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culture et histoire - Page 1954

  • Napoléon III et la modernisation de la France (partie 1)

    Ennemi personnel de Victor Hugo, dénigré par les républicains de la fin du XIXe siècle, éclipsé par la légende dorée de son oncle, Napoléon III reste perçu comme un empereur faible, hésitant et rêveur, portrait que lui ont brossé ses adversaires. Pourtant, son règne coïncide avec un essor économique sans précédent et marque une amélioration significative de la condition des classes laborieuses. Et au contraire de son illustre oncle, il laissa la France plus puissante qu’il ne l’a trouvé.

    Louis-Napoléon Bonaparte fut élu premier président de la République en 1848 (à 74,1 % des suffrages) mais ce n’est qu’à partir de 1851 qu’il put réellement exercer le pouvoir comme il l’entendait, étant auparavant « prisonnier » de son gouvernement, lequel, dominé par les monarchistes, continuait à gérer les affaires comme sous Louis-Philippe. En 1852, il restaura l’Empire le 2 décembre suite à un plébiscite (91 % de « Oui ») dont même Jules Ferry ne remettra pas en doute le bon déroulement et l’authenticité du résultat.

    L’Empire dura 18 ans, et l’on y distingue traditionnellement la phase « autoritaire » (1852-1860) et la phase « libérale » (1860-1870). Le Corps législatif, composé de 270 élus au suffrage universel, ne posséda que peu de pouvoirs durant la phase autoritaire (essentiellement un rôle consultatif). A partir de 1860, l’empereur libéralisa son régime, assouplissant la censure et octroyant davantage de droits au Corps législatif (droit d’adresse, droit d’amendement élargi). Napoléon III voulut montrer que l’Empire était compatible avec la liberté. En 1867-1868, l’Empire prend un tournant encore plus libéral avec la suppression de la censure et l’octroi du droit d’interpellation au Corps législatif.

    I. Le bonapartisme de Napoléon III

    Napoléon III, photographie
    Photographie de 1860.

    Napoléon III ne se considérait pas comme un idéologue, se voulant résolument réaliste et adapté à son époque. « Aujourd’hui la France m’entoure de ses sympathies, parce que je ne suis pas de la famille des idéologues. » affirma-t-il deux mois avant la restauration impériale (discours de Bordeaux, 9 octobre 1852). En 1849 il disait déjà à l’Assemblée : « Je ne bercerai pas le peuple d’illusions et d’utopies qui n’exaltent les imaginations que pour aboutir à la déception et à la misère. »

    Le bonapartisme selon Napoléon III est avant tout un pragmatisme : « Non seulement un même système ne peut pas convenir à tous les peuples, mais les lois doivent se modifier avec les générations, avec les circonstances plus ou moins difficiles » (Considérations politiques et militaires sur la Suisse). Quelques grands principes intangibles fondent cependant le bonapartisme : la souveraineté populaire, l’ordre et la liberté.

    Napoléon III entendit réunir tous les Français et défendre la souveraineté populaire. En cela, il s’appuya sur le modèle de son oncle : « Napoléon eut ses torts et ses passions, mais ce qui le distinguera éternellement de tous les souverains, c’est qu’il fut le roi du peuple, tandis que les autres furent les rois des nobles et des privilégiés. » (Réponse à Lamartine, 1843) ; « Ne lui reprochez pas sa dictature : elle nous menait à la liberté, comme le soc de fer qui creuse les sillons prépare la fertilité des campagnes. [...] Le malheur du règne de l’empereur Napoléon, c’est de n’avoir pu recueillir tout ce qu’il avait semé, c’est d’avoir délivré la France sans avoir pu la rendre libre » (Rêveries politiques, 1832).

    « Malheur aux souverains dont les intérêts ne sont pas liés à ceux de la nation ! ». « Chaque jour me le prouve, mes amis les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume ; ils ne sont pas sous les lambris dorés, ils sont dans les ateliers, dans les campagnes. » (Creil, juin 1850). Conclusion de ses Rêveries politiques : « Au-dessus des convictions partielles, il y a un juge suprême qui est le peuple ». Il reprit l’idée lors de sa proclamation du 14 janvier 1852 : « le Peuple reste toujours maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté. »

    Après avoir été triomphalement porté au pouvoir, il tenta de gouverner durant la première décennie avec le peuple, sans véritables intermédiaires, ce qui lui vaut de la part de certains historiens le qualificatif de « populiste » (Pierre Milza). Une note de la main de l’empereur retrouvée aux Tuileries dit : « Qu’est-ce que le Peuple ? Est-ce par hasard les cinq à six mille personnes qui se réunissent dans Paris au club ou à la Redoute et qui croient parler au nom de la France entière ? Est-ce les salons, les ateliers ? Est-ce le [illisible] ? Est-ce la jeunesse ivre d’enthousiasme ? Est-ce la vieillesse regrettant le passé ? Est-ce l’armée ? Est-ce le Corps législatif ? Non, le peuple, c’est la masse entière de la nation, celle qui exerce le suffrage universel. Voilà notre maître à tous ; et ces cotteries qui s’appellent le peuple commettent un blasphème. »

    Napoléon III restera populaire jusqu’à la chute de l’Empire. Les paysans en particulier restèrent ses plus sûrs soutiens. Le parti bonapartiste resta puissant durant la première décennie de la Troisième République : en 1877, les élections législatives aboutirent à l’élection de 104 députés bonapartistes ! (contre 313 républicains et 55 monarchistes). Le parti bonapartiste disparut progressivement après la mort du fils héritier de Napoléon III en 1879.

    II. L’Empereur entrepreneur

    Chemin de fer 1867
    Chemin de fer du Nord, 1867.

    Napoléon III mena une politique économique active en lançant un programme de grands travaux : « Nous avons d’immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemins de fer à compléter. [...] Nous avons tous nos grands ports de l’Ouest à rapprocher du continent américain par la rapidité de ces communications qui nous manquent encore. » (Discours de Bordeaux, 1852). L’empereur pensait relancer la croissance par la consommation en donnant du travail aux inactifs, d’autre part, il était certain que les retours de ces investissements compenseraient largement le coût des travaux.

    De fait, le Second Empire connut une période de croissance soutenue : de 1850 à 1870, le PIB passe de 11 milliards à 22 (les évaluations des historiens de l’économie divergent en 1870 au sein d’une fourchette allant de 20 à 24 milliards), soit une croissance annuelle de +2,5 % (en moyenne). Pour comparaison, le PIB était à 9 milliards en 1830 et sera à 23 milliards en 1890 (là encore les évaluations des historiens de l’économie peuvent diverger de quelques milliards).

    évolution PIB France
    Evolution simplifiée du PIB de la France en milliards de francs/or de 1820 à 1900.

    Le chemin de fer reçoit une impulsion décisive : en 1851, la France compte 3500 kilomètres de voies ferrées (10.000 en Grande-Bretagne), ce chiffre passe à 17.000 en 1870 (2000 km de plus qu’en Grande-Bretagne). Les lois de 1859 et 1863 donnent naissance à six grands réseaux : Nord, Est, Orléans, Paris-Lyon-Marseille, Midi et Ouest. L’Empire ne néglige pas non plus les routes, dont la progression en kilomètres est supérieure de +43 % en moyenne par rapport aux deux régimes précédents (le kilométrage des voies carrossables triple).

    L’Empire favorise la mise en place d’un système moderne de crédit : naissances du Crédit Foncier et du Crédit Mobilier en 1852, du Crédit Industriel et Commercial (1859), du Crédit Lyonnais (1863), de la Société Générale (1864) et de la Banque de Paris (1869). Une loi de 1865 autorise l’usage des chèques. La loi du 23 mars 1863 créé les sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL), la loi du 24 juillet 1867 les sociétés anonymes (SA).

    Pour obliger l’industrie à se moderniser (au niveau des méthodes de production), la France s’ouvre au libre-échange à partir de 1860 avec la Grande-Bretagne. Les droits de douane sur les matières premières et la plupart des produits alimentaires sont abolis. D’autres accords commerciaux sont conclus avec le Piémont-Sardaigne, la Belgique ou l’Autriche.

    Les retombées économiques profitent aux plus fortunés mais aussi aux classes laborieuses. En 1848, Louis-Napoléon fit part de sa volonté « d’introduire dans nos lois industrielles les améliorations qui tendent, non à ruiner le riche au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous ».

    La paysannerie connaît un « petit âge d’or » (Matthieu Brejon de Lavergnée) : le chemin de fer permet d’ouvrir de nouveaux débouchés, la spécialisation des cultures, l’essor du fourrage artificiel et de l’assolement triennal. Si l’exode rural s’accélère dans les années 1850, il se ralentit l’année suivante, car il touche essentiellement les marginaux des campagnes (journaliers, artisans ruraux). L’empereur fait mener de grands travaux de drainage et d’irrigation (Provence) entraînant une hausse de la productivité. La paysannerie restera le principal soutien de l’Empire jusqu’à sa chute.

    La hausse du salaire ouvrier s’accélère pendant l’Empire : +6,7 % de 1850 à 1860, +9,5 % de 1860 à 1870 ; tandis que les prix (notamment des matières agricoles) baissent. Les classes populaires voient leur alimentation se diversifier : progression de la consommation de viande (+22 %), de lait (+22%), de graisse animale (+27 %), de sucre et de chocolat (+250 %).

    Le commerce se transforme, avec l’essor du grand magasin au détriment des petits commerces de détail. Le Bon Marché (rachat de Boucicaut en 1863), premier grand magasin, amène un certain nombre de nouveautés : étiquettes mentionnant systématiquement le prix sur les produits, prix fixes, décor architectural, éclairages, vitrines. A partir de 1865, le Printemps concurrence Le Bon Marché.

    III. La « fibre sociale »

    Louis-Napoléon Bonaparte s’intéressa très tôt aux questions sociales sous l’influence de son précepteur Philippe le Bas – un jacobin – et de sa mère Hortense. Le personnage est décrit par ses contemporains comme sensible et généreux. Victor Duruy, ministre pendant six ans de Napoléon III, témoigne :

    « Que de fois l’ai-je vu arriver au Conseil avec des projets d’assistance pour les faibles et les dépourvus ! Sa main était ouverte : elle s’ouvrait même trop, car il ne savait pas répondre par un refus à ceux qui imploraient sa générosité. »

    Au fort de Ham, il écrivit un petit traité nommé L’extinction du paupérisme (1843). L’empereur y livra sa vision de l’industrie : « L’industrie, cette source de richesse, n’a aujourd’hui ni règle, ni organisation, ni but. C’est une machine qui fonctionne sans régulateur ; peu lui importe la force motrice qu’elle emploie. Broyant également dans ses rouages les hommes comme la matière, elle dépeuple les campagnes, agglomère la population dans des espaces sans air, affaiblit l’esprit comme le corps, et jette ensuite sur le pavé, quand elle n’en sait plus que faire, les hommes qui ont sacrifié, pour l’enrichir, leur force, leur jeunesse, leur existence. Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort. »

    ● Des lois progressistes

    L’empereur créa une Caisse nationale des retraites pour la vieillesse (1850), une assistance judiciaire gratuite pour les travailleurs pauvres (1851), interdit le travail le dimanche et les jours fériés (loi de 1851, abrogée en 1880 par la IIIe République avant d’être revotée en 1906 seulement). Le 26 mars 1852, il permit aux sociétés de secours mutuels de se constituer librement (caisse commune où chaque ouvrier verse une petite partie de son salaire, qui sert d’aide financière pour tout ouvrier malade, invalide ou trop âgé). La même année, une partie des biens confisqués aux princes d’Orléans fut attribuée au logement ouvrier. En 1854, il interdit aux patrons de confisquer et d’annoter l’impopulaire livret ouvrier (le posséder était nécessaire pour pouvoir retrouver un travail). En 1862, il autorisa une délégation de 200 ouvriers à partir en Angleterre pour y étudier l’organisation des syndicats anglais ; en 1864, il autorisa les coalitions (c’est-à-dire le droit de grève) ; en 1868, il permit les réunions publiques à condition de ne pas parler de politique ou de religion. Cela peut paraître encore peu, mais aucun des régimes précédents n’en a fait autant !

    ● La charité impériale

    La « fibre sociale » de l’empereur s’exprima aussi par des actes charitables. Président, il reversait la moitié de son traitement aux œuvres de charité. Il visita des usines, récompensant les patrons paternalistes et les ouvriers méritants. Il réconforta les victimes des inondations (en 1856) et les malades de l’Hôtel-Dieu. Il multiplia les dons en argent tout au long de son règne (500.000 francs pour la caisse de retraite des travailleurs en 1856, 100.000 francs pour les logements ouvriers de Lille en 1859, 32.000 francs à Lyon en 1860 pour les œuvres de bienfaisance, etc.).
    En 1855, il créa avec l’impératrice Eugénie les Fourneaux économiques, qui servirent plus d’un million de repas chauds chaque année, réservés aux indigents et aux plus malheureux (ancêtres des soupes populaires).
    Plus symboliquement, lors des grands travaux de Paris, la construction d’un Opéra avait commencé en 1861, chantier dirigé par Charles Garnier. Ce bâtiment devait être grandiose et devenir, pour l’architecte lui-même, un des symboles du Second Empire. Dans le même temps, l’empereur avait décidé la reconstruction de l’Hôtel-Dieu sur l’île de la Cité. Le 31 juillet 1864, il déclara que ce dernier bâtiment était prioritaire sur l’Opéra : « J’attache un grand prix à ce que le monument consacré au plaisir ne s’élève pas avant l’asile de la souffrance. »

    ● Des efforts dans le domaine de l’éducation

    Napoléon III voulut rendre l’école gratuite et obligatoire. Dans son discours du trône du 15 février 1865, il affirma que « Dans le pays de suffrage universel tout citoyen doit savoir lire et écrire. » Il revint sur le projet les dernières années du règne mais se heurta à chaque reprise à l’hostilité du Corps législatif, lequel considérait l’empereur comme un utopiste. La loi Duruy de 1867 obligea néanmoins toutes les communes de plus de 500 habitants à ouvrir et entretenir une école primaire pour filles. L’empereur multiplia les écoles élémentaires et facilita les cours du soir pour les adultes. La première femme reçue au baccalauréat le fut en 1861 (Julie-Victoire Daubié) et l’année suivante, la première femme fut autorisée à s’inscrire en faculté de médecine.

    Napoléon III confiera en 1869 à Darimon : « J’aurais fait pour les classes ouvrières bien plus que je n’ai fait, si j’avais rencontré dans le Conseil d’État un puissant auxiliaire. »

    IV. L’Empereur bâtisseur

    Napoléon III, Eugénie et le Louvre
    L’achèvement du Louvre. L’empereur approuvant les plans présentés par M. Visconti (Tissier, 1865).

    La IIIe République, dans son souci de dénigrer l’ancien souverain, a attribué les transformations de Paris au baron Haussmann, alors que Napoléon III en fut le véritable maître d’œuvre.

    Pour Éric Anceau, il s’agit de « l’une des plus grandes injustices touchant Napoléon III. [...] le concepteur d’ensemble, l’arbitre des possibles et même l’examinateur des détails fut l’empereur en personne. Du reste, le préfet de la Seine le reconnaissait lui-même, malgré son immodestie. En ce domaine comme dans tant d’autres, Napoléon III mûrit longuement ses projets et les réalisa avec une volonté inébranlable. » (Napoléon III. L’homme, le politique).

    Le Paris d’alors était composé de rues étroites, malpropres et mal éclairées, terreau propice au banditisme et aux insurrections (les Trois Glorieuses, la révolution de 1848). Un rapide passage de Louis-Napoléon à Paris en 1831 le marqua profondément. En 1832, suite à l’épidémie de choléra, il fut sensible aux solutions proposées par les saint-simoniens : destruction des îlots insalubres et création de grandes artères pour diffuser l’air et la lumière. A Ham, il eut tout le loisir de réfléchir à ses projets. Lorsqu’il arriva à Paris en 1848, il transportait dans ses bagages un grand plan de Paris.

    Élu président, il indiqua les aménagements qu’il voulait effectuer : percer de longues avenues, construire de nouveaux immeubles, créer des parcs et espaces verts. En 1853, il fit appel au préfet Haussmann auquel il présenta lors de la première entrevue un plan de Paris parcouru de lignes de différentes couleurs, en fonction des priorités.

    Un an avant la nomination d’Haussmann, l’empereur expropria des milliers de Parisiens (décret du 26 mars 1852) qu’il relogea. Les travaux furent décrits par les contemporains comme colossaux : « Ce n’était plus des bandes d’insurgés qui parcouraient la ville, mais des escouades de maçons, de charpentiers, d’ouvriers de toutes sortes allant à leurs travaux. » (Merruau).

    Napoléon III parlait souvent des travaux en conseil des ministres, consultait plusieurs fois par semaine Haussmann, se rendait sur place voir l’avancement. De grands immeubles d’aspect bourgeois et uniforme remplacèrent les maisons insalubres. Églises, hôpitaux, casernes, écoles et parcs virent le jour. L’empereur prit à cœur l’aménagement du bois de Boulogne ; n’hésitant pas à venir tôt le matin pour prendre la direction des opérations, se saisissant d’un marteau et d’un piquet pour montrer la ligne que devaient prendre les allées.

    L’éclairage au gaz se répandit, un système d’égout fut mis en place, le système d’adduction d’eau fit des progrès. En vingt ans, Napoléon III fit plus pour Paris que ce qui avait été fait en un siècle.

    http://histoire.fdesouche.com

    Bibliographie :
    ANCEAU Eric, Napoléon III, Paris, Tallandier, 2008.
    Collectif, Napoléon III. L’homme, le politique. Actes du colloque de la Fondation Napoléon, 19-20 mai 2008, Paris, Éditions Napoléon III, 2008.
    DARGENT Raphaël, Napoléon III : l’Empereur du peuple, Paris, Ed. Grancher, 2009.

  • Angers : du passé faisons table rase…

    « Les découvertes archéologiques peuvent être passionnantes, mais elles contrarient les grands projets, c’est agaçant ». Ces propos sont de Jean-Claude Antonini, président socialiste de la communauté d’agglomération Angers Loire Métropole. Voilà comment les édiles mondialisées et sans racines considèrent avec dédain les traces de la mémoire de notre peuple…

    Déjà en 2010, la ville d’Angers avait mis à jour un temple de Mithra, en très bon état de conservation. Découverte exceptionnelle puisque seulement une vingtaine de sites semblables ont été mis à jour en Europe. Il n’empêche : l’ancien sanctuaire fut impitoyablement livré aux pelles des bulldozers pour laisser la place à des parkings, sans que la moindre réflexion soit engagée pour envisager la conservation de l’édifice antique…

    Toujours à Angers, c’est aujourd’hui un nouveau pan de notre passé qui doit succomber prochainement sous les coups combinés des promoteurs immobiliers et des projets mégalomaniaques des élus locaux. À proximité de la gare SNCF, une immense nécropole antique a été mise à jour. Le caractère exceptionnel du site, qui réunit une nécropole antique et un cimetière du XIXème siècle, ne fait aucun doute. Au total, ce sont plus de 20 000 tombes qui seraient enfouies sur quatre à cinq niveaux et un hectare et demi de terrain. Une portion du site, fouillée au tournant des années 2000 lors des travaux du premier parking Saint-Laud avait permis des découvertes inédites, riches d’enseignements : « le plus grand groupe de Germains orientaux, vulgairement appelés Goths, originaires de l’actuelle Crimée, et de précieux artefacts datant du IVème siècle » détaille l’archéologue Jean Brodeur. Notamment des céramiques caractéristiques et de très rares fibules : « On a treize au niveau national, dont huit trouvées sur le seul site d’Angers. »

    Sur cette portion de terre peuplée de morts, doit s’élever le site « Quatuor » le programme phare de la ZAC « Gare+ », le futur éco-quartier d’affaire de l’agglomération angevine qui ambitionne de regrouper un hôtel, des parkings ainsi que 65 000 m2 de bureaux et 20 000 m2 de logements autour de la gare d’Angers. Un projet surdimensionné en pleine crise économique, une architecture démesurée et destructurée qui cassera l’identité de ce quartier, à proximité immédiate du centre historique de la ville.

    Comme les fouilles du site auraient considérablement retardé les travaux et auraient coûté fort cher, une solution bâtarde a été choisie : plutôt que de s’appuyer sur des fondations classiques, qui auraient abrité un parking souterrain, l’établissement 3 étoiles sera monté sur des pieux de 50 cm de diamètre cachés sous un socle engazonné. Il s’agit d’une fausse bonne solution permettant à des promoteurs de réaliser leur projet tout en les autorisant à détruire une partie des sites archéologiques. À Angers, les pieux prévus doivent avoir un diamètre de 50 centimètres ; autant dire que l’impact sur un site archéologique aussi dense et riche sera catastrophique. Non seulement une partie du patrimoine historique d’Angers sera irrémédiablement détruit, mais les générations futures seront privées des connaissances que pourraient nous apporter la fouille d’un tel site miraculeusement préservé lors des travaux urbains du XIXème siècle…

    http://fr.novopress.info

  • “Oswald Spengler”, Stur, 1937

    Il y a aujourd’hui plus d’un an, mourait à Munich l’un des hommes qui ont le plus fait, dans la crise profonde de la défaite allemande, pour maintenir intact le moral du pays et rendre possible un redressement : celui que nous voyons se développer sous nos yeux. Cet homme est en outre un cerveau de premier ordre, un de ces savants gigantesques, — comme il en apparaît quelques-uns au cours de l’histoire de l’Europe, depuis Roger Bacon jus­qu’à Vinci, Descartes, Newton… — sorte de Titan spiri­tuel, sur les découvertes duquel repose, avouée ou non, presque toute l’orientation de la pensée contemporaine.

    Ce philosophe — puisque les travaux historiques d’Oswald SPENGLER sont en quelque sorte « enveloppés » dans une philosophie — a été cependant assez peu remar­qué en France, dans la période qui a suivi immédiatement la dernière guerre . En Allemagne, son Déclin de l’Occident (Untergang des Abendlandes) a connu un succès sans précédent pour un ouvrage aussi sévère, puisqu’il dépasse aujourd’hui le 15e mille — succès d’actualité, mais également succès de profondeur. Le livre venait « à son heure », au moment où la défaite semblait contredire les aspirations de la grande majorité des Alle­mands et les livrer au désespoir ; il leur démontrait, par l’alliance d’une immense érudition et d’une pensée rigou­reuse, l’inanité de la philosophie du progrès généralement admise et les voies qu’ils devaient adopter désormais, s’ils voulaient se relever. Aujourd’hui, les idées de Spengler ont disparu au second plan, dépassées qu’elles sont par la poussée plus apparente des sentiments de race, des mystiques de l’ordre, voire même de la pure apologie de la force. Elles n’en subsistent pas moins dans le domaine intellectuel — face à l’expansion véritablement angoissante du raisonnement matérialiste dans la masse des peuples blancs — comme l’expression profonde et authentique de tous les jeunes mouvements révolutionnaires, de ceux qui ne veulent pas subir la « mécanisation » envahissante, et qui ne la subiront pas.

    Il serait temps qu’en Bretagne, cet ensemble de décou­vertes de l’ordre psychologique soit pris à sa juste valeur, que l’âme celtique soit mise désormais, et maintenue irré­médiablement, en face d’un système qui lui est si intime­ment apparenté, et qui, convenablement appliqué, peut faire jaillir son renouveau.
    Oswald Spengler est né en 1880, dans la petite ville de Blankenburg-en-Harz. De confession luthérienne, comme un grand nombre de ces compatriotes, il fit des études littéraires et scientifiques très complètes aux grandes Uni­versités de Halle, Munich, Berlin, et il fut reçu docteur en philosophie en 1904 avec une thèse sur l’ancien penseur grec Héraclite d’Ephèse.

    Il nous raconte lui-même, dans l’Introduction de son grand ouvrage (parag. XVI), comment il fut amené dans les années qui précèdent la guerre de 1914, à concevoir toute l’étendue de son système de l’histoire :

    Les approches d’un grand conflit européen ne lui ont pas échappé, cette marche fatale des événements l’inquiète : « …En 1911, étudiant certains événements politiques du « temps présent, et les conséquences qu’on en pouvait « tirer pour l’avenir, je m’étais proposé de rassembler « quelques éléments tirés d’un horizon plus large. » En historien, il tente de comprendre sans parti-pris, de s’expliquer les tendances actuelles à l’aide de son expé­rience des faits anciens : « …Au cours de ce travail, d’abord restreint, la conviction s’était faite en moi que, pour comprendre réellement notre époque, il fallait une documentation beaucoup plus vaste… Je vis clairement qu’un problème politique ne pouvait pas se comprendre par la politique même et que des éléments essentiels, qui y jouent un rôle très profond, ne se manifestent souvent d’une manière concrète que dans le domaine de l’art, souvent même uniquement dans la forme des idées… Ainsi, le thème primitif prit des proportions considérables. »

    L’histoire de l’Europe lui apparaît dès lors sous un jour tout nouveau : « …Je compris qu’un fragment d’histoire ne pouvait être réellement éclairci avant que le mystère de l’histoire universelle en général ne fût lui-même tiré au clair…; Je vis le présent (la guerre mondiale imminente) sous un jour tout différent. Ce n’était plus une figure exceptionnelle, qui n’a lieu qu’une fois…, mais le type d’un tournant de l’histoire qui avait depuis des siècles sa place prédéterminée. »

    Un système s’est fait en son esprit, qui ne lui laisse plus de doutes sur la marche générale de l’histoire — et point seulement celle de notre civilisation européenne : « …Plus de doute… : l’identité d’abord bizarre, puis évidente, entre la perspective de la peinture à l’huile, l’imprimerie, le système de crédit, les armes à feu, la musique contrepointique et, d’autre part, la statue nue, la polis, la monnaie grecque d’argent, en tant qu’expressions diverses d’un seul et même principe psychique. » Chaque civilisation suit un cours qui lui est propre, avec une rigueur entière et véritablement impressionnante.

    Du même coup, il a saisi le sens profond de l’inquiétude de l’homme moderne et il en ressent comme une assurance, délivré qu’il est de ses manifestations multiples et con­tradictoires : « …Une foule de questions et de réponses très passionnées, paraissant aujourd’hui dans des milliers de livres et de brochures, mais éparpillées, isolées, ne dépassant pas l’horizon d’une spécialité, et qui par conséquent enthousiasment, oppressent, embrouillent, mais sans libérer, marquent cette grande crise… Citons la décadence de l’art, le doute croissant sur la valeur de la science ; les problèmes ardus nés de la victoire de la ville mondiale sur la campagne : dénatalité, exode rural, rang social du prolétariat en fluctuation ; la crise du matérialisme, du socialisme, du parlementarisme, l’attitude de l’individu envers l’Etat ; le problème de la propriété et celui du mariage, qui en dépend ; …Chacun y avait deviné quelque chose, personne n’a prouvé, de son point de vue étroit, la solution unique générale qui planait dans l’air depuis Nietzsche… »

    « …La solution se présenta nettement à mes yeux, en traits gigantesques, avec une entière nécessité intérieure, reposant sur un principe unique qui restait à trouver, qui m’avait hanté et passionné depuis ma jeunesse et qui m’affligeait parce que j’en sentais l’existence sans pouvoir l’embrasser. C’est ainsi que naquit, d’une occasion quelque peu fortuite, ce livre… Le thème restreint est donc une analyse du déclin de la culture européenne d’Occident, répandue aujourd’hui sur toute la surface du globe. »

    Tout l’essentiel de la théorie spenglérienne de l’histoire est exposé en trois tableaux synoptiques, au début du premier tome de son « Déclin de l’Occident »  : On y suit une comparaison systématique du développement, sur 1000 années environ, des deux civilisations gréco-romain (Antiquité) et européenne (Occident), du triple point de vue de la pensée abstraite, de l’art et des formes du gouvernement. Il en ressort la notion de l’âge des civilisations : une phase de jeunesse, notre Gothique (Moyen Age), à laquelle succède la maturité, notre Baroque (Epoque Moderne), puis la vieillesse au milieu de laquelle nous vivons (Epoque Contemporaine). C’est la même succession des formes doriennes, puis ioniennes, puis « romaines » dans le monde méditerranéen depuis les temps homériques jusqu’à l’avènement d’Auguste ? Des parallèles avec ce que nous savons des philosophie hindoues, de l’art égyp­tien ou des révolutions de l’ancienne Chine confirment cette impression du « cyclisme » de l’histoire humaine.

    Le corps même de l’ouvrage n’est qu’une longue et savante justification de ce qui vient d’être avancé : justification métaphysique, en un premier tome, de divers pro­blèmes logiques soulevés par un pareil système; en parti­culier celui de la continuité de la notion de Nombre à travers les diverses civilisations ; d’autre part, la définition de l’idée historique du Destin face à la Causalité scienti­fique… Un second tome renferme la justification érudite de plusieurs des assertions historiques du système : en particulier, l’existence d’une civilisation « arabe » durant le premier millénaire de notre Ere qui est en effet l’époque de floraison des grandes religions universelles de souche « sémitique » (christianisme, manichéisme, islam, judaïs­me talmudique) . Spengler ne distingue pas moins de huit grandes civilisations qui se sont succédées en divers points du globe jusqu’à nos jours: civilisations égyptienne, mésopotamienne, chinoise, hindoue, gréco-romaine, orien­tale-arabe, mexicaine et occidentale-européenne, celle que nous vivons encore. Il tend à réserver le nom de «culture» à la période première de ces civilisations, pleine encore de sève et d’invention, pour laisser plus spécialement le nom de « civilisation » a leur phase de dissolution, quand disparait, dans l’impuissance, tout ce que des ancêtres vigoureux ont créé.

    Il ne convient pas de surestimer l’originalité du sys­tème : pareil sentiment du cycle, de la fatalité, se retrouve à travers toute la spéculation germanique voire même européenne, depuis la foi calviniste en la Prédestination jusqu’au moyen nietzschéen du « retour éternel ». Et l’ancienne littérature des Celtes d’Irlande n’est-elle pas l’ex­pression la plus absolue de ce sens du destin, héroïquement accepté ? C’est Spengler lui-même qui nous avertit de ce qu’il doit à Nietzsche dont il a seulement, dit-il, « changé les échappées en aperçus ». De façon plus générale, cette pensée d’historien se rattache à tout le mouvement de spé­culation sur le temps, sur la durée, aux diverses « philosophies de la vie » fort en honneur depuis le début du siècle et dont H. Bergson serait en France le plus illustre repré­sentant («L’Evolution créatrice»). W. Dilthey, en Alle­magne, s’était engagé dans des voies similaires dès 1883, par sa curieuse «Introduction aux sciences morales». Nombreux ont été les historiens, les ethnologues allemands qui, dans le même temps, se sont efforcés de rechercher les lois de l’histoire universelle d’accord avec les résul­tats les plus poussés des sciences d’érudition : notons le grand explorateur africain Léo Frobenius, auteur d’un ou­vrage fort remarqué . A Spengler était réservé, semble-t-il, de les trouver et de les exprimer, pour la première fois, avec une netteté irréfutable .

    Là, réside la nouveauté absolue de l’œuvre, comme sa valeur immense dans le domaine de la pensée non moins que de la pratique. Avant lui bien des penseurs, depuis Montesquieu, Herder… jusqu’à Hegel et Auguste Comte plus près de nous, s’étaient bien hasardés à esquisser une « philosophie de l’histoire », très littéraire encore. Karl Marx s’était approché le plus près d’une rigueur scienti­fique, dans son « Capital », lorsqu’il avait bâti toute une interprétation de l’histoire moderne sur la loi du « maté­rialisme historique ». Hegel, il y a un siècle aujourd’hui, avait, d’autre part, parfaitement défini en logique les con­ditions et les limites de toute interprétation de l’Histoire. De là au système d’idées absolument clos et, de plus, par­faitement concret, tangible, expérimentable, que forme l’in­tuition spenglérienne, il y a un monde ! C’est une forme nouvelle de pensée, un instrument nouveau que Spengler met entre les mains des peuples blancs, une exploration dans le domaine du temps : non pas une quelconque magie, il s’agit de possibilités psychologiques nouvelles que dé­gage aussitôt en nous la conscience de la fin pressante de la civilisation que nous subissons, en particulier celle d’en­visager de sang-froid les rapports des diverses nations et races de la planète… la possession de l’histoire entière est mise au service de notre avenir. Il ne faut voir là rien d’autre que la réplique, à trois siècles de distance, à l’ex­ploration tentée dans les espaces sidéraux par les premiers astronomes munis d’instruments à longue portée. « Une découverte copernicienne sur le terrain de l’Histoire», a-t-on pu dire (voir le § VI de l’Introduction). Spengler doit ce sens aigu de la relativité des événements à l’intérêt qu’il porte aux civilisations exotiques, non classiques, si souvent négligées par les historiens. Pour lui, une création en vaut une autre : l’architecture de l’ancienne Egypte n’est pas inférieure à notre calcul infinitésimal, la vieille morale de Confucius pas moins positive que toute la so­phistique rationnelle des socratiques,… il ne craint pas de mettre en parallèle pour leur rôle moral le bouddhisme primitif, le stoïcisme antique, et notre socialisme contem­porain ! Le coup d’oeil est devenu sans parti-pris, mais combien plus pénétrant !

    Ce n’est pas aujourd’hui encore que sera saisie dans son ampleur la répercussion révolutionnaire de pareilles nou­veautés dans le monde des idées, ou — pour parler mé­taphysique — la possibilité d’ériger désormais en un sys­tème viable le monde intuitif des poètes, « l’univers-histoire », en face de « l’univers-nature », du règne de la science, si exclusivement tyrannique encore à l’heure ac­tuelle (l’opposition est esquissée au chapitre 2 du tome I) ! Mais, au simple contact de ces doctrines, des sentiments confus se réveillent en nous, un monde mystique tend à reparaître, qui dut exister dans la foi du moyen-âge et que l’éducation classique de la Renaissance avait peu à peu enfoui. Car enfin, est-ce bien le livre qui a bouleversé le monde d’après-guerre ? ou n’est-il pas seulement le pre­mier éclat, la première et insolite traduction littéraire de cette résurrection de l’âme du Nord, qui tend à se faire jour avec la violence d’un élément ?

    Le tome I du «Déclin de l’Occident» parut en 1918 et Spengler en dédiait alors la préface aux armées allemandes, espérant que le livre ne serait pas « tout à fait indigne des sacrifices militaires… » Après l’écroulement, parmi « la misère et le dégoût de ce temps », l’édition de l’ouvrage tout entier (1922) apparut d’abord comme un instrument de combat…

    STUR n° 11 Octobre 1937 http://breizatao.com

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  • Mariage, Manif et « Affaire » pour tous !

     

    Décidément, on n’est jamais à l’abri d’une surprise en politique. Bonne ou mauvaise, c’est selon… Qui eût crû que le projet de loi autorisant le mariage entre homosexuels provoquerait autant de divisions dans l’opinion ?

    On se croirait revenu à l’époque de « L’Affaire », soit entre 1894 à 1906, une douzaine d’année qui bouleversèrent la société française… Alors en cause, Alfred Dreyfus, capitaine de l’armée française condamné pour haute trahison dont l’innocence est désormais sinon admise par tous, du moins jugée obligatoire pour tous sous peine de subir les foudres du politiquement correct.

    Gageons que le barouf du passage autorisé devant monsieur le maire de « deux messieurs ou de deux madames » ne durent pas autant. L’époque a changé et, audimat oblige, il faut toujours du nouveau pour capter l’attention du citoyen et engranger les recettes publicitaires.

    Le « mariage pour tous » sera donc sinon digéré par tous, du moins quasiment oublié par le plus grand nombre d’ici l’été, voire même le printemps, sans doute.

    Mais pour l’heure, il chauffe l’opinion qui a en a bien besoin en ce week-end où la température a brusquement chuté et rappelé que nous sommes tout de même en hiver.

    Oui, c’est étonnant comment un tel projet de loi, censé ne concerner qu’à peine 6 % d’environ 6 % de la population(1) si l’on se fie aux chiffres des couples homosexuels actuellement « pacsés »(2) a pris une telle ampleur.

    Mais le cœur a ses raisons que la raison ignore, dit l’adage populaire… Quoique le cœur, en l’occurrence…

    Quoiqu’il en soit, remarquons tout de même que si, pour certains, c’est l’heure de la gloire médiatique, pour d’autres, c’est le taux d’emmerdements maximums qu’ils n’avaient pas vu venir.

    Il y a d’abord ceux que « l’Affaire » du mariage pour tous a projeté sur les devants de la scène…

    Frigide Bardot, jusqu’alors connue des seuls lecteurs des facétieuses publications du groupe Jalons et apprécié pour cela à juste titre, se retrouve figure de proue du mouvement, du moins dans la rue… Nouvelle Jeanne d’Arc moderne dont l’incontestable dynamisme déjanté entraîne derrière son étendard une foule aussi impressionnante que fort disparate d’homosexuels, de musulmans… et de catholiques, religion dont elle se revendique elle-même, mais de stricte obédience vaticane.

    Les catholiques plus méfiants à l’égard de l’actuel successeur de Pierre et de ses derniers prédécesseurs, se regroupent, eux, au sein de l’association Civitas… dont on n’a jamais tant parlé qu’à cette occasion et pour cause : il faut un épouvantail aux médias qui ne se gênent pas pour les accuser de tous les maux possibles et fantasmés, notamment d’avoir l’outrecuidance de ne pas se laisser insulter et perturber par les hystériques en petites culottes du mouvement Femen.

    Assistera-t-on d’ailleurs, en ce dimanche très froid de janvier, à un lâcher de Femen ? Cela prouverait alors que ces dames n’auraient pas froid aux nichons…

    Mais à part Jeanne Frigide, Civitas et les Femen, il est clair que « l’Affaire » embarrasse plutôt tout le monde…

    En premier lieu l’actuel gouvernement qui doit être obsédé par le précédent de 1984 et la mobilisation du projet de loi Savary qui avaient vu 1 million trois cent milles Français battre le pavé et faire reculer François Mitterrand qui, échaudé, retira le projet de loi.

    Certes, le gouvernement Ayrault est revenu sur la quasi-totalité des promesses du candidat Hollande à la présidence de la République… Reste ce projet de loi dont il semblerait que tout le monde ne se foute pas… Si même ça, il n’était pas capable de le faire passer, il courait certainement le risque de rester pour la postérité un authentique gouvernement de… enfin, de gens comme ça, quoi ! Même et surtout aux yeux de leurs électeurs ! La honte !

    Mais l’opposition UMP n’en tire pas pour autant avantage. Au  contraire !… Déjà divisée par un combat de sous-cheffaillons et des élections internes où le ridicule l’a disputé au grotesque, il apparaît que même sur ce sujet de société, une fracture existe…

    Tout comme au Front national où sa présidente n’a pas vu plus loin que le simple bon sens en déclarant que « l’Affaire » était « … devenue une grossière tentative de récupération politicienne et d’enfumage sociétal de la part de l’UMP et du PS », affirmant que cette manœuvre était avant tout « destinée à détourner l’attention des Français des questions urgentes ».

    C’était oublier qu’il y a des évidences dont tout le monde se moque et qui semblent même dangereuses à énoncer lorsque la passion l’emporte.

    Il semblerait donc que la majorité de la classe politique souhaite ardemment que l’on passe à autre chose… et rapidement.

    Reste à savoir ce qu’une majorité de Français en pense désormais… On en aura sans doute un petit aperçu ce dimanche soir avec la comptabilisation des manifestants.

    Sinon, il y a quoi à la télé ce soir ?

    http://francephi.com

    Notes

    (1) « Une certaine littérature pro-homosexuelle affirme qu’entre 3 et 10 % de la population sont gays, alors que les statistiques les plus récentes et les plus fiables aux États-Unis aujourd’hui atteignent à peine le chiffre inférieur du pourcentage précédent. Pendant ce temps, les derniers chiffres les plus fiables en Grande-Bretagne montrent que seulement 1 % des hommes et moins d’une femme sur 200 ont eu une expérience homo­sexuelle quelconque, alors que seulement 0,4 % des hommes et 0,1 % des femmes revendiquent être exclusivement homosexuels dans leur pratique », Wellings, K. et al Sexual Beha­viour in Britain, p.183.

    (2) Rappelons que les homosexuel(le)s représentent à peine 6 % de la population et qu’il n’y a pas 1 % de ces 6 % qui envisage aujourd’hui ou demain, de s’enfiler… une bague au doigt ; pour preuve les statistiques du Pacte civil de solidarité (Pacs) depuis qu’il a été voté en 1999 : sur un million de pacsés en France au 1er janvier 2010, les couples homosexuels ne représentaient que 6 % du nombre total de pacsés début 2009. Tout ça pour ça ! (Sources : www.lefigaro.fr, 8 février 2011)

  • Taine et l’homme moderne rapetissé

     

    D’un paysage nous avons fait un potager.

     

    Dans "La Fontaine et les Fables", son meilleur livre, Taine règle ses comptes avec l’homme moderne. En profitant du culte qu’il voue à notre fabuliste et ses animaux, le grand théoricien si caricaturé par nos vilains manuels scolaires (« le vice et la vertu, le sucre et le vitriol »...), dresse un tableau des homoncules modernes, avec une inspiration et une précision qui font de lui l’égal de Nietzsche ou de Guénon (Nietzsche d’ailleurs le respectait beaucoup).

     

    L’homme moderne devient ainsi l’équivalent d’une grande ville où tout est laid, artificiel et fonctionnel :

     

    « L’homme aujourd’hui ressemble à ces grandes capitales qui sont les chefs-d’oeuvre et les nourrices de sa pensée et de son industrie ; le pavé y couvre la terre, les maisons offusquent le ciel, les lumières artificielles effacent la nuit, les inventions ingénieuses et laborieuses encombrent les rues, les visages actifs et flétris se pressent le long des vitrines ; les souterrains, les égouts, les quais, les palais, les arcs de triomphe, l’entassement des machines étalent et multiplient le magnifique et douloureux spectacle de la nature maîtrisée et défigurée. Nous en voulons sortir. Nous sommes las de ces coûteuses merveilles. »

     

    La France a joué un rôle sinistre au cours de sa révolution, Taine l’a montré mieux que personne ; c’est que la France est la terre par excellence du bourgeois étriqué et mesquin qui naît malencontreusement sous la monarchie de Louis XIV (et même avant, si l’on en croit Michelet, qui voit la farce poindre avec son maître Patelin) :

     

    « Le bourgeois est un être de formation récente, inconnu à l’antiquité, produit des grandes monarchies bien administrées, et, parmi toutes les espèces d’hommes que la société façonne, la moins capable d’exciter quelque intérêt. Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu’ailleurs. »

    Le bourgeois qui fleurit ! Naît alors l’homme moderne, le dernier homme de Nietzsche, le médiocre de Tocqueville, l’homme rapetissé de Taine qui le compare superbement au grand cordonnier de l’Athènes antique (ici aussi, Hippolyte, il faut prendre garde car le cordonnier de Démosthène n’est pas celui de Thémistocle !). Mais pourquoi notre bourgeois rapetisse-t-il ?

     

    « Le gouvernement l’a déchargé des affaires politiques, et le clergé des affaires religieuses. La ville capitale a pris pour elle la pensée, et les gens de cour l’élégance. L’administration, par sa régularité, lui épargne les aiguillons du danger et du besoin. Il vivote ainsi, rapetissé et tranquille. A côté de lui un cordonnier d’Athènes qui jugeait, votait, allait à la guerre, et pour tous meubles avait un lit et deux cruches de terre, était un noble. »

     

    Et là un grand épanchement qui survient comme une méditation guénonienne :

     

    « De là vient la laideur du monde moderne. Autrefois à Rome, en Grèce, l’homme, à demi exempt des professions et des métiers, sobre, n’ayant besoin que d’un toit et d’un manteau, ayant pour meubles quelques vases de terre, vivait tout entier pour la politique, la pensée et la guerre. Aujourd’hui l’égalité partout répandue l’a chargé des arts serviles ; les progrès du luxe lui ont imposé la nécessité du gain ; l’établissement des grandes machines administratives l’a écarté de la politique et de la guerre. »

     

    Enfonçons le clou sur la civilisation matérielle et le règne de la quantité !

     

    « La civilisation, en instituant l’égalité, le bien-être et l’ordre, a diminué l’audace et la noblesse de l’âme. Le bonheur est plus grand dans le monde, mais la beauté est moindre. Le nivellement et la culture, parmi tous leurs mérites, ont leurs désavantages : d’un paysage nous avons fait un potager. »

     

    Taine comprend que l’éducation industrialisée et forcée va détruire le vrai goût pour la culture et les humanités. Qui lit Virgile ou Shakespeare pour son plaisir de nos jours ? On se le tape avec le prof et puis on se précipite sur le dernier Rihanna !

     

    « Il est plus triste encore d’observer ce que devient la science tournée en métier. Les occupations nobles s’altèrent en devenant marchandises. Le sentiment s’en va et fait place à la routine. Une page de Virgile, que vous avez fait réciter à vingt écoliers pendant vingt ans vous touchera-t-elle encore ? Vous devez la lire tel jour, à telle heure ; l’émotion coulera-t-elle à point nommé comme quand on tourne un robinet? »

     

    Dès lors on comprend pourquoi Taine comme Nietzsche et les moralistes Français du Grand Siècle recommandent leurs âmes aux animaux !

     

    « Au contraire, voici un bon et honnête chat qui, les yeux à demi clos, sommeille au coin de l’âtre. Sa fourrure est à lui de naissance, comme aussi sa sagesse. Il n’a point sué pour l’obtenir. Il n’y a point pour lui de règle morale qui dégrade ses ruses ; il quête des épluchures d’assiette sans pour cela devenir bas, il n’est pas avili par la servitude. Il ne s’inquiète point de l’avenir ; il pourvoit au présent, et subit le mal patiemment quand le mal le rencontre. En attendant il dort et restera ainsi jusqu’au soir, sans avoir envie de changer de place. »

     

    La règle morale qui dégrade les ruses, thème typiquement nietzschéen ! La servitude, thème très digne de Tocqueville ! Taine va encore plus loin et voyait à l’instar de La Fontaine dans les animaux des modèles de liberté et de spiritualité :

     

    « Au fond, toutes les bêtes sont nobles. Si elles pouvaient parler, elles nous tutoieraient comme font les enfants. En effet, ce sont des enfants qui, arrêtés dans leur croissance, ont gardé la simplicité, l’indépendance et la beauté du premier âge. Leur cou ne porte pas les marques de la déformation que nous impose le métier, ni des flétrissures dont nous salit l’expérience. S’ils sont plus bornés, ils sont plus purs. »

     

    Je ne rappellerai pas qui nous demande d’être comme les enfants. On comprend dès lors, et l’on s’arrêtera en recommandant ce fabuleux bouquin, lisible en ligne, que la poésie vraie ait pour Taine une mission et des caractères sacrés :

     

    « C’est que les vers sont tout autre chose que des lignes non finies. Je crois que s’ils ont tant de puissance, c’est qu’ils remettent l’âme dans l’état sensitif et primitif. Ceux qui ont inventé le langage n’ont point noté les objets par des signes abstraits à la façon des algébristes ; ils ont joué en leur présence et pour les exprimer un drame figuratif et une pantomime ; ils ont imité les événements avec leurs attitudes, avec leurs cris, avec leurs regards, avec leurs gestes ; il les ont dansés et chantés. »

     

     

    Bon, il ne reste plus qu’à aller voter et prendre le métro, maintenant ! Je finis par La Fontaine (tout de même !), à ce maître suprême qui voit poindre ici sous la cour plein à craquer la plèbe sous contrôle affolée de people :

     

    Peuple caméléon, peuple singe du maître ;
    On dirait qu’un esprit anime mille corps ;
    C’est bien là que les gens sont de simples ressorts.

    http://www.france-courtoise.info

     

  • 1328 : l’avènement des Valois

    Après la mort de Charles IV le Bel, la loi salique s'impose, naissant de l'expérience des faits, comme toujours avec les Capétiens.

    Cette année-là, la sixième de son règne, Charles IV le Bel, trente-quatre ans, mourut à Vincennes le 1er février, sans héritier mâle direct. La chose se produisait pour la première fois chez les Capétiens, lesquels, depuis Hugues Capet, s'étaient toujours perpétués de père en fils sans contre-temps ; si le fils aîné mourait jeune, le premier des cadets prenait sa place dans la succession et la vie de la lignée continuait. Ce fut la grande chance des premiers Capétiens d'avoir, pendant trois cent trente-neuf ans, pu affermir leur dynastie sans se heurter à la moindre difficulté de succession.
    Le cas de Charles IV était exceptionnel. Troisième fils de Philippe IV le Bel et de Jeanne 1ère de Navarre, il était monté sur le trône après ses deux frères aînés, Louis X le Hutin et Philippe V le Long, lesquels étaient eux-mêmes morts sans laisser d'enfant mâle ! Pour être tout à fait exact rappelons que l'aîné Louis X le Hutin, roi de France de 1314 à 1316, avait eu de sa première épouse Marguerite de Bourgogne (répudiée pour adultère) une fille, Jeanne ; or sa seconde épouse, Clémence de Hongrie, était enceinte quand il mourut.
    Celle-ci mit au monde le 15 novembre 1316 un petit Jean qui décéda dès le 20 novembre et devait rester dans l'histoire comme Jean 1er le Posthume.
    Philippe, alors comte de Poitiers, frère du roi défunt, avait alors couru à Reims pour se faire sacrer sous le nom de Philippe V le Long, barrant ainsi la route à quelques partisans de Jeanne, le premier enfant du Hutin. Il avait fallu une assemblée des seigneurs de la cour et des docteurs de l'Université pour approuver l'exclusion de la petite fille de la succession, tout simplement parce qu'une fille reine pourrait en se mariant apporter un jour en dot la couronne de France à un prince étranger.
    Philippe V avait ensuite régné jusqu'à sa mort en 1322, n'ayant eu que des filles de son épouse Jeanne de Bourgogne, elle aussi soupçonnée d'adultère mais non répudiée.
    Le tour de Charles IV le Bel était alors venu, il avait remis de l'ordre dans les finances, avait oeuvré pour venir en aide aux chrétiens d'Orient, mais il avait dû répudier sa première épouse, Blanche de Bourgogne aussi volage que ses belles-soeurs, accusées toutes les trois par des rumeurs de s'être livrées à des ébats bien peu catholiques dans la tour de Nesle… Sa deuxième épouse Marie de Luxembourg, mourut enceinte dans un accident. La troisième, sa cousine Jeanne d'Evreux, n'eut que des filles, mais se trouvait enceinte en cette année 1328 quand mourut le roi, le 1er février.
    Loi fondamentale
    Philippe de Valois, fils de Charles de Valois, lui-même frère de Philippe IV le Bel, donc le plus proche par les mâles de la succession, fut désigné comme régent en attendant la naissance. Tout laissait à penser qu'il serait roi si une fille naissait. Ce ne fut pas l'avis d'Isabelle, soeur des trois rois défunts, qui venait de faire assassiner son mari Édouard II, roi d'Angleterre, par des intimes de son amant, Roger Mortimer : elle revendiqua la couronne de France non pour elle-même (question réglée depuis 1316), mais pour son fils, quatorze ans, petit-fils de Philippe le Bel, devenu Édouard III, roi d'Angleterre.
    Dès le 2 février une grande assemblée se réunit au Palais pour traiter « la plus noble cause qui fut oncques », dit le juriste Guy Coquille. Nul ne voulait comme roi de France d'un Anglais qui était par ailleurs vassal du roi de France pour ses possessions d'Aquitaine. Tous admirent et promulguèrent à jamais que « femme, ni par conséquent son fils, ne pouvait par coutume succéder au royaume de France ». Cette loi, qu'on allait appeler la loi salique pour la faire dériver d'un vieux texte franc, fut dès lors la première loi fondamentale du royaume, née non pas d'un texte abstrait posé a priori, mais de l'expérience des faits, comme toujours avec les Capétiens.
    Jeanne d'Evreux ayant accouché d'une fille, Philippe put se faire sacrer à Reims dès le 29 mai. La branche des Valois accédait ainsi au trône et allait se le transmettre brillamment jusqu'en 1589, s'éteignant là encore - et c'est assez singulier- avec trois frères rois sans enfants : François II, Charles IX, Henri III.
    Insistons encore sur le fait que la monarchie capétienne ne fut en rien antiféministe : les femmes, notamment les régentes, y jouèrent bien souvent un rôle primordial. Leur exclusion de la succession exprime seulement dès 1328 une haute conscience de l'unité et de la continuité françaises et des besoins défensifs de la nation. La couronne n'est pas une propriété qui peut passer en diverses mains, elle est un bien commun inaliénable. C'est ce qui la rend bienfaisante.
    MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 décembre 2008
  • En Souvenir de Julien Freund

    Le 10 septembre 1993, Julien Freund nous a quitté silencieusement. En Europe, il était l'un des plus éminents philosophe de la politique, une référence obligée pour tous ceux qui voulaient penser celle-ci en dehors des sentiers battus. La presse n'en a pas fait écho.
    Né à Henridorff, en Alsace-Lorraine, en 1921, il s'engage dans les rangs de la résistance au cours de la seconde guerre mondiale. Dans l'immédiat après-guerre, il enseigne d'abord la philosophie à Metz, puis devient président de la faculté des sciences sociales de l'université de Strasbourg, dont il assurera le développement.
    Inspiré initialement pas la pensée de Max Weber, un auteur peu connu dans la France de l'époque, Freund élabore petit à petit une théorie de l'agir politique qu'il formule, en ses grandes lignes, dans son maître-ouvrage, L'essence du politique (1965).
    "Le politique est une essence, dans un double sens : d'une part, c'est l'une des catégories fondamentales, constantes et non éradicables, de la nature et de l'existence humaines et, d'autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations du pouvoir et des régimes et malgré le changement des frontières sur la surface de la terre. Pour le dire en d'autres termes: l'homme n'a pas inventé le politique et encore moins la société et, d'un autre côté, en tous temps, le politique restera ce qu'il a toujours été, selon la même logique pour laquelle il ne pourrait exister une autre science, spécifiquement différente de celle que nous connaissons depuis toujours. Il est en effet absurde de penser qu'il pourrait exister deux essences différentes de la science, c'est-à-dire deux sciences qui auraient des présupposés diamétralement opposés; autrement, la science serait en contradiction avec elle-même".
    Ou encore : "La politique est une activité circonstancielle, causale et variable dans ses formes et dans son orientation, au service d'une organisation pratique et de la cohésion de la société [...]. Le politique, au contraire, n'obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l'homme, qui ne peut pas ne rien faire car, dans ce cas, il n'existerait pas ou serait autre chose que ce qu'il est. On ne peut supprimer le politique - à moins que l'homme lui-même, sans se supprimer, deviendrait une autre personne".
    Freund, sur base de cette définition de l'essence du politique, soumet à une critique serrée l'interprétation marxiste du politique, qui voit ce dernier comme la simple expression des dynamiques économiques à l'oeuvre dans la société. Freund, pour sa part, tient au contraire à en souligner la spécificité, une spécificité irréductible à tout autre critère. Le politique, dans son optique, est "un art de la décision", fondé sur trois types de relations : la relation entre commandement et obéissance, le rapport public/privé et, enfin, l'opposition ami/ennemi.
    Ce dernier dispositif bipolaire constitue l'essence même du politique: elle légitimise l'usage de la force de la part de l'Etat et détermine l'exercice de la souveraineté. Sans force, l'Etat n'est plus souverain ; sans souveraineté, l'Etat n'est plus l'Etat. Mais un Etat peut-il cessé d'être "politique" ? Certainement, nous répond Freund :
    "Il est impossible d'exprimer une volonté réellement politique si l'on renonce d'avance à utiliser les moyens normaux de la politique, ce qui signifie la puissance, la coercition et, dans certains cas exceptionnels, la violence. Agir politiquement signifie exercer l'autorité, manifester la puissance. Autrement, l'on risque d'être anéanti par une puissance rivale qui, elle, voudra agir pleinement du point de vue politique. Pour le dire en d'autres termes, toute politique implique la puissance. Celle-ci constitue l'un de ses impératifs. En conséquence, c'est proprement agir contre la loi même de la politique que d'exclure dès le départ l'exercice de la puissance, en faisant, par exemple, d'un gouvernement un lieu de discussions ou une instance d'arbitrage à la façon d'un tribunal civil. La logique même de la puissance veut que celle-ci soit réellement puissance et non impuissance. Ensuite, par son mode propre d'existence, la politique exige la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par une observation trop scrupuleuse du droit, cesse derechef d'être réellement politique ; elle cesse d'assumer sa fonction normale par le fait qu'elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Pour un pays, en conséquence, le problème n'est pas d'avoir une constitution juridiquement parfaite ou de partir à la recherche d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable d'affronter les difficultés concrètes, de maintenir l'ordre, en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surviennent inévitablement dans toute société".
    On perçoit dans ces textes issus de L'essence du politique la parenté évidente entre la philosophie de Julien Freund et la pensée de Carl Schmitt.
    Particulièrement attentif aux dynamiques des conflits, ami de Gaston Bouthoul, un des principaux observateurs au monde de ces phénomènes, Freund fonde, toujours à Strasbourg, le prestigieux Institut de Polémologie et, en 1983, il publie, dans le cadre de cette science de la guerre, un essai important : Sociologie du conflit, ouvrage où il considère les conflits comme des processus positifs : "Je suis sûr de pouvoir dire que la politique est par sa nature conflictuelle, par le fait même qu'il n'y a pas de politique s'il n'y a pas d'ennemi".
    Ainsi, sur base de telles élaborations conceptuelles, révolutionnaires par leur limpidité, Freund débouche sur une définition générale de la politique, vue "comme l'activité sociale qui se propose d'assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d'une unité politique particulière, en garantissant l'ordre en dépit des luttes qui naissent de la diversité et des divergences d'opinion et d'intérêts".
    Dans un livre largement auto-biographique, publié sous la forme d'un entretien (L'aventure du politique, 1991), Freund exprime son pessimisme sur le destin de l'Occident désormais en proie à une décadence irrémédiable, due à des causes internes qu'il avait étudiées dans les page d'un autre de ses ouvrages magistraux, La décadence (1984). Défenseur d'une organisation fédéraliste de l'Europe, il avait exprimé son point de vue sur cette question cruciale dans La fin de la renaissance (1980). Julien Freund est mort avant d'avoir mis la toute dernière main à un essai sur l'essence de l'économique. C'est le Prof. Dr. Piet Tommissen qui aura l'insigne honneur de publier la version finale de ce travail, à coup sûr aussi fondamental que tous les précédents. Le Prof. Dr. Piet Tommissen sera également l'exécuteur testamentaire et le gérant des archives que nous a laissé le grand politologue alsacien.
    Dott. Alessandra COLLA.
    (la version italienne originale de cet hommage est paru dans la revue milanaise Orion, n°108, sept. 1993)
    Publié par Alternative Europe 

  • Définir la subsidiarité

    Université d'été de la F.A.C.E. (Lourmarin, Provence)
    Samedi 29 juillet 1995 (matinée)
     
    Définir la subsidiarité
     (intervention de Robert Steuckers)
    Lors de notre visite au Professeur Gianfranco Miglio, fin avril 1995, celui-ci nous a confié qu'il considérait le terme “subsidiarité” comme un mot ambigu, qui désignait une délégation de pouvoir pouvant conduire à une confiscation des pouvoirs par l'instance centrale (en l'occurence appelée “fédérale”). Pour Gianfran­co Miglio, mieux vaut parler de fédéralisme, lequel, selon Châteaubriand, est la forme étatique des peu­ples germaniques.
    On reparle beaucoup de subsidiarité dans le processus d'unification européenne. Lors de la rédaction du Traité de Maastricht, les juristes allemands ont insisté pour que soit inscrit en toutes lettres le terme de “subsidiarité”. Mais dans le texte de ce traité, le terme est ambigu sur cinq points au moins, nous signa­lent bon nombre d'observateurs :
    1. a) Il peut être interprété comme une arme contre les tendances trop accentuées vers le centralisme (reproche adressé surtout à la Commission) ou b) comme un instrument pour retourner à l'Etat-Nation conventionnel (Thatcher).
    2. Signifie-t-il une (re)distribution ou une répartition des compétences en exercice ?
    3. S'agit-il d'un transfert de compétences strictement réglementé ou d'une auto-limitation volontaire de la part des pouvoirs publics nationaux ? Ou encore d'un principe vague qui veut avertir le citoyen des risques d'empiètement émanant des instances centrales ?
    4. Comment mesurer la qualité ou l'intensité du transfert des compétences ?
    5. Où se trouve aujourd'hui le principe de subsidiarité dans le discours politique, dans les textes constitu­tionnels, dans la pratique quotidienne du droit ?
     
    Origine du terme “subsidiarité”
    Le terme “subsidiarité”, expliquent les historiens du droit, fait partie d'une “triade catholique” (personnalité, solidarité, subsidiarité). Mais les théoriciens majeurs de la subsidiarité, les pères fonda­teurs du concept, sont protestants :
    1. Johann Althusius (longtemps oublié dans les manuels d'histoire des idées politiques et juridiques).
    2. Otto von Gierke (un sociologue et juriste allemand du XIXième siècle qui redécouvrira Althusius en 1880, juste avant le sociologue Tönnies, théoricien de la “communauté”).
     
    Johann Althusius (1557-1638)
    Ce fondateur de la science politique organique allemande écrit et est lu au début du XVIIième siècle. Ses doctrines constituent l'antithèse de la dominante idéologique de l'époque, soit l'absolutisme théorisé par Bodin. La notion cardinale dans l'œuvre d'Althusius est celle de Gemeinwille (“volonté commune”), ancrée dans le peuple, perçu et défini comme “organisierter Volkskörper” (corporéité populaire organisée).
     
    Otto von Gierke
    Ce sera Otto von Gierke qui redécouvrira Althusius dans les années 1880. Qui est Otto von Gierke? Un théoricien allemand du “Droit des Genossenschaften” (compagnonnages). Pour Althusius au XVIIième et Otto von Gierke au XIXième, la politique est Konsoziation et Konkordanz (concorde, ou “sympathie”, unisson des cœurs). Le fédéralisme et la subsidiarité d'Althusius et d'Otto von Gierke sont un ancrage profond dans le tissu social concret. Cet ancrage permet d'échapper à l'hyper-simplification de l'absolutisme, propre des monarchies déclinantes, et du centralisme (de Philippe II à Richelieu et de Louis XIV à la Révolution). L'accent mis sur les “compagnonnages” et la “communauté” implique un refus de la stricte séparation de la politique et du marché, césure imposée par le libéralisme. Le fédéralisme actuel (USA, Australie, Canada et même la RFA) n'est qu'une variante du centralisme: il s'agit d'un compromis qui s'oriente toujours vers une consolidation du niveau central. Aux Etats-Unis, les “états” reçoivent la permission du niveau fédéral d'exercer des compétences (des phénomènes analogues s'observent en RFA voire en Suisse). L'objectif de toute centralisation est: que tous doivent finir par vivre selon le même modèle économique; que les communautés villageoises, claniques ou familiales doivent s'adapter à des règles édictées d'“en-haut”; que les entreprises doivent se conformer à des modèles venus également du “sommet”. Le haut ne délègue au bas que ce qui n'est pas jugé important. La compétence n'est jamais qu'octroyée.
     
    Le Traité de Maastricht et le cas français
    Althusius se place résolument en porte-à-faux, vis-à-vis de cette mentalité absolutiste et centraliste. Dans son esprit, la subsidiarité sert à façonner le concorde, à souder les communautés, à consolider le tissu social. Elle doit dès lors atteindre trois objectifs, si on la (re)place dans le contexte actuel de l'Union Européenne :
    1. Susciter chez tous la promptitude à l'aide mutuelle, dans les limites imposées par les budgets respec­tifs des communautés locales ou professionnelles. Donc la subsidiarité ne saurait être un prétexte à l'isolationnisme comme l'imaginait Madame Thatcher.
    2. Comme il y a ancrage de toute souveraineté dans le Volkskörper (la “corporéité folcique”), les Etats de l'Union Européenne (c'est-à-dire les Etats qui ont la qualité de membre) ne peuvent agir - ou leur action n'est valide dans l'esprit d'un droit qui serait entièrement déterminé par la subsidiarité - que s'ils repré­sentent réellement les multiples éléments de ce Volkskörper. Il faut donc qu'il y ait représentation des provinces, communes et associations diverses (les Verbände). Les représentants des divers États ne pourraient exercer leurs fonctions que s'ils ont l'aval des éléments divers du Volkskörper (“corporéité fol­cique”).
    3. Il faut prévoir la représentation de toutes les communautés au sein même des Etats. Aujourd'hui, la RFA, la Belgique et l'Espagne sont en règle, du moins sur le plan de l'organisation et de la représentation de leurs minorités. Celles-ci y sont protégées et représentées au sein d'assemblées qui leur sont propres. Les langues minoritaires sont pleinement reconnues comme langues nationales ou comme langues admi­nistratives locales. Ce n'est pas tout-à-fait le cas en Italie où l'allemand, le slovène, l'albanais et le grec ne sont pas reconnus ni leurs locuteurs représentés dans des assemblées autonomes et homogènes. Ce n'est certainement pas le cas de la France  - qui est le cas le plus scandaleux et le plus inadmissible pour les ressortissants des communautés flamande ou germanophone de Belgique - où l'allemand, le néer­landais, le basque, le corse ou le breton n'ont pas droit de cité et où la communauté germanophone d'Alsace et de Lorraine thioise ainsi que la communauté neérlandaise du Westhoek ne disposent pas d'un parlement autonome à l'instar des communautés germanophone de Belgique ou danoise et sorabe d'Allemagne.
    À Bruxelles et à Berlin, bon nombre de juristes et de constitutionnalistes estiment dès lors que la France n'est pas un Etat de droit démocratique, puisqu'elle n'accorde pas la réciprocité à ses ressortissants de souche flamande ou allemande et, par le truchement de ses préfets (non élus!!!!), fait interdire des initiatives culturelles flamandes en Flandre, telles des radios libres ou des messes chantées en dialecte (et expulse manu militari les prêtres de nationalité belge qui ont chanté dans un idiome qui avait l'heur de ne pas plaire au préfet!). En théorie, au fur et à mesure que l'Union Européenne prendra corps, et à condition que les juristes et les ministères belges sortent de leur torpeur et se décident à faire vivre réellement les principes d'autonomie à tous niveaux qui ont toujours été revendiqués par nos populations et leurs élites, les tribunaux belges et alle­mands pourraient parfaitement s'octroyer un jour le droit de juger tout fonctionnaire français qui écornerait les droits naturels et inaliénables des germanophones ou des néerlandophones vivant sur le territoire français, dans des pays qui sont histori­quement leurs. Le non respect du Traité de Maastricht et des accords de Schengen laisse augurer le pire pour ces minorités: il est temps que soit organisée en Europe, à l'échelle européenne, leur défense contre toutes les formes d'arbitraire qu'ils subis­sent et qui sont contraires aux conventions des droits de l'homme signées par tous les Etats européens. Et tant pis pour les Etats parjures !
     
    Monistes, dualistes, pluralistes
    Mais revenons à l'histoire du principe de subsidiarité. Althusius a mis en forme le débat intitutionnel qui a suivi la Nuit de la Saint-Barthélémy (1572). Celui prend forme, chez les adversaires de la subsidiarité et de la subsistance des “corps intermédiaires”, dans un ouvrage capital de Jean Bodin, publié en 1576 et inti­tulé Six livres de la République. Le titre de cet ouvrage est déjà très révélateur en soi: le terme “république” est utilisé au singulier, alors qu'au départ, en langue latine, on parlait toujours des res publi­cae au pluriel, des choses publiques, soulignant par là même qu'elles étaient diverses et assez souvent contradictoires. Bodin voulait concentrer la souveraineté dans les seules mains du monarque, comme la République, après avoir fait décapiter le roi, a voulu tout centraliser à outrance. Il y a donc une parfaite continuité entre l'Ancien Régime et la République en France.
    Pour Jean Bodin, la crise des guerres de religions réclame une solution moniste, c'est-à-dire une concen­tration du pouvoir dans une instance centrale, en l'occurrence le monarque. Dans la pratique, ce “mo­nis­me” implique la suppression de tous les “pouvoirs intermédiaires”, ce qui transforme les Etats en simples relais administratifs. Et quand Bodin parle de “tolérance”, alors qu'il rédige des manuels d'inquisition (!!), il envisage simplement de séparer la religion des affaires de l'Etat.
    Face au “monisme” de Bodin, nous trouvons les partisans de la “solution dualiste” ou “monarchomaques”, qui considèrent que le monarque ET le peuple sont également responsables du bon fonctionnement de l'appareil étatique et des bonnes mœurs. Devant Dieu, le peuple, dépositaire de ses droits ancestraux, les délègue au monarque, tout en conservant un droit de résistance face aux abus éventuels du roi. Le monarque, lui, doit simplement promettre de ne pas abuser. Dans cette perspective dualiste, seul le mo­narque dispose d'un droit originel. Le peuple, lui, n'a qu'un droit de résistance, tout théorique puisqu'il ne dispose pas de forces armées autonomes.
    Face aux monistes et aux dualistes, nous avons la solution pluraliste et fédéraliste, proposée par Alt­hu­sius. Celui-ci élabore son système dans le contexte d'un Reich allemand affaibli, mais qui a toujours été régi par des logiques du pluriel (pluralité institutionnelle, pluralité ethnique, pluralité linguistique, etc.). Althusius perçoit différemment la dualité peuple/monarque. Pour Althusius, le peuple peut reprendre ses droits et le monarque y renoncer. Entre les différentes composantes du peuple s'instaure une multitude de pactes sociaux, permettant un contrôle effectif. Le pacte social, pour Althusius, est un contrat de gouvernement, comme chez Hobbes, mais, chez ce dernier, le contrat n'implique nullement une commu­nication sociale. Hobbes introduit la domination (la coercition) pour échapper à la guerre civile. Le peuple, chez lui, délègue ses droits naturels une fois pour toutes. Hobbes n'envisage pas à proprement parler une rupture définitive du dialogue entre le monarque et le peuple, mais, dans ses réflexions, il met l'accent sur l'autorité absolue qui forme un barrage nécessaire à l'anarchie de la guerre civile ou du dissensus perma­nent, provoquant l'impossibilité de gouverner.
     
    Une optique symbiotique
    Althusius se place dans une optique “symbiotique”. Il évoque un “partenariat horizontal” entre les commu­nautés et les corps (risque: permanence des conflits d'intérêt; incapacité à discerner l'essentiel). Le mo­narque n'exerce que des pouvoirs qui lui ont été explicitement reconnus. La stabilité consiste donc à déléguer le moins de pouvoirs possibles au monarque. Aucune force locale ne peut être étouffée: elles doivent toutes rester disponibles pour construire la “socialité”. Chez Althusius, il n'y a pas juxtaposition du pouvoir et du peuple. Le pouvoir ne sert qu'à promouvoir les énergies du peuple. Le principe, c'est que le peuple, leg de l'histoire et de la culture, a toujours la priorité dans ses variances et ses évolutions, par rapport à la machine étatique et à l'administration. L’État n'est, ne peut être, qu'un instrument au service du peuple.
    Dans la pensée d'Althusius, les communautés sont de trois ordres :
    1. Elles sont publiques et territorialisées, comme les provinces et les villes.
    2. Elles sont privées, nécessaires, volontaires, comme les états (les Stände) ou les guildes (les corpora­tions, les associations professionnelles).
    3. Elles sont privées et naturelles, comme les familles.
    En tenant compte des ressorts qui animent toutes ces formes de communauté, Althusius procède à un élargissement maximal du politique, où il n'y a plus de séparation entre l'individu et l'Etat, ni de séparation entre le public et le privé. Si la politique est exclusivement déterminée d'en haut, comme dans le système de Bodin qui élimine les “corps intermédiaires”, nous n'avons plus, dans la société, que des individus complètement atomisés et des instances collectives, figées et coercitives. En revanche, si la politique est déterminée par le bas, c'est-à-dire par la pluralité que constitue la “corporéité folcique”, comme dans le système symbiotique suggéré par Althusius, il n'y a pas d'individus non imbriqués dans une structure de participation. Il y a dès lors “communautarisation permanente”, interaction constante entre groupes.
    En conclusion, les solutions monistes et dualistes sont rigides. Elles refusent de tenir compte des varia­tions incessantes à l'œuvre dans la société ou la “corporéité folcique”. Il arrive toujours un moment où elles entrent en “déphasage”. Dans la solution pluraliste, les communautés du Volkskörper  sont en inte­raction constante. Voilà pourquoi elle est un modèle aujourd'hui, comme le laisse sous-entendre Edouard Goldsmith, dans sa vision à la fois contestatrice, écologique et conservatrice, ou Joël de Rosnay dans son ouvrage L'homme symbiotique (Seuil, 1995). Si les systèmes monistes avancent l'aequalitas, où tous sont sommés de devenir identiques, pareils, sans déterminations originales ou circonstances différen­ciantes, les systèmes pluralistes avancent l'aequabilitas, où tous ont droit à un traitement égal, à de l'aide, à de la sollicitude de la part de la communauté, pour ce qu'ils sont, dans toutes les différences qu'ils incarnent, recèlent, réellement ou virtuellement.
    La subsidiarité est donc un projet social qui permet de sortir :
    - de la logique totalitaire (Bodin/Hobbes);
    - de la logique des contrats hypersimplifiés;
    - de la logique individualiste.
    Mais dans le Traité de Maastricht, rien de bien précis n'est dit quant au passage à un droit subsidiaire. Les textes du Traité ne sont pas clairs quant au rôle des régions et du Conseil Consultatif des Régions. Rien n'est dit quant à la responsabilité des Etats et nous assistons à un accroissement constant des compé­tences de la Commission. Dans ce contexte, le lobbying s'exerce en faveur des grands consortiums et non pas en faveur des petites communautés.
    D'où, au-delà des siècles, Althusius nous lègue une pensée instrumentalisable, dont la fonction est à la fois critique et constructive. Mais le contexte actuel est peu favorable à ce corpus doctrinal pluraliste. La tradition communautaire a été refoulée en Occident au profit de l'individualisme libéral, considéré comme le “seul scientifique”. Mais les problèmes s'accumulent, notamment au niveau écologique. Locke et Rousseau ont épuisé leurs potentialités. Mais non pas Althusius, von Gierke, Tönnies et Perroux. Le vé­hicule pour repropulser cet idéal communautaire dans le débat intellectuel et politique aurait pu être les partis verts. Hélas, ils se sont laissés complètement oblitérés par des gauches finalement fidèles aux lo­giques coercitives de Bodin et des Jacobins, sous prétexte que ces logiques étaient révolutionnaires et donc “progressistes”. Les écologistes indépendants en Allemagne, autour de Strelow, les biorégiona­listes américains, autour de Kirpatrick Sale, ont perçu cette dérive des Verts belges et français, qui res­tent prisonniers d'une vieille alternative, désormais dépourvue de toute pertinence: Locke (qu'ils rejet­tent) ou Rousseau (dont ils épousent sans nuance toutes les contradictions).
    Nous sommes effectivement dans l'impasse. Raison pour laquelle notre organisation réagit et compte agir par le biais d'associations représentant le tissu social réel, le tissu social de base.
    Robert STEUCKERS http://robertsteuckers.blogspot.com/
    Sources :
    - Helmut LECHELER, Das Subsidiaritätsprinzip. Strukturprinzip einer europäischen Union, Duncker & Humblot, Berlin, 1993.
    - Alois RIKLIN, Gerard BATLINER (Hrsg.), Subsidiarität. Ein interdisziplinäres Symposium, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1994.
    - Matthias SCHULZ, Regionalismus und die Gestaltung Europas, Kraemer, Hamburg, 1993.