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géopolitique - Page 905

  • Frappe aérienne sur une soi-disant boulangerie en Syrie : une énième désinformation médiatique

    PARIS (NOVOpress) — “60 morts” selon Le Figaro, “plus de 60 civils” selon Le Point, “des dizaines de civils tués” selon Métro France : ces pauvres gens attendaient d’acheter du pain devant une boulangerie pour nourrir leur famille vous dit-on. Voilà d’ailleurs un sujet de discussion qui pourra pimenter (en plus de la fin du monde qui n’a pas eu lieu) les toasts au foie gras du repas de Noël en famille. La réalité est un peu différente. Explications.
    Le communiqué original de l’AFP a une seule origine, l’OSDH, c’est-à-dire un “Observatoire Syrien des Droits de l’Homme”, basé à Londres. L’OSDH, dont les communiqués sont repris à la lettre par les grandes agences de presse chargées de modeler les opinions publiques occidentales, est une officine servant les intérêts directs des milices terroristes actuellement à l’œuvre en Syrie avec le soutien actif des puissances occidentales et de quelques pays arabes.

    L’affaire de la soi-disant boulangerie, emblématique de la désinformation pratiquée par l’OSDH et l’AFP (volontairement ou non), a des précédents. La désinformation à la veille d’un conflit n’est pas un fait nouveau : souvenons-nous de l’affaire des couveuses à la veille de l’attaque contre l’Irak de Saddam Hussein, ou bien de celles des “camps de la mort” en Serbie.

    Pour en revenir à l’actualité immédiate en Syrie, en fait de (civils ?) tués, nous nous garderons bien de nous livrer à un quelconque calcul : comme la majorité des journalistes annonçant des chiffres invérifiables, nous n’étions pas là. Ce qui est toutefois intéressant est la vidéo ci-dessous, montrant des images du bâtiment frappé. À la question “s’il s’agit d’une boulangerie, où sont les pains ?”, nous avons la réponse : des images de militants terroristes répandant des pains autour du bâtiment.

    Nous laissons le soins aux internautes de se forger leur propre opinion sur le sujet à partir des images ci-dessous.

    http://fr.novopress.info

  • Cet or qui met en échec le pouvoir mondial

    BOB Chapman est un des grands lanceurs d'alerte économique de ces vingt dernières années. D'une formule laconique et vivante il résume en quelles mains suspectes a échu la politique américaine. « Gouvernement et FED (Réserve Fédérale) sont engagés dans un processus d'imposture, de mensonge et de guerre psychologique pour inciter le troupeau à acheter, de préférence à crédit, afin d'augmenter la dépense de consommation ». L'homme de Wall Street, Obama, n'a pas d'autre mission.
    Fin novembre sur son site Internet, The International Forecaster, Chapman s'est intéressé à une organisation dont on parle peu, la Shanghaï Coopération Organisation (SCO) qui réunit actuellement six nations, la Chine, la Russie (lesquelles sont engagées dans un gigantesque programme énergétique), le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. À ces nations sont associés à divers degrés une vingtaine d'États dont certains étroitement, comme l'Inde, l'Iran ou le Pakistan. Faisant ainsi de la SCO une organisation redoutable. Officiellement, elle entend renforcer la coopération, sauvegarder la paix et la sécurité régionales et « œuvrer à la création d'un nouvel ordre politique et économique international, plus juste et démocratique ».  Contrairement à l'Union Européenne, paralysée par sa bureaucratie despotique, aucun accord politique astreignant n'est imposé et chacun conserve son entière souveraineté, ce qui renforce le dynamisme de l'ensemble. Ils sont de gros producteurs ou de gros consommateurs d'énergie, voire les deux. Mais surtout, la plupart sont d'importants mineurs - Russie et Chine - ou acheteurs - Chine, Inde - d'or et d'argent. L'Iran, par exemple, vient d'acquérir 340 tonnes d'or et depuis plusieurs années ni la Chine ni la Russie ne vendent l'or qu'elles extraient de leur sous-sol. De sorte que les pays de la SCO, en opposition radicale avec l'idéologie mondialiste, depuis des mois participent activement à la fois à la montée de l'or et de l'argent et au délestage sur le marché mondial de grandes quantités de dollars. Monnaie dévaluée à mesure que la FED et Obama en fabriquent dans leur vaine tentative de relancer une machine américaine asphyxiée et d'éviter, par le recours à une inflation provoquée, une déflation qui terrorise Ben Bernanke. Les observateurs sérieux s'entendant pour admettre désormais que le monde s'achemine bien vers une situation du type 1929 et que les dirigeants de la FED n'ont aucun moyen d'y échapper.
    Chapman ajoute que de nombreux pays dans le monde, observant la stratégie développée par la SCO, tentent de l'imiter : se débarrasser des dollars et acheter de l'or. Tandis que prend corps l'idée de créer une monnaie mondiale de substitution au dollar américain, composée d'un panier de devises et d'or. En même temps ces nouveaux acteurs économiques tentent de s'écarter au plus vite de l'axe Wall Street/City en pleine déliquescence ainsi que des bureaucraties impérialistes à bout de souffle que sont devenus l'État fédéral US et l'Union Européenne.
    BERNANKE, "HELICOPTER BEN", VEUT L'INFLATION
    Le « Quantitative Easing » (QE) ou Plan d'Assouplissement Monétaire Quantitatif de la FED autorise celle-ci à acheter sur le marché des obligations américaines, des emprunts d'Etat et des obligations d'Agences, financés au moyen de  la planche à billets c'est-à-dire par la création de fausse monnaie. Aussitôt la mesure annoncée, en octobre, ce fut une levée de bouclier de la plupart des gouvernements mais le marché des actions a bondi et les taux longs reculé. Les taux à court terme étant proche du zéro c'est une manière artificielle de réaliser une politique monétaire expansionniste. À court terme l'État et les financiers y voient surtout des avantages : relance des exportations avec la baisse consécutive du dollar, enrichissement des ménages et reprise de la consommation par le marché des actions en hausse. Pourtant le principal avantage espéré, la baisse du chômage, ne s'est pas matérialisé. En revanche une telle politique devrait déboucher sur une poussée inflationniste majeure, en particulier si l'on se rappelle que les plans de relance d'Obama et de Bernanke représentent déjà la bagatelle de 2 500 milliards de $. En pure perte. Si ce n'est que le prix des produits pétroliers, des matières premières, des tarifs aériens, de l'alimentation etc., explosent. Avec l'inflation annoncée la montée de l'or et de l'argent, aidée par l'effondrement du dollar, va de soi.
    On rappellera que le 22 juillet 1944, lors des Accords de Bretton Woods, fut établi un Gold Exchange Standard qui imposait de définir toutes les monnaies à partir du dollar américain, seul celui-ci l'étant en or. Sur la base de 35 $ l'once. C'est dire l'étendue de la dévalorisation de la monnaie américaine alors que l'once d'or approche des 1 500 $, quelques 40 fois le prix fixé en 1944. Pour nombre de spécialistes sa valeur réelle devrait dépasser les 5 000 $. Ce qui incite à s'interroger sur la pertinence des économistes de cour qui continuent à émettre des doutes sur la capacité du métal jaune à encore progresser !
    Bob Chapman est convaincu qu'il n'y a pas de hasard dans les événements actuels. Les différents Plans d'Assouplissement Quantitatifs Monétaire de la FED — le second sera plus près des 2 000 milliards de $ injectés dans l'économie que des 600 millions annoncés et l'inéluctable Q3 qui devrait prendre le relais sur cinq ans est évalué à 3 000 milliards de $ — répondent à une nécessité dont la FED ne peut pas faire l'économie si Bernanke veut éviter la stagnation. Or, nous l'avions écrit ici même lorsqu'il fut désigné à son poste par George Bush en octobre 2005. Ben Shalom Bernanke possède un sobriquet, « helicopter Ben », dont il n'est pas inutile de rappeler la genèse. En 2002, appartenant au Bureau des Gouverneurs de la Réserve Fédérale, il avait au cours d'un discours très médiatisé indiqué qu'il craignait la déflation bien plus que l'inflation et que pour s'y opposer l'état possédait une solide parade, la création à volonté de monnaie. « Le gouvernement US dispose, avait-il précisé, d'une technologie. Cela s'appelle une presse à imprimer (ou aujourd'hui, son équivalent électronique) qui lui permet de produire autant de dollars US qu'il le désire à peu de frais ». Ajoutant même : « On sait bien que l'inflation érode la valeur réelle de la dette de l'Etat et que, par conséquent, c'est de son intérêt d'en créer ». Et de citer Milton Friedman qui, pour combattre la déflation, parlait de jeter des dollars « par hélicoptère ». La formule est restée accrochée au nom de Bernanke.
    Aussi longtemps écrit Chapman que la FED s'obstinera à relancer l'économie américaine par des Plans d'Assouplissement Quantitatif, or et argent continueront leur forte ascension. Le premier, comme c'est le cas actuellement, jouant le rôle d'une véritable monnaie de réserve. Mieux, même, ainsi que cela échappa a Robert Zoellick il y a quelques semaines, toutes les monnaies devraient se garantir par l'or. Zoellick, pilier du CFR, de la Trilatérale, du Bilderberg, est le Pressent de la Banque Mondiale. Ayant lance son ballon d'essai il s'empressa d'affirmer que ce n'était pas ce qu'il avait voulu dire...
    Les pays du SCO ont bien compris le message : les forces mondiales sont engagés dans une lutte à mort afin de sauver leur empire financier et leurs banques, fut-ce par la ruine des économies. N'entendant pas se laisser entraîner dans ce maelström ils ont pris une direction différente Et se débarrassant aussi rapidement qu ils peuvent de leurs dollars, ils ne cesseront d'acheter de l'or que lorsqu'ils n auront plus de billets verts.
    Jim REEVES RIVAROL 21 JANVIER 2011

  • Poutine, de Gaulle russe, demain un nouveau Pierre Le Grand ?

    Selon Marc Rousset, économiste, écrivain, auteur de « La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou »

    Les Etats-Unis , après avoir avalé la couleuvre Poutine, suite à l’âge d’or de la période Gorbatchev et Eltsine du déclin accéléré , voire de l’éclatement à venir de la Russie selon les rêves  de Zbigniew Brzezinski  dans le Grand Echiquier (1), prenaient leur mal en patience en espérant se débarrasser de Poutine comme ils furent  débarrassés du général de Gaulle en 1969, d’où la tentative désespérée  d’une nouvelle révolution orange en Russie avec le nouvel ambassadeur américain à Moscou Mac Faul qui se définit lui même comme « un expert de la démocratie, des mouvements anti- dictatoriaux et des révolutions » . L’opposition actuelle, sans leader, sans unité aucune, avec des tendances diamétralement  opposées en son sein, fait la une des médias occidentaux ; mais elle  ressemble en fait à l’armée  hétéroclite de Bourbaki et fait penser à la fable de Jean de  La Fontaine des «  Grenouilles qui demandent un roi » !

    Les peuples, dans les démocraties occidentales,  ne supportent pas très longtemps  les hommes d’Etat ayant une vision historique et demandant de l’autorité, de l’effort, de la persévérance, du courage pour  non seulement redresser, mais développer le rayonnement et la puissance d’un pays. Ils préfèrent  la repentance, les loisirs, la retraite à 60 ans, les 35H, le laxisme  et l’endettement public éhonté ; c’est aussi  plus facile pour se faire élire !  Clémenceau, Churchill et de Gaulle sont là pour attester de cette propension des démocraties occidentales à écouter les Daladier, les Chamberlain, les Mitterrand ou les Hollande, voire les comiques utopiques  du style Jean Luc Mélenchon,  plutôt que de mettre le citoyen en  face de ses responsabilités, compte tenu des réalités géopolitiques et économiques.

    Les Etats-Unis pensaient donc tenir avec Medvedev un nouveau Gorbatchev  qui, au nom du développement économique, de la liberté d’expression et d’un droit de l’hommisme à la russe, allait, avec les louanges  et les encouragements de l’Occident, terminer en fait le travail de destruction massive  de la puissance de l’URSS  commencé avec  Gorbatchev, toujours très populaire aujourd’hui partout dans le monde, sauf dans son propre pays ! L’erreur grotesque de Medvedev, avec l’absence du droit de véto de la Russie à l’ONU, lors de l’intervention militaire éhontée de l’OTAN   en Libye, derrière le paravent humanitaire, était porteuse d’espoir pour l’Occident et les Etats-Unis. Cela sentait bon la bonne soupe,  la naïveté et ce n’est pas l’envie qui manquait à Monsieur Alain Juppé  qui excelle en la matière, de rejouer le même bon  tour  à la Russie en Syrie.  Vladimir Poutine, en reprenant le contrôle de la politique étrangère, a contrecarré  d’une façon prémonitoire les plans de l’Oncle Sam en Syrie et au Moyen orient ! En venant d’être réélu  par  109 millions de Russes avec  60% des  voix, Président de la Fédération de Russie, il pourrait bien contrecarrer encore pendant douze ans  d’une façon irréversible les plans d’encerclement de la Russie et de la Chine par  l’Amérique !

    Poutine, de Gaulle russe

    Poutine, c’est l’homme que les Américains n’attendaient pas et qui a non seulement redressé la Russie, mais l’a sauvée du dépeçage en trois tronçons. Le rêve géopolitique des Etats-Unis, si la Russie avait perdu la guerre en Tchétchénie, était de faire de  la Russie, une nouvelle Grande Pologne, en la ramenant à Stavropol, point de départ de la colonisation russe au XIXème siècle.

    Poutine s’est aussi opposé avec succès  à  l’exploitation des ressources naturelles de la Russie  par les groupes étrangers, ce qui était le but affiché par Mikhaïl Khodorkovski, patron de Youkos, interpellé le 25 octobre 2003 sur un aéroport de Sibérie, alors qu’il venait de participer quelques jours plus tôt à un forum d’affaires à Moscou en compagnie de Lee Raymond, l’un des directeurs d’Exxon ; cette société  était sur le point de participer jusqu’à  hauteur de   25 milliards de dollars dans  la fusion Youkos-Sibneft.  Les capitaux américains d’Exxon Mobil et de Chevron-Texaco souhaitaient en fait s’infiltrer avec une participation de 40% dans le sanctuaire sibérien des hydrocarbures russes. En perdant ses ressources financières, la Russie perdait  définitivement toute chance de rebondir.

    Poutine a réussi pour l’instant à contenir, mais sans le briser complètement  l’encerclement par l’Otan et l’oléoduc  Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC). Avec le projet du bouclier anti-missiles qui revient  à l’ordre du jour, les Etats-Unis auront  un adversaire redoutable qui continuera à leur dire leur quatre Vérités

    Vladimir Poutine, c’est aussi l’homme du KGB qui a vu venir  et réussi à combattre à ce jour avec succès toutes les révolutions orange en Ukraine, Géorgie, Kirghizstan, Ouzbékistan , les manifestations actuelles et à venir  anti-Poutine en Russie n’étant que leur  chant du cygne , un dernier soubresaut, une dernière tentative de l’Occident pour se défaire de Vladimir Poutine !

    Comme de Gaulle, Poutine  a misé sur les valeurs traditionnelles, le sens de la Grandeur, le patriotisme et l’Eglise orthodoxe   pour éviter  la « chienlit ». L’autoritarisme plus marqué de Poutine par rapport à de Gaulle convient parfaitement et est même  absolument nécessaire, en Russie, tout comme en Chine d’ailleurs, pour éviter l’éclatement tant redouté du pays. Quant à la corruption, de la même façon  qu’ elle a continué de plus belle en Ukraine avec l’arrivée au pouvoir de  l’égérie de la révolution orange Ioulia Timochenko, un pouvoir politique fort , ce que savent tous les Russes, est un bien  meilleur antidote que les oligarchies politiques de type occidental, car ces dernières ne feraient que s’acoquiner avec les  oligarques russes ; il en résulterait une  décadence   qui serait encore plus rapide que dans l’actuelle  Europe de l’Ouest .

    Poutine, un nouveau Pierre Le Grand ?

    Le Patriarche orthodoxe Kirill a vu juste en soutenant Poutine qui pourrait   être  considéré  en 2024 comme un nouveau Pierre le Grand du XXIème siècle, à 4 conditions :

    - développer d’une façon très intense le réarmement et la modernisation en cours  de l’Armée russe,

    - réussir le développement et la diversification, déjà commencée  par Medvedev, de l’économie russe,

    - continuer à combattre la dénatalité russe, ce dont Poutine  est, comme de Gaulle en 1945, parfaitement conscient,

    - ramener dans le giron russe, ce qui est inexorable historiquement  à  long terme, la Biélorussie et l’Ukraine, afin de constituer un contrepoids humain suffisant de deux cents  millions d’habitants  face à la Chine, l’Asie Centrale et  le Caucase.

    L’affrontement  en cours de Poutine avec les Etats-Unis peut être comparé au premier combat du jeune Tsar Pierre Le Grand avec  Charles XII qui mit fin par la bataille de Poltava le 8 juillet 1709 à la suprématie  suédoise dans la Baltique. Pierre Le Grand,  tout en renforçant et modernisant l’armée russe ne commit pas l’erreur  ensuite d’oublier  l’économie, l’innovation et les Arts, ce qu’il montra en 1717 lors d’un déplacement en Europe. Pierre Le Grand ancra la Russie avec une fenêtre sur l’Europe en fondant Saint-Pétersbourg. Le natif Poutine de cette même ville,  qui parle allemand, ancien espion du KGB à Dresde avant la chute du Mur de Berlin, a une vision continentale européenne  et souhaite se rapprocher pour des raisons géopolitiques de la France et de l’Allemagne. Maurice Druon ne s’y était pas trompé en voyant dans Poutine le défenseur européen d’un monde multipolaire plutôt que d’un monde obéissant à un shérif planétaire et « l’un de nos plus décisifs alliés ». Pour Poutine, l’avenir est donc européen !

    Mais la Russie regarde aussi à l’Est et vers le Sud d’où peuvent venir de nombreux dangers, la fin de l’intervention occidentale en Afghanistan n’étant pas l’un des moindres. Au delà de son effort démographique propre  pour atteindre au minimum  les 130 millions d’habitants et  ne pas retomber à 100 millions en 2050, soit l’équivalent de la population turque à cette date,  la Russie a besoin  à terme de la Biélorussie et de l’Ukraine .Ces  deux  pays dont l’un est son berceau religieux, représenteraient   un apport humain d’environ 60 millions d’habitants pour constituer  une superpuissance suffisante  face à La Chine et à l’Asie centrale. Si Poutine , sous sa Présidence, réussit ce tour de force, en commençant très vraisemblablement par la Biélorussie, il pourra être véritablement  comparé à Pierre le Grand, sinon il n’aura pas démérité et pourra être comparé au minimum à de Gaulle, Churchill ,Bismarck, Richelieu et Clemenceau, ces grands Hommes d’Etat ayant eu une vision historique , un courage, une continuité  qui font cruellement défaut à nos petits politiciens européens actuels, atlantistes, libre-échangistes, démocrates, démagogues et  droit de l’hommistes, ce qui ne sera déjà  pas si mal !

    ( 1 )  Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier, Bayard, Paris, 1997

    http://www.scriptoblog.com

  • Analyse géopolitique : Les guerres auto-génératrices des États-Unis

    Les guerres auto-génératrices des États-Unis

    Aujourd’hui, le défi politique le plus pressant au monde est celui d’empêcher que la soi-disant “Pax Americana” ne dégénère progressivement vers un conflit mondial majeur, comme ce fut le cas au dix-neuvième siècle durant la soi-disant “Pax Britannica”. J’emploie le terme “soi-disant” car chacune de ces “pax”, dans ses derniers stades, est devenue de moins en moins pacifique et ordonnée, mais de plus en plus centrée sur l’imposition d’une puissance compétitrice, belliciste et inégalitaire par essence.

    Il pourrait sembler prétentieux de considérer la prévention de cette guerre comme un but atteignable. Néanmoins, les mesures pour y parvenir sont loin d’être irréalisables ici même, aux États-Unis. Pour cela, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle politique radicale et inédite, mais d’une réévaluation réaliste et indispensable de deux politiques récemment mises en œuvre – qui ont été discréditées et qui se sont avérées contre-productives –. Il faudrait alors nous en désengager progressivement.

    Je fais avant tout référence à la soi-disant “guerre contre la terreur” menée par les États-Unis. Dans ce pays, les politiques intérieure et étrangère sont de plus en plus altérées par une guerre contre le terrorisme qui est contre-productive, augmentant en fait le nombre d’auteurs et de victimes d’attaques terroristes. Elle est aussi profondément malhonnête, sachant que les politiques de Washington contribuent en réalité à financer et à armer les jihadistes qui sont normalement censés être des ennemis.

    Par-dessus tout, la “guerre contre la terreur” est auto-génératrice puisqu’elle produit plus de terroristes qu’elle n’en élimine, comme de nombreux experts s’en sont alarmés. Et elle est devenue inextricablement liée à la “guerre contre la drogue”, la précédente campagne auto-génératrice et désespérément ingagnable des États-Unis.

    En effet, ces deux guerres auto-génératrices n’en font aujourd’hui qu’une seule. En lançant la “guerre contre la drogue”, les États-Unis ont favorisé un para-État organisant la terreur en Colombie (appelé l’AUC, pour Autodéfenses Unies de Colombie), ainsi qu’un règne de l’horreur encore plus sanglant au Mexique (avec 50 000 personnes tuées ces six dernières années). (1) En déclenchant en 2001 une “guerre contre le terrorisme” en Afghanistan, les États-Unis ont contribué à doubler la production d’opium dans ce pays, qui est ainsi devenu la source de 90% de l’héroïne mondiale et de la plus grande part globale du hachich. (2)

    Il faudrait que les citoyens des États-Unis prennent conscience de ce schéma général voulant que la production de drogue augmente systématiquement là où leur pays intervient militairement – en Asie du Sud-Est dans les années 1950 et 1960, en Colombie et en Afghanistan ensuite. (La culture de l’opium a aussi augmenté en Irak après l’invasion de ce pays par l’U.S. Army en 2003.) (3) Et le contraire est également avéré : la production de drogue décline là où les États-Unis stoppent leurs interventions militaires, notamment en Asie du Sud-Est depuis les années 1970. (4)

    Les deux guerres auto-génératrices des États-Unis sont lucratives pour les intérêts privés qui font du lobbying afin qu’elles se poursuivent. (5) Dans le même temps, elles contribuent toutes deux à amplifier l’insécurité et l’instabilité en Amérique et dans le monde.

    Ainsi, à travers une dialectique paradoxale, le Nouvel Ordre Mondial des États-Unis dégénère progressivement vers un Nouveau Désordre Mondial. Par ailleurs, bien que semblant invincible, l’État de sécurité nationale, assailli par des problèmes de pauvreté, de disparité de revenus et de drogue, devient progressivement un État d’insécurité nationale paralysé par des blocages institutionnels.

    En utilisant l’analogie des erreurs britanniques de la fin du dix-neuvième siècle, l’objectif de ce travail est de promouvoir un retour progressif à un ordre international plus stable et plus juste par une série de mesures concrètes, dont certaines seraient mises en œuvre par étapes. En utilisant comme exemple le déclin de la Grande-Bretagne, j’espère démontrer que la solution ne peut venir du système actuel centré sur les partis politiques, mais de personnes qui lui sont extérieures.

    Les folies de la Pax Britannica

    Les ultimes erreurs des leaders impériaux britanniques sont particulièrement instructives pour comprendre notre situation difficile aujourd’hui. Dans les deux cas, un excès de puissance par rapport aux véritables besoins défensifs a conduit à des expansions d’influence de plus en plus injustes et contre-productives. Mon analyse dans les paragraphes suivants est univoquement négative. En effet, elle ignore les accomplissements positifs du système impérial dans les domaines de la santé et de l’éducation à l’étranger. Cependant, la consolidation de la puissance britannique conduisit à l’appauvrissement de nations autrefois prospères telles que l’Inde. Elle aboutit également à une paupérisation des travailleurs en Grande-Bretagne. (6)

    Comme Kevin Phillips l’a démontré, l’une des principales raisons à ce phénomène fut la délocalisation croissante des capitaux d’investissement et de la capacité productive britanniques :

    «Ainsi bascula la Grande-Bretagne dans des conditions semblables à celles des États-Unis dans les années 1980 et dans la majeure partie des années 1990 – d’une part, un effondrement du niveau des salaires (hors postes de direction) accompagné d’un déclin des industries de base ; et au sommet de l’échelle, un âge d’or pour les banques, les services financiers et les valeurs boursières, une nette augmentation dans la part du revenu généré par l’investissement, ainsi qu’un impressionnant pourcentage des profits et des ressources se concentrant vers le percentile du sommet.» (7)

    Les dangers des disparités croissantes de revenus et de richesses étaient facilement identifiés à cette époque, notamment par le jeune politicien Winston Churchill. (8) Mais seule une minorité avait remarqué l’analyse perspicace de John A. Hobson dans son livre intitulé Imperialism (1902). Selon lui, la recherche immodérée du profit – cause de la délocalisation du capital hors des frontières –, créa le besoin d’établir un appareil de défense surdimensionné pour protéger ce système. À l’étranger, l’une des conséquences de ce phénomène a été un usage plus étendu et brutal des armées britanniques. Hobson définit l’impérialisme de son époque, qui débuta selon lui vers 1870, comme « un affaiblissement […] de l’authentique nationalisme, à travers des tentatives de déborder de nos rivages naturels et d’absorber les territoires proches ou lointains où vivent des peuples récalcitrants et inassimilables. » (9)

    Comme l’avait écrit en 1883 Sir John Robert Seeley, un historien de Grande-Bretagne, on pourrait dire de l’Empire britannique qu’il avait été « acquis dans un élan d’inadvertance » (« in a fit of absence of mind »). Mais on ne pourrait l’affirmer au sujet des avancées de Cecil Rhodes en Afrique. L’une des causes premières de l’expansion britannique a été la mauvaise répartition des richesses, et elle en fut également une inévitable conséquence. La majeure partie du livre d’Hobson attaquait l’exploitation occidentale du Tiers-Monde, en particulier en Afrique et en Asie. (10) Il faisait ainsi écho à la description, par Thucydide, de

    « comment Athènes fut défaite par la cupidité sans limite (pleonexia) dont elle a fait preuve lors de son expédition inutile en Sicile, une folie présageant celles des États-Unis au Vietnam et en Irak [ainsi que de la Grande-Bretagne en Afghanistan et dans le Transvaal]. Thucydide attribua l’émergence de cette folie aux rapides changements qu’Athènes a connus après la mort de Périclès, et en particulier à la montée en puissance d’une oligarchie prédatrice. » (11)

    À la fois l’apogée de l’Empire britannique et le début de son déclin peuvent être situés dans les années 1850. Durant cette décennie, Londres institua un contrôle direct sur l’Inde, remplaçant ainsi la Compagnie des Indes qui avait purement une fonction d’exploiteur.

    Mais dans la même décennie, la Grande-Bretagne s’est entendue avec la France ouvertement expansionniste de Napoléon III (et avec l’Empire ottoman) dans ses ambitions hostiles envers le statut de la Russie en Terre Sainte. Bien que la Grande-Bretagne sortît vainqueur de la guerre de Crimée, les historiens ont depuis jugé cette victoire comme l’une des principales causes de la rupture dans l’équilibre des puissances, qui avait prévalu en Europe depuis le Congrès de Vienne en 1815. Ainsi, pour la Grande-Bretagne, l’héritage de cette guerre fut une armée plus efficace et modernisée, mais un monde plus dangereux et instable. (À l’avenir, les historiens pourraient juger que l’aventure libyenne de l’OTAN en 2011 ait joué un rôle comparable dans la fin de la détente entre les États-Unis et la Russie.)

    La guerre de Crimée a également vu l’émergence de ce qui fut peut-être le premier mouvement antiguerre important en Grande-Bretagne, bien que l’on s’en souvienne avant tout car il mit fin aux rôles politiques actifs de ses principaux leaders, John Codben et John Bright. (12) En peu de temps, les gouvernements et les dirigeants de Grande-Bretagne se sont radicalisés vers la droite. Ceci conduisit, par exemple, au bombardement de l’Alexandrie par Gladstone en 1882, afin de recouvrer les dettes que les Égyptiens avaient contractées auprès d’investisseurs privés britanniques.

    En lisant l’analyse économique d’Hobson à la lumière des écrits de Thucydide, nous pouvons réfléchir sur le facteur moral de la cupidité démesurée (pleonexia) encouragée par une puissance britannique sans limitations. En 1886, la découverte de réserves d’or colossales au sein de la république boer du Transvaal, qui était nominalement indépendante, attira l’attention de Cecil Rhodes – ce dernier s’étant déjà enrichi grâce aux concessions minières et diamantaires qu’il avait malhonnêtement acquises dans le Matabeleland –. Rhodes voyait alors une opportunité de s’accaparer également les champs aurifères dans le Transvaal, en renversant le gouvernement boer avec le soutien des Uitlanders (les étrangers, majoritairement britanniques, qui avaient afflué dans cette région).

    En 1895, après l’échec de ses manigances impliquant directement les Uitlanders, Cecil Rhodes, en sa qualité de Premier ministre de la Colonie britannique du Cap, soutint une invasion du Transvaal par ce que l’on appelle le raid Jameson – un groupe hétérogène composé de membres de la police montée et de mercenaires volontaires –. Ce raid n’aboutit pas seulement à un échec, mais également à un scandale : Rhodes fut contraint de démissionner de son poste de Premier ministre, et son frère fut emprisonné. Les détails du raid Jameson et de la guerre des Boers engendrée par cette opération sont trop complexes pour être abordés ici. Néanmoins, le résultat final est qu’à l’issue de cette guerre, Cecil Rhodes s’était accaparé la majeure partie des champs aurifères.

    L’étape suivante dans l’expansionnisme abondamment financé de Rhodes fut sa vision d’un chemin de fer entre le Cap et le Caire, qui aurait traversé les colonies contrôlées par la Grande-Bretagne. Comme nous le verrons dans quelques lignes, ce projet engendra la vision française concurrente d’un chemin de fer “est-ouest”, ce qui déclencha une première série de crises attisées par la compétition impériale. Progressivement, ces crises s’intensifièrent jusqu’à engendrer la Première Guerre mondiale.

    Selon Carroll Quigley, Cecil Rhodes fonda également une société secrète ayant comme objectif principal une plus large expansion de l’Empire britannique. La Table Ronde (Round Table) en fut une ramification, et elle généra à son tour l’Institut Royal des Relations Internationales (RIIA pour Royal Institute of International Affairs). En 1917, certains membres de la Table Ronde états-unienne contribuèrent également à fonder l’organisation sœur du RIIA, le Conseil des Relations Étrangères basé à New York (CFR pour Council on Foreign Relations). (13)

    Certains analystes ont jugé que l’argument de Carroll Quigley était exagéré. Cependant, que l’on soit d’accord ou pas avec ce dernier, nous pouvons observer une continuité entre l’avidité expansionniste de Cecil Rhodes en Afrique dans les années 1890 et celle des entreprises pétrolières britanniques et états-uniennes durant l’après-guerre, lors des coups d’État soutenus par le CFR en Iran (1953), en Indonésie (1965) et au Cambodge (1970).14 Dans tous ces exemples, la cupidité privée (bien qu’elle émanait d’entreprises plutôt que d’individus) imposa la violence d’État et/ou la guerre comme questions de politique publique. Il en résulta l’enrichissement et le renforcement des entreprises privées au sein de ce que j’ai appelé la Machine de guerre américaine, ce processus affaiblissant les institutions qui représentent l’intérêt général.

    Mon argument central est que, de façon prévisible, le développement progressif de la marine et des armées britanniques a provoqué un réarmement chez les autres puissances, particulièrement en France et en Allemagne ; et ce processus a rendu inévitable la Première Guerre mondiale (ainsi que la Seconde). Rétrospectivement, il n’est pas difficile de remarquer que ce renforcement des appareils militaires ait contribué, de manière désastreuse, non pas à la sécurité mais à une insécurité de plus en plus dangereuse – pas seulement pour les puissances impériales mais pour le monde entier –. Puisque la suprématie globale des États-Unis surpasse aujourd’hui celle de l’Empire britannique à son apogée, nous n’avons pas observé, jusqu’à présent, de répercussions comparables dans les ambitions concurrentielles d’autres États ; néanmoins, une augmentation des réactions violentes venant de peuples de plus en plus opprimés (ou ce que les médias appellent “le terrorisme”) commence à se faire ressentir.

    En regardant en arrière, nous pouvons également constater que l’appauvrissement progressif de l’Inde et d’autres colonies assura le fait que l’Empire britannique deviendrait de plus en plus instable, et qu’il serait finalement condamné à disparaître. Cela ne semblait pas évident à cette époque ; et au dix-neuvième siècle, comparativement à aujourd’hui, peu de Britanniques autres que John A. Hobson remettaient en cause les décisions politiques qui conduisirent leur pays de la Longue Dépression des années 1870 jusqu’à la “ruée vers l’Afrique” et la course aux armements correspondante. (15) Pourtant, lorsque l’on examine aujourd’hui ces décisions, on ne peut que s’étonner de l’étroitesse d’esprit, de la stupidité et de la courte vue des prétendus hommes d’État de cette époque. Les crises absurdes mais alarmantes que leurs décisions ont généré dans des contrées lointaines d’Afrique, comme à Fachoda (1898) ou à Agadir (1911), renforcent cette idée. (16)

    Nous pouvons également remarquer comment des crises internationales ont pu être initialement provoquées par de très petites factions bureaucratiques hors de contrôle. La crise de Fachoda, au Sud-Soudan, impliqua une troupe insignifiante de 132 officiers et soldats français. Ces derniers, après un périple de 14 mois, étaient animés par le vain espoir d’établir une présence française d’est en ouest à travers l’Afrique (projetant ainsi de contrecarrer la vision qu’avait Rhodes d’une présence britannique s’étendant du nord au sud du continent africain). (17) Lors de ce que l’on appelle le “coup d’Agadir” (ou Panzersprung), l’arrivée provocatrice de la canonnière allemande SMS Panzer dans cette ville marocaine était une idée insensée d’un secrétaire adjoint aux Affaires étrangères ; sa principale conséquence fut de cimenter l’Entente cordiale franco-anglaise, contribuant ainsi à la défaite de l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale. (18)

    La Pax Americana à l’aune de la Pax Britannica

    Le monde n’est pas condamné à répéter la tragédie d’une guerre mondiale à l’époque de la Pax Americana. L’interdépendance globale, et par-dessus tout les communications, ont connu une importante amélioration. Nous possédons le savoir, les compétences et les motivations pour comprendre les processus historiques avec plus de maîtrise qu’auparavant. Essentiellement, il est de plus en plus évident pour une minorité globale que l’hyper-militarisme des États-Unis, justifié par des motifs sécuritaires, devient en fait une menace pour la sécurité de ce pays et du monde entier. En effet, cette tendance belliciste suscite et déclenche des guerres de plus en plus vastes – ce qui rappelle l’hyper-militarisme britannique du dix-neuvième siècle.

    Au milieu de ce déséquilibre global grandissant, il existe un motif de consolation pour le peuple des États-Unis. Puisque les causes de l’insécurité mondiale se situent de plus en plus dans leur pays, les remèdes à ce problème s’y trouvent également. Bien plus que leurs prédécesseurs britanniques, et contrairement aux autres peuples aujourd’hui, les citoyens des États-Unis ont l’opportunité de réduire les tensions globales et d’évoluer ainsi vers un ordre international plus équitable. Bien entendu, nul ne peut prédire qu’une telle restauration puisse être accomplie. Toutefois, la fin catastrophique de la Pax Britannica et le fardeau de plus en plus lourd que doivent supporter les citoyens états-uniens suggèrent qu’elle est nécessaire. En effet, l’expansionnisme unilatéral de leur pays, comme celui de la Grande-Bretagne autrefois, contribue actuellement à rompre les ententes et les arrangements juridiques internationaux qui ont apporté une relative stabilité pendant des décennies – notamment ceux de la Charte des Nations Unies.

    Il doit être clairement affirmé que l’actuel renforcement de l’appareil militaire des États-Unis est la principale cause du réarmement global. De façon préoccupante, ce processus rappelle la course aux armements alimentée par l’industrie militaire britannique, qui conduisit au coup d’Agadir en 1911 et, peu après, à la Première Guerre mondiale. Cependant, le réarmement actuel ne peut être qualifié de “course aux armements”. En effet, les États-Unis – et leurs alliés de l’OTAN, dont la politique requiert de posséder des armements compatibles –, dominent tellement le marché militaire mondial que les ventes d’armes correspondantes de la Russie et de la Chine apparaissent dérisoires en comparaison :

    «En 2010 […] les États-Unis ont maintenu leur position dominante dans la foire globale de l’armement, signant pour 21,3 milliards de dollars d’exportations d’armes, soit une part de 52,7% [du marché international] […].

    La Russie occupait la deuxième position, avec des ventes d’armements à hauteur de 7,8 milliards en 2010, soit 19,3% du marché, contre 12,8 milliards de dollars en 2009. En termes de ventes, derrière les États-Unis et la Russie, on retrouve la France, la Grande-Bretagne, la Chine, l’Allemagne et l’Italie.» (19)

    Un an plus tard, l’ampleur de l’hégémonie absolue des États-Unis dans les exportations d’armements avait plus que doublé, pour représenter 79% des ventes d’armes globales :

    « L’année dernière, les exportations d’armes des États-Unis ont totalisé 66,3 milliards [de dollars], soit plus des trois quarts du marché mondial de l’armement, estimé à 85,3 milliards en 2011. Bien qu’étant en deuxième position, la Russie était loin derrière, enregistrant des ventes à hauteur de 4,8 milliards. » (20)

    Et actuellement, quelle est la principale activité de l’OTAN nécessitant des armes ? Non pas la défense contre la Russie, mais le soutien des États-Unis pour leur guerre auto-génératrice contre le terrorisme, en Afghanistan comme autrefois en Irak. La “guerre contre la terreur” devrait être perçue comme ce qu’elle est réellement : un prétexte pour maintenir une armée US dangereusement hypertrophiée, à travers un exercice injuste du pouvoir qui s’avère de plus en plus instable.

    En d’autres termes, les États-Unis sont aujourd’hui, et de loin, le premier pays à inonder le monde avec de l’armement. Les citoyens de ce pays doivent impérativement exiger une réévaluation de ce facteur d’aggravation de la pauvreté et de l’insécurité. Nous devons nous remémorer la célèbre mise en garde d’Eisenhower en 1953, selon laquelle «[c]haque fusil qui est fabriqué, chaque navire de guerre déployé, chaque roquette tirée signifie – est, dans son sens ultime, – un vol perpétré contre ceux qui ont faim et qui ne peuvent se nourrir, contre ceux qui ont froid et qui ne peuvent se vêtir». (21)

    Il est nécessaire de rappeler que le Président Kennedy, dans son discours prononcé le 10 juin 1963 à l’American University, esquissa une vision de paix qui ne serait pas explicitement «une Pax Americana imposée au monde par les armes de guerre américaines». (22) Bien qu’éphémère, sa vision était sage. Soixante ans après la genèse du système de sécurité US – la soi-disant Pax Americana –, les États-Unis eux-mêmes se retrouvent piégés dans une situation d’insécurité psychologique de plus en plus marquée par la paranoïa. Les caractéristiques traditionnelles de la culture états-unienne, comme le respect de l’habeas corpus et du droit international, sont en train d’être abandonnées à cause d’une prétendue menace terroriste qui, pourtant, est en grande partie engendrée par les États-Unis. Et ce phénomène est observable au sein même de ce pays autant qu’à l’étranger.

    L’alliance secrète USA-Arabie

    Des 66,3 milliards de dollars d’exportations d’armes US en 2011, plus de la moitié était destinée à l’Arabie saoudite, ce qui représente 33,4 milliards de dollars. Ces ventes incluaient des dizaines d’hélicoptères de types Apache et Black Hawk qui, selon le New York Times, sont nécessaires à l’Arabie saoudite pour se défendre contre l’Iran. Néanmoins, ils correspondent davantage à l’implication croissante de ce pays dans des guerres asymétriques et agressives (par exemple en Syrie). (23)

    Ces ventes d’armes à l’Arabie saoudite n’étaient pas fortuites ; elles sont le fruit d’un accord entre les deux pays destiné à compenser l’afflux de dollars US utilisés pour payer le pétrole saoudien. Durant les chocs pétroliers de 1971 et de 1973, le Président Nixon et Henry Kissinger négocièrent un accord avec l’Arabie saoudite et l’Iran afin de payer le pétrole brut à des prix bien plus élevés, mais à condition que ces deux pays recyclent leurs pétrodollars de différentes manières – principalement par des achats d’armements US . (24)

    La richesse des États-Unis et celle de l’Arabie saoudite sont devenues plus interdépendantes que jamais, ce qui est ironique. En effet, pour reprendre les termes d’un câble diplomatique ayant fuité, «[l]es donateurs saoudiens restent les principaux financeurs de groupes extrémistes comme al-Qaïda». (25) La Rabita (ou Ligue Islamique Mondiale), lancée et massivement financée par la famille royale saoudienne, a fourni un lieu pour les rencontres internationales de salafistes mondialement actifs, incluant certains leaders d’al-Qaïda. (26)

    En résumé, les richesses générées par la relation entre les États-Unis et l’Arabie saoudite financent autant les jihadistes apparentés à al-Qaïda qui opèrent à travers le monde que les guerres auto-génératrices menées contre ces derniers par les forces US. Il en découle une militarisation croissante aussi bien à l’étranger qu’aux États-Unis, à mesure qu’apparaissent de nouveaux fronts dans la soi-disant “guerre contre la terreur” au sein de régions autrefois paisibles, telles que le Mali – cette évolution étant initialement prévisible.

    Les médias ont tendance à présenter la “guerre contre la terreur” comme un conflit opposant des gouvernements légitimes à des fondamentalistes islamistes fanatiques et hostiles à la paix. En réalité, la plupart des pays collaborent périodiquement avec les mêmes forces qu’ils combattent à d’autres occasions, et ce depuis longtemps. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ne font pas figure d’exception à cette règle.

    Aujourd’hui, la politique étrangère des États-Unis est de plus en plus chaotique, en particulier leurs opérations clandestines. Dans certains pays, notamment en Afghanistan, les États-Unis sont en train de combattre des jihadistes que la CIA avait soutenus dans les années 1980, et qui bénéficient encore du soutien de nos alliés nominaux que sont l’Arabie saoudite et le Pakistan. Dans d’autres nations, comme en Libye, les États-Unis ont apporté leur protection et leur appui indirect au même genre d’islamistes. Il existe également des pays, notamment le Kosovo, au sein desquels les États-Unis ont aidé les fondamentalistes à accéder au pouvoir. (27)

    Au Yémen, les autorités US ont concédé que leurs clients y soutenaient des jihadistes. Comme l’a rapporté l’universitaire Christopher Boucek il y a quelques années, s’exprimant devant la fondation Carnegie Endowment of International Peace,

    « [l]’extrémisme islamiste au Yémen résulte d’un processus long et complexe. Dans les années 1980, un grand nombre de Yéménites ont participé au jihad antisoviétique en Afghanistan. Après la fin de l’occupation soviétique, le gouvernement yéménite encouragea ses citoyens à revenir, et il permit également aux vétérans étrangers de s’installer au Yémen. La plupart de ces Arabes afghans furent cooptés par le régime et intégrés au sein des différentes administrations sécuritaires de l’État. Ce genre de cooptation fut également mené au profit d’individus emprisonnés par le gouvernement yéménite après les attaques terroristes du 11-Septembre. Dès 1993, dans un rapport des renseignements aujourd’hui déclassifié, le Département d’État US avait relevé que le Yémen était en train de devenir un important point de chute pour de nombreux combattants ayant quitté l’Afghanistan. Ce rapport assurait également que le gouvernement yéménite était soit réticent, soit incapable de restreindre leurs activités. Durant les années 1980 et 1990, l’islamisme et les activités qui en résultaient furent utilisés par le régime afin de supprimer les opposants intérieurs. Par ailleurs, durant la guerre civile de 1994, les islamistes combattirent les forces du sud.» (28)

    En mars 2011, ce même universitaire observa que la guerre des États-Unis contre le terrorisme avait eu comme résultat de soutenir un gouvernement impopulaire, l’aidant ainsi à éviter de mettre en œuvre des réformes nécessaires :

    «Eh bien, je pense qu’en ce qui concerne – que notre politique au Yémen a été [exclusivement centrée sur] le terrorisme – [qu’elle s’est focalisée sur] le terrorisme et la sécurité et al-Qaïda dans la péninsule arabique [AQPA], excluant quasiment tout le reste. Je pense que malgré ce que – ce que disent les gens dans l’administration, nous sommes concentrés sur le terrorisme –. Nous n’avons pas porté notre attention sur les défis systémiques que doit affronter le Yémen : le chômage, les abus dans la gouvernance, la corruption. Je pense que ce sont les facteurs qui conduiront à l’effondrement de l’État. Ce n’est pas AQPA. […] [T]out le monde au Yémen voit que nous soutenons [ces] régimes, aux dépens du peuple yéménite.» (29)

    Dans des termes plus abrupts, la « guerre contre la terreur » des États-Unis est l’une des principales raisons expliquant pourquoi le Yémen, comme d’autres pays, reste sous-développé et demeure un terrain fertile pour le terrorisme jihadiste.

    Mais la politique étrangère des États-Unis, dans les domaines sécuritaires, n’est pas la seule à contribuer à la crise yéménite. L’Arabie saoudite a des intérêts dans le renforcement de l’influence jihadiste au sein du Yémen républicain. Ce fut le cas depuis les années 1960, lorsque la famille royale saoudienne eut recours à des tribus conservatrices des collines du nord du Yémen afin de repousser une attaque contre le sud de l’Arabie saoudite par le gouvernement yéménite – républicain et soutenu par Nasser. (30)

    Ces machinations des différents gouvernements et de leurs agences de renseignement peuvent créer des situations d’une obscurité impénétrable. Par exemple, comme l’a rapporté le sénateur John Kerry, l’un des principaux leaders d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) «est un citoyen saoudien qui a été rapatrié en Arabie saoudite au mois de novembre 2007 [après avoir été emprisonné à] Guantanamo[,] et qui a repris des activités radicales [au Yémen] après avoir suivi un parcours de réhabilitation dans son pays.» (31)

    Comme d’autres nations, les États-Unis peuvent être amenés à nouer des ententes avec les jihadistes d’al-Qaïda pour les aider à combattre dans des zones d’intérêt mutuel à l’étranger, comme en Bosnie. La condition de cette collaboration est que ces terroristes ne se retournent pas contre eux. Cette pratique a clairement contribué à l’attentat à la bombe de 1993 contre le World Trade Center, lorsqu’au moins deux de ses auteurs avaient été mis à l’abri de toute arrestation. Ils furent ainsi protégés par les autorités US car ils participaient à un programme basé au centre al-Kifah de Brooklyn, qui visait à préparer des islamistes à la guerre en Bosnie. En 1994, au Canada, le FBI assura la libération d’Ali Mohamed, un agent double des États-Unis et d’al-Qaïda opérant au sein du centre al-Kifah. Peu après, Mohamed se rendit au Kenya où, selon le Rapport de la Commission sur le 11-Septembre, il “dirigea” les organisateurs de l’attentat de 1998 contre l’ambassade des États-Unis à Nairobi. (32)

    Le soutien de l’Arabie saoudite aux terroristes

    Dans ce sombre jeu, le plus important acteur est probablement l’Arabie saoudite. En effet, ce pays n’a pas seulement exporté des jihadistes aux quatre coins du globe, mais il les a également financés – comme nous l’avons vu précédemment –, parfois en coordination avec les États-Unis. Un article sur les fuites des transmissions diplomatiques états-uniennes, paru en 2010 dans le New York Times, révélait en citant l’un de ces câbles que «[l]es donateurs saoudiens restent les principaux financeurs de groupes extrémistes comme al-Qaïda». (33)

    En 2007, le Sunday Times rapporta également que

    « […] les riches Saoudiens restent les principaux financeurs des réseaux terroristes internationaux. ‘Si je pouvais en quelques sortes claquer des doigts et couper les subventions [des activités terroristes] par un pays, je viserais l’Arabie saoudite’ déclara Stuart Levey, le fonctionnaire du Département du Trésor américain chargé de surveiller le financement du terrorisme. » (34)

    Selon Rachel Ehrenfeld, des rapports similaires, faisant état d’un financement saoudien du terrorisme, ont émané des autorités irakiennes, pakistanaises et afghanes :

    «En 2009, la police pakistanaise a rapporté que les organisations caritatives saoudiennes continuaient de financer al-Qaïda, les Talibans et le Lashkar-e-Taiba. Selon ce rapport, les Saoudiens ont donné 15 millions de dollars aux jihadistes, incluant les responsables des attaques suicides au Pakistan et de la mort de Benazir Bhutto, l’ancien Premier ministre pakistanais.

    En mai 2010, Buratha News Agency, une source journalistique indépendante basée en Irak, parla d’«un document des renseignements saoudiens ayant fuité. Celui-ci

    démontrait un soutien continu d’al-Qaïda en Irak par le gouvernement d’Arabie saoudite. Ce soutien prenait la forme d’argent liquide et d’armes. […] Un article paru le 31 mai 2010 dans The Sunday Times de Londres a révélé que, selon le pôle financier du renseignement afghan (FinTRACA), au moins 1,5 milliards de dollars venant d’Arabie saoudite avaient pénétré clandestinement en Afghanistan depuis 2006. Cet argent était très probablement destiné aux Talibans.» (35)

    Cependant, selon le Times, le soutien saoudien en faveur d’al-Qaïda ne se limitait pas au financement :

    « Ces derniers mois, des prédicateurs saoudiens ont provoqué la consternation en Irak et Iran après avoir publié des fatwas appelant à la destruction des grands mausolées chiites à Nadjaf et à Kerbala, en Irak – certains ayant déjà été ciblés par des attentats à la bombe –. Et tandis que des membres importants de la dynastie régnante des Saoud expriment régulièrement leur aversion pour le terrorisme, certains responsables qui défendent l’extrémisme sont tolérés au sein du royaume.

    En 2004, le cheikh Saleh al-Luhaidan, le haut magistrat qui supervise les procès relatifs au terrorisme, fut enregistré dans une mosquée alors qu’il encourageait les hommes [suffisamment] jeunes à combattre en Irak. ‘Aujourd’hui, pénétrer sur le sol irakien est devenu risqué’, mit-t-il en garde. ‘Il faut éviter ces satellites maléfiques et ces drones aériens, qui occupent chaque parcelle du ciel irakien. Si quelqu’un se sent capable d’entrer en Irak afin de rejoindre le combat, et si son intention est de faire triompher la parole de Dieu, alors il est libre de le faire.’ » (36)

    L’exemple du Mali

    Aujourd’hui, un processus comparable est en train de dérouler en Afrique, où le fondamentalisme wahhabite saoudien « s’est répandu ces dernières années au Mali[,] par le biais de jeunes imams revenant de leurs études [religieuses suivies] dans la péninsule arabique. » (37) La presse internationale, incluant Al-Jazira, a rapporté la destruction de mausolées historiques par des jihadistes locaux :

    «Selon des témoins, deux mausolées de l’ancienne mosquée de terre [du cimetière] de Djingareyber, à Tombouctou, ont été détruits par des combattants d’Ansar Dine, un groupe lié à al-Qaïda qui contrôle le nord du Mali. Ce site classé au patrimoine mondial [de l’UNESCO] est donc menacé. […] Cette nouvelle démolition survient après les attaques de la semaine dernière contre d’autres monuments historiques et religieux de Tombouctou, actions qualifiées de ‘destruction insensée’ par l’UNESCO. Ansar Dine a déclaré que les anciens mausolées étaient ‘haram’, ou interdits par l’Islam. La mosquée de Djingareyber est l’une des plus importantes à Tombouctou, et elle a été l’une des principales attractions de cette ville légendaire avant que la région ne devienne une zone interdite pour les touristes. Ansar Dine a juré de continuer à détruire tous les mausolées ‘sans exception’, au beau milieu d’un déferlement de tristesse et d’indignation aussi bien au Mali qu’à l’étranger.» (38)

    Néanmoins, les auteurs de la plupart de ces récits – y compris celui d’Al-Jazira –, n’ont pas souligné le fait que la destruction des tombeaux avait été une vieille pratique wahhabite, pas seulement soutenue mais perpétrée par le gouvernement saoudien :

    «Entre 1801 et 1802, sous le règne d’Abdelaziz ben Mohammed ben Saoud, les wahhabites saoudiens attaquèrent et envahirent les villes saintes de Kerbala et de Nadjaf, en Irak. Ils y massacrèrent une partie de la population musulmane et y détruisirent les tombeaux d’Husayn ibn Ali, le petit fils de Mahomet et le fils d’Ali (Ali ibn Abi Talib, le gendre de Mahomet). Entre 1803 et 1804, les Saoudiens s’emparèrent de La Mecque et de Médine où ils démolirent des monuments historiques, ainsi que divers sites et lieux saints musulmans – tels que le mausolée construit sur le tombeau de Fatima, la fille de Mahomet –. Ils avaient même l’intention de démolir la tombe de Mahomet lui-même, la jugeant idolâtre. En 1998, les Saoudiens détruisirent au bulldozer et brulèrent la tombe d’Amina bint Wahb, la mère de Mahomet, provoquant l’indignation à travers le monde musulman.» (39)

    Une opportunité pour la paix

    Aujourd’hui, nous devons établir une distinction entre le royaume d’Arabie saoudite et le wahhabisme promu par de hauts dignitaires religieux saoudiens et par certains membres de la famille royale. En particulier, le roi Abdallah a tendu la main à d’autres religions, visitant le Vatican en 2007 et encourageant la tenue d’une conférence interconfessionnelle avec des responsables chrétiens et juifs, qui s’est déroulée l’année suivante.

    En 2002, alors qu’il était prince héritier, Abdallah fit également une proposition pour parvenir à la paix entre Israël et ses voisins lors d’un sommet des nations de la Ligue arabe. Son plan, qui a été soutenu à de nombreuses reprises par les gouvernements de cette organisation, appelait à la normalisation des relations entre l’ensemble des pays arabes et Israël, en échange d’un retrait complet des territoires occupés (incluant Jérusalem-Est) ainsi que d’un “règlement équitable” de la crise des réfugiés palestiniens basé sur la Résolution 194 de l’ONU. En 2002, ce plan a été rejeté par Ariel Sharon, alors Premier ministre d’Israël, ainsi que par George W. Bush et Dick Cheney, qui étaient déterminés à entrer en guerre contre l’Irak. Néanmoins, comme l’a relevé David Ottaway du Woodrow Wilson Center,

    «Le plan de paix proposé par Abdallah en 2002 reste une fascinante base pour une possible coopération entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sur la question israélo-palestinienne. La proposition d’Abdallah fut soutenue par l’ensemble de la Ligue arabe durant son sommet de 2002 ; Le Président israélien Shimon Peres et [celui qui était alors le Premier ministre Ehud] Olmert en ont parlé favorablement ; et Barack Obama, qui avait choisi la chaîne de télévision saoudienne Al-Arabiya pour sa première interview après sa prise de fonction, félicita Abdallah pour le “grand courage” dont il avait fait preuve en élaborant cette proposition de paix. Toutefois, Benjamin Netanyahou, qui est pressenti pour être le nouveau Premier ministre israélien, s’est fermement opposé à ce plan saoudien, en particulier à l’idée que Jérusalem-Est devrait être la capitale d’un État palestinien. » (40)

    En 2012, ce plan est gelé, Israël laissant transparaître sa volonté d’action armée contre l’Iran et les États-Unis étant paralysés par une année électorale. Cependant, le Président israélien Shimon Peres a accueilli favorablement cette initiative en 2009 ; et George Mitchell, lorsqu’il était l’envoyé spécial du Président Obama au Moyen-Orient, annonça cette même année que l’administration Obama avait l’intention d’“incorporer” cette initiative dans sa politique moyen-orientale. (41)

    Ces soutiens ainsi exprimés démontrent qu’un accord de paix au Moyen-Orient est théoriquement possible. Toutefois, ils sont loin de rendre probable son application. En effet, tout accord de paix nécessiterait la confiance mutuelle, mais il est difficile d’y parvenir lorsqu’un sentiment d’insécurité quant à l’avenir de sa propre nation hante chacune des parties. Certains commentateurs pro-sionistes tels que Charles Krauthammer rappellent que, durant les 30 années précédant les accords de Camp David, la destruction d’Israël était «le but unanime de la Ligue arabe». (42) De nombreux Palestiniens, ainsi que la majeure partie du Hamas, craignent qu’un accord de paix soit insatisfaisant et qu’il étoufferait en réalité leurs aspirations à un règlement équitable des différends.

    Au Moyen-Orient, l’insécurité est particulièrement répandue à cause d’un ressentiment largement partagé. Celui-ci est engendré par l’injustice, elle-même alimentée et propagée par l’insécurité. L’actuel statu quo international trouve ses principales origines dans les injustices. Mais celle qui touche le Moyen-Orient s’avère – dans tous ses aspects – extrême, récente et permanente. Je le signale simplement pour donner ce conseil aux États-Unis : il faut se souvenir que les questions de sécurité et de justice ne peuvent être traitées séparément.

    Par-dessus tout, il nous faut faire preuve de compassion. En tant qu’Américains, nous devons comprendre que les Israéliens autant que les Palestiniens vivent dans des conditions proches d’un état de guerre ; pourtant, ces deux peuples ont des raisons de craindre qu’un accord de paix puisse les laisser dans une situation encore pire que celle où ils se trouvent actuellement. Trop de civils innocents ont été tués au Moyen-Orient. Il faudrait que les actions des États-Unis n’aggravent pas ce lourd bilan humain.

    Ce sentiment d’insécurité, qui est le principal obstacle à la paix, ne se limite pas au Moyen-Orient. Depuis le 11-Septembre, le peuple des États-Unis a ressenti l’angoisse de l’insécurité, et c’est la principale raison expliquant pourquoi il oppose si peu de résistance aux folies évidentes de la “guerre contre la terreur” de Bush, Cheney et Obama.

    Ceux qui mènent cette guerre promettent de faire des États-Unis un endroit plus sûr. Pourtant, celle-ci continue d’assurer la prolifération des terroristes censés être les ennemis de l’Amérique. Elle continue également de disséminer la guerre à travers de nouveaux champs de bataille, notamment au Pakistan ou au Yémen. Générant ainsi ses propres ennemis, il semble probable que la “guerre contre la terreur” se poursuive sans relâche, puisqu’elle est aujourd’hui solidement enracinée dans l’inertie bureaucratique. De ce fait, elle ressemble beaucoup à la “guerre contre la drogue”, une politique irréfléchie qui maintient à un niveau élevé les coûts et les revenus narcotiques, ce qui attire de nouveaux trafiquants.

    Par ailleurs, cette guerre contre le terrorisme amplifie surtout l’insécurité chez les musulmans, sachant qu’ils sont de plus en plus nombreux à affronter la crainte que des civils, et pas seulement des terroristes jihadistes, soient victimes d’attaques de drones. L’insécurité dans le Moyen-Orient est le principal obstacle à la paix dans cette région. Les Palestiniens vivent avec la peur quotidienne de l’oppression par les colons de Cisjordanie ainsi que des représailles de l’État hébreu. Les Israéliens vivent en craignant constamment leurs voisins hostiles. La famille royale saoudienne partage cette crainte. Ainsi, depuis le 11-Septembre et le déclenchement de la “guerre contre la terreur”, l’insécurité et l’instabilité se sont simultanément amplifiées.

    L’insécurité moyen-orientale se répercute sur une échelle de plus en plus vaste. La peur d’Israël vis-à-vis de l’Iran et du Hezbollah trouve son écho dans la crainte iranienne d’attaques massives contre ses installations nucléaires, du fait des menaces israéliennes. Par ailleurs, d’anciens faucons états-uniens comme Zbigniew Brzezinski ont récemment averti qu’une attaque israélienne contre l’Iran pouvait aboutir à une guerre plus longue qu’annoncé – ce conflit pouvant s’étendre à d’autres pays. (43)

    Selon moi, les citoyens des États-Unis devraient surtout craindre l’insécurité engendrée par les attaques de drones menées par leur pays. Si elles ne sont pas rapidement stoppées, ces frappes risquent d’avoir le même résultat que les attaques nucléaires US de 1945 : nous conduire vers un monde où de nombreuses puissances, et non plus une seule, possèdent cette arme. Elles pourraient alors être amenées à l’utiliser. Dans ce cas, les États-Unis seraient de loin la nouvelle cible la plus probable.

    Je me demande combien de temps faudra-t-il aux citoyens de ce pays pour comprendre le cours prévisible de cette guerre auto-génératrice, et pour qu’ils se mobilisent contre celle-ci en constituant une force prévalente.

    Que doit-on faire ?

    En utilisant l’analogie des erreurs britanniques de la fin du dix-neuvième siècle, cet article a défendu un retour progressif vers un ordre international plus stable et plus juste par une série d’étapes concrètes, dont certaines sont graduelles :

     

    1) Une réduction progressive des énormes budgets de la défense et du renseignement. Elle s’ajouterait alors à celle qui est actuellement envisagée pour des raisons financières, et elle devrait être de plus grande ampleur.

    2) Une suppression graduelle des aspects violents de la soi-disant “guerre contre la terreur”, mais un maintien des moyens policiers traditionnels de lutte contre le terrorisme.

    3) La récente intensification du militarisme US peut être attribuée en grande partie à l’“état d’urgence” décrété le 14 septembre 2001, et renouvelé chaque année depuis cette date par les présidents des États-Unis successifs. Cet état d’urgence doit être immédiatement interrompu, et ce que l’on appelle les mesures de “continuité du gouvernement” (COG pour Continuity of Government) qui lui sont associées doivent être réévaluées. Elles incluent la surveillance et les détentions sans mandats, ainsi que la militarisation de la sécurité intérieure aux États-Unis. (44)

    4) Un retour aux stratégies qui dépendent essentiellement de la police civile et du renseignement pour traiter le problème du terrorisme.

    Quarante ans plus tôt, j’en aurais appelé au Congrès pour qu’il entreprenne ces démarches nécessaires à dissiper l’état de paranoïa dans lequel nous vivons actuellement. Aujourd’hui, j’en suis arrivé à penser que cette institution est elle-même dominée par les cercles de pouvoir qui tirent profit de ce que j’ai nommé la Machine de guerre globale des États-Unis. Dans ce pays, les soi-disant “hommes d’État” sont autant impliqués dans le maintien de la suprématie de leur nation que ne l’étaient leurs prédécesseurs britanniques.

    Toutefois, mentionner cela ne revient pas à désespérer de la capacité qu’ont les États-Unis à changer de direction. Nous devrions garder à l’esprit que les protestations politiques intérieures ont joué un rôle déterminant pour stopper une guerre injustifiée au Vietnam il y a quarante ans. Il est vrai qu’en 2003, des manifestations comparables – impliquant un million de personnes aux États-Unis – n’ont pas suffi à empêcher l’entrée de leur pays dans une guerre illégale en Irak. Néanmoins, ce grand nombre de manifestants, rassemblés dans une période relativement courte, était impressionnant. La question est aujourd’hui de savoir si les militants peuvent adapter leurs tactiques aux nouvelles réalités afin de monter une campagne de protestation durable et efficace.

    Pendant quarante ans, sous l’apparence de la planification pour la continuité du gouvernement (COG), La Machine de guerre américaine s’est préparée à neutraliser les manifestations urbaines contre la guerre. En comprenant ce processus, et en utilisant l’exemple des folies de l’hyper-militarisme britannique, les mouvements antiguerre actuels doivent apprendre à exercer des pressions coordonnées au sein des institutions des États-Unis – pas seulement en “occupant” les rues avec l’aide des sans-abri –. Il ne suffit pas de dénoncer les disparités de revenus croissantes entre les riches et pauvres, comme le faisait Winston Churchill en 1908. Nous devons aller plus loin afin de comprendre que les origines de ces inégalités résident dans des arrangements institutionnels qui peuvent être corrigés – bien que les institutions soient dysfonctionnelles –. Et l’un des principaux arrangements dont il est ici question est la soi-disant “guerre contre la terreur”.

    Il est impossible de prédire le succès d’un tel mouvement. Mais je crois que les développements globaux persuaderont un nombre croissant de citoyens des États-Unis que celui-ci est nécessaire. Il devrait rassembler un large éventail de l’électorat, des lecteurs progressistes de ZNet et de Democracy Now aux partisans libertariens de Murray Rothbard et de Ron Paul.

    Et je crois également qu’une minorité antiguerre bien coordonnée et non-violente peut l’emporter. Elle regrouperait entre deux et cinq millions de personnes, leur action s’appuyant sur les ressources de la vérité et du bon sens. Aujourd’hui, les institutions politiques clés des États-Unis sont à la fois dysfonctionnelles et impopulaires. En particulier, le Congrès a un taux d’approbation d’environ 10%. La résistance acharnée du monde de la richesse personnelle et entrepreneuriale face aux réformes raisonnables est un problème encore plus grave ; mais plus les riches montrent ouvertement leur influence antidémocratique, plus la nécessité de restreindre leurs abus deviendra évidente. Récemment, ils ont ciblé des membres du Congrès pour les exclure de cette institution, ces derniers étant « coupables » de s’être compromis pour résoudre des problèmes gouvernementaux. Dans ce pays, il existe certainement une majorité de citoyens à mobiliser pour que l’on en revienne à la défense du bien commun.

    De nouvelles stratégies et techniques de protestation seront clairement nécessaires. Le but de cet article n’est pas de les définir. Toutefois, il est à prévoir que les futures manifestations – ou cyber-manifestations – feront un usage plus habile d’Internet.

    Encore une fois, nul ne peut prédire avec confiance la victoire dans cette lutte pour le bien commun contre les intérêts particuliers et les idéologues ignorants. Mais avec le danger croissant d’un conflit international désastreux, la nécessité de se mobiliser pour défendre l’intérêt général est de plus en plus évidente. L’étude de l’Histoire est l’un des meilleurs moyens d’éviter sa répétition.

    Ces espoirs de voir émerger un mouvement de protestation sont-ils irréalistes ? Très probablement. Mais quoi qu’il en soit, je suis convaincu que ce mouvement est nécessaire. 

    Peter Dale Scott http://euro-synergies.hautetfort.com/

    lire : La Machine de guerre américaine, de Peter Dale Scott,

    Notes

    1. Oliver Villar et Drew Cottle, MI>Cocaine, Death Squads, and the War on Terror: U.S. Imperialism and Class Struggle in Colombia (Monthly Review Press, New York, 2011) ; Peter Watt et Roberto Zepeda, Drug War Mexico: Politics, Neoliberalism and Violence in the New Narcoeconomy (Zed Books, Londres, 2012) ; Mark Karlin, « How the Militarized War on Drugs in Latin America Benefits Transnational Corporations and Undermines Democracy », Truthout, 5 août 2012.

    2. Peter Dale Scott, La Machine de guerre américaine : la Politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan… (Éditions Demi-Lune, Plogastel Saint-Germain, 2012), pp.317-41.

    3. Patrick Cockburn, «Opium: Iraq’s deadly new export», Independent (Londres), 23 mai 2007.

    4. Scott, La Machine de guerre américaine, pp.204-12.

    5. Voir Mark Karlin, « How the Militarized War on Drugs in Latin America Benefits Transnational Corporations and Undermines Democracy», Truthout, 5 août 2012.

    6. Sekhara Bandyopadhyaya, From Plassey to Partition: A History of Modern India (Orient Longman, New Delhi, 2004), p.231.

    7. Kevin Phillips, Wealth and Democracy: A Political History of the American Rich (Broadway Books, New York, 2002), p.185.

    8. « Les graines de la ruine impériale et du déclin national – le fossé anormal entre les riches et les pauvres […] la croissance fulgurante d’un luxe vulgaire et oisif – sont les ennemis de la Grande-Bretagne » (Winston Churchill, cité dans Phillips, Wealth and Democracy, p.171).

    9. John A. Hobson, Imperialism (Allen and Unwin, Londres, 1902 ; réimpression de 1948), p.6. À cette époque, le principal impact de ce livre en Grande-Bretagne fut de stopper définitivement la carrière d’économiste de John A. Hobson.

    10. Hobson, Imperialism, p.12. Cf. Arthur M. Eckstein, « Is There a ‘Hobson–Lenin Thesis’ on Late Nineteenth-Century Colonial Expansion? », Economic History Review, mai 1991, pp.297-318 ; voir en particulier pp.298-300.

    11. Peter Dale Scott, «The Doomsday Project, Deep Events, and the Shrinking of American Democracy, Asia-Pacific Journal: Japan Focus, 21 janvier 2011.

    12. Voir Ralph Raico, Introduction, Great Wars and Great Leaders: A Libertarian Rebuttal (Mises Institute, Auburn, AL, 2010).

    13. Carroll Quigley, Tragedy and Hope: A History of the World in Our Time (G,S,G, & Associates, 1975) ; Carroll Quigley, The Anglo-American Establishment (GSG Associates publishers, 1981). Discussion dans Laurence H. Shoup et William Minter, The Imperial Brain Trust: The Council on Foreign Relations & United States Foreign Policy (Monthly Review Press, New York, 1977), pp.12-14 ; Michael Parenti, Contrary Notions: The Michael Parenti Reader (City Lights Publishers, San Francisco, CA, 2007), p.332.

    14. Au sujet des intérêts – peu remarqués par les observateurs –, des compagnies pétrolières dans les champs pétrolifères offshore du Cambodge, voir Peter Dale Scott, The War Conspiracy: JFK, 9/11, and the Deep Politics of War (Mary Ferrell Foundation, Ipswich, MA, 2008), pp.216-37.

    15. Thomas Pakenham, Scramble for Africa: The White Man’s Conquest of the Dark Continent from 1876-1912 (Random House, New York, 1991).

    16. Voir les différents livres de Barbara Tuchman, notamment The March of Folly: From Troy to Vietnam (Knopf, New York, 1984).

    17. Pakenham, ibidem.

    18. E. Oncken, Panzersprung nach Agadir. Die deutsche Politik wtihrend der zweiten Marokkokrise 1911 (Dusseldorf, 1981). En allemand, l’expression Panzersprung est devenue une métaphore pour toute démonstration gratuite de diplomatie de la canonnière.

    19. Thom Shanker, «Global Arms Sales Dropped Sharply in 2010, Study Finds», New York Times, 23 septembre 2011.

    20. Thom Shanker, «U.S. Arms Sales Make Up Most of Global Market», New York Times, 27 août 2012.

    21. Stephen Ambrose, Eisenhower: Soldier and President (Simon and Schuster, New York, 1990), p.325.

    22. Robert Dallek, An unfinished life: John F. Kennedy, 1917-1963 (Little, Brown and Co., Boston, 2003.), p.50.

    23. Shanker, «U.S. Arms Sales Make Up Most of Global Market», New York Times, 27 août 2012.

    24. Peter Dale Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial : 50 ans d’ambitions secrètes des Etats-Unis, (Éditions Demi-Lune, Paris, 2010), pp.66-72.

    25. Scott Shane et Andrew W. Lehren, «Leaked Cables Offer Raw Look at U.S. Diplomacy», New York Times, 29 novembre 2010. Cf. Nick Fielding et Sarah Baxter, «Saudi Arabia is hub of world terror: The desert kingdom supplies the cash and the killers», Sunday Times (Londres), 4 novembre 2007.

    26. Les Nations Unies ont listé les antennes de l’International Islamic Relief Organization (l’IIRO, une filiale de la Rabita) en Indonésie et aux Philippines comme propriétés ou partenaires d’al-Qaïda.

    27. Voir Peter Dale Scott, «La Bosnie, le Kosovo et à présent la Libye : les coûts humains de la collusion perpétuelle entre Washington et les terroristes», Mondialisation.ca, 17 octobre 2011 ; voir également William Blum, «The United States and Its Comrade-in-Arms, Al Qaeda», Counterpunch, 13 août 2012.

    28. Christopher Boucek, «Yemen: Avoiding a Downward Spiral», Carnegie Endowment for International Peace, p.12.

    29. « In Yemen, ‘Too Many Guns and Too Many Grievances’ as President Clings to Power», PBS Newshour, 21 mars 2011.

    30. Robert Lacey, The Kingdom: Arabia and the House of Sa’ud (Avon, New York, 1981), pp.346-47, p.361.

    31. John Kerry, Al Qaeda in Yemen and Somalia: A Ticking Time Bomb: a Report to the Committee on Foreign Relations (U.S. G.P.O., Washington, 2010), p.10.

    32. Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, pp.214-20.

    33. Scott Shane et Andrew W. Lehren, «Leaked Cables Offer Raw Look at U.S. Diplomacy», New York Times, 29 novembre 2010.

    34. Nick Fielding et Sarah Baxter, «Saudi Arabia is hub of world terror: The desert kingdom supplies the cash and the killers», Sunday Times (Londres), 4 novembre 2007 : « Des religieux extrémistes envoient une multitude de recrues dans certains des points chauds les plus violents au monde. Une analyse de NBC News suggère que les Saoudiens représentent 55% des combattants étrangers en Irak. On les retrouve également parmi les plus intransigeants et les plus militants. »

    35. Rachel Ehrenfeld, «Al-Qaeda’s Source of Funding from Drugs and Extortion Little Affected by bin Laden’s Death», Cutting Edge, 9 mai 2011.

    36. Sunday Times (Londres), 4 novembre 2007.

    37. BBC, 17 juillet 2012,. 

    38. Al-Jazira, 19 juillet 2012.

    39. The Weekly Standard, 30 mai 2005. Cf. Newsweek, 30 mai 2005. Adapté d’Hilmi Isik, Advice for the Muslim (Hakikat Kitabevi, Istanbul).

    40. David Ottaway, «The King and Us: U.S.-Saudi Relations in the Wake of 9/11», Foreign Affairs, mai-juin 2009.

    41. Barak Ravid, «U.S. Envoy: Arab Peace Initiative Will Be Part of Obama Policy», Haaretz, 5 avril 2009. David Ottaway, «The King and Us: U.S.-Saudi Relations in the Wake of 9/11», Foreign Affairs, mai-juin 2009.

    42. Charles Krauthammer, «At Last, Zion: Israel and the Fate of the Jews», Weekly Standard, 11 mai 1998.

    43. «Nous n’avons aucune idée de comment finirait une telle guerre», déclara [Brzezinski]. «L’Iran a des moyens militaires, il pourrait riposter en déstabilisant l’Irak» (Salon 14 mars 2012).

    44. Voir Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, pp.257-331 ; Peter Dale Scott, «La continuité du gouvernement étasunien: L’état d’urgence supplante-t-il la Constitution? », Mondialisation.ca, 6 décembre 2010.

  • Inde : L’autre géant asiatique en devenir

    Si l’Inde a traversé une mauvaise passe en 2012 avec une croissance à 5,5% plus faible que les années précédentes, elle compte bien se reprendre, et très rapidement. Le Premier ministre indien Manmohan Singh a ainsi lancé un “processus de relance” de l’économie.

    C’est vrai, l’Inde vient de traverser une mauvaise passe en 2012. Complexité bureaucratique, hiérarchisation de la société, clientélisme et au final immobilisme du pouvoir… Tous ces maux se sont brutalement retrouvés en première page de nos journaux. Résultat, la croissance indienne devrait tomber à 5,5% cette année, contre 6,5% en 2011, et loin des 8-9% des années précédentes.

    Pourtant les pronostics sur la fin du “miracle” indien étaient prématurés. L’Inde a d’abord été victime de son modèle économique. Fournisseur de services informatiques pour les firmes occidentales, le ralentissement de ses clients a mécaniquement fait plonger les bénéfices. Or 56% du bénéfice indien provient des services.

    En Inde plus qu’ailleurs, c’est l’État qui tient entre ses mains le potentiel de croissance du pays. Or depuis quelques semaines, le gouvernement s’est saisi à nouveau des rennes de l’économie et a décidé de repartir au galop. Objectif : lancer une nouvelle phase de réforme.

    Manmohan Singh I, II, III, IV…

    Comme le rappellent les analystes de Gavekal, peu suspects de verser dans l’interventionnisme étatique, “la politique est cruciale en Inde, car toute les poussées de croissance ont été précédées d’un train de réformes”.

    Si Gavekal cite les réformes entreprises après la crise asiatique de 1997, on peut remonter jusqu’au début des années 1990 pour trouver le premier exemple de ce lien. Après une grave crise de paiement en 1991, l’Inde a décidé de se réformer en profondeur pour poser les jalons du pays libéral et innovant que nous connaissons aujourd’hui.

    Si le politique précède les réformes économiques, on peut même ajouter qu’un homme précède le politique, Manmohan Singh. Déjà à l’oeuvre en 1991 comme ministre des Finances, c’est en tant que Premier ministre qu’il vient de lancer un “processus de relance” de l’économie selon ses propres termes. Trois secteurs sont concernés.

    * La réforme fiscale

    L’État veut retrouver un équilibre budgétaire. Pour se faire, le Premier ministre a annoncé plusieurs changements fiscaux. Les subventions, par exemple au carburant diesel, seront abaissées, et les impôts seront probablement augmentés. Comme le résume le Premier ministre, “nous allons accélérer le processus de désinvestissement, ce qui ranimera également notre marché boursier“.

    * Une plus grande ouverture aux investissements

    La chambre basse indienne a voté en début de mois une loi relevant le plafond du droit de vote des actionnaires. Apparemment anodine, cette loi va pourtant avoir “un impact positif sur le drainage des fonds” pour SMC Global Securities.

    * La libéralisation de l’économie

    C’est peut-être le secteur le plus médiatisé. Les investisseurs avaient poussé des cris d’orfraie en début d’année lorsque le gouvernement n’avait pas réussi à ouvrir le marché de la distribution. C’est désormais chose faite. Dans les mois à venir, d’autres secteurs devraient être libéralisés, comme l’assurance ou l’aviation. L’État devrait également vendre ses participations dans plusieurs secteurs. Ce mois-ci, l’État a vendu 10% des parts du premier producteur de minerai de fer indien, NMDC. Ce type d’opération devrait se multiplier jusqu’en mars.

    Comme l’a annoncé Manmohan Singh, “les mesures que nous avons prises ne sont que le début d’un processus de relance de notre économie qui consiste à ramener le taux de croissance à 8 ou 9%“. Or tout porte à croire que ces mesures seront pérennisées dans le temps, pour deux raisons.

    La croissance, un objectif politique…

    On peut se demander si le Premier ministre indien n’a pas choisi le timing de la réforme en fonction de pures considérations politiques. Car les réformes votées actuellement ne commenceront à produire des effets que l’année prochaine, voire en 2014… l’année des élections nationales. En tout cas, il est clair que la croissance sera au coeur de l’élection, raison de croire à son redressement, au moins jusqu’à cette échéance.

    … menée avec une rigueur d’économiste allemand

    C’est peut-être le tournant le plus important au sein de l’économie indienne. La Banque centrale indienne a refusé d’abaisser ses taux directeurs ce mois-ci, arguant que l’inflation était encore trop haute. A l’heure où d’autres pays émergents, à l’instar du Brésil, ont choisi l’outil de la relance budgétaire pour faire repartir leur économie, l’Inde montre une étonnante rigueur. Cette orthodoxie est le gage d’une croissance de long terme.

    Atlantico  http://fortune.fdesouche.com

  • Iran : Doit-on diaboliser la République Islamique ?

    Depuis plusieurs mois, l’Iran défie la communauté internationale avec le développement de son programme nucléaire. Les Iraniens affirment que ce programme est civil, les Occidentaux les soupçonnent de vouloir la bombe. Selon la doctrine stratégique de sécurité nationale des États-Unis, l’Iran est devenu “le pays le plus menaçant“, clairement l’ennemi numéro Un. Mais l’Iran ne se laisse pas intimider et multiplie, par la voix de son président, les provocations à l’égard des États-Unis et le reste du monde. Un reportage qui donne une autre image de l’Iran et qui rappelle comment ce pays a investi 1 milliard d’euros dans le nucléaire Français… que la France n’a jamais remboursé.

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  • Ce pauvre Obama n'a toujours rien compris à la guerre en Afghanistan

    Dès son entrée à la Maison-Blanche, le 20 janvier 2009, Barack Obama prétendait que l'Afghanistan serait sa «priorité», mais dix-huit mois plus tard force est de constater que le président américain, auquel fut décerné un peu vite le prix Nobel de la paix au mois de décembre, n'a toujours rien compris de la guerre dans ce pays. Après avoir tergiversé de longs mois avant de prendre finalement la décision le 1er décembre dernier d'y envoyer d'importants renforts de troupes afin de tenter d'inverser le cours des événements sur le terrain, comme le lui réclamait ouvertement le général Stanley McChrystal, auquel il avait confié le 1er juin précédent le double commandement de l'opération « Enduring freedom » (Liberté immuable) et des troupes de l'ISAF (Force internationale d'assistance à la sécurité), qui agissent sous le drapeau de l'OTAN, le chef de l'exécutif américain vient de le limoger pour des propos d'après-boire qui lui ont fortement déplu.
    Si sa réaction est bien sûr humainement compréhensible, elle est à l'évidence politiquement stupide car, sans même s'en rendre compte, le chef de la Maison-Blanche vient ainsi d'offrir une superbe victoire psychologique aux talibans et autres insurgés de tout poil qui réclamaient sa tête ! À un moment critique où les Occidentaux, malgré les pertes quotidiennement subies, commençaient à marquer des points sur le terrain.
    En réalité, le Président américain s'est contenté d'accepter la démission du général McChrystal qui, convoqué séance tenante à la Maison-Blanche pour s'expliquer sur une interview (qui n'était certes pas des plus heureuses) accordée au magazine Rolling Stone, n'avait plus vraiment d'autre choix. L'ancien patron des forces spéciales américaines tombe donc de son piédestal pour avoir ouvert sa gueule à contretemps, mais la réaction disproportionnée de ce pauvre Obama ruine en revanche plusieurs mois d'efforts pour reprendre l'initiative et améliorer la conduite des opérations dans les provinces du sud, comme le Helmand et Kandahar, le fief des talibans et des narcotrafiquants.
    En nommant aussitôt pour le remplacer en Afghanistan son supérieur hiérarchique direct, le général David Petraeus qui commandait jusqu'à présent à distance (c'est-à-dire de son quartier général de Tempa, en Floride) l'ensemble des forces américaines déployées sur les deux principaux théâtres de guerre au Moyen-Orient que sont l'Afghanistan et l'Irak où - de notoriété publique - il avait fait merveille -, le président Obama peut certes se vanter que « l'Amérique change de personnes, mais pas de stratégie... », mais le mal est fait et les Alliés qui commençaient à douter vont revoir les uns après les autres leur niveau d'engagement et leur participation aux opérations.
    L'erreur fatale d'Obama fut d'annoncer bien hâtivement en décembre dernier que si l' Amérique envoyait des renforts en Afghanistan elle envisageait très clairement un retrait progressif de ses troupes à compter du 1er juillet 2011. Comme si la guerre pouvait être gagnée d'ici là... alors que, par définition, la stratégie de « contre-insurrection » demande du temps et de la patience pour « gagner les cœurs et les esprits » des Afghans farouchement opposés au retour des talibans.
    D'ici au 1er juillet 2011, il ne reste désormais au général Petraeus - qu'Obama n'a pas hésité à qualifier d'«extraordinaire» comme si cet homme pouvait à lui tout seul faire des miracles - plus qu'un an pour prouver la justesse de son analyse, relever le défi et faire la différence. Et dans un pays qui est en guerre presque sans discontinuer depuis l'invasion soviétique du 27 décembre 1979, c'est-à-dire depuis plus de trente ans, cet ultime délai paraît très court. Dans trois mois le 7 octobre prochain, cela fera d'ailleurs neuf ans que les Américains - venus pour chasser les talibans du pouvoir à Kaboul au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 - sont militairement présents en Afghanistan. Que de temps et d'occasions gâchés !
    C'est pourquoi, dès son audition la semaine dernière devant le Sénat américain, où il devrait à nouveau être entendu mardi prochain, le général Petraeus avait de lui-même nuancé cet engagement du Président en y posant quelques conditions et en laissant ouvertement entendre qu'à l'image de ce qui se passe actuellement en Irak, les Américains sont déterminés à conserver d'importantes bases et plusieurs milliers d'hommes sur place. Car tout le monde sait que la relève des troupes occidentales (et notamment américaines) par l' ANA (armée nationale afghane) d'ici à un an est une cruelle illusion. Et qu'elle ne sera jamais prête en si peu de temps pour assurer elle-même la sécurité du pays.
    En attendant, les soldats occidentaux continuent de tomber chaque jour au « Royaume de l'insolence ». Avec 79 morts en trois semaines, juin est déjà le mois le plus meurtrier pour les forces internationales en près de neuf ans de guerre en Afghanistan. Et il faut désormais espérer que tous ces jeunes soldats ne seront pas morts pour rien.
    YVES BRUNAUD PRESENT du 26 juin 2010

  • Carl Schmitt actuel

    Tel est l’intitulé qu’Alain de Benoist vient de donner à son nouvel opus. Sous-titré « guerre juste, terrorisme, état d’urgence, ‘‘nomos de la terre’’ », l’ouvrage se propose, effectivement, d’interpréter l’Histoire du monde contemporain, notamment depuis un certain “11-Septembre”, à la lumière des concepts inventés par Carl Schmitt à une époque elle-même soumise à de grands bouleversements politiques et géopolitiques.
    Idées à l’endroit
    Si Marx a été l’un des grands idéologues des XIXe et XXe siècles, Schmitt pourrait être le philosophe du XXIe. Tel serait le présupposé implicite de ce Carl Schmitt actuel. Cette assertion n’est pas sans risques et les contempteurs haineux comme les thuriféraires fanatiques de Schmitt, tous ignorants de sa pensée, ont, depuis longtemps, pris conscience de l’impact de cette argumentation et de sa réversibilité.
    Alain de Benoist ne s’y trompe guère, qui commence par remettre quelques idées à l’endroit, singulièrement en ce qui concerne l’influence réelle ou supposée de Leo Strauss dans les milieux néoconservateurs américains. « L’idée générale était que Schmitt aurait été un penseur ‘‘nazi’’, que Leo Strauss, complice de Schmitt, aurait propagé à sa suite les mêmes idées ‘‘nazies’’ en Amérique, et que l’entourage de George W. Bush, influencé par la pensée de Leo Strauss, se rattacherait par son intermédiaire aux idées de Schmitt et donc au nazisme. » Cette thèse, évidemment délirante, demeure pourtant tenace, bien qu’il soit fermement établi sans que le doute ne soit plus permis, sauf chez les ignares et les dogmatiques, que « le lien entre les deux hommes [fut] plutôt ténu » et qu’il a été démontré « l’incompatibilité radicale existant entre la théologie politique de Schmitt et la philosophie politique de Strauss ».
    De ce point de vue, l’argumentaire d’Alain de Benoist est absolument convaincant. Une vision par trop monolithique du monde conduit inexorablement et tout uniment les adversaires et les tenants de Schmitt, qu’ils se recrutent au sein des atlantistes ou des anti-américains, à ne pas voir que les libéraux européens sont plus à droite que les libéraux outre-Atlantique (plus à gauche) et que les néoconservateurs américains sont plus proches de ceux-là que de ceux-ci. Dès lors, en toute logique, Schmitt devrait être honni tant par les néoconservateurs américains que par les libéraux européens. Les notions schmitiennes du politique, de l’ordre concret, de l’état d’exception sont, en effet, aux antipodes des conceptions bushistes ou humanitaro-kouchnériennes de criminalisation de l’ennemi, d’”Axe du mal”, de “guerre juste” ou d’antiterrorisme messianique.
    Nouveau Nomos
    De Benoist montre très clairement, en définitive, que Schmitt, des deux côtés de l’Atlantique, n’ayant été ni lu, ni compris, n’a pu être appliqué. Au contraire, depuis le “11-Septembre”, la réponse proprement politique, inhérente au jus publicum europeanum, s’est muée en ce que Schmitt redoutait par-dessus tout, comme négation du politique, en réponse théologique, c’est-à-dire totalitaire. La métaphysique universaliste informée par une vision religieuse des droits de l’Homme a, de manière assez horrifique, supplanté la métaphysique réelle, autrement dit la physique traditionniste des sociétés politiques. Au « Nomos concret du droit international public classique se substitue ce que Schmitt appelait un ‘‘ordre mondial universel’’ et abstrait. Assurément (et malheureusement), l’on assiste à l’émergence d’un nouveau Nomos que Schmitt enfermait dans cette alternative : “grands espaces contre universalisme” ».
    À ce propos, Alain de Benoist nous explique que selon Schmitt, cette nouvelle catégorie juridique de “grand espace” (« Graußraum ») « est appelée à se substituer à l’ancien ordre étatique national entré en crise dès les années trente et aujourd’hui devenu obsolète ». Le « Graußraum » par excellence serait constitué par les empires qui « pourraient bien devenir les principaux acteurs des relations internationales ». Il convient d’être prudent et de se garder de toute dérive nominaliste face à ce type d’analyse qui ferait prendre un constat visionnaire pour une conviction profonde de Schmitt qui, subitement, serait hissé au panthéon des pères fondateurs de l’Europe actuelle.
    Si Alain de Benoist ne prend pas explicitement position sur cette question, on sent bien que ses préférences inclinent vers une rhétorique peu favorable à l’État nation. C’est oublier que Schmitt, dans Le nouveau Nomos de la terre, étude publiée en 1955, ménageait l’hypothèse d’une réactivation de l’ancien ordre juridique européen, certes différent du premier, mais prenant appui sur le paradigme étatique, fût-il le fruit d’un redécoupage géopolitique. À l’instar de toutes les sociétés humaines, les nations évoluent et se transforment au gré des circonstances et des aléas de l’Histoire. C’est dire, en tout cas, que la pensée de Carl Schmitt ne se laisse pas appréhender facilement, la subtilité d’approche étant préférable à une lecture hâtive.
    L’“exécutif unitaire”
    Quoi qu’il en soit, cette actualisation des concepts schmittiens intervient à point nommé, à un moment où l’on parle de plus en plus de la théorie dite de “l’exécutif unitaire” (« unitary executive »), très en vogue aux États-Unis, d’où elle est originaire, mais également en France où elle commence à faire des émules. Nicolas Sarkozy est ainsi loin d’y être insensible à telle enseigne qu’il n’a pas hésité à rencontrer le 16 juillet 2007 le président de la Cour suprême américaine, John G. Roberts (nommé par George W. Bush, le 19 juillet 2005). Ce dernier, inconnu des européens non spécialistes des questions juridiques, passe pour être un membre influent de la Federalist Society, sorte de réservoir de pensée qui défend, entre autre, l’idée selon laquelle le président des États-Unis, contre la lettre de la Constitution elle-même, peut étendre indéfiniment ses pouvoirs, y compris jusqu’à ceux dévolus au Congrès et sans qu’une autorité judiciaire, quelle qu’elle soit, ne puisse s’opposer à cette expansion. Partant, le président des États-Unis, notamment par la pratique des “déclarations de signatures” (« signing statements ») réécrit et livre sa propre interprétation des lois.
    La justification de cette concentration des pouvoirs réside dans la lutte contre le terrorisme international et contre tout ennemi des États-Unis et de ses intérêts internes et externes. Les détentions arbitraires sur le site de Guantánamo, la torture des détenus, le “Patriot Act” (24 octobre 2001), le “Military Order” (13 novembre 2001), la volonté de l’administration Bush-Cheney-Rice de s’affranchir des conventions internationales sont directement inspirés de ces juristes, tenants de “l’exécutif unitaire”.
    Depuis la nomination, le 31 janvier 2006, de Samuel Alito, la Cour suprême des États-Unis compterait désormais en son sein cinq juges sur neuf qui seraient membres de la Federal Society. Doit-on voir dans ces redoutables déviations du pouvoir une application de la “dictature souveraine” de Schmitt ? Certainement pas, car là où Schmitt se préoccupait de vouloir rétablir un “ordre” (« ordnung ») mis en péril par un état d’exception (« ausnahmefall »), Bush et ses juristes cherchent d’abord à consolider leur hyperpuissance. Le “11-Septembre” a, de ce fait, constitué l’accélérateur autant que le parfait alibi pour asseoir un peu plus leur « hégémonie bienveillante » (« benign hegemony »).
    Le drame est que la France, par les voix irresponsables de Nicolas Sarkozy et de Bernard Kouchner, veuille adhérer à cette doctrine dangereuse, apatride et si peu conforme à ses intérêts. La guerre en Iran est pour bientôt et la France, hélas, n’y sera pas étrangère...
    Aristide LEUCATE L’Action Française 2000 du 1er au 14 novembre 2007 aleucate@yahoo.fr
    * Alain de Benoist : Carl Schmitt actuel. Éd. Krisis, 164 pages, 19 euros.

  • Carl Schmitt : Changement de structure du droit international

    Changement de structure du droit international (1943) (1/2)

    La guerre mondiale actuelle prend des dimensions que n'ont connues aucun des conflits belliqueux antérieurs. On se bat aujourd'hui sur toute la terre pour l'ordre de la terre entière. L'affrontement actuel dépasse en effet en ampleur et en intensité toutes les limites dans lesquelles les guerres s'étaient tenues jusqu'alors. Même le conflit « mondial » de 1914-1918 n'a pas véritablement été une guerre mondiale en comparaison du combat qui se déroule actuellement entre nations et continents. La guerre est devenue planétaire : son sens et son but ne concernent rien de moins que le nomos de notre planète.

    Par nomos, je n'entends pas ici une série de règles et d'accords internationaux, mais le principe fondamental de répartition de l'espace terrestre. La structure du droit international repose sur certaines notions et mesures spatiales relatives au sol et à la surface de la terre. Je vais tenter d'évoquer ce qu'ont été les grandes lignes qui ont constitué les principales partitions et divisions du sol de la terre. J'ai conscience de m'adresser aux membres d'une nation qui, depuis sept ans, depuis 1936, a pris position dans la grande lutte mondiale (1) et dont la grande histoire entretient un double rapport avec le thème de cette conférence : à travers l'exploit militaire, maritime, administratif et culturel de la découverte et de l'européanisation d'un Nouveau Monde, et à travers l'autre exploit de la même époque, sur le terrain scientifique et spirituel, qu'a été la création d'un nouveau droit des gens européen (2). Mon exposé ne pourra bien sûr pas atteindre à cette grandeur. Je vais cependant m'efforcer d'élargir suffisamment l'horizon de mes observations afin que mon champ de vision rende quelque peu honneur à la grandeur du thème.

    À toute conception de la terre dans sa totalité correspond une image de la partition de la terre. Pendant des millénaires, l'humanité a eu une image mythique de la terre prise comme un tout et non une expérience scientifique. Mais à peine la représentation de la terre comme une sphère s'était-elle imposée dans la pratique grâce à la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, que s'est posé le problème radicalement nouveau d'un ordre international à l'échelle du globe entier. Aussitôt s'est engagée la lutte pour le partage de la nouvelle terre et de la nouvelle mer. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, on a tracé des lignes globales afin d'établir un ordre spatial de la terre. À mesure que les hommes ont pris connaissance de la géographie de la terre entière et l'ont cartographiée, la nécessité politique d'un partage raisonnable s'est fait jour. Arrêtons un instant notre regard sur ces lignes « globales ».

    La première est la fameuse ligne tracée dans l'édit Inter caetera divinae du 4 mai 1494 par le pape Alexandre VI, quelques mois à peine après la découverte de l'Amérique. Elle court du pôle Nord au pôle Sud, 100 milles à l'ouest du méridien des Açores et du Cap-Vert. Elle est aussitôt suivie par la ligne déplacée un peu à l'ouest, à peu près au milieu de l'océan Atlantique, que trace le traité de répartition hispano-portugais de Tordesillas du 1er juin 1494 (370 milles à l'ouest du Cap-Vert). Par ce traité les deux puissances catholiques se sont mises d'accord sur le fait que tous les territoires découverts à l'ouest de cette ligne reviendraient à l'Espagne, et ceux à l'est de la ligne au Portugal. Cette partición del mar Océano a été confirmée en 1506 par le pape Jules II. Sur l'autre moitié du globe, c'est la ligne des Moluques qui s'est imposée comme frontière. Le traité de Saragosse a tracé une raya en 1529 à travers l'océan Pacifique, qui correspondait au 135e méridien actuel ; elle passait par la Sibérie orientale, le Japon et l'Australie. Dès 1508, le roi d'Espagne demandait à la Casa de la Contratación de Séville d'établir des cartes exactes. L'histoire de ces délimitations a fait l'objet d'une recherche précise, les sources en donnent une connaissance parfaite.

    Avec le traité franco-espagnol de Cateau-Cambrésis du 3 avril 1559, un tout nouveau genre de lignes globales a fait son apparition. Une clause orale secrète de ce traité établissait que les lignes de paix et d'amitié n'entreraient en vigueur qu'en deçà d'une certaine limite géographique et qu'au-delà de cette limite régnerait une sorte d'état de nature et de droit du plus fort. Ce sont elles qu'on appelle les lignes d'amitié, les amity lines des XVIe et XVIIe siècles, elles étaient reconnues expressément ou tacitement, c'est à elles que se rapporte le fameux beyond the line des pirates anglais des XVIe et XVIIe siècles, des flibustiers et des boucaniers. Géographiquement, ces lignes coupaient au sud l'Équateur ou le tropique du Cancer, à l'ouest le degré de longitude des îles Canaries ou des Açores, dans l’océan Atlantique, ou bien elles parcouraient à la fois cette ligne du sud et celle de l'ouest. Le problème cartographique de la délimitation exacte de la ligne prenait une signification extraordinaire, surtout à l'ouest, et il donnait lieu à une multitude de réglementations officielles. L'Europe finissait à cette ligne, où commençait le Nouveau Monde. Le droit public européen cessait de valoir de l'autre côté de la ligne, où une zone « transatlantique » commençait, soumise au «droit du plus fort».

    Le propre de la raya hispano-portugaise était que les princes des nations chrétiennes, dont le fondement commun était la foi chrétienne et qui honoraient le pape comme l'autorité suprême de l'Église, se reconnaissaient comme des égaux dans le traité de division et de répartition. Ce qu'on appelle les lignes d'amitié se rapportait aussi à l'occupation de la terre et de la mer du Nouveau Monde. Mais leurs présupposés sont assez différents de ceux de la raya. La ligne d'amitié délimite une zone de lutte à outrance entre les parties contractantes parce qu'elles n'ont aucune base commune et ne reconnaissent aucune autorité commune. La ligne laisse le champ libre au droit du plus fort, à l'occupant réel et durable, elle ouvre un domaine d'usage libre et sans entraves de la force. Elle présuppose certes comme une évidence que seuls les princes et les peuples chrétiens et européens peuvent contracter de tels traités. Mais ce principe de communauté n'impliquait ni une instance arbitrale commune assurant une légitimation concrète, ni aucun autre principe de répartition que le droit du plus fort et l'occupation effective. Il résultait de cette vision des choses que tout ce qui se passait « au-delà de la ligne » restait hors des critères juridiques, moraux et politiques reconnus en deçà de la ligne.

    Les lignes d'amitié des XVIe et XVIIe siècles permettent de distinguer deux espaces « libres » où l'activité des peuples européens se déverse sans entrave : d'une part un espace non délimité de terre libre, le Nouveau Monde, l'Amérique, la terre de la liberté, c'est-à-dire le domaine où les Européens ont toute liberté de conquérir des terres et où le « vieux » droit perd sa force ; et d'autre part la mer libre, l'océan tout juste découvert que les Français, les Hollandais et les Anglais considèrent comme un domaine de liberté. Mais la liberté des mers fut tout de suite embrouillée par les juristes romanistes qui y mêlèrent des concepts de droit civil comme la res communis omnium et les « choses d’usage commun ». En réalité, ce n’était pas le droit romain qui faisait soudain irruption en plein  XVIe  siècle, mais la vieille idée primitive que le droit et la paix n'entrent en vigueur que sur terre. Et de façon analogue, sur la « nouvelle terre », le sol américain, aucun droit bien enraciné ne s'était encore implanté, on avait en fait de droit que ce que les conquérants européens en avaient apporté. C'est sur l'articulation de ces deux nouveaux espaces « libres », non compris dans l'ordre européen antérieur de la terre ferme, qu'est fondée la structure alors naissante du droit international européen.

    On peut dire que grosso modo, du point de vue de l'histoire du droit, l'idée de délimiter un espace d'action non soumis au droit et une sphère extra-juridique d'usage de la violence correspond à un courant de pensée très ancien. Mais à partir du XVIe siècle, cette idée devient typiquement anglaise et étrangère au continent où la pensée est toujours restée centrée sur l'État. D'une façon apparemment analogue, la construction anglaise de l'état d'exception dans le droit politique interne, la Martial Law, présuppose la même idée d'un espace non soumis au droit. La Martial Law du droit constitutionnel anglais crée un domaine non juridique, limité dans le temps et dans l'espace, séparé dans le temps de l'ordre juridique normal par la proclamation de l'état de guerre au début et par une loi d'exonération à la fin, domaine dans lequel peut se produire tout ce que les circonstances exigent. En un sens distinct mais proche, les idées de mer libre, de libre commerce et de libre économie mondiale sont elles aussi liées à la délimitation d'un espace ouvert à la concurrence et à la libre exploitation par le plus fort.

    Les deux lignes, la ligne de répartition hispano-portugaise et la ligne d'amitié anglaise correspondent à l'occupation européenne des terres et des mers du Nouveau Monde. Elles sont fondamentalement des pactes entre puissances occupantes. Mais la raya latine a une fonction distributive ; elle est dénommée linea de partición del mar dans le traité de Tordesillas de 1494. L'amity line anglaise a au contraire un caractère agonistique. La délimitation d'un domaine de lutte à outrance découle logiquement, comme nous l'avons dit, de l'absence d'un principe de répartition reconnu et d'une instance arbitrale commune réglant le partage et l'attribution entre les puissances occupantes. Le seul titre juridique reconnu est alors l'occupation effective. Cela n'exclut cependant pas qu'il faille au besoin mener une longue lutte avant que l’occupation soit reconnue comme effective, c’est-à-dire comme réelle et durable.

    Le dernier exemple historique d'une application de ces principes de répartition européenne et de lignes d'amitié est la Conférence du Congo qui eut lieu à Berlin en 1884-85. Elle est en quelque sorte la dernière tentative faite par les puissances européennes, dans le dernier quart du XIXe siècle, de régler en commun l'occupation du sol africain. De la même façon, on essaya de neutraliser le bassin du Congo en créant une sorte de ligne d'amitié inversée selon laquelle les guerres entre puissances européennes ne devaient pas affecter le territoire du Congo ni partir de lui. À vrai dire, durant la grande guerre de 1914, ni les Anglais ni les Français ne respectèrent cette ligne d'amitié. La tentative de la Conférence du Congo offrit ainsi un symptôme évident de l'incapacité où se trouvait désormais l'ancienne communauté des peuples européens à occuper en commun un sol non-européen.

    Le troisième exemple de ligne globale est bien sûr plus important encore, il s'agit de la ligne américaine de l'hémisphère occidental. Elle forme un type distinct de la raya hispano-portugaise et de l'amity line anglaise. Son développement et son destin sont d'une importance décisive pour la structure et les problèmes du droit international, ils méritent donc qu'on leur prête une attention particulière.

    Dans le testament politique du président Washington, la célèbre lettre d'adieu de 1796, l'hémisphère occidental n'apparaît pas encore comme un concept géographique. Le message du président Monroe du 2 décembre 1823, document de base de ce qu'on appelle la doctrine Monroe, emploie en revanche consciemment le mot hémisphère et lui confère un accent spécifique. Il dénomme son espace propre tantôt l'Amérique, tantôt ce continent ou enfin cet hémisphère (this hemisphere). Intentionnellement ou non, l'expression hémisphère est mise en relation avec l'idée que le système politique de l'hémisphère occidental est un régime de liberté par rapport au système des monarchies absolues de l'Europe d'alors.

    Depuis lors, la doctrine Monroe et l'hémisphère occidental sont des termes équivalents. Ils ouvrent la voie à la délimitation géographique d'une sphère de special interests des États-Unis allant bien au-delà de leur territoire propre et formant ce qu'on appellerait aujourd'hui dans le langage courant du droit international un « grand espace ».

    À partir de 1939, l’expression hémisphère occidental se consolide. Le gouvernement des Etats-Unis employa le terme de nombreuses déclarations, et il sembla qu'au début du conflit mondial actuel celui-ci allait devenir un véritable slogan de la politique des États-Unis. C'est pourquoi il est frappant que d'autres déclarations n'émanant pas du gouvernement de Washington, en particulier les résolutions communes des ministres américains des Affaires étrangères de Panama (octobre 1939) et de Cuba (juin 1940) n'utilisent pas l'expression d'« hémisphère occidental », mais parlent seulement d'« Amérique », de « continent américain » ou de « régions appartenant géographiquement à l'Amérique ». Sous la différence des usages linguistiques se cachent des distinctions très profondes. Ici transparaît l'abus dont procède l'instrumentalisation du panaméricanisme par la politique des États-Unis. La remarque du président du Brésil, il y a quelques jours, dans sa déclaration du 4 mai 1943, selon laquelle l'île française de la Martinique appartiendrait à l'« hémisphère occidental » n'y change rien.

    La Déclaration de Panama du 3 octobre 1939 revêt une importance particulière, que nous allons examiner brièvement, pour le problème spatial en droit des gens actuel. À l'intérieur des « zones de sécurité » établies par cette déclaration pour protéger la neutralité des États américains, les belligérants n'ont le droit d'accomplir aucun acte hostile. La ligne de la zone neutre de sécurité s'étend de part et d'autre des côtes américaines jusqu'à trois cents milles marins dans l'Atlantique et dans le Pacifique. Au niveau de la côte brésilienne, elle atteint le 24e degré de longitude à l'ouest de Greenwich, et se rapproche donc du 20e degré qui est la ligne de séparation habituelle entre l'est et l'ouest dans la cartographie. Cette « zone de sécurité américaine » ainsi délimitée en octobre 1939 perdit toute valeur pratique quand disparut ce qui en était la condition : la neutralité des États américains. Elle reste malgré tout d'une importance extrême pour le problème spatial en droit international moderne. Pour le moment, le concept d'« Amérique » perdure grâce à elle, ainsi que la limitation qu'implique ce concept, en dépit du fait que la politique actuelle des États-Unis ne connaît plus ni limite ni frontière. Elle a d'ailleurs eu une répercussion considérable qu'on peut même qualifier de sensationnelle puisqu'elle a réduit magnifiquement et jusqu'à l'absurde les mesures et les critères servant jusque-là à définir la zone de la mer libre et la dimension traditionnelle des eaux territoriales. Elle a eu enfin pour effet de soumettre l'océan libre à l'idée de « grand espace », dans le même moment qu’elle introduisait un nouveau genre de délimitation spatiale à partir de la liberté des mers. Tout cela fut rapidement perçu et souligné par la science allemande du droit international. Mais les juristes américains objectèrent eux aussi sans tarder que la déclaration de Panama d'octobre 1939 faisait subir à l'un des aspects de la doctrine Monroe, the two spheres aspect, une modification importante. Auparavant, quand on parlait de la doctrine Monroe, on ne pensait en général qu'à la terre ferme de l'hémisphère occidental, tandis que pour l'océan on présupposait toujours la liberté des mers au sens du XIXe siècle. Dès lors, les frontières de l'Amérique s'étendirent jusque sur les mers (3).

    Ce dernier point est d'une importance particulière. Le pas de la terre vers la mer a toujours eu des conséquences et des effets incalculables dans l'histoire universelle.

    Tant que l'expression d'« hémisphère occidental » ne se référait qu'à l'espace continental, elle impliquait une démarcation mathématique et géographique et elle était par ailleurs une figure concrète sur le plan de la géographie physique et de l'histoire. Son élargissement et son déplacement vers la mer rendent la notion d'« hémisphère occidental » encore plus abstraite et lui donne grosso modo le sens d'une surface vide, définie en premier lieu en termes géographiques et mathématiques. La plane étendue de la mer fait apparaître l'espace « dans toute sa pureté », selon l'expression de Friedrich Ratzel. Et même dans les études militaires et stratégiques, on tombe parfois sur la formule un peu extrême d'un auteur français selon lequel la mer est une plaine lisse, sans obstacles, où la stratégie se dissout en géométrie.

    Influencés par l'usage politique de l'expression, de nombreux géographes de métier se sont penchés ces dernières années sur le problème de l'« hémisphère occidental ». Particulièrement intéressante est la précision géographique donnée au vocable par le géographe du State Department des États-Unis, S. W. Boggs, quand il délimite l'hémisphère occidental par rapport au domaine défini par la doctrine Monroe. Dans ses analyses, il part du principe qu'on entend en général par hémisphère occidental le Nouveau Monde découvert par Christophe Colomb et que par ailleurs les notions géographiques et historiques d'Occident et d'Orient ne sont définies ni par la nature ni par des conventions humaines. Les cartographes ont pris l'habitude de tracer une ligne au milieu de l’Atlantique qui passe au 20e degré de longitude à l’ouest du méridien de Greenwich. De ce point de vue, les Açores et les îles du Cap-Vert font partie de l'hémisphère occidental, bien que cela contredise comme Boggs l'admet lui-même leur appartenance historique à l'Ancien Monde. Selon le géographe, le Groenland fait partie de l'hémisphère occidental bien qu'il n'ait pas été découvert par Christophe Colomb (4). Il ne dit rien des régions arctiques et antarctiques des Pôles. Sur le versant pacifique du globe, au lieu de faire passer la limite au 160e degré de longitude, aux antipodes du 20e degré, il la place sur la ligne internationale dite de changement de date, soit au 180e degré de longitude, ce qui ne va pas sans certains empiètements au nord et au sud. Il attribue les îles occidentales de l'Alaska ainsi que la Nouvelle-Zélande à l'Occident, alors qu'il classe l'Australie dans l'autre hémisphère. Et cela ne cause à ses yeux aucune difficulté pratique, excepté, au pire, l'indignation éventuelle des cartographes, que les immenses surfaces de l'océan Pacifique soient « provisoirement », comme il dit, attribuées à l'hémisphère occidental (tout cela avant que la guerre avec le Japon n'éclate) (5). L'internationaliste américain P. C. Jessup ajoute dans son compte-rendu du mémorandum de Boggs que « les dimensions changent vite de nos jours et que l'intérêt que nous avions pour Cuba en 1860 correspond à celui que nous avons aujourd'hui pour Hawaii ; l'argument de l'autodéfense conduira peut-être un jour les États-Unis à faire la guerre sur le Yang-Tsé, la Volga ou le Congo. »

    La ligne américaine de l'hémisphère occidental n'est ni une raya ni une amity line. Toutes les lignes que nous avons évoquées concernent des occupations de terres, et de celles accomplies par les puissances européennes. La ligne américaine, quant à elle, est une réponse dès 1823 avec le message du président Monroe, aux prétentions des Européens à l'occupation de terres. Vue d'Amérique, elle a un caractère défensif et équivaut à une protestation adressée aux puissances de la vieille Europe contre toutes les occupations que l'Europe voudra entreprendre sur le sol américain. On voit sans peine qu'un espace libre est ainsi tracé pour l'occupation américaine du sol américain, espace aux dimensions gigantesques à l'époque. Mais n'oublions pas que l'attitude de l'Amérique à l'encontre de la vieille Europe monarchiste ne signifiait pas son renoncement à la civilisation européenne ni à son appartenance à la communauté internationale d’alors, essentiellement européenne. Ni le message d’adieu du président Washington de 1796 ni le message de Monroe de 1823 n’ont l’ambition de fonder un droit international extra-européen. Bien au contraire, les États-Unis se sont pris dès le départ pour les porteurs attitrés de la civilisation européenne et du droit international européen. Même les États naissants d'Amérique latine se considéraient tout naturellement comme des membres de la « famille des nations européennes» et de sa communauté internationale, si ce n'est en tant que nations chrétiennes, tout au moins en tant que nations « civilisées ». Tous les manuels de droit international américain du XIXe siècle partent de ce présupposé « évident » bien qu'ils distinguent un droit international américain à côté du droit international européen. La ligne globale que contient l'hémisphère occidental, même si elle exclut géographiquement l'Europe, n'est anti-européenne qu'en un certain sens ; en un autre sens, elle renferme au contraire l'aspiration morale et culturelle à être l'Europe authentique et véritable. Il ne fait pas de doute que c'est cette aspiration qui se cachait derrière l'apparence d'un isolement radical. La ligne de séparation de l'hémisphère occidental est à première vue spécifiquement une ligne d'isolement. Par rapport à la raya distributive et à l'amity line agonistique, elle se présente comme un troisième type de ligne, à savoir une ligne d'auto-isolement.

    1410628596.jpgTenons-nous en aux formulations cohérentes auxquelles cette conception a donné lieu à propos de la ligne dite Jefferson. Il suffira pour cela de citer deux déclarations, l'une du 2 juin 1812 et l'autre du 4 août 1820. Elles méritent qu'on s'y attarde en raison du rapport qu'elles entretiennent avec le message de Monroe de 1823. Dans l'une comme dans l'autre, on détecte la haine de l'Angleterre et le mépris de la vieille Europe. « Le destin de l'Angleterre, dit Jefferson au début de l'année 1812, est presque chose faite, et la forme actuelle de son existence entre en déclin. Si notre force nous permet un jour d'édicter la loi dans notre hémisphère, cela veut dire que le méridien qui coupe l'Atlantique en deux constituera la ligne de démarcation entre la guerre et la paix, en deçà de laquelle aucune hostilité ne devra être commise et le lion et l'agneau auront à cohabiter en paix. » Quelque chose résonne là qui ressemble à une ligne d'amitié, à cette différence près que l'Amérique n'est plus comme aux XVIe  et XVIIe  siècles le théâtre de luttes à outrance mais au contraire un havre de paix, tandis que le reste du monde demeure un théâtre de guerres, mais ce sont les guerres des autres, l’Amérique n’y participe pas. Ce qui était typique des anciennes lignes d’amitié, à savoir leur sens et leur caractère agonistiques, fait défaut. Jefferson disait en 1820 : Le jour approche où nous exigerons formellement un méridien de partition de l'océan qui sépare les deux hémisphères, en deçà duquel aucun coup de feu européen ne pourra se faire entendre, ni aucun coup de feu américain au-delà. » Comme dans le message de Monroe, l'expression « hémisphère occidental » signifie ici que les États-Unis s'identifient à tout ce qui moralement, culturellement ou politiquement constitue la substance de cet hémisphère.

    La racine spirituelle des déclarations de Jefferson et d'autres qui leur sont apparentées est le calvinisme extrême et le puritanisme, l'un et l'autre étrangers à l'Amérique non anglo-saxonne. Néanmoins cet esprit puritain dans sa forme sécularisée a été déterminant dans l'attitude du panaméricanisme international. L'isolement fondamental qui le caractérise tente de forger un nouvel ordre spatial de la terre au moyen de la démarcation entre un camp de la paix et de la liberté garantie et un camp du despotisme et de la corruption. Cette conception américaine de l'isolement a fait l'objet de nombreuses études. Elle nous intéresse ici uniquement à cause de ce qui la relie à l'ordre spatial de la terre et à la structure du droit international. Si l'« hémisphère occidental » est un Nouveau Monde non corrompu et non infecté par la dégénération de l'Ancien, alors il est clair que du point de vue du droit international, il appartient aussi à une autre région que ce monde corrompu, porteur il y a peu de temps encore et créateur du droit international chrétien et européen. Si l'Amérique est la terre du salut pour les élus, le fondement d'une existence nouvelle et plus pure dans des conditions vierges, alors toute ambition européenne relative à l'Amérique devient caduque. Le sol américain possède alors un statut entièrement nouveau du point de vue du droit international, qui diffère de tous les statuts de sol reconnus jusque-là. Jusqu'en 1823 il y eut divers types de sols reconnus par le droit international européen. Le sol américain ne relève d'aucun de ces types ; il n'est ni une terre sans maître, ni un sol librement occupable au sens traditionnel, ni non plus un sol européen du type des territoires étatiques d'Europe, ni une terre de luttes au sens des anciennes lignes d'amitié.

    Quel est donc selon cette « ligne » le statut de droit international des deux continents américains ? Il s'agit de quelque chose d'extraordinaire, quelque chose d'élu. Ce serait encore trop peu de dire que l'Amérique est l'asile de la justice et de la vertu. Le sens spécifique de cette ligne est bien plutôt que le sol américain est le seul à jouir d'une situation qui rend possible le droit et la paix, les conduites et les habits sensés. À croire ce que racontent encore parfois certains philosophes américains, la situation de la vieille Europe est si corrompue que tout homme au naturel et au caractère honnêtes ne peut que s'y transformer en criminel et en délinquant. En Amérique en revanche, la distinction entre le bien et le mal, le juste et l'injuste, l'homme honnête et le criminel n'est pas brouillée par des situations fausses et des habits fallacieux. La ligne globale est donc comme une sorte de quarantaine, de cordon sanitaire qui protège contre la peste. Le message du président Monroe ne l'exprime pas aussi clairement que la déclaration de Jefferson. Mais qui a des yeux pour lire et des oreilles pour entendre décèlera sans peine dans ce message la condamnation morale portée contre le « système » politique des puissances européennes alliées qui confère à la ligne américaine de séparation et d'isolement son sens moral et politique.

    Il est curieux que la formule de l'« hémisphère occidental » se réfère justement à l'Europe, au vieil Occident comme à un adversaire. Elle n'est pas dirigée à l'origine contre l'Asie et l'Afrique, mais contre le vieil Occident. Le nouvel Occident prétend être l'Occident véritable, la véritable Europe. Le nouvel Occident, l'Amérique, tente de déplacer l'ancien Occident, de lui prendre sa place d'axe de l'histoire mondiale et de centre du monde. Il ne prétend pas détruire, éliminer, ni même détrôner l'Occident, avec tout ce que le terme implique, il essaye seulement de le déplacer. Le droit international cesse d'avoir son centre de gravité dans la vieille Europe. Le centre s'est déplacé vers l'Ouest, vers l'Amérique. L'ancienne Europe, comme les vieux continents d'Asie et d'Afrique, est reléguée au passé. L'ancien et le nouveau, on ne saurait trop insister sur ce point, sont ici non seulement des critères de répartition, mais aussi de mise en accusation, d'où leur très grande valeur historique et politique. Ils ont transformé la structure du droit des gens européen traditionnel bien avant que, à partir de 1890, des États asiatiques, Japon en tête, en se joignant à la communauté du droit international européen, l'aient finalement transformée en un droit international universaliste sans attache spatiale.

    Nous ne nous demanderons pas ici dans quelle mesure les ambitions de Jefferson et de Monroe et la croyance qu’ils avaient de représenter un Nouveau Monde moral et politique correspondaient à la réalité.

     ☞ Changement de structure du droit international (1943) (2/2)

    On ne peut nier qu'un morceau de culture européenne ait été transplanté sur le sol américain. En tant qu'Européens de la vieille Europe, nous ne devons pas hésiter à reconnaître ouvertement - sans qu'il y ait là de concession à la fierté américaine - que des hommes comme George Washington et Simón Bolívar étaient indubitablement de grands Européens et qu'ils se sont probablement davantage rapprochés du sens idéal de ce mot que la plupart des hommes d'État anglais ou continentaux de cette époque. Face à la corruption parlementaire et à la dégénérescence absolutiste du XVIIIe siècle en France et en Angleterre, et plus encore face à l'étroitesse et à la servitude de la réaction et de la restauration postnapoléoniennes du XIXe siècle, l'Amérique avait de grandes chances de représenter l'Europe authentique et véritable. L'ambition qu'avait l'Amérique d'être la véritable Europe fut un facteur historique de très grande portée. Elle était une énergie politique réelle, ou comme on dit aujourd'hui dans la terminologie de l'actuel état de guerre totale, un potentiel guerrier de premier rang. Ce réservoir de force historique a continué à être alimenté au XIXe siècle, surtout par les révolutions européennes de 1848. Des milliers d'Européens déçus et désillusionnés, parmi lesquels de nombreux hommes d'envergure ainsi qu'un nombre non négligeable de jeunes paladins de la liberté ont quitté la vieille Europe réactionnaire au XIXe  siècle pour émigrer en Amérique.

    Mais dès la fin du siècle, autour de 1900, toutes ces grandes possibilités internes et externes paraissaient épuisées et caduques. L'invasion de Cuba fut le signal de politique étrangère qui annonça au monde le passage à l'impérialisme. Cet impérialisme ne s'en tenait plus aux vieilles conceptions continentales de l'hémisphère occidental, mais il s'avançait loin dans le Pacifique et en direction de l'ancien Orient. De vastes espaces furent alors soumis au principe de la « porte ouverte» qui remplaça la doctrine Monroe périmée (6). Géographiquement et à l'échelle du globe, c'était un pas de l'Orient vers l'Occident. Par rapport à l'espace oriental d'Asie qui réémerge aujourd'hui comme facteur de l'histoire universelle, le continent américain se trouvait alors dans la même situation que cent ans plus tôt la vieille Europe, lorsque l'irruption de l'Amérique dans l'histoire universelle l'avait déplacée dans l'hémisphère oriental. Un tel changement d'éclairage est un thème vraiment sensationnel pour une «géographie de l'esprit». C'est sous l'impression que laissait cette lumière nouvelle que l'on proclama en I930 l'avènement d'un Nouveau Monde qui devait unir l'Amérique avec la Chine (7).

    Mais l'ancienne foi dans ce Nouveau Monde s'effritait désormais elle aussi de l'intérieur, avec la même force et la même ampleur qui avait caractérisé les déplacements politiques de l'Occident vers l'Orient. Avec l'émergence de l'impérialisme nord-américain en politique extérieure s'annonçait également la fin d'une époque des États-Unis du point de vue interne. Les fondements de tout ce qui avait fait la substance, et pas seulement l'idéologie, de ce qu'on appelait la « nouveauté » et la « liberté » de l'hémisphère occidental s'effondrèrent par la base. En I890, l'occupation intérieure de terres aux États-Unis cessait d'être libre. La colonisation des sols restés libres prit fin. Jusque-là les anciennes frontières des États-Unis séparant la terre colonisée des terres libres et ouvertes à l'occupation avaient toujours été en vigueur. Le frontier avait toujours existé, ce type de frontalier prêt à passer du sol peuplé au sol libre, propre à ces lignes limitrophes. Avec le sol libre disparut aussi l'ancienne liberté. Ainsi se transforma la loi fondamentale des États-Unis, même si la façade des normes constitutionnelles de 1787 fut maintenue. Tous les bons observateurs le remarquèrent et parmi ceux qui l'exprimèrent, John Dewey, le représentant typique du pragmatisme américain est peut-être celui qu'il faut mentionner en premier du fait qu'il a pris la disparition du frontier comme point de départ de ses analyses sur la réalité sociale concrète de l'Amérique.

    Dès lors, le nomos de l'Amérique - entendu comme le fondement des rapports sociaux et juridiques- se transforma du tout au tout. Le monde jusque-là libre et neuf se mit à ressembler de plus en plus à l'ancien et cela à un rythme tel qu'en quelques années, l'ancien Monde fut rattrapé et dépassé par le nouveau. Les États-Unis se transformèrent en une image agrandie et grossière de la vieille Europe. La question sociale, démographique, raciale, les problèmes de chômage et de liberté politique se posèrent comme dans la vieille Europe mais de façon décuplée, comme après un accroissement et une intensification fantastiques. Dans le même temps s'épuisèrent toutes les énergies historiques qui avaient conféré à la ligne d'auto-isolement de Jefferson sa solidité intérieure.

    Que des peuples et des empires s'isolent du reste du monde et cherchent à se protéger par une ligne défensive de toute contamination extérieure n'est pas un fait nouveau dans l'histoire universelle. Le limes est un phénomène originaire dans l'histoire ; la muraille de Chine est, semble-t-il, une construction typique, et les colonnes d'Hercule sont restées de tout temps l'image de la frontière mythique. La question cruciale est celle de l'attitude qu'engendrent cet isolement et ce retranchement par rapport au reste du monde. La prétention américaine d'être un Nouveau Monde non corrompu a été supportable pour le reste du monde tant qu'elle s'est combinée à un isolement conséquent. Une ligne globale partageant le monde en deux moitiés selon le bien et le mal est une ligne qui distribue les bons et les mauvais points dans l'ordre moral. Si elle ne s'en tient pas à une stricte position défensive et à l'auto-isolement, elle représente un défi politique permanent pour l'autre partie de la planète. Ni simple problème de cohérence logique, ni pure question d'opportunité pratique, ni thème pour conversations juridiques, se pose la question de savoir si la doctrine Monroe est un principe de droit (un legal principle) ou une maxime politique. C'est en réalité un dilemme politique auquel personne ne peut se soustraire, ni le fondateur de la ligne d'auto-isolement, ni le reste du monde. La ligne d'auto-isolement se renverse effectivement en son contraire quand elle se mue en ligne de disqualification et de discrimination du reste du monde. Il y a une raison à cela : la neutralité de droit international correspondant à cette ligne d'auto-isolement est, par ses conditions et ses fondements, un principe absolu, plus strict que la neutralité de l'ancien droit international européen qui était apparue à l'occasion des guerres interétatiques des XVIIIe et XIXe siècles. Quand la neutralité absolue propre à l'auto-isolement devient caduque, l'isolation se transforme en un principe d'intervention illimitée qui embrasse sans distinction toute la planète. Le gouvernement des États-Unis s'érige alors en juge de la terre entière et s'arroge le droit d'intervenir dans les affaires de tous les peuples et de tous les espaces. L'attitude défensive propre à l'auto-isolement révèle ses contradictions internes et se renverse en un pan-interventionnisme extrême, sans limites ni attaches spatiales.

    Tout ce que le gouvernement des États-Unis a entrepris depuis quarante ans est marqué par ce dilemme aigu entre isolement et pan-interventionnisme. Il devient plus pressant et irrésistible à mesure qu'augmentent jusqu'à la démesure les dimensions spatiales et politiques qui sous-tendent une telle pensée par lignes globales.

    L'hémisphère occidental est livré à ce dilemme considérable depuis le début de l'ère impérialiste, c'est-à-dire depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Tout sociologue, tout historien et tout juriste ayant suivi l'évolution depuis 1890 des États-Unis et de l'hémisphère qu'ils dominent a nécessairement remarqué les contradictions immanentes à ce développement. La masse continentale immense oscille brusquement et sans transition d'un extrême à l'autre sous l'emprise de cet antagonisme vertigineux. Ce ne sont pas là seulement des tendances contraires, des contrastes et des tensions intérieures comme on en trouve dans toute vie intense et naturellement dans tout grand empire. Il s'agit plutôt d'un nœud de problèmes irrésolus qui contraint par malheur l'hémisphère occidental et le reste du monde à transformer la guerre interétatique du droit international européen en guerre mondiale. Quand l'auto-isolement face au reste du monde se renverse en discrimination du monde extérieur, la guerre devient une action punitive qui stigmatise en l'adversaire le criminel. Cette guerre n'est pas la guerre « juste » des théologiens du Moyen Âge dont parlait Vitoria, et sous son influence, Grotius et les internationalistes du XVIIe et du XVIIIe siècles. C'est un phénomène radicalement nouveau - parce qu'il est global et embrasse le monde entier - que cette prétention d'éliminer l'adversaire politique en le faisant passer pour un criminel qui menace le monde et pour l'ultime obstacle à la paix mondiale. J'ai appelé cette attitude Le passage au concept discriminatoire de guerre (8). En revendiquant le droit de se défendre contre un adversaire politique, mais aussi de le disqualifier et de le diffamer du point de vue du droit international, le gouvernement de Washington a l'intention de faire accéder l'humanité à un nouveau type de guerre en droit international. Pour la première fois dans l'histoire, la guerre est une guerre mondiale globale.

    Lors de la Première Guerre mondiale de 1914-1918, la politique du président W. Wilson vacillait déjà entre les extrêmes de l'auto-isolement et de l'intervention planétaire, jusqu'à ce qu'elle bascule violemment du côté de l'interventionnisme et d'une guerre qui entreprenait d'abaisser l'adversaire au niveau du criminel. Je ne citerai que deux déclarations de Wilson, à première vue contradictoires, la première, date de 1914, la seconde coïncide avec l'entrée en guerre de l'Amérique en 1917. Dans son discours du 9 août 1914, Wilson se ralliait solennellement à l'idéal d'une neutralité absolue, stricte, scrupuleuse, qui se gardait anxieusement de faire la moindre différence entre les belligérants et qui respectait avec une rigueur absolue l'isolement que s'impose à soi-même la neutralité. Le président somma alors ses compatriotes de s'abstenir de toute prise de parti, même dans leur conscience, car cette attitude n'aurait été neutre que de nom, tandis que leur âme aurait renoncé à la neutralité réelle : « Nous devons être impartiaux en pensée et en acte, tenir en bride nos sentiments, et éviter toute action qui pourrait être interprétée comme une préférence accordée à l'un des deux camps. » Dans sa déclaration du 2 avril 1917, il change radicalement de position et proclame ouvertement que non seulement le moment d'être neutre mais aussi l'ère de la neutralité sont révolus, et que la paix du monde et la liberté des peuples justifient la participation à une guerre européenne. Suite à l'intervention des États-Unis, celle-ci se transforma en guerre mondiale et de l'humanité entière.

    L'histoire américaine des dernières décennies enseigne qu'il ne s'agit pas d'un changement d'opinion personnelle de Wilson ni d'excès relevant de la psychologie individuelle. À chaque moment décisif, la même problématique de l'isolement et de l'intervention planétaire resurgit. Du point de vue du droit international, la proscription de la guerre instituée par le Pacte Kellogg du 27 août 1928 revient pour les États-Unis à garder en mains la grande décision sur la guerre mondiale et sur l'aggressor, même par rapport à la SDN, et à bannir du droit international le concept traditionnel de neutralité auquel le pacte de Genève faisait encore une place. « Auparavant », écrit John B. Whitton, un internationaliste qui représente bien cette mentalité, « la neutralité était un symbole de paix, elle est maintenant, grâce au nouveau droit international issu du Pacte de la Société des Nations et du Pacte Kellogg, un symbole de guerre. »

    Au cours de la guerre mondiale actuelle, l'oscillation extrême entre isolement neutre et pan-interventionnisme s'est retrouvée au mot près et suivant un parallélisme rigoureux dans de nombreuses déclarations du président Franklin D. Roosevelt. Si, pendant la Première Guerre mondiale de 1914-1918, ce dilemme s'est reflété dans les déclarations de Wilson, à partir de 1939, cette contradiction se répète de façon à tel point stéréotypée qu'on ne peut que supposer qu'elle surgit d'une identité profonde. La déclaration officielle de neutralité des États-Unis du 5 septembre 1939 se réclamait solennellement du vieux concept de neutralité défini par la plus stricte impartialité et le maintien d'une amitié égale avec toutes les parties belligérantes. On y trouve même l'expression on terms of friendship qui est la formule de la tradition européenne pour dire que la neutralité repose sur une amitié égale avec les deux parties en conflit. Inutile de décrire ici ce qu'il en fut réellement de cette impartialité et de cette amitié américaines entre septembre 1939 et l'ouverture des hostilités lors de l'entrée en guerre officielle de 1941. Après les nombreux discours du président Roosevelt, après l'ingérence dans les affaires intérieures européennes au détriment de l'Allemagne en France, en Finlande, dans les Balkans et presque partout dans le monde, après le traité signé avec l'Angleterre en octobre 1940 fournissant des bases militaires anglaises aux destroyers américains, rien ne sert de dépeindre en détail l'attitude partiale et non neutre des États-Unis. Ce qui nous intéresse dans tout cela, c'est le problème de l'hémisphère occidental et l'immense contradiction sans cesse accrue depuis le début du siècle que recouvre ce concept. La stricte neutralité qu'impliquait l'auto-isolement a elle aussi été jetée par-dessus bord pendant la Deuxième Guerre mondiale après avoir été solennellement ratifiée au début de la guerre. Le mémoire qu'a rédigé le procureur général et ministre de la Justice Jackson à bord du yacht présidentiel Potomac, lu le 31 mars 1941 lors d'une conférence de presse de la Maison-Blanche, ne fait que tirer la conclusion ultime et dresser le bilan quand il annonce la mort de l'ancien principe de l'isolement et de la neutralité : « Je ne nie pas, a dit le porte-parole du gouvernement des États-Unis, qu'au XIXe siècle l'idée de neutralité ait été à la base de certaines règles spéciales, règles qui ont ensuite été complétées par les différentes Conventions de La Haye. Mais ces règles ont fait leur temps. Les évènements de l'actuelle guerre mondiale les ont réduites à néant et privé de toute validité. L'adoption par la Société des Nations du principe des sanctions contre l'agresseur, le Pacte Briand-Kellogg et le Pacte argentin de proscription de la guerre ont définitivement balayé ces principes du XIXe siècle selon lesquels tous les belligérants devaient être traités de façon égale. Nous sommes revenus à des conceptions plus anciennes et plus saines. »

    Notre obstination à souligner la profonde contradiction interne entre isolement et intervention a pour seul but de mettre en lumière de façon simple et percutante la situation politique et juridique de l'hémisphère occidentale. Toutes les décisions et tous les évènements essentiels de l'actuel continent américain révèlent cette faille intérieure et il n'est pas de problème important, que ce soit le problème racial, le problème social ou celui de la planification économique, qui ne donne lieu à cette même oscillation entre les deux extrêmes. À cause de son importance en droit international, j'aimerais me tourner maintenant vers la question de la reconnaissance internationale. Elle livre une autre manifestation de cet antagonisme. La reconnaissance internationale est une institution du droit international européen qui tente de concilier l'intérêt qu'a l'État à reconnaître une partie contractante digne de confiance avec le principe de la non-intervention dans les problèmes constitutionnels internes de l'État reconnu. Ainsi, selon la conception courante, la reconnaissance internationale d'un État étranger et de son gouvernement n'est pas interprétée comme un acte constituant ni comme une formalité vide, mais plutôt comme un « certificat de confiance » dans les relations d'État à État, de gouvernement à gouvernement. La pratique européenne s'efforce ainsi difficilement de se frayer un chemin de traverse entre l'ingérence - inacceptable - et l'abstention complète de toute prise de position, impossible dans les faits. Mais sur le sol américain, l'antagonisme entre intervention et non-intervention s'est manifesté là encore de façon si brusque et si violente que l'Amérique est à nouveau apparue comme une image grossière et déformée de la problématique européenne du XIXe siècle. Il existe même une doctrine de la pratique américaine de la reconnaissance des autres États qui porte le nom de doctrine Wilson. D'après celle-ci, seul un gouvernement « légal », au sens qu'a le mot « légal » dans une constitution démocratique, peut être reconnu. Il va de soi que dans la pratique la signification des mots « démocratique » et « légal » est « déterminée, interprétée et sanctionnée » au cas par cas par le gouvernement des États-Unis. La doctrine et la pratique sont l'une comme l'autre extrêmement interventionnistes ; elles reviennent à ce que le gouvernement de Washington contrôle en fait tous les changements de régime et de constitution des autres États américains. En Amérique latine en revanche, on invoque l'indépendance et la souveraineté des États pour rejeter la reconnaissance internationale et la considérer comme un moyen d'intervention illicite en droit international. La conception mexicaine qui s'exprime dans la doctrine Estrada va même jusqu'à récuser toute reconnaissance en droit international, considérant qu'elle est un affront pour l'État ou le gouvernement à reconnaître (9). Par conséquent, toutes les relations juridiques entre États deviennent des relations isolées et purement factuelles, définies au cas par cas. On a là le pôle opposé au concept de reconnaissance des États-Unis. Les deux « doctrines » représentent des positions absolument contraires ; le parallélisme avec la contradiction interne entre isolement et discrimination interventionniste est nettement perceptible. Des contradictions insolubles surgissent sans cesse dans l'hémisphère occidental, elles prennent naissance dans la structure interne d'un continent déchiré et soumis à l'hégémonie des États-Unis et qui ne dispose pas d'un principe propre qui lui permettrait de décider entre isolement et intervention.

    Ainsi le mythe de l'hémisphère occidental aboutit intérieurement comme extérieurement à un interventionnisme illimité. Son instrument spécifique est la « reconnaissance » du droit international, non seulement au sens de la reconnaissance traditionnelle d'États et de régimes nouveaux mais aussi comme prise de position sur tous les changements importants, notamment les changements territoriaux. Dans la doctrine Stimson du 7 janvier 1932, les États-Unis se réservent le droit partout sur la planète de refuser leur reconnaissance à tous les changements de possession accomplis par la violence. Ce qui signifie que les États-Unis, sans se préoccuper de la distinction entre hémisphères occidental et oriental, s'arrogent le droit de décider sur la terre entière de l'aspect juste ou injuste de toute modification territoriale. Il y a peu de temps encore, tout tournait autour de la délimitation géographique de la doctrine Monroe et de l'hémisphère occidental. On avait besoin d'une frontière parce que ce qui justifiait politiquement, juridiquement et moralement la doctrine Monroe, c'était la formation d'un domaine d'autodéfense qui soit légal. C'est pourquoi il peut être utile de rappeler face à l'interventionnisme illimité, global et universel d'aujourd'hui que tous ces efforts pour délimiter le domaine géographique de la doctrine Monroe et de l'hémisphère occidental n'avaient pas d'autre justification juridique que la nécessité de délimiter un domaine américain d'autodéfense. Quand on proclame le droit à l'autodéfense, fût-ce à l'intérieur de frontières tracées généreusement, on reconnaît implicitement le droit à l'autodéfense au-delà de ces mêmes frontières. Fondement et frontière - comme toujours en droit et surtout en droit international - sont ici des termes équivalents. Avec la disparition actuelle de toutes les frontières, l'aspiration des États-Unis à étendre leurs interventions et leur reconnaissance à tous les espaces de la terre équivaut à nier le droit à l'autodéfense de tous les autres gouvernements. Voilà la signification véritable, du point de vue du droit international, du pan-interventionnisme global auquel aboutit finalement le principe de l'hémisphère occidental. Parce que cet interventionnisme a perdu tout sens de la mesure et des limites, les fondements de l'ancienne doctrine Monroe ont été détruits, ainsi que le panaméricanisme qui lui était propre.

    Mais la suppression de toute mesure et de toute limite qui caractérise l'interventionnisme américain a un sens non seulement global mais aussi total. Elle agit aussi bien sur les affaires intérieures que sur les rapports sociaux, économiques et culturels et traverse en leur cœur les peuples et les États. Puisque le gouvernement des États-Unis a le pouvoir de discriminer les autres gouvernements, il a bien sûr aussi le droit de dresser les peuples contre leurs propres gouvernements et de transformer la guerre entre États en guerre civile. La guerre mondiale discriminatoire de style américain se transforme ainsi en guerre civile mondiale de caractère total et global. C'est la clé de cette union à première vue invraisemblable entre le capitalisme occidental et le bolchevisme oriental. L'un comme l'autre font de la guerre un phénomène global et total et transforment la guerre interétatique du droit international européen en guerre civile mondiale. On comprend mieux le sens profond de ce que Lénine qualifiait de problème de la guerre totale quand il soulignait que dans la situation actuelle de la terre, il n'y avait plus qu'un seul type de guerre juste : la guerre civile. C'est seulement en adoptant ce point de vue global que l'on commence à comprendre quelle portée a pour le reste du monde le vacillement incessant de l'hémisphère occidental. La tendance à l'isolement faisait partie du patrimoine traditionnel et conservateur des États-Unis. Elle disparaît et l'aspiration à l'hégémonie mondiale contenue en germe dans la guerre mondiale discriminatoire pousse les États-Unis à intervenir militairement non seulement dans tous les espaces politiques, mais aussi dans tous les rapports sociaux de la terre. L'histoire contradictoire et en apparence énigmatique de la neutralité américaine entre 1914 et 1941 n'est rien d'autre que l'histoire de cette contradiction interne entre auto-isolement et discrimination du monde.

    Aujourd'hui, en 1943, les États-Unis tentent de se faire une place en Afrique et au Proche-Orient. De l'autre côté du globe, ils étendent une main vers la Chine et l'Asie centrale. Ils recouvrent la terre d'un système de bases militaires et de voies aériennes et proclament le «siècle américain » de notre planète. On ne peut plus parler de frontières, aussi généreusement tracées soient-elles. Ainsi se termine le mythe politique de l'hémisphère occidental. Mais sa fin est aussi la fin de toute une époque et d'un stade déterminé de l'évolution du droit international. C'est la fin de l'époque qui pensait par lignes globales et la fin de la structure du droit international qui correspondait à cette pensée. Dans les différents types de lignes globales - la raya hispano-portugaise, l'amity line anglaise, et la ligne d'auto-isolement de l'hémisphère occidental - on décelait une aspiration à modeler un ordre spatial de la terre entière, un nomos planétaire. Aujourd'hui tous ces efforts sont historiquement dépassés. Dès lors que la dernière de ces lignes globales, celle de l'hémisphère occidental, a basculé dans l'interventionnisme illimité et global, nous avons affaire à une situation radicalement nouvelle. Un autre nomos de la terre tente de contrecarrer la tendance au contrôle universel de la planète et à l'hégémonie mondiale. Son idée centrale consiste à partager la terre en plusieurs grands espaces distincts définis par leur substance historique, économique et culturelle.

    Les lignes globales caractérisaient le premier stade d'une lutte dont c'était l'enjeu de déterminer le nomos de la terre et la structure du droit international. Mais leurs divisions de la terre étaient abstraites et superficielles au sens plein du terme. En elles, tous les problèmes se résolvaient en géométrie. Abstrait et superficiel, l'impérialisme global et délocalisé de l'Occident capitaliste et de l'Est bolchevique l'est aussi. Entre les deux, l'Europe tente aujourd'hui de défendre sa substance qui risque elle aussi d'être traitée comme simple superficie. Face à l'unité globale de l'impérialisme planétaire - capitaliste ou bolchevique - se dresse une multiplicité de grands espaces denses et concrets. C'est la structure du futur droit international qui est l'enjeu de la lutte, les combats doivent trancher entre la coexistence future d'une multitude d'entités autonomes ou de simples filiales décentralisées, régionales ou locales, appartenant à un seul « maître du monde ». Les idylles locales ou régionales ne sont plus capables de résister à l’impérialisme global. Seuls les véritables grands espaces sont en mesure de l'affronter. Un grand espace digne de ce nom contient la mesure et le nomos de la terre à venir. C'est là son sens dans l'histoire universelle et en droit international.

    Le secrétaire d'État Henry L. Stimson qui a donné son nom à la fameuse et interventionniste « doctrine Stimson » a précisé le sens de cette conception globale dans une conférence du 9 juin 1941 devant les cadets de West Point. Il y affirme que la terre n'est pas plus grande aujourd'hui que ne l'étaient les États-Unis d'Amérique en 1861, alors déjà trop petits pour contenir l'opposition entre les États du Nord et ceux du Sud. « La terre, déclara Stimson, est aujourd'hui trop petite pour deux systèmes opposés. » Mais nous lui répondons que la terre sera toujours plus grande que les États-Unis d'Amérique et que jusqu'à ce jour, elle est suffisamment grande pour abriter plusieurs grands espaces au sein desquels les hommes épris de liberté peuvent défendre leur substance propre et leur spécificité historique, économique, et spirituelle.
    Carl Schmitt, In La guerre civile mondiale http://www.theatrum-belli.com
     
    Notes
    1. Le philosophe italien Giorgio Agamben s'appuie sur le livre de Schmitt sur la dictature pour critiquer Guantanamo. C'est un des usages possibles de la pensée schmittienne, mais ne faut-il pas préciser aussitôt que dans la Théorie du partisan, et plus clairement encore dans sa correspondance, Carl Schmitt s'exprime lui-même sur la lutte contre le terrorisme (ce qui est loin d'être le cas dans La dicta­ture), et que c'est pour critiquer vertement les Conventions de Genève de 1949 pour leur «juridisme utopique» ?
    2. Ces textes sont tous inédits en français hormis «Prendre/partager/paître» dont il existe une traduction de Théodore Paléologue parue dans Commentaire, n° 87, Plon, automne 1999. Les nombreux passages de «Changement de structure du droit international »repris dans Le nomos de la terre (Paris, PUF, 2001) ont d'autre part été traduits par Lilyane Deroche-Gurcel et révisés par Peter Haggenmacher. Deux textes essentiels de droit international attendent encore d'être traduits en français : Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsbegriff (1938) et Völker­rechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mâchte (1941). Schmitt ne traite presque plus de questions de droit interne après 1945. Il estime qu'il ne peut plus intervenir directement sur certaines questions et se fait « représenter » par d'autres, notamment par Forsthoff. Sur le tribunal de Nuremberg, Wilhelm Grewe a écrit le livre qu'il aurait voulu écrire. Voir : Wilhelm Grewe, Nürnberg als Rechtsfrage, Stuttgart, Ernst Klett, 1947.
    3. Carl Schmitt, Glossarium, annotation du 8 février 1950, Berlin, Duncker & Humblot, 1991, p. 297.
    4. Schmitt semble avoir été opportuniste et carriériste dès le début, ce qui aurait joué un rôle fondamental dans son engagement nazi.
    5.Giorgio Agamben, État d'exception, Paris, Le Seuil, 2003, p. 12.
    6. Ce texte a été prononcé par Schmitt à Madrid lors d'une conférence de juin 1943 (voir note 1 p. 168) ; il est pour une grande part repris dans «Die letzte globale Linie» («La dernière ligne globale», août 1943) où l'expression «guerre civile mondiale» apparaît à nouveau, Cf. Staat, Großraum, Nomos, Arbeiten aus den Jahren 1916-1969, édité par Günter Maschke, Berlin, Duncker & Humblot, 1995, p. 441, et sous une forme incomplète et très remaniée dans Le nomos de la terre, Paris, PUF, 2001. L'expression apparaît sous une forme très proche dès 1938 dans Le passage au concept discriminatoire de guerre (Die Wendung zum diskriminie­renden Kriegsbegriff, Berlin, Duncker & Humblot, 1938, p. 48) où Schmitt parle de «guerre civile internationale». C'est la structure eschatologique de la guerre juste comme «toute dernière guerre de l'humanité», comme «guerre contre la guerre» qui est désignée pour la première fois comme «internationaler Bürgerkrieg». Ernst Jünger parle de Wetlbürgerkrieg dans La paix (publié en 1945, écrit en 1941), mais dans une optique claire : il souhaite, lui, l'avènement d'un État mondial. Voir : Ernst Jünger, Der Friede, in Sâmtliche Werke, Vol. 7, Stuttgart, Klett-Cotta, 1980, p. 198. Notons que l'expression « Weltrevolutionskrieg» («guerre révolutionnaire mondiale ») était, semble-t-il, assez courante dès 1918-1919 dans la littérature antibolchevique et anti-franc-maçonnerie. On la retrouve par exemple chez Eduard Stadtler (1886-1945), l'idéologue fasciste du «Casque d'acier ». Lénine avait parlé de «transformation de la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire» dès 1914. On trouve fréquemment les expressions «guerre civile» et «guerre révolutionnaire» dans les textes marxistes du XXe siècle et il semble que l'expression de «guerre civile mondiale» soit dans la littérature de droite une réaction aux expressions communistes, qui sert à biffer le prestige de la révolution et à dire : votre prétendue révolution ne donne lieu qu'à une interminable guerre civile.
    7. Schmitt se réjouissait de la rumeur disant que Koselleck était « la Théologie poli­tique Ill de Schmitt ».
    8. Voir l'introduction de : Reinhart Koselleck, Le règne de la critique, Paris, Éd. de Minuit, 1979.
    9. Ernst Nolte, La guerre civile européenne, 1917-1945 : national-socialisme et bolchevisme, Paris. Éd. des Syrtes, 2000.