L'histoire de la Révolution fourmille de légendes fondées sur des événements pourtant peu glorieux, réécrits à des fins de propagande. Commençons par le plus fameux, de circonstance à l'approche du 14 juillet : la Prise de la Bastille.
Pourquoi la fête nationale a-t-elle lieu le 14 juillet ? « Mais voyons, c'est le jour béni où le peuple s'est emparé de l'affreuse Bastille, symbole de l'arbitraire des rois qui enfermaient dans des cachots sordides leurs malheureux opposants, » me répondra-t-on. Et cependant rien n'est plus faux…
La légendaire « veillée d'armes »
Juillet 1789. Paris est livré à l'émeute depuis deux mois déjà, lorsque circulent des rumeurs d'une intervention militaire pour rétablir l'ordre. Le 8, Mirabeau exige l'éloignement des troupes, tandis que Desmoulins appelle le peuple à la révolte. Un nouveau prétexte est trouvé le 12 – le renvoi de Necker – pour exciter davantage la foule parisienne. Les soldats du prince de Lambesc sont vivement attaqués place Louis XV, mais le roi a interdit toute violence, ce que les émeutiers inteprêtent comme une faiblesse. Les barrières d'octroi sont incendiées, les boutiques d'armuriers dévalisées.
Le 13, la maison des Lazaristes est pillée par une populace qui vide littéralement les caves. Le lendemain, on y découvrira « un monceau d'ivrognes, hommes et femmes, morts ou mourants ». Certains veulent incendier le Palais Bourbon, d'autres saccagent le garde-meuble. Des bandes avinées arrêtent les passants pour les forcer à boire à la santé de la Nation, tandis que les boutiques des boulangers et des marchands de vin sont mises au pillage. Ces scènes de violence se prolongent toute la nuit, à la lueur des torches des vagabonds qui sèment l'épouvante à travers les rues de la capitale.
Que s'est-il passé le 14 juillet 1789 ?
Le climat insurrectionnel a convaincu les élus des districts parisiens de se réunir sans attendre à l'Hôtel de Ville pour ordonner la création d'une milice bourgeoise à laquelle répondent de nombreux volontaires. Pour armer cette troupe, des bandes de manifestants se ruent, au matin du 14 juillet, sur les Invalides où sont entreposés 28000 fusils livrés sans résistance. Il ne manque plus que les munitions. Or, un arsenal est à porté de main, la Bastille, où reposent 250 barils de poudre.
La Bastille n'est plus, à l'époque, qu'une vieille forteresse médiévale que Louis XVI envisageait déjà de raser pour y créer une place. Commandée par le gouverneur de Launay, elle est défendue par 32 Suisses et 82 invalides, pas assez pour soutenir un siège régulier, mais suffisant pour s'opposer à une populace en armes. Pour cela, il suffit de fermer les portes et de laisser tirer les émeutiers sur les épaisses murailles.
A onze heures, une foule se presse aux abords de la Bastille. M. de Launay refuse de leur livrer les munitions qu'elle réclame, mais se montre toutefois conciliant avec la délégation qu'il reçoit en retirant les canons des tours. Soudain une décharge de mousqueterie retentit en provenance des émeutiers. Se croyant attaqué, le gouverneur fait tirer quelques coups de fusil à blanc pour dégager la cour extérieure, faisant déguerpir les assiégeants vers la Place de Grève.
Un assaut digne des guerres picrocholines
Plusieurs d'entre eux reviennent à la charge vers trois heures de l'après-midi et s'emparent du pont-levis, gardé par un seul invalide. Ils peuvent sans peine forcer la première enceinte, d'autant que M. de Launay a donné l'ordre de ne pas tirer sur les assaillants sans les avoir sommés de se retirer – ce qu'on ne pouvait faire, vu l'éloignement. Incapables d'aller plus avant, ceux-ci s'en prennent alors à trois invalides et à une jeune fille qu'ils croient être celle du gouverneur et qu'ils menacent de mort si la citadelle ne se rend pas. La garnison réagit en tirant un coup de canon, le seul de la journée. Les émeutiers détalent à nouveau comme des lapins, laissant quelques-uns des leurs sur le pavé.
Les assiégeants se concertent pour trouver un moyen d'entrer. L'un propose une catapulte, un autre veut neutraliser les fusils des soldats en les arrosant avec des pompes à incendie, un troisième (Santerre) veut incendier la Bastille par des jets d'huile enflammée… La solution vient finalement d'un renfort de déserteurs des Gardes-françaises, munis de canons saisis dans les pillages de la veille. Mais les tirs mal ajustés tombent sur le faubourg Saint-Antoine. C'est à cause de cette maladresse qu'on racontera que Launay avait fait bombarder Paris.
Désireux de mettre un terme à ce siège calamiteux, le gouverneur demande un capitulation acceptable, mençant en cas de refus, de faire sauter les réserves de poudre. Les émeutiers ayant promis qu'aucun mal ne serait fait à la garnison, M. de Launay fait abaisser le pont-levis. Il est 17 heures. La foule se rue aussitôt à l'intérieur de la forteresse. Dans la cohue, des coups de feu sont tirés, le massacre commence. Le gouverneur et plusieurs officiers sont taillés en pièces, des invalides sont pendus, pendant que la Bastille est livrée au pillage. C'est ainsi que la riche bibliothèque du chimiste Lavoisier, à l'époque directeur des poudres et salpêtres, a été brûlée.
A leur grande surprise, les vainqueurs de la Bastille n'ont trouvé là que sept prisonniers. On est loin de l'effroyable prison politique que les historiens-romanciers ont décrite. Les cellules n'étaient même pas fermées, les détenus pouvant ainsi aller à leur guise dans l'enceinte du bâtiment.
Qui sont donc ces « victimes de l'arbitraire royal » ?
Parmi eux figurent quatre escrocs condamnés pour avoir falsifié des lettres de change. Il s'agit de Jean Béchade, Bernard Laroche, Jean La Corrège et Jean-Antoine Pujade. Mais c'est le Parlement de Paris, et non le roi, qui a les embastillés. Ils ne profiteront, du reste, pas longtemps de leur liberté, puisqu'ils retourneront en prison seulement quelques jours après.
On trouve aussi un certain Auguste Tavernier, complice du fameux Damiens qui tenta s'assassiner Louis XV en 1757. Mais lui aussi fut condamné par le Parlement de Paris, pas par le roi. Tavernier ne profitera guère de la liberté. Il finira à Charenton où l'on enfermait les malades mentaux.
Les deux derniers prisonniers, de haute naissance, ne sont pas des frondeurs dont le roi aurait voulu taire la rebellion. Le comte Hubert de Solages fut embastillé à la demande de son père pour « crimes atroces » et « action monstrueuse » selon les documents de l'époque. Quant au comte de Whyte de Malleville, celui-ci fut enfermé lui aussi à la demande de sa famille à cause de sa démence. Tous les deux finiront également à Charenton.
Comment une telle pantalonnade serait-elle devenue fête nationale ?
Aussi pitoyable fût-elle, la prise de la Bastille – ou, pour être exact, la reddition de la Bastille – eut des conséquences terribles dans les provinces. Elle fut le signal d'alarme qui engendra de nombreux crimes et pillages inspirés par cet événement parisien. Malgré cela, elle fut célébrée un an plus tard, par la Fête de la Fédération. L'Histoire, réécrite par les vainqueurs, en avait fait l'épisode fondateur – pour ne pas dire légendaire – de la Révolution. Cependant cette commémoration ne se perpétua pas et tomba même dans l'oubli sous les régime qui se succédèrent.
C'est la IIIe République qui la ressortit des culs-de-basse-fosse où le 14 juillet avait sombré, en instituant en 1880 une fête nationale à cette date. Celui de 1789, ruisselant de sang et de vin, semblait difficile à faire admettre. On choisit par conséquent le 14 juillet 1790, moins meurtrier, pour fixer cet anniversaire. Ce qui n'empêche pas les nostagiques de la pique, aujourd'hui encore, de glorifier ce grotesque fait d'armes que fut la supposée prise de la Bastille.
A lire sur le sujet :
Gustave Bord, la prise de la Bastille et les conséquences de cet événement dans les provinces jusqu'aux journées des 5 et 6 octobre 1789
http://www.vendeensetchouans.com/archives/2011/07/12/21573627.html