Essayiste et historien, Axel Tisserand a publié Charles Maurras, soixante ans après et une biographie de Pierre Boutang.
Monde et vie : Axel Tisserand, les notions de droite et de gauche vous paraissent-elles avoir un sens aujourd’hui ?
Axel tisserand : A l’origine, la droite, c’est, au début de la Révolution, la place occupée par rapport au président de la Constituante, par les députés royalistes favorables à un exécutif fort, incarné par le Roi, dont le droit de veto n’était plus qu’un succédané de l’indépendance. Dès lors, en système républicain, seuls les royalistes incarnent théoriquement la « droite ». Mais avec le temps et son reniement progressif de la figure du roi, la droite parlementaire a perdu toute identité et donc toute légitimité : elle ne se définit plus que par rapport à la gauche, qui représente le mouvement perpétuel et a imposé son ordre moral. On dira qu’aujourd’hui la gauche a rejoint les valeurs du libéralisme. Justement ! Les libéraux ont méthodiquement sapé la Restauration, puis une Monarchie de Juillet qu’ils avaient pourtant portée sur les fonts baptismaux. Le libéralisme libertaire n’est qu’un retour à une gauche authentique, longtemps occultée par le marxisme, maladie infantile du libéralisme - leur origine matérialiste et consumériste est la même. S’il s’agit d’évoquer l’UMP et le PS, l’opposition entre une droite et une gauche également européistes, oligarchiques et mondialistes n’a effectivement aucun sens. Revenir aux notions fondamentales implique de dépasser les faux clivages qui engraissent le pays légal.
Vous avez écrit une biographie du philosophe royaliste Pierre boutang. Lui-même estimait que « notre société n’a que des banques pour cathédrales ; elle n’a rien à transmettre qui justifie un nouvel « appel aux conservateurs ». » Comment se positionnait-il par rapport aux conservateurs ?
Les conservateurs - « un mot qui commence mal » pour le duc d’Orléans - dégoûtaient profondément Pierre Boutang. Il voyait dans ces adeptes de la peau de chagrin l’incarnation de l’imposture. Si de cette société minée par l’usure, « rien n’est à transmettre » et donc, à conserver, quel peut être le rôle des conservateurs, sinon de servir, comme au royaume-Uni avec Thatcher, de caution au règne de l’argent et à la dissolution de la société ? Thatcher a aidé, dans l’opposition, les travaillistes alors au pouvoir à légaliser l’avortement et c’est Cameron qui a dénaturé le mariage. L’oeuvre de mort de Giscard pour la France doit-elle être rappelée ? Dans son Précis de Foutriquet, Boutang rappelle que Thiers « avait inventé, sur le tas, la « république conservatrice » comme notre Foutriquet a inventé la « société libérale avancée ». » Boutang opposait évidemment aux conservateurs la figure révolutionnaire du Prince chrétien. Engagée au premier rang du printemps français de 2013, toute une jeunesse renie aujourd’hui les reniements de ses ainés. Espérons qu’elle aille jusqu’au terme de sa contre-révolution spontanée. d’ailleurs, où sont aujourd’hui les conservateurs ?
Que peut attendre de l’Etat un homme de droite ?
Un homme de droite ? Je ne le sais que trop bien, s’il est membre de l’UMP : l’effacement progressif de l’Etat français au profit du Léviathan européen, la forfaiture du traité de Lisbonne en 2008 puis celle du traité budgétaire européen en 2011, sans oublier au milieu le retour dans le commandement intégré de l’OTAN : trois traités de Troyes en trois ans, cela fait tout de même beaucoup ! Il n’y en a eu qu’un en mille ans de monarchie française. Et encore, Charles VI était fou : autant dire qu’il ne pouvait plus « raison garder » - la devise des Capétiens. En revanche, s’il s’agit d’évoquer l’Etat pour un royaliste, alors je rappellerai ce mot de Maurras ! « L’Etat est le fonctionnaire de la société ». Autant dire que le Prince est là non pas pour fonder la société qui lui préexiste, mais pour lui donner forme et dépasser, en les hiérarchisant, le faux clivage entre intérêt général et intérêts individuels - on sait comment, d’un côté, les libéraux et, de l’autre, les fascistes et les communistes, le résolvent : soit en donnant tout à l’intérêt privé, le public étant chargé de solder les comptes, soit en donnant tout à l’Etat ou au parti, censés « incarner », ou plutôt désincarner, la société : c’est la définition du totalitarisme. Alors que l’Etat est là pour assurer le Bien commun, qui peut prendre différentes formes selon les époques, tout en ayant le devoir de laisser la personne, créée à la ressemblance et à l’image de Dieu, faire son salut. En ce sens, l’ »homme de droite » est thomiste. Assurer les conditions vivre-ensemble, comme on dit aujourd’hui, sans empiéter sur les droits fondamentaux, qui sont avant tout d’ordre moral et spirituel. Les questions relatives au statut de la fonction publique, à l’Etat stratège ou au périmètre de son sont d’ordre simplement technique. Nos rois ont toujours fait preuve, en la matière, du plus grand pragmatisme. C’est ainsi qu’un royaliste ne sera ni favorable ni opposé, par principe, à une nationalisation ou à une privatisation : ne prévaut que la nécessité du moment. En revanche, il sera attaché à une véritable décentralisation - Maurras fut royaliste parce que fédéraliste - et au respect de l’autonomie éducative des familles. Un état fort est respectueux du pays réel.
Quels peuvent être les rapports entre une vraie droite et le peuple ?
Une vraie droite… C’est-à-dire, si je comprends bien, une droite qui aurait recouvré ses fondamentaux et, de plus, réussi à restaurer le Roi… « Je pense en principe chrétien, j’agis en prince français » : telle est la devise du dauphin de France. Le reste viendra par surcroît. En attendant, il s’agit de tenir, aux Français, un discours de vérité. C’est la seule façon d’être démocrate, ou plutôt démophile.
Propos recueillis par Eric Letty monde&vie de décembre 2014
Boutang, coll. Qui suis-je ? éd. Pardès, 2013, 12€
Charles Maurras, soixante ans après, éd. Pierre Téqui, 2013, 20€