratif et une pantomime ; ils ont imité les événements avec leurs attitudes, avec leurs cris, avec leurs regards, avec leurs gestes ; il les ont dansés et chantés. »

     

     

    Bon, il ne reste plus qu’à aller voter et prendre le métro, maintenant ! Je finis par La Fontaine (tout de même !), à ce maître suprême qui voit poindre ici sous la cour plein à craquer la plèbe sous contrôle affolée de people :

     

    Peuple caméléon, peuple singe du maître ;
    On dirait qu’un esprit anime mille corps ;
    C’est bien là que les gens sont de simples ressorts.

    http://www.france-courtoise.info

     

  • 1328 : l’avènement des Valois

    Après la mort de Charles IV le Bel, la loi salique s'impose, naissant de l'expérience des faits, comme toujours avec les Capétiens.

    Cette année-là, la sixième de son règne, Charles IV le Bel, trente-quatre ans, mourut à Vincennes le 1er février, sans héritier mâle direct. La chose se produisait pour la première fois chez les Capétiens, lesquels, depuis Hugues Capet, s'étaient toujours perpétués de père en fils sans contre-temps ; si le fils aîné mourait jeune, le premier des cadets prenait sa place dans la succession et la vie de la lignée continuait. Ce fut la grande chance des premiers Capétiens d'avoir, pendant trois cent trente-neuf ans, pu affermir leur dynastie sans se heurter à la moindre difficulté de succession.
    Le cas de Charles IV était exceptionnel. Troisième fils de Philippe IV le Bel et de Jeanne 1ère de Navarre, il était monté sur le trône après ses deux frères aînés, Louis X le Hutin et Philippe V le Long, lesquels étaient eux-mêmes morts sans laisser d'enfant mâle ! Pour être tout à fait exact rappelons que l'aîné Louis X le Hutin, roi de France de 1314 à 1316, avait eu de sa première épouse Marguerite de Bourgogne (répudiée pour adultère) une fille, Jeanne ; or sa seconde épouse, Clémence de Hongrie, était enceinte quand il mourut.
    Celle-ci mit au monde le 15 novembre 1316 un petit Jean qui décéda dès le 20 novembre et devait rester dans l'histoire comme Jean 1er le Posthume.
    Philippe, alors comte de Poitiers, frère du roi défunt, avait alors couru à Reims pour se faire sacrer sous le nom de Philippe V le Long, barrant ainsi la route à quelques partisans de Jeanne, le premier enfant du Hutin. Il avait fallu une assemblée des seigneurs de la cour et des docteurs de l'Université pour approuver l'exclusion de la petite fille de la succession, tout simplement parce qu'une fille reine pourrait en se mariant apporter un jour en dot la couronne de France à un prince étranger.
    Philippe V avait ensuite régné jusqu'à sa mort en 1322, n'ayant eu que des filles de son épouse Jeanne de Bourgogne, elle aussi soupçonnée d'adultère mais non répudiée.
    Le tour de Charles IV le Bel était alors venu, il avait remis de l'ordre dans les finances, avait oeuvré pour venir en aide aux chrétiens d'Orient, mais il avait dû répudier sa première épouse, Blanche de Bourgogne aussi volage que ses belles-soeurs, accusées toutes les trois par des rumeurs de s'être livrées à des ébats bien peu catholiques dans la tour de Nesle… Sa deuxième épouse Marie de Luxembourg, mourut enceinte dans un accident. La troisième, sa cousine Jeanne d'Evreux, n'eut que des filles, mais se trouvait enceinte en cette année 1328 quand mourut le roi, le 1er février.
    Loi fondamentale
    Philippe de Valois, fils de Charles de Valois, lui-même frère de Philippe IV le Bel, donc le plus proche par les mâles de la succession, fut désigné comme régent en attendant la naissance. Tout laissait à penser qu'il serait roi si une fille naissait. Ce ne fut pas l'avis d'Isabelle, soeur des trois rois défunts, qui venait de faire assassiner son mari Édouard II, roi d'Angleterre, par des intimes de son amant, Roger Mortimer : elle revendiqua la couronne de France non pour elle-même (question réglée depuis 1316), mais pour son fils, quatorze ans, petit-fils de Philippe le Bel, devenu Édouard III, roi d'Angleterre.
    Dès le 2 février une grande assemblée se réunit au Palais pour traiter « la plus noble cause qui fut oncques », dit le juriste Guy Coquille. Nul ne voulait comme roi de France d'un Anglais qui était par ailleurs vassal du roi de France pour ses possessions d'Aquitaine. Tous admirent et promulguèrent à jamais que « femme, ni par conséquent son fils, ne pouvait par coutume succéder au royaume de France ». Cette loi, qu'on allait appeler la loi salique pour la faire dériver d'un vieux texte franc, fut dès lors la première loi fondamentale du royaume, née non pas d'un texte abstrait posé a priori, mais de l'expérience des faits, comme toujours avec les Capétiens.
    Jeanne d'Evreux ayant accouché d'une fille, Philippe put se faire sacrer à Reims dès le 29 mai. La branche des Valois accédait ainsi au trône et allait se le transmettre brillamment jusqu'en 1589, s'éteignant là encore - et c'est assez singulier- avec trois frères rois sans enfants : François II, Charles IX, Henri III.
    Insistons encore sur le fait que la monarchie capétienne ne fut en rien antiféministe : les femmes, notamment les régentes, y jouèrent bien souvent un rôle primordial. Leur exclusion de la succession exprime seulement dès 1328 une haute conscience de l'unité et de la continuité françaises et des besoins défensifs de la nation. La couronne n'est pas une propriété qui peut passer en diverses mains, elle est un bien commun inaliénable. C'est ce qui la rend bienfaisante.
    MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 décembre 2008
  • En Souvenir de Julien Freund

    Le 10 septembre 1993, Julien Freund nous a quitté silencieusement. En Europe, il était l'un des plus éminents philosophe de la politique, une référence obligée pour tous ceux qui voulaient penser celle-ci en dehors des sentiers battus. La presse n'en a pas fait écho.
    Né à Henridorff, en Alsace-Lorraine, en 1921, il s'engage dans les rangs de la résistance au cours de la seconde guerre mondiale. Dans l'immédiat après-guerre, il enseigne d'abord la philosophie à Metz, puis devient président de la faculté des sciences sociales de l'université de Strasbourg, dont il assurera le développement.
    Inspiré initialement pas la pensée de Max Weber, un auteur peu connu dans la France de l'époque, Freund élabore petit à petit une théorie de l'agir politique qu'il formule, en ses grandes lignes, dans son maître-ouvrage, L'essence du politique (1965).
    "Le politique est une essence, dans un double sens : d'une part, c'est l'une des catégories fondamentales, constantes et non éradicables, de la nature et de l'existence humaines et, d'autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations du pouvoir et des régimes et malgré le changement des frontières sur la surface de la terre. Pour le dire en d'autres termes: l'homme n'a pas inventé le politique et encore moins la société et, d'un autre côté, en tous temps, le politique restera ce qu'il a toujours été, selon la même logique pour laquelle il ne pourrait exister une autre science, spécifiquement différente de celle que nous connaissons depuis toujours. Il est en effet absurde de penser qu'il pourrait exister deux essences différentes de la science, c'est-à-dire deux sciences qui auraient des présupposés diamétralement opposés; autrement, la science serait en contradiction avec elle-même".
    Ou encore : "La politique est une activité circonstancielle, causale et variable dans ses formes et dans son orientation, au service d'une organisation pratique et de la cohésion de la société [...]. Le politique, au contraire, n'obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l'homme, qui ne peut pas ne rien faire car, dans ce cas, il n'existerait pas ou serait autre chose que ce qu'il est. On ne peut supprimer le politique - à moins que l'homme lui-même, sans se supprimer, deviendrait une autre personne".
    Freund, sur base de cette définition de l'essence du politique, soumet à une critique serrée l'interprétation marxiste du politique, qui voit ce dernier comme la simple expression des dynamiques économiques à l'oeuvre dans la société. Freund, pour sa part, tient au contraire à en souligner la spécificité, une spécificité irréductible à tout autre critère. Le politique, dans son optique, est "un art de la décision", fondé sur trois types de relations : la relation entre commandement et obéissance, le rapport public/privé et, enfin, l'opposition ami/ennemi.
    Ce dernier dispositif bipolaire constitue l'essence même du politique: elle légitimise l'usage de la force de la part de l'Etat et détermine l'exercice de la souveraineté. Sans force, l'Etat n'est plus souverain ; sans souveraineté, l'Etat n'est plus l'Etat. Mais un Etat peut-il cessé d'être "politique" ? Certainement, nous répond Freund :
    "Il est impossible d'exprimer une volonté réellement politique si l'on renonce d'avance à utiliser les moyens normaux de la politique, ce qui signifie la puissance, la coercition et, dans certains cas exceptionnels, la violence. Agir politiquement signifie exercer l'autorité, manifester la puissance. Autrement, l'on risque d'être anéanti par une puissance rivale qui, elle, voudra agir pleinement du point de vue politique. Pour le dire en d'autres termes, toute politique implique la puissance. Celle-ci constitue l'un de ses impératifs. En conséquence, c'est proprement agir contre la loi même de la politique que d'exclure dès le départ l'exercice de la puissance, en faisant, par exemple, d'un gouvernement un lieu de discussions ou une instance d'arbitrage à la façon d'un tribunal civil. La logique même de la puissance veut que celle-ci soit réellement puissance et non impuissance. Ensuite, par son mode propre d'existence, la politique exige la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par une observation trop scrupuleuse du droit, cesse derechef d'être réellement politique ; elle cesse d'assumer sa fonction normale par le fait qu'elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Pour un pays, en conséquence, le problème n'est pas d'avoir une constitution juridiquement parfaite ou de partir à la recherche d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable d'affronter les difficultés concrètes, de maintenir l'ordre, en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surviennent inévitablement dans toute société".
    On perçoit dans ces textes issus de L'essence du politique la parenté évidente entre la philosophie de Julien Freund et la pensée de Carl Schmitt.
    Particulièrement attentif aux dynamiques des conflits, ami de Gaston Bouthoul, un des principaux observateurs au monde de ces phénomènes, Freund fonde, toujours à Strasbourg, le prestigieux Institut de Polémologie et, en 1983, il publie, dans le cadre de cette science de la guerre, un essai important : Sociologie du conflit, ouvrage où il considère les conflits comme des processus positifs : "Je suis sûr de pouvoir dire que la politique est par sa nature conflictuelle, par le fait même qu'il n'y a pas de politique s'il n'y a pas d'ennemi".
    Ainsi, sur base de telles élaborations conceptuelles, révolutionnaires par leur limpidité, Freund débouche sur une définition générale de la politique, vue "comme l'activité sociale qui se propose d'assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d'une unité politique particulière, en garantissant l'ordre en dépit des luttes qui naissent de la diversité et des divergences d'opinion et d'intérêts".
    Dans un livre largement auto-biographique, publié sous la forme d'un entretien (L'aventure du politique, 1991), Freund exprime son pessimisme sur le destin de l'Occident désormais en proie à une décadence irrémédiable, due à des causes internes qu'il avait étudiées dans les page d'un autre de ses ouvrages magistraux, La décadence (1984). Défenseur d'une organisation fédéraliste de l'Europe, il avait exprimé son point de vue sur cette question cruciale dans La fin de la renaissance (1980). Julien Freund est mort avant d'avoir mis la toute dernière main à un essai sur l'essence de l'économique. C'est le Prof. Dr. Piet Tommissen qui aura l'insigne honneur de publier la version finale de ce travail, à coup sûr aussi fondamental que tous les précédents. Le Prof. Dr. Piet Tommissen sera également l'exécuteur testamentaire et le gérant des archives que nous a laissé le grand politologue alsacien.
    Dott. Alessandra COLLA.
    (la version italienne originale de cet hommage est paru dans la revue milanaise Orion, n°108, sept. 1993)
    Publié par Alternative Europe 

  • Définir la subsidiarité

    Université d'été de la F.A.C.E. (Lourmarin, Provence)
    Samedi 29 juillet 1995 (matinée)
     
    Définir la subsidiarité
     (intervention de Robert Steuckers)
    Lors de notre visite au Professeur Gianfranco Miglio, fin avril 1995, celui-ci nous a confié qu'il considérait le terme “subsidiarité” comme un mot ambigu, qui désignait une délégation de pouvoir pouvant conduire à une confiscation des pouvoirs par l'instance centrale (en l'occurence appelée “fédérale”). Pour Gianfran­co Miglio, mieux vaut parler de fédéralisme, lequel, selon Châteaubriand, est la forme étatique des peu­ples germaniques.
    On reparle beaucoup de subsidiarité dans le processus d'unification européenne. Lors de la rédaction du Traité de Maastricht, les juristes allemands ont insisté pour que soit inscrit en toutes lettres le terme de “subsidiarité”. Mais dans le texte de ce traité, le terme est ambigu sur cinq points au moins, nous signa­lent bon nombre d'observateurs :
    1. a) Il peut être interprété comme une arme contre les tendances trop accentuées vers le centralisme (reproche adressé surtout à la Commission) ou b) comme un instrument pour retourner à l'Etat-Nation conventionnel (Thatcher).
    2. Signifie-t-il une (re)distribution ou une répartition des compétences en exercice ?
    3. S'agit-il d'un transfert de compétences strictement réglementé ou d'une auto-limitation volontaire de la part des pouvoirs publics nationaux ? Ou encore d'un principe vague qui veut avertir le citoyen des risques d'empiètement émanant des instances centrales ?
    4. Comment mesurer la qualité ou l'intensité du transfert des compétences ?
    5. Où se trouve aujourd'hui le principe de subsidiarité dans le discours politique, dans les textes constitu­tionnels, dans la pratique quotidienne du droit ?
     
    Origine du terme “subsidiarité”
    Le terme “subsidiarité”, expliquent les historiens du droit, fait partie d'une “triade catholique” (personnalité, solidarité, subsidiarité). Mais les théoriciens majeurs de la subsidiarité, les pères fonda­teurs du concept, sont protestants :
    1. Johann Althusius (longtemps oublié dans les manuels d'histoire des idées politiques et juridiques).
    2. Otto von Gierke (un sociologue et juriste allemand du XIXième siècle qui redécouvrira Althusius en 1880, juste avant le sociologue Tönnies, théoricien de la “communauté”).
     
    Johann Althusius (1557-1638)
    Ce fondateur de la science politique organique allemande écrit et est lu au début du XVIIième siècle. Ses doctrines constituent l'antithèse de la dominante idéologique de l'époque, soit l'absolutisme théorisé par Bodin. La notion cardinale dans l'œuvre d'Althusius est celle de Gemeinwille (“volonté commune”), ancrée dans le peuple, perçu et défini comme “organisierter Volkskörper” (corporéité populaire organisée).
     
    Otto von Gierke
    Ce sera Otto von Gierke qui redécouvrira Althusius dans les années 1880. Qui est Otto von Gierke? Un théoricien allemand du “Droit des Genossenschaften” (compagnonnages). Pour Althusius au XVIIième et Otto von Gierke au XIXième, la politique est Konsoziation et Konkordanz (concorde, ou “sympathie”, unisson des cœurs). Le fédéralisme et la subsidiarité d'Althusius et d'Otto von Gierke sont un ancrage profond dans le tissu social concret. Cet ancrage permet d'échapper à l'hyper-simplification de l'absolutisme, propre des monarchies déclinantes, et du centralisme (de Philippe II à Richelieu et de Louis XIV à la Révolution). L'accent mis sur les “compagnonnages” et la “communauté” implique un refus de la stricte séparation de la politique et du marché, césure imposée par le libéralisme. Le fédéralisme actuel (USA, Australie, Canada et même la RFA) n'est qu'une variante du centralisme: il s'agit d'un compromis qui s'oriente toujours vers une consolidation du niveau central. Aux Etats-Unis, les “états” reçoivent la permission du niveau fédéral d'exercer des compétences (des phénomènes analogues s'observent en RFA voire en Suisse). L'objectif de toute centralisation est: que tous doivent finir par vivre selon le même modèle économique; que les communautés villageoises, claniques ou familiales doivent s'adapter à des règles édictées d'“en-haut”; que les entreprises doivent se conformer à des modèles venus également du “sommet”. Le haut ne délègue au bas que ce qui n'est pas jugé important. La compétence n'est jamais qu'octroyée.
     
    Le Traité de Maastricht et le cas français
    Althusius se place résolument en porte-à-faux, vis-à-vis de cette mentalité absolutiste et centraliste. Dans son esprit, la subsidiarité sert à façonner le concorde, à souder les communautés, à consolider le tissu social. Elle doit dès lors atteindre trois objectifs, si on la (re)place dans le contexte actuel de l'Union Européenne :
    1. Susciter chez tous la promptitude à l'aide mutuelle, dans les limites imposées par les budgets respec­tifs des communautés locales ou professionnelles. Donc la subsidiarité ne saurait être un prétexte à l'isolationnisme comme l'imaginait Madame Thatcher.
    2. Comme il y a ancrage de toute souveraineté dans le Volkskörper (la “corporéité folcique”), les Etats de l'Union Européenne (c'est-à-dire les Etats qui ont la qualité de membre) ne peuvent agir - ou leur action n'est valide dans l'esprit d'un droit qui serait entièrement déterminé par la subsidiarité - que s'ils repré­sentent réellement les multiples éléments de ce Volkskörper. Il faut donc qu'il y ait représentation des provinces, communes et associations diverses (les Verbände). Les représentants des divers États ne pourraient exercer leurs fonctions que s'ils ont l'aval des éléments divers du Volkskörper (“corporéité fol­cique”).
    3. Il faut prévoir la représentation de toutes les communautés au sein même des Etats. Aujourd'hui, la RFA, la Belgique et l'Espagne sont en règle, du moins sur le plan de l'organisation et de la représentation de leurs minorités. Celles-ci y sont protégées et représentées au sein d'assemblées qui leur sont propres. Les langues minoritaires sont pleinement reconnues comme langues nationales ou comme langues admi­nistratives locales. Ce n'est pas tout-à-fait le cas en Italie où l'allemand, le slovène, l'albanais et le grec ne sont pas reconnus ni leurs locuteurs représentés dans des assemblées autonomes et homogènes. Ce n'est certainement pas le cas de la France  - qui est le cas le plus scandaleux et le plus inadmissible pour les ressortissants des communautés flamande ou germanophone de Belgique - où l'allemand, le néer­landais, le basque, le corse ou le breton n'ont pas droit de cité et où la communauté germanophone d'Alsace et de Lorraine thioise ainsi que la communauté neérlandaise du Westhoek ne disposent pas d'un parlement autonome à l'instar des communautés germanophone de Belgique ou danoise et sorabe d'Allemagne.
    À Bruxelles et à Berlin, bon nombre de juristes et de constitutionnalistes estiment dès lors que la France n'est pas un Etat de droit démocratique, puisqu'elle n'accorde pas la réciprocité à ses ressortissants de souche flamande ou allemande et, par le truchement de ses préfets (non élus!!!!), fait interdire des initiatives culturelles flamandes en Flandre, telles des radios libres ou des messes chantées en dialecte (et expulse manu militari les prêtres de nationalité belge qui ont chanté dans un idiome qui avait l'heur de ne pas plaire au préfet!). En théorie, au fur et à mesure que l'Union Européenne prendra corps, et à condition que les juristes et les ministères belges sortent de leur torpeur et se décident à faire vivre réellement les principes d'autonomie à tous niveaux qui ont toujours été revendiqués par nos populations et leurs élites, les tribunaux belges et alle­mands pourraient parfaitement s'octroyer un jour le droit de juger tout fonctionnaire français qui écornerait les droits naturels et inaliénables des germanophones ou des néerlandophones vivant sur le territoire français, dans des pays qui sont histori­quement leurs. Le non respect du Traité de Maastricht et des accords de Schengen laisse augurer le pire pour ces minorités: il est temps que soit organisée en Europe, à l'échelle européenne, leur défense contre toutes les formes d'arbitraire qu'ils subis­sent et qui sont contraires aux conventions des droits de l'homme signées par tous les Etats européens. Et tant pis pour les Etats parjures !
     
    Monistes, dualistes, pluralistes
    Mais revenons à l'histoire du principe de subsidiarité. Althusius a mis en forme le débat intitutionnel qui a suivi la Nuit de la Saint-Barthélémy (1572). Celui prend forme, chez les adversaires de la subsidiarité et de la subsistance des “corps intermédiaires”, dans un ouvrage capital de Jean Bodin, publié en 1576 et inti­tulé Six livres de la République. Le titre de cet ouvrage est déjà très révélateur en soi: le terme “république” est utilisé au singulier, alors qu'au départ, en langue latine, on parlait toujours des res publi­cae au pluriel, des choses publiques, soulignant par là même qu'elles étaient diverses et assez souvent contradictoires. Bodin voulait concentrer la souveraineté dans les seules mains du monarque, comme la République, après avoir fait décapiter le roi, a voulu tout centraliser à outrance. Il y a donc une parfaite continuité entre l'Ancien Régime et la République en France.
    Pour Jean Bodin, la crise des guerres de religions réclame une solution moniste, c'est-à-dire une concen­tration du pouvoir dans une instance centrale, en l'occurrence le monarque. Dans la pratique, ce “mo­nis­me” implique la suppression de tous les “pouvoirs intermédiaires”, ce qui transforme les Etats en simples relais administratifs. Et quand Bodin parle de “tolérance”, alors qu'il rédige des manuels d'inquisition (!!), il envisage simplement de séparer la religion des affaires de l'Etat.
    Face au “monisme” de Bodin, nous trouvons les partisans de la “solution dualiste” ou “monarchomaques”, qui considèrent que le monarque ET le peuple sont également responsables du bon fonctionnement de l'appareil étatique et des bonnes mœurs. Devant Dieu, le peuple, dépositaire de ses droits ancestraux, les délègue au monarque, tout en conservant un droit de résistance face aux abus éventuels du roi. Le monarque, lui, doit simplement promettre de ne pas abuser. Dans cette perspective dualiste, seul le mo­narque dispose d'un droit originel. Le peuple, lui, n'a qu'un droit de résistance, tout théorique puisqu'il ne dispose pas de forces armées autonomes.
    Face aux monistes et aux dualistes, nous avons la solution pluraliste et fédéraliste, proposée par Alt­hu­sius. Celui-ci élabore son système dans le contexte d'un Reich allemand affaibli, mais qui a toujours été régi par des logiques du pluriel (pluralité institutionnelle, pluralité ethnique, pluralité linguistique, etc.). Althusius perçoit différemment la dualité peuple/monarque. Pour Althusius, le peuple peut reprendre ses droits et le monarque y renoncer. Entre les différentes composantes du peuple s'instaure une multitude de pactes sociaux, permettant un contrôle effectif. Le pacte social, pour Althusius, est un contrat de gouvernement, comme chez Hobbes, mais, chez ce dernier, le contrat n'implique nullement une commu­nication sociale. Hobbes introduit la domination (la coercition) pour échapper à la guerre civile. Le peuple, chez lui, délègue ses droits naturels une fois pour toutes. Hobbes n'envisage pas à proprement parler une rupture définitive du dialogue entre le monarque et le peuple, mais, dans ses réflexions, il met l'accent sur l'autorité absolue qui forme un barrage nécessaire à l'anarchie de la guerre civile ou du dissensus perma­nent, provoquant l'impossibilité de gouverner.
     
    Une optique symbiotique
    Althusius se place dans une optique “symbiotique”. Il évoque un “partenariat horizontal” entre les commu­nautés et les corps (risque: permanence des conflits d'intérêt; incapacité à discerner l'essentiel). Le mo­narque n'exerce que des pouvoirs qui lui ont été explicitement reconnus. La stabilité consiste donc à déléguer le moins de pouvoirs possibles au monarque. Aucune force locale ne peut être étouffée: elles doivent toutes rester disponibles pour construire la “socialité”. Chez Althusius, il n'y a pas juxtaposition du pouvoir et du peuple. Le pouvoir ne sert qu'à promouvoir les énergies du peuple. Le principe, c'est que le peuple, leg de l'histoire et de la culture, a toujours la priorité dans ses variances et ses évolutions, par rapport à la machine étatique et à l'administration. L’État n'est, ne peut être, qu'un instrument au service du peuple.
    Dans la pensée d'Althusius, les communautés sont de trois ordres :
    1. Elles sont publiques et territorialisées, comme les provinces et les villes.
    2. Elles sont privées, nécessaires, volontaires, comme les états (les Stände) ou les guildes (les corpora­tions, les associations professionnelles).
    3. Elles sont privées et naturelles, comme les familles.
    En tenant compte des ressorts qui animent toutes ces formes de communauté, Althusius procède à un élargissement maximal du politique, où il n'y a plus de séparation entre l'individu et l'Etat, ni de séparation entre le public et le privé. Si la politique est exclusivement déterminée d'en haut, comme dans le système de Bodin qui élimine les “corps intermédiaires”, nous n'avons plus, dans la société, que des individus complètement atomisés et des instances collectives, figées et coercitives. En revanche, si la politique est déterminée par le bas, c'est-à-dire par la pluralité que constitue la “corporéité folcique”, comme dans le système symbiotique suggéré par Althusius, il n'y a pas d'individus non imbriqués dans une structure de participation. Il y a dès lors “communautarisation permanente”, interaction constante entre groupes.
    En conclusion, les solutions monistes et dualistes sont rigides. Elles refusent de tenir compte des varia­tions incessantes à l'œuvre dans la société ou la “corporéité folcique”. Il arrive toujours un moment où elles entrent en “déphasage”. Dans la solution pluraliste, les communautés du Volkskörper  sont en inte­raction constante. Voilà pourquoi elle est un modèle aujourd'hui, comme le laisse sous-entendre Edouard Goldsmith, dans sa vision à la fois contestatrice, écologique et conservatrice, ou Joël de Rosnay dans son ouvrage L'homme symbiotique (Seuil, 1995). Si les systèmes monistes avancent l'aequalitas, où tous sont sommés de devenir identiques, pareils, sans déterminations originales ou circonstances différen­ciantes, les systèmes pluralistes avancent l'aequabilitas, où tous ont droit à un traitement égal, à de l'aide, à de la sollicitude de la part de la communauté, pour ce qu'ils sont, dans toutes les différences qu'ils incarnent, recèlent, réellement ou virtuellement.
    La subsidiarité est donc un projet social qui permet de sortir :
    - de la logique totalitaire (Bodin/Hobbes);
    - de la logique des contrats hypersimplifiés;
    - de la logique individualiste.
    Mais dans le Traité de Maastricht, rien de bien précis n'est dit quant au passage à un droit subsidiaire. Les textes du Traité ne sont pas clairs quant au rôle des régions et du Conseil Consultatif des Régions. Rien n'est dit quant à la responsabilité des Etats et nous assistons à un accroissement constant des compé­tences de la Commission. Dans ce contexte, le lobbying s'exerce en faveur des grands consortiums et non pas en faveur des petites communautés.
    D'où, au-delà des siècles, Althusius nous lègue une pensée instrumentalisable, dont la fonction est à la fois critique et constructive. Mais le contexte actuel est peu favorable à ce corpus doctrinal pluraliste. La tradition communautaire a été refoulée en Occident au profit de l'individualisme libéral, considéré comme le “seul scientifique”. Mais les problèmes s'accumulent, notamment au niveau écologique. Locke et Rousseau ont épuisé leurs potentialités. Mais non pas Althusius, von Gierke, Tönnies et Perroux. Le vé­hicule pour repropulser cet idéal communautaire dans le débat intellectuel et politique aurait pu être les partis verts. Hélas, ils se sont laissés complètement oblitérés par des gauches finalement fidèles aux lo­giques coercitives de Bodin et des Jacobins, sous prétexte que ces logiques étaient révolutionnaires et donc “progressistes”. Les écologistes indépendants en Allemagne, autour de Strelow, les biorégiona­listes américains, autour de Kirpatrick Sale, ont perçu cette dérive des Verts belges et français, qui res­tent prisonniers d'une vieille alternative, désormais dépourvue de toute pertinence: Locke (qu'ils rejet­tent) ou Rousseau (dont ils épousent sans nuance toutes les contradictions).
    Nous sommes effectivement dans l'impasse. Raison pour laquelle notre organisation réagit et compte agir par le biais d'associations représentant le tissu social réel, le tissu social de base.
    Robert STEUCKERS http://robertsteuckers.blogspot.com/
    Sources :
    - Helmut LECHELER, Das Subsidiaritätsprinzip. Strukturprinzip einer europäischen Union, Duncker & Humblot, Berlin, 1993.
    - Alois RIKLIN, Gerard BATLINER (Hrsg.), Subsidiarität. Ein interdisziplinäres Symposium, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1994.
    - Matthias SCHULZ, Regionalismus und die Gestaltung Europas, Kraemer, Hamburg, 1993.

  • Comment manipuler les chiffres de la guerre ?

     

    Invité(s) :
    Henri Bentégeat, général (2s), ancien CEMA (2002-2006)
    Rony Brauman, essayiste, professeur à Sciences Po et ancien président de Médecins sans frontières
    Laurent Henninger, historien

    A lire, l'article du LIBYA HERALD du 7 janvier 2013 "Casualty figures exaggerated, says Ministry" 

    http://www.theatrum-belli.com

  • Quoi de neuf ? Dumas !

    Tiré du mépris où l'avait tenu l'Université, panthéonisé pour services rendus à l'idée républicaine, Alexandre Dumas connaît une gloire médiatique neuve ou presque.
    Études, essais, rééditions se succèdent.
    Alain Decaux fut l'artisan de cette renaissance ; elle lui doit tout, depuis le sauvetage du château de Monte Cristo, qu'il arracha, dans les années soixante-dix, aux promoteurs immobiliers jusqu'aux cérémonies de 2002 qui tirèrent l'écrivain de sa tombe familiale à Villers-Cotterêts. La popularité de l'académicien a fortement aidé à ranimer celle de Dumas, dont, à une époque pas si lointaine, il était devenu difficile de lire autre chose que Les Trois Mousquetaires.
    Un dictionnaire lassant
    Il allait de soi de lui demander un Dictionnaire amoureux de Dumas, conforme aux critères d'une collection réclamant une parfaite connaissance d'un sujet, une grande passion mise à l'évoquer, et ce qu'il faut de subjectivité quand il s'agit d'amour. Il n'est pas défendu, et Decaux ne s'en prive pas, de parler de soi. Pour le reste, la fantaisie prévaut. Au bout du compte, on aura fait le tour des principales facettes du personnage, des événements de sa vie, des oeuvres phares, et d'amours tumultueuses. Tout cela est brillant, instructif, mais d'un politiquement correct lassant. On s'était peu avisé jadis que les Dumas aient pu souffrir de leur métissage, ni être victimes de racisme, pour l'excellente raison qu'ils assumaient leurs origines et que peu de gens avaient la sottise d'y faire allusion. Le fait a pris aujourd'hui une telle importance, nonobstant le sang normand et valoisien d'Alexandre, qu'il devient un écrivain noir, ce qui est excessif. Il en va de même pour beaucoup de notices par trop dans l'air du temps. Au point, c'est un comble, que l'on émerge de ce Dictionnaire amoureux en aimant moins Dumas...
    Que resterait-il de Dumas s'il s'était cantonné, comme il en avait l'intention, dans l'écriture théâtrale ? Peu de choses, car nul ne monte ou ne lit plus ses drames. D'Antony ne surnage que l'ultime réplique : « Elle me résistait, je l'ai assassinée ! » qui prête plus à rire qu'à pleurer. Le salut lui vint d'une reconversion forcée, quand l'immense succès qui avait salué ses premières oeuvres retomba. Il fallait vivre, d'autant qu'il avait, avec panache, résilié ses fonctions de bibliothécaire du duc d'Orléans, devenu Louis-Philippe, pour ne point sembler l'écrivain officiel de la monarchie de Juillet. Ce fut le journalisme, et le goût nouveau des lecteurs pour l'histoire, racontée de manière attrayante. Dumas donna dans le récit historique et la biographie, glissa au roman historique sous forme de feuilleton, une innovation, là encore. Il ignorait qu'il y trouverait gloire, succès et fortune.
    C'est ce tournant capital qui fit du dramaturge un romancier que raconte Simone Bertière dans Histoire d'un chef d'oeuvre, Dumas et les trois mousquetaires. Tout y est passé au crible, des procédés d'écriture aux sources, de la relation avec Maquet, à qui certains, dès les premiers triomphes, voulurent attribuer la paternité des romans, au contexte politique. La trilogie des aventures de d'Artagnan est intelligemment analysée, les ressorts de sa popularité mis en évidence. Démonstration qu'un très grand écrivain, et Dumas en était un, peut écrire un classique et faire un coup commercial...
    Inspirateur de Druon
    En 1832, Dumas, dont la presse légitimiste avait annoncé, à tort, qu'il était mort fusillé, tel un héros de Hugo, sur la barricade de la rue Saint-Merri, quitte Paris pour l'Italie. Lorsqu'il revient, en 1836, Paris l'a oublié. Il se recase à La Presse, quotidien que vient de fonder Girardin, y entame la publication d'une chronique romancée des débuts de la guerre de Cent ans, La Comtesse de Salisbury. Dumas avouera que ce n'était pas son meilleur livre ; on ne le contredira point. Reste qu'au-delà d'une intrigue inconsistante - Edward III d'Angleterre s'éprend d'Alix de Granfton, épouse du comte de Salisbury ; profitant de ce que celui-ci est prisonnier, il abuse de la jeune femme... - la mise en scène des prétentions du prince anglais au trône de son aïeul Philippe le Bel est si admirablement conduite que Druon s'en souviendra lorsqu'il écrira Les Rois maudits ; quant au style, c'est du grand Dumas, et cela suffit à justifier la réédition du livre.
    Il faut attendre 1842 pour que paraisse un roman historique digne de ce nom, même si Dumas le laissera de côté. C'est que Sylvandire, s'il contient en germe tous les ingrédients qui assureront les triomphes à venir, est un vaudeville en costumes d'époque. En 1705, le jeune Roger d'Anguilhem quitte la Touraine pour défendre les droits familiaux dans une succession qui le ferait riche et lui permettrait d'épouser Constance, qu'il aime mais qui est promise à plus fortuné. Hélas, en guise d'épices, un magistrat lui demande d'épouser sa propre fille, ravissante mais dangereuse. Décidé à se démarier, Roger ne reculera devant rien... Drôle, enlevé, Sylvandire est une petite merveille méconnue, et inattendue.
    En 1843, sort Le Chevalier d'Harmental, mettant aux prises ce seigneur nivernais avec le Régent qui lui a enlevé son régiment et sa maîtresse. Furieux, Raoul se jette dans la conspiration de la duchesse du Maine. Emporté par son amour pour une jolie voisine, il mêle imprudemment à ce complot le tuteur de la charmante. Or, le sieur Buat, s'il n'est pas très fin, est honnête homme, et bon Français... Le jeune duc d'Orléans était mort l'année précédente, et Dumas, son ami et protégé, ne s'en consolait pas. En défendant la mémoire du Régent, Alexandre paya ses dettes envers la maison d'Orléans, de si belle manière que le livre fut ensuite pillé par les meilleurs. Il suffit pour s'en convaincre de le rapprocher du Bossu de Féval : les emprunts y sont évidents.
    En 1845, en parallèle du Vicomte de Bragelonne, Dumas publie La Guerre des femmes, chronique de la Fronde des Princes vue du côté des dames, histoire de l'infortunée princesse de Condé, modèle de dévouement conjugal haïe d'un mari qui n'avait point pardonné cette mésalliance avec la nièce de Richelieu. Prétextant une démence familiale, il la fit plus tard interner à vie... Autour d'elle, Dumas ressuscite cette campagne de Guyenne menée avec une audace que le vainqueur de Rocroi n'aurait pu désavouer et un monde d'intrigues amoureuses et politiques, entrelacées et qui débouchent, de façon inattendue, sur un dénouement tragique des plus romantique. Personnellement, quelles qu'en soient les qualités, ce n'est pas mon Dumas préféré...
    Le texte intégral est enfin de retour
    La Tulipe noire ne fut longtemps disponible qu'en édition pour la jeunesse édulcorée. La version originale dépasse pourtant de loin les mièvres amours du docteur van Baerle, accusé à tort de complicité avec son parrain, Corneille de Witt, qui, pour défendre la république des Pays-Bas contre les ambitions de Guillaume d'Orange, s'était rapproché de Louis XIV. Au delà d'une passion monomaniaque pour les tulipes et d'une chaste romance avec la fille du geôlier, il y a là des chapitres fulgurants sur l'ingratitude des peuples, la violence de la populace, l'horreur de l'émeute, les ravages que la jalousie provoque dans une âme, une réflexion étonnante sur la justice, passages qui, pour leur brutalité, avaient disparu, c'était impardonnable, de la plupart des éditions. Le Lièvre de mon grand-père figure pareillement dans le corpus dumasien destiné aux enfants. Erreur ! Il s'agit d'un conte d'épouvante pour adultes. Brodant sur un thème cher à ce grand chasseur et vantard, la poursuite d'un gibier mythique, c'est l'histoire, là encore, d'un passe-temps dévorant qui détruit un homme, puis fait de lui un meurtrier hanté par une bête démoniaque. Démence ou vengeance d’outre-tombe ? Il y aurait à dire sur les rapports de Dumas, anticlérical mais ni athée ni ennemi du christianisme, avec l'idée de Dieu. Cette longue nouvelle en est une preuve supplémentaire.
    Pour la libération des Balkans
    Sait-on qu'alors qu'il soutenait Garibaldi et militait contre les États pontificaux, Dumas s'enflammait pour la libération des Balkans sous le joug musulman ? C'est à Naples qu'à l'automne 1862, un prétendu prince épirote, président de la junte gréco-albanaise, vint demander son soutien moral, politique, et financier, dans la lutte de libération du Nord de la Grèce et de l'Albanie. Soulevé d'enthousiasme, Dumas marcha à fond, publia, en italien, une étude sur Ali Pacha, sanguinaire maître de Janina, bien connu de ses lecteurs comme l'un des ressorts du Comte de Monte Cristo. Prétexte à glorifier la lutte des klephtes contre les Turcs. Il y a là des morceaux de bravoure à ravir les philhellènes... Ils n'eurent pas l'occasion de les lire car la police prévint Dumas que son champion de la liberté grecque était un vulgaire escroc. Déconfit, il n'en parla plus jamais. Cette parution en français constitue donc un inédit et de belle qualité !
    Faut-il vouloir tout publier, même l'impubliable ? Claude Schopp, spécialiste de Dumas, en a pris le risque, en voulant à toutes forces terminer, se basant sur les notes et brouillons de l'écrivain, la suite du Chevalier de Sainte-Hermine, roman des temps napoléoniens interrompu par la mort de Dumas. Le Salut de l'Empire, continuation possible, voire probable, d'un livre inachevé, est bien ficelé, crédible même. Reste et définitivement, que ce n'est pas du Dumas, rien qu'une très bonne imitation...
    Anne Bernet  L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 6 au 19 janvier 2011
    ✓ Alain Decaux : Dictionnaire amoureux d'Alexandre Dumas, Plon, 640 p., 24,90 €.
    ✓ Simone Bertière : Dumas et les mousquetaires, Fallois, 300 p., 20 €.
    ✓ Alexandre Dumas : La Comtesse de Salisbury, Les Belles Lettres, 415 p., 23 €. Sylvandire, Phébus, 400 p., 21,50 €. Le Chevalier d'Harmental, Phébus, Libretto, 690 p., 14 €. La Guerre des femmes, Phébus, 580 p., 24 € ; ou Libretto, 13,50 €. La Tulipe noire, Motifs Le Rocher, 380 p., 9 €. Le Lièvre de mon grand-père, Motifs Le Rocher, 190 p., 6,50 €. Ali Pacha, Phébus Libretto, 230 p., 10 €.
    ✓ Alexandre Dumas, en société avec Claude Schopp : Le Salut de l'Empire, Phébus, 735 p., 25 €.

  • De la liberté d'expression

    HENRY de Lesquen répète souvent, sur Radio Courtoisie, que les entraves à la liberté d'expression ne datent pas de la loi Gayssot de 1990 (qui interdit la recherche historique), mais de la loi Pleven de 1972, qui condamne les propos racistes. En remontant un peu dans le temps, on trouve aussi le décret-loi Marchandeau, qui date de 1939. Robert Brasillach en a laissé un témoignage amusant dans son livre Notre avant-guerre : « L'antisémitisme, écrit Brasillach, malgré l'éloignement de M.Blum, s'affermissait. Un décret-loi étrange prévit des sanctions "contre ceux qui exciteraient à la haine, pour des motifs de race ou de religion, contre les citoyens de la France ou même de ses habitants" ». Et Brasillach ajoutait avec ironie : « On n'appela plus les Juifs que les "habitants". » Les "habitants", fraîchement naturalisés, étaient surtout dénoncés à cette époque par les "autochtones" pour être des bellicistes poussant furieusement à une guerre contre l'Allemagne.
    VICHY, LA FRANCE ET LA JOIE DE VIVRE
    Le décret-loi Marchandeau fut heureusement abrogé par le gouvernement de Vichy en 1940, et les Français, pour quelques années, redevinrent à nouveau libres de dire ce qu'ils pensaient de tous ces étrangers qui s'étaient incrustés chez eux sous la République. Ce fut une époque bénie. On n'avait pas ri comme ça en France depuis bien longtemps. Sur les Juifs, les Noirs et les Arabes, on s'en donnait à cœur joie. Tout le monde laissait libre cours à son imagination : on se moquait de leurs travers, de leurs physiques ingrats ; on faisait des bons mots sur leurs mœurs douteuses. A ce jeu-là, les meilleures plumes du journalisme français rivalisaient avec adresse, et les caricatures les plus farfelues faisaient se tordre de rire le petit peuple. Ah la la, quelle heureuse époque !
    C'ÉTAIT LE BON TEMPS
    Evidemment, il y avait la guerre. Ce n'était pas facile tous les jours, mais on ne se plaignait pas trop : on savait bien qu'à des milliers de kilomètres de là, sur le front russe, de valeureux soldats de toutes les nations d'Europe combattaient le judéo-bolchevisme à visage inhumain. Pour les "Franzouses", il y avait là encore matière à plaisanter. On raillait à qui mieux-mieux ces visages horribles de commissaires politiques bolcheviques, tous, invariablement, sortis des ghettos de Pologne, d'Ukraine et de Moldavie. Nos pioupious en étaient tellement hilares que les gens en uniforme noirs étaient parfois obligés de les rappeler à l'ordre : « Ho ! les gars ! Ça va maintenant ! La guerre, c'est sérieux ! Et n'oubliez jamais que ces crapules ont massacré des millions de chrétiens. » (Dit en allemand, d'un ton impérieux, c'est plus impressionnant). On se calmait un peu en graissant nos fusils et en cirant nos croquenots, mais vraiment, on a tous gardé d'excellents souvenirs de cette période.
    LA PESTE DU MONDE
    Après la guerre, c'était moins tordant. Pendant un temps, on a même été obligés de se planquer, tellement les autres étaient remontés contre nous. Pourtant, on n'avait rien fait d'autre que de défendre notre pays et de rigoler un peu sur les étrangers, c'est tout ! Plein de gars y sont restés : tous ont été fusillés sans procès par les "Résistants". Les Juifs, surtout, avaient une haine pas possible et participaient à la répression avec un bel entrain. Mais il ne faut pas croire que c'était parce qu'ils avaient souffert pendant la guerre... En fait, ils étaient comme ça déjà avant la guerre. Tenez, regardez ce qu'écrivait Julien Benda en 1937, vous savez, l'auteur de La Trahison des clercs. Dans son livre intitulé Un Régulier dans le siècle, il écrivait : « Pour moi, je tiens que, par sa morale, la collectivité allemande moderne est une des pestes du monde et si je n'avais qu'à presser un bouton pour l'exterminer tout entière, je le ferais sur-le-champ, quitte à pleurer les quelques justes qui tomberaient dans l'opération. » À la "Libération", ils ne se sont pas gênés ; ça c'est sûr. Là, il faut l'admettre, on ne rigolait pas beaucoup ! C'était comme si une grave épidémie s'était abattue sur le pays et sur tout le continent.
    BRASILLACH OU PICASSO ?
    C'est à ce moment-là qu'on a fusillé Robert Brasillach. D'aucuns (toujours les mêmes) trouvaient ses écrits "abjects", "immondes", "nauséabonds", etc. - on connaît bien maintenant cette musique yiddish. Surtout, ses dons d'écrivain risquaient d'éclipser la prose des vainqueurs. Marcel Aymé, qui était resté neutre pendant la guerre, avait sollicité les signatures des principales figures littéraires et artistiques pour obtenir sa grâce : « Parmi ceux que je sollicitai personnellement, écrit-il en 1950, un seul refusa, ce fut M. Picasso, le peintre. Comme je lui demandais, avec toute la déférence à laquelle il était accoutumé, de signer cette pétition pour le salut d'un condamné à mort, il me répondit qu 'il ne voulait pas être mêlé à une affaire qui ne le regardait pas. Sans doute avait-il raison. Ses toiles s'étaient admirablement vendues sous l'occupation et les Allemands les avaient fort recherchées. En quoi la mort d'un poète français pouvait-elle le concerner ? »
    LES NARINES DU GÉNÉRAL
    Le problème est que l'on ne parvenait pas à mettre la main sur un procureur qui acceptât de soutenir l'accusation. On le trouva finalement, et la comédie du procès put commencer. Le général De Gaulle, qui venait de débarquer d'Angleterre, où il était resté pendant toute la durée de la guerre, avait les narines qui fumaient. Ecoutons encore Marcel Aymé, qui écrit, dans le numéro 11 du Crapouillot, en 1950 : « On chercherait en vain, dans sa vie publique, la moindre manifestation de générosité, de bonté, le plus petit élan de pitié ou de charité. L'homme est sec. » Dans son Hommage à Brasillach, en 1965, Marcel Aymé ironisait : « Par malheur, ce grand homme au grand cœur animé d'une grande foi chrétienne craignait de se laisser aller à son aimable naturel. Il redoutait l'excès de sa bonté. » Et c'est ainsi que Brasillach fut fusillé. Il avait d'ailleurs lui-même prévu cette fin : Et ceux que l'on mène au poteau.
    Dans le petit matin glacé, Au front la pâleur des cachots, Au cœur le dernier chant d'Orphée, Tu leur tends la main sans un mot, O mon frère au col dégrafé...
    LOURDE AMBIANCE
    Cette atmosphère malsaine ne s'est pas dissipée dans les années qui ont suivi. Les journaux, dans leur totalité, avaient été confisqués par les vainqueurs, qui déversèrent dans les esprits une incroyable quantité de poison cosmopolite. Communistes, socialistes, démocrates-chrétiens : tout le monde était d'accord pour condamner les vaincus, et de ce côté-ci, rien n'a vraiment changé. Nous vivons encore dans l'atmosphère de 1944, et ce n'est vraiment pas amusant. Voici ce qu'écrivait ce bon Marcel Aymé en 1950 dans son article du Crapouillot intitulé L'Epuration et le délit d'opinion : « Aujourd'hui la notion de délit d'opinion est profondément ancrée dans l'esprit des Français de tous âges. Chacun se montre prudent et personne ne bronche... En fait, la liberté d'opinion n'existe pas en France et il n 'existe pas non plus de presse indépendante. »
    LE POMMIER IDÉOLOGIQUE
    Quant aux intellectuels les plus en vue, ils étaient déjà soigneusement triés pour leur conformisme aux idées dominantes. Dans le premier numéro de La Parisienne, en janvier 1953, le très paisible Marcel Aymé écrivait encore ceci : « Dans l'ensemble, les écrivains français sont très raisonnables. Ils se persuadent sans peine qu'ils jouissent d'une liberté suffisante. N'ont-ils pas le droit de farcir leurs livres de gros mots ? d'y évoquer les situations les plus scabreuses ? de tirer à boulets rouges sur la religion, les curés, le capitalisme, le marxisme, la famille, l'armée, les bons sentiments ? Dans le paradis des lettres françaises, il leur est permis de toucher à tout, sauf à un certain pommier bien en vue. Tel qui passe pour un écrivain d'une incroyable hardiesse n'a jamais touché et ne touchera jamais à l'arbre défendu. Il peut bien, cet audacieux porte-plume, déclarer qu'il est "engagé" des pieds à la tête, son engagement nous a tout l'air d'un alibi. Faire acte d'écrivain libre, c'est contrarier de gros intérêts, se rendre odieux à des individus et des groupes puissants et sans scrupules. En fait d'engagement, le reste n'est que foutaise et balançoire. Il suffit d'y réfléchir seulement une minute pour en être convaincu. »
    C'EST DUR LA VIE
    Marcel Aymé nous fait un peu penser à Marcel Pagnol, en ce sens que ses livres ne recèlent pas de mauvaises pensées. Ce sont des livres sains, des livres   propres ; des livres écrits  par des goys, pour nous... les goys ! Il faut les lire et les faire lire pour nourrir et nettoyer son esprit et celui de nos compatriotes. Les Contes du chat perché sont une petite merveille, il nous semble, à mettre entre les mains des enfants, des grands enfants et aussi des enfants plus âgés. On est ici très loin des histoires de drogués, de transsexuels et de désaxés en tous genres qui font la littérature et le cinéma d'aujourd'hui. Exemple : « À 32 ans, Steven est déchiré entre son amour pour Caria, une prof de gym, et sa passion pour Nik, son patron, avec qui il vit quelque chose de fort. Bientôt, sa rencontre avec Jeff, un jeune travesti déluré, va bouleverser sa vie. Le problème est que Jeff ne souhaite pas quitter Farid, un Pakistanais sans papiers, qui est en instance d'expulsion. Comment essuyer les affronts de la vie, sans papiers ? Bientôt, tous vont se mobiliser contre cette incroyable injustice. » « Un film bouleversant »   (Le  Bigaro) ;   « un petit chef-d'œuvre » (Labération) ; « Le dernier film de Steven Choukroun est une perle rare » (Téléramala), etc.
    Nous vivons une époque difficile, mes amis. Une bande de tarés s'est emparé du pouvoir médiatique et empêche les gens sains de s'exprimer, de rire et de chanter normalement. Le pire est qu'ils s'imaginent être la crème de l'humanité ! Si l'on n'a pas le droit d'en rire, on peut au moins en sourire ... Essayez d'être discrets !
    Hervé RYSSEN. RIVAROL 11 MARS 2011

  • Session 2008 de la Trilatérale : 200 messieurs-dames "sans importance "

    La réunion annuelle de la Commission Trilatérale s'est barricadée du 25 au 28 avril à l'hôtel Carlton-Ritz de Washington. Néanmoins, une fois encore, Jim Tucker, l'infatigable lanceur d'alerte antimondialiste de l'American Free Press, a su en éventer les secrets bien gardés. Quelque deux cents personnalités parmi les plus influentes du temps entouraient David Rockefeller. L'humeur était au beau fixe, la farce présidentielle américaine se déroulant impeccablement. La machine Républicaine ne tourne-t-elle pas à plein régime afin d'interdire l'accès à la Convention de septembre à Ron Paul, l'empêcheur de magouiller en rond ? Les autres en effet sont bien tenus en main :
    Hillary Clinton, Barack Obama - par le truchement de son mentor Zbignew Brzezinski, maître des cérémonies car Henry Kissinger, souffrant, s'était fait porter pâle - et John McCain qui depuis 1996 appartient à la famille.
    Ainsi rien ne s'oppose au libre-échange et à la destruction programmée de la nation américaine. Quel que soit le futur hôte de la Maison-Blanche, le processus sera poursuivi, en dépit du battage médiatique tendant à présenter les deux Démocrates comme des protectionnistes forcenés. Clinton n'a cessé de démontrer comment, dans le dos de son propre électorat laborieux ou chômeur, elle pouvait « sans en rien changer » faire voter le NAFTA ou North American Free Trade Agreement.
    DÉSINTÉGRER L'AMÉRIQUE
    Obama, comme il le fait depuis des mois sur tous les sujets, a prononcé de violents réquisitoires contre la suppression des barrières douanières. Dommage pour lui qu'il y ait eu des fuites malencontreuses lorsque son principal conseiller économique Austin Goolsbee, voulant rattraper l'affaire auprès de diplomates canadiens, leur assura qu'il s'agissait seulement « de rhétorique de campagne » et que, élu, son patron, lui non plus, ne toucherait pas à une virgule du NAFTA.
    Dès le 25 avril l'intitulé du premier atelier donna le ton : « La Politique étrangère et intérieure US : ébauches générales pour la nouvelle Administration ». Placé sous la direction de David Gergen, vieil habitué de la Trilatérale et éditorialiste irréprochable de l'US News and World Report - qui n'en souffla mot d'ailleurs -, il vit l'intervention des anciens secrétaires d'Etat Strobe Talbot, Kenneth Duberstein et Joseph Nye. Tous réclamant du futur président à la fois une forte augmentation de l'aide américaine au Tiers Monde et une ouverture massive de l'Amérique à l'immigration. Position que vint soutenir le néo-conservateur et Bilderberger Robert Zoellick, président de la Banque Mondiale.
    Sujet central, sans doute puisqu'un "sous groupe" fut consacré uniquement « aux migrations et au développement ». Ce qui offrit à Peter Sutherland l'occasion d'une intervention très remarquée. Cet homme d'affaires irlandais, ancien directeur général du GATT (qui précéda l'OMC) et Commissaire européen sous Jacques Delors, est actuellement, entre autres, président de British Petroleum et de Goldman Sachs. En même temps qu'il occupe la présidence de la Trilatérale et du Bilderberg et la vice-présidence de la Table Ronde Européenne des Industriels ! Mais c'est au titre d'envoyé spécial des Nations Unies sur « les migrations et le développement » qu'il a invité les Etats-Unis à ouvrir complètement leurs frontières à l'invasion. Injonction à laquelle les trois candidats désignés ne peuvent manquer d'être sensibles puisqu'ils en ont fait un des points forts de leur plateforme présidentielle.
    De bout en bout les Etats-Unis furent la cible des différents ateliers. Accusés sur le changement climatique, l'eau et la santé, outre d'être les principaux pollueurs, de ne pas suffisamment financer. Les attaques les plus virulentes émanèrent de Sylvia Matthews Burwell, présidente de Global Development Program, le bras armé de la Fondation Bill Gates.
    L'IRAN EN LIGNE DE MIRE
    Deux autres débats méritèrent une attention particulière. A la tête du premier, Robert Blackwill, chargé entre 2002 et 2003 de la liaison entre Paul Bremer à Bagdad et Condolezza Rice. Ancien ambassadeur en Inde et spécialiste du Pakistan, discret et efficace, il aura été au cours des vingt dernières années un des principaux agents d'influence de Washington. Ce qui le désignait pour superviser un débat ayant pour thème « Attaquer l'Iran et construire la paix dans la région du Golfe Persique ». Y participèrent Ray Takeyh, membre influent du Council of Foreign Relations, d'origine iranienne, Volker Perthes, directeur de l'Institut allemand pour les Affaires internationales et la Sécurité et un ancien vice-ministre des Affaires étrangères japonais, Hitoshi Tanaka. Sujet suffisamment important pour que, lors du dîner du samedi soir, John Negroponte, éminence grise neo-conservative de George Bush, y revienne dans un exposé sur les « perspectives de la politique étrangère US » justifiant les guerres d'Irak et d'Afghanistan et n'écartant pas l'éventualité d'une invasion de l'Iran.
    Le second débat traita de la crise financière internationale et fut l'occasion d'une nouvelle attaque contre les Etats-Unis accusés de ne pas "intervenir" suffisamment pour aider les institutions financières multinationales. Il fut animé par quatre de ces personnes « sans importance » évoquées ci-dessous par Patrick Devedjian. Le sous-secrétaire d'Etat aux Finances, Robert Kimmit, ancien de la Banque Mondiale et de Lehman Bros et membre du CFR. Marty Feldstein, considéré comme un des dix économistes mondiaux majeurs - George Bush hésita entre lui et Bernanke pour succéder à Greenspan à la tête de la Réserve Fédérale (FED). David Rubenstein, co-fondateur du Carlyle Group, classé par Forbes 165e Américain le plus riche, avec 2,5 milliards de $. Et Sir Andrew Crockett, président de JP Morgan-Chase International, qui appartint au FMI, dirigea la Banque d'Angleterre, la Banque des Règlements Internationaux, et fut membre du «Club des Trente» où se retrouvent régulièrement les trente financiers les plus importants de la planète.
    GUIGOU EN VEDETTE
    Epouse d'un ancien conseiller de Michel Rocard, président de l'Institut de Prospective du Monde Méditerranéen (IPEMed), très impliqué dans le projet d'Union Méditerranéenne de Sarkozy, Elisabeth Guigou intervint personnellement en compagnie du Coréen Han Sung-Joo, qui fut ministre des Affaires Etrangères et envoyé spécial de l'ONU à Chypre et au Ruanda. Sur un thème bien en phase avec cette session de la Trilatérale : « Points de vue européen et asiatique sur la politique étrangère US et la sécurité ». La présence ici de cette responsable socialiste ne saurait surprendre et on rappellera qu'ils sont des dizaines Rocard, Delors, Lamy, Strauss-Kahn, Fabius, elle-même - à participer depuis des années aux travaux du Bilderberg. Elisabeth Guigou appartient au conseil d'administration de « Notre Europe », cercle de pensée créé par Jacques Delors, entouré de Tommaso Padoa-Schioppa, qui, membre aussi du « Club des Trente », appartint au directoire de la Banque Centrale Européenne, et de Pascal Lamy, directeur général de l'OMC. Elle y côtoie Joachim Bitterlich, ancien ministre de Kohl, vice-président de Veolia, Jean-Louis Bourlanges, membre de la Commission parlementaire européenne sur le commerce international, Laurent Cohen-Tanoudji, partisan actif de l'entrée de la Turquie dans l'Europe et adversaire des référendums nationaux, l'ancien ministre communiste Charles ("Chilek") Fiterman, l'ancien patron du Quai d'Orsay Jean-François Poncet, etc. dans un « réservoir de réflexion » (think tank) qui, au-delà du charabia convenu sur le « développement durable et solidaire », sur « l'ouverture des échanges et la réduction des inégalités sociales », sur « la défense de l'environnement et la réduction des graves disparités entre régions du monde », sur « la diversité et l'humanisme européens », est entièrement tourné vers une vision mondialisée et totalitaire de la planète.
    Cette complicité croisée entre le socialisme internationaliste et l'expression la plus violente du capitalisme prédateur méritait certainement d'être signalée.
    Jim REEVES. Rivarol du 30 mai 2008

  • Oscars 2013 : propagande en perspective

    Le 24 février prochain se tiendra la traditionnelle cérémonie des Oscars, qui récompense pour leur qualité les « meilleures » productions cinématographiques sorties depuis l’édition précédente. Si par hasard on était tiraillé par le suspens de cette 85ème édition, pas de panique ! Comme pour les élections présidentielles, les médias, en s’appuyant sur des « expertises » à la partialité indiscutable, nous indiquent qui seront les favoris dont on pourra trouver, du coup, le succès tout à fait normal.

    En l’occurrence, comme nous en informe Le Figaro [1] , il est important d’applaudir à l’avance deux productions tout juste sorties aux États-Unis et qui arriveront en France fin janvier : Lincoln, de Steven Spielberg, et Zero Dark Thirty, de Kathryn Bigelow. Les deux films ont en effet été hautement distingués récemment par le New York Film Critics Circle, une association journalistique américaine de critiques de cinéma.

    Sommes-nous donc face à des monuments d’originalité ? Pas si sûr… Une bonne recette qui marchait hier marche encore aujourd’hui, et si l’on regarde les teasers de ces deux opus qui nous seront bientôt servis sur un plateau doré, on peut s’attendre à des messages de fond qui donneront une impression de déjà vu…

    Ainsi, Avec Lincoln, Spielberg semble garder ses habitudes de révision manichéenne de l’histoire à la sauce mondialiste. Au cours des dernières décennies, il nous a déjà longuement exposé, dans des séquences pleines d’émotion dont on ne peut que reconnaitre la qualité cinématographique, le passé dégueulasse des peuples occidentaux, affreux génocidaires sans pitié, ignobles esclavagistes assassins. Cette haine viscérale, qui bien sûr est propre aux Blancs européens, est servie en grosse portions fumantes, jusqu’à nous en donner des nausées, dans La Liste de Schindler (1993) et Amistad (1997). [2]

    On remettrait donc le couvert avec Lincoln : le teaser nous fait comprendre immédiatement que l’on aura droit à une illustration audio-visuelle à nous faire péter la rétine de la version officielle et romancée de la guerre de Sécession : elle se résumerait à une lutte entre les forces du bien, supporters cosmopolites de l’égalité et de la liberté, et les méchants sudistes, salauds esclavagistes, sorte de nazis de l’époque, avec comme seul et unique question centrale : l’esclavage. On ne peut que regretter (sans s’étonner) que les analyses alternatives sur la guerre de Sécession ne soient pas autant promues que les productions de Spielberg... [3]

    Le film raconte donc l’épopée tragique du président Abraham Lincoln, qui a dirigé les États de l’Union pendant la guerre et surtout (on comprend que cela sera le point central du film) qui a fait accepter le 13ème amendement, supprimant l’esclavage. Ce film biographique sur le célèbre président, qui a en outre beaucoup supporté la cause de la communauté juive outre-Atlantique [4], garantit succès, honneurs et bon pactole pour Steven.

    À coté de cette détermination à épicer le film à grandes pincées de propagande au mépris de toute honnêteté historique, on peut imaginer que le choix du titre, lui, a fait l’objet d’hésitations comiques. Dans ce type de production biographique, le prénom est en effet généralement préféré au nom, afin de mettre en évidence le côté humain derrière le personnage historique. Ici, on a visiblement évité de prendre le prénom. Et oui, Il s’agit d’un film de divertissement, enfin ! Et seulement ! Inutile de jeter le doute avec ce prénom à connotation biblique !

    Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow semble être sur une autre méthodologie, plus subtile. Apparemment, il s’agira de nous raconter la traque d’Oussama Ben Laden, baptisée ici « la plus grande chasse à l’homme de l’histoire » (rien que ça…). Tout comme pour Démineurs (2008), on peut s’attendre à une stimulante ambiance « d’immersion » et à un fond apolitique de façade. Seulement là, les journaux frétillent autour de ce film, qui s’annonce très controversé car il montrerait... la torture dont auraient fait usage les services américains pour parvenir à leurs fins [5]

    Ah ! C’est incroyable ! De la torture pratiquée par des services secrets ! Quelle horreur ! Comment cela est-il possible ? A-t-on vu un jour une chose pareille dans l’histoire ?! Quelle subversion, quelle provocation que d’en parler !

    Ce qui est bien avec cette tartufferie, c’est qu’on en oublierait presque d’autres questions qui se posent sur cette affaire d’attentats du 11 Septembre et de Ben Laden débusqué, dont la dépouille, aux preuves matérielles restées « confidentielles » [6] a été balancée à la va-vite en haute mer. Pas certain, cependant, qu’un film traitant de ces vraies interrogations, sources de débats qui pourtant font rage, loin du box office, serait en bonne position pour un Oscar….

    Bref, Hollywood nous apparaît comme un véritable nectar du mensonge de la démocratie contemporaine. Le 7ème art d’aujourd’hui prétend ne proposer que du « divertissement » ou, au pire, de « l’information » et de la « sensibilisation ». Les deux exemples cités, tout comme le long historique d’Hollywood, nous prouvent pourtant que toutes ces images, ces sons, ces scènes d’émotions, en bref ces mélanges sensoriels percutants, qui pénètrent en force dans l’esprit amorphe du spectateur d’aujourd’hui (qui, en France, passe plus de trois heures par jour devant la télévision et va en moyenne quatre fois par an au cinéma) sont porteurs de nombreux messages.

    Ces messages sont facilement lisibles : depuis la culpabilisation à outrance des peuples enracinés jusqu’à la promotion du nomadisme, du transgenre et du cosmopolitisme en passant par des nouveautés comme l’anti-islam, Hollywood est décidément bien l’exposition condensée de l’idéologie mondialiste. Par l’impact de sa propagande audio-visuelle, elle en est aussi le moteur.

    Il serait tant souhaitable que le Français éteigne la « téloche » et arrête d’aller entretenir son diabète en se gavant de pop corn au cinéma, car par son consentement passif se réalise la destruction de sa civilisation, et s’organise des interventions militaires meurtrières en Orient. Ces souffrances, ce sang versé comme toujours pour l’intérêt des mêmes et assumés de force par d’autres, ça ne sera pas dans un film à sensation au Pathé du coin. Ça sera pour de vrai.

    http://www.egaliteetreconciliation.fr

    Pour un autre cinéma, visitez la DVDthèque de Kontre Kulture :

    Notes

    [1] http://www.lefigaro.fr/cinema/2012/12/04/03002-20121204ARTFIG00463—zero-dark-thirty-et-lincoln-recompenses-a-new-york.php

    [2] Voir l’analyse de David Duke au sujet d’Amistad : http://www.youtube.com/watch?v=_tfDcyODfUw.

    [3] Voir par exemple l’excellent article de Christian Boucher : http://www.voxnr.com/cc/di_antiamerique/EFpAZkAAplvyvGDxRW.shtml.

    [4] Voir http://www.aish.com/j/f/Abraham_Lincoln_and_the_Jews.html (lien en anglais).

    [5] http://lci.tf1.fr/cinema/news/zero-dark-thirty-polemique-autour-de-l-utilsiation-de-la-torture-7739585.html

    [6] http://www.cbsnews.com/8301-503544_162-20059739-503544/obama-i-wont-release-bin-laden-death-photos/