Nouveaux paradigmes, bataille des idées, Gramsci, gramscisme, jamais autant le combat culturel n’a semblé si primordial. Le chercheur en politique Gaël Brustier revient pour le site Slate sur le combat culturel, sa pertinence, le gramscisme de droite, la victoire culturelle de la droite et sur la façon dont la gauche doit reprendre le combat culturel. Membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès (fondation liée au Parti socialiste), chercheur en science politique au Cevipol (Université libre de Bruxelles), spécialiste des droites et des dimensions culturelles de la politique, Gaël Brustier est notamment l’auteur de “Voyage au bout de la droite : des paniques morales à la contestation droitière” et de “La guerre culturelle aura bien lieu”.
L’oeuvre d’Antonio Gramsci est au coeur de l’idée de combat culturel. Aujourd’hui, l’expression est utilisée aussi bien par les Veilleurs issus de la Manif pour tous que par les Identitaires. Mais la domination culturelle des droites est d’abord une crise de la gauche, qui dépasse à la fois ses piètres résultats économiques et le cadre strictement français.
Que ce soit au sein de La Manif pour tous ou à la Fête de l’Humanité, au sein du Parti socialiste ou chez les Veilleurs, chez les écologistes ou chez les Identitaires, le terme «combat culturel» est redevenu à la mode, au risque de devenir une nouvelle «tarte à la crème» dénuée de sens.
Loin de se réduire à un combat pour les «valeurs», le combat culturel prend une dimension autre, dimension qui manque manifestement aujourd’hui à la social-démocratie comme à la gauche radicale des pays européens.
Né «à gauche», le combat culturel n’a pas manqué d’être utilisé par les droites, qu’elles soient françaises ou étrangères, néolibérales ou radicales. Confrontée à une crise électorale, politique et idéologique majeure, la gauche française semble quant à elle s’en remettre à son invocation sans toutefois en appréhender les profondes implications.
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Un bloc historique se constitue lorsque le contenu économique et social d’une société et sa forme éthique et politique s’identifient. C’est alors que l’hégémonie culturelle sur une société naît. Cependant, cette hégémonie ne peut effectivement voir le jour que parce que la nouvelle culture qu’elle porte a été largement diffusée et a servi de base à un enracinement par des actions concrètes dans la société. Le combat culturel ne peut être un simple verbalisme.
On a, depuis, évoqué le cas de l’hégémonie culturelle à propos de différentes situations politiques: l’hégémonie culturelle du reaganisme dans les Etats-Unis des années 1980, celle du thatchérisme dans le Royaume-Uni de la même période, de la gauche dans la France des années 1970-1980, du berlusconisme des années 1990 et 2000…
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Dans les années 1970 émerge une nouvelle école de pensée, la Nouvelle Droite, qui revendique un «gramscisme de droite». Fascinée par l’œuvre d’Antonio Gramsci, l’école de pensée d’Alain de Benoist va contribuer à diffuser «à droite» l’importance du combat culturel et de nouveaux thèmes propres à idéologiser un camp politique historiquement réticent à l’être. Cette tentative là est un échec.
Aujourd’hui encore, les Identitaires tiennent le combat culturel pour leur mission première, consacrant leur militantisme à la constitution d’enclaves relativement fermées («Les Maisons de l’Identité»). En Italie, c’est le mouvement «néofasciste» de la Casa Pound qui incarne le mieux cette aspiration des droites radicales au combat culturel.
Au cours des années 1980, le Club de l’Horloge se saisit également de cette question en orientant davantage son travail sur la bataille des mots, stratégie dont Bruno Mégret et Jean-Yves Le Gallou importeront les grandes lignes au sein du Front national, parti qu’ils contribueront à armer idéologiquement –notamment à travers sa revue Identité. Doté d’un «Conseil scientifique», le FN de Bruno Mégret comporte (au cours des années 1990) en son sein davantage d’énarques ou d’universitaires que le FN de Florian Philippot.
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Récemment enfin, des mouvements issus de La Manif pour tous comme les Veilleurs, d’inspiration clairement chrétienne, bien que se proclamant «aconfessionnels», ont mis en avant non seulement Gramsci (et son texteJe hais les indifférents) mais également le terme de «combat culturel». «Mouvement culturel», les Veilleurs sont aujourd’hui l’une des rares organisations de jeunesse à pouvoir mobiliser dans l’espace public des centaines de jeunes autour de lectures et de prises de parole. De quoi inquiéter la gauche sur sa propre incapacité à en faire autant…
La question qui s’est vite imposée à la gauche fut en effet celle de sa capacité à lutter contre les dominations culturelles des droites, dans leur grande diversité, déclinées différemment selon les pays. Le berlusconisme ou le sarkozysme sont deux des formes de domination dextristes qu’a connues l’Europe des dernières décennies.