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tradition - Page 266

  • Les différents mouvements de défense de la famille sont complémentaires (2)

    Voici la deuxième partie de notre entretien avec Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif Pour Tous (retrouvez le début ici) :

    Certaines figures du mouvement d'opposition à la loi Taubira ont pris des chemins différents dans la poursuite de l'action pour la défense du mariage. Les condamnez-vous ?

    0Certainement pas ! Ce qui compte, c’est la convergence ! Autrement dit, les différents mouvements sont complémentaires les uns des autres. Ils ont chacun leurs spécificités, leur champ d'action, leurs réseaux et, bien entendu, leur rôle à jouer dans la défense du droit de l’enfant et de la famille. Nous avons perdu une bataille, mais pas la guerre ! Toutes les forces vives sont donc nécessaires dans ce combat. Et chaque mouvement a sa stratégie et son positionnement. Cette diversité est très positive car elle permet de répondre aux attentes et aux sensibilités diverses, donc de mobiliser largement sur le but commun. Ce qui signifie aussi qu’il faut accepter les différences !...

    Quoiqu’il arrive, ce que nous devons tous avoir à l’esprit, c’est la nécessité d’agir avec discernement, c’est-à-dire envisager systématiquement les conséquences possibles de nos actions, pour être sûr de faire avancer la cause qui nous mobilise. Je pense aussi que nous devons être cohérents : puisque nous défendons le bien commun, il nous faut nous-mêmes le respecter. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé l’année dernière : l’opposition à la loi Taubira n’a jamais conduit à blesser quiconque ni à casser quoi que ce soit (de notre côté bien-sûr, cela n’a pas été le cas des forces de l’ordre…)

    LMPT est pour le retrait non rétroactif de la loi Taubira. Est-ce bien correct ? Si oui quel est votre plan pour y arriver ?

    1Oui bien-sûr, La Manif Pour Tous ne lâche rien, jamais, jamais, jamais ! Elle a pour objectif l’abrogation de la loi Taubira (sans rétroactivité car cela serait un obstacle majeur) même si nous savons bien que cela ne se fera pas cette année. Aujourd’hui, nous sommes dans  l’urgence pour éviter les conséquences de cette loi, la libéralisation de la PMA et la GPA, mais nos actions visent toutes, aussi, à parvenir à l’abrogation de la loi. Cela implique de trouver les moyens d’inciter les élus et candidats aux prochaines échéances à s’engager véritablement là-dessus. Il est indispensable, aussi, de maintenir le public quotidiennement informé pour qu’il soit prêt à se mobiliser aux moments opportuns, que ce soit par les bulletins de vote, dans la rue, ou autrement. Nous travaillons aussi avec des juristes comme nous soutenons les recours qui ont été déposés au Conseil d'Etat, ceux-ci visant pour le moment à remettre en cause les modalités d’application de cette loi et ce qui va avec. L'un de ces recours a mis à mal la circulaire de Mme Taubira sur la reconnaissance des enfants nés à l'étranger par GPA, et un autre va être examiné le 8 octobre prochain par le Conseil constitutionnel : il concerne la circulaire Valls qui menacent de sanctions très lourdes les maires qui refuseraient, en conscience, de célébrer des « mariages » de personnes de même sexe. C’est un déni gravissime de la liberté de conscience, celle-ci n’ayant pas à être réservée à certaines professions (médecins, journalistes, juristes…), d’autres se la voyant refusée !

    LMPT semble être très soucieuse de son image médiatique. LMPT n'a-t-elle pas moyen de susciter de nouvelles figures médiatiques, notamment parmi les nombreux jeunes qui se mobilisent, et qui auraient l'avantage de casser les codes du politiquement correct ?

    Ce qui motive La Manif Pour Tous, c’est la réussite du combat qu’elle mène et rien d’autre ! Il s’agit de tout faire pour parvenir à l’abrogation de la loi Taubira, à l’arrêt des projets de libéralisation de la PMA et de gestation pour autrui. Plus largement, il s’agit de promouvoir et de consolider la famille dans un contexte où tout est fait pour lui rendre la vie impossible et la désagréger. On va en ce moment tout droit vers une société composée d’individualités sans racines et sans liens, dont les cerveaux seront « disponibles » aux appels consuméristes du secteur marchand comme le reconnaissait le patron d’une chaîne de télévision.

    3Quant à l’image de LMPT, ce n’est évidemment pas une fin en soi. Simplement, il faut bien comprendre que nous ne pouvons nous permettre d’être naïfs : il s’agit aussi bien d’une bataille politique (au sens grec du terme) que d’une bataille de communication. Ainsi, nos choix dans ce domaine ne visent pas notre plaisir ou notre confort, mais le but final !

    En ce qui concerne le porte-parolat de LMPT, nous avons proposé au début de l’été à l’un de nos jeunes de devenir porte-parole. Il a conscience du fait que c’est un rôle difficile, qui demande un travail de fond permanent, et qui expose beaucoup aussi. Il prend le temps de la réflexion et c’est un signe de maturité de sa part. En outre, il cherche actuellement un travail. Mais je suis sereine, sa réponse arrivera quand il faudra...

    Cependant, il y a déjà Albéric Dumont, qui prend régulièrement la parole dans les médias, et avec talent. Il le paye d’ailleurs très cher : de fausses rumeurs courent sans cesse sur lui. Notamment, il aurait prétendument fait un stage à la Préfecture de police de Paris cet été ! Ce propos, totalement faux (il révisait ses examens de droit en Bretagne !), montre à quel point le porte-parolat suppose l’acceptation d’un risque. A la suite de cette rumeur, Albéric a reçu beaucoup de menaces. Leurs auteurs n’ont manifestement pas cherché à vérifier cette information !

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • La Manif Pour Tous n'est liée à aucun parti politique (1)

    Votre blog publie en trois parties un entretien exclusif avec Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif Pour Tous. Voici le début :

    Un hebdomadaire a accusé LMPT de n'avoir pas soutenu le maire de Bollène, Marie-Claude Bompard, qui est aujourd'hui poursuivie pour avoir refusé de marier deux femmes.

    LComme nous l’avons annoncé dès la promulgation de la loi, nous sommes prêts à aider tous les maires qui ne souhaitent pas célébrer de mariage Taubira et qui sont confrontés à une demande de ce type. Nous avons donc été en contact avec Madame le maire de Bollène et son directeur de cabinet dès le tout début de cette affaire. Nous avions commencé à travailler, avec eux et avec nos avocats, pour l’aider dans une situation qui s’annonçait difficile compte-tenu de la très forte pression des pouvoirs publics sur ce sujet. Mais très vite, dans les heures qui ont suivi, l’un des adjoints au maire a proposé de « marier » les deux femmes. Les préparatifs lancés pour l’aider se sont donc arrêtés là.

    Par ailleurs, le travail en cours, mené avec Maires pour l’Enfance, association du collectif LMPT, pour la reconnaissance de la liberté de conscience des maires par le Conseil constitutionnel et le Parlement se fait avec Mme Bompard comme avec tous les maires qui ont bien voulu se joindre à la pétition et aux actions poursuivant cet objectif.

    On accuse régulièrement LMPT d'être partie liée avec l'UMP, qu'y répondez-vous ?

    Certains médias prétendent en effet – pour décrédibiliser l’opposition à la loi Taubira - que le mouvement a été récupéré. En réalité, il n’en est rien : LMPT est non partisane, c'est-à-dire qu'elle n'est liée à aucun parti politique. Elle est libre, indépendante de tout parti, comme de tout autre organisme. LMPT est donc absolument seule décideur et organisateur de sa stratégie et de ses actions. Et j’ajoute qu’elle n’est financée que par les dons de sympathisants.

    LCertes, il peut arriver, comme l’an dernier dans la phase de débats parlementaires, que nous donnions la parole à des élus au cours d’un événement. Mais c’est nous qui le décidons en fonction du contexte. Cela a été le cas le 24 mars par exemple, mais pas le 26 mai, date à laquelle la loi était déjà votée et promulguée, et donc le débat parlementaire achevé. Quant à l’Université d’été, aucun élu ne s’est exprimé en séance plénière. Quelques-uns sont intervenus, en revanche, dans le cadre d’un atelier sur l’engagement politique. Il y avait d’ailleurs aussi des ateliers sur l’engagement associatif, l’engagement syndical, etc. Dans tous les cas, des représentants politiques, associatifs et syndicaux prenaient la parole puisque, naturellement, ils sont les mieux placés pour témoigner.

    De fait, nous ne pouvons être récupérés par un quelconque parti politique parce que nous sommes nombreux, à La Manif Pour Tous, à ne nous reconnaître dans aucun : force est de constater, en effet, qu’aucun parti n’a été satisfaisant dans le domaine qui nous intéresse. Et de toute façon, La Manif Pour Tous mène un combat qui se situe au-delà des partis.

    C’est pourquoi, si certains militants veulent s'engager dans un parti politique, ils le feront à titre personnel. Et à ce sujet, ce qui nous intéressera, ce ne sera pas de savoir quel parti les uns ou les autres rejoindront : c’est que, dans le contexte qui sera le leur, ils défendent le droit de l’enfant, la famille et le bien commun.

    Quant à La Manif Pour Tous, sa finalité n’est pas de faire de la politique au sens partisan du terme. Elle est, au fond, de promouvoir une civilisation respectueuse de l’Homme, de remettre le sens du bien commun au cœur de la vie de la Cité, et donc de diffuser ces principes et leurs conséquences  dans toute la société et ce, aussi bien en politique que dans la culture, l’éducation, les médias, etc.

    A l'approche des élections municipales et des européennes LMPT soutiendra-t-elle les candidats qui partagent vos positions, quelles que soient leurs étiquettes ?

    NDans les semaines qui viennent, tous les partis et candidats aux municipales seront sollicités par les militants du réseau de La Manif Pour Tous à propos de leurs positions et engagements sur l’altérité sexuelle homme-femme, la filiation père-mère-enfant, les droits de l’enfant, la famille. Il s’agira de connaître les principes qui les guideront, dans leur responsabilité de maires comme dans l’élection à venir des sénateurs (pour rappel, les maires sont grands électeurs aux sénatoriales…). Et nous ferons connaître aux électeurs leurs réponses, comme leur position et, le cas échéant leur vote, sur la loi Taubira.

    Mais si la prise en compte des demandes des citoyens français (dont je rappelle qu’ils étaient, en avril dernier, majoritairement opposés au projet de loi Taubira) n’est pas suffisante, LMPT se réserve la possibilité de présenter ses propres listes aux Européennes (indépendamment de tout parti). En effet, si elle n’est pas supposée traiter ces sujets, on sait, le rôle néfaste et croissant de l’Union européenne sur tout ce qui touche à l’altérité sexuelle, la famille, la dignité humaine.

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  • Le cheval chez les Indo-Européens

    Le cheval et les Indo-Européens ont par­tie liée, à un double titre au moins. D'une part, la domestication du cheval puis son dressage sont un phénomène majeur des cultures indo-européennes. D'autre part, la place du cheval est considérable dans les mythologies de ces peuples.

    Aspects linguistiques et archéologiques

    equus210.jpg[Ci-contre : couverture de In search of the Indo-Europeans écrit par James P. Mallory, 1989 (tr. fr. : À la recherche des Indo-Européens : Langue, archéologie, mythe, Seuil, 1997)]

    On appelle “Indo-Européens” les ancê­tres de certains peuples de l'Eurasie, par­tageant une langue et une vision du monde communes.

    L'existence des Indo-Européens est une “hypothèse vérifiée”. Au départ, il y a le constat de parentés linguistiques. En 1786, le magistrat britannique William Jones, en poste aux Indes, formule l'hypothèse que le sanscrit, le grec et le latin ont une même origine. En 1813, l'anglais Thomas Young utilise pour la première fois le terme de “langues indo-européennes” pour désigner cette famille d'idiomes, élargie depuis notamment aux langues iraniennes, slaves, celtiques et germaniques. L'allemand Franz Bopp démontre définitivement en 1816 leur parenté. Diverses langues appa­rentées ont été découvertes depuis, notamment le hittite (parlé vers 1500 av. JC), découvert au début du XXe siècle, et le grec mycénien ou linéaire B (parlé vers 1300 av. JC), déchiffré au milieu du XXe siècle. La découverte de ces parentés linguistiques, rattachables à des racines communes, suggérait l'existence d'une langue-mère commune, “l’indo-­européen”, et l'existence d'utilisateurs de cette langue, les “Indo-Européens” en tant que peuple. Si, aux XIXe et XXe siè­cles, les travaux des linguistes et des archéologues ont été utilisés à des fins politiques, le terme “Aryens” servant à l'époque pour désigner tantôt les Indo­-Européens, tantôt les peuples germa­niques contemporains (Aryas étant en réalité le nom que se donnaient les fon­dateurs de la civilisation de l'Iran aves­tique et de l'Inde védique), il demeure aujourd'hui pertinent d'admettre qu'un peuple indo-européen a existé dans les temps préhistoriques, possédant non seu­lement une langue, mais une conception du monde commune. L'existence d'une homogénéité ethnique est probable mais ne peut être démontrée.

    Par contraction et par convention, on désigne souvent comme “peuples indo-­européens” les peuples historiques parlant une des langues héritées des Indo-­Européens d'avant la dispersion ; dans ce deuxième sens, les Hittites, les Achéens ou les Celtes sont des peuples indo-euro­péens, au sens de peuples d'origine indo-­européenne.

    Qui a domestiqué le cheval des steppes ?

    indoeuropean map[Ci-contre : Hypothèse steppique de diffusion des langues indo-­européennes (d'après Patrice Brun, Le cheval, symbole de pouvoirs dans l'Europe préhistorique, catalogue du musée de Préhistoire de Nemours, p. 54)]

    Un premier indice d'une domestication du cheval dès avant le temps de la migra­tion des Indo-Européens est fourni par la linguistique. En effet, dérivent notam­ment, directement ou indirectement, de la racine indo-européenne *ekuo-s (le cheval domestique), les termes suivants : sanscrit aśva-h aśvamedha, ¤ Aśvin), avestique aspa-, grec (h)ippos, latin equus, vieil irlan­dais ech, gaulois epo- (¤ Épona), anglo­-saxon eoh, norrois ior, vieux saxon ehu-. Une autre racine indo-européenne occi­dentale *marko- se retrouve dans le ger­manique *marh(a) (cf. allemand Mähre, anglais mare), le norrois marr, le vieil irlandais marc, le gallois march, le breton marc'h (¤ Marc). Si les héritiers des Indo­-Européens utilisent des termes dérivés de la même racine pour désigner le cheval domestique, on suppose que la domestica­tion de cet animal était une réalité à l'é­poque de leur unité.

    Un deuxième indice est de nature archéologique et géographique : le terri­toire d'origine des Indo-Européens (ou plus exactement leur foyer d'avant la dispersion) est situé par la plupart des spé­cialistes quelque part dans la vaste steppe comprise entre la région caucasienne et la zone ouralo-altaïque (le territoire de l'ac­tuelle Ukraine, au Nord de la Mer Noire, ou une région plus à l'Est) ; or cette même zone est considérée comme l'espace de la plus ancienne domestication du cheval, peut-être vers le milieu du IVe millénaire avant notre ère.

    Il s'agit là par définition d'hypothèses : en comparant la culture des Indo-­Européens, reconstruite d'après leur voca­bulaire (quels étaient la flore, la faune, les outils et les armes communs ?) et les realia observables sur le terrain (les vestiges des différentes cultures mises au jour par l'ar­chéologie en Eurasie), on ne peut que réunir des indices, mais non établir des faits.

    Fondées respectivement sur la chrono­logie et la géographie des formes linguis­tiques et sur l'interprétation de vestiges archéologiques, ces reconstitutions sont donc fragiles, dans la mesure où elles reposent sur des données difficiles à inter­préter dans les 2 cas. Certains linguis­tes pensent en effet que le foyer d'où sont partis les Indo-Européens se situait plutôt en Anatolie, et que la diffusion de leur langue aurait suivi celle de l'agriculture. De leur côté, certains archéologues font observer que la faiblesse des fouilles et donc des informations archéologiques dans les steppes de la Sibérie ne démontre pas que les Proto-Turcs n'avaient pas domestiqué de façon autonome le cheval dans leurs territoires d'origine, situés plus à l'Est.

    Provisoirement, nous pouvons cepen­dant admettre que le centre de divergence des Indo-Européens correspond plus ou moins au territoire de la “culture des kourganes” (kourgane = tertre funéraire), apparue dans les steppes de la Russie méridionale à partir du Ve millénaire avant notre ère. Si la domestication du cheval est bien attestée dans cette zone, sa date et sa portée sont discutées. Selon David Anthony, le cheval était régulièrement consommé à partir du Ve millénaire av. JC et il était associé à l'homme dans les tombes dès cette époque. Ces 2 don­nées suggèrent une domestication élé­mentaire. Ultérieurement, vers 3500 à 3000 av. JC, le cheval aurait été monté avec l'aide de mors en matière organique, comme des cordes en chanvre ou en crins. Par ailleurs, on observe la présence de chars à 2 roues dans les tombes des steppes à compter de la même période.

    Un des indices du dressage du cheval (pour l'équitation ou l'attelage) a été a été recherché par les archéologues dans la morphologie des dents des chevaux. En effet, l'habitude du mors entraîne chez le cheval une usure caractéristique, en biseau, sur ses prémolaires. Une telle usure a été observée sur le crâne d'un che­val du site néolithique de Dereivka, dans la steppe russe, mais ce cheval avait été inhumé postérieurement et datait seule­ment de l'âge du fer (700 av. JC) ; en revanche des restes équins retrouvés sur le site de Botai, dans la steppe kazakhe, et datant de la fin du néolithique (âge du cui­vre, 3500 av. JC) présentent bien de tel­les caractéristiques.

    Ces éléments archéologiques ont suggé­ré que les différentes vagues d'expansion des Indo-Européens, qui s'étalent de 4000 à 2000 avant notre ère, ont été le fait de guerriers à cheval, voire de conducteurs de chars. Ce schéma serait cohérent avec ce que nous savons de l'expansion des peu­ples indo-européens historiques, apparus ultérieurement, comme les Aryas et les Hittites (¤ Kikkuli), conducteurs de chars, ou les cavaliers ¤ Scythes. Mais il n'est pas prouvé pour leurs ancêtres. Le professeur Bernhard Hänsel résume le problème comme suit : « il n'est pas possi­ble aujourd'hui de mettre en relation l'ex­pansion [initiale] des Indo-Européens avec l'émergence de l'usage du cheval comme animal de transport, mais ce fait n'autorise pas non plus à affirmer le contraire ». Des chevaux domestiques ont certainement accompagné les Indo-­Européens dans leurs premières migra­tions, mais ils étaient sans doute utilisés comme animal de transport montés ou attelés, à côté d'autres animaux, et non pas au combat. Seuls certains de leurs succes­seurs utiliseront intensivement le cheval pour la guerre, plusieurs siècles après la dispersion.

    Aspects mythologiques

    chiron10.jpgUne forme de culture équestre commu­ne aux Indo-Européens explique sans doute les nombreuses correspondances observables dans les mythes et rites entou­rant le cheval chez leurs héritiers. Dès le XIXe siècle et le début de ce qui s'appelait la mythologie comparée, divers parallèles avaient été mis en évidence ; par ex. entre les Dioscures grecs et les Aśvin védiques, ou encore entre les Centaures grecs et les Gandharva védiques.

    Dans ce domaine, les travaux de Georges Dumézil ont cependant repré­senté un tournant. Le grand linguiste et comparatiste a croisé à de nombreuses reprises le cheval dans son enquête visant, par l'établissement de concordances indo-­européennes, à écrire “l’ultra-histoire” des civilisations romaine, indienne, iranienne, etc. Dans un essai de 1929 sur les Centaures [Le problème des Centaures, Geuthner], renié par la suite, Dumézil opérait, dans la tradition de James George Frazer et de son Rameau d'Or, divers rap­prochements non seulement entre les Centaures grecs et les Gandharva védiques, mais avec d'autres rites et mythes plus ou moins équestres ; Dumézil y voyait des masques-chevaux intervenant dans les fêtes de la fin de l'hiver, porteurs de prospérité (¤ Centaures).

    C'est en 1938 qu'il découvre l'axe majeur de ce qu'il appelle “l’idéologie” des Indo-Européens, à savoir une concep­tion du monde organisée en 3 fonc­tions : une première fonction exprimant la souveraineté dans sa double dimension juridique et magique, une deuxième fonc­tion de nature guerrière, une troisième fonction dispensatrice de prospérité (fécondité, richesse). Si dans un premier temps Dumézil privilégie les fonctions sociales, voire l'organisation sociale réelle, comme celle des classes sociales indiennes ou varna des brahmanes-prêtres, des ksa­triya-guerriers et des vaisya-éleveurs-­agriculteurs, il souligne à partir des années 1950 la dimension avant tout idéologique de cette tripartition et son caractère dyna­mique : non seulement la société humaine mais le cosmos tout entier ne peuvent vivre sans la coopération harmonieuse des 3 fonctions, avec la prééminence de la première sur la seconde et de la seconde sur la troisième.

    Après cette découverte, Dumézil voit dans le cheval essentiellement un symbole ou un attribut de la deuxième fonction. Il développe cette thèse à partir du rite romain archaïque du sacrifice du cheval d'octobre, en effet de nature guerrière (¤ October equus). S'appuyant dans une moindre mesure sur le sacrifice védique du cheval, il postule une « identité foncière [...] entre une structure indienne et une structu­re romaine » et considère que « cet accord n'a pas besoin d'être confirmé par le témoi­gnage d'autres peuples indo-européens ».

    Il est cependant possible de nuancer cette vision d'un cheval au symbolisme purement guerrier chez les Indo­-Européens.

    Parmi l'ensemble de leurs mythes et rites équestres, nombreux sont en effet ceux qui se rattachent à la première fonc­tion (¤ souveraineté). Le sacrifice védique du cheval, qui était d'abord un rite de confirmation du pouvoir royal, relève autant de la première, voire de la troisième fonction que de la fonction guerrière (aśvamedha). Relèvent aussi de la sphère juridico-religieuse le sacrifice iranien de chevaux au ¤ Soleil décrit par Xénophon, de même que le rite d'intronisation royal au moyen du hennissement du cheval évo­qué par Hérodote (¤ Darius).

    D'autres mythes ou rites équestres se rattachent à la troisième fonction. Dumézil avait lui-même souligné une dimension de génie de la fécondité chez les Centaures, dont il n'abordera plus le problème après son essai de jeunesse. Plus déterminant encore, le sacrifice du cheval pratiqué par les Scythes et les Germains était principalement un rite de fécondité, ce que Dumézil admettait dès 1954 pour les Scandinaves. Enfin, le rôle principal des jumeaux cavaliers Castor et Pollux comme “protecteurs”, en particulier des marins, des blessés et des femmes encein­tes (¤ Dioscures), et celui de leurs cousins les Aśvin, thaumaturges dispensateurs de santé et de jeunesse, relèvent à l'éviden­ce de la sphère de la fécondité.

    Ces diverses incursions du cheval dans la première et la troisième fonction peu­vent certes être interprétées comme des signes secondaires d'un excès de la force guerrière, qui s'empare naturellement du pouvoir et qui a pour mission de garantir et de protéger la prospérité. Mais il serait tout aussi cohérent d'y voir la manifesta­tion de la nature plurifonctionnelle du cheval dans l'univers indo-européen.

    En résumé, le rôle central du cheval dans la mythologie, les croyances et la pensée des Indo-Européens est un fait éta­bli. En revanche, l'apport exclusif ou déci­sif des Indo-Européens à la première domestication du cheval n'est que proba­ble, et la portée de leur contribution au développement ultérieur de la civilisation du cheval et du char de guerre de l'âge du bronze est discutée.

    ► Marc-André Wagner, Dictionnaire mythologique et historique du cheval, Rocher, 2006.

    • Ressouces bibliographiques :

    • David W Anthony, et Dorcas R. Brown, « Eneolithic horse exploitation in the eurasian steppes : diet, ritual and riding », Antiquity vol. 74, n° 283, mars 2000, pp. 75-86.
    • B. Hänsel, et S. Zimmer (éd.), Die Indogermanen und das Pferd (Actes du colloque de Berlin de 1992), Budapest, 1994.
    • Julius Pokorny, Indogermanisches etymologi­sches Wörterbuch, Munich, 1959.
    • Wilhelm Koppers, « Pferdeopfer und Pferdekult der Indogermanen », Wiener Beiträge zur Kulturgeschichte und Linguistik 4 (1936), pp. 279-411.

    http://www.archiveseroe.eu/tradition-c18393793/53

  • Annonce de conférence de Philippe Ploncard d’Assac

    Conférence de Philippe Ploncard d’Assac "Les crimes d’États du mondialisme ?"
    Paris, 5 octobre 2013, 15 heures, 78A rues de Sèvres, Métro Duroc (lignes 10 &13). PAF - 10 € ; Étudiants et chômeurs -
    5 €.

    Annonce de conférence de Philippe Ploncard d’Assac
  • Redécouvrez les contes de Grimm

        L’Allemagne célèbre cette année le 200ème anniversaire de la naissance de Jacob Grimm : juste hommage envers un homme dont l'oeuvre, indissociable de celle de son frère Wilhelm, a profondément marqué son temps. Car Jacob et Wilhelm Grimm n'ont pas seulement été les conteurs dont plusieurs générations d’enfants ont appris à connaître le nom. Jacob Grimm, qui, en novembre 1830, qualifiait le patriotisme de "sentiment divin" et qui, en 1846, participant à Francfort à un congrès de germanistes réunis sur le thèmeQu'est-ce qu'un peuple ?, disait : "Un peuple est la quintessence (Inbegriff) des hommes qui parlent la même langue", fut aussi, en même temps qu'un savant considéré aujourd'hui comme l'un des pères de la philologie moderne, l'un des auteurs du renouveau de la conscience nationale et populaire en Europe.
    Le 1er fils de Philipp Wilhelm Grimm et Dorothea Zimmer étant mort en bas âge, Jacob et Wilhelm Grimm furent les aînés des 8 enfants de la fratrie subsistante. La famille remonte à un Johannes Grimm, qui fut maître de poste à Hanau vers 1650. C'est dans cette ville que Jacob naît le 4 janvier 1785, 13 mois avant Wilhelm. On est alors à la frontière de 2 mondes. En France, les signes avant-coureurs de la Révolution se multiplient. Le Times est fondé à Londres. En Prusse, fonctionne la 1ère machine à vapeur ; le Grand Frédéric règne à Sanssouci.
    Juriste de son état, le père Grimm est nommé fonctionnaire à Steinau en 1791. La famille déménage avec lui pour s'installer dans la Hesse, région située à la frontière de la plaine du Nord et du fossé rhénan, qui fut occupée dès le VIIIe siècle par les Francs. Cinq ans plus tard, Philipp Wilhelm Grimm disparaît ; sa femme ne lui survivra que quelques années (le fils aîné se retrouvera chef de famille à 23 ans). Jacob et Wilhelm sont envoyés chez leur tante, à Kassel, où ils fréquentent le célèbre Lyceum Friedricianum.
    Au printemps de 1802, Jacob Grimm s'inscrit à l'université de Marburg pour y faire des études de droit. Agé de 17 ans, c'est alors un adolescent grave, mélancolique, au caractère réservé, qui passe déjà pour un travailleur opiniâtre. À Marburg, il se lie rapidement avec le juriste Friedrich Carl von Savigny, le fondateur de l'école du droit historique, et cette relation va exercer sur lui une empreinte déterminante. En 1803, tandis que Savigny lui fait connaître la littérature médiévale, il entre aussi en contact avec Clemens Brentano et lit avec enthousiasme les Minnelieder aus dem schwäbischen Zeitalter de Ludwig Tieck.
    En 1805, c'est l'expérience décisive. De février à septembre, Jacob Grimm accompagne Savigny à Paris - ville qu'il trouve bruyante et fort sale ! Par contre, à la Bibliothèque impériale, il découvre toute une série de manuscrits littéraires allemands du Moyen Age qui lui emplissent le cœur d'une singulière exaltation. À dater de ce jour, sa vocation est faite : il se consacrera à l'étude des monuments culturels du passé national. Tout l'y pousse, et d'abord la triste situation dans laquelle se trouve son pays.
    La Prusse, en effet, depuis la défaite de Valmy (1792), connaît des jours sombres. En 1805, Jacob Grimm s'afflige de voir "l’Allemagne enserrée en des liens indignes, le pays natal bouleversé et son nom même anéanti". L'année suivante, ce sera la catastrophe. Inquiet de la formation de la Confédération du Rhin, Frédéric-Guillaume III s'allie à la Russie. Las ! En quelques mois, la coalition s'effondre. Après les défaites d'Iéna et d'Auerstedt, les troupes napoléoniennes occupent Berlin. En 1807, au traité de Tilsit, la Prusse, dépossédée de la moitié de son territoire, se voit en outre condamnée à payer des indemnités de guerre considérables. Brême, en 18l0, deviendra sous l'occupation française le chef-lieu du département des Bouches-du-Weser ! L'identité allemande, dès lors, est menacée.
    Aussi bien, pour J. Grimm, l'étude de la littérature nationale n'est-elle pas qu’une simple démarche universitaire. C'est un acte de foi politique, qui participe d'une véritable réforme intellectuelle et morale. Celle-ci trouve son point d'appui dans la 1ère réaction romantique, centrée autour de l'école de Heidelberg qui, avec Arnim et Brentano, s'emploie notamment à définir les éléments constitutifs de la nationalité. "Ces écrivains, souligne Jacques Droz, ont admis qu'il ne pouvait pas y avoir de réveil du peuple si celui-ci ne prenait pas conscience qu'il recelait en son sein, s’il ne substituait pas à une culture réservée à une élite une culture véritablement populaire, si l’individu ne cherchait pas à se rattacher spirituellement à la nation tout entière" (Le romantisme politique en Allemagne, 1963, p. 23).
    À l'heure de l’éveil des nationalités, l'entreprise des frères Grimm vise donc à faire prendre conscience aux Allemands de la richesse du patrimoine culturel qui leur est commun et à leur montrer que ce patrimoine, qui représente "l’âme germanique" dans son essence, en même temps que la "conscience nationale courbée sous l'occupation", peut servir aussi de base à leur unité politique.
    Dans ses Souvenirs, Grimm raconte dans quel esprit il entreprit à Paris ces études auxquelles il allait consacrer toute sa vie : "Je remarquai d’abord que presque tous mes efforts ou bien étaient consacrés à l’étude de notre langue ancienne, de notre poésie ancienne, de notre droit ancien, ou bien s’y rapportaient directement. Certains peuvent avoir considéré ou considèrent encore que ces études sont sans aucun profit ; pour moi, elles me sont apparues de tout temps comme une tâche noble, sérieuse, qui se rapporte de façon précise et forte à notre patrie commune et fortifie l’amour qu’on lui porte" (Kleinere Schriften, Berlin, 1864, vol. I, p. 64).
    C’est dans la même intention qu'Achim von Arnim et C. Brentano collectent les vieilles poésies populaires. En septembre 1806, Arnim écrit à Brentano : "Celui qui oublie la détresse de la patrie sera oublié de Dieu en sa détresse". Quelques jours plus tard, à la veille de la bataille d'Iéna, il distribue aux soldats de Blücher des chants guerriers de sa composition. Parallèlement, il jette les bases de la théorie de l'État populaire (Volksstaat). Systématiquement, le groupe de Heidelberg s'emploie ainsi à mettre au jour les relations qui existent entre la culture populaire et les traditions historiques. Influencé par Schelling, Carl von Savigny oppose sa conception historique du droit aux tenants du jusnaturalisme [droit naturel]. Il affirme qu'aucune institution ne peut être imposée du dehors à une nation et que le droit civil est avant tout le produit d’une tradition spécifique mise en forme par la conscience populaire au cours de l'histoire. Le droit, dit-il, est comme la langue : "Il grandit avec le peuple, se développe et meurt avec lui lorsque celui-ci vient à perdre ses particularités profondes" (De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit).
    Avec les romantiques, J. Grimm proteste lui aussi contre le rationalisme des Lumières. Il exalte le peuple contre la culture des "élites". Il célèbre l'excellence des institutions du passé. Revenu à Kassel, où Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, s’installe en 1807 au Château de Wilhelmshöhe (construit au pied d'une colline dominant la ville par le prince-électeur Guillaume Ier), il occupe avec son frère diverses fonctions dans l'administration et à la bibliothèque. À partir de 1808, ils collaborent tous 2 à la Zeitung für Einsiedler, où l'on retrouve les signatures de Brentano, Arnim, Josef Görres, etc. En 1813, ils lanceront leur propre publication, les Altdeutsche Wälder.
    Le 1er livre de J. Grimm, Über den altdeutschen Meistergesang, paraît à Göttingen en 1811. Contestant les rapports établis habituellement entre la poésie raffinée du Moyen Age (Meistergesang) et le chant populaire (Minnegesang), l’auteur y défend l'idée que la "poésie naturelle" (Naturpoesie) est absolument supérieure à la "poésie artistique" (Kunstpoesie), tout comme la source jaillissante de l'âme populaire est supérieure aux œuvres des élites cultivées. La "poésie naturelle", disait déjà Herder, fait comprendre le sens de l'univers ; elle maintient vivant le lien entre l'homme et la nature. Étant l'expression même des croyances instinctives et des sentiments du peuple, elle apparaît dès que les hommes font advenir en eux à la présence ce qui les apparente au monde. La Kunstpoesie, au contraire, si belle qu'elle puisse être, est inévitablement affectée d’individualisme et d'artificialité. Au-delà de ses qualités mêmes, elle traduit une coupure "intellectuelle" qui est un germe de déclin (on retrouve ici l'idée que le raffinement équivaut déjà à une perte de puissance, à un début d'épuisement).
    Contrairement à Görres, J. Grimm va jusqu'à éliminer toute activité particulière ou individuelle dans la production poétique populaire ! Celle-ci, selon lui, se manifestespontanément, de façon divine au sens propre. La vérité légendaire ou mythique, d'essence divine elle aussi, s'oppose de la même façon à la vérité historique humaine. De façon plus générale, tout ce qui se perd dans la nuit des temps, tout ce qui relève de l'ancestralité originelle, est divin. Résumant ses idées sur ce point, J. Grimm déclare vouloir montrer qu'"une grande poésie épique a vécu et régné sur toute la surface de la terre, puis a peu à peu été oubliée et abandonnée par les hommes, ou plutôt, car elle n'a pas été abandonnée tout à fait, comment les hommes s'y alimentent encore". Il ajoute : "De même que le paradis a été perdu, le jardin de l'ancienne poésie nous a été fermé". Et plus loin : "Je ne regarde pas le merveilleux comme une rêverie, une illusion, un mensonge, mais bien comme une vérité parfaitement divine ; si nous nous rapprochons de lui, il ne s'évanouit nullement à la façon d'un brouillard, mais prend toujours un caractère plus sacré et nous contraint à la prière. (...) C'est pourquoi l'épopée n'est pas simplement une histoire humaine, comme celle que nous écrivons maintenant, mais contient aussi une histoire divine, une mythologie". Cette thèse quelque peu extrême ne convainc pas Arnim, pas plus que Schlegel ou Görres, et moins encore Brentano. Des discussions passionnées s'ensuivent...
    Dans les années qui suivent, les frères Grimm vont approfondir leur intuition en se penchant sur de grands textes littéraires. Ils travaillent d'abord sur la Chanson des Nibelungen, puis sur les chansons de geste, les vieux chants populaires écossais, les runes, l'Irminsul. Ils préparent aussi une nouvelle édition du Hildebrandslied et du Reinhard Fuchs, et s'attaquent à la traduction d'une partie de l'Edda. Wilhelm, de son côté, traduit les Altdänische Heldenlieder (Heidelberg, 1811), qu'il n'hésite pas à comparer aux poèmes homériques et qu'il oppose à la littérature des scaldes à la façon dont Jacob oppose Naturpoesie et Kunstpoesie. Les 2 frères, enfin, déploient une intense activité pour recueillir les contes populaires qui vont constituer la matière de leur ouvrage le plus fameux : les Contes de l’enfance et du foyer.
    Le 1er volume de ces Contes (Kinder- und Hausmärchen) est publié à Noël 1812 par la Realschulbuchhandlung de Berlin. Les frères Grimm l'ont dédié à leur "chère Bettina", épouse d'Arnim et sœur de Brentano (la fille de Bettina épousera par la suite le fils de Wilhelm Grimm). Le volume suivant paraîtra en 1815. Un 3ème volume, contenant les variantes et les commentaires, sortira en 1822 à l’instigation du seul Wilhelm Grimm. Dès sa parution, l'ouvrage connaît le plus vif succès. Goethe le recommande à Mme de Stein comme un livre propre à "rendre les enfants heureux". Schlegel, Savigny, Arnim s'en déclarent enchantés. Seul C. Brentano reste réservé.
    C'est en 1806, dès le retour de Jacob de Paris, que les 2 frères Grimm ont commencé leur collecte. La région dans laquelle ils vivent s'avérait d'ailleurs particulièrement propice à la réalisation de leur projet. Sur les chemins de la Hesse et de la Weser, dans le pays de Frau Holle, les "fées"  semblent avoir de tout temps trouvé refuge. Entre Hanau et Brême, Steinau et Fritzlar, Munden et Alsfeld, les légendes se sont cristallisées autour des forêts et des villages, des collines et des vallées. Aujourd'hui encore, dans les bois environnants, près des vieilles maisons à colombage, aux toits de tuile rouge et aux murs recouverts d'écailles de sapins, la trace des frères Grimm est partout (1).
    La plupart des contes réunis par Jacob et Wilhelm Grimm ont été recueillis auprès de gens du peuple : paysans, artisans, servantes. Deux femmes ont à cet égard joué un rôle essentiel. Il s'agit d'abord d'une paysanne de Niederzwehrn, près de Kassel, à laquelle Wilhelm Grimm donne le nom de "Frau Viehmännin" et dont le nom exact était Dorothea Viehmann (2). L'autre femme était Marie Hassenpflug (1788-1856), épouse d'un haut fonctionnaire hessois installé à Kassel ; on estime que les frères Grimm recueillirent une cinquantaine de contes par son intermédiaire. Ces 2 femmes étaient d'origine huguenote. Par sa mère, Marie Hassenpflug descendait d'une famille protestante originaire du Dauphiné. En 1685, la révocation de l'édit de Nantes conduisit en effet quelque 4 000 huguenots français à s'installer en Hesse, dont 2 000 dans la ville de Kassel.
    Cette ascendance huguenote des 2 principales "informatrices" des frères Grimm a conduit quelques auteurs modernes à gloser de façon insistante sur les "emprunts français" (Heinz Rölleke) auxquels les 2 frères auraient eu recours. Certains en ont conclu à "l'inauthenticité" des contes de Grimm, qui trouveraient leur véritable origine dans les récits littéraires de Charles Perrault ou de Marie-Catherine d'Aulnoy, beaucoup plus que dans l’authentique "tradition populaire" allemande. Cette thèse, poussée à l’extrême par l'Américain John M. Ellis (One Fairy Story, Too Many. The Brothers Grimm and Their Tales, Univ. of Chicago Press, 1983) qui va jusqu'à parler de "falsification" délibérée, est en fait inacceptable. Il suffit de lire lesContes de Grimm pour s'assurer que l'immense majorité de ceux-ci ne se retrouvent ni chez Perrault ni chez Mme d'Aulnoy. Les rares contes présents chez l'un et chez l'autre auteur (Hänsel et Gretel et le petit Poucet, Aschenputtel et Cendrillon, Dornröschen et la Belle au bois dormant, etc.) ne constituent d'ailleurs pas la preuve d'un "emprunt". Perrault ayant lui-même largement puisé dans le fonds populaire, il y a tout lieu de penser que les frères Grimm ont simplement recueilli une version parallèle d'un thème européen commun. Le fait, enfin, que certains contes de Grimm aient été directement recueillis en dialecte hessois ou bas-allemand et que, de surcroît, la majeure partie d'entre eux renvoient de toute évidence à un héritage religieux germanique, montre que les accusations de John M. Ellis sont parfaitement dénuées de fondement.
    En fait, pour les frères Grimm, le conte populaire fait partie de plein droit de laNationalpoesie. Au même titre que le mythe, l'épopée, le Volkslied (chant populaire), il est une "révélation de Dieu" surgie spontanément dans l'âme humaine. Évoquant les contes, dont il dit que "leur existence seule suffit à les défendre", Wilhelm Grimm écrit : "Une chose qui a, d'une façon si diverse et toujours renouvelée, charmé, instruit, ému les hommes, porte en soi sa raison d’être nécessaire et vient nécessairement de cette source éternelle où baigne toute vie. Ce n'est peut-être qu'une petite goutte de rosée retenue au creux d'une feuille, mais cette goutte étincelle des feux de la première aurore".
    En retranscrivant les contes populaires qu'ils entendent autour d'eux, les 2 frères restent donc rigoureusement fidèles à leur démarche originelle. Leur but est toujours de faire éclore à la conscience allemande les sources de son identité, de redonner vie à l'esprit populaire à l'œuvre dans ces récits que le monde rural s'est retransmis au fil des siècles. Leur démarche est par-là foncièrement différente de celle des auteurs français. Tandis que l'œuvre de ces derniers s'inscrit dans un contexte littéraire et "mondain", la leur entend plonger aux sources mêmes de "l'âme nationale". Elle est un geste de piété en même temps qu'un acte radicalement politique. Certes Jacob et Wilhelm Grimm ont le souci de remettre en forme les contes qu'ils recueillent mais c'est avant tout le respect qui commande leur approche. Mus par un parti pris de fidélité, ils ne s'intéressent ni aux formes littéraires ni au "moralités" qui enchantaient Perrault. Ils ne visent pas tant à amuser les enfants ou à distraire la cour d'un prince ou d'un roi qu'à recueillir à la source, de la façon la plus minutieuse qui soit, les traces encore existantes du patrimoine auquel ils entendent se rattacher. Bref, comme l'écrit Lilyane Mourey, ils entendent travailler "au nom de la patrie allemande" (3). Tonnelat, de même, insiste sur "les rapports qu'ils croyaient apercevoir entre le conte et l'ancienne légende épique des peuples germaniques. Rapports si étroits qu'on ne peut plus, lorsqu'on va au fond des choses, distinguer l'un de l'autre. Le conte n'est qu'une sorte de transcription des grands thèmes épiques en un monde familier tout proche de la simple vie du peuple" (Les frères Grimm. Leur oeuvre de jeunesse, A. Colin, 1912, pp. 214-215).
    L'étude des contes populaires (Märchenforschung), dont J. et W. Grimm ont ainsi été les précurseurs, a donné lieu depuis plus d'un siècle à des travaux aussi érudits que nombreux. La matière, par ailleurs, n'a cessé d’être plus étroitement cernée. En 1910, le folkloriste finlandais Antti Aarne a publié une classification des contes par thèmes et par sujets (The Types of the Folktale, Suomaleinen Tiedeakatemia, Helsinki, 1961) qui, affinée par Stith Thompson (The Folk Tale, Dryden Press, New York, 1946 ; Motif Index of Folk Litterature, 6 vol., Indiana Univ. Press, Bloomington, 1955), est aujourd'hui universellement utilisée. Elle ne rassemble pas moins de 40 000 motifs principaux. Pour le seul domaine d'expression française, on a dénombré plus de 10 000 contes différents (cf. Paul Delarue, Le conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France et des pays de langue française d'outre-mer, Maisonneuve et Larose, 1976), dont un grand nombre trouvent leur origine dans la matière de Bretagne.
    S’il est admis que le conte tel que nous le connaissons apparaît aux alentours du Xe siècle, époque à laquelle il semble prendre le relais du récit héroïque ou épique, se comprend mieux alors que l'étude des filiations, des modes de transmission et des variantes représente un énorme champ de travail. Pour Cendrillon, par ex., on n'a pas dénombré moins de 345 variantes ! Selon l'école finlandaise, la comparaison de ces variantes permet le plus souvent de reconstruire une forme primordiale" (à la façon dont la comparaison des langues européennes a permis aux philologues de "reconstruire" l'indo-européen commun), mais le bien-fondé de cette démarche est contesté par certains. Ainsi que l'avait pressenti J. Grimm, le problème de l'origine des contes renvoie en fait à celui de la formation de la pensée mythique. C'est dire qu'il est impossible de la situer avec précision. Diverses thèses ont néanmoins été avancées. Plusieurs auteurs (P. Saintyves, V.J. Propp, Sergius Golowin, A. Nitzschke) ont recherché cette origine dans de très anciens rituels. Plus généralement, la parenté des contes et des mythes religieux est admise par beaucoup mais les opinions diffèrent quant à savoir si les contes représentent des "résidus" des mythes ou, au contraire, s'ils les précédent. Tout récemment, le professeur August Nitzschke, de l’université de Stuttgart, a affirmé que l'origine de certains contes pourrait remonter jusqu'à la préhistoire de la période post-glaciaire. Après Paul Saintyves (Les contes de Perrault et les récits paralléles, Émile Nourry, 1923), d'autres chercheurs, not. C.W. voit Sydow et Justinus Kerner, ont essayé de démontrer l'existence, effectivement fort probable, d'un répertoire de base indo-européen.
    Dans la préface au 2nd volume de leur recueil, les frères Grimm déclarent, eux aussi, qu'il y a de bonnes raisons de penser que de nombreux contes populaires renvoient à l'ancienne religion germanique et, au-delà de celle-ci, à la mythologie commune des peuples indo-européens. Le 3ème volume propose à cet égard divers rapprochements qui, par la suite, ont été constamment repris et développés. Le thème de Cendrillon (Aschenputtel), par ex., est visiblement apparenté à l'histoire de Gudrun. L'histoire des 2 frères (conte 60) évoque la légende de Sigurd. La Belle au bois dormant (Dornröschen), dont le thème se trouve dès le XIVe siècle dans lePerceforest, est de toute évidence une version populaire de la délivrance de Brünhilde par Siegfried au terme d'une quête "labyrinthique", etc. D'autres contes renvoient probablement à des événements historiques. Il en va ainsi de Gnaste et ses 3 fils (conte 138), qui conserve apparemment le souvenir de la christianisation forcée du peuple saxon et se termine par cette apostrophe : "Bienheureux celui qui peut se soustraire à l'eau bénite !"
    N'a-t-on pas été jusqu'à voir dans l'histoire de Blanche-Neige (Schneewittchen) l'écho d'un vieux conflit entre le droit saxon et le droit romain, où les 7 nains auraient représenté les 7 anciennes provinces maritimes frisonnes ? Et dans l'exclusion de la 13ème fée dans la Belle au bois dormant un souvenir du passage, chez les anciens Germains, de l'année de 13 mois à celle de 12 (Philipp Stauff) ? Certaines de ces hypothèses sont aventurées. Mais derrière les "sages femmes" dont parlent les frères Grimm, il n'est pas difficile d'identifier d’anciennes "sorcières" (Hexe) persécutées (4), tout comme les 3 fileuses incarnent les 3 Nomes, divinités germaniques du destin (5).
    Bien d'autres interprétations ont été avancées, qui font appel à l'ethnologie et à la psychologie aussi bien qu'à l'histoire des religions ou à l'anthropologie : analyses formelles (Vladimir Propp), approches historiques ou structuralistes, recours à l'inconscient collectif du type jungien (Marie-Louise von Franz), études symboliques (Claudio Mutti), aspects thérapeutiques de l'école de Zurich (Verena Kast), exploitations parodiques (Iring Fetscher), etc.
    L'importance qu'ont les relations de parenté dans la plupart des contes populaires a aussi donné lieu, not. chez Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées, Laffont, 1979) et Erich Fromm (Le langage oublié, Payot, 1980), à des interprétations psychanalytiques. Pour Bettelheim, les contes ont essentiellement pour but de permettre aux enfants de se libérer sans dommage de leurs craintes inconscientes : l’heureux dénouement du récit permet au moi de s'affirmer par rapport à la libido. En fait, comme le montre Pierre Péju (La petite fille dans la forêt des contes, Laffont, 1981), cette interprétation n'est acquise qu'au prix d'une réduction qui transforme le conte en "roman familial" par le biais de la "moulinette psychanalytique". Elle laisse "l'histoire" des contes entièrement de côté, avec tous ses arrière-plans mythiques et ses variantes les plus significatives. Bettelheim, finalement, ne s'intéresse pas aux contes en tant que tels ; il n'y voit qu'un mode opératoire à mettre au service d'une théorie préformée sur la personnalité psychique - ce qui ne l'a d'ailleurs pas empêché d'exercer une profonde influence(6).
    Pour Bettelheim, le conte aide l'enfant à devenir adulte. Pour Jacob Grimm, il aiderait plutôt les adultes, en les remettant au contact de l'originel, à redevenir des enfants. Ce n'est en effet qu'à une date relativement récente que les contes ont constitué un genre littéraire "pour les enfants". Le recueil des frères Grimm évoque d'ailleurs dans son titre aussi bien l'enfance que le foyer : si les enfants entendent les contes dans le cercle de famille, ils n'en sont pas pour autant les destinataires privilégiés. Dans une lettre à L.J. Arnim, Jacob Grimm écrit : "Ce n'est pas du tout pour les enfants que j'ai écrit mes contes. Je n'y aurais pas travaillé avec autant de plaisir si je n'avais pas eu la conviction qu'ils puissent avoir de l'importance pour la poésie, la mythologie et l'histoire, aussi bien à mes yeux qu'à ceux de personnes plus âgées et plus sérieuses".
    Produit d'un fond culturel retransmis par voie orale pendant des siècles, sinon des millénaires, le conte populaire est en fait, comme disent les linguistes, un modèle fort qui va bien au-delà du simple divertissement. Les lois du genre en font le véhicule et le témoin privilégié d'un certain nombre de types et de valeurs, grâce auxquels l'auditeur peut à la fois s'appréhender comme l’héritier d'une culture particulière et s'orienter par rapport à son environnement.
    C'est par son caractère intemporel, anhistorique, que le conte s'apparente au mythe. Tandis que le récit biblique dit : in illo tempore, "en ce temps-là" (un temps précis), le conte affirme : "il était une fois", formule qui extrait la temporalité de tout contexte linéaire ou finalisé. Avec ces mots, le conte évoque un "jadis" qui équivaut à un "nulle part" aussi bien qu'à un "toujours".
    "Comme toute utopie, écrit Marthe Robert, le conte nie systématiquement les données immédiates de l'expérience dont le temps et l'espace sont les 1ers fondements mais cette négation n'est pas son véritable but ; il ne s'en sert que pour affirmer un autre temps et un autre espace, dont il révèle, par toutes ses formules, qu'ils sont en réalité un ailleurs et un avant" (Un modèle romanesque : le conte de Grimm in Preuves, juillet 1966, 25). Dans le conte, l'état civil, l'histoire et la géographie sont abolis délibérément. Les situations découlent exclusivement de relations mettant en jeu des personnages-types : le roi, le héros, la fileuse, la marâtre, la fée, le lutin, l'artisan, etc., qui sont autant de figures familières, valables à tout moment. Plus encore que le passé, c'est l'immémorial, et par-là l'éternel, que le conte fait surgir dans le présent pour y faire jaillir la source d'un avenir rénové par l'imaginaire et par la nostalgie : témoignage fondateur, qui implique que "l'antérieur" ne soit jamais clairement situé. Le conte, en d'autres termes, ne se réfère au "passé" que pour inspirer "l'avenir". Il est une métaphore destinée à inspirer tout présent. L'apparente récréation ouvre la voie d'une re-création. Loin que son caractère "merveilleux" l’éloigne de la réalité, c'est par-là au contraire que le contenu du conte est rendu compatible avec toute réalité. Pour Novalis, les contes populaires reflètent la vision supérieure d'un "âge d'or" évanoui. Cet "âge d'or", du fait même qu'il se donne comme émanant d'un temps situé au-delà du temps, peut en réalité s'actualiser aussi à chaque instant. Lorsqu'ils évoquent l'enfance, Jacob et Wilhelm Grimm n'ont pas tant à l'esprit l'âge de leurs jeunes lecteurs que cette "enfance de l'humanité" vers laquelle ils se tournent pour en extraire la source d'un nouveau commencement qui, après des siècles d’histoire "artificielle", renouerait avec l’innocence de la création spontanée.
    Le conte, par ailleurs, témoigne de la parenté de tout ce qui compose le monde. Il est par-là à l'opposé de tout le dualisme propre aux religions révélées. Les frères Grimm remarquent eux-mêmes que dans les contes populaires, la nature est toujours "animée". "Le soleil, la lune et les étoiles fréquentent les hommes, leur font des cadeaux, écrit Wilhelm Grimm. (...) Les oiseaux, les plantes, les pierres parlent, savent exprimer leur compassion ; le sang lui-même crie et parle, et c'est ainsi que cette poésie exerce déjà des droits que la poésie ultérieure ne cherche à mettre en œuvre que dans les métaphores". Dans la dimension mythique qui est propre au conte, toutes les frontières nées de la dissociation inaugurale s'effacent. Le héros comprend le langage des oiseaux les bêtes communiquent avec les humains : la nature porte présage. Toutes les dimensions de visible et d'invisible se confondent, comme au temps où les dieux et les hommes vivaient ensemble dans une présence amicale. Sorte d'épopée familière liée à la "poésie naturelle", le conte traduit ici un paganisme implicite, que les frères Grimm ne se soucient pas de cerner en tant que tel, mais qu'ils fondent, toutes croyances confondues, dans l'exaltation du Divin.
    On comprend mieux, dès lors, que le conte populaire n'ait cessé, à l'époque moderne, de faire l'objet des critiques les plus vives. Au XVIIIe siècle, les pédagogues des Lumières y voyaient déjà un ramassis de superstitions détestables. Par la suite, les libéraux en ont dénoncé le caractère "irrationnel" aussi bien que la violence "subversive" tandis que les socialistes y voyaient des "histoires à dormir debout" propres à désamorcer les nécessaires révoltes, en détournant les enfants des travailleurs des réalités sociales. Plus récemment, les contes ont été considérés comme "traumatisants" ou ont été attaqués pour des raisons moralo-pédagogiques ridicules (7).
    Si, au XIXe siècle, le conte devient progressivement un outil pédagogique bourgeois, coupé du milieu populaire, et dont le contenu est réorienté dans un sens moralisateur censé servir de "leçon" aux enfants, son rôle n'en reste pas moins profondément ambigu. Certains auteurs ont observé que la vogue des contes est d'autant plus grande que l'état social est perçu comme menacé. Le merveilleux, porteur d'un ailleurs absolu, joue alors un rôle de compensation, en même temps qu'il constitue une sorte de recours. Les auteurs marxistes ont beau jeu de dénoncer la montée de "l'irrationnel" dans les périodes de crise ; le conte, fondamentalement duplice, va en fait bien au-delà. Loin d’être purement régressive, la "nostalgie" peut être aussi la source d'un élan. Les frères Grimm, on l'a vu, en collectant la matière de leurs Contes, voulaient d'abord lutter contre l'état d'abaissement dans lequel se trouvait leur pays. La vogue actuelle du merveilleux, désormais relayée par le cinéma et la bande dessinée, est peut-être à situer dans une perspective voisine. Que l'on pense au succès, outre-Rhin, de L'Histoire sans finde Michael Ende...
    Les contes, finalement, sont beaucoup plus utiles à l'humanité que les vitamines aux enfants ! Pièces maîtresses de cette "nourriture psychique" indispensable à l'imaginaire symbolique dans lequel se déploie l'âme des peuples, ils renaissent tout naturellement lorsque l'on a besoin d'eux. Par-là, ils révèlent toute la complexité de leur nature. Modèles profonds, sources d'inspiration, ils s'adressent à tout moment à des hommes "au cœur préparé". Car, comme le constate Mircea Eliade, si le conte, trop souvent, "constitue un amusement ou une évasion, c'est uniquement pour la conscience banalisée et notamment pour la conscience de l'homme moderne ; dans la psyché profonde, les scénarios initiatiques conservent toute leur gravité et continuent à transmettre leur message, à opérer des mutations" (Aspects du mythe, Gal., 1963).
    En 1816-1818, Jacob et Wilhelm Grimm (qui travaillent tous 2 désormais à la bibliothèque de Kassel) publient les Deutsche Sagen. Ce recueil de légendes a été composé selon le même principe que les Contes de l'enfance et du foyer. Une fois de plus, la légende, assimilée à la "poésie naturelle", est opposée à l'histoire. Sur son exemplaire personnel, Wilhelm Grimm écrit ce vers d’Homère : "Je ne sais rien de plus doux que de reconnaître sa patrie" (Odyssée IX, 28). À cette date, la Prusse a précisément recouvré sa liberté. Le 18 juin 1815, la bataille de Waterloo a sonné le glas des espérances napoléoniennes en Europe. Jacob Grimm, en 1814-1815, a lui-même été Legationsrat au Congrès de Vienne. Les Deutsche Sagen sont accueillies avec faveur par Goethe, qui saisit cette occasion pour attirer sur leurs auteurs l'attention des dirigeants de Berlin.
    À partir de 1820-1825, les frères Grimm consacrent chacun la majeure partie de leur temps à des œuvres personnelles. Après les Irische Elfenmärchen (Leipzig, 1826), seul le Deutsches Wörterbuch sera publié sous leur double-signature. Leur champ d'études reste néanmoins le même. Wilhelm continue à travailler sur la légende héroïque médiévale (Die deutsche Heldensage, 1829), la Chanson de Roland, l'épopée danoise, etc. En 1821, se penchant sur la question de l'origine des runes (Über deutsche Runen), il affirme que l'ancienne écriture germanique découle d'un alphabet européen primitif, au même titre que les écritures grecque et latine, et ne résulte donc pas d'un emprunt. La thèse sera très contestée. Par contre, Wilhelm Grimm ne se trompe pas quand il déclare que les Germains continentaux ont dû connaître l'usage des runes au même titre que les Scandinaves et les Anglo-Saxons : l'archéologie lui a depuis donné raison.
    Jacob, lui, se plonge dans un énorme travail de philologie et d'étude de la religion germanique. Les livres qu'il publie se succèdent rapidement. À côté de monuments comme la Deutsche Grammatik, la Deutsche Mythologie, la Geschichte der deutschen Sprache, on trouve des essais sur Tacite, la poésie latine des Xe et Xle siècles, l'histoire de la rime poétique, et quantité de textes et d'articles qui seront réunis dans les 8 volumes des Kleinere Schriften, publiés à Berlin à partir de 1864.
    Le 1er volume de la Deutsche Grammatik paraît en 1819. Dans cet ouvrage dédié a Savigny, Jacob Grimm s'efforce de jeter les bases historiques de la grammaire allemande en transposant dans l'étude des formes linguistiques les principes appliqués par Savigny à l'étude du droit. Les règles qu'il énonce en philologie comparée le haussent d'emblée au niveau de Wilhelm von Humboldt, Franz Bopp, Rask, etc. "Aucun peuple sur terre, écrit-il dans la préface, n'a pour sa langue une histoire comparable à celle des Allemands". S'appuyant sur la longue durée, il démontre la "supériorité" des formes linguistiques anciennes. La perfection d'une déclinaison, assure-t-il, est fonction du nombre de ses flexions - c'est pourquoi l'anglais et le danois doivent être regardés comme des langues particulièrement pauvres...
    À peine ce 1er volume a-t-il paru que Jacob procède à sa refonte. La nouvelle version sort en 1822 (les 3 volumes suivants seront publiés entre 1826 et 1837). Tenant compte des travaux récents qui commencent à se multiplier sur les langues indo-européennes, Jacob Grimm énonce, en matière de phonétique, une loi restée célèbre sur la façon dont les lettres de même classe tendent à se substituer les unes aux autres, ce qui lui permet de restituer les mutations consonantiques avec une grande rigueur. De l'avis général, c'est de la publication de ce texte que datent les débuts de la germanistique moderne.
    Peu après, dans les Deutsche Rechtsaltertümer (Göttingen, 1828), Jacob Grimm défend, dans l'esprit des travaux de Savigny, l'identité "naturelle" du droit et de la poésie. Étudiant les textes juridiques anciens, il s'applique à démontrer la précellence du droit germanique sur le droit romain, de la tradition orale sur la tradition écrite, du droit coutumier sur celui des "élites". Les institutions juridiques les plus durables, dit-il, sont-elles aussi d'origine "divine" et spontanée (selbstgewachsen). Il n'existe pas plus de créateurs de lois que d'auteurs d'épopées : le peuple seul en est la source.
    En 1835, ce sont les 2 gros volumes de la Deutsche Mythologie (rééditée en 1968 par l'Akademische Verlagsanstalt de Graz). Là encore, pour son temps, Jacob Grimm fait œuvre d'érudition au plus haut degré. Parallèlement, il réaffirme son credo : comme le langage, comme la poésie populaire, les mythes sont d'origine divine ; les peuples sont des incarnations de Dieu. Son frère Wilhelm le proclame en ces termes : "La mythologie est quelque chose d'organique, que la puissance de Dieu a créé et qui est fondé en lui. Il n'y a pas d'homme dont l'art parvienne à la construire et à l'inventer ; l'homme ne peut que la connaître et la sentir".
    À leur grand déchirement, les 2 frères ont dû en 1829 abandonner Kassel pour Göttingen. Ils y professent de 1830 à 1837, date à laquelle ils sont brutalement destitués pour avoir protesté avec 5 de leurs collègues contre une violation de constitution dont le roi de Hanovre s'est rendu coupable ; c'est l'affaire des "Sept de Göttingen" (Göttingen Sieben). Ils reviennent alors à Kassel, où ils consacrent l'essentiel de leur temps à leurs travaux. Wilhelm publie son Ruolandes liet (1838) et son Wernher von Niederrhein (1839). Jacob fait paraître son histoire de la langue allemande (Geschichte der deutsche Sprache, 2 vol., 1848). Après quoi, avec son frère, il se plonge dans la rédaction d'un monumental dictionnaire en 33 volumes (Deutsches Wörterbuch), qui commencera à paraître à Leipzig en 1854. L'ouvrage, équivalent du Littré pour les Français, fait encore aujourd'hui autorité.
    Les frères Grimm sont alors au sommet de leur carrière. En 1840, le roi Frédéric-Guillaume IV leur propose une chaire à l'université de Berlin et les nomme membres de l'Académie des sciences. Couverts d'honneurs, ils n'occupent toutefois leur chaire que pendant quelques années, afin de pouvoir retourner à leurs études d'histoire littéraire et de philologie. Après la révolution de mars 1848, Jacob siège au Parlement de Francfort. Durant cette période finale, il mobilise toute son énergie pour la rédaction de son dictionnaire. Wilhelm meurt le 16 décembre 1859. Son frère s'éteint 4 ans plus tard, le 20 septembre 1863.
    Jacob et Wilhelm ont vécu et travaillé ensemble de leur naissance jusqu'à leur mort, sans jamais abandonner leur but : la résurrection du passé national allemand. Objectif qu'ils servirent avec un savoir et un désintéressement que tous leurs contemporains leur ont reconnu. Des 2 frères, Jacob était sans doute à la fois le plus doué, le plus savant et le plus conscient de la mission à laquelle il s'était voué. Wilhelm, d'un naturel moins "ascétique", était à la fois plus artiste et plus sociable. Tonnelat écrit : "En Jacob il y a du héros. Wilhelm fut assurément très inférieur à son frère ; mais peut-être son infériorité fut-elle la rançon de son bonheur". Telle qu'elle nous est parvenue, leur œuvre a ceci de remarquable qu'elle associe une force de conviction peu commune, touchant parfois au mysticisme, avec une méticulosité et une rigueur scientifique remarquables. Les frères Grimm comptent assurément parmi les grands savants du siècle dernier. Mais en même temps, ils n’abandonnèrent jamais l'idée qu'une nation n'est grande que lorsqu'elle conserve présente à elle-même la source toujours jaillissante de l'âme populaire, et que celle-ci, au fur et à mesure qu'elle perd sa pureté originelle, s'éloigne aussi de Dieu. "Jusqu'à leur mort, écrit Tonnelat, ils ont conservé leur foi romantique dans la sainteté et la supériorité des âges anciens". Attitude que les temps actuels semblent discréditer, mais qui apparaît pourtant fort logique dès lors que l'on comprend que le "passé" et "l'avenir" ne sont jamais que des dimensions du présent - qu'ils ne sont vivables que dans le présent -, en sorte que ce qui fut "une fois" peut être appelé aussi à revenir toujours.
    Notes :
      1   À Steinau, on visite la maison où ils vécurent, et un petit musée évoque leur existence.
      2  Un portrait de Dorothea Viehmann, dû à un autre frère Grimm, Ludwig Emil, figure comme frontispice à la 2nde édition des Contes, publiée en 1819-1822 (qui est aussi la 1ère édition illustrée).
      3  On ne saurait dire si ce nationalisme des frères Grimm explique que, début janvier 1985, le Board of Deputies, organisme représentatif de la communauté juive de Grande-Bretagne, se soit donné le ridicule de demander la saisie pour "antisémitisme" d'une édition des Contes de Grimm non expurgée du conte intituléLe Juif dans les épines (Der Jude im Dorn, conte 110, p. 638-643 de l'édition Flammarion).
     4   Dans sa Deutsche Mythologie (1835, p. 586), Jacob Grimm signale lui-même que le mot allemand Hexe (sorcière) correspond à un ancien Hagalfrau (femme sage, avisée) (vieil-ht.all. hagazussa, moyen-ht.all. hexse). Ce terme renvoie au norroishgr qui a le même sens que le latin sagus (sage, avisé). Le mot anglais witch(sorcière) est de même à rapprocher de wise (sage).
      5  À noter aussi que l'étymologie la plus probable pour le mot fée renvoie au latinfata, ancien nom des Parques (cf. L. Harf-Lancner, Les fées au Moyen Age. Morgane et Mélusine, la naissance des fées, Honoré Champion,, 1984).
     6   Signalons, pour ne citer qu'un exemple, que le réalisateur du film L'Empire contre-attaque (2nd volet de La guerre des étoiles), Irvin Kershner, a explicitement déclaré s’être inspiré des thèses de Bettelheim pour la mise au point de son scénario.
      7  "Après les crématoires d'Auschwitz, est-il encore possible de raconter comment Hänsel et Gretel poussent la sorcière dans le feu pour la brûler ?" demande très sérieusement Manfred Jahnke dans la Stuttgarter Zeitung du 29 août 1984.
    http://www.archiveseroe.eu/tradition-c18393793/45

  • Pétition pour avoir le droit de tenir un autre discours sur l'avortement

    Aux ministres Touraine & Vallaud-Belkacem : après les affaires Médiator et pilules 3G, ne faites plus de négationnisme sur l’avortement et arrêtez de museler vos opposants !

    Les sites qui, comme ivg.net,  apportent des bémols sont, eux, qualifiés de « biaisés » parce qu’ils osent inciter les femmes à réfléchir aux conséquences psychologiques de cet acte. Curieusement, aucune voix politique ou médiatique ne se fait entendre pour protester contre cet abus de pouvoir scandaleux.

    Plus récemment, les gynécologues Israël Nisand et Brigitte Letombe ainsi que la psychanalyste Sophie Marinopoulos ont publié en mars 2012 une tribune dans Libération pour  rappeler que bien qu’ils soient défenseurs de l’IVG dès la « première heure », ils ne voulaient pas laisser dire n’importe quoi ! Ils fustigent littéralement la tendance actuelle qui voudrait faire croire que le recours à l’IVG n’aurait aucune incidence sur la vie des femmes :

    "Nous ne pouvons pas laisser dire que les femmes qui y ont recours ne sont pas marquées, d’une façon ou d’une autre, par cette expérience. Nous voyons chaque jour dans nos consultations des femmes qui nous disent leur souffrance psychologique et leur mal-être parfois de nombreuses années après, alors qu’elles auraient pu «cocher» lors d’un sondage que «tout allait bien». La souffrance ne se coche pas, elle se parle ! Sauf à ne considérer les femmes que dans le registre physique, sauf à omettre leur vie psychique, on ne peut pas écrire que l’accouchement présente un plus grand risque que l’IVG.

    Cette posture, qui date de la médicalisation de l’IVG en France, revient à dire que l’avortement n’a aucune conséquence dans la vie d’une femme. Certes elles ne meurent plus ; certes les cases à cocher ne montrent plus de complications, mais tous les cliniciens qui rencontrent des femmes savent qu’il s’agit là d’un vrai négationnisme : il s’agit de dénier le fait qu’une IVG peut marquer douloureusement une vie. Nous n’avons jamais rencontré de femmes pour qui l’avortement a constitué «un événement fondateur de leur vie d’adulte» et nous ne voyons pas quelle étude statistique permet d’affirmer cette énormité. (…) La santé ne se réduit pas au corps mais concerne aussi la santé psychique qui échappe si souvent aux froides analyses statistiques.

    Nous, cliniciens favorables aux droits des femmes à interrompre une grossesse et à avoir une sexualité sans risque de grossesse non voulue, nous n’acceptons pas pour autant la banalisation de l’IVG. (…) Nous proposons de ne plus ignorer les difficultés psychiques des femmes qui ont subi une IVG et de tout faire pour prévenir cet événement d’autant plus indésirable qu’il se produit tôt dans la vie des femmes, épargnant toujours les garçons si peu initiés à leur vraie responsabilité.

    Demandons à Mmes Vallaud-Belkacem & Touraine:

    • D’avoir au moins une position neutre en matière d’IVG,
    • De prendre en compte  comme le demande le Pr Nisand, la « souffrance psychologique » des femmes  et ne plus «banaliser l’IVG »,
    • D’avoir une position responsable et volontariste dans la prévention de l’IVG,
    • D’arrêter de nier les dangers médicaux et psychologiques de l’IVG,
    • De promouvoir des enquêtes médicales sérieuses sur les conséquences de l’IVG.

    Pétition à signer ici.

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Valdaï et la question de l’identité de la Russie

     

    Valdaï et la question de l’identité de la Russie
    La semaine dernière j’ai eu le plaisir de participer à un débat télévisé, c'était une table ronde sur la question de l’image de la Russie à l’étranger. La question était de savoir si les russes méritaient leur mauvaise image à l’étranger ou s’ils étaient victimes d’une image négative fabriquée et véhiculée par les médias notamment.
    Le débat à très rapidement dévié sur le fait de savoir s’il fallait ou non se préoccuper de l’image de la Russie et des russes à l’étranger et surtout sur ce que sont les russes et la Russie. La question de l’identité nationale reste, dans la Russie de 2013, une question essentielle et les nombreuses discussions du club Valdaï à ce sujet viennent de le prouver.
    La Russie est un pays dans lequel se côtoient énormément de peuples et de religions et des cultures totalement différentes. La Russie est européenne, slave et orthodoxe mais également asiatique, touranienne et musulmane. Elle est un pays tout à la fois nordique et méridional, et de l’Ouest comme de l’Est de l'Eurasie.
    A cette immense variété culturelle et géographique, il faut ajouter qu'en Russie se côtoient tant le 19ième, que le 20ième ou le 21ième siècle. Il est donc bien difficile de définir ce qu’est aujourd’hui un russe moyen et le regard que l’étranger porte sur un russe ou un russien, ou peut être sur les russes et les russiens.
    La Russie sort de trois épreuves historiques fort différentes n’ayant en commun que leur violence et la destruction de la morale et de l’identité qu’elles ont généré: la période monarchiste autoritaire (le tsarisme qui toléra l’esclavage jusqu’au début du siècle dernier), la période soviétique qui contribua a la création d'un homme nouveau (l’homo soviéticus) au prix de la destruction de l’identité religieuse et nationale et enfin la période postsoviétique et libérale, qui en une grosse décennie seulement, est arrivée à détruire la Russie sur le plan moral, sanitaire et démographique.
    Le réveil russe auquel nous assistons depuis 2000 sur le plan économique et politique pose deux questions essentielles : qu’est ce qu’être russe aujourd’hui, et comment fonder une identité russe saine pour le siècle. La Russie Tsariste ne différenciait les citoyens que selon leurs rangs, pendant que l’Union Soviétique jouait la carte transnationale et citoyenne. Dans les années 90, la Russie faisait face à une situation complexe: assurer une pacifique transition du modèle politique (de l’URSS à la fédération de Russie) tout en évitant que l’éclatement territorial ne crée des conflits sur des bases territoriales, ethniques, religieuses ou simplement identitaires.
    Les stratèges de l’époque ont alors conçu un terme lexical pour définir les habitants de la Russie: le terme Rossianin, que l’on pourrait traduire par Russien en français. Utilisé par Boris Eltsine lorsqu’il s’adressait au peuple, ce terme était censé regrouper et mettre sur un pied d’égalité tous sous ensembles de la fédération de Russie. Mais en réalité, il contribua à créer une différence fondamentale entre les Russes ethniques, les Russkie, et les autres. Une décennie plus tard, le retour en force de l’identité religieuse au sein de tous les peuples de la fédération se retrouve sans doute troublé par cette distinction de fait et qui dans l’inconscient collectif est la suivante: le russe est orthodoxe pendant que le rossianin serait autre et plutôt musulman ou bouddhiste.
    Cette distinction s’accentue dans un climat ou la tendance profonde en Russie est une tendance au renforcement des identités, puisque le très sérieux Kommersant constatait il y a quelques jours que "La Russie connaît une montée de sentiments nationalistes, tandis que certaines républiques du pays peuvent déjà être qualifiées d'islamiques (...) Pour certains experts la Russie se trouve au seuil d'une grave crise nationale". Cette crise potentielle pourrait menacer la stabilité voire l’intégrité territoriale du pays et le président russe s’est montré très offensif à ce sujet lors du discours de clôture du forum Valdaï qui s'est tenu comme chaque année. Le chef de l’Etat russe a en effet appelé à ouvrir un débat sur la question de l’identité nationale et à la définition d’une identité culturelle et spirituelle. Pour lui, les frontières à ne pas franchir pendant ce débat sont tout ce qui pourrait porter atteinte à la souveraineté, l’indépendance et l'intégrité du pays.
    Le président russe a rappelé que "l’idée nationale ne pouvait apparaître par des règles mondiales et communes et qu’était révolu le temps ou l’on pouvait copier et appliquer une identité dans un pays comme on installe un logiciel dans un ordinateur". Il a martelé que la Russie était un: "Etat-civilisation fondé sur la langue russe, la culture russe, l'Eglise orthodoxe russe et les autres religions traditionnelles de la Russie" ou encore que: "ce modèle avait toujours fait preuve d’une certaine flexibilité face aux spécificités locales, permettant l’unité dans la diversité".
    En 2007 à Munich, lors d’un discours qui a fait date (en version française ici), Vladimir Poutine avait clairement prévenu que la Russie ne tolérerait plus le modèle mondial unipolaire qui était en fin de cycle et que la Russie allait affirmer sa condition d’état souverain et de puissance avec laquelle il allait falloir compter. Les cinq années qui suivirent lui donnèrent raison. L’épisode de la guerre en Géorgie en 2008 puis celui de la situation actuelle en Syrie prouvent que la Russie est inexorablement passée du statut de puissance régionale à celui de puissance mondiale.
    A la différence du discours de Munich en 2007, ou le président russe avait fait clairement apparaître la volonté russe d’activement participer à l’élaboration d’un monde multipolaire, le discours de Valdaï 2013 est apparu comme une critique beaucoup plus précise et affirmée des modèles de développements "euro-occidentaux" au sens large. Le président russe a par exemple vanté le traditionalisme comme étant le cœur de l'identité de la Russie, tout en déplorant les menaces telles que la "mondialisation, le multiculturalisme et l'érosion des valeurs chrétiennes – via notamment une focalisation exagérée sur les droits des minorités sexuelles".
    Ce faisant il a clairement opposé le modèle russe en gestation fondé sur la tradition au modèle euro-atlantique incapable d’influer sur la Russie et en perdition selon lui notamment car, par exemple, "il rejette les identités et met sur un pied d’égalité les familles traditionnelles avec beaucoup d’enfants et les familles de même sexe (homoparentales), soit la foi en dieu ou en Satan". Vladimir Poutine a énormément insisté sur le point démographique et la disparition en cours des peuples européens du continent.
    La Russie semble avoir clairement décidé de ne pas sacrifier son modèle civilisationnel pour rejoindre la communauté-atlantique, affirmant au contraire désormais que c’est "l’Europe qui n’avait pas d’avenir sans la Russie" mais rappelant qu’elle était bien évidemment prête à collaborer avec tout pays européen ne souhaitant pas imposer ses valeurs a la Russie. Comme les lecteurs de RIA-Novosti le savent, le dialogue entre Russie et Occident bute en effet sur un malentendu profond qui est celui de la morale et des valeurs et il semble que sur ce point on s’approche d’un nouveau rideau de fer.
    Le président russe a aussi réaffirmé que l’objectif prioritaire de la Russie était l’intégration avec ses voisins proches et le développement de l’Union Eurasiatique pour permettre à la Russie d’occuper une place stratégique centrale et ne pas se retrouver en périphérie de blocs européens ou asiatiques.
    Cette nette réorientation stratégique et eurasiatique de la Russie ne concerne pas que la politique extérieure mais visiblement aussi et bien plus largement l’esprit des réformes en cours et du devenir de la Russie. Vladimir Poutine a dans cet esprit redéfini l’Union Eurasiatique non comme une simple coopération entre pays mais comme le seul “projet viable de préservation de l’identité et la diversité des peuples de l’espace eurasiatique dans le nouveau siècle et le nouveau monde“. Parlant de la nature de l’Etat civilisation russe, Vladimir Poutine l’a qualifié de “complexité florissante” (цветущая сложность), une expression particulière créée par l’un des pères de l’Eurasisme politique et philosophique, Constantin Leontiev.
    Constantin Leontiev avait en effet déjà développé ces conceptions eurasiatiques qui définissaient l’Eurasisme comme la “multiplicité florissante du monde”, et comme l’essence du monde multiple et multipolaire face à l’unilatéralisme occidental et ce… Au milieu du 19ième siècle. Alexandre Latsa

    L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

    Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".

    http://fr.rian.ru/blogs/20130925/199390251.html

  • Le « Mouvement Zéro »

     

     

    Le « Mouvement Zéro » s’inspire des idées du journaliste, écrivain et penseur Massimo Fini. C’est un mouvement culturel et politique qui entend non seulement répandre ces idées, mais aussi les rendre le plus vivantes et concrètes possibles par une participation active à la société italienne, en utilisant tous les instruments qu’elle met à sa disposition : manifestations, rencontres, débats, moyens d’information, liens avec d’autres groupes dotés de la même sensibilité et de buts similaires. Il est structuré sur la base d’une ample autonomie d’initiative des différentes réalités locales sur lesquelles il s’articule. Les lignes culturelles et politiques de fond du « Mouvement Zéro » sont exprimées dans le Manifeste de l’antimodernité que vous pouvez lire sur ce site.

    * * *

    Appel contre la dictature bancaire
    et technico-financière

    Non à la vie basée sur le prêt et l’usure

    Non aux éternelles dettes des États, des Peuples et des Citoyens
    Le Peuple (à travers l’État) doit se réapproprier sa souveraineté monétaire

    * * *

    La question de la souveraineté monétaire n’est pas une question économique. Elle concerne tous les aspects de notre vie. La Banque Centrale Européenne (BCE), propriété des banques nationales européennes, comme Bankitalia [ou la Banque de France – NdT], émet des billets en euros. Pour ce travail d’impression, elle exige une contre-valeur de 100% de la valeur nominale du billet (100 euros pour un billet de 100 euros), s’appropriant ainsi le pouvoir d’acquisition de l’argent qu’elle crée à coût zéro et sans le garantir en aucune façon. C’est un incroyable gâchis, une escroquerie aux dépens de l’ensemble de la population.

    Les États paient ces sommes au moyen de Bons du Trésor, et donc en s’endettant. Sur cette dette impossible à rembourser, ils paieront (nous paierons) les intérêts passifs pour l’éternité, avec les impôts des citoyens, ou en vendant les biens primaires, comme les sources d’eau. Pour contenir la dette publique, qui est générée essentiellement par le coût de l’émission d’argent que l’État paie à la BCE, chaque gouvernement est obligé d’augmenter toujours plus la pression fiscale directe et indirecte, qui pour certains, les plus faibles, correspond à un prélèvement forcé de plus de 60 % de leurs gains. Ce profit gigantesque est engrangé de façon injuste, illégitime et inconstitutionnelle par la BCE, ou plutôt par ses actionnaires, les Banques nationales, à leur tour contrôlées par des privés. Ces banques relèvent de la propriété privée, et surtout, de la gestion privée, même si elle sessaient de tromper leur monde en se faisant appeler « publiques ». Les bénéfices qu’elles retirent de l’émission monétaire sont occultés à travers des bilans trompeurs, dans lesquels on opère une compensation arbitraire des gains du Seigneuriage par des dépenses patrimoniales.

    Après 60 ans de Seigneuriage (le gain sur l’émission de la monnaie) exercé par Bankitalia et la BCE, l’Italie se retrouve avec un déficit public énorme généré exclusivement par l’émission de billets payée aux Banques centrales. Si l’émission de billets était confiée à l’État, sans créer de dette, aujourd’hui nous n’aurions pas un seul euro de dette publique, et les impots sur le revenu pourraient ne pas exister ou impacter de façon minime sur les revenus du travail. Tous les coûts sociaux (services publics, grands travaux, enseignement, hôpitaux) pourraient être couverts par les revenus de la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée) éventuellement majorée de 30 % pour les produits de luxe ou peu populaires, et par des taxes sur les transactions [financières] soumises à l’enregistrement public. Sans l’usure contre l’État pratiquée par les Banques centrales, qui a contraint l’État à abuser de ses propres citoyens par des impôts surdimensionnés (rappelez-vous le prélèvement sur les comptes courants voulu par le banquier Ciampi, déguisé en homme politique), il ne serait pas nécessaire de travailler 30 ans pour s’acheter une petite maison en payant des taux d’intérêt dignes d’usuriers. On ne verrait pas cette humiliation sociale, cette pauvreté, cette précarité, cette délinquance comme moyens de survie de masse. Sans le Seigneuriage des Banques Centrales, les États n’auraient plus de dette et ne seraient pas contraints de taxer et de surtaxer leurs propres citoyens, de les soumettre à des formes policières de contrôle des revenus. Les revenus du travail salarié ou indépendant seraient tous légitimes, prouvés et pourraient être déclarés sans peur, sans fraudes, sans tentatives d’échappatoire, et la seule taxe à collecter serait celle sur l’acquisition de biens et de services, en favorisant ceux qui gagnent le moins et en rehaussant la part des produits de luxe.

    Si la Souveraineté monétaire revenait entre les mains d’États souverains, on éliminerait la dette publique de ces derniers, et par conséquent aussi d’une large partie de la population. Notre existence à tous, conditionnée et contrainte depuis la naissance par le principe d’usure de la dette, serait soulagée de l’angoisse des traites, du découvert du compte en banque, des saisies, des expulsions, de la base de données sur la ponctualité des paiements. Nos vies seraient libérées du souci de trouver du travail, voire un double travail, du besoin de gagner autant pour en donner 60 % à l’État, puisque l’État subit l’usure des Banquiers. L’analyse de l’impact de cette inquiétude sur nos vies mérite une discussion à part. Un impact négatif à caractère psychique, culturel, social.

    Avec les drames de la pauvreté, de l’immigration, du double travail familial, de l’emploi précaire ou incertain, des retraites minimales que, sans la voracité usurière des Banques centrales, on aurait pu éviter. Nous soumettons cet appel aux députés, sénateurs, journalistes, intellectuels, contestataires, anticonformistes, pour promouvoir la proposition de loi qui replacerait l’émission monétaire entre les mains étatiques, ou plutôt politiques et populaires. Nous diffusons une vérité toujours niée : nous vivons sous une dictature bancaire qui impose à tous l’angoisse existentielle de la vie basée sur les dettes.

    Remettons à zéro la dette des États.
    Éliminons l’esclavage des gens qui se sont endettés pour simplement survivre.

    Reprenons notre vie et notre liberté.

    Massimo Fini
    Marco Francesco De Marco
    Valerio Lo Monaco
    Alessio Mannino
    Piero San Giorgio
    Michel Drac

    Signez vous aussi cet appel

    http://www.mouvement-zero.org/

     

  • Travail dominical : Une révolte ? Non, une révolution !

    « Mais, c’est une révolte ? » ; et ceux qui veulent travailler de répondre : « Non, monsieur le Président, c’est une révolution ! »

    Car lorsqu’un tabou est non seulement dénoncé, mais transgressé au vu et au su de tous, c’est bel et bien une révolution, du moins dans les esprits, qui est en marche.

    La fronde des quatorze magasins de bricolage ayant bravé ce dimanche en Île-de-France l’interdiction d’ouvrir est une première en France par son ampleur médiatique autant que par le soutien populaire suscité.

    La gauche, forte de l’intégralité des postes de responsabilité politiques,  assiste, impuissante et pitoyable, à la fin de ce « monopole du cœur » qu’elle avait réussi, par un habile hold-up sur les mentalités, à conserver envers et contre toutes les réalités depuis bientôt quarante ans. Il fallait bien qu’un jour, cette imposture – sans doute l’exception culturelle française la plus odieuse car la plus incompréhensible – fasse pchiiiitttt…

    Les syndicats français représentant à peine 7 % de la population active(1), il va leur être difficile de continuer longtemps encore à imposer leur sectarisme qui n’a d’autre but que de maintenir leurs juteux avantages.(2)

    Quant à savoir si le travail dominical doit être ou non libre, la question plus juste serait plutôt : « Pourquoi ne le serait-il pas ? »

    L’argument le plus souvent avancé, quasiment le seul d’ailleurs, est qu’il empêcherait tout salarié d’avoir une vie de famille si on lui retirait le seul jour, assure-t-on, où il serait susceptible d’en profiter.

    Que l’on sache, l’interdiction du travail dominical n’a guère aidé à la cohésion familiale ; en France, un mariage sur trois se termine par un divorce – un sur deux pour les grandes villes – et une famille sur cinq est désormais composée d’enfants et d’un seul parent.

    La possibilité d’acheter trois clous et un marteau le dimanche après-midi n’est donc pas, à l’évidence, un argument qui tienne la route.

    Les Français l’ont fait savoir. Au grand dam des professionnels de la revendications, plus isolés encore que jamais… et au grand embarras d’un gouvernement qui se demande sans doute comment il va pouvoir se sortir de ce guêpier.

    Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault réunit aujourd’hui « les ministres concernés » pour « faire évoluer les choses ». On espère que quelqu’un lui apprendra que : « C’est fait, monsieur le Premier ministre ! »

     http://francephi.com/chroniques-hebdomadaires/travail-dominical-une-revolte-non-une-revolution/

    Notes

    (1) « Les syndiqués en France 1990-2006 », par Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, mai 2007, téléchargeable sur http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00150631

    (2) Déjà, la CFDT l’a compris et a abandonné le jusqu’au-boutisme revendicatif.