Le sérieux sans l’austérité budgétaire. L’Elysée pensait avoir trouvé la formule magique. C’est tout le contraire. Les historiens choisiront sans doute ce 1er octobre, date de présentation de la loi de finances pour 2015, comme la Journée des Dupes du quinquennat. Au moment où tout semblait en ordre pour le nouvel élan, tout s’effondre. Ce pronostic, comme tout pronostic, a sa part d’aléa. Mais en disant que “la reprise est différée”, l’Insee a pris acte du refus de ce pays de se projeter dans l’avenir. Tous les freins restent serrés. Le budget 2015 n’y changera rien. C’était celui de la dernière chance.
Par Jean-Michel Lamy
Le gouvernement défend une relance pro-entreprise incarnée par le Pacte de responsabilité et ses 41 milliards d’euros d’allégement de charges à l’horizon 2017. Les ministres trublions ont été virés. Les impôts baissent pour les smicards. A l’Assemblée nationale le Premier ministre Manuel Valls a obtenu la majorité, même si elle est relative, sur sa déclaration de politique générale. A Bercy, les deux ministres en charge du Budget ont expliqué que “l’effort de maîtrise de la dépense publique est sans précédent et sera intégralement respecté avec un plan de 50 milliards d’économies sur trois ans”.
Pourquoi alors un tel désenchantement et à quoi faut-il s’attendre sur le front d’un endettement peut-être bientôt hors de contrôle ?
Un ‘‘1%’’ de croissance illusoire
François Hollande est le premier responsable de ce grand décalage entre les intentions gouvernementales et les actes des agents économiques.
Le chef de l’Etat aura vécu tout le quinquennat en croyant en sa bonne étoile, autrement dit au redémarrage de l’activité. Au moment même où tous les cabinets ministériels prenaient connaissance du diagnostic atterrant de l’Insee – tous les indicateurs sont au rouge -, le Président continuait le 2 octobre à défendre “la sincérité de la prévision, réaliste, de 1% de croissance l’an prochain” inscrite dans la loi de finances 2015.
“A l’été le climat des affaires s’est à nouveau dégradé dans tous les secteurs.” souligne en effet l’Insee qui ajoute “l’attentisme est plus fort qu’attendu”. L’acquis de croissance pour 2015 ne serait que de 0,1% – voire négatif.”
Ce 1% est tout bonnement improbable et suffit à décrédibiliser toute la trajectoire de redressement des comptes publics. “A l’été le climat des affaires s’est à nouveau dégradé dans tous les secteurs. L’investissement des entreprises recule, notamment dans la construction. En particulier, les nouvelles normes anti-pollution du 1er janvier 2014 ont pesé sur les immatriculations de véhicules lourds”, souligne en effet l’Insee qui ajoute “l’attentisme est plus fort qu’attendu”. L’acquis de croissance pour 2015 ne serait que de 0,1% – voire négatif. Il y a zéro croissance de PIB en magasin.
Gros doutes sur l’efficacité des mesures pro-entreprise
En l’absence de toute accélération perceptible fin 2014, le Haut Conseil des finances publiques a donc qualifié d’“optimiste” le “1%” de Bercy. Doux euphémisme. Tout en concédant qu’une baisse de l’euro peut soutenir la compétitivité, le Haut Conseil relève aussi que “le CICE n’a eu pour l’instant qu’un impact limité sur la faiblesse des taux de marge”. Il en a un en revanche sur les contorsions salariales de certaines entreprises qui cherchent à contourner la barre des 2,5 Smic maximum pour bénéficier du dispositif.
Ainsi l’efficacité des mesures pro-entreprise du pouvoir sont mises en doute alors qu’elles sont au cœur de la stratégie budgétaire. C’est même la justification ultime des 50 milliards d’économies. Qui elles-mêmes sont mises en doute, notamment pour la contribution des hôpitaux et des collectivités locales !
“l’efficacité des mesures pro-entreprise du pouvoir sont mises en doute alors qu’elles sont au cœur de la stratégie budgétaire”
Une telle superposition de mesures reposant sur ce qui s’apparente à des sables mouvants aura rarement été atteinte.
“On attend les détails, il n’y a absolument pas 21 milliards d’économies dans le projet de loi de finances 2015”, accuse Charles de Courson, député UDI de la Marne. Dans quel état en sortira la construction budgétaire 2015 ? Avec le risque d’un dérapage des déficits publics supérieur aux 4,3 % de PIB déjà programmés, eux-mêmes en dérapage par rapport à la trajectoire fixée l’an dernier.
Contre-performances de la zone euro
Du coup, le gouvernement s’en prend aux contre-performances de la zone euro. Il attendait une arrivée d’oxygène et il se retrouve au bord d’une déflation qui rogne les recettes fiscales en valeur. Bercy n’anticipe que 0,6 % d’inflation en 2014 et 0,9 % en 2015. Certes, Michel Sapin, ministre des Finances, ne manque pas de féliciter Mario Draghi pour sa réactivité. Le président de la BCE reste pleinement déterminé à contenir les risques pesant sur les perspectives d’inflation à moyen terme et à “user d’instruments non-conventionnels si cela devenait nécessaire”. Mais la panoplie “Draghi” patine : la BCE est incapable à elle seule de multiplier les demandes de crédit des entreprises et de pallier les blocages d’une union monétaire prisonnière des intérêts divergents des Etats membres. Et surtout Berlin commence à donner de la voix contre le laxisme monétaire de la BCE.
“Au lieu de prendre des décisions radicales et globales pour redresser sa propre croissance potentielle – le Conseil d’analyse économique vient d’en fournir le programme franco-français clef en mains – l’Elysée a choisi de laisser filer les déficits.”
C’est pourquoi la France joue un jeu dangereux. Au lieu de prendre des décisions radicales et globales pour redresser sa propre croissance potentielle – le Conseil d’analyse économique vient d’en fournir le programme franco-français clef en mains – l’Elysée a choisi de laisser filer les déficits. Voici l’argumentaire signé Michel Sapin : “Faudrait-il, dans une situation économique difficile, faire plus d’efforts parce que la mesure de nos efforts se dégrade ? Cette discussion, légitime, nous l’aurons avec nos partenaires européens.”
La bombe à retardement du coût de la dette
Les “partenaires”, y compris les périphériques du Sud, ont déjà donné au Parlement européen un début de réponse en étrillant le candidat Pierre Moscovici au poste de commissaire au Budget. A tel point que l’ancien ministre de l’Economie a juré qu’avec lui jamais la Commission ne proposerait des “eurobonds” – la mutualisation au niveau communautaire d’une partie des dettes. C’est un naufrage avant l’heure pour les thèses françaises.
“En cas de péril majeur, il n’y aura plus que la BCE pour monétiser (acheter) la dette française à un taux “raisonnable”. En tant que pays systémique – trop gros pour ne pas être secouru – la France peut penser qu’elle a cette carte en réserve. ”
Si cela tourne mal sur le front des taux d’intérêt, que va-t-il se passer avec 2 000 milliards d’euros de dette sur les bras ? En 2015 la France battra son propre record en émettant 188 milliards d’euros de dette à moyen-long terme. A ce jour, seul François Fillon parle brut de décoffrage. En conférence de presse, il explique : “Ce qui entraîne des effets récessifs c’est l’absence totale de perspective pour les investisseurs. Comment investir en France avec la perspective d’une dette dont on sait qu’un jour ou l’autre elle va exploser ?Si les taux d’intérêt à long terme augmentent, ce qui n’est pas impossible compte tenu de ce qui se passe aux Etats-Unis, nous allons vers un accident financier dans notre pays.”
L’échéance n’est pas forcément immédiate, mais tôt ou tard le coût de la dette s’envolera. Jusqu’à présent la France bénéficie sur les marchés de la solidarité de fait entre la dette française et la dette allemande. En cas de péril majeur, il n’y aura plus que la BCE pour monétiser (acheter) la dette française à un taux “raisonnable”. En tant que pays systémique – trop gros pour ne pas être secouru – la France peut penser qu’elle a cette carte en réserve. On comprend qu’un tel transfert de risque potentiel sur les “partenaires” soit un grand motif d’inquiétude – pas seulement à Berlin. Oui, la France joue un jeu dangereux.