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tradition - Page 270

  • Eviction de Christian Vanneste de LMPT : un "accident extrêmement regrettable"

    A propos de l'éviction de Christian Vanneste de l'Université d'été de La Manif Pour Tous, Ludovine de La Rochère explique à Boulevard Voltaire :

    "Je vais vous répéter ce que j’ai déjà dit par téléphone à Christian Vanneste : c’est un incident — le mot est sans doute trop faible, je devrais dire un accident — extrêmement regrettable. J’en assume pleinement la responsabilité, je ne veux absolument pas incriminer nos bénévoles qui travaillent jour et nuit depuis des mois, et j’ai d’ailleurs présenté à monsieur Vanneste des excuses publiques et des excuses personnelles. Qu’ajouter de plus ?

    Vous aviez pourtant dit à Christian Vanneste, lorsque vous l’aviez rencontré, qu’il serait le bienvenu ?

    Oui, en effet, j’ai invité monsieur Vanneste à venir, comme j’ai invité tous ceux qui ont exprimé le désir de se rendre à notre Université d’été. Pour diverses raisons que j’ignore, monsieur Vanneste n’a pas procédé à sa préinscription, préalable indispensable pour pénétrer au parc floral durant ces deux jours. Les inscriptions étaient closes, il y avait une centaine de personnes en liste d’attente, nous avons pu malgré tout lui trouver une place pour samedi. À force de persuasion, il a réussi, le lendemain également, à passer tous les barrages. Jusqu’à cette très fâcheuse affaire. J’ajoute que nous devons faire appel, en raison des menaces qui nous sont faites, à une société privée de service d’ordre très éloignée des problématiques politiques.

    Vous comprenez néanmoins que cet épisode a pu choquer et troubler de nombreux sympathisants LMPT ?

    Bien sûr, comme je comprends à quel point tout cela a pu être humiliant pour monsieur Vanneste ! Mais il ne faut pas « surinterpréter » l’événement. Cela ne sert à rien sinon à desservir le mouvement. Cela devient lassant : nous sommes pris entre ceux qui nous soupçonnent de collusion avec l’extrême droite et ceux qui nous accusent d’être récupérés par la « droite molle ». Tous ceux-là voudraient la destruction de LMPT qu’ils ne s’y prendraient pas autrement…"

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/

  • Julius Evola : "Le rire des dieux"

    Que toute la civilisation moderne ait un caractère essentiellement anti- aristocratique sur le plan politique et social est évident. Mais on peut en dire autant pour d’autres domaines : le domaine spirituel, la culture et la vision de la vie, bien que l’orientation anti-aristocratique soit ici plus difficile à saisir, les points de référence indispensables ayant été presque totalement oubliés. Nous voudrions maintenant mettre en relief un aspect particulier de la situation, en rapport avec l’avènement de l’« humanisme ». Nous emploierons ce terme au sens large, non au sens de l’humanisme historique apparu pendant la Renaissance, bien que cet humanisme ait représenté un tournant fondamental sur le plan dont nous parlons. Par « humanisme », nous entendons par conséquent une vision globale tout entière centrée sur l’homme, sur la condition humaine, ce qui est humain devenant alors l’objet d’un culte, pour ne pas dire d’un véritable fétichisme. Mais nous n’envisagerons pas les formes les plus basses de ce culte, comme par exemple l’« humanisme marxiste » et l’« humanisme du travail » ; nous tournerons au contraire notre attention vers les formes qui se rattachent à la « vision tragique de la vie » et sur leur propension à reconnaître une grande valeur humaine à des personnages révoltés et subversifs de l’histoire et du mythe, et à se ranger aussi à leurs côtés. C’est là, en effet, le versant idéal et romantique des idéologies révolutionnaires, plébéiennes et subversives de notre époque. Selon une certaine mentalité, être homme, et seulement homme, serait une gloire. Tout ce que la condition humaine contient de misérable, de sombre, de douloureux, de déchirant est appelé « tragique » et, en tant que tel et conformément aux prémisses, se trouve donc exalté. Le prototype de l’esprit humain avec toute sa « noblesse », on le découvre chez le rebelle qui s’est révolté contre les forces supérieures, chez le titan : Prométhée. On parle aussi d’« œuvres profondément humaines », de « conscience humaine » , de « sentiment humain vrai et profond ». On admire la « grandeur tragique » d’une existence, ou le visage illuminé par une « tragédie intérieure » ; on célèbre enfin l’« esprit prométhéen », le « noble esprit de révolte », le « titanisme de la volonté », et ainsi de suite. Cela peut même aller jusqu’à l’hymne à Satan de Carducci (1) et à certaines variantes du culte de Faust. C’est là un jargon courant chez les intellectuels et les lettrés partisans d’une philosophie historiciste et progressiste plus ou moins héritière des Lumières. De ce jargon, il semble que personne n’ait perçu le ridicule ni la rhétorique, et l’on est même tombé encore un peu plus bas avec l’« humanisme intégral », collectiviste, matérialiste et marxiste, lequel s’empressa de liquider ces superstructures pour prôner une mystique de la bête de somme et de production.

    On est ici en présence d’indices précis sur le caractère spirituellement anti-aristocratique d’une vision typiquement moderne de la vie. Pour prendre vraiment conscience de cette chute de niveau on peut se référer à l’Antiquité, à des aspects, des mythes et des symboles spécifiques de ce monde, pourvu qu’on sache les interpréter justement, et non sous la forme faussée ou insignifiante qui nous en est donnée par les recherches les plus courantes. Dans cette optique, il ne sera pas inutile de commenter ce que K. Kerényi a écrit, dans son ouvrage Les orientations fondamentales de la religion antique, sur la signification de Prométhée et sur l’esprit des Titans. A titre préliminaire, deux choses sont bien mises en relief. La première, c’est que l’ancien monde classique ignora, sous ses formes les plus élevées, originelles, la « foi » au sens courant du terme, sa religiosité reposant essentiellement sur la certitude de la réalité et de la présence effective des forces divines. « La foi présuppose le doute et l’ignorance, que l’on surmonte précisément par la croyance ». La « foi » ne joua pas un rôle important dans la vision de la vie de l’homme antique parce que la certitude de l’existence des forces divines faisait partie de son expérience et de sa vie aussi naturellement et directement que, sur leur plan, les données du monde sensible. C’est pour cette raison – remarquons-le au passage – qu’on encourage des confusions très regrettables lorsque le terme « religion », pris dans son sens devenu courant surtout dans la sphère chrétienne, dont le centre est la foi, est appliqué aveuglément à la spiritualité antique et, d’une manière plus générale, à la spiritualité des origines. On peut à ce sujet se référer à ce que nous avons déjà dit sur le « mythe » traditionnel et à ce que nous dirons plus loin sur la définition de l’initiation. La seconde chose concerne l’idée d’une unité originelle des dieux et des hommes. « Les dieux et les hommes ont la même origine », enseigne Hésiode, et Pindare le répète. Deux races, mais un même « sang ». En présence des forces divines, l’initié orphique dit : « Céleste est ma race, et vous aussi le savez ». On pourrait énumérer de nombreux témoignages analogues. Même dans les Évangiles, qui baignent pourtant dans une atmosphère radicalement différente de celle de la Grèce, on trouve la parole « Vous êtes des dieux ». Les dieux regardent les hommes, sont présents dans leurs fêtes et leurs banquets rituels – Rome connut la cérémonie caractéristique du lectisterne (2) -, les dieux apparaissent, siègent auprès des hommes et ainsi de suite : mais dans le monde antique ces images ne furent pas simple fantaisie. Elles attestent à leur façon, de manière figurative, la certitude que les hommes vivent avec les dieux. Elles sont les traces d’une condition existentielle bien précise. II ne s’agit donc pas ici de « mysticisme ». Kerényi écrit : « A partir d’Homère et d’Hésiode, cette forme absolue d’un « vivre avec les dieux » non mystique peut être définie ainsi : être assis ensemble, se sentir et savoir qu’on se regarde dans l’état originel de l’existence ». Kerényi parle d’un état originel de l’existence en raison de l’antiquité très reculée des témoignages à travers lesquels s’exprima ce sentiment vécu. Au cours des temps, ce sentiment s’affaiblit, il dut être réactivé par des actes cultuels particuliers, pour ne plus subsister que de façon sporadique à la fin. Homère dit déjà que la vivante présence des dieux, comme dans l’état originel, n’est expérimentée que par certains peuples, « dont l’existence oscille entre la divinité et l’humanité, et qui sont même plus proches des dieux que des hommes ». On ne doit pas songer obligatoirement à des races d’une antiquité mystique. Nous trouvons encore dans la Rome antique des témoignages précis et significatifs. On peut rappeler la figure du flamen dialis, qui fut considéré comme une « statue vivante » de la divinité olympienne, et la description, par Livius, de certains personnages de l’époque de l’invasion des Gaules, « plus semblables à des dieux qu’à des hommes » : praeter ornatium habitumque humanum augustorem, maiestate etiam… simillimos diis. César lui-même, qui se présente aux yeux de la plupart des gens sous les traits profanes du « dictateur » et du conquérant quasiment napoléonien, est aussi celui que décrit Suétone : celui qui, dans sa jeunesse, affirma que sa lignée possédait « la majesté des rois et le sacré des dieux, dans la puissance desquels se tiennent aussi ceux qui sont des dominateurs d’hommes ». Jusque dans le chaos du Bas-Empire subsistèrent des idées et des coutumes qui, tels des éclairs troubles, renvoient à ce sentiment naturel de la présence des dieux. « Des peuples, dont l’existence oscille entre la divinité et l’humanité » – là est l’important.

    Après ce stade les vocations devaient se séparer. Et ce qui devait arriver arriva : celui qui oscillait entre la divinité et l’humanité finit par se décider pour la seconde et par s’en vanter. L’homme ne s’aperçut pas de cette chute implicite, ni du rire des dieux. C’est de cela que parle Kerényi dans ses considérations sur la façon dont l’Antiquité, originellement, comprit l’esprit des Titans. Hésiode définit très clairement cet esprit à travers les épithètes qu’il attribue à Prométhée : toutes sont des désignations de l’esprit actif, inventif, astucieux, qui veut tromper le ??? [terme manquant, NDLR] de Zeus, c’est-à-dire l’esprit olympien. Mais celui-ci ne peut être trompé ni ébranlé. II est ferme et tranquille comme un miroir, il dévoile tout sans chercher, c’est au contraire le Tout qui se dévoile en lui. L’es- prit titanique, en revanche, est inquiet, inventif, toujours en quête de quelque chose, avec son astuce et son flair. L’objet de l’esprit olympien, c’est le réel, ce qui est tel qu’il ne peut pas être autrement, l’être. L’objet de l’esprit titanique, par contre, c’est l’invention, même s’il s’agit uniquement d’un mensonge bien construit. Les expressions employées par Kerényi méritent d’être rapportées ici. A l’esprit olympien correspond l’???, c’est-à-dire le non-être-caché (terme qui, en grec, désigne la vérité (3), alors que l’esprit titanique aime ce qui est « tordu », car « tordu » (???) est, de par sa nature, le mensonge, de même qu’est « tordue » aussi une invention intelligente, comme par exemple le lasso, le nœud coulant (???).

    La contrepartie naturelle de l’esprit olympien, du ???, c’est la transparence de l’être ; quand le ??? disparaît, l’être demeure, mais dans sa réalité aveuglante. La contrepartie naturelle de l’esprit titanique, c’est en revanche la misère spirituelle : stupidité, imprudence, maladresse. Chaque invention de Prométhée n’apporte au monde qu’une misère de plus infligée à l’humanité ; le sacrifice réussi (sacrifice par lequel Prométhée a cherché à tromper l’esprit olympien), Zeus reprend aux mortels le feu. Et quand après le vol du feu Prométhée est enlevé à l’humanité pour endurer sa peine (4) , il ne reste qu’Épiméthée pour représenter la race des hommes : à la place de l’astucieux ne reste donc – comme son ombre – que le stupide. L’affinité qui unit en profondeur ces deux personnages du mythe grec s’exprime par le fait qu’ils sont frères. On pourrait presque dire qu’« un être unique et originel, astucieux et stupide à la fois, semble ici dédoublé sous la forme de deux frères inégaux ». Prométhée est l’astucieux, le prévoyant, Épiméthée celui qui réfléchit trop tard. Imprudent, celui-ci acceptera le don des dieux, la femme, dernière et inépuisable source de misère pour l’humanité.

    Et Zeus – si l’on en croit Hésiode qui raconte le dernier et décisif épisode de la lutte entre les deux esprits – Zeus, sachant que les hommes se réjouiront de ce don et aimeront leur propre malheur, Zeus rit (5). Voilà ce que rapporte Kerényi. Ce rire est la vraie défaite du titan et du prévaricateur. Kerényi fait bien ressortir cette idée fondamentale du monde antique : le rire des Olympiens est meurtrier. Mais personne à proprement parler ne meurt, rien n’est changé dans l’être humain plein de contradictions, et dont les représentants sont, à un même titre, Prométhée et Épiméthée. Qu’est- ce qui est donc détruit par ce rire ? C’est l’importance même de la misère des Titans, leur soi-disant tragédie. Devant Zeus, le spectateur qui rit, l’éternelle race des hommes joue son éternelle comédie humaine. Même quand un élément héroïque intervient, rien ne change dans cette situation, dans ce rapport de valeurs. Kerényi le montre très bien.

    Dans l’antique conception du monde, le fond originel et titanique de l’homme, d’une part, le rire des dieux, de l’autre, sont intimement liés. L’existence humaine, en tant qu’elle reste totalement prisonnière de ce fond originel, est misère et, du point de vue olympien, ridicule, sans importance. Lorsque les actions humaines se hissent au niveau de l’épopée, cette signification n’en est que confirmée. Selon la vision antique, la gravité des discordes et des tensions, des luttes et des massacres de la malheureuse race des hommes autrefois frères des dieux, peut même avoir des résonances cosmiques. Précisément pour mettre en relief la grandeur de cette tragédie, Homère admet que la nature, par des prodiges, brise ses propres lois et y participe. Tout semble concourir à accroître la tragique importance du héros. Et pourtant, selon le point de vue de la spiritualité antique auquel nous nous référons, selon ce qu’on pourrait appeler le point de vue de « l’état originel de l’existence », vécu avant la consolidation du mirage humain et prométhéen – pourtant, tout cela fait mouvoir et trompe aussi peu le ???, l’esprit olympien, que ne l’avait fait l’astuce des Titans. Kerényi dit que la seule illusion admissible par la conception antique dans les rapports entre l’homme et le divin était la tragique importance de l’existence héroïque comme spectacle de choix pour les dieux (ce que Sénèque affirmera aussi plus d’une fois). Mais le côté le plus tragique de cette importance même, c’est que, tant que l’œil spirituel du héros tragique ne s’est pas complètement ouvert, tout doit s’annuler, s’anéantir devant un rire divin. Car ce rire n’est pas, comme on pourrait le penser selon une perspective humaine, le rire d’une « béatitude absolue » et creuse, mais la marque d’une plénitude existentielle ; c’est le rire de formes éternelles.

    Telle fut, aurait dit Nietzsche, qui était pourtant lui-même, à plus d’un titre, une victime du mirage titanique, telle fut la profondeur de l’âme antique et classique. Tout cela dans le domaine mythologique. Mais la mythologie n’est pas imagination délirante. Dans ce contexte, et si l’on met à part ce que nous avons dit dans un précédent chapitre sur ses autres dimensions possibles, métaphysiques, intemporelles, le mythe est « le miroir des expériences d’une race à la lumière de sa religiosité » (Bachofen). II nous fait connaître les forces profondes qui agirent sur la formation des civilisations. Les idées évoquées ici suggèrent deux directions, et donc une autre possibilité que celle dont le mythe de Prométhée et des Titans, tel qu’il a été repris par l’humanisme, est l’expression. Le cadre mythologique – Zeus, les dieux, les parentés divines, etc. – ne doit pas voiler l’essentiel en donnant éventuellement une impression d’étrangeté fantastique et d’anachronisme. En principe, l’esprit a toujours la possibilité de s’orienter selon l’une ou l’autre des deux conceptions opposées et d’en tirer une mesure et même un «fond musical » pour toute l’existence. L’orientation « olympienne » est possible, tout autant que l’orientation prométhéenne, et peut se traduire, abstraction faite des symboles et des mythèmes antiques, dans une manière d’être, dans une attitude précise devant les vicissitudes intérieures et extérieures, devant l’univers des hommes et le monde spirituel, devant l’histoire et la pensée. Cette orientation joue un rôle essentiel dans tout ce qui est vraiment aristocratique, tandis que l’orientation prométhéenne possède un caractère fondamentalement plébéien et ne peut connaître, au mieux, que le plaisir de l’usurpation. Dans le monde antique, non seulement gréco-romain, mais plus généralement indo-européen, toutes les divinités principales de la souveraineté, de l’imperium, de l’ordre, de la loi et du droit, présentent des traits foncièrement olympiens. En revanche, l’affirmation historique de l’orientation prométhéenne a entretenu des rapports étroits avec tout ce qui a agi dans le sens d’une attaque contre toute forme d’autorité légitime, avec la tendance à y substituer abusivement des principes et des valeurs liés aux couches les plus basses de l’organisme social, dont la correspondance chez l’individu – nous l’avons déjà mis en évidence à plusieurs reprises dans les chapitres précédents – est précisément sa partie « physique », purement humaine.

    D’une manière générale, avec l’avènement de l’humanisme et du prométhéisme il a fallu choisir entre la liberté du souverain et celle du rebelle, et l’on a choisi la seconde. Telle est la vérité, même quand on a le culot de célébrer l’affirmation de la personnalité humaine et sa « dignité », la liberté de pensée, l’« infinité » de l’esprit. Du reste, ce choix électif et révélateur est bien visible même sous les formes les plus triviales de l’idéologie révolutionnaire. Admettons un instant que les hiérarchies traditionnelles aient vraiment eu le caractère supposé par cette idéologie ; admettons qu’elles n’aient pas reposé sur une autorité naturelle ni sur la libre reconnaissance de celle-ci mais exclusivement sur la force ; admettons enfin que, dans le « sombre Moyen Age » par exemple, l’homme et la pensée humaine aient souffert dans les chaînes de l’oppression politique et spirituelle. Mais dans la personne de qui souffrirent-ils ? Certainement pas dans la peau des despotes présumés, de ceux qui administraient le dogme et, en général, de ceux qui, selon la parole d’Aristote, dictaient la loi mais n’étaient pas eux-mêmes soumis à la loi. Ceux-là étaient des êtres libres. Ainsi, même sur ce plan on voit quel est le sens caché des « nobles idéaux » libertaires et des affinités électives qui s’y rapportent : c’est l’identification instinctive non avec ce qui est en haut mais avec ce qui est en bas, c’est l’aspiration non à la liberté du Maître mais à celle de l’esclave affranchi (en admettant qu’on puisse parler d’« esclaves » au sens péjoratif et faussé d’aujourd’hui pour l’époque en question). Quand bien même il faudrait accepter une telle image matérialiste, unilatérale et pour une large part imaginaire des sociétés hiérarchiques, le fond plébéien du prométhéisme social, la « qualité » de ses affinités électives, la « race de l’esprit » qui s’y trahit, sont immédiatement reconnaissables.

    En dernière analyse, les choses ne changent guère, si l’on passe au domaine culturel, où l’humanisme et le prométhéisme ont célébré l’émancipation de la pensée, glorifié l’esprit qui « a brisé toute chaîne pour devenir conscient de son incoercible liberté » à travers le rationalisme, l’humanisme et le progressisme, avec éventuellement à l’horizon la « vision tragique de la vie » et le mythe du Prométhée artisan, avec le mirage des « conquêtes de la pensée », notamment de la pensée qui invente, construit, découvre, de la pensée appliquée propre à l’antique Titan, ingénieux et inquiet. C’est là tout un mouvement qui, partant du bas, a mené au déclin ou à la destruction de ce qui en Occident, dans son histoire et sa civilisation, pouvait encore appartenir au pôle opposé, apollinien et aristocratique, de l’esprit, c’est- à-dire à la souveraineté des hommes qui regardent ce qui est humain avec distance, des hommes qui ont pour idéal la « civilisation de l’être » (cf. chapitre I), des hommes qui, dans leur vie et leur action, témoignent du supra- monde et de sa calme puissance qui ignore le tragique. L’involution s’accélérant, l’« humanisme » devait parcourir la voie qui conduit, pour reprendre les symboles rappelés plus haut, de Prométhée à Épiméthée.

    Le monde moderne d’aujourd’hui ne connaît pas le Prométhée délivré au sens positif, le Prométhée libéré grâce à Héraklès (celui-ci, pour les Anciens, désigna l’homme véritable, le héros qui a fait l’autre choix, qui a décidé d’être un allié des forces olympiennes) (6). Il ne connaît que le Prométhée auquel on a enlevé ses chaînes et qui a été laissé libre de suivre sa voie pour se glorifier de sa misère et de la tragédie d’une existence purement humaine – ou, mieux, de l’existence considérée d’un regard purement humain -, pour en arriver enfin au point où, dégoûté de cette sorte d’auto-sadisme qu’est sa « grandeur tragique », il se précipite dans l’existence stupide de l’humanité « épiméthéenne ». Une existence qui se déroule au milieu du splendide et titanesque spectacle de toutes les conquêtes humaines de ces derniers temps, mais qui ne se consacre plus qu’au travail des bêtes de somme et à l’économie devenue obsessionnelle. La formule employée par une idéologie bien connue, c’est précisément l’« humanisme intégral » compris comme « humanisme du travail » et « sens de l’histoire ».

    Aucun doute n’est possible : le cycle se ferme.

    _____Notes_____
    (1) Giosue Carducci : écrivain italien du XIXe siècle, franc-maçon et anticlérical (N.D.T.).
    (2) A propos de ce terme le Littré dit : « Terme d’antiquité romaine. Festin sacré qu’on offrait aux principaux dieux, dont les statues étaient placées sur des lits magnifiques autour d’une table. On ordonnait les lectisternes dans les calamités publiques » (N.D.T.).
    (3) On peut aussi interpréter ce terme comme « sans-oubli », c’est-à-dire destruction de l’oubli = « souvenir » ou « réveil » au sens de connaissance de la vérité. Plus loin (au chapitre XI), nous verrons que cela est aussi un trait qui caractérise, en face de l’univers de la foi, un type opposé de spiritualité.
    (4) Nous avons mentionné ailleurs une interprétation « ésotérique » du mythe le rocher auquel Prométhée est enchaîné est le corps, la corporéité, et son châtiment n’est pas une peine imposée par un pouvoir étranger plus fort. L’animal qui ronge Prométhée enchaîné au rocher n’est qu’un symbole de la force transcendante qu’il a voulu s’approprier mais qui ne peut agir en lui que comme quelque chose qui le déchire et le consume.
    (5) Mais il faut se souvenir à ce sujet de l’ambivalence du désir éveillé par la femme et de l’expérience sexuelle. Voir à ce sujet notre ouvrage Métaphysique du sexe, Paris, 1976. Une possibilité opposée, positive, offerte par l’expérience sexuelle est indiquée par l’interprétation platonicienne de l’eros fondé sur le mythe de l’androgyne.
    (6) Au sujet du type de héros semblable à Héraklès, triomphateur du titan et que le « rire des dieux » n’atteint pas, cf. Révolte contre le monde moderne, cit., II, § 7 et Le mystère du Graal, cit.

    Julius Evola  http://la-dissidence.org

    Chapitre X de "L’Arc et la Massue" (PDF)

  • LMPT : l’indécente tentative de récupération d'Hervé Mariton

     

    Communiqué coup de gueule de Me Pichon :

    M"Suite à l’Université de la Manif pour tous qui s’est déroulée ce week end à Vincennes, on pouvait lire sur le compte twitter du député UMP de la Drôme Hervé MARITON le commentaire suivant : #UELMPT #commentsengager? Faut-il créer, pour ceux qui le souhaitent, au sein de l’#ump?,un mouvement qui porte nos #valeurs? qui est partant?

    Cette lamentable tentative de récupération du formidable mouvement de contestation à une rupture anthropologique radicale que fut la loi Taubira et ses suites logiques (PMA GPA gender) au moment même où Monsieur VANNESTE a été évincé manu militari par le service d’ordre de la LMPT, m’obligent à sortir du silence auquel je m’étais abstenu pas soucis du bien commun.

    Lorsqu’avec de nombreux avocats en robe, nous avons assisté aux gazages collectifs de manifestants pacifiques sur les champs Elysées le 24 mars dernier, nous avions rapidement perçu que nous entrions dans une phase répressive.

    Nous avons donc décidé de créer le Collectif des Avocats contre la répression policière et idéologique pour venir en aide à ces jeunes manifestants qui pour la plupart découvraient les contrariétés de la garde à vue. Et le 27 mars nous organisions symboliquement sur les champs Elysées notre première conférence de presse en compagnie de Béatrice Bourges du Printemps Français et d’autres personnes comme Axel Rokvam qui fondera plus tard les veilleurs.

    Quelques jours après, le 4 avril, 67 jeunes gens se retrouvaient en garde à vue pour avoir campé en silence devant l’assemblée nationale. 24 jeunes filles se retrouvèrent enfermées dans une cellule de 18 mètres carrés agrémentée des particules d’urine et de vomi.

    Appelé par quelques uns d’entre eux aux alentours d’une heure du matin, je me rendis donc au commissariat afin d’assister ces jeunes gens qui pour la plupart n’avaient pas encore perçu l’utilité d’un défenseur. Atterré par le caractère scandaleux et disproportionné de cette situation, je m’empressai donc de prévenir mes amis de Nouvelles de France et du Salon Beige ainsi que d’autres médias télévisés et radiophoniques.

    Le lendemain matin, alertés par ces mêmes média du lieu de détention – personne ne connaissait encore le commissariat de la rue de l’évangile - Hervé MARITON et Jean Frédéric POISSON, arrivaient au commissariat en leur qualité de parlementaires. J’étais plutôt satisfait de leur arrivée en pensant avant tout au sort des jeunes gardés à vue mais ces deux élus me snobèrent avec le plus grand mépris. J’apprenais quelques heures plus tard de la part de certains gardés à vue que Monsieur MARITON leur avait déconseillé de prendre PICHON comme avocat.

    Ne connaissant pas personnellement Monsieur MARITON, je m’étonnais de ce jugement de valeur et ce alors qu’ayant été réveillé en pleine nuit, je m’étais précipité pour défendre certains de ces jeunes gens, évidemment gratuitement.

    J’apprenais par la suite que la médisance provenait de certains esprits chagrins de l’équipe juridique de la LMPT terrorisée à l’idée que l’on apprenne que l’avocat des gardés à vue était un sympathisant du Printemps français, de surcroît très marqué à droite.

    Le même jour débarquait comme une star Frigide Barjot et tout le staff de la LMPT, et alors que je m’apprêtais à la saluer (je l’avais connu lors d’un voyage à Rome) elle me repoussa devant les caméras de télévision en me demandant ce que je faisais là. Je lui répondis « mon métier ». Quelques minutes plus tard, hors caméra, elle me déclarait, « tu comprends Frédéric, c’est de la com, mais nous menons le même combat ». J’encaissais sans rien dire en me disant que le combat que nous menions était supérieur à nos divisions.

    Et puis il y eut l’affaire Nicolas Bernard Buss. Nicolas m’avait fait appeler en pleine nuit pour l’assister au commissariat, mais je défendais déjà d’autres personnes et je n’étais donc pas disponible. J’envoyai mon confrère Benoit Gruau qui accepta de me substituer en pleine nuit.

    Après sa scandaleuse incarcération, la visite discrète et efficace de Jacques BOMPARD lui permit au bout de dix jours d’être transféré dans une cellule plus décente.

    Mais dés le lendemain de cette visite, Hervé MARITON se précipitait pour récupérer cette affaire médiatiquement porteuse, flanqué de quelques députés de l’UMP pour un entretien de courte durée avec Nicolas. Là encore, prévenu par le service juridique de la LMPT, affolé à l’idée que des élus de droite nationale « récupèrent » le cas de Nicolas avaient prévenu Hervé MARITON. Les caméras étaient présentes et Hervé MARITON laissa entendre que c’était grâce à lui que Nicolas était traité de façon à peu près humaine.

    De son côté Marion Maréchal Le Pen (qui avait assisté SANS OSTENTATION à des veillées sans s’exposer au feu des caméras) me contacta pour aller rendre visite discrètement à Nicolas dont elle avait été dissuadée par des pseudo-intermédiaires.

    Cette récupération de l’UMP m’écoeura d’autant plus que jusque là on nous avait fait comprendre qu’il y avait les bons manifestants que l’on peut défendre et les mauvais manifestants (campings pour tous, hommens, printemps français trop sulfureux pour l’image de marque) réservé aux avocats infréquentables. NICOLAS faisait jusqu’alors partie des mauvais manifestants, ceux qui méritaient d’être punis. Mais tout à coup, l’image étant porteuse, il devenait un manifestant emblématique qu’il était bon de soutenir.

    Lorsque l’on s’appelle la Manif pour tous, on se doit d’accueillir tout le monde : Les cathos, les athées, les juifs, les musulmans, les gaullistes, les trotzkystes, les libéraux, les homosexuels, les carnivores, les végétariens et même les élus du Front National ou des anciens de l‘UMP comme Christian VANNESTE.

    Je n’ai pas oublié qu’au mois de mai dernier, lors d’une manifestation organisée par la LMPT, Monsieur MARITON, interrogé par les journalistes sur la présence d’une élue du FN à ses côtés, en l’occurrence une conseillère du FN Sophie ROBERT, celui-ci déclara qu’elle n’avait rien à faire là. Preuve encore une fois que ce qui importe à ses yeux, ce ne sont pas d’abord les convictions mais d’abord l’image qu’il peut donner.

    Partant du même état d’esprit, notre courageux député avait fait le pied de grue auprès du mensuel gay « Têtu » - qui ne l’avait pourtant pas sollicité - pour décrocher une interview afin de faire amende honorable et se démarquer d’une image d’homophobe par une très élégante pique à l’encontre d’une ancienne ministre de son mouvement : « Je ne suis pas la nouvelle Christine Boutin ».

    Parallèlement, une fois la loi votée, Monsieur MARITON – qui échange des textos réguliers avec Mme TAUBIRA - s’empressa de déclarer qu’il appliquerait la loi et qu’il se ferait une joie de marier un couple unisexe dans sa mairie.

    Aujourd’hui et alors que la LMPT organise à juste titre des conférences sur la clause de conscience, Monsieur MARITON qui ne l’a pas fait jouer, a l’indécence de vouloir récupérer ce formidable mouvement.

    Je n’oublierai pas que l’idéologie du genre a commencé à être enseignée sous Luc Châtel, Ministre de l’Education Nationale sous Sarkozy. Certes Hervé Mariton été en désaccord avec Monsieur Châtel sur ce point mais il persiste à militer ensemble au sein du mouvement "France Moderne et Humaniste", un courant de l'UMP qui regroupe aussi Franck Riester, ouvertement pro mariage gay.

    Je n’oublierais pas que les lois liberticides en vertu desquelles Monsieur Vanneste est aujourd’hui poursuivi et qui sous couvert de lutte contre l’homophobie répriment la liberté d’expression, ont été votées en décembre 2004 sous un gouvernement UMP et une majorité appartenant pour les trois quarts à ce même parti.

    Bossuet disait :«Dieu se rit des prières qu'on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s'oppose pas à ce qui se fait pour les attirer »."

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  • Un homme d’Honneur : Roger HOLEINDRE, par José CASTANO

    « Certains attendent que le temps change, d'autres le saisissent avec force et agissent.» (Dante)

     Roger Holeindre est né en Corse en 1929 dans une famille paysanne et ouvrière. Durant la guerre 39/45, pensionnaire à la Pension Clerbois à Rosny-sous-Bois, il est alors membre d’une troupe scoute clandestine et effectue de nombreuses missions de nuit pour la résistance.
    À la libération, quittant la pension sans autorisation, il enlève, seul, deux mitrailleuses jumelées aux Allemands à la gare de triage de Noisy-le–Sec, devenant ainsi un des plus jeunes résistants de France. À 17 ans, falsifiant ses papiers, il s’engage dans la Marine et part volontaire pour l’Indochine où il sert à la 1ère division Navale d’Assaut. De retour en France, il se rengage aux Commandos Parachutistes Coloniaux et participe à tous les gros combats du Tonkin où il est blessé. Rapatrié sanitaire en métropole, il se porte aussitôt volontaire pour sauter sur Diên Biên Phu dès qu’il apprend le drame qui se joue là-bas.
    Arrivé en Indochine, on lui annonce la chute du camp retranché… C’est l’anéantissement. Incorporé dans un bataillon de parachutistes, il participe aux derniers et terribles combats sur les hauts plateaux où le GM100 est anéanti.
    Puis, c’est l’Algérie, où il se fait remarquer au sein du 8ème Régiment de Parachutistes Coloniaux en effectuant avec un effectif restreint au plus près de la population musulmane, des opérations commandos en « tenue rebelle » dans les Aurès Nementcha et jusqu’en Tunisie. Grièvement blessé dans un combat au corps à corps et hospitalisé à Philippeville, il réalise alors que l’Armée Française va gagner la guerre militairement, mais que De Gaulle la lui fera perdre politiquement. La mort dans l’âme, il quitte l’Armée et s’installe à Tébessa où il crée une maison des jeunes fréquentée majoritairement par des Musulmans. Cette activité sociale lui vaudra d’être cité en tant que civil à l’ordre de l’Armée.
    Les événements prenant la tournure qu’il avait pressentie, il participe alors au combat clandestin de l’Algérie française dans les rangs de l’OAS. Arrêté, emprisonné à la prison de Bône, il organise une évasion rocambolesque entraînant dans sa fuite ses camarades de détention. Reprenant aussitôt le combat, il  forme le deuxième maquis Bonaparte. Encerclé par deux régiments d’appelés hostiles à l’Algérie française qui avaient arrêté leurs officiers, il se refuse à ouvrir le feu sur eux et n’accepte de se rendre qu’au Général Ducourneau qu’il a connu en Indochine. Lourdement condamné puis amnistié, il mène dès sa libération une carrière d'écrivain et de journaliste, devenant grand reporter à Paris Match.
    En 1972, Roger Holeindre participe à la fondation du Front National. Élu sous cette étiquette, député de la Seine-Saint-Denis (1986-1988) et Conseiller régional d'Île-de-France (1992-1998), il quitte ce parti le 15 janvier 2011. Parallèlement, il crée en 1985 le Cercle National des Combattants qu’il préside depuis lors.
    L'éloge d'un homme d’honneur est presque toujours un combat contre les préjugés. Quand il s'agit d'être juste envers celui qui, fidèle à la parole donnée, a mis sa peau au bout de ses idées, je ne peux l’être à demi. Dès lors, je ne crains pas de heurter des sensibilités opposées, des susceptibilités grotesques, des erreurs d’appréciation qui ont acquis du crédit à force d'avoir été répétées. C'est bien assez que la vérité soit tardive ; il ne faut pas du moins qu'elle soit timide.
    Un homme tel que lui ne pouvait être formé que par la nature. Taillé dans le roc, guerrier hors pair, infatigable baroudeur, patriote dans l’âme, Roger Holeindre dont le personnage s’apparente très exactement à celui d’André Gide qui n’avait de cesse de répéter :« Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse », demeure à la pointe du combat prêchant sans fin la réconciliation et l’Union Nationale afin de lutter au mieux contre l’immigration invasion, le danger que représente l’intégrisme islamique et pour que la France, fille aînée de l’Église, reste à jamais une terre chrétienne.
    José CASTANO
    E-mail : joseph.castano0508@orange.fr

    http://www.francepresseinfos.com/2013/09/un-homme-dhonneur-roger-holeindre-par.html#more

  • La révolution des valeurs est en marche

     

    Dans Et la France se réveilla. Enquête sur la révolution des valeurs, Vincent Trémolet de Villers et Raphaël Stainville montrent comment la Manif pour tous, aboutissement d'un processus d'affirmation de principes non négociables, et début d'un retournement culturel, peut avoir des conséquences profondes sur la vie politique, l'Eglise et la société.

     

    Cette enquête instructive met en lumière les débuts de la Manif pour Tous, l'émergence des Veilleurs, le rôle de l'Eglise, celui des réseaux sociaux (un chapitre entier est consacré au Salon Beige !), ainsi que les manoeuvres politiciennes du gouvernement pour tenter d'éteindre un mouvement qui ne s'essoufle pas.

     

    F"Un autre élément, il nous semble, a été très mal analysé. Nous avons entendu des hommes politiques, dont le chef de l'Etat, des journalistes brillantes comme Elisabeth Levy, des commentateurs avertis comme Nicolas Domenach s'étonner de l'audace d'une jeunesse qui distingue une loi morale au-dessus de la loi civile. Mais ces enfants ont grandi dans le culte de la Résistance, fondée sur le refus d'un régime aux apparences légales (les veilleurs chantent chaque soir le chant des Partisans) ! Ils ont étudié le procès de Nuremberg, dans lequel les droits de la conscience ont acquis, en droit, une légitimité absolue ! Ils ont vue La Vie des autres, qui décrit la prison dans laquelle la conscience peut être enfermée ! Ils connaissent l'histoire de la Rose blanche, ce groupe d'étudiants chrétiens qui a résisté au nazisme ! Ils ont appris à perdre dans les ouvrages d'Hélie de Saint-Marc, qui fut résistant, déporté à Buchenwald, officier en Indochine, puis jugé pour haute trahison parce qu'il avait participé, en 1961, au putsch des généraux à Alger ! Ils connaissent ses méditations, où l'honneur et le courage priment sur la richesse et la réussite, où don Quichotte est un modèle parce qu'il révèle que "l'homme se mesure à ses rêves intérieurs" ! Aucun d'entre eux évidemment ne pense vivre sous la botte nazie ou communiste, mais tous savent que l'Etat ne peut violer ni les consciences ni les âmes. Ils n'ont pas tous lu Antigone, mais considèrent comme l'héroïne de Sophocle qu'il est des lois divines supérieures aux lois humaines.

    Ils ont appris avec Jean-Paul II à se méfier de "la tragique apparence de la légalité". Qu'il est une "loi morale objective qui, en tant que "loi naturelle" inscrite dans le coeur de l'homme, est une référence normative pour la loi civile elle-même"."

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  • Entretien avec Dominique Venner au sujet d'Ernst Jünger et la Révolution conservatrice

    Pauline Lecomte : Vous avez publié naguère une biographie intellectuelle consacrée à Ernst Jünger, figure énigmatique et capitale du XXe siècle en Europe. Avant de se faire connaître par ses livres, dont on sait le rayonnement, cet écrivain majeur fut un très jeune et très héroïque combattant de la Grande Guerre, puis une figure importante de la "révolution conservatrice". Comment avez-vous découvert l’œuvre d'Ernst Jünger ?
    Dominique Venner : C'est une longue histoire. Voici longtemps, quand j'écrivais la première version de mon livre Baltikum, consacré à l'aventure des corps-francs allemands, pour moi les braises de l'époque précédente étaient encore chaudes. Les passions nées de la guerre d'Algérie, les années dangereuses et les rêves fous, tout cela bougeait encore. En ce temps-là, un autre écrivain allemand parlait à mon imagination mieux que Jünger. C'était Ernst von Salomon. Il me semblait une sorte de frère aîné. Traqué par la police, j'avais lu ses Réprouvés tout en imaginant des projets téméraires. Ce fut une révélation. Ce qu'exprimait ce livre de révolte et de fureur, je le vivais : les armes, les espérances, les complots ratés, la prison... Ersnt Jünger n'avait pas connu de telles aventures. Jeune officier héroïque de la Grande Guerre, quatorze fois blessé, grande figure intellectuelle de la "révolution conservatrice", assez vite opposé à Hitler, il avait adopté ensuite une posture contemplative. Il ne fut jamais un rebelle à la façon d'Ernst von Salomon. Il a lui-même reconnu dans son Journal, qu'il n'avait aucune disposition pour un tel rôle, ajoutant très lucidement que le soldat le plus courageux - il parlait de lui - tremble dans sa culotte quand il sort des règles établies, faisant le plus souvent un piètre révolutionnaire. Le courage militaire, légitimé et honoré par la société, n'a rien de commun avec le courage politique d'un opposant radical. Celui-ci doit s'armer moralement contre la réprobation générale, trouver en lui seul ses propres justifications, supporter d'un cœur ferme les pires avanies, la répression, l'isolement. Tout cela je l'avais connu à mon heure. Cette expérience, assortie du spectacle de grandes infamies, a contribué à ma formation d'historien. A l'époque, j'avais pourtant commencé de lire certains livres de Jünger, attiré par la beauté de leur style métallique et phosphorescent. Par la suite, à mesure que je m'écartais des aventures politiques, je me suis éloigné d'Ernst von Salomon, me rapprochant de Jünger. Il répondait mieux à mes nouvelles attentes. J'ai donc entrepris de le lire attentivement, et j'ai commencé de correspondre avec lui. Cette correspondance n'a plus cessé jusqu'à sa mort.

    P. L. : Vous avez montré qu'Ernst Jünger fut l'une des figures principales du courant d'idées de la "révolution conservatrice". Existe-t-il des affinités entre celle-ci et les "non conformistes français des années trente" ?
    D. V.
    : En France, on connaît mal les idées pourtant extraordinairement riches de la Konservative Revolution (KR), mouvement politique et intellectuel qui connut sa plus grande intensité entre les années vingt et trente, avant d'être éliminé par l'arrivée Hitler au pouvoir en 1933. Ernst Jünger en fut la figure majeure dans la période la plus problématique, face au nazisme. Autour du couple nationalisme et socialisme, une formule qui n'est pas de Jünger résume assez bien l'esprit de la KR allemande : "Le nationalisme sera vécu comme un devoir altruiste envers le Reich, et le socialisme comme un devoir altruiste envers le peuple tout entier".

    Pour répondre à votre question des différences avec la pensée française des "non conformistes", il faut d'abord se souvenir que les deux nations ont hérité d'histoires politiques et culturelles très différentes. L'une était sortie victorieuse de la Grande Guerre, au moins en apparence, alors que l'autre avait été vaincue. Pourtant, quand on compare les écrits du jeune Jünger et ceux de Drieu la Rochelle à la même époque, on a le sentiment que le premier est le vainqueur, tandis que le second est le vaincu.
    On ne peut pas résumer des courants d'idées en trois mots. Pourtant, il est assez frappant qu'en France, dans les différentes formes de personnalisme, domine généralement le "je", alors qu'en Allemagne on pense toujours par rapport au "nous". La France est d'abord politique, alors que l'Allemagne est plus souvent philosophique, avec une prescience forte du destin, notion métaphysique, qui échappe aux causalités rationnelles. Dans son essais sur Rivarol, Jünger a comparé la clarté de l'esprit français et la profondeur de l'esprit allemand. Un mot du philosophe Hamman, dit-il, "Les vérités sont des métaux qui croissent sous terre", Rivarol n'aurait pas pu le dire. "Il lui manquait pour cela la force aveugle, séminale."

    P. L. : Pouvez-vous préciser ce qu'était la Weltanschauung du jeune Jünger ?
    D. V. : Il suffit de se reporter à son essai Le Travailleur, dont le titre était d'ailleurs mal choisi. Les premières pages dressent l'un des plus violents réquisitoires jamais dirigés contre la démocratie bourgeoise, dont l'Allemagne, selon Jünger, avait été préservée : "La domination du tiers-état n'a jamais pu toucher en Allemagne à ce noyau le plus intime qui détermine la richesse, la puissance et la plénitude d'une vie. Jetant un regard rétrospectif sur plus d'un siècle d'histoire allemande, nous pouvons avouer avec fierté que nous avons été de mauvais bourgeois". Ce n'était déjà pas mal, mais attendez la suite, et admirez l'art de l'écrivain : "Non, l'Allemand n'était pas un bon bourgeois, et c'est quand il était le plus fort qu'il l'était le moins. Dans tous les endroits où l'on a pensé avec le plus de profondeur et d'audace, senti avec le plus de vivacité, combattu avec le plus d'acharnement, il est impossible de méconnaître la révolte contre les valeurs que la grande déclaration d'indépendance de la raison a hissées sur le pavois." Difficile de lui donner tort. Nulle part sinon en Allemagne, déjà avec Herder, ou en Angleterre avec Burke, la critique du rationalisme français n'a été aussi forte. Avec un langage bien à lui, Jünger insiste sur ce qui a préservé sa patrie : "Ce pays n'a pas l'usage d'un concept de la liberté qui, telle une mesure fixée une fois pour toutes est privée de contenu". Autrement dit, il refuse de voir dans la liberté une idée métaphysique. Jünger ne croit pas à la liberté en soi, mais à la liberté comme fonction, par exemple la liberté d'une force : "Notre liberté se manifeste avec le maximum de puissance partout où elle est portée par la conscience d'avoir été attribuée en fief." Cette idée de la liberté active "attribuée en fief", les Français, dans un passé révolu, la partagèrent avec leurs cousins d'outre-Rhin. Mais leur histoire nationale évolué d'une telle façon que furent déracinées les anciennes libertés féodales, les anciennes libertés de la noblesse, ainsi que Tocqueville, Taine, Renan et nombre d'historiens après eux l'ont montré. A lire Jünger on comprend qu'à ses yeux, à l'époque où il écrit, c'est en Allemagne et en Allemagne seulement que les conditions idéales étaient réunies pour couper le "vieux cordon ombilical" du monde bourgeois. Il radicalise les thèmes dominants de la KR, opposant la paix pétrifiée du monde bourgeois à la lutte éternelle, comprise comme "expérience intérieure". C'est sa vision de l'année 1932. Avec sa sensibilité aux changements d'époque, Jünger s'en détournera ensuite pour un temps, un temps seulement. Durant la période où un fossé d'hostilité mutuelle avec Hitler et son parti ne cessait de se creuser.
    Dominique Venner, Le choc de l'histoire (Via Romana, 2011)

    http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EFZAFAVlpVzKcQpHdi.shtml

  • [Nantes] Cercle d'étude sur l'Histoire de l'Action française

    Le CRAF de Nantes et l’URBVM ont créé pour cette nouvelle année militante un cycle d’étude afin de former les jeunes de l’Action Française Etudiante de Nantes.

    Le premier cercle aura lieu le 28 deptembre 2013.

     
  • Du paganisme au christianisme, la mémoire des lieux et des temps

    p. 75-92, Résumé
    Deux textes du vie siècle illustrent des aspects importants de la « mémoire des lieux et des temps » dans le passage du paganisme au christianisme. Dans le premier, Grégoire de Tours relate l’initiative pastorale d’un évêque auvergnat qui, impuissant à déraciner une fête païenne se déroulant sur le mont Helarius, construit sur les lieux une église en l’honneur du saint chrétien Hilarius. Dans le second, Grégoire le Grand donne aux missionnaires qu’il a envoyés en Angleterre des instructions sur la façon de transformer les temples païens en églises chrétiennes. Ces deux textes révèlent une stratégie pastorale complexe qui, face au paganisme, mêle adroitement les catégories de la destruction et de l’oblitération avec celle de la récupération.
    1 Dans un essai de synthèse sur les rapports entre la culture cléricale et la culture folklorique à l’époque mérovingienne (circa 500-750), le médiéviste Jacques Le Goff avait proposé d’intéressantes lignes de réflexion sur la dynamique de ces rapports (1977 : 223-235). Il concédait, dans son analyse, qu’« il y a sans doute un certain accueil de ce folklore dans la culture cléricale », à cause notamment de trois facteurs importants. D’abord, l’existence de structures mentales en partie communes aux deux cultures, comme la croyance en des pouvoirs surnaturels et la possibilité d’interventions divines. Ensuite, le fait que l’évangélisation réclamait nécessairement de la part des clercs un effort d’ajustement culturel, effort dont l’adaptation linguistique, par l’utilisation d’un sermo rusticus dans la prédication, est un symbole évident. Enfin, le fait que la culture cléricale avait dû, dans plusieurs domaines de la vie ordinaire, s’insérer dans les cadres de la culture folklorique, en s’adaptant par exemple, avec l’institution des Rogations, aux exigences du nouveau contexte rural. Il lui semblait néanmoins que, en dernière analyse, « l’essentiel (de ces rapports) est un refus de cette culture folklorique par la culture ecclésiastique ». Ce refus se serait opéré selon trois lignes ou trois catégories distinctes : la destruction, l’oblitération et la dénaturation (Le Goff, 1977 : 236-279)1.
    2 La destruction est la catégorie la plus facile à définir et à documenter, par un très grand nombre de textes et parfois aussi par l’archéologie : rites perturbés, temples détruits, arbres sacrés coupés, sources sacrées souillées. L’histoire de la mission chrétienne est remplie de récits qui exaltent comme des actes de courage héroïque ces campagnes de destruction, souvent violemment contestées par le peuple. On citera comme récits emblématiques les témoignages tirés de la vie de saint Martin, rédigée par Sulpice Sévère, vers la fin du ive siècle : « un autre jour, en certain village, il avait détruit un temple fort ancien et entrepris d’abattre un pin tout proche du sanctuaire ; mais alors le prêtre de ces lieux et toute la foule des païens commencèrent à lui opposer de la résistance » (13,1) ; « il avait mis le feu, en certain village, à un sanctuaire païen tout à fait ancien et très fréquenté » (14,1) ; « dans un autre village, du nom de Levroux, Martin voulut démolir également un temple que la fausse religion avait comblé de richesses, mais la foule des païens s’y opposa tant et si bien qu’il fut repoussé, non sans violence » (14,37 ; Fontaine, 1967 : 281, 283, 285). Cette même violence continuera, même après la conversion des campagnes, envers les cultes populaires syncrétistes jugés inacceptables par l’Église officielle. Ainsi le prédicateur général et inquisiteur Étienne de Bourbon, au xiiie siècle, informé de l’existence d’un culte rural à un lévrier guérisseur d’enfants, dans le diocèse de Lyon, ne se limitera pas à condamner ce culte dans des sermons, mais tâchera d’en détruire physiquement les conditions : « nous avons fait exhumer le chien mort et couper le bois sacré, et nous avons fait brûler celui-ci avec les ossements du chien. Et j’ai fait prendre par les seigneurs de la terre un édit prévoyant la saisie et le rachat des biens de ceux qui afflueraient désormais en ce lieu pour une telle raison » (Schmitt, 1979 : 17). Comme dans bien d’autres cas, toutefois, ce culte survivra à cette tentative de destruction, puisqu’il sera encore attesté, dans les mêmes lieux, au xxe siècle.
    3 L’oblitération est une catégorie plus complexe. Elle consiste en « la superposition des thèmes, des pratiques, des monuments, des personnages chrétiens à des prédécesseurs païens ». Le Goff a tenu à souligner que cette oblitération « n’est pas une “succession », mais, à sa façon, une abolition. En refusant l’idée de la « succession », il faisait sans doute allusion au titre et aux thèses de Pierre Saintyves sur Les saints successeurs des dieux, thèses assez largement répandues chez les folkloristes anglais et français, et chez certains hagiologues allemands, au début du xxe siècle2. Par l’oblitération, autant que par la destruction, « la culture cléricale couvre, cache, élimine la culture folklorique ».
    4 La dénaturation, enfin, « est probablement le plus important des procédés de lutte contre la culture folklorique : les thèmes folkloriques changent radicalement de signification dans leurs substituts chrétiens ». On peut en citer comme exemple typique celui du dragon, figure qui est ambivalente dans le folklore, bonne ou mauvaise selon les contextes, mais qui est négative et « démonisée » dans la culture des clercs, notamment dans leur littérature hagiographique.
    5 On se propose ici de présenter et de commenter deux textes importants et relativement peu étudiés de cette même période, textes qui, sans invalider en rien la pertinence et la valeur interprétative des catégories proposées par Le Goff, laissent entrevoir que le processus du passage de la culture païenne à la culture chrétienne a été plus complexe. Si destruction, oblitération et dénaturation il y a eu, ces catégories n’ont pas été les seules et, surtout, elles ont rarement existé à l’état pur. Dans la réalité des situations concrètes, elles se présentent à nous comme entremêlées dans une variété de synthèses originales, qui comportaient à la fois destruction de certains éléments de la culture païenne antérieure, « récupération orientée » d’autres, et dénaturation proprement dite, dans un processus original qu’on pourrait appeler de « récupération re-sémantisante ».
    6 Il faudrait par ailleurs discuter à part, à cause de la nature particulière et de l’abondance des documents, le problème des rapports entre culture cléricale et traditions folkloriques dans la littérature hagiographique, aussi bien dans les textes que dans les cultes que cette littérature proposait aux fidèles et dont elle soutenait l’exercice. Selon Le Goff, à l’époque mérovingienne « la récolte de thèmes proprement folkloriques est mince, même dans la littérature hagiographique a priori privilégiée à cet égard », tandis que le folklore « fera irruption dans la culture occidentale à partir du xie siècle, parallèlement aux grands mouvements hérétiques », et trouvera son plein épanouissement dans la Légende dorée. On sera d’accord, sans la moindre réserve, sur la seconde affirmation. La Légende dorée (c. 1260-1270), que l’on peut maintenant consulter dans une édition critique enfin fiable, et dans une traduction française exemplaire (Boureau, 2004)3, est en effet une mine inépuisable de thèmes folkloriques, qui vont du petit détail narratif à des scènes vastes et complexes, jusqu’à des biographies entières, construites en totalité avec des matériaux folkloriques, comme celles des saints Christophe, Eustache, Alexis, Julien l’Hospitalier et tant d’autres, ainsi que celle de Judas, qui applique au traître l’histoire d’Œdipe4.
    7 Mais il semble que, même pendant le haut Moyen Âge, d’importants éléments folkloriques se sont glissés tels quels dans les récits hagiographiques, tout en se pliant au service de la figure du saint ou des exigences de son culte. On pourrait appeler cette catégorie supplémentaire celle de la « récupération orientée ». Un cas typique est celui du miracle de la résurrection d’animaux tués et consommés dans un contexte d’hospitalité, dans un épisode de la vie de saint Germain comme dans bien d’autres : « après le dîner, il fit déposer tous les os du veau sur sa peau et, à sa prière, le veau se leva sur le champ » (Boureau, 2004 : 562)5. On peut citer aussi, comme autre exemple, celui de l’araignée bienfaisante, qui tisse rapidement sa toile pour cacher l’innocent poursuivi (Boureau, 2004 : 126). On concédera néanmoins que la moisson de thèmes folkloriques demeure, à tout prendre, mince par rapport aux thèmes d’origine biblique ou patristique.
    8 Par ailleurs, il semble également certain que, dans les formes du culte concret rendu aux saints par le peuple, les éléments folkloriques (à savoir des habitudes cultuelles héritées du paganisme) sont prépondérants. Aussi, dans la tradition hagiographique irlandaise, dont les plus anciennes rédactions remontent peut-être déjà au viiie siècle, la symbiose entre données chrétiennes et données folkloriques est prépondérante et omniprésente. Dans l’introduction à son édition des Vitae sanctorum Hiberniae, Charles Plummer a montré que leur caractéristique structurale consiste justement dans l’intégration du substrat culturel celtique, à savoir « l’incorporation, dans les structures de la nouvelle foi, de fragments de matériaux – “pierres étrangères à l’édifice” – empruntés à l’ancienne culture »6. Il identifiait trois modalités, qui peuvent valoir aussi pour les autres cas, de cette appropriation de thèmes ou matériaux : la direct importation, lorsque des thèmes, ou des épisodes, ou des cycles entiers de la culture ethnique sont attribués au saint ; la conscious imitation, lorsque ces thèmes lui sont attribués de façon identique quant au fond, mais modifiés dans la forme ; et finalement la inconscious permeation, lorsqu’il s’agit d’éléments fluides ou épars, pour lesquels on ne peut ni prouver ni même supposer la conscience de l’emprunt7.
    9 Venons-en à nos deux textes témoins. Leurs auteurs, Grégoire de Tours et Grégoire le Grand, sont deux personnages particulièrement importants, par leur position dans la hiérarchie de l’Église, et par la claire intentionnalité ou conscience de leur démarche. De plus, ils écrivent tous les deux au moment, crucial pour notre propos, du passage du paganisme au christianisme, le premier pour les populations rurales de Gaule et le second pour les peuples germaniques récemment installés en Angleterre. Leurs textes comportent, par là, une valeur de principe et pour ainsi dire emblématique.
    Grégoire de Tours et les fêtes païennes sur le mont Helarius
    10 Ce texte, rédigé vers la fin du vie siècle par l’évêque Grégoire de Tours († 594), relate une tentative de christianisation du paganisme par la superposition d’un culte chrétien à un culte païen. On peut le résumer ainsi : un évêque, incapable de déraciner une fête annuelle païenne destinée à obtenir la pluie, tente de la christianiser, en faisant construire sur les lieux de la fête païenne (aux abords du lac Helarius) une église au saint chrétien Hilarius. Le texte est tiré du Livre à la gloire des confesseurs, et reflète probablement, tout en relatant une histoire antérieure, des situations et des préoccupations qui devaient hanter Grégoire lui-même, dont le diocèse comprenait un très vaste territoire rural.
    Dans le territoire des Gabales il y avait une montagne, dont le nom était Helarius, et qui comprenait un grand lac. À certaines dates, la foule des paysans jetait dans ce lac, comme pour lui faire des libations, des linges et des tissus destinés à la confection de vêtements. Certains y jetaient des toisons de laine. Le plus grand nombre y jetaient, chacun selon ses possibilités, des pièces de fromage ou de cire, et diverses sortes de pains, qu’il serait trop long d’énumérer8. Ils s’y rendaient avec des chariots, apportant de la boisson et de la nourriture, immolant des animaux et banquetant trois jours durant. Le quatrième jour, lorsqu’il fallait redescendre, une terrible tempête avec des tonnerres et de violents éclairs les prenait de vitesse, et un orage si violent tombait du ciel, comme s’il s’agissait de pierres, qu’à peine chacun des assistants pensait pouvoir s’en échapper.
    Les choses se passaient ainsi tous les ans, et le peuple imbécile était de plus en plus confirmé dans l’erreur. Après une longue période de temps, un prêtre qui avait été promu à l’épiscopat, vint de la même ville9 en ce lieu, et il prêcha aux foules qu’elles seraient consumées par la colère de Dieu si elles n’abandonnaient pas leurs usages, mais sa prédication ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages. Alors, sous l’inspiration divine, le prêtre de Dieu fit construire, à quelque distance du bord du lac, une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers (Hilarius) et y plaça des reliques du saint en disant au peuple : « Gardez-vous, mes fils, gardez-vous de pécher à la face de Dieu. Il n’y a rien à vénérer dans cet étang10. Ne salissez pas vos âmes par ces vaines observances [ou : rituels], mais reconnaissez plutôt [le vrai] Dieu et vénérez ses amis. Vénérez donc le pontife de Dieu Saint Hilaire, dont les reliques sont ici déposées. C’est lui, en effet, qui peut être votre intercesseur auprès de la miséricorde de Dieu ».
    Alors ces gens, touchés dans leur cœur, se convertirent et abandonnèrent le lac. Ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte, et furent ainsi délivrés des liens de l’erreur où ils étaient retenus. La tempête aussi fut par la suite écartée de ce lieu, et on ne la vit plus sévir dans une fête, dès lors consacrée à Dieu, depuis le moment où avaient été placées là les reliques du bienheureux confesseur11.
    11 Sous réserve d’inventaire aucune analyse approfondie de ce texte n’a jamais été proposée, mais on se limitera ici à mettre en évidence des points qui semblent importants et assurés, en évoquant au passage les recherches qui restent à faire pour une analyse plus complète.
    12 La description de la festivité agraire par Grégoire nous apparaît comme sommaire et quelque peu floue. Il est fort probable qu’elle n’a pas été bien comprise par l’auteur, un évêque de la haute aristocratie, qui relatait une histoire concernant un autre évêque, accumulant ainsi une double possibilité de brouillage du fait ethnologique rapporté. Il est fort probable que ni l’un ni l’autre de ces évêques, représentants d’une culture savante et urbaine, n’étaient en bonne position (et n’étaient sans doute pas intéressés) pour bien comprendre et bien décrire une réalité culturelle populaire et rurale.
    13 L’action se situe « dans le territoire des Gabales », à savoir le Gévaudan actuel, dans le Sud de l’Auvergne. Le Pagus Gabalitanus (territoire des Gabali), inclus par Auguste dans la Province de l’Aquitaine I, fut appelé au Moyen Âge Pagus gavaldanus, d’où le nom actuel de Gévaudan donné à la région. Le site est peut-être à identifier avec l’actuel lac de Saint-Andéol (Lozère).
    14 Il est probable que l’épisode soit à situer dans un contexte de culture celtique, plutôt que de culture romaine. Nous nous trouvons en effet dans une région éloignée, et dans un contexte rural, où l’on peut supposer une persistance plus tenace de la culture celtique, par rapport à la plus récente culture romaine, enracinée d’abord dans les villes. Le texte lui-même fait jouer l’opposition entre campagne et ville. Par ailleurs, selon les archéologues et les folkloristes, les monuments celtes sont nombreux dans le Gévaudan, et les traces de la culture celtique y sont tenaces.
    15 La date des événements n’est pas indiquée. Le récit est raconté au passé, sans autres détails. Il suppose par ailleurs la présence d’un évêque dans la ville voisine de Javols, et l’existence de régions rurales non encore christianisées, ou mal christianisées, ce qui pourrait correspondre, pour l’Auvergne, à la situation du ve, voire de la première moitié du vie siècle. Il s’agit d’une fête annuelle (« il en était ainsi tous les ans »), qui selon l’auteur durait trois jours. Cette fête était célébrée depuis fort longtemps (« après une longue période de temps »), et elle était donc culturellement et socialement enracinée. C’est pour cela, peut-on supposer, que la prédication de l’évêque « ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages ».
    16 Nous sommes de toute évidence dans un milieu rural, non seulement du point de vue physique (la montagne, le lac), mais aussi du point de vue sociologique et économique : ce sont des rustici, des « rustres sauvages » (cruda rusticitas), des paysans, comme le prouvent aussi bien la nature de leurs offrandes que l’importance attribuée à la pluie.
    17 Le nom de la montagne, Helarius, est peut-être (ou probablement ?) aussi le nom d’une divinité locale qui était censée habiter dans le lac, car, et cela semble un élément important, l’évêque dira aux paysans : « il n’y a aucune religio (= aucune réalité sacrée) dans ce lac ». Mais aucun nom de divinité celtique (ou romaine) n’a pu être repéré qui pourrait correspondre à ce terme, utilisé ici comme toponyme12.
    18 La signification du rite ne semble pas avoir été bien comprise par l’auteur, ou en tout cas elle n’est pas bien explicitée. Il semble s’agir d’un rite pour favoriser la venue de la pluie : par un effet d’analogie, les offrandes jetées dans l’eau devaient favoriser le don de l’eau venant du ciel. Si tel est le cas, il s’agit probablement des pluies du printemps, typiques de la région, qui marquent la fin de l’hiver. La date de la fête de saint Hilaire, le 28 février, pourrait confirmer cette hypothèse, et donner encore plus de poids à l’opération de « transfert culturel » entreprise par l’évêque. Selon l’hypothèse intéressante de Jean-Claude Schmitt (1988 : 450), cette date pourrait aussi « marquer le début de l’année (1er mars, dans le calendrier romain) ».
    19 La description de cette grande fête populaire, bien que volontairement incomplète (comme pour la description des types d’offrandes, dont l’auteur abrège la liste, pour la raison qu’« il serait trop long de les énumérer »), nous signale quand même nombre d’éléments intéressants :
    20 La fête se tient à des dates déterminées (« à certaines dates »), que l’on ne précise pas, même s’il est probable qu’il s’agisse d’une fête annuelle (« les choses se passaient ainsi tous les ans ») ; la durée de la fête est indiquée comme étant de trois jours, avec le voyage de retour pendant le quatrième jour, mais cette donnée pourrait ne pas être fiable, s’il s’agit d’une fête qui devait durer jusqu’à l’arrivée de la pluie.
    21 La participation collective est un élément essentiel : c’est une fête de la collectivité (« la foule », « le peuple »), non un ensemble de pèlerinages individuels à un lieu sacré ; la mention des chariots suppose aussi une convergence, une installation collective.
    22 Un aspect important de la dimension religieuse de la fête est représenté par des objets jetés dans le lac « en guise de libation », le sens du terme libatio, emprunté à la culture savante, nous cachant probablement un terme vernaculaire spécifique, ainsi que le sens du geste tel que perçu par les paysans. On remarquera la liste fort intéressante de ces objets, apparemment liés à la vie quotidienne et au travail, qui mériterait une analyse plus détaillée : « des linges et des tissus destinés à la confection de vêtements... des toisons de laine. Le plus grand nombre y jetaient, chacun selon ses possibilités, des pièces de fromage ou de cire, et diverses sortes de pains ». La tournure « qu’il serait trop long d’énumérer » relève du manque d’intérêt de l’auteur pour des détails ethnologiques, étrangers à son propos principal. On remarquera aussi la distinction entre les dons ou offrandes de « certains » et ceux du « plus grand nombre ».
    23 Un autre élément important de la fête est l’immolation d’animaux, qui se prolonge dans des banquets, avec boisson et nourriture abondantes. Il est probable que ces grands banquets comportaient eux aussi, comme les sacrifices, une signification ou portée religieuses.
    24 Il va de soi que chacun de ces éléments, ici sommairement relevés, serait à analyser en détail, dans une perspective ethnologique. Comment interpréter ces éléments en comparaison avec des fêtes analogues, en Gaule et ailleurs, à la même époque, et dans les mêmes contextes ? Peut-on documenter l’existence de survivances de cette fête ? Il faudrait au moins évoquer et étudier des fêtes analogues, dans la région ou des régions voisines, documentées jusqu’à des époques récentes. On cite comme exemple la procession annuelle, encore suivie au début du xixe siècle, qui réunissait au lac Marchais, le 15 novembre, les paroissiens de Deuil, Grolay et Montmagny à l’occasion de la fête de saint Eugène décapité à Deuil et précipité dans le lac. L’origine celtique du culte de ce lac semble certaine, de même que le lien entre la légende de saint Eugène et le lac même. Il faudrait aussi évoquer et étudier les trouvailles archéologiques d’offrandes dans des lieux de culte liés à l’eau, par une enquête ethnologique approfondie, qui est hors de propos ici.
    25 Le fait que des pluies torrentielles, avec tempête ou grêle, surprennent chaque année les paysans à leur retour, selon ce qu’affirme Grégoire, peut aisément être compris selon la logique de la fête, qui devait justement durer jusqu’à l’arrivée des pluies souhaitées. L’auteur n’en comprend pas le sens, et prend le but réel de la fête pour un accident récurrent : « les choses se passaient ainsi tous les ans ».
    26 Face à cette coutume, présentée comme ancienne et indéracinable, l’évêque de la ville voisine, Javols, intervient. On se rappellera qu’à cette époque il n’y avait pas encore de réseau de paroisses rurales : la ville dominait la campagne, du point de vue pastoral, et cet épisode peut être interprété aussi comme une opposition entre culture rurale et culture urbaine. L’évêque tente d’abord une stratégie de destruction, indirecte (par la main de Dieu) mais réelle : « il prêche aux foules qu’elles seraient consumées par la colère de Dieu si elles n’abandonnaient pas leurs usages », mais « la foule des paysans », ne l’accepte pas : « sa prédication ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages ». Dans cette opposition entre ville et campagne, le peuple rural et sa culture sont constamment et lourdement dévalorisés dans le récit de Grégoire : « le peuple imbécile », « ces rustres sauvages ».
    27 L’évêque recourt alors à une technique d’oblitération-remplacement, hautement valorisée par l’auteur, puisqu’elle se fait, dit-il, « sous l’inspiration divine » : « il fit construire, à quelque distance du bord du lac, une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers (Hilarius) et y plaça des reliques du saint ». Le projet pastoral de l’évêque consiste donc à remplacer le (probable) dieu celtique Helarius par le saint chrétien Hilarius, cet Hilaire de Poitiers qui avait été non seulement un grand personnage, mais aussi un personnage historiquement et géographiquement proche. On remarque immédiatement que le nom du saint chrétien, Hilarius en latin, est pratiquement identique au toponyme païen Helarius, qui était aussi probablement le nom de la divinité tutélaire du lieu. Dans le latin tardif, en effet, la prononciation d’une voyelle i non accentuée ressemblait beaucoup à celle d’une e non accentuée, de sorte que les noms Helarius et Hilarius étaient prononcés à peu près de la même façon. Ce jeu de quasi-homonymie ou homophonie, et la stratégie culturelle qu’il sous-entend, sont une astuce qu’on ne peut pas ne pas remarquer.
    28 Les éléments de cette récupération-transfert des traits folkloriques originaux sont multiples :
    29 il y a d’abord la récupération du lieu (« à quelque distance du bord du lac ») ; la nouvelle réalité chrétienne profitera donc de l’enracinement et de la stabilité topographiques de l’ancienne réalité païenne ;
    30 il y a ensuite la récupération du nom (de Helarius à Hilarius), qui favorise un transfert complet et naturel des traits et des fonctions de l’ancienne figure païenne à la nouvelle figure chrétienne ;
    31 il y a, ce qui semble essentiel pour la réussite de l’opération, une récupération de la fonction de la divinité païenne : « c’est lui (à savoir, le nouvel Hilarius) qui peut être votre intercesseur auprès de la miséricorde de Dieu » ;
    32 il y a la récupération des dates (implicite) et des gestes rituels des paysans : « ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte » ;
    33 il y a enfin le remplacement global, du lac à l’église (avec ses reliques).
    34 Selon Grégoire, ce transfert fut une stratégie heureuse, une réussite pastorale totale : « Alors ces gens, touchés dans leur cœur, se convertirent et abandonnèrent le lac. Ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte, et furent ainsi délivrés des liens de l’erreur où ils étaient retenus ».
    35 On ajoutera, comme dernier élément de la faible sensibilité ethnographique de Grégoire de Tours, ou peut-être comme indice d’une transformation de la fonction originale de la fête, l’affirmation du passage final de notre texte : « la tempête aussi fut par la suite écartée de ce lieu, et on ne la vit plus sévir dans une fête, dès lors consacrée à Dieu, depuis le moment où avaient été placées là les reliques du bienheureux confesseur ». Le nouveau sanctuaire n’a donc plus une fonction propitiatoire, mais une fonction apotropaïque, de protection contre les tempêtes et les orages. Mais cette interprétation de l’évêque, aristocrate et théologien, correspond-elle à la réalité de la perception paysanne ?
    Grégoire le Grand : des temples païens aux églises chrétiennes
    36 Le contexte de ce second document est beaucoup plus clair que celui du premier, et il est nettement daté : il s’agit de la mission envoyée en Angleterre par le Pape Grégoire le Grand, à la fin du vie siècle, pour convertir les Anglo-Saxons, encore païens. Déjà, en septembre 595, Grégoire avait donné des consignes à ses agents en Gaule, pour qu’ils achètent sur le marché local, probablement à Marseille, des jeunes esclaves anglo-saxons, à éduquer dans la foi chrétienne en vue d’une mission future auprès de ces peuples. Cette première démarche révélait déjà une attention particulière de Grégoire pour les aspects anthropologiques et culturels de la mission. Une première équipe de moines missionnaires, recrutés dans son propre monastère du Monte Celio à Rome, était arrivée dans le royaume de Kent au printemps 597, sous la direction d’Augustin, en emmenant avec elle ces esclaves recueillis en cours de route. Une seconde équipe fut envoyée, quatre années plus tard (juillet 601), sous la conduite de Mellitus. Et c’est justement par Mellitus, encore en route vers l’Angleterre, que Grégoire fait parvenir au chef de la mission, Augustin, ses nouvelles instructions concernant l’utilisation chrétienne des temples païens13.
    À notre fils bien-aimé l’abbé Mellitus, dans le pays des Francs, Grégoire serviteur des serviteurs de Dieu.
    Après le départ de la petite troupe rassemblée par nos soins, qui voyage avec toi, nous avons été plongés dans une vive inquiétude, en l’absence de nouvelles sur le succès de votre voyage. Une fois donc que Dieu tout-puissant vous aura menés auprès de notre très révéré frère l’évêque Augustin, dites-lui ce que, après avoir longuement médité au sujet des Angles, j’ai décidé : qu’il ne faut en aucun cas détruire les temples des idoles (fana idolorum) chez le peuple en question, mais seulement les idoles qui s’y trouvent ; que l’on bénisse de l’eau et que les temples en question en soient aspergés ; enfin qu’on bâtisse des autels et qu’on y dépose des reliques.
    En effet, si les temples dont nous parlons ont été bien construits, il faut impérativement qu’on les transforme (commutari) pour qu’ils passent du culte des démons à l’observance du vrai Dieu, afin que lorsque la population verra que ses temples justement ne sont pas détruits, elle quitte son erreur et reconnaissant enfin et adorant le vrai Dieu, elle accoure avec plus de confiance en ces temples auxquels elle est habituée.
    De même, comme ces populations ont coutume de sacrifier de nombreux bœufs aux démons, il faut transformer (inmutari) aussi cet usage en solennité chrétienne : le jour où une église est dédiée à un saint ou bien pour l’anniversaire des martyrs, dont les reliques y sont déposées, qu’ils se fassent des huttes de branchages autour de ces anciens temples transformés en églises et qu’ils y célèbrent la fête par des banquets religieux. Que ce ne soit plus au Diable qu’ils immolent des animaux, mais que dorénavant ce soit à la gloire de Dieu qu’ils tuent les animaux qu’ils mangent et qu’ils rendent grâce de leur satiété à Celui qui donne tout, de sorte que par ces quelques joies extérieures qui leur sont conservées, ils puissent consentir plus facilement aux joies intérieures.
    Il ne fait aucun doute en effet qu’il est impossible de faire brusquement table rase dans des esprits obtus, car aussi celui qui veut escalader un sommet, ne s’élève pas par bonds mais progressivement pas à pas. Ainsi, s’il est vrai que notre Seigneur se révéla au peuple d’Israël en Égypte, il leur permit toutefois de conserver pour son propre culte l’usage des sacrifices rendus jusque là au Diable, puisqu’Il ordonna qu’on immolât des animaux dans les sacrifices qu’on Lui rendait, afin qu’en changeant leurs cœurs, ils perdissent certains aspects du sacrifice mais qu’ils en gardassent d’autres (Lev 7,2-7). De la sorte même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils avaient l’habitude de sacrifier, maintenant qu’ils les sacrifiaient au vrai Dieu et non plus à des idoles, ce n’étaient plus les mêmes sacrifices. Voilà ce qu’il faut, très cher, que tu dises à notre frère Augustin, afin qu’il juge par lui-même, lui qui est présentement en place là-bas, quelle est la meilleure façon de tout organiser. Que Dieu te garde, mon fils bien-aimé.
    37 Comme pour le texte précédent, on rassemblera les principales remarques et conclusions qui se dégagent d’une analyse rapide.
    38 Il faut d’abord relever que ces directives contredisent une lettre antérieure envoyée par Grégoire au roi Éthelbert, dans laquelle le pape semblait prôner clairement la destruction, puisqu’il y demandait à Éthelbert : « multiplie le zèle de ta rectitude dans leur conversion, élimine le culte des idoles, détruis les bâtiments des temples » (Épist. I,32). Le changement de perspective que révèle cette deuxième lettre assume alors la valeur d’une théorisation pastorale consciente, doublement réfléchie : « dites-lui ce que, après avoir longuement médité au sujet des Angles, j’ai décidé ». Ce texte est d’une importance capitale, par son intention et par les circonstances de sa rédaction, autant que par l’importance de son auteur.
    39 Comme pour Grégoire de Tours, Grégoire le Grand connaît mal le paganisme anglo-saxon. Il n’y a, en effet, aucune preuve archéologique de l’existence des temples auxquels il fait allusion, ni des coutumes évoquées par lui (Hutton, 1993). Il semble probable que Grégoire se base ici sur une reconstruction livresque de la religion des Angles, composée par un mélange de religion rurale méditerranéenne (les temples : fana) et de coutumes germaniques, peut-être empruntées à la Germania de Tacite. On n’a pas trouvé non plus de preuves archéologiques d’une application de ces conseils de Grégoire.
    40 En ce qui concerne les lieux (à savoir, les temples païens), la destruction-remplacement est partielle (on ne détruira que les idoles, remplacées par des reliques), mais les lieux restent les mêmes : « il ne faut en aucun cas détruire les temples des idoles chez le peuple en question, mais seulement les idoles qui s’y trouvent » ; « que l’on bénisse de l’eau et que les temples en question en soient aspergés ; enfin qu’on bâtisse des autels et qu’on y dépose des reliques ». Le remplacement des idoles par des reliques, et des reliques de martyrs, semble un aspect important, voire essentiel. Des reliques étaient également mentionnées dans le texte de Grégoire de Tours (« il y plaça des reliques du saint... Saint Hilaire, dont les reliques sont ici déposées »), et l’on peut se demander si, sur le mont Helarius, il n’y avait pas aussi, à côté du lac, une idole. Le parallélisme de la situation et de la stratégie pastorale serait alors complet.
    41 Les consignes de Grégoire sont basées sur une motivation consciente, à savoir la conviction qu’une condescendance pédagogique favorisera la conversion des indigènes, et que l’accoutumance culturelle et sociale (les « lieux accoutumés ») facilitera pour eux la fréquentation des temples christianisés : « afin que la population accoure avec plus de confiance en ces temples auxquels elle est habituée ». Il faut remarquer aussi que, pour justifier ces instructions, Grégoire fait appel à la plus haute autorité possible, à savoir Dieu lui-même qui, lorsque le peuple juif quitta l’Égypte, « leur permit de conserver pour son propre culte l’usage des sacrifices » que ce peuple avait appris dans ses années d’esclavage. Les consignes pastorales de Grégoire ont donc, à ses yeux, un fondement biblique et théologique très solide.
    42 Il est important de relever aussi que Grégoire ne souhaite pas récupérer uniquement les temples dans leur matérialité, mais le système païen tout entier, dans sa structure de base, qui tourne autour des temples : il veut récupérer les lieux, mais aussi, avec et par les lieux, les habitudes culturelles (à savoir, les réunions à des dates fixes), les repas sacrificiels et la socialisation qu’ils comportent. Dans ce cadre, les repas sacrificiels, pièce essentielle de la culture religieuse germanique, sont transformés en fêtes paraliturgiques chrétiennes, puisque liés à la date anniversaire de la dédicace ou re-consécration de ces édifices.
    43 Le texte révèle également la conscience de la nécessité incontournable d’une acculturation graduelle (« il est impossible de faire brusquement table rase dans des esprits obtus », ou, selon une autre traduction possible, « il est impossible de procéder à une extirpation totale des habitudes des âmes encore rudes »). On prône donc une stratégie de la destruction partielle, avec récupération partielle, de sorte que ces Angles abandonnent quelques éléments de leurs sacrifices, et en conservent certains autres (« qu’ils perdissent certains aspects du sacrifice mais qu’ils en gardassent d’autres »).
    44 Le terme-clé de toutes les démarches suggérées par cette lettre est sans doute inmutare, commutare (« transformer », « re-sémantiser »). Le but de Grégoire est de « transformer », non de « détruire ». Le passage final est particulièrement révélateur de cette stratégie consciente de récupération-transformation : « de la sorte, même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils avaient l’habitude de sacrifier, maintenant qu’ils les sacrifiaient au vrai Dieu et non plus à des idoles, ce n’étaient plus les mêmes sacrifices ». Ce jeu sémantique sur l’identité et la non identité des faits culturels, qui passent d’une valeur païenne à une valeur chrétienne tout en restant matériellement les mêmes (ipsa essent animalia ... iam sacrificia ipsa non essent), constitue l’essentiel de la stratégie proposée. Il est plus explicite que celui que nous avait décrit Grégoire de Tours, mais tout aussi remarquable.
    Entre destruction, oblitération et récupération de mémoires
    45 Dans le passage du paganisme au christianisme il y a donc eu, du moins chez certains des intellectuels et des hauts pasteurs de l’Église, une stratégie pastorale qui privilégiait la récupération orientée ou ré-interprétation plutôt que la destruction pure est simple. S’il y a destruction (voir la lettre de Grégoire le Grand sur les idoles), c’est une destruction sélective.
    46 Cette stratégie est consciente et hautement valorisée : « sous l’inspiration divine », « après une longue méditation ». Les deux cas évoqués ont valeur d’exemple, de programme, voire de plan pastoral à la portée universelle. Cette récupération ne vise pas des éléments culturels isolés, mais des ensembles structurés et complexes. Elle reconnaît la valeur des anciennes « habitudes » (terme qui revient souvent, sous diverses formes), dans lesquelles doivent se couler les nouvelles réalités chrétiennes. Ces éléments récupérés sont laissés autant que possible intacts dans leur structure extérieure et leur organisation, tout l’effort étant orienté vers le changement de sens : inmutare, commutare.
    47 Les éléments partiels impliqués dans cette opération sont multiples, et orientent vers autant d’aspects extrêmement riches du phénomène du passage du paganisme au christianisme, car il touchent à la mémoire des lieux, mais aussi à la mémoire du temps, des gestes, des fonctions, des valeurs :
    48 Le thème de la récupération des lieux (les édifices, mais aussi les lieux sacrés naturels), renvoie à des dimensions multiples, et sans doute extraordinairement ramifiées : le problème de la superposition des églises (ou ermitages, lieux de pèlerinage, voire monastères) aux édifices païens est la dimension la plus apparente. Après une large enquête, Émile Mâle affirmait, justement pour la Gaule, que « la basilique chrétienne a pris d’ordinaire la place d’un sanctuaire païen » (Mâle, 1905 : 5). Mais il y a aussi la récupération des grottes, des sommets, des sources, des arbres, des bois, des pierres sacrées, dont certains sanctuaires majeurs (comme le Mont Gargan) peuvent témoigner de l’importance générale, mais dont seulement l’étude du folklore local peut permettre de mesurer l’extraordinaire diffusion et enracinement.
    49 La récupération des dates évoque le thème des origines païennes de certaines fêtes chrétiennes, très évidentes pour une douzaine au moins de grandes fêtes (et la notion en est encore claire au xiie et xiiie siècles, chez les liturgistes et dans la Légende dorée), mais tout aussi indubitables pour un grand nombre des fêtes mineures, locales, et des fêtes de saints (comme sainte Brigitte) ; une recherche récente en dresse un remarquable tableau historiographique (Brossard-Pearson, 2008).
    50 La récupération des rites (réunions festives, libations, offrandes d’objets variés, repas, processions en chariot) évoque le thème des éléments d’origine païenne dans la liturgie chrétienne, surtout dans les liturgies populaires : l’incubatio, la mensuratio, le poisage et contrepoisage, l’humiliation des saints, les ex-voto. L’étude des rituels, tels qu’on peut les analyser dans le recueil des bénédictions médiévales (Franz, 1909), ainsi que l’étude parallèle des charmes et des formules magiques (Bozóky, 2002), illustreraient l’aboutissement ultime et omniprésent de cette ligne de récupération.
    51 La récupération des fonctions (dans le cas de Helarius-Hilarius, faire venir la pluie) nous renvoie au monde inépuisable des spécialisations thaumaturgiques des sanctuaires et des saints, aux fonctions sociales des fêtes, à certaines fonctions politiques et identitaires du culte des saints, et, finalement, à toutes les fonctions de la religion dans la structure de la société. Une étude récente et très articulée le montre pour le paganisme carnute (Robreau, 1997), tandis qu’une autre étude montre l’importance du thème des survivances du paganisme dans la pastorale du haut Moyen Âge (Filotas, 2005).
    52 Ces deux textes, si intéressants soient-ils, posent toutefois un problème historique majeur. Bien qu’apparemment isolés, ils semblent avoir eu une efficacité pratique réelle. On peut souscrire au commentaire de Claude Lecouteux, pour qui « ce que Grégoire recommande de faire aux temples païens a été appliqué, mutatis mutandis, aux traditions et aux croyances, et c’est ce travail d’adaptation et d’amalgame qui leur a permis de survivre sous les habits neufs du christianisme » (Lecouteux, 1994 : 8). Comment expliquer, alors, la discordance entre le témoignage massif des faits et la rareté des affirmations de principe ? Voilà un problème que les historiens de la mission chrétienne devraient nous aider à résoudre.
    53 Cette stratégie audacieuse et consciente de « christianiser le paganisme » comportait néanmoins un risque certain, par un choc en retour, de « paganiser le christianisme », possibilité dont les pasteurs ne semblent pas avoir été, dans les deux textes commentés, assez conscients. En transformant Helarius en Hilarius, n’y avait-il pas le risque de transformer Hilarius en Helarius ? Et quelle utopie d’intellectuel, peut avoir poussé Grégoire à croire, à propos des banquets sacrificiels, qu’après leur christianisation, « par ces quelques joies extérieures qui leur sont conservées, les païens pourront consentir plus facilement aux joies intérieures » !
    54 Mais cette stratégie consciente, et le danger qu’elle comportait, nous ouvre à l’immense et extraordinaire domaine de la religion populaire au Moyen Âge. Car qu’est-ce au juste que cette religion ? Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, on a assisté à une floraison d’études dans ce domaine. Or, dès le début de ce mouvement, historiens et sociologues furent confrontés au problème de définir ce qu’est au juste la religion populaire, et de comment la distinguer de la religion savante et officielle. Dans ce débat, on vit émerger deux lignes principales d’interprétation.
    55 Selon une première ligne, la religion populaire de l’Occident chrétien, n’est pas une réalité foncièrement différente par rapport à la religion officielle. Elle représente plutôt l’ensemble des variations et des adaptations que la religion officielle subit chez les fidèles ordinaires, selon les différents contextes historiques et sociaux. Selon des formulations particulièrement nettes de cette approche, « la religion populaire est l’expression populaire de la foi chrétienne » ; « la religion populaire [chrétienne] est catholicisme populaire, distinct, mais non différent par rapport au catholicisme cultivé » ; « la religion populaire chrétienne est la forme dans laquelle le peuple chrétien... a reçu, intériorisé et exprimé le message chrétien, prêché par la hiérarchie et formulé par la théologie » (De Rosa, 1981 : 82-83)15. En somme, selon cette approche, le « populaire » ne serait, surtout dans le domaine religieux, que du « popularisé ».
    56 Selon une seconde, et plus intéressante, approche, la religion populaire du Moyen Âge est une synthèse de christianisme et de cultures pré-chrétiennes. Elle constitue par là une forme originale de religion, ou tout au moins une variante originale du christianisme officiel. L’élément essentiel qui caractérise la religion populaire est en effet la présence en elle de la culture folklorique, comme composante primordiale et structurale (Schmitt, 1976 : 944)16. Le postulat de cette approche est que la religion officielle n’a pas réussi à éliminer la culture folklorique et que celle-ci, au contraire, s’est appropriée la religion officielle, en la folklorisant17. « On observe partout – a-t-on dit de la Pologne médiévale, mais on pourrait le répéter pour le Moyen Âge dans son ensemble – le même double processus : d’une part, christianisation d’un folklore extrêmement puissant et résistant, d’autre part folklorisation d’un christianisme de plus en plus solide et enraciné dans la réalité socioculturelle de chaque groupe, chaque région, chaque pays. [...] Il subsiste une culture populaire chrétienne, une sorte de mélange des éléments de la religion cosmique, naturelle, avec ceux du christianisme, mais capables d’être intégrés dans le vécu populaire dans un ensemble, dans un système dont on pressent la cohérence » (Kłoczowski, 1979 : 21-22).
    57 Cette perception de la religion populaire est partagée par Jacques Le Goff, dans une affirmation synthétique que l’on aurait pu mettre en exergue de notre étude :
    « Les grands ennemis ou concurrents du catholicisme n’ont été ni le paganisme officiel antique qui s’est effondré rapidement, ni le christianisme grec cantonné dans l’ancienne partie orientale de l’empire romain, ni l’Islam contenu puis refoulé, ni même les hérésies ou les religions comme le catharisme qui, avant d’être vaincues par le catholicisme, n’avaient en définitive pu se définir que négativement, par rapport à lui. Le véritable ennemi du catholicisme, ce fut bien l’antique serpent qu’il conjura sans l’anéantir, le vieux fond de croyances traditionnelles, ressurgies sur les ruines du paganisme romain qui tantôt s’enfoncèrent sans disparaître dans le sous-sol du psychisme collectif, tantôt survécurent en s’incorporant au christianisme et en le déformant, en le folklorisant » (1972 : 749).
    58 Dans cette perspective, les deux textes ici évoqués et commentés représentent bien plus que deux curiosités d’érudits : ils constituent des clés essentielles pour la compréhension de la religion et de la culture du peuple au Moyen Âge.
    Pietro BOGLIONI, Université de Montréal http://www.voxnr.com/cc/ds_alternativesr/EFZAFAVVAZZhlVZrYb.shtml
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    –, 1977, « Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne », in Le Goff J., Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, pp. 223-235.
    –, 1977, « Culture cléricale et culture folklorique au Moyen Âge : saint Marcel et le dragon », in Le Goff J., Pour un autre moyen âge, Paris, Gallimard, 236-279.
    Mâle Émile, 1950, La fin du paganisme en Gaule et les plus anciennes basiliques chrétiennes, Paris, Flammarion.
    Robreau Bernard, 1977, La mémoire chrétienne du paganisme carnute, Tours, Université François Rabelais.
    Schmitt Jean-Claude, 1976, « “Religion populaire” et culture folklorique », Annales. ESC, 31, pp. 941-953.
    –, 1979, Le saint lévrier Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le 13e siècle, Paris, Flammarion.
    –, 1988, « Les superstitions », in Le Goff J. et Rémond R., (éds.), Histoire de la France religieuse, I, Paris, Seuil, pp. 417-551.
    Sébillot Paul, 1908, Le paganisme contemporain chez les peuples celto-latins, Paris, O. Doin.
    notes :
    1 Son essai sur saint Marcel et le dragon constitue un exemple fort convaincant d’application concrète de ces catégories, notamment la dernière.
    2 Cette idée et cette ligne de recherche ont été poursuivies par l’auteur dans toute son œuvre. Voir, à titre d’exemple : Pierre Saintyves, Les saints successeurs des dieux. Essais de mythologie chrétienne, Paris, Émile Nourry, 1907 ; Les Vierges-Mères et les naissances miraculeuses. Essai de mythologie comparée, Paris, Émile Nourry, 1908 ; Les reliques et les images légendaires, Paris, Émile Nourry, 1912 (sur le sang qui se liquéfie, les talismans, les reliques et statues qui tombent du ciel) ; En marge de la légende dorée : songes, miracles et survivances. Essai sur la formation de quelques thèmes hagiographiques, Paris, Émile Nourry, 1930 (sur les saints céphalophores, l’incorruptibilité des cadavres, les sorts des saints et leurs modèles païens) ; Saint Christophe successeur d’Anubis, d’Hermès et d’Héraclès, Paris, Émile Nourry, 1936.
    3 Cette traduction, enrichie d’une vaste introduction et d’un riche apparat de notes, se base sur la récente édition critique : Iacopo da Varazze, Legenda aurea. Edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, 2a edizione rivista dall’autore, Firenze, Edizioni del Galluzzo, 1998.
    4 Parmi les innombrables thèmes qui, dans la Légende dorée, supposent un substrat folklorique, certains ont été spécifiquement étudiés. Je citerai à titre d’exemple : Paul Canart, 1966, « Le nouveau-né qui dénonce son père. Les avatars d’un conte populaire dans la littérature hagiographique », Analecta Bollandiana, 84, pp. 309-333 ; Isabelle Grangé, 1983, « Métamorphoses chrétiennes des femmes-cygnes. Du folklore à l’hagiographie », Ethnologie française, 13-2, pp. 139-150 ; J. Haudry, 1985, « Saint Christophe, saint Julien l’Hospitalier et la “traversée de l’eau de la ténèbre hivernale », Études indo-européennes Lyon, 14, pp. 25-31 ; G. Milin, 1991, « La traversée prodigieuse dans le folklore et l’hagiographie celtiques : de la merveille au miracle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 98-1, pp. 1-25 ; Pierre Saintyves, 1912, « Le thème du bâton sec qui se reverdit. Essai de mythologie liturgique », Revue d’histoire et de littérature religieuses, n.s., 3, pp. 330-349 ; B. Sergent, 1997, « Saints sauroctones et fêtes celtiques », Cahiers internationaux de symbolisme, 86-88, pp. 45-69 ; Simone Vierne, 1997, « La sainte et le dragon », Cahiers internationaux de symbolisme, 86-88, pp. 289-299.
    5 Le contexte explicatif de ce thème est proposé par Maurizio Bertolotti, 1979, « Le ossa e la pelle dei buoi. Un mito popolare tra agiografia e stregoneria », Quaderni storici, 41 (sous le titre Religioni delle classi popolari), pp. 470-499.
    6 Charles Plummer, (éd.), Vitae sanctorum Hiberniae, 1910 [1968], Oxford, Clarendon Press ; voir en particulier la section : Heathen Folklore and Mythology in the Lives of the Celtic Saints, I, pp. cxxix-clxxxviii (pour la citation, cf. p. cxxix).
    7 Ibidem, I, p. cxxxii.
    8 Le texte peut aussi se traduire : « du fromage, de la cire et des pains auxquels on avait donné une forme spéciale ». Dans ce cas, les formes choisies devaient avoir une signification rituelle.
    9 Alors Anderitum, aujourd’hui Javols.
    10 Littéralement : « il n’y a aucune religio dans cet étang ».
    11 Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, 2 ; dans M. G. H., Script. rer. merovingic., t. I, Hanovre, 1884, p. 749.
    12 C’est probablement à cause de ce manque de repères dans la culture écrite que la tradition manuscrite semble témoigner des incertitudes sur le nom Helarius, transmis dans certains manuscrits comme Helanus, ou Elarum (Helarum).
    13 L’authenticité de cette lettre a soulevé quelques doutes dans le passé, du fait qu’elle n’apparaît pas dans le registre conservé des lettres de Grégoire, mais seulement dans l’Histoire ecclésiastique de Bède. Puisque, par ailleurs, Bède assure l’avoir trouvée dans les archives romaines, où il a fait transcrire toutes les lettres de Grégoire concernant la mission en Angleterre, et que nous savons que l’actuel registre romain des lettres de Grégoire ne conserve probablement qu’une petite partie de l’ensemble de ses lettres, les critiques sont presque unanimes à reconnaître l’authenticité de ce document, prouvée aussi par des analyses philologiques et linguistique. Voir R. Markus, 1963, « The chronology of the Gregorian mission to England: Bede’s narrative and Gregory’s correspondence », Journal of Ecclesiastical History, 14, pp. 16-30, et « Gregory the Great and a papal missionary strategy », in Cuming G., (ed.), The Mission of the Church and the Propagation of the Faith, Cambridge, University Press, 1970, pp. 29-38.
    14 Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, livre I, ch. 30. Paris, Les Belles Lettres, 1999. vol.1, pp. 65-67.
    15 Pour le Québec, on a pu se demander s’il existe vraiment une religion populaire. Guy Laperrière, en comparant l’historiographie sur la religion populaire en France, et celle au Québec, constatait, au moins à une première analyse, une différence fondamentale entre les deux courants, car « les réalités étudiées ne sont pas du même ordre » : « L’étude de la religion populaire, en France, consiste[rait] à rechercher toutes ces manifestations religieuses qui échappent à la régulation sociale du clergé, tous les écarts par rapport à une religion dite officielle, prescrite ou cléricale... Rien de tel au Québec » (entre les années 1837 et 1960). « Durant toute cette période, l’emprise du clergé sur les domaines que l’Église considère comme siens est pratiquement totale... En somme, au Québec, la religion populaire, c’est la religion des clercs, destinées au fidèles et consommée (ou non) par eux. Il n’y aurait pas au Québec de religion populaire autonome, il n’y aurait qu’une religion cléricale ou, plus simplement, une religion catholique hiérarchisée, où le clergé propose et où les fidèles suivent (plus ou moins) docilement ». Voir Guy Laperrière, 1984, « Religion populaire, religion de clercs ? Du Québec à la France, 1972-1982 », in Lacroix & Simard, (éds.), Religion populaire, religion de clercs ? Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, pp.19-45 (texte cité pp. 21-22).
    16 Ces vues ont été exprimées de façon articulée par Jean-Claude Schmitt (1976 : 941-953), selon un principe résumé dans la formule : « la religion populaire ne peut être dissociée de l’ensemble de la culture folklorique » (p. 944).
    17 Plus extrême encore était la thèse de certains folkloristes du siècle dernier, dont Paul Sébillot (1908), pour lesquels le paganisme avait traversé les siècles pratiquement intact, jusqu’à nos jours. Sa thèse fondamentale : « le paganisme contemporain ne diffère pas souvent dans ses grandes lignes de celui qui était pratiqué il y a des milliers d’années, et cette sous-religion n’a pas été entamée dans ses parties essentielles par les religions plus savantes et plus raffinées qui se sont succédées dans les diverses contrées de l’Europe celto-latine » (p. xxvi).
    Pietro BOGLIONI, « Du paganisme au christianisme », Archives de sciences sociales des religions, 144 | 2008, 75-92.
    Référence électronique
    Pietro BOGLIONI, « Du paganisme au christianisme », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 144 | octobre-décembre 2008, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 17 septembre 2013. URL : http://assr.revues.org/17883 ; DOI : 10.4000/assr.17883

  • Université d’été de La Manif pour tous : un an de combats, et après ?

    PARIS (NOVOpress via Bulletin de réinformation) – La Manif pour tous tenait son Université d’été, et l’on peut parler d’un succès…

    Salles pleines, 1.100 participants, 70 intervenants, quatre séances plénières, quarante‑huit forums, deux jours de débats et d’échanges… : la 1ère université de La Manif pour tous fut bel et bien un succès. L’occasion pour ses sympathisants venus des quatre coins de France de faire le point sur une année de mobilisation historique et atypique et de lancer les actions à venir.

     

    Ce qu’il en ressort

    La Manif pour tous poursuit ses actions pour le retrait de la loi Taubira, contre l’identité de genre — et sur ses conséquences logiques, l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe et la GPA.

    La Manif pour tous lance également un Grenelle de la famille. Objectif : préparer une proposition de loi‑cadre sur la famille.

    D’autres actions de grande ampleur ont été annoncées : la mise en place du plan Vigi‑gender, avec un appel à tous les parents d’élèves à se constituer en « comités de parents vigilance‑gender ».

    La Manif pour tous souhaite éviter l’intervention malvenue de l’Etat dans un domaine intime et la déconstruction de repères élémentaires.

    Par ailleurs, nous pouvons noter quelques victoires juridiques

    Le collectif Maires pour l’enfance, qui regroupe 20.000 élus municipaux hostiles à la loi Taubira, avait déposé, en juillet, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur l’absence d’une clause de conscience pour les élus refusant de célébrer un mariage gay. Le Conseil d’Etat a jugé cette requête recevable. Elle sera donc transmise au Conseil constitutionnel.

    En outre, la Cour de cassation a reconnu que le recours de la GPA à l’étranger en vue d’une transcription dans l’état civil français constituait une démarche frauduleuse. Ainsi, la Cour a mis un coup d’arrêt à la « Circulaire Taubira » sur la reconnaissance en droit français d’une convention de Gestation pour autrui (GPA) réalisée à l’étranger.

    http://fr.novopress.info/