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géopolitique - Page 905

  • Proche Orient: l'Occident, comme "un éléphant dans un magasin de porcelaine" Medvedev

    En s'ingérant dans les affaires intérieures de certaines régions, notamment au Proche-Orient, l'Occident se comporte comme "un éléphant dans un magasin de porcelaine", a déclaré le premier ministre russe Dmitri Medvedev dans une interview à la chaîne de télévision Russia Today.

    "Nos partenaires occidentaux se comportent souvent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Ils interviennent, détruisent tout à l'intérieur et puis ne savent pas qu'en faire. Je suis parfois étonné par leurs analystes et par le manque de cohérence de leurs projets", a souligné le chef du gouvernement russe.

    "Le printemps arabe, qu'est-ce qu'il a apporté de bien? La Liberté? Partiellement. Dans la plupart des pays, [il a eu pour conséquence] des affrontements sanglants, des changements de régimes et des troubles perpétuels", a poursuivi M.Medvedev avant d'ajouter que souvent l'Occident basculait des peuples entiers vers le point du non-retour.

    Sous prétexte d'une lutte pour les intérêts nationaux et pour les droits de l'homme, ils ont procédé à une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de plusieurs pays et ont conduit au pouvoir des régimes politiques favorables à leurs intérêts, a expliqué le premier ministre russe.

    "L'Irak est en proie à des tensions. Des dizaines de personnes y perdent la vie quotidiennement. (…) La Libye déchirée par cette guerre reste à ce jour morcelée, sans parler du sort horrible de [l'ex-dirigeant du pays Mouammar] Kadhafi. (…) La Syrie, elle aussi est au seuil d'un conflit armé. Ce pays est secoué par une guerre civile, ce qui est lamentable", a dit M.Medvedev avant de conclure que l'ingérence étrangère dans les affaires de ce pays, risquait d'engendrer encore un Etat de l'instabilité permanente.

    http://fr.rian.ru/

  • Bachar al-Assad : "La crise ne sera résolue que sur les champs de bataille"

    Bachar al-Assad : Le président syrien Bachar el-Assad a exprimé dimanche soir sa détermination à écraser d’une "main de fer" la rébellion islamiste qui depuis plus de deux ans tente de le renverser, quelques jours après avoir affiché l’image d’un régime sûr de la victoire.
    "Aucune solution ne peut être trouvée avec le terrorisme, excepté en le réprimant avec une main de fer", a déclaré le président Assad au cours d’une allocution retransmise à la télévision publique. Dans ce discours d’une durée de 45 minutes, le président a encouragé les forces armées à continuer à combattre les rebelles, qualifiés de terroristes. "La crise ne sera résolue que sur les champs de bataille", a-t-il lancé.
    Fort de deux importants succès militaires, le président Bachar el-Assad avait déjà adressé jeudi un message aux militaires à l’occasion de la fête de l’armée. "Si en Syrie nous n’étions pas sûrs de la victoire, nous n’aurions pas eu la capacité de résister et nous n’aurions pas pu poursuivre [la bataille]" après plus de deux ans de guerre, avait-il souligné.
    Il avait aussi effectué un déplacement hors de Damas dans un ex-bastion rebelle et les autorités avaient diffusé des images de lui saluant des soldats. Au cours de son discours prononcé dimanche lors d’un iftar - repas de rupture du jeûne, au coucher de soleil, pendant le mois de ramadan -, Bachar el-Assad a par ailleurs estimé que la Coalition nationale syrienne (opposition) avait échoué et qu’elle n’a aucun rôle à jouer dans la recherche d’une solution pour mettre fin au conflit qui ensanglante le pays depuis 28 mois. Selon lui, elle "n’est pas fiable" et est "à la solde de plus d’un pays du Golfe".
    En présence de personnalités politiques et religieuses et de membres de la société civile, il a aussi souligné les "réalisations héroïques de l’armée syrienne dans la défense du pays" et a salué le peuple syrien "pour s’être rangé du côté des forces armées, afin de défendre la Syrie et ses ressources".
    Sur le plan diplomatique, le nouveau président iranien Hassan Rohani a affirmé dimanche que rien ne pouvait affecter les relations de l’Iran avec la Syrie, en recevant à Téhéran le Premier ministre syrien Waël al-Halaqi, selon l’agence officielle Sana.

  • La Syrie voit pour la première fois une proposition de cessez-le-feu émaner de l’opposition

    La Syrie voit pour la première fois une proposition de cessez-le-feu émaner de l’opposition

    10/07/2013 – 15h30
    PARIS (NOVOpress/Bulletin de réinformation) – Le chef, fraîchement élu de la coalition nationale de l’opposition syrienne, Ahmad Jabra; a appelé, avant-hier, à une halte au feu dans les combats de Homs pendant la durée du ramadan. Un piège ?

    La ville tenue par les rebelles est encerclée par l’armée et sous le feu nourri des forces gouvernementales selon les médias occidentaux.

    On peut cependant s’interroger sur cette proposition très politique qui force Bachar Al‑Assad à justifier de la poursuite des actions militaires alors qu’il est sur le point de reprendre cette importante ville. Homs (Hims en arabe sur la carte ci-dessus) est la troisième ville du pays, et un centre industriel majeur.

    Cette proposition sous ces atours pacifistes semble un piège dangereux tant pour le camp fidèle au régime que plus généralement pour la population notamment chrétienne qui risque de payer son absence de soutien à l’un et à l’autre camp.

    Crédit carte : The World Factbook, domaine public.

    http://fr.novopress.info

  • Les contradictions de l’Union européenne face au Hezbollah

    En désignant la branche militaire du Hezbollah comme organisation terroriste, l’Union européenne manifeste son incompréhension de la Résistance libanaise, qui n’est pas et ne veut pas devenir un parti politique, même si elle participe au jeu politique libanais. Bruxelles exprime son allégeance au bloc anglo-saxon (incluant Israël) au détriment de ses propres principes.
    C’est avec trois jours de retard que le Conseil européen a publié son relevé de décision relatif à l’inscription de la branche militaire du Hezbollah sur sa liste des organisations terroristes. Contrairement aux habitudes, la nouvelle avait déjà fait le tour de la terre et le Hezbollah y avait répondu.
    Le document officiel a été accompagné d’une déclaration commune du Conseil et de la Commission soulignant que cela « n’empêche pas la poursuite du dialogue avec l’ensemble des partis politiques du Liban et n’affecte pas la fourniture d’assistance à ce pays ». Ce commentaire vise à expliciter la distinction entre branches civile et militaire du Hezbollah qui permet à l’Union européenne de discuter avec la première tout en condamnant la seconde.
    Dans la même veine, l’ambassadrice de l’Union européenne, Angelina Eichhorst, est allée rendre visite à Beyrouth au responsable des relations internationales du Hezbollah, Ammar Moussaoui, pour lui dire que cette décision ne changeait rien à leurs relations.

    Le problème, c’est que cette décision n’a aucun sens.
    Masquer l’aspiration mystique du Hezbollah
    Par essence, le Hezbollah n’est pas un parti politique, mais un réseau de résistance à l’invasion israélienne, constitué par des familles chiites sur le modèle des basidjis iraniens dont il a adopté le drapeau. Progressivement, la Résistance a incorporé des non-chiites au sein d’une structure ad hoc, et s’est substitué à la défaillance de l’État libanais aussi bien pour venir en aide aux familles de ses blessés et martyrs que pour reconstruire le Sud du pays, entièrement rasé par l’aviation israélienne. Cette évolution l’a conduit à présenter des candidats aux élections et à participer au gouvernement.
    Son secrétaire général, sayyed Hassan Nasrallah, n’a cessé d’exprimer sa réticence face à la politique qui n’est pour lui qu’une activité corruptrice. Au contraire, il a saisi toutes les occasions pour réaffirmer son idéal de mourir en martyr sur le champ de bataille, comme son fils aîné Muhammad Hadi, suivant ainsi la voie tracée par l’imam Hussein lors de la bataille de Kerbala.
    Par essence, le Hezbollah est le fruit d’une démarche mystique et ne saurait être comparé à un parti politique européen. Ses soldats n’ont rien à gagner à se battre et ont leur vie à perdre. Ils se lancent dans la guerre parce que leur cause est juste et qu’elle est une occasion de sacrifice, c’est-à-dire de développement humain. C’était le sens de la révolution de l’ayatollah Rouhollah Khomeini et c’est le leur.
    Malgré l’ambiguïté que fait surgir la traduction de son nom, Hezbollah, en « Parti de Dieu », ce réseau n’est pas une formation politique et n’entend pas le devenir. Sa dénomination, extraite du Coran, figure sur son drapeau : « Quiconque prend pour alliés Dieu, Son messager et les croyants, [réussira] car c’est le parti de Dieu qui sera victorieux ». Il faut comprendre ici l’expression « parti de Dieu » au sens eschatologique : c’est en définitive Dieu qui triomphera du Mal à la fin des temps.
    Très étrangement, les Européens —qui majoritairement considèrent comme un acquis démocratique la séparation entre pouvoirs temporel et religieux—, reprochent donc au Hezbollah son essence spirituelle et veulent le « normaliser » en parti politique. Dans leur esprit, les résistants libanais ne sont pas concernés par la colonisation de la Palestine et de la Syrie. Ils feraient mieux de s’occuper de leur carrière politique que de risquer leur vie au combat.
    La décision du Conseil européen sera de peu de portée pratique. Elle consiste surtout à interdire aux membres de la « branche militaire » de voyager dans l’Union et gèle leurs avoirs bancaires : mais on ne voit pas pourquoi des clandestins luttant contre les puissances coloniales iraient ouvrir des comptes bancaire chez elles.
    Pourquoi donc ce remue-ménage ? L’inscription du Hezbollah sur la liste européenne des organisations terroristes est une vieille revendication de Tel-Aviv, soutenue par l’Empire anglo-saxon. C’est un effort de communication visant à affirmer que les « Bons » sont les Israéliens et les « Mauvais » ceux qui refusent de se faire voler leur terre. Elle a été présentée par le président israélien Shimon Peres aux gouvernements de l’Union, puis au Parlement européen, le 12 mars dernier. Elle a été portée au Conseil européen par les ministres britannique et français des Affaires étrangères, William Hague et Laurent Fabius. Ils ont été rejoints par leurs collègues néerlandais et autrichiens, Frans Timmermans et Michael Spindelegger, après une forte mobilisation des sionistes états-uniens, dont l’ancien gouverneur de Californie, Arnold Schwarzeneger.

    Masquer l’échec israélien en Argentine
    Il y avait urgence pour les communicants israéliens à agir. En effet, depuis 1994, ils accusent le Hezbollah et l’Iran d’avoir fait sauter l’immeuble de la mutuelle juive de Buenos Aires, faisant 85 morts. Cette version des faits est présentée comme une certitude dans de nombreuses encyclopédies et manuels scolaires. Pourtant, la justice argentine l’a remise en cause depuis des années. En janvier 2013, l’Argentine et l’Iran ont créé une commission de juristes indépendants pour faire toute la lumière. D’ores et déjà, il apparaît que l’attentat était une machination ourdie par l’ancien ministre de l’Intérieur, l’israélo-argentin Vladimir Corach.
    Puisque cette affaire ne tient pas, Tel-Aviv a accusé le Hezbollah et l’Iran d’avoir fait sauter un autobus israélien en Bulgarie, faisant sept morts (dont un kamikaze), le 18 juillet 2012. Dans un premier temps, le gouvernement de centre-droit bulgare avait relayé l’accusation, avant d’être contredit par son successeur de centre-gauche. Peu importe, pour le Conseil européen, le Hezbollah est politiquement l’auteur d’un attentat sur le territoire de l’Union à défaut de l’être judiciairement.
    D’une manière générale, Israël accuse le Hezbollah d’avoir fomenté et parfois exécuté une vingtaine d’attentats contre des civils un peu partout dans le monde, en trente ans, ce que récuse la Résistance.
    La encore, très étrangement, les Européens — qui considèrent la présomption d’innocence comme un acquis démocratique — condamnent le suspect avant même qu’il ait été jugé, ni même mis en examen.

    Masquer l’échec européen en Syrie
    Sur le fond, il n’a échappé à personne que la vraie nouveauté dans ce dossier n’y figure pas : c’est l’intervention du Hezbollah dans la guerre en Syrie. Puisque nous trahissons notre engagement de renverser le président Bachar el-Assad, apportons au moins notre soutien aux « rebelles » en condamnant le Hezbollah, pense t-on à Bruxelles. C’est cet argument qui, semble t-il, a emporté la décision du Conseil européen. A contrario, cela montre l’incapacité des Britanniques et Français à peser plus longtemps sur un conflit qu’ils ont sciemment déclenché pour s’emparer de la Syrie en brandissant le drapeau de la colonisation, qui est devenu celui de l’Armée syrienne libre.
    Surtout cette condamnation a le mérite de clarifier les camps : d’un côté la résistance à l’oppression coloniale, de l’autre les puissances colonisatrices.
    Si l’attitude britannique n’est pas étonnante, le Royaume-Uni revendiquant son statut colonial, elle l’est plus en ce qui concerne la France qui a alterné dans on histoire des périodes révolutionnaires et impériales.
    Ainsi, la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, adoptée en 1789, énonce en son article 2 quatre droits fondamentaux, dont la « résistance à l’oppression ». C’est sur cette base qu’en 1940, Charles De Gaulle s’opposa à l’armistice entre la France et le Reich nazi, prenant la tête de la Résistance.
    A l’opposé, au cours des années 1880, Jules Ferry incarna l’expansion française voulue par une faction du patronat qui y prévoyait une bien meilleure rentabilité pour ses investissements qu’en France, dans la mesure où c’était le contribuable et non lui qui payait l’armée coloniale. Pour enrégimenter le pays, Ferry rendit l’école publique gratuite et obligatoire. Les instituteurs, appelés « hussards noirs de la République » devaient convaincre les jeunes gens de servir dans les troupes coloniales. Et c’est sous les auspices de Jules Ferry que l’actuel président français, François Hollande, a placé son quinquennat.
    Si la France moderne, c’est Charles De Gaulle, elle aurait pu être Philippe Pétain ; un maréchal raisonnable qui considérait la soumission au Reich victorieux d’autant plus souhaitable qu’il y voyait un moyen d’en finir avec l’héritage de 1789. Il est certainement trop tôt pour que les élites françaises le réhabilitent, mais condamner la Résistance libanaise, c’est condamner une seconde fois à mort Charles De Gaulle pour terrorisme.
    En définitive, les idéaux qui firent la gloire de la France sont aujourd’hui mieux défendus à Beyrouth qu’à Paris.

    Thierry Meyssan http://www.voxnr.com

  • Réinventer l'Occident (H. El Karoui)

    Le parcours personnel d'Hakim El Karoui le désigne d'emblée comme un homme du sérail. Normalien, fils de la responsable du Master d'analyse financière à Dauphine, fondateur du club du XXIème siècle (dont le but était de promouvoir la diversité au sein des classes dirigeantes et dont fut notamment issue Rachida Dati), ancien professeur d'université devenu banquier d'affaires chez Rothschild, plume de Raffarin, c'est un homme connaissant les arcanes du pouvoir – même s'il en est temporairement écarté, après la tentative infructueuse qu'il mena avec Emmanuel Todd sous le gouvernement Villepin pour promouvoir le patriotisme économique.

    Cette appartenance au système des élites ne l'a pas empêché de prendre, dès 2006, une position originale (à cette époque) en faveur du protectionnisme économique. En 2007, il appelait à voter au second tour pour Ségolène Royal dans les tribunes du Monde, consommant sa rupture avec le camp sarkozyste, coupable à ses yeux de « dérives identitaires ». L'ouvrage « Réinventer l'Occident » permet donc d'appréhender le constat d'un homme de l'intérieur du système, demeurant  lucide quant aux retombées des politiques libérales, et aux conséquences de l'érosion de la Nation, dont il se veut le défenseur (à l'image de Todd).

    L'ouvrage marque tout d'abord une évolution. Alors que le premier essai d'Hakim el Karoui portait avant tout sur la France (« L'avenir d'une exception en 2006 »), celui-ci traite de l'Occident dans son ensemble; défini comme une réalité géographique (Europe et USA comme centres et Amérique latine, Russie comme périphéries), une altérité par rapport aux autres civilisations (notamment l'Orient), une histoire et une réalité idéologique (liberté individuelle, démocratie, etc...).

    El Karoui dresse un constat sans appel de la situation actuelle occidentale : L’Occident serait passé en quelques années d'une crise de superpuissance (dont l'invasion en Irak fut l'apogée) à une crise d'impuissance (dont la crise de 2008 serait l'un des symptômes).

    Dans le premier chapitre (La désoccidentalisation du monde), El Karoui indique que l'Occident est en train de se vider de lui-même. Cette anomie lui semble se déployer dans trois domaines:

    -Politique : pour El-Karoui, l'anomie y est provoquée par l'abandon des élites du cadre de la Nation alors que l'échelon national sert toujours de référence pour les populations.

    -Economie : L'anomie y provient d'une crise de la demande globale conjuguée à la perte de l'avance économique. Selon El Karoui, la situation de la Grèce, où une faible croissance dans un contexte de hausse des déficits publics ne peut constituer que l'amorce d'une récession sans fin, est donc appelée à se généraliser. Il considère en outre qu'une bipolarisation durable du marché du travail (entre les emplois protégés des insiders et les autres) est inévitable. Les énergies renouvelables et le développement durable ne seront pas capables de compenser ces évolutions défavorables.

    -Identité : L'éducation est ici pour l'auteur la cause  principale de l'anomie (en ceci, il reprend le schéma de pensée de Todd, en ne prenant pas en compte l'impact éventuel de l'immigration ou de la montée de l'individualisme). L'Occident a perdu les trois monopoles sur lesquels il avait bâti sa domination (histoire, instruction et avenir). L’auteur note ainsi que 39% des étudiants chinois choisissent des matières scientifiques contre seulement 5% des étudiants américains.

    El Karoui conclut donc que l'ensemble des anomies de l'Occident sont le résultat d'évolutions internes plutôt que de facteurs externes.

    Dans le deuxième chapitre, intitulé « Les musulmans ne sont pas coupables », il met en garde contre la désignation de l'islam comme ennemi de l'Occident pour masquer nos faiblesses internes, tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur.

    Sur le plan intérieur, il estime que c'est justement parce que les musulmans sont en train d'être assimilés que les enfants maghrébins suscitent de la haine, à l'image de l'affaire Dreyfus qui aurait éclaté lorsque les Juifs étaient en voie d'assimilation. Cette analyse se limite cependant uniquement aux Maghrébins et n'évoque jamais les populations arrivées plus tardivement, notamment d'Afrique noire, dans un contexte où la politique d'assimilation était en recul, et qui sont moins bien intégrées. Sa position, qui s'appuie sur des statistiques évidemment parcellaires et anciennes, demeure optimiste, et elle est sans doute très contestée au sein même de l'institution universitaire.

    Sur le plan extérieur, El-Karoui présente l'islam comme une religion en pleine crise de transition, même si celle-ci fut amorcée avec retard par rapport à l'Occident. Il récuse donc le choc des civilisations pour proposer l'expression de « choc des temporalités ». Cette approche est séduisante, même si elle repose sur une vision progressiste un peu naïve de l'histoire, assez répandue dans son milieu. Cette croyance dans le caractère unidirectionnel de la marche de l'histoire qui irait de la tradition (fermée) à la modernité (ouverte) transparaît par exemple lorsqu'il analyse un film du Maghreb qui incarnerait pour lui la modernité car il est « universel et global ».

    Afin de vaincre les présupposés à l'encontre de l'islam, El Karoui propose enfin la mise en place d'une « CECA migratoire », pour renforcer les migrations circulatoires, permettant d'éviter l'établissement des immigrés sur la durée, établissement synonyme de crispations au sein des sociétés d'accueil.

    Dans le troisième chapitre, intitulé l'aveuglement occidental face à la Chine, El Karoui témoigne de l'inquiétude grandissante des élites occidentales face à la montée de ce  pays, même s'il se montre circonspect quant à ses capacités de s'imposer comme leader de la société internationale. Récusant les théories des économistes libéraux, il démontre que la Chine se comporte absolument à l'inverse de ce que supposerait le schéma ricardien des avantages comparatifs. Elle présente trois anomalies par rapport à ce modèle : elle a connu une montée très rapide dans le haut de gamme, elle a maintenu artificiellement la faiblesse de sa demande intérieure, et elle a consolidé un protectionnisme économique par rapport aux importations occidentales.

    Pour El Karoui, la clef de la réussite de la Chine vient de son non respect de la doxa libérale qui lui permettrait d'éviter les déboires rencontrés par le Japon au début des années 90. Ceux-ci étaient en effet dus à une surévaluation du yen et à une forte inflation. Au contraire, les dirigeants chinois laissent perdurer de manière autoritaire la sous-évaluation de leur monnaie et restreignent l'inflation salariale.

    Dans le quatrième chapitre, El Karoui estime que « L'Asie n'est pas l'avenir de l'Occident ». Ce constat est renforcé par l'analyse des thèses de l'économiste Yu Yongding, actuellement très en cour à Pékin. Celui-ci remet en cause le modèle d'exportations comme moteur indispensable du développement chinois. L'avenir de la Chine ne serait donc pas à l'ouverture mais à la fermeture. Cette tendance commença d'ailleurs à se dessiner lors du plan de relance chinois mis en place pour répondre à la crise de 2008, où les entreprises occidentales furent systématiquement exclues au profit de concurrentes chinoises.

    En parallèle à cette fermeture aux exportations occidentales, la Chine cessera certainement selon El Karoui de financer l'Occident aussi largement qu'elle le fit au cours des années 2000. Ces deux facteurs laissent donc accroire que l'Occident ne profitera que faiblement de la croissance asiatique annoncée.

    El Karoui semble cependant penser que le futur de la Chine ne correspondra pas aux prévisions optimistes actuelles. Il évoque  la bulle spéculative s'y développant, et qu'il compare au modèle de Dubaï qui fit faillite en 2009. Pour l'Occident, une trop grande dépendance à l'égard de la Chine comporte donc le risque d'être entraîné dans d’éventuelles difficultés économiques additionnelles. Il est tentant d'établir un parallèle avec la transmission de la crise américaine à l'ensemble du monde en 2008...

    Sur le plan politique, l'auteur rappelle que l'idéal chinois est celui d'un monde fermé plutôt que d'un monde universel, ce dont témoigne l'érection progressive d'une « grande muraille à l'envers » en Mer de Chine, afin de constituer un glacis face à l'influence occidentale. Cette politique est d'ailleurs assez différente de celle du Japon, qui vise à constituer une zone d'influence en Asie du Sud-Est. Il semble donc illusoire de compter sur la Chine pour gérer les affaires du monde en collaboration avec les autres puissances. Elle agira en fonction de ses intérêts nationaux (analyse d’El Karoui, qui semble donc partir du principe que les USA, eux, n’agissent pas en fonction de leurs propres intérêts…).

    Enfin, le cinquième chapitre propose des pistes afin de « réinventer l'Occident ».Deux pistes principales apparaissent : une réflexion sur l’identité, une réflexion sur l’économie.

    Sur le plan de l'identité, Hakim el Karoui pose le principe selon lequel la Nation ne viendrait pas du fond des âges. Pour lui, il s'agit d'un plébiscite de tous les jours (il appuie sa démonstration sur une analyse partielle du célébrissime discours sur la Nation de Renan), et d'une invention de tous les jours. Il avance ainsi l'idée qu'il faut cesser de mettre en avant la transmission, et privilégier plutôt l'invention, pour tout ce qui touche aux valeurs et cultures nationales. Ainsi, dit-il, la nation permettra-t-elle d'atteindre une universalité métisse, propice à refonder un « lien collectif souple à l'image du PACS », comme l'appelle de ses vœux le sociologue François de Singly. Cette Nation recomposée permettrait l'émergence d'un véritable individualisme relationnel.

    Ce développement a du mal à remporter l'adhésion, notamment à la lumière de l'analyse du retour de la Chine sur l'arène internationale à laquelle s'était livrée El Karoui au chapitre précédent. Il y avait en effet démontré que c'était le retour aux vertus traditionnelles du confucianisme, légèrement réinterprétées selon les exigences de la modernité, qui avait permis aux Chinois de retrouver leur fierté millénaire. Or, le projet d'El Karoui pour la Nation occidentale repose justement sur le rejet de la tradition occidentale, qui menacerait d'enfermer les individus dans une mono-identité alors que l'identité est selon lui par définition plurielle. Alors, vérité en Chine, mensonge en Occident ?

    Sur le plan économique, la solution prônée par El Karoui demeure le protectionnisme raisonné, qu'il décrit comme une écluse. C'est un protectionnisme qui ne pourrait cependant se déployer qu'à l'échelle supra-nationale (européenne), notamment afin de réduire les risques de constitution de rentes, traditionnellement dénoncées par les économistes libéraux quand une telle mesure est évoquée. Si l'idée protectionniste est séduisante de prime abord, El Karoui ne répond qu'imparfaitement à deux problèmes qu'elle soulève :

    Au-delà de la question de la constitution des rentes (qui relève du choix politique), le vrai désavantage du protectionnisme vient plutôt du risque de décrochage technologique qu'il peut induire, selon les études empiriques d'économistes libéraux. Or, en admettant que le protectionnisme se mette en place dans le cadre européen dans un contexte où l'Asie est déjà en train de prendre l'avantage technologique, un tel décrochage est susceptible de s'en trouver accéléré.  La question peu paraître assez théorique de prime abord, puisque le décrochage semble déjà en cours dans de nombreux domaines (notamment les énergies renouvelables). En fait, elle révèle une faiblesse de l'argumentation d'El-Karoui, selon lequel il ne peut exister de protectionnisme qu'européen, au nom du maintien de la compétitivité internationale.

    Un présupposé internationaliste, assez révélateur de l'état d'esprit des élites, innerve donc la démonstration. Il semble d'ailleurs s'être accentué par rapport à l'essai précédent datant de 2006, du même auteur. Alors qu'il y détaillait un moyen de mettre en place un protectionnisme européen par la collaboration entre la France et l'Allemagne en tant que Nations, il préconise en 2010 une solution beaucoup plus « atlantiste » : pour convaincre l'Allemagne de l’intérêt du protectionnisme (vaste programme!), il faut selon lui d'abord gagner la bataille des idées en se servant d'institutions scientifiques américaines de renom. Alors que la France de 2006 était présentée comme maîtresse de son destin par la négociation, celle de 2010 semble avoir besoin d'une courroie de transmission américaine pour influencer l'Allemagne...

    La deuxième faiblesse de la solution protectionniste est donc d'ordre politique : dans le contexte actuel, la majorité des élites ont tout à perdre de mesures allant dans ce sens. Certes, El Karoui exhorte les élites allemandes mercantilistes de s'y rallier au nom de « la morale », mais cela risque de ne pas être suffisant.

    Enfin, sur le plan politique, El-Karoui estime vital l'invention d'un intérêt général européen, prélude à la formation d'une identité européenne. Il voit dans le protectionnisme l'outil pour faire émerger cette notion d’intérêt général européen, d'abord au niveau français, grâce à une campagne présidentielle portant sur la question de l'Europe. Cette proposition recoupe un discours de plus en plus répandu parmi les intellectuels de l'élite française, qui annoncent une campagne présidentielle de 2012 axée sur l'Europe (on peut penser à Jacques Sapir qui exhortait il y a déjà un an les politiques à se saisir pour la prochaine présidentielle du thème du protectionnisme européen, afin d'éviter de laisser le champ libre au Front National dans ce domaine). Mais là encore, il n'est pas certain que la volonté politique puisse l'emporter sur les logiques antérieures de la construction européenne…

    http://www.scriptoblog.com

  • Le Hamas reconsidère ses alliances après la chute de Morsi

     

    Le Hamas reconsidère ses alliances après la chute de MorsiIl est désormais clair que le Hamas est en train de reconsidérer ses alliances, après s'être éloigné aussi bien de l'Iran que du Hezbollah, suite au déclenchement de la crise syrienne.
    Responsable du Hamas, Ahmad Youssef a révélé à la presse que son mouvement a eu des entretiens avec le Hezbollah et l'Iran pour abonnir leur relation. Youssef a déclaré que deux dirigeants du Hamas de premier plan ont rencontré des responsables iraniens à Beyrouth en présence de représentants du Hezbollah, et évoqué les relations stratégiques entre le mouvement et l'Iran.
    Ces nouvelles ont suscité beaucoup de supputations.
    "Les deux parties ont reconnu que leur ennemi commun n'est autre qu'Israël, sachant que chaque partie comprend les différences de position de l'autre", "en particulier quand il s'agit de la situation en Syrie." Il a nié que l'amélioration des relations entre Hamas et de l'Iran était de quelque façon liée à l'évolution récente de l'Egypte.
    Un témoin attentif de ces discussions a expliqué que les premières tentatives de réconciliation - après la fois la montée en puissance des Frères musulmans en Egypte comme en Tunisie et l'émergence de fortes divergences sur la crise syrienne - avaient échoué, en raison des vues d'une faction importante au sein du Hamas qui faisait un autre choix en matière d'assistance, à la fois politique et financier.
    La même source a ajouté que, pendant un très court laps de temps, il était devenu clair que les nouvelles sources d'aide se situaient en deçà des attentes. Plus grave, l'Iran avait simplement à l'époque diversifié son aide pour désunir différentes factions de la résistance à Gaza, comme le Jihad islamique, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), et un groupe armé affilié au Fatah.
    Des sources ont aussi souligné que tandis que le Hamas a insisté sur leurs divergences sur la crise syrienne, de l'autre côté il a été fait part des préoccupations au sujet de l'implication croissante du mouvement palestinien dans la montée de la Fraternité, entraînant donc une relâchement du groupe quant à son activité de résistance, ce de façon à aider les mouvements islamistes à consolider leur pouvoir.
    Il y a quelques semaines - après que l'aile militaire du Hamas ait averti des pénuries d'approvisionnement - une délégation du mouvement dirigée par Moussa Abou Marzouq venue au Liban, a participé à des réunions privées à l'ambassade d'Iran avec les responsables du Hezbollah.
    Les réunions ont donné les résultats suivants qui sont largement positifs:
    1) Reprise de l'aide financière iranienne au Hamas, même si le montant est moindre moins que celui d'avant la crise.
    2) Ouverture de canaux directs de communication entre le Hamas et le Hezbollah, en particulier sur la question de préserver les camps de réfugiés palestiniens de l'opposition entre sunnites et chiites, facteur de tensions au Liban
    3) Préparation d'une réunion entre dirigeants du Hezbollah et du Hamas, suite à la plainte de ce dernier que le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah n'avait pas reçu une délégation du Hamas de haut niveau pendant un certain temps.
    Traduit de l'anglais par la rédaction.
  • Foutage de gueule au Mali

     Dans Minute :

    "L'’élection présidentielle a donc eu lieu au Mali à la date fixée par François Hollande. Et tout s’est très très très bien déroulé, dixit Jean-Marc Ayrault, qui, depuis la Malaisie, s’est « félicité que les élections au Mali se soient passées dans de bonnes conditions » et que « le processus démocratique ait été respecté ». « Pour la France, a enchaîné le premier ministre, c’est un grand succès. Pour l’image de la France dans le monde aussi, c’est un plus considérable, qui a été perçu dans le monde entier. »

    La preuve, est-on tenté d’ajouter, c’est le candidat choisi par le pouvoir en place et par la France, Ibrahim Boubakar Keita, qui a gagné… Le succès de ce scrutin a été tel qu’on note étrangement de fortes disparités dans les taux de participation : très forte mobilisation dans la région de Bamako, la capitale, qui est « sous contrôle », et participation quasi inexistante à Kidal, au nord-est du pays, de l’ordre de 12 %. Dans ce bastion touareg, entre les morts, les exilés et les habitants terrés chez eux par peur des représailles que mènent les partisans du régime, il ne restait pas grand monde pour aller aux urnes.

    A la terreur des jihadistes, qui se sont retirés pour mieux revenir quand la France sera partie, a succédé en effet une terreur « loyaliste » qui n’a rien à lui envier. Au jour de l’élection, le 28 juillet, il restait au moins 200 000 réfugiés maliens dans les pays limitrophes ! Et près de 400 000 Maliens « déplacés » à l’intérieur du pays, qui n’ont pas pu voter non plus.

    La palme du « foutage de gueule » revient à Tiéman Coulibaly, ministre malien des Affaires étrangères, qui, tranquillou, avait assuré : « Les élections seront crédibles et transparentes dans les conditions qui sont les nôtres » ! Quand un ministre africain s’essaye à la langue de bois, c’est juste magique ! En France, où résident 200 000 Maliens – une paille… –, ceux qui ont pu voter ont eu beaucoup de chance. Les cartes d’électeurs n’étaient pas arrivées – au Mali non plus… –, les listes d’inscrits confondaient nom et prénom – et n’étaient pas classées par ordre alphabétique ! –, les urnes avaient été oubliées, le bureau de vote avait changé de place, etc.

    Pour l’anecdote, l’AFP rapporte le cas caricatural d’un Malien rencontré en banlieue parisienne et qui venait de voir le nom de sa tante sur une liste électorale : « Comment ça se fait, elle vit au Mali ! Et moi qui suis ici, je ne peux pas voter ! » Comme disait Ibrahim Boubakar Keita à deux jours du scrutin : « J’ai rarement senti une telle fusion avec le peuple du Mali, une telle communion. » Comme il se prend pour De Gaulle, on souhaite bien du plaisir aux Maliens…"

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  • La guerre des empires (F. Lenglet)

    Pour François Lenglet (FL), la « guerre des empires » est inéluctable. L’hypothèse d’une alliance structurelle USA-Chine est, à ses yeux, une « bulle géopolitique » qui finira par exploser, et sans doute assez vite. Nous sommes d’accord, même si (on le verra plus loin), nous marquons quelques fortes divergences avec l’analyse de l’auteur, à notre avis trop pro-US.

    La thèse, dans les  grandes lignes :

    FL établit un parallèle inquiétant entre le rapport actuel Washington-Pékin et le rapport Londres-Berlin en 1899. Deux économies interdépendantes, l’une ayant longtemps été en avance sur l’autre, plus puissante et plus avancée. Puis, progressivement, l’économie «  à la remorque » se renforce, et finit par battre son alliée à son propre jeu. Dès lors, l’alliance n’est plus possible, parce qu’on ne sait plus qui est le maître de qui. La rivalité commence.  

    Les arguments qu’on oppose à ce parallèle ne satisfont par FL.

    La Chine, se démocratiser ? Pur occidentalo-centrisme. Pour qui voit les choses du point de vue chinois, quel est le meilleur régime politique : une démocratie occidentale corrompue, dévorée par le cancer financier, virtualisée par le marketing tout puissant, ou un régime pékinois autoritaire, mais qui garantit à son peuple le doublement du PIB tous les sept ans ? A part le droit de vote, dont ils ne sauraient sans doute pas quoi faire, les Chinois n’ont rien à gagner à se « démocratiser », si la « démocratie » veut dire, concrètement, le règne de Goldman Sachs.

    La Chine, puissance pacifique qui ne s’intéresse qu’à elle-même ? Niaiserie. Il existe un très fort ressentiment chinois. Pour Pékin, les guerres de l’opium et le « siècle de l’humiliation », qui suivit, jouent un peu le rôle du traité de Versailles dans l’Allemagne de Weimar : une honte, et surtout, une injustice. Les occidentaux ont souvent tendance à croire que leur suprématie mondiale de ces deux derniers siècles traduit un ordre des choses quasi-essentialisable. Illusion : c’est oublier qu’à l’échelle du temps long, le pays le plus développé et le plus puissant du monde a été, le plus souvent, la Chine. Et de cela, les Chinois, eux, se souviennent parfaitement.

    Alors, USA, Chine : un fauteuil pour deux ?

    *

    Première question : comment en est-on arrivé là ?

    FL commence par rappeler l’histoire des relations américano-chinoises. La visite de Nixon, en 1972, a été le coup d’envoi d’un partenariat USA/Chine qui, pour ne pas avoir été sans nuages, s’est bon an mal an maintenu pendant quatre décennies.

    Au départ, pour les  USA, il s’agit surtout de contrer l’URSS. Exemple, l’opération Chestnut, lancée en 1979, permet aux Américains d’implanter une station d’écoute ultra-perfectionnée dans le désert occidental chinois. Pour écouter qui ? Les soviétiques, sur le point d’entrer en Afghanistan (où la CIA s’active, afin précisément d’attirer Moscou dans le piège). Face à l’enjeu représenté par le soutien chinois contre l’URSS, l’amitié avec Taiwan ne pèse pas lourd, aux yeux des conservateurs réalistes (Kissinger, puis Brzezinski).

    Pour la Chine, dès le départ, l’alliance aigre-douce avec les USA est surtout une affaire économique  Pékin n’a pas vraiment besoin des investissements occidentaux (la Chine n’a jamais manqué de capital, parce qu’avec un coût du travail quasi-nul, on n’a pas besoin de capitaux importants pour produire – le travail, au besoin, fabrique le capital productif). Mais la Chine a en revanche désespérément besoin des technologies occidentales.

    Dans les années 80, Deng lance donc la modernisation à marche forcée de l’économie chinoise, et pour récupérer de la technologie sans permettre l’implantation en profondeur des USA, il invente une solution aussi simple que redoutable : les « zones économiques spéciales », sorte de Far West chinois ultra-capitaliste, qui va servir de filtre (la technologie occidentale passe, mais, le pouvoir restant aux Chinois dans les joint-ventures, l’influence est bloquée). Les firmes américaines, qui pensent leur planification à beaucoup moins long terme que Pékin, vont se laisser attirer dans le piège, fascinées qu’elles sont par le gigantesque marché chinois. Un marché de dupe, où la dupe n’est pas celui qu’on croit : les capitalistes occidentaux sont persuadés qu’ils viennent de gagner la guerre contre leurs propres peuples (en mettant en concurrence le salarié occidental et l’esclave chinois) ; c’est vrai, mais ils ont aussi, sans le savoir, perdu la guerre à l’échelle géopolitique, contre une oligarchie rivale…

    Quoi qu’il en soit sur le long terme, au fil des années 80-90, une sorte de symbiose s’instaure progressivement entre les deux géants. Pékin offre aux firmes US sa main d’œuvre quasiment illimitée, très bon marché et remarquablement docile. Les Américains, en retour, offrent la technologie, le savoir-faire, et un appui massif à la Chine pour son intégration dans l’économie mondiale (clause de la nation la plus favorisée, puis OMC).

    Mais cette symbiose n’a jamais été sans ambiguïté et nuages. Dès 1982, les Chinois se sont rendu compte que, contrairement aux accords passés, la CIA construisait des réseaux sur leur sol (plus tard, cela débouchera sur la secte Falun Gong). Aussitôt, exploitant la diaspora, profitant de l’envoi aux USA de dizaines puis de centaines de milliers d’étudiants, ils bâtissent leurs propres réseaux (les services secrets chinois sont potentiellement plus puissants que la CIA elle-même – nous y reviendrons dans une note de lecture ultérieure).

    Surtout, le mode de développement choisi par Pékin présente un inconvénient pour la population : une génération entière est sacrifiée. Le PIB chinois présente en effet, à partir de la fin des années 80, une structure tout à fait atypique : exportations gigantesques (jusqu’à 35 % certaines années, soit un taux d’extraversion absurde pour une économie de cette taille), investissement fabuleux (jusqu’à 50 % certaines années, un taux qui ferait presque passer le décollage japonais pour une entreprise au rabais !)… et, donc, obligatoirement, une part du PIB réservée à la consommation très faible (certaines années, à peine 20 %).

    L’avantage de cette formule, évidemment, c’est que le développement des capacités productives se fait à une vitesse foudroyante. Si vous investissez 50 % de votre PIB, étant donné que dans les conditions chinoises, 5 points d’investissement rapportent à peu près 1 point de capacité productive, vous faîtes croître vos capacités de production de 10 % par an (ce que feront les Chinois pendant trente ans). Mais si en plus, vous exportez 30/35 % de votre PIB (pour accumuler des réserves de change et acheter, en réalité, de la technologie), il vous reste peu pour la consommation. Conséquence : les salaires versés aux ouvriers qui produisent pour l’investissement ou l’exportation n’ont pas de contrepartie dans le marché intérieur, et le risque de surchauffe inflationniste est permanent. La Chine pourrait en sortir en remplaçant les exportations par le marché intérieur, mais comme Pékin veut absolument acheter de la technologie (et de l’influence), le choix sera maintenu durablement en faveur de ce modèle qu’on pourrait qualifier de « stakhanovisme à l’échelle d’un pays-continent ».

    Comme le rappelle FL, le « printemps de Pékin » en 1989 fut donc beaucoup plus une demande de remise en cause de ce modèle (moins d’exportation, plus de consommation) qu’une revendication démocratique (même si, peut-être du fait de l’existence de réseaux CIA, les étudiants pékinois mirent en avant la revendication politique stricto sensu). Et donc, la boucherie de Tian Anmen ne signifiait pas que le « communisme » était maintenu, mais plus simplement que la Chine, pour ne pas avoir à tolérer l’influence occidentale (en échange des technologies) continuerait à acheter du savoir-faire en exportant à tout va – au prix de sa « génération sacrifiée ».

    Ce message, d’ailleurs, fut reçu en Occident : pour la galerie, Bush père prit quelques sanctions peu durables ; mais en arrière-plan, le très puissant lobby patronal US-China Business Council a parfaitement décodé Tian Anmen : pour lui, cela veut dire, tout simplement, que la Chine va poursuivre son développement en sacrifiant une génération, et qu’il y a donc beaucoup, beaucoup d’argent à gagner dans les « zones économiques spéciales ». De fait, ce qui s’est décidé à Tian Anmen, c’est donc une alliance objective entre l’oligarchie postcommuniste chinoise et l’oligarchie néolibérale US – alliance dont les consommateurs surendettés américains et les ouvriers surexploités chinois vont faire les frais (une analyse que, bien entendu, FL s’abstient de formuler aussi brutalement – ici, c’est nous qui décodons).

    Les années 1990-2008 voient le triomphe de la « Chinamérique ». Les flux commerciaux croissent vertigineusement, au rythme de la bulle financière occidentale et de l’économie productive asiatique. Il en découle une période de forte croissance apparemment globale, en réalité purement chinoise ; l’Amérique réelle est en train d’imploser – même si, au départ, personne n’accepte de le voir.

    Ici, FL propose une analyse qui, à notre humble avis, fait la part trop belle aux élites occidentales. Pour lui, les dirigeants du capitalisme occidental auraient toléré la dévaluation de 50 % du Yuan en 1994 parce qu’ils souhaitaient maintenir coûte que coûte les liens avec la Chine (et non, comme nous le pensons, parce qu’ils y voyaient un moyen d’intensifier la guerre de classes en Occident même). Idem, FL estime que lorsque les taux longs US n’ont pas immédiatement suivi la remontée des taux courts en 2005, les dirigeants US n’ont pas compris que cela venait des achats chinois de bons du trésor US (sans rire ?). Et il ajoute que la crise des subprimes trouve son origine dans le dérèglement du marché des taux par les achats chinois à partir de cette date, ce qui est tout simplement faux (l’explosion du marché des subprimes est antérieur de trois ans au décrochage des taux longs, il remonte à 2001/2002, et il trouve son origine dans les taux directeurs bas de la FED – lire à ce sujet « Crise ou coup d’Etat ? »).
    Bref, l’analyse de FL fait à notre avis la part un peu trop belle au discours officiel US ; nous croyons quant à nous que les USA ont accepté le Yuan comme monnaie de guerre chinoise parce que cette monnaie de guerre était, aussi, celle de leur propre guerre, contre leurs propres peuples, en vue d’un ajustement brutal de la structure de classe.

    Quoi qu’il en soit, le double marché de dupes s’est maintenu pendant deux décennies, de 1990 à 2008. Ni l’incident de 1994 (bâtiment chinois intercepté car soupçonné de livrer des armes chimiques à l’Iran), ni celui de 1999 (bombardement « par erreur » de l’ambassade de Chine à Belgrade lors de l’opération US/Otan pour le Kosovo) n’ont remis en cause les dynamiques commerciales formidables enclenchées par la « Chinamérique »…

    Jusqu’au moment où ces dynamiques ont produit ce qu’elles devaient produire : le basculement du centre de gravité du capitalisme global. Voilà comment nous en sommes arrivés où nous sommes aujourd’hui.

    *

    Deuxième question : et où va-t-on, après ?

    Fondamentalement, le heurt va opposer deux puissances qui sont, et l’une, et l’autre, des empires. Il ne faut pas ici tomber dans le simplisme : il n’y a pas d’un côté une puissance malsaine, de l’autre une puissance saine. Il y a deux systèmes de pouvoirs immenses, l’un sur le déclin (donc plus prédateur à court terme), l’autre en expansion (donc n’ayant pas besoin d’être prédateur à court terme), mais aussi brutaux l’un que l’autre.

    Oui, oui, on sait, l’Amérique est « démocratique », pas la Chine – mais allez donc poser la question à Bagdad, vous allez voir… Et oui, oui, on sait, la Chine n’a pas attaqué de pays récemment – mais allez poser la question de son « émergence pacifique » aux millions d’esclaves qui triment dans ses usines, et là aussi, vous verrez…

    FL nous apprend qu’en 1999, deux colonels de l’armée chinoise inventent le concept de « guerre hors limite », notion pratiquement identique au concept US du « Fourth Generation Warfare » : la guerre qui se déploie sur tous les fronts, en impliquant tous les aspects de la vie politique, économique et culturelle, parce que la confrontation directe, par l’armement, est devenue impensable (trop grande puissance de destruction). Et quand les USA inventent la « lutte contre le terrorisme » pour justifier leur impérialisme, la Chine conçoit la théorie de « l’émergence pacifique » pour désamorcer les critiques que son offensive économique tous azimuts pourraient susciter.

    Chine et USA jouent chacun avec leurs atouts propres, mais en réalité, ils jouent sur le même échiquier, et avec des logiques de puissance précontraintes par la nature même de leur affrontement. Les Chinois font semblant de ne pas avoir de prétention à la domination globale (sauf quand il s’agit de mettre la main sur le pétrole du Soudan et du Tchad – alors là, on y va franchement, soutien militaire inclus), et les Américains font semblant de coopérer sans arrière-pensée (sauf quand une firme chinoise veut s’emparer d’Unocal – alors là, pas touche, il y va du contrôle US sur le pétrole d’Asie centrale…).

    A ce petit jeu, la puissance montante part a priori gagnante. Plus grand marché du monde, Pékin va progressivement supplanter les USA comme le pays qui définit les normes (une des sources de la puissance US au XX° siècle). Ayant désormais refait l’essentiel de son retard technologique, la Chine n’a plus vraiment besoin des USA ; ce qu’elle achetait jusqu’ici à l’Ouest, c’était de la technologie ; mais désormais, la technologie, elle peut dans une large mesure la produire elle-même.

    Plus structurant peut-être, le modèle de « socialisme de marché » inventé par Pékin (l’Etat possède en réalité l’outil de production, mais tolère l’enrichissement du management) semble, à ce stade, mieux fonctionner qu’un modèle US néolibéral en chute libre. Comme le rappelle FL, depuis 30 ans, la Chine fait exactement le contraire de ce qui est préconisé par le FMI – et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle s’en sort mieux que ceux qui ont obéi au « consensus de Washington ».

    Privatiser l’économie, dit le FMI. Restructurer les entreprises d’Etat, répond Pékin. Libéraliser le compte de capital du pays, dit le FMI. Contrôle des changes, répond Pékin. Banque centrale indépendante, dit le FMI. Contrôle politique sur le crédit, répond Pékin.

    Jusque dans la gestion de la crise financière, Pékin donne une leçon de pragmatisme et d’efficacité à l’Occident : sauver les banques, dit l’Occident ; relancer par l’économie productive, répond Pékin (l’UE sauve les créanciers de la Grèce, la Chine investit dans ses usines…).

    En somme, pour FL, ce qui vient de se passer, en 2008, c’est une rupture d’environnement géostratégique : ce n’est pas la chute du capitalisme, non. C’est la chute du capitalisme occidental néolibéral. Un mur vient de tomber : celui que l’Occident avait érigé autour de son pouvoir global. La chute de ce mur-là joue, pour les Chinois, le rôle joué par la chute du Mur de Berlin pour les Occidentaux : l’annonce qu’on vient de gagner une guerre « de quatrième génération ». Nous ne dirons pas le contraire. Lire à ce sujet « Crise économique ou crise du sens ? ».

    Conséquence  de cette rupture géostratégique : la « Chinamérique » va exploser.

    Ici, deux théories s’opposent : le « découplage » (la Chine poursuivra sa croissance sans la « Chinamérique ») et la crise globale (les USA entraîneront la Chine dans leur faillite, car Pékin ne pourra pas maintenir sa croissance folle une fois la « Chinamérique » disparue).

    Sur ce point précis, nous marquons un désaccord avec l’auteur de « La guerre des empires ».
    FL prend position pour la crise globale, donc contre le « découplage ». Il invoque pour cela les premières conséquences de la crise, qui aura entraîné un effondrement des exportations chinoises (voir « Crise ou coup d’Etat ? »). La croissance chinoise réelle passe sensiblement sous le seuil des 8 % annuels (nécessaire pour éviter la hausse du chômage, dans un pays qui voit un gigantesque exode rural interne).
    Pour notre part, nous doutons de la viabilité de cette analyse. Que dans un premier temps, la Chine subisse un ralentissement de croissance est évident, logique. Mais nous estimons que le marché intérieur chinois pourrait très rapidement prendre la relève des exportations ; encore une fois, ce qui explique la croissance chinoise, c’est un taux d’investissement énorme et des débouchés solvables (l’exportation) ; si les exportations calent, il reste le développement du marché intérieur, et rien n’empêche Pékin de le lancer, à présent, puisque l’acquisition des technologies est en passe d’être achevée (donc plus besoin des exportations pour financer l’acquisition de technologie), et les ressources financières existent (taux d’épargne élevé, réserves de change énorme : marché solvable).
    Peut-être la crise US arrive-t-elle quelques années trop tôt pour la Chine ; mais à moyen terme, à notre avis, sauf problème écologique ou énergétique, on ne voit pas ce qui empêcherait la Chine de se développer par l’investissement et la consommation (lire, à ce sujet, « Crise économique ou crise du sens ? »).
    Le fond du désaccord : FL pense que la relance chinoise par l’investissement va enclencher un cycle inflationniste ; à notre avis, il oublie que si la Chine développe son marché intérieur au lieu d’exporter, le risque social lié à la surchauffe va beaucoup baisser (puisque les salaires augmenteront avec l’inflation, laquelle sera contenue par un afflux de produits enfin destinés au marché intérieur). FL pense que la dette chinoise est trop importante pour développer le marché intérieur : à notre avis, il oublie qu’une dette totale (tous acteurs confondus) à 200 % du PIB (son estimation, à notre avis maximaliste) n’est pas insurmontable, si le taux d’épargne est élevé (il l’est en Chine) et, surtout, si la croissance permet de couvrir les intérêts (à ce stade, elle le permet). En outre, il ne faut pas négliger que les flux du commerce international peuvent très bien rebondir via les pays émergents entre eux (c’est d’ailleurs ce qui se passe depuis un an).
    Bref, comme FL, nous croyons effectivement que la crise marque la fin d’un système : la mondialisation néolibérale occidentalo-centrée ; mais à la différence de cet auteur, nous estimons que la théorie du « découplage » est tout sauf absurde. Il ne s’agit pas de nier que la Chine va éprouver des difficultés (on ne reconvertit pas sans casse une industrie bâtie pour l’export), mais simplement d’estimer, tout bien considéré, que Pékin a de fortes chances de surmonter ces difficultés. Encore une fois, avec 10 % de croissance et un fort taux d’épargne, on couvre les intérêts d’une dette totale, tous acteurs confondus, à 200 % du PIB (situation chinoise). Alors qu’avec une croissance faible (2, 3 %), voire nulle, et une épargne anéantie, on ne couvre pas une dette totale (tous acteurs confondus) qui doit maintenant dépasser largement 300 % du PIB (situation US).
    Donc, disons-nous, la Chine va souffrir – mais elle passera le cap (ce qui ne sera pas le cas des USA).
    L’avenir dira qui avait raison…

    FL est en revanche tout à fait intéressant quand il nous renseigne sur les premières étapes de l’explosion de la « Chinamérique ».

    Du côté américain, deux tendances s’affrontent. Les « gentils garçons » veulent la paix avec la Chine (on les appelle les « panda huggers », les « embrasseurs de panda ») ; Obama, a priori, appartient à cette école « mondialisation avant tout » (son demi-frère est d’ailleurs marié à une chinoise), tout comme une bonne partie de son administration. Mais une autre tendance, qui prime au Congrès, « America first » en quelque sorte, veut la confrontation. Arme envisagée : le protectionnisme (enfin, on y vient) – la campagne de presse en cours aux USA sur la sécurité des biens fabriqués en Chine, ou encore les tentatives du Congrès pour faire accuser la Chine de manipulation monétaire, traduisent d’ailleurs une volonté de faire sentir aux Chinois que les « panda huggers » ne sont pas forcément les seuls à décider, à Washington.

    On ne s’étonnera pas ici que l’administration Obama (financement : Soros donc Rothschild ; conseil stratégique : Brzezinski dont Rockefeller) soit « panda hugger » (finir de gagner la guerre de classes), tandis que le Congrès (soumis au vote de l’Amérique profonde et en partie financé par l’industrie US) soit nettement plus hard avec la Chine (préserver la puissance US)…

    Du côté chinois, on prend progressivement conscience de sa puissance, et on teste le rival, à petites touches. Remise en cause du dollar comme monnaie de réserve mondiale (discours de Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale chinoise). Pesée au sein du FMI en faveur d’une monnaie de réserve mondiale constituée d’un panier de monnaie. Accords avec des pays asiatiques qui officialisent le rôle de monnaie internationale régionale du Yuan.

    Ce qu’il faut bien comprendre, en tout cas (et là-dessus, FL est très clair), c’est que le discours officiel sur la Chine « manipulatrice de monnaie » est surtout rhétorique. En réalité, les USA souhaitent d’un côté la réévaluation du Yuan (pour regagner des parts de marché), et la redoutent d’un autre côté (si le Yuan est réévalué, la puissance financière de Pékin, déjà considérable, deviendrait peut-être suffisante pour que la Chine remplace les USA comme première puissance monétaire du monde – ce qui lui permettrait de racheter les entreprises un peu partout, y compris en Occident).

    En fait, Chine et USA sont, l’un comme l’autre, enfermés dans une manipulation commune qu’ils ont tolérée pour des raisons symétriques, et dont ils ne savent plus comment sortir.

    Le problème, c’est qu’en sortant de cette manipulation commune, les USA et la Chine vont s’apercevoir qu’une fois le Yuan et le dollar convertibles, il n’y aura qu’un seul gagnant. Une des deux puissances va se trouver en situation de modeler l’économie mondiale – et il n’est pas du tout certain que ce soit les USA.

    Conclusion de FL : tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle guerre planétaire – la quatrième (après les deux guerres mondiales et la guerre froide).

    *

    Troisième et dernière question : puisque ce qui vient, c’est une guerre, à quoi ressemblera cette guerre ?

    Réponse : la « guerre sans limite », pour parler chinois, ou encore la « guerre de quatrième génération », pour parler US.

    La guerre des mers : la Chine est en train  de construire une flotte capable de rivaliser avec l’US Navy. C’est logique : puisque les Chinois mettent la main sur les matières premières partout où ils peuvent, avec leurs réserves  de devise, ils veulent aussi pouvoir sécuriser les routes maritimes vers ces matières premières.

    C’est aussi une mesure défensive : pour Pékin (que FL juge paranoïaque et que nous estimons simplement prudente), la Mer de Chine est un poste avancé. Surtout qu’il y a, au large, une bombe diplomatique prête à exploser : Taiwan, qui, en déclarant officiellement son indépendance, pourrait provoquer une intervention chinoise.

    La Chine peut-elle rivaliser à termes avec la puissance militaire US ? Réponse : oui. Officiellement, Pékin dépense 10 fois moins que Washington en dépenses militaires (60 milliards de dollars contre 600 milliards). Mais la réalité serait, d’après FL, toute autre. Le chiffre réel des dépenses chinoises serait probablement du double du chiffre avoué, et comme les salaires chinois sont beaucoup plus faibles que les salaires US, on peut considérer que les 60 milliards officiels équivalent à 120 milliards réels au taux de change courant, et à 250 milliards à parité de pouvoir d’achat. Pékin dépenserait donc à peu près 40 % de ce que dépense Washington – et, en outre, n’ayant pas à financer d’expéditions coûteuses en Irak et en Afghanistan, ses dépenses d’équipement ne sont pas rognées par les dépenses de fonctionnement.

    Au final, il semble peu probable que Pékin puisse jamais se donner les moyens de gagner une guerre conventionnelle contre les USA. Mais il est probable, en revanche, qu’elle puisse interdire à l’Amérique de considérer possible une victoire dans ce domaine.

    Ce qui reportera le conflit vers d’autres théâtres d’opération, extérieurs à la sphère militaire…

    La guerre du cyberespace : ils ont l’air malin, ceux qui annonçaient que l’Occident pouvait abandonner sans remord l’économie physique, puisqu’il allait gagner l’économie de la connaissance !

    La Chine possède désormais le supercalculateur le plus puissant du monde. Elle possède aussi des entreprises performantes dans le secteur des télécoms. Elle compte 400 millions d’internautes. Elle forme chaque année des centaines de milliers d’ingénieurs dans les technologies de l’information. Le quart des tentatives de piratage observées dans le monde proviendrait de Chine. Le moteur de recherche Baidu domine Google en Chine même, tandis que les encyclopédies en ligne Baidu Baike et Hudong, contrôlée par le gouvernement chinois, n’ont même pas de concurrent (wikipedia est bloquée).

    La Chine n’a pas le contrôle d’Internet, mais celui de son Internet. La Chine se met en situation de gagner, en tout cas sur son sol, la « guerre de l’information ». L’opération « faux SMS » conduite semble-t-il par la CIA en Iran, après la réélection d’Ahmadinedjad, n’est tout simplement pas « jouable » en Chine.

    La guerre de l’or noir : la Chine n’a pas de pétrole. Pendant longtemps, ça ne l’a pas empêchée de dédaigner la grande stratégie globale : elle n’avait besoin du pétrole, n’ayant pas d’industrie. Cette période est révolue : la Chine va désormais se projeter à l’extérieur, contrairement à sa longue tradition, pour le pétrole (et d’autres matières premières).

    Au total, et sur ces opérations récentes, la Chine s’est assurée l’exploitation de 8 milliards de barils hors de ses frontières (environ quatre ans de sa consommation au rythme actuel). Il est à noter que 30 % de cette manne vient d’Afrique… et 30 % d’Iran (où un seul champ représente 2,5 milliards de barils). Où l’on comprend pourquoi « l’axe du Mal » associe le Soudan et l’Iran…

    En 2008, les investissements chinois à l’étranger ont dépassé 50 milliards de dollars, soit plus que les investissements étrangers en Chine. L’essentiel de cet effort porte sur les matières premières et les hydrocarbures.

    La guerre du capital : la Chine n’a pas de pétrole, mais elle a tellement de devises qu’elle peut se permettre d’acheter bien d’autres choses encore.

    On a récemment fait remarquer que l’évaluation de l’investissement nécessaire pour remettre en état l’ensemble du parc d’infrastructures des Etats-Unis (totalement délabré après 30 ans de néolibéralisme) correspond approximativement au montant des réserves de change chinoises. Ou pour le dire autrement (et cela donne une idée du raid financier qui se prépare potentiellement), les USA pourraient rembourser 20 ans de consommation de produits chinois à bas prix en vendant à la Chine… leurs ports, leurs routes, leurs aéroports, leurs ponts et leurs chemins de fer ! (où l’on comprend, encore une fois, que la réévaluation du Yuan est à la fois souhaitée et redoutée par Washington).

    On n’en est pas là. Mais ça commence. Savez-vous que Volvo est, depuis quelques mois, une entreprise chinoise ? Et que si EDF s’est désengagée de l’électricité britannique, c’est parce que son concurrent chinois alignait les zéros ?

    La guerre des modèles : le déluge d’argent chinois qui peut à tout moment fondre sur les entreprises occidentales va imposer au capital une révision drastique de son discours dominant (antiprotectionniste jusqu’ici). Ce n’est pas tant qu’il s’agisse de défendre le marché intérieur (les capitalistes occidentaux ne s’en préoccupent pas vraiment, ils pensent global avant tout) ; c’est qu’il va falloir défendre le contrôle exercé sur les entreprises par les institutions financières occidentales.

    Cette défense va réhabiliter l’idée de compétition entre deux modèles. Non plus « la démocratie de marché » contre « l’économie dirigée par le Parti Unique », mais le néolibéralisme US contre le néo-colbertisme chinois. Or, dans cette guerre, il n’est pas certain que le modèle occidental prédomine. Si l’Amérique s’est longtemps imposée, rappelle FL, c’est parce qu’elle faisait rêver. Mais aujourd’hui, c’est la croissance chinoise qui fait rêver (en tout cas les peuples pauvres).

    La Chine a d’ailleurs commencé cette guerre. Elle forme les élites des pays émergents. Il y a des milliers d’étudiants africains à Pékin. Partout, la Chine propose aux peuples longtemps dominés par l’Occident un modèle de rechange (lire la note de lecture sur « La Chinafrique »)… et cela ne se limite pas aux fonctions techniques ou d’encadrement intermédiaire : le directeur d’HEC s’est récemment étonné de la capacité des Chinois à rattraper leur retard dans la formation des gestionnaires !

    La guerre culturelle : verrons-nous un jour un cinéma français proposer non plus trois films US (très bien faits) et un film français  (minable), mais trois films chinois (très bien faits) et un film français (toujours aussi minable) ? Pas impossible, même si c’est peut-être le seul terrain où les USA dominent encore …

    Le mandarin va-t-il remplacer l’anglais comme langue la plus usitée  sur Internet ? Qui a répondu : jamais ? – perdu, c’est déjà le cas.

    Pékin est pragmatique : pour développer l’apprentissage du chinois, le pouvoir chinois a copié rigoureusement le système des « alliances françaises », avec les « instituts Confucius » (60 dans le monde). En 2010, 30 millions de courageux ont entrepris l’apprentissage du Chinois (simplifié, tout de même – sinon, c’est dix ans d’études à raison de 4.000 idéogrammes par an).

    Nous ne nous rendons pas compte de cet effort culturel, parce qu’il porte prioritairement sur la périphérie de l’Empire chinois. Pour l’instant, ce que veulent les dirigeants de Pékin, c’est réaffirmer leur prédominance culturelle sur les anciens Etats tributaires du système mandarinal.

    Mais demain ?...

    La guerre monétaire : Ce sera le terrain décisif. L’équation est simple : tant que le Yuan n’est pas réévalué, le dollar reste monnaie de réserve, mais l’Amérique implose. Le jour où le Yuan est réévalué, et où il devient convertible, il y aura deux monnaies de réserve possibles pour le monde (trois si l’euro existe encore, ce dont beaucoup doutent ici).

    On en est peut-être très proche : voici un véritable symbole, la firme Mc Donald vient d’annoncer qu’elle s’endetterait en Yuans pour financer son implantation en Chine…

    Le jour où le Yuan sera réévalué et convertible, on verra se produire un évènement décisif : les USA seront obligés soit d’emprunter en Yuan, ou, s’ils le font encore en dollars, de rembourser avec des dollars stabilisés, appuyés sur des actifs réels.

    Ce jour-là, estime FL, l’Empire thalassocratique anglo-saxon aura perdu la suprématie mondiale. Et la guerre pourra opposer deux camps, parce qu’il y aura deux camps.

    On pourra alors vérifier, pour la centième fois dans l’Histoire, que l’interdépendance économique ne garantit pas la paix. Au contraire : elle crée des opportunités de guerre, parce qu’elle oblige à définir le sens de la dépendance.

    http://www.scriptoblog.com

  • Azerbaïdjan : pas de sanctions ! (arch 2012)

    L’Azerbaïdjan est candidat à l’adhésion à l’OTAN

    L’emprisonnement de Ioulia Timochenko, chef de l’opposition ukrainienne, fait que Kiev, juste avant la Coupe européenne de football, essuie un feu roulant de critiques. Ce n’est pas le cas de l’Azerbaïdjan où a eu lieu, le 26 mai, la finale du concours de l’Eurovision. Le président autoritaire Ilham Aliyev n’a rien à craindre: le ministère allemand des affaires étrangères a fait savoir qu’il n’y aurait pas de “campagne systématique” contre cette ancienne république soviétique.

    Pourtant l’Azerbaïdjan devrait faire rugir de colère cet Occident si zélé à défendre les droits de l’Homme: les manipulations électorales y sont à l’ordre du jour tout comme les entorses lourdes à ces mêmes droits de l’Homme. Amnesty International estime que le nombre de prisonniers politiques est de 75 à 80; quant à l’organisation indépendante “Reporters sans frontières”, qui établit une liste des pays selon qu’ils accordent ou non une liberté de la presse pleine et entière, elle classe l’Azerbaïdjan à la 162ème place sur les 179 Etats qui ont été passés au crible de la grille d’analyse. L’Ukraine, elle, est au 116ème rang. Ensuite, il me paraît opportun d’ajouter que le clan Aliyev a fondé une sorte de dynastie post-communiste (Ilham Aliyev a succédé à son père Heydar en octobre 2003).

    Mais contrairement à l’Ukraine, l’Azerbaïdjan n’a commis aucune grosse faute: il ne s’est jamais heurté de front aux intérêts géostratégiques des Etats-Unis. Enfin, ce pays caucasien, riche en ressouces et d’une grande importance stratégique, se trouve, depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, tout en haut sur la liste des Etats prioritaires bénéficiant de l’aide américaine. Dans un rapport de planification stratégique édité par l’organisation d’aide au développement USAID, inféodée au ministère américain des affaires étrangères, on a pu lire le constat suivant dès juin 2000: “L’Azerbaïdjan possède d’énormes réserves prouvées de pétrole et de gaz naturel. De plus, il se situe dans une zone géostratégique cruciale entre la Russie et l’Iran”. Par voie de conséquence, Washington ne néglige rien pour mettre Bakou de son côté, tandis que les Azéris louvoient, depuis leur indépendance en 1991, entre les Etats-Unis et la Russie. Si les plans américains réussissent, Washingon pourra tuer deux mouches d’un seul coup de savatte: d’une part, la Russie sera encore un peu plus houspillée hors du Caucase mériodional; ce sera le deuxième revers après la Géorgie. D’autre part, les Américains pourraient créer une pierre d’achoppement entre Moscou et Téhéran.

    Le but principal des stratèges de Washington est donc de favoriser une adhésion à l’OTAN de l’Azerbaïdjan. Le 3 juin 2009, dans le magazine “Eurasianet”, qui s’affiche sur la grande toile, on pouvait lire un article de Shahin Abbasov, conseiller du spéculateur en bourse Georges Soros, financé par l’”Open Society Institute Azerbaidjan”, où l’auteur évoquait une rencontre avec un responsable très haut placé de l’OTAN, dont il ne citait pas le nom, selon qui l’Azerbaïdjan aurait plus de chance d’adhérer rapidement à l’OTAN que la Géorgie. “Il y a quelque temps, au quartier général de l’OTAN à Bruxelles comme à Bakou, on pensait que la Géorgie serait la première à adhérer au Pacte nord-atlantique et que l’Azerbaïdjan ne suivrait qu’ultérieurement”. Mais la donne a changé depuis la guerre entre la Géorgie et la Russie en août 2008; voilà pourquoi “l’Azerbaïdjan pourrait plus vite devenir membre de l’OTAN que la Géorgie ou l’Ukraine”. Ensuite, dit-on dans l’article, l’Azerbaïdjan dispose de “quelques atouts particuliers”, notamment ses “liens culturels étroits” avec la Turquie, partenaire à part entière de l’OTAN et son importance stratégique cardinale sur le tracé prévu de l’oléoduc Nabucco.

    Mais avant que les démarches ne soient entreprises en vue de l’adhésion de l’Azerbaïdjan au Pacte nord-atlantique, il faut d’abord briser les bonnes relations qui existent entre Bakou et Moscou. La Russie a conservé, depuis la fin de l’Union Soviétique, la station de radar de Gabala en Azerbaïdjan, une station de haute importance stratégique. Le bail se termine à la date du 24 décembre 2012. A l’heure actuelle, les deux Etats négocient un prolongement de ce bail jusqu’en 2025, mais Bakou exige comme prix de la location non plus la somme de sept millions de dollars par an mais celle de 300 millions! Jusqu’en novembre 2011, on parlait de quinze millions de dollars.

    Apparemment le prix a été réévalué à la hausse afin que Gabala soit trop cher pour la Russie et qu’ainsi la voie soit ouverte à l’OTAN. En janvier 2010, le politologue Vafa Guluzade, conseiller de l’ancien président Heydar Aliyev, soulignait dans un article: “Le territoire et le peuple de l’Etat d’Azerbaïdjan s’avèrent idéaux pour une coopération avec l’OTAN. Le pays dispose d’une situation géostratégique favorable, sa population est éduquée et capable de se servir de nouvelles technologies. L’Azerbaïdjan dispose aussi de terrains d’aviation militaires, qui pourraient servir de bases à l’OTAN”.

    Bien sûr, il faut également tenir compte de solides intérêts économiques. A ce propos, on a pu lire les lignes suivantes dans le texte qui exposait en juin 2000 la planification stratégique de l’USAID: “La participation de firmes américaines dans le développement et l’exportation du pétrole et du gaz naturel azerbaïdjanais s’avère importante pour la diversification des importations américaines d’énergie et pour la promotion des exportations américaines. Les Etats-Unis soutiennent l’utilisation de divers tracés d’oléoducs pour faciliter l’exportation du pétrole d’Azerbaïdjan”. Il s’agit surtout de contourner la Russie et l’Iran dans l’acheminement du pétrole et du gaz naturel. Le tracé Bakou/Tiflis (Tbilissi)/Ceyhan achemine déjà le gros du pétrole de la zone caspienne via la Géorgie en direction de la côte méditerranéenne de la Turquie. Cet oléoduc est contrôlé par un consortium anglo-américain sous la direction du géant pétrolier britannique BP.

    D’autres tracés d’oléoducs devront être construits à court ou moyen terme. On est actuellement en train de boucler les négociations quant à la construction de l’oléoduc TANAP (“Trans-Anatolian Pipeline”) qui devrait acheminer le gaz naturel azerbaïdjanais en Europe via la Turquie. Le projet TANAP, qui aura coûté sept milliards d’euro, devrait avoir une capacité de 16 milliards de m3 par an, ce qui constitue une concurrence majeure pour la Russie, et aussi, bien sûr, pour l’Iran.

    Bernhard TOMASCHITZ.
    (article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°21-22/2012; http://www.zurzeit.at/ ).

  • Réalités arméniennes

    Pendant que le gouvernement arménien se félicite de sa bonne politique et de sa « croissance à 7,2 % », la vie des citoyens est celle d’un terrible effondrement économique. Après avoir un instant cru au mythe de la solution occidentale, beaucoup fuient désormais un pays dont le problème essentiel réside dans le décalage des élites avec la réalité.

    La vie politique suit les mêmes lois dans le monde entier comme en Europe. Et, à de rares exceptions près, ce sont celles du show politique. Par exemple, sur fond de problèmes sociaux et économiques en pleine croissance, les fonctionnaires de l’Union européenne (UE) décident quel contenant est le plus adapté pour l’huile d’olive dans les restaurants, tandis que des potagers sont aménagés dans les parcs de Lisbonne. Aux USA l’on se préoccupe de la légalisation du mariage homosexuel au niveau fédéral, tandis que l’esclavage imposé par les franchises est passé sous silence.

    Dans les républiques post-soviétiques limitrophes de la Russie, c’est la même situation. En Ukraine, il y a des élections sans fin, tandis qu’en Arménie il n’y a pas si longtemps que les passions sur le maïdan [1] se sont calmées. Le politicien orange [2] Raffi Ovanisian a à peine cessé sa grève de la fin, qu’il a créé dans la foulée un mouvement politique d’opposition et a interdit à tout le monde de le critiquer. On a l’impression que le monde s’est transformé en une immense scène d’un théâtre de l’absurde. Et pendant ce temps là, dans la même Arménie, la population se paupérise rapidement, tandis que les plus capables quittent le pays.

    La dépopulation arménienne

    Les Arméniens fuient leur pays. D’après un sondage mené par Gallup, 40 % d’entre eux ne sont pas opposés à l’idée de quitter leur pays pour toujours. Et dans leur cas, les paroles ne sont pas loin des actes : en 2011, 43 000 Arméniens ont quitté leur pays, l’an dernier 42 000 autres les ont suivis. C’est curieux, mais la hausse du PIB (7 % l’an, selon le gouvernement) n’influe en rien sur les sentiments émigrationnistes du peuple. Le problème de l’expatriation est déjà devenu le premier des sujets dans les médias de masse du pays, éclipsant même le dilemme de la politique étrangère du pays. Les populistes clament que la fuite des habitants est liée à l’absence de justice, les réalistes estiment qu’elle contribue à la perte de la souveraineté. La dépopulation arménienne est déjà devenue un thème labouré par la propagande électorale des mouvements politiques. Ainsi, la politique-show a de nouveau gagné, repoussant dans l’ombre les problèmes économiques et la querelle gazière avec la Russie. Pendant ce temps, la crise risque d’entraîner l’effondrement de l’économie du pays.

    Comment la crise achève l’économie arménienne

    Depuis le début des années 90, l’Arménie a fait tout le chemin vers la désindustrialisation. Désormais, un tiers des Arméniens vivent sous le seuil de pauvreté, le chômage a dépassé les 16 % et l’office national statistique a perdu tout lien avec la réalité, en annonçant une hausse du PIB de 7,2 %.

    En réalité, seul l’en-cours de dette et le montant des capitaux en fuite sont en hausse dans le pays. Le gouvernement ne s’inquiète plus du tout que la dette extérieure du petit pays ait dépassé les 4 milliards de dollars, tandis que les capitaux s’écoulent comme le sable à travers les doigts. Sur la seule année dernière, un demi-milliard de dollars ont quitté la république, ce qui ne rend guère plus stable la devise nationale, le dram. Les indicateurs des investissements directs étrangers (IDE) si appréciés par les libéraux esquissent un tableau vraiment glauque. Le montant des IDE s’est effondré de 27,5 % l’an dernier : les investisseurs fuient et ne reviennent pas.

    Seul le travail des Arméniens expatriés en Russie sauve l’économie : ils rapatrient 2,5 milliards de dollars chaque année et ne sont dépassés dans le montant des sommes reversées au pays que par les Tadjiks, qui en envoient 3,6 milliards chez eux. L’isolation qu’entretiennent la Turquie et l’Azerbaïdjan à l’égard de l’Arménie ne contribuent guère à améliorer la situation. Une seule chose est évidente dans la politique arménienne : personne n’a l’intention de résoudre les problèmes réels.

    UE ou UEE : le dilemme du choix géopolitique de l’Arménie

    La question de la fuite des citoyens a éclipsé pour un moment du top des discussions celle du choix du pays entre l’intégration européenne (UE) ou eurasienne (UEE). Les politiciens n’arrivent pas à décider quel cap géopolitique doit suivre la barque prenant l’eau de toutes parts nommée « République d’Arménie ». Les show-politiciens dogmatiques corrigent sans cesse la direction, tandis que l’axiome selon lequel le Texas est pillé par les Texans rend impossible n’importe quelle intégration.

    Cependant, à Minsk où était le Premier Ministre Tigran Sarkissian le 31 mai, l’on discutait du format de la coopération entre l’Arménie et l’Union douanière [3]. L’Arménie n’a pas de frontières communes avec celles des membres de l’Union douanière, et c’est justement ce qui est souvent mis en avant pour s’opposer à l’adhésion [4]. Cependant, l’Arménie n’a jamais eu de frontières communes avec l’UE non plus, mais la conclusion d’un accord avec elle est devenue une question prioritaire pour le gouvernement arménien. Il se trouve donc que l’éloignement de l’Europe n’est pas un obstacle à une association voire à une intégration européenne de l’ordre du mythe, ce qui ne serait pas le cas pour une politique d’union autour de la Russie, bien réelle malgré l’absence d’une frontière commune. Comme on le dit, seule compte la volonté, l’on trouvera toujours le format. Le résultat visible est une politique dirigée vers plusieurs direction et soutenue tant par l’Occident que par la diaspora sise aux États-Unis.

    Conclusions

    Sans doute, les élites nationales sont devenues la plus grande malédiction pour les républiques limitrophes de la Russie, où il n’y a pas d’État puissant : il est impossible de s’en séparer, mais il est insupportable de vivre avec. Les gouvernants de l’Arménie font justement partie de ces élites-là. Peu importe qui a gagné aux élections présidentielles organisées à la fin de l’hiver : le président élu Serge Sagsian ou l’opposant pro-US Raffi Ovanissian. Pendant leurs années de vie dans les réserves d’indiens nationales, les élites se sont dégradées et se sont transformées en showmen politiciens. Mais on ne peut rafistoler les trous béants de l’économie arménienne et la fuite des citoyens par des discours enflammés dans les meetings et des conférences de presse.

    Le salut de l’Arménie, comme des autres confettis nationaux de l’URSS, est autour de la Russie seule. Le seul processus de réintégration et de recréation d’un État nécessitera de nouvelles élites, capables de répondre aux gageures géopolitiques, mais aussi économiques et démographiques.

    [1] Maidan, par analogie avec l’Ukraine où le terme désigne le Maidan Nezalejnosti, la place de l’Indépendance à Kiev où se sont déroulées l’ensemble des événements de la révolution orange, qui a conduit à la mise en place d’un gouvernement pro-occidental. Les « passions sur le Maidan » désignent une « révolution » orchestrée de l’extérieur qui, à force d’occupation de l’espace public et de meetings enflammés, essaie de mettre en place une opposition pro-occidentale dans des pays de l’ex-bloc soviétique (Géorgie, Ukraine, Kirghizie) ou du monde arabe (Printemps arabes).

    [2] Par analogie avec l’Ukraine toujours, où l’orange était la couleur des politiciens pro-occidentaux et pro-européens, un « politicien orange » est pro-occidental (UE et USA) et est financé par ceux qu’il soutient.

    [3] L’Union Eurasienne vise à recréer autour de la Russie un espace civilisationnel, économique et commercial semblable – quoique plus réduit - à l’URSS. Elle se décline notamment en Union économique Eurasienne (UEE) et en une Union Douanière (UD), actuellement constituée de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakshtan. Outre la Kirghizie, la Syrie et le Tadjikistan, ainsi que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, pourraient rejoindre cette union douanière et de libre-échange dans les années qui viennent.

    [4] Le but de l’UD, de l’UEE et de l’Union Eurasienne est à terme de réunir tous les États qui en font partie dans une intégration confédérative autour de la Russie, recréant une Union soviétique autrement dessinée.