Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 52

  • Taubira se demande en quoi elle est laxiste : 6 exemples qui le prouvent

    Christiane Taubira s'est exprimée sur la réforme pénale dans un entretien au Parisien, publié ce lundi 2 juin. "En quoi suis-je laxiste ? Depuis deux ans, c'est magique, j'entends ça tous les jours mais personne ne me donne un seul exemple", a rétorqué la garde des sceaux. En voici quelques uns.
    1 - Dès son arrivée, Christiane Taubira a fait le choix de vider les prisons plutôt que d’en construire 
    Xavier Bébin : La première décision prise par Christiane Taubira Garde des Sceaux a été de supprimer le programme de construction de 24 000 places de prison voté par la majorité précédente. Conséquence : en 2017, à la fin du programme de construction déjà engagé, la France comptera 62 000 places de prison, pour 68 000 détenus. Le message était sans ambiguïté : contre surpopulation carcérale, il s’agissait de baisser le nombre de détenus (donc en incarcérant moins et en libérant plus vite) plutôt que d’augmenter le nombre de places. 
    2 - Christiane Taubira a aggravé l’inexécution des peines de prison, facteur d’impunité 
    Non contente de ne prendre aucune mesure susceptible de résorber le stock de 100 000 peines de prison inexécutées (essentiellement faute de places de prison en nombre suffisant), Christiane Taubira a aggravé la situation par sa circulaire de politique de pénale de septembre 2012, demandant explicitement aux procureurs de retarder, voire d’éviter la mise à exécution des peines de prison ferme. On se souvient du scandale qu’avait suscité, à l’été 2013, la libération de trois voyous que la police venait juste d’interpeller à Dreux en vue de mettre leur peine de prison à exécution. Il s’agissait d’une application directe de sa directive. 
    3 - Christiane Taubira a annoncé la suppression des lois permettant de neutraliser les criminels les plus dangereux 
    Au fil de ses interventions publiques, la ministre n’a cessé de remettre en cause le concept de "dangerosité" dont elle pense que "personne n’est en mesure de la définir ni de la mesurer". Exit, donc, la dangerosité des Guy George, Patrice Evrard, Emile Louis et consorts. Cohérente avec elle-même, Christiane Taubira a demandé la suppression de la "rétention de sûreté", une mesure permettant précisément de protéger la société contre un très petit nombre (une centaine) de prédateurs extrêmement dangereux. Mais pour elle, "la rétention de sûreté, c’est juste pas concevable". Vous avez dit laxiste ? 
    4 - Christiane Taubira veut désarmer la Justice pénale des mineurs 
    Tant pis si les 14-18 ans (5 % de la population française) représentent 25 % des mis en cause pour viols, 34 % pour cambriolages et 46 % pour vols avec violence. Sa priorité – et l’une de ses premières déclarations publiques – a été d’annoncer la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes, créés précisément pour que la Justice soit plus ferme à leur égard. Elle trouve donc déjà excessive la situation actuelle où, sur 50 000 condamnations prononcées chaque année, 15 000 sont des "admonestations", 13 000 des "sursis" et 5 000 des "remises aux parents". Des sanctions redoutables, assurément. 
    5 - Christiane Taubira va libérer un maximum de détenus à mi-peine 
    Sa réforme pénale, discutée ce jour en conseil des ministres prévoit, par le système de "libération sous contrainte", d’obliger les juge d’applications des peines à examiner le dossier de tous les détenus à la moitié de leur peine, en vue de les remettre en liberté (je dis bien à la moitié de leur peine, et non aux deux-tiers comme le prétend le gouvernement, car c’est ce qui se produira en pratique compte tenu des remises de peine automatiques dont bénéficient par ailleurs les détenus). Le projet de loi Taubira prépare donc la libération massive et rapide d’individus si peu motivés de se "réinsérer" qu’ils n’ont même pas pris la peine de préparer un dossier de libération conditionnelle. 
    6 - Christiane Taubira supprime les peines plancher visant les récidivistes 
    A la décharge de la ministre, il s’agissait d’un engagement du candidat François Hollande. Mais son projet de loi va encore plus loin : il prévoit explicitement de favoriser les aménagements de peine des récidivistes – oui, des récidivistes – et d’augmenter la durée de leurs remises de peine. Ceci, alors qu’une majorité des crimes et délits sont commis par une toute petite minorité (5%) d’individus suractifs et dangereux. Et que la société est d’autant mieux protégée que ce noyau dur est derrière les barreaux, plutôt qu’en liberté, même sous "contrainte" (laquelle sera de toute façon bien aléatoire).

    Source

    http://www.oragesdacier.info/

  • Eric Letty : « La réflexion politique se porte mieux à droite qu’à gauche »

    Journaliste, mauricien et catholique militant, Eric Letty a été longtemps Rédacteur en chef de Monde et Vie. Il avait alors lancé cette enquête sur la droite, à laquelle il se soumet aujourd’hui.

    Monde et Vie : Pensez-vous que le clivage droite-gauche demeure pertinent aujourd’hui où l’on a de plus en plus de mal à voir les effets concrets d’une véritable alternance politique, lorsque l’on a signé pour être dans le Machin européen.

    Eric Letty : ce clivage entre la droite et la gauche ne passe plus par les partis politiques, en particulier ceux qui adhèrent à la conception d’une Europe fédérale au sein de laquelle les peuples seront appelés à disparaître. les différences entre ces mouvances sont artificielles et d’autant moins significatives que les politiciens français, en bradant la souveraineté nationale, ont abdiqué l’essentiel de leurs pouvoirs.

    Il existe pourtant une différence presque ontologique entre l’homme de gauche et l’homme de droite, qu’a soulignée Henri de Lesquen dans sa réponse à notre enquête : le premier est un utopiste, le second un réaliste. Il en résulte deux conceptions du monde radicalement différentes. L’homme de gauche est un optimiste, qui veut le bonheur ici-bas et tente d’y parvenir en construisant un système utopique. Si les réalités ne « collent » pas à son système, il fera en sorte de les y contraindre ; et si l’homme réel ne s’y insère pas non plus, il recréera l’homme à son idée : c’est ainsi que se construisent les totalitarismes. Le relativisme procède du même primat de l’Idée sur la réalité. L’homme de droite, lui, raisonne à partir des faits, en essayant d’en dégager des lois. Cette démarche, plus humble, le conduit, le conduit à admettre qu’il existe une vérité objective, qui lui faut chercher. Il ne développe pas une conception révolutionnaire, mais au contraire traditionnelle de la société, parce que les traditions sont construites sur des réalités évolutives. C’est aussi ce qui explique, à mon sens, qu’il n’existe pas d’ « intellectuels » de droite comparables aux intellectuels de gauche. Ce n’est pas une posture : l’intellectuel est un constructeur de système, ce qui n’est pas conciliable avec le mode de pensée de l’homme de droite. Mourras, par exemple, qui appuie sa réflexion politique sur « l’empirisme organisateur », n’a pas construit de système : beaucoup de ses autres ouvrages sont difficiles d’accès parce qu’ils font référence à des faits qui relevaient à son époque d’une actualité plus ou moins récente, mais appartient aujourd’hui à l’histoire. J’ajoute que, parce qu’il est subjectiviste, l’homme de gauche est individualiste ; je pense que le personnalisme, qui favorise l’épanouissement de l’individu par les liens humains qu’il tisse au sein des communautés auxquelles il appartient, correspond mieux à l’homme de droite. L’oeuvre des non-conformistes des années trente me paraît, à cet égard, très intéressante.

    S’il est chrétien, le regard que l’homme de droite porte sur la nature humaine peut sembler pessimiste, parce qu’il sait que cette nature est marquée par la chute ; mais il est dans le fond profondément optimiste, puisque l’unique sens de l’histoire aboutit à un royaume qui n’est pas de ce monde et dans lequel l’humanité sera restaurée. Le péché défigure l’homme, mais il n’abolit pas la Parole divine, rapportée dans la Genèse : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon. »

    Est-ce que François hollande ne serait pas, lui, un véritable homme de gauche ?

    Hollande reste un premier secrétaire du PS entré à l’Elysée à la faveur d’un concours de circonstances. Pour autant qu’il ait une politique, elle est mondialiste, pro-américaine, socialiste dans ses déclarations et de plus en plus libérale dans ses choix économiques, par manque de volonté et d’imagination. Il tente de se concilier sa gauche par des réformes « sociétales » comme le « mariage » entre personnes de même sexe, ou la légalisation de l’euthanasie, mais Alain Juppé accomplirait les mêmes réformes et Nicolas sarkozy également- au prix d’une nouvelle trahison de son électorat. Tous ces gens-là appartiennent à une gauche opportuniste, qui a fait sienne l’utopie mondialiste.

    On parle de droitisation de la vie politique. Quels seraient les événements qui ont marqué ce mouvement « dextrogyre » , N’assiste-t-on pas plutôt à une disparition de la politique au sens traditionnel d’art du gouvernement des hommes au profit d’un système auto-administré d’une part et de lobbying d’autre part ? 

    Concernant ce mouvement dextrogyre, je citerai évidemment le succès de la Manif pour tous, qui échappe pour l’instant, me semble-t-il, aux partis politiques comme l’a montré le faible score réalisé par Hervé Mariton lors des primaires de l’UMP ; et la montée spectaculaire du Front national, qui correspond à un besoin de retrouver leur identité collective, menacée de dilution dans l’Europe bruxelloise et par l’immigration de masse.

    Quant au système auto-administré, il est propre à un système politique qui érige le fonctionnaire en garant de la durée, tandis que les politiques jouent les courants d’air de ministère en ministère. Les lobbying sectoriels se développent alors d’autant plus qu’ils qu’ils donnent au politicien l’impression d’exister. Les groupes de pression les plus efficaces sont plus anciens, comme la franc-maçonnerie.

    Qu’est-ce que votre enquête auprès de « vrais » gens de droite vous a appris sur la droite ou sur la vie politique en général ?

    Elle m’a montré que non seulement la réflexion politique n’est pas morte à droite, mais qu’elle s’y porte plutôt beaucoup mieux qu’à gauche, ce qui est une promesse d’avenir. En effet, la pensée de droite échappe au politiquement correct, ce qui lui confère une liberté et une diversité beaucoup plus grandes qu’à gauche - ainsi qu’une vraie tolérance. 

     

    Propos recueillis par l’abbé G.de Tanoüarn monde&vie de janvier 2015

  • La bohème au XIXe siècle: épate-bourgeois, faux révolutionnaires et précurseurs des bobos

    Les bobos. Ils sont moins une classe sociale qu’un sociostyle. On en parle depuis 30 ans. Claire Bretecher les a dessinés. Mais à quoi fait-on référence ? A la bohème du XIXe siècle et à toute une histoire. Une histoire qui ne concerne pas seulement le passé mais aussi notre présent : comment la notion de vie de bohème a joué un rôle important dans la dissolution progressive des valeurs traditionnelles.

    A l’origine, le terme bohémien désigne des Tsiganes partis de l’Inde et stabilisés notamment en Bohême. Le bohémien est ainsi un voyageur tel que l’on en retrouvera beaucoup dans le pays basque. C’est Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692) qui introduit un sens nouveau à la notion de gens de la bohème.  Auteur d’Historiettes, portraits d’écrivains publiés d’abord clandestinement, c’est en 1659 qu’il parle de la bohème comme d’un mode de vie. Le bohème est une sorte de dandy vivant de rien et riant de tout, à la lisière des milieux artistes et en marge des corps sociaux traditionnels. La bohème relève de ce que Saint Simon (1760-1825), le petit-cousin du mémorialiste, appelle le premier une « avant-garde », au sens non pas militaire mais artistique et littéraire. « C’est nous, artistes, qui vous servirons d’avant-garde : la puissance des arts est en effet la plus immédiate et la plus rapide. Nous avons des armes de toute espèce : quand nous voulons répandre des idées neuves parmi les hommes, nous les inscrivons sur le marbre ou sur la toile… Quelle plus belle destinée pour les arts, que d’exercer sur la société une puissance positive, un véritable sacerdoce et de s’élancer en avant de toutes les facultés intellectuelles, à l’époque de leur plus grand développement ! » On voit quelle importance possède pour la bohème la fascination de la table rase et des idées « neuves ».

    C’est à partir de la première moitié du XIXe siècle que la figure de celui qui mène « la vie de bohème » prend un sens courant. En 1840, Balzac commence à publier Un prince de la bohème. « Ce mot de bohème vous dit tout. La Bohème n'a rien et vit de tout ce qu'elle a. L'espérance est sa religion, la foi en soi-même est son code, la charité passe pour être son budget. Tous ces jeunes gens sont plus grands que leur malheur, au-dessous de la fortune mais au-dessus du destin. » L’homme de la bohème veut faire du passé table rase, il est un enfant de 1789, mais va au-delà et là est l’important. Il oppose le « génial » à l’académique, le surgissement au travail, l’individu au peuple, la dépense à l’économie. Il ne se reconnait aucune obligation de fidélité à ce qui nous a précédé. Pour lui comme pour Rabaut Saint Etienne (1743-1793), « notre histoire n’est pas notre code ».  L’homme de la bohème doute même que nous ayons besoin d’un code, sauf un code implicite : rien n’est tabou, l’ancien ne vaut rien. On verra plus tard que c’est le meilleur code possible du point du vue du capitalisme.

    La bohème du milieu du XIXe siècle se retrouve au Petit Cénacle, le Cénacle étant à la fois un groupe d’amis de Victor Hugo et de Charles Nodier (1780-1844). En 1852, Gérard de Nerval publie La Bohème galante dans la revue bimensuelle L’Artiste. Au programme : jeunisme, et aristocratique plébéen.  « On vit un jour Gérard de Nerval trainant un homard dans la rue. A quoi il répondit : ‘’En quoi un homard est-il plus ridicule qu’un chien, qu’un chat, qu’une gazelle, qu’un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J’ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n’aboient pas…’’ » Réponse paradoxale et au sens propre insensée bien caractéristique de l’esprit bohème. Théophile Gautier, Pétrus Borel (1809-1859) illustrent aussi ce monde de la bohème. Tristan Tzara écrira : « La Lycanthropie (l’esprit du loup-garou) de Pétrus Borel n'est pas une attitude d'esthète, elle a des racines profondes dans le comportement social du poète [...] qui prend conscience de son infériorité dans le rang social et de sa supériorité dans l'ordre moral. » L’esprit bohème s’apparente ici au dandysme que Baudelaire voyait comme « le dernier éclat d'héroïsme dans les décadences »[i].

    Le livre-clé de cette époque est celui d’Henri Murger (né Heinrich Mürger),  Scènes de la vie de bohème(1845-48). Ce feuilleton donnera naissance à un opéra de Puccini.  Henri Murger écrit que la bohème « est l’état de ces jeunes gens qui n’ont d’autre fortune, au soleil de leur vingt ans, que le courage, qui est la vertu des jeunes, et l’espérance, qui est le million des pauvres…  C’est le stage de la vie artistique, c’est la préface de l’académie, de l’Hôtel-Dieu ou de la morgue. Nous ajouterons que la bohème n’existe et n’est possible qu’à Paris. » Lorédan Larchey écrit en 1865 : « La bohème se compose de jeunes gens, tous âgés de plus de vingt ans, mais qui n’en ont pas trente, tous hommes de génie en leur genre, peu connus encore, mais qui se feront connaître, et qui seront alors des gens fort distingués… Tous les genres de capacité, d’esprit, y sont représentés… Ce mot de bohème vous dit tout. La bohème n’a rien et vit de ce qu’elle a. »  C’est « une société composée de toutes les sociétés, bizarre, monstrueux assemblage de talent et de bêtise, d’ivresse et de poésie, d’avenir et de néant, et qu’on nomme la bohème. » écrit Henri Maret (Le Tour du monde parisien, 1862).  « C’est un vice de nature qui fait le bohème. Il naît de la paresse et de la vanité combinées. Tant qu’il y aura des paresseux et des vaniteux. il y aura des bohèmes. » (Gabriel Guillemot, Le Bohême, 1868 in Lucien Rigaud,Dictionnaire d’argot moderne, 1888).

    Travestissement, extravagance, goût de choquer « le bourgeois » caractérisent la bohème. Le poète Jean Richepin (1849-1926) s’attirera ce jugement sévère de Léon Bloy : « En réalité, vous vous foutez de tout, excepté de deux choses : jouir le plus possible et faire du bruit dans le monde. Vous êtes naturellement un cabotin, comme d'autres sont naturellement des magnanimes et des héros. Vous avez ça dans le sang. Votre rôle est d'épater le bourgeois. L'applaudissement, l'ignoble claque du public imbécile, voilà le pain quotidien qu'il faut à votre âme fière. » (Lettre à Paul Richepin, 1877). C’est ce qu’on a pu appeler le romantisme frénétique[ii] , celui d’une France romantique qui succède et s’oppose à la France antique et classique de Napoléon. C’est un « mélange intime du comique et du tragique, [...] des éclats de rire alternés ou combinés, ce que Flaubert en somme appellera plus tard le “grotesque triste” » écrit Jean Bruneau, grand spécialiste de Flaubert.

    Les gens de l’avant-garde bohème s’appellent les Bousingots, les Gueux, les Impassibles, les Vilains-Bonhommes, les Hirsutes fondés par Léo Trézenik (1883), les Jmenfoutistes (de là vient l’expression contemporaine si usuelle), les Zutistes (on dirait maintenant Les Enfoirés ?), Les Incohérents, les Fumistes (un groupe fondé par Emile Goudeau [iii] et Eugène Bataille dit Arthur Sapeck, le nom faisant référence aux fumeurs d’opium mais aussi aux adeptes des fumisteries comme goût de tout faire paraître dérisoire).

    Aux Hirsutes succèdent les Hydropathes, avec le poète Emile Goudeau (abusant du jeu de mot good eau). « …marche encore et toujours ! marche ! si, d’aventure, Tu touchais ton but de la main, Laissant derrière toi l’oasis et la source, Vers un autre horizon tu reprendrais ta course ; Tu dois mourir sur un chemin. » (Emile Goudeau). Lyrisme et enfantillages se mêlent à la naissance du groupe des Hydropathes : « On pleura de tendresse, on exultait de joie ; on alla casser deux ou trois pianos, dans les brasseries ».

    Dans les 20 dernières années du XIXe siècle les Incohérents fondés par Jules Lévy marquent une nouvelle étape de la bohème[iv], avec dans le domaine de la peinture les peintures monochromes (Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit, Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer Rouge, Stupeur de jeunes recrues de la Marine en apercevant pour la première fois la Méditerranée…). Le critique d’art Félix Fénéon disait d’eux qu’ils représentaient  « ... tout ce que les calembours les plus audacieux et les méthodes d’exécution les plus imprévues peuvent faire enfanter d’œuvres follement hybrides à la peinture et à la sculpture ahuries ... » (La Libre Revue, 1er novembre 1883).

    Le Manifeste des Incohérents (in Le Courrier français, 12 mars 1884) explique que le mariage ou les rhumatismes amènent à l’exclusion du groupe. « L’Incohérent est jeune, il lui faut en effet la souplesse des membres et de l’esprit pour se livrer à des perpétuelles dislocations physiques et morales (…). L’Incohérent n’a conséquemment ni rhumatisme ni migraines, il est nerveux et robuste. Il appartient à tous les métiers qui se rapprochent de l’art : un typographe peut être Incohérent, un zingueur jamais. L’Incohérent est donc peintre ou libraire, poète ou bureaucrate ou sculpteur, mais ce qui le distingue, c’est que, dès qu’il se livre à son incohérence, il préfère passer pour ce qu’il n’est pas : le libraire devient ténor, le peintre écrit des vers, l’architecte discute de libre-échange, le tout avec exubérance. (…) L’Incohérent prend sa retraite en se mariant ou en attrapant un rhumatisme… » Un point peu souligné est la duplicité du bohème incohérent : il assume une façade sociale et donne le change :  «  A travers Paris, l’incohérent marche comme tout le monde, il salue ses supérieurs, et serre la main de ses égaux ; mais si, par hasard, il rencontre quelque part un co-incohérent, il se désarticule soudainement, se désagrège : son front, son nez, ses yeux et sa bouche forment des grimaces cabalistiques, ses bras se contournent drôlement et ses jambes s’agitent, suivant une cadence extravagante. Cela ne dure qu’une ou deux secondes. Mais ce sont les signes maçonniques auxquels se reconnaissent les F*** en incohérence. »

    La bohème va au-delà d’un esprit potache fut-il régressif. Elle s’alimente de la haine des aieux. Diego Malevue c’est-à-dire Emile Goudeau écrit : « Une chose bizarre à coup sûr, c’est qu’il soit nécessaire de s’intituler moderne et de rompre sans fin ni trêve des lances contre les anciens. » Il est dit à propos des gérontes : « Qu’ils ne nous poussent point au parricide, qu’ils nous laissent la part de soleil, et ne nous enterrent plus sous leur gérontocratie, ou sinon, furieux, nous pourrions lever la main contre nos pères. » Il poursuivait : « De la place s’il vous plait Messieurs. Et pour finir : un seul mot. Il est moderne, il est d’hier : on appelle le gâteux un sous-lui. Nous prions les sous-eux de faire prendre mesure au fossoyeur. » La bohème révolutionnaire du XIXe et ses prolongements au XXe – dont le surréalisme - s’inscrit dans ce moment de l’individualisme révolutionnaire. Tout en étant dans la lignée de la Révolution de 1789 cet individualisme est en même temps profondément en phase avec le mouvement du capitalisme et d’une société de plus en plus marchande et consumériste. « Luc Ferry note justement que « les bohèmes, malgré leur opposition apparente aux bourgeois, malgré aussi, en retour, la haine ou le mépris dont ces derniers vont pendant longtemps les gratifier, n’ont été pour l’essentiel que le bras armé de l’épanouissement du capitalisme mondialisé, l’instrument de la réalisation parfaite de ce qu’on appellera finalement la société de consommation » [v]. Il  écrit encore : « Il fallait que les valeurs et les autorités traditionnelles fussent déconstruites par des jeunes gens plutôt ‘’de gauche’’, en tout cas révolutionnaires, pour que le capitalisme puisse nous faire entrer dans l’ère de l’hyperconsommation sans laquelle son propre épanouissement eut été tout simplement impossible. (…) Pour le dire autrement, rien ne freine autant la consommation que le fait de posséder des valeurs solides et bien ancrées, c’est-à-dire des valeurs traditionnelles. »  De ce fait, c’est désormais la bourgeoisie, n’ayant plus besoin de poissons-pilotes, ou encore d’éclaireurs d’avant-garde pseudo-dissidents, qui est à la pointe de l’avant-garde et du culte du nouveau pour le nouveau, de l’innovation pour l’innovation, de la désacralisation de toutes les valeurs. Luc Ferry remarque que « le bourgeois, chef d’entreprise ou banquier, devient lui aussi une espèce de révolutionnaire. Il abjure désormais ses troupes de ne pas s’embourgeoiser, de ne pas s’encrouter ni s’endormir sur leurs lauriers. Innovez, innovez et innovez encore leur demande-t-il en permanence. Comme Duchamp,  il lui faut sans cesse produire du nouveau,  rompre avec le passé. De là sa fascination pour l’art contemporain, dont il comprend enfin combien il lui montrait le chemin, combien il était,  au sens propre, l’avant-garde du monde moderne. Nul hasard si c’est Pompidou, le président le plus bourgeois de toute l’histoire de la république,  qui ouvre les portes du Louvre à ce vieux stalinien de Picasso et Jacques Chirac, lui aussi pourtant  fort peu bohème,  celles de l’Ircam à Pierre Boulez. En quoi  les bourgeois furent les benêts de l’histoire : comme le disait encore Marx de manière prophétique,  ils ont fait l’histoire, mais sans savoir l’histoire qu’ils faisaient,  tandis que  bohèmes et soixante-huitards en furent les cocus.  Reconvertis dans la pub, le cinéma ou la  presse, ces derniers peuplent aujourd’hui les réunions du Medef. Bohèmes et bourgeois ont ainsi célébré leurs noces et leur petit dernier, le ‘’bobo’’,  n’est que le fruit de leur union enfin consommée au sein de la logique désormais sacrée pour les uns comme pour les autres,  dans l’art comme dans l’entreprise,  de l’innovation pour l’innovation,  de la rupture permanente avec la tradition.  Sans cette lecture de l’histoire morale et culturelle de l’Europe, il est, je crois, à peu près impossible de comprendre le siècle. [vi] » Les bohèmes annonçaient ainsi ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello appelleront le nouvel esprit du capitalisme [vii] postfordiste et « ludique ». Les bohèmes du XIXe siècle annonçaient les bobos d’aujourd’hui. Ils étaient en phase avec l’éthos économique et culturel de la bourgeoisie, seulement, ils étaient en avance, d’où des déconvenues.  Mais ils ouvraient le chemin de l’extension du domaine du capitalisme à l’ensemble de la vie humaine devenue parodique. Ils ouvraient la voie à la destruction de toutes les valeurs, à leur réduction à de simples signes. C’est pourquoi la critique de la bohème d’hier rejoint la critique du rôle actuel des libéraux-« libertaires » dans l’individualisme croissant et dans la néophilie (l’idée que le nouveau est toujours mieux que l’existant [viii]), avec comme conséquence le renforcement de l’emprise productiviste et capitaliste sur les hommes et sur les peuples. Un beau résultat pour de pseudo-dissidents.  

    Le Vigan

    Notes : 

    [i] Daniel Salvatore Schiffer, Le dandysme, dernier éclat d'héroïsme, PUF, 2010.

    [ii]  Cf. La France frénétique de 1830,  Choix de textes de Jean-Luc Steinmetz, Phebus, 1978. Cf. aussi Anthony Glinoer, La littérature frénétique, PUF, 2009.

    [iii] Emile Goudeau, Dix ans de bohème, 1888 et Champ Vallon, 2000.

    [iv] Catherine Charpin, Les arts incohérents 1882-1893, Syros, 1990.

    [v] Luc Ferry, La révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque, Plon, 2010, et J’ai lu, 2011, ouvrage intéressant même si on n’adhère pas à la thèse de l’auteur d’un second humanisme postrépublicain.

    [vi]www.lucferry.fr, 25 décembre 2011.

    [vii] Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.

    [viii] Une idée que critique longuement Jean-Claude Michéa in Le complexe d’Orphée, Climats-Flammarion, 2011.

    http://vouloir.hautetfort.com/archive/2015/03/23/boheme-au-19eme-5567287.html

  • Que les chrétiens s'engagent en politique

    À l'occasion de la sortie de son livre Éloge de l'action politique, le théologien et philosophe dominicain Thierry-Dominique Humbrecht est interrogé dans Le Figarovox :

    "[...] Depuis longtemps, ce sont des chrétiens -ou des personnes qui en ont conservé les cadres mentaux et la culture- qui font de la politique. La plupart sont contraints à ne pas paraître chrétiens, par intimidation ou par inhibition. C'est à ça qu'on les reconnaît.

    Les chrétiens doivent-ils se déclarer comme tels en politique? Cela dépend. C'est un arbitrage délicat qui nécessite de jouer sur plusieurs claviers, en estimant que l'on peut débattre de certains sujets rationnellement -encore faut-il que les interlocuteurs d'autres obédiences acceptent de faire usage de leur raison-, et d'autres selon les diverses théologies.Les questions qui concernent la personne humaine doivent être abordées sous leur aspect sociétal mais aussi dans leur dimension religieuse. Il s'agit de problèmes philosophiques qui nous concernent tous en tant qu'hommes; mais refuser de dire que certaines choses relèvent d'un engagement religieux, c'est avoir pris position par omission. Tous ont une idée de Dieu.La laïcité elle-même est une religion, athée plutôt que neutre. Il n'y a finalement pas de neutralité: ce sont toujours des religions qui s'affrontent.

    Vous affirmez que l'enjeu de la société se situe désormais entre la nature de l'homme et l'existence de Dieu. Qu'entendez-vous par là?

    La plupart des débats actuels touchent à l'homme et à sa dimension religieuse.Le corps politique se saisit de plus en plus de ces problématiques et édicte des lois contraignantes. Alors que s'il était neutre, il devrait les laisser à la liberté des gens.

    Si Dieu existe, l'homme a une nature et sa vie a un but. S'il n'existe pas, alors l'homme n'a pas de nature et peut s'inventer des buts terrestres. Sartre disait: «Il n'y a pas de nature humaine puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir». On l'a vu pour le mariage homosexuel: l'argumentation pro mariage partait du principe qu'il n'y a pas de nature et que chacun fait donc ses choix. La liberté tient alors lieu de nature et il n'y a pas d'humanité à laquelle on est tenu de se conformer. La liberté sans nature règne sur fond d'athéisme.

    Une certaine idée de l'homme est liée à une certaine idée du monde et à une certaine idée de Dieu, triangle vital. Notre rapport à l'un modifie notre rapport aux deux autres et il en existe plusieurs modèles de relation triangulaire. Le choix d'un modèle est lourd de conséquences dans les domaines économique, sociétal et politique.

    «Mon royaume n'est pas de ce monde» dit Jésus. Pourquoi s'activer pour un chrétien si la victoire ne sera pas assurée ici-bas? 

    Le chrétien se bat sur le plan politique parce qu'il est homme, citoyen et chrétien. C'est son rôle, il fait partie du monde. Certes, le succès politique n'a rien d'assuré, Jésus ne l'a d'ailleurs jamais promis. La politique est une affaire humaine et il faut rendre à César ce qui est à César, c'est-à-dire voter, participer autant qu'on le peut à la vie de la cité et défendre les idées auxquelles on tient.D'autant que nous avons perdu -ou sommes sur le point de perdre- nombre de combats humains et éthiques actuels, à cause d'une logique politique, financière et idéologique dont on ne mesure pas encore assez la puissance. Le mariage homosexuel était préparé depuis une quarantaine d'années et dans une optique de subversion antichrétienne du mariage.

    Certains chrétiens ne seraient pas touchés par un certain défaitisme, qui les dissuaderait de s'engager en politique?

    Ce n'est pas une raison pour ne pas agir, surtout s'il s'agit de combats qui touchent à la dignité humaine, à la nature, à Dieu.On ne se bat pas pour remporter des victoires terrestres, mais pour le Christ.Aujourd'hui le pouvoir politique musèle la foi chrétienne. Mais si la décision issue de ce combat ne nous est pas favorable, nous aurons tout de même sauvé notre honneur face au Christ, aux autres et à nous-même. Cela sera inscrit dans les cieux. Nous savons aussi que les statues aux pieds d'argile s'écroulent vite.

    Vous désignez les catholiques français comme des «intermittents du réveil». Qu'est-ce qui explique cette tiédeur?

    Plusieurs paramètres sont à prendre en compte. Nous sommes dans un pays d'histoire, civilisation et culture chrétiennes. Les chrétiens ont pris l'habitude de s'y croire chez eux et d'y vivre avec une relative passivité. C'est pour cela qu'ils dorment.

    S'y ajoute une attitude passive au sein de l'Église elle-même, depuis quelques décennies: il s'agissait de se fondre dans la société, de ne surtout pas se dresser face à elle comme un adversaire mais comme un acteur absorbé dans la masse, surtout si celle-ci était de gauche.Agir sans apparaître comme des chrétiens. Il y a eu une force inhibitrice considérable qui se refusait à critiquer les décisions de la société pour ne pas paraître contre le progrès. Par désir de rester dans le coup. 

    Aujourd'hui, la déchristianisation pousse à sortir de sa coquille. Le réveil est lent et douloureux mais nécessaire pour ne pas se laisser dévorer. Il est plus ardu encore pour les plus de cinquante ans qui ont pu vivre en chrétienté de manière confortable, en particulier dans le clergé. De nombreux clercs sont nés à une époque où les églises étaient pleines. Cette laïcisation sauvage les prend de plein fouet et les laisse un peu démunis face à un monde devenu féroce auquel ils n'ont pas été habitués. 

    Le changement de mentalités s'impose, non pour créer une contreculture, mais pour oser prendre position comme partenaire actif, intelligent et critique. Et cela par la voie de moyens médiatiques, encore trop peu utilisés parmi les pasteurs: peur d'être piégés, mépris de s'abaisser à la communication, ou encore parce que l'essentiel est ailleurs -ce qui n'est pas toujours faux.Malheureusement, aujourd'hui, toute chose qui n'est pas connue n'existe pas, c'est une loi médiatique terrible mais réelle. Une phrase du concile Vatican II dit que la vérité doit rayonner par la force de la vérité elle-même. Cela reste vrai, mais ce rayonnement ne suffit plus s'il est recouvert. Les gens sont gavés de doctrines contraires, notamment par la télévision, et la vérité est noyée dans le brouillard.

    Il faut donc courage et formation -pour parler il faut avoir des choses à dire- pour que les chrétiens se posent en acteur de notre société.

    Outre la formation, vous déplorez que les jeunes catholiques s'engagent massivement dans des «métiers muets» au détriment des «métiers qui parlent». Pourquoi cette dépossession de transmission?

    Elle n'est pas volontaire. Mais c'est assez étonnant: les catholiques ont le sens très vif de ce qui doit être transmis. Pourtant, proportionnellement, peu s'y engagent. La plupart font des écoles de commerce ou d'ingénieurs, alors que de très nombreux jeunes bobos athées et postmodernes embrassent les métiers de transmission, ils seront les agrégés de philosophie, les politiques ou les journalistes de demain. Ainsi, à égalité de talents et d'études supérieures, les jeunes catholiques font le choix de l'argent. Par prestige social, nécessité pour ceux qui désirent une famille nombreuse… Les métiers de transmission sont moins attractifs car méprisés et peu rémunérateurs. Tous n'ont certes pas à devenir professeurs mais un certain nombre est nécessaire. Au moins quelques-uns!

    Nos jeunes grandissent avec la nouvelle évangélisation. Mais s'ils ne disent rien, ils n'évangélisent personne. Il ne s'agit pas seulement de témoigner mais aussi de transmettre. On ne dit pas assez à ces jeunes l'importance des métiers de transmission. Certains s'imaginent qu'une réserve est prête à se lever pour faire le travail. Il n'y en a pas. Je crois beaucoup en cette loi: «Tout peut être fait s'il y a des gens pour le faire». Si des courageux s'engagent, les choses avancent. Au fond, j'essaie de déclencher un déclic de cohérence: vous voulez transmettre? Transmettez! 

    Les chrétiens se méfient souvent de l'ambition politique. Est-ce un tort?

    Certains craignent de se salir les mains. S'il y a des compromissions à faire sur la morale, Dieu ou l'homme, il faut effectivement s'y opposer. On peut toujours dire non.

    Il peut aussi s'agir de pusillanimité: on n'ose pas avoir de grands projets et on se contente de petits. Si des jeunes, qui ont fait de brillantes études et se destinent à une prestigieuse carrière, se cantonnent à leur paroisse, c'est dommage. Leur ambition elle-même n'est pas assez christianisée et manque de magnanimité, cette vertu qui consiste à faire de grandes choses. C'en est assez du misérabilisme des projets chrétiens! On veut aussi du grand![...]"

    Michel Janva

  • Elisabeth Lévy : «Le FN à 25% témoigne de la faillite de l'antifascisme mondain»

    A l'occasion de la sortie du nouveau Causeur, Elisabeth Lévy a accordé un long entretien à FigaroVox dans lequel elle revient sur la percée du FN aux départementales ainsi que sur la polémique autour des propos de Jean-Marie Le Pen.
    En couverture du nouveau Causeur, le visage de Marine Le Pen avec le titre «Un Français sur quatre». Avez-vous pris votre carte au FN ?
    Elisabeth Lévy: Vous êtes de la police de la pensée? Vous travaillez pour Mediapart? Si j'avais interviewé François Hollande, vous ne m'auriez jamais demandé si j'avais ma carte au PS. Mais rassurez-vous: Causeur ne soutient nullement Marine Le Pen - et pas non plus Dieudonné à qui nous avons consacré une «une» assortie d'une longue interview. Cependant, nous avons bien un parti pris qui consiste à parler «normalement» du Front national, sans agiter de gousses d'ail et sans hurler au nazisme. Certes, il est très gratifiant de jouer les antifascistes mondainssans prendre le moindre risque, mais cela ne contribue guère à éclairer le public et voyez-vous, notre péché mignon, à Causeur, c'est que nous préférons comprendre que nous indigner. L'ancrage du FN dans le paysage est en train de changer profondément notre système politique et il suffirait de ne pas en parler ou de n'en parler que sur le mode de l'indignation, et de ne pas donner la parole à ses dirigeants, pour le faire disparaître? Je ne vous savais pas adepte de la pensée magique….Assez de poses et les postures! Si vous voulez combattre le FN, et il y a beaucoup d'excellentes raisons de le faire, il faut arrêter de fantasmer sur la Bête immonde et le combattre normalement: ça s'appelle faire de la politique.
    Justement, parler «normalement» du FN, cela signifie qu'il est un parti normal…
    Vous êtes expert en normalité, vous ? Moi pas. Ce que je sais, c'est que rien, dans les statuts du FN ou dans son programme, ne contrevient à la légalité républicaine - auquel cas il faudrait l'interdire. Et quand ses dirigeants, ses candidats ou ses élus transgressent la loi par des déclarations odieuses, ils sont condamnés et c'est très bien comme ça. Bien sûr, nous n'oublions pas l'histoire de parti créé en 1972 pour fédérer tous les courants - ou groupuscules - de l'extrême droite. Mais en quarante ans, on peut au moins envisager que ce parti ait évolué, non? Peut-être l'avez-vous remarqué, en 2011, Marine Le Pe n a succédé à son père, en imposant un discours républicain qui n'est pas franchement la tasse de thé du Front canal historique. «Double langage !», «tel père telle fille !», répètent inlassablement les perroquets zélés, experts en cœurs et en reins, qui savent voir les mauvaises pensées derrière les paroles. Franchement, Philippot en pétainiste, vous y croyez ? Quoi qu'il en soit, il y a une différence de taille entre le père et la fille, elle veut arriver au pouvoir et elle ne semble pas penser qu'elle y arrivera avec un programme fasciste. Du reste, si 25 % des électeurs votaient pour un parti fasciste, il faudrait prendre les armes ou décamper. Or même Manuel Valls ne nous a pas appelés à de telles extrémités…il ne croit pas lui-même à l'épouvantail qu'il agite.
    C'est tout de même la troisième fois que Marine Le Pen fait la une de Causeur. En prime, une longue interview de six pages! Même Nicolas Sarkozy n'a pas eu cet honneur …
    Mauvaise pioche! Nous avons demandé à de multiples reprises une interview de Nicolas Sarkozy, j'attends encore la réponse, si vous pouviez faire passer le message je suis toujours preneuse. Et je ne vous donnerai pas la liste des dirigeants socialistes qui ne nous parlent qu'en privé par peur de voir leur immaculée réputation entachée par notre mauvaise compagnie. Quant à Marine Le Pen, elle est en «une» de Causeur quand elle fait la «une» de l'actualité, c'est ballot. La première fois, c'était en janvier 2011 après le Congrès de Tours, la deuxième en mai 2012 au moment des présidentielles. Et ce mois-ci, en bons citoyens nous avons écouté le Premier ministre qui nous a dit que l'enjeu de ces élections, c'était le méchant FN. Et nous avons interrogé la chef des méchants…Au fait, vous avez compté les «unes» de l'Obs, de l'Express et des autres, sur Marine Le Pen ?
    Le public connait votre goût pour la polémique. On vous soupçonne d'éprouver une jubilation particulière à interviewer Marine Le Pen ?
    Ecoutez, elle représente l'une des trois grandes forces politiques (ou quatre si vous comptez deux gauches) qui se partagent les suffrages des Français, ce qui serait choquant, c'est qu'on ne lui donne pas la parole - du reste, nous ne sommes pas les seuls à le faire. Si vous me demandez si cela m'amuse de susciter quelques gloussements outrés de benêts qui n'ont évidemment pas lu l'entretien, je ne dis pas…Reste que ce n'est pas pour eux que nous nous donnons du mal, mais pour des lecteurs soucieux de réfléchir plus que de condamner. Alors je souhaite que chacun juge sur pièces et lise non seulement l'entretien mais l'ensemble des contributions. Cela suffira à ridiculiser l'accusation de complaisance….
    «Un Français sur quatre», le titre tord un peu la réalité. En effet, un français sur deux n'est pas allé voter ! N'est-ce pas «le système» dans son intégralité, y compris le FN, qui a été rejeté lors de cette élection ?
    Vous n'avez pas connu le glorieux «Deux Français sur trois» de Giscard… Mais oui, si vous voulez, «un Français sur quatre», ce n‘est pas une vérité scientifique, car on ne saurait jurer que la moitié abstentionniste des électeurs se répartit de la même façon sur l'échiquier politique que la moitié votante. Cependant, il est probable que Marine Le Pen recueillera autour de 20 % des voix au premier tour de la présidentielle, ce qui ferait un Français sur cinq. Ce que nous voulions dire avec ce titre très descriptif, c'est que le FN est l'un des principales forces du pays et qu'il est temps d'en tirer les conséquences, surtout si on veut le combattre. Et par ailleurs, quoi qu'on pense du parti et de ses militants (groupe de plus en plus hétérogène d'ailleurs), «un Français sur quatre», ou un électeur sur quatre, cela exclut la thèse du vote fasciste.
    Vous avez critiqué la «diabolisation» du FN. Au vu du résultat des départementales, décevant par rapport aux sondages, on peut considérer que la stratégie de Manuel Valls était efficace…
    Ce n'est pas parce qu'une stratégie marche, à la marge et conjoncturellement, qu'elle est bonne! Il est fort possible que les déclarations paniquardes de Valls aient mobilisé quelques électeurs et fait perdre des voix au FN. Mais si on croit enrayer sa progression en annonçant le retour du nazisme, on se fourre le doigt dans l'œil. D'ailleurs, comme toujours après une débâcle, on entend des grandes ou petites voix de gauche dénoncer l'abandon de l'électorat populaire au FN. La gauche n'a plus de base sociologique (à part les bobos des centres-villes) et il semble que la coalition arc en ciel (l'alliance des femmes, des immigrés, des minorités sexuelles…) rêvée par Terra Nova ne suffise pas à en refaire une. L'enjeu réel, pour Valls et Hollande, c'est la reconquête du «prolo», plus précisément des ouvriers et des employés, et pas le combat contre un fascisme imaginaire. L'ennui, c'est que même quand la gauche lui parle, à ce prolo, elle ne parle qu'à une moitié de ce qu'il est ; elle veut bien entendre l'angoisse du chômeur et du délocalisé, certainement pas celle du «de souche» qui voit son pays changer et à qui ce changement ne plait pas. Traiter ces peurs «identitaires» par le mépris, c'est, pour reprendre une formule d'Alain Finkielkraut, laisser le monopole du réel au Front national. S'il donne de mauvaises réponses à de bonnes questions, trouvons les bonnes réponses !
    Tout de même, Jean-Marie Le Pen vient de récidiver en répétant que les chambres à gaz étaient un «point de détail» de l'histoire. Son père est-il devenu son meilleur ennemi ?
    Elle a viré sa vidéo hebdomadaire du site et s'est clairement désolidarisée de ses propos, faut-il qu'elle le tue physiquement ? Soyons clairs : il y a encore au FN de vieux briscards pétainistes, OAS, racistes et antisémites. Je n'ai pas le sentiment que ce sont eux qui font la ligne, mais cet héritage existe et il constitue une excellente raison de ne pas voter pour ce parti. Et on a justement épinglé les déclarations dégoûtantes d'une quinzaine de candidats, dont aucun n'a été élu et qui ont été exclus du parti. Mais il serait particulièrement injuste de mettre dans le même sac d'extrême droite tous les gens qui se battent aujourd'hui sous l'étiquette FN. Il ne faut pas se faire avoir par le show coproduit par le «Vieux» et quelques médias. Comme par hasard, au lendemain des élections, Jean-Marie Le Pen est convié sur les plateaux, on appuie sur le bouton, il dit des horreurs et on se retrouve soudain dans un débat «pour ou contre le nazisme» (je vous rassure, je suis contre). Et le chœur des vierges médiatiques triomphe: vous voyez bien qu'ils n'ont pas changé ! Certes, Jean-Marie Le Pen n'a pas changé et il ne changera pas : il ne résistera jamais au plaisir de lâcher une énormité - et au passage de savonner la planche de sa fille. Je comprends qu'il ne soit pas simple de désavouer son père, mais si Marine Le Pen veut prouver que son FN n'a plus rien à voir avec celui de papa, elle devra en arriver là : par exemple en refusant qu'il dirige la liste FN en PACA pour les régionales.

    NoteElisabeth Lévy est journaliste, essayiste et polémiste. Elle dirige le magazine Causeur et intervient régulièrement sur RTL.

    SourceFigarovox :: lien

    http://www.voxnr.com/cc/tribune_libre/EuklElypAyEhXGOOel.shtml

  • La fête de Pâques et du Printemps

    Source : Institut Iliade - Pâques est en quelque sorte la fête de l’équinoxe de printemps. C’est le retour du soleil, le soleil fécondant sans lequel rien ne naîtrait. L’hiver meurt, les neiges fondent, les rivières sont en crue, la nature retrouve sa verdure, les plantes leurs boutons, les arbres leurs bourgeons, le soleil est redevenu suffisamment puissant pour réchauffer la terre et lui apporter la vie. Jonquilles, primevères, jacinthes fleurissent dans les jardins et les jachères.

    A l’avènement du christianisme la fête de Pâques – qui est la célébration de la résurrection du Christ (rappelons que la fête de Pâques a longtemps été la plus importante de la tradition chrétienne et qu’elle marquait le début de l’année, et cela jusqu’en 1563) – remplaça la fête d’Ostara ou fête du printemps, qui est la fête du renouveau, de la fécondité et de la fertilité dont les origines sont très anciennes. Cette fête porte le nom d’une déesse lunaire, Ostara, qu’un héros solaire aurait délivrée de la captivité au moment de l’équinoxe de printemps. On retrouve là un mythe très présent dans les mythologies européennes et même dans les contes (qui ne sont qu’une retranscription de ces mythes) auxquels Dominique Venner faisait souvent référence (*voir en encart : texte inédit). C’est Ariane délivrée par Thésée, Andromède délivrée par Persée, Brunhilde délivrée par Siegfried ou la Belle au bois dormant et Cendrillon de Charles Perrault, Blanche Neige et Raiponce des frères Grimm…

    Pâques est un mot d’origine hébraïque qui se dit en allemand Ostern et en anglaisEaster.

    A Pâques c’est l’œuf qui symbolise la renaissance de la nature, la fécondité, la vie qui s’apprête à éclore. Symboliquement, l’aube du jour et l’aube de la renaissance de la vie sont intimement liées à Ostara, comme le blanc et le jaune de l’œuf qui vont donner la vie.

     

    Il est une vieille tradition qui nous vient des pays germaniques et slaves qui consiste à décorer des œufs, de les offrir ou de les cacher pour qu’ils soient trouvés. La symbolique en est très forte. En effet, trouver un œuf peint c’est trouvé une image de ce que nous sommes : une forme abstraite, une apparence. C’est l’apparence du monde, son décor, dont nous faisons partie. Derrière il y a une coquille. Il faut briser la coquille, aller au-delà de cette apparence. Et on trouve à l’intérieur de l’œuf la couleur blanche, la couleur des origines, du commencement, de la pureté. Puis le globe d’or, symbole du cœur primordial qui contient l’essence d’un peuple, d’une race, d’une civilisation. Le printemps, symbolisé par l’œuf nous renvoie aux temps de l’Age d’Or et de l’Age d’Argent, les temps primordiaux qu’il s’agit de renouveler.

    Le lièvre symbolise l’abondance de biens et la prospérité, c’est lui justement qui cache les œufs. Crédit photo : Google Cultural Institut (cc). Auteur : Albrecht Dürer, 1502.

    Le lièvre symbolise l’abondance de biens et la prospérité, c’est lui justement qui cache les œufs. Crédit photo : Google Cultural Institut (cc). Auteur : Albrecht Dürer, 1502.

    Sont associés à ces œufs des jeux comme par exemple : lancer un œuf en l’air qui doit être rattrapé par une personne et relancé de nouveau par une autre personne. Celui qui le laisse tomber ou qui l’écrase reçoit un gage. Ou « la toquée », un jeu d’origine grecque où chaque joueur tient fermement un œuf (cuit et dur) dans son poing fermé et l’emploi comme arme pour « toquer » les œufs des autres joueurs. L’objectif étant d’arriver à casser les œufs des adversaires sans casser le sien. A gagné celui qui a cassé le plus d’œufs. Que les brutes s’abstiennent car il faut doser ses coups… Ou encore, « la roulée » pratiquée en France, en Ecosse, dans le nord de l’Angleterre, en Ulster, en Autriche et en Suisse. Le jeu consiste tout simplement à faire rouler des œufs durs peints de couleurs vives, sur un plan incliné naturel jusqu’à ce qu’ils soient cassés. Le vainqueur est celui dont l’œuf reste intact le plus longtemps. Dans le même esprit, la course aux œufs portés à l’aide d’une cuillère serrée entre les dents. Un parcours à embuches est préparé pour faire en sorte que les œufs tombent et se cassent.

    Lire la suite 

  • Terra incognita : La reprise mondiale, à quel prix ?

    Emboîtant le pas aux Etats-Unis, la croissance en Europe accélère enfin. Mais le poids de l’endettement et le risque accru de guerre des changes fragilisent l’embelli.

    Les faits – Une économie américaine qui reste encore très dynamique, une Europe qui repart et des pays émergents qui résistent : le paysage conjoncturel mondial, porté par un effondrement du prix du pétrole, a rarement été aussi positif. Salué par les marchés boursiers, ces faits dissimulent pourtant la montée de phénomènes incontrôlés et imprévisibles rendant l’avenir toujours aussi incertain.

    L’économie mondiale va-t-elle mieux, enfin ? La question est cruciale pour comprendre si l’euphorie actuelle des marchés repose sur des piliers solides ou au contraire des sables mouvants. Alors que la Banque centrale européenne a lancé lundi dernier (NDLR : le 09/03/2015) ses premières opérations de politique monétaire non conventionnelle et que la Réserve fédérale américaine (Fed) doit donner la semaine prochaine un calendrier plus précis du relèvement de ses taux directeurs – signe de sa confiance – tous les vents semblent désormais favorables de part et d’autre de l’Atlantique. « La croissance mondiale tourne à un rythme annuel de 3,3 % environ, ce qui la situe plutôt dans le haut de la fourchette, résume Jean-Pierre Petit, président des Cahiers verts de l’économie. Une grande partie de cette croissance provient des Etats-Unis qui affichent 66 mois consécutifs de hausse de PIB, soit un niveau supérieur à la moyenne des cycles de reprise enregistrés depuis l’après-guerre ». En outre – c’est la principale bonne nouvelle des dernières semaines – les Etats-Unis sont désormais accompagnés par la zone euro dont la croissance qui est positive depuis sept trimestres accélère enfin.

    «Tout le monde revoit à la hausse les perspectives de croissance européenne, reconnaît Bruno Cavalier, chef économiste d’Oddo Securities. A juste titre : non seulement les fantasmes de l’été dernier sur un retour de la crise se sont évaporés, mais surtout nous enregistrons depuis quelques mois une conjonction de facteurs exogènes positifs – baisse du pétrole et de l’euro – qui se conjuguent à des facteurs endogènes, notamment la fin de la consolidation budgétaire ». Quant aux pays émergents, si la Chine inquiète toujours par la montée de son endettement et l’ampleur de son ralentissement et si le Brésil et la Russie souffrent durement de la chute des matières premières, leur importance apparaît plus secondaire. « La croissance des émergents en parité de pouvoir d’achat est prévue à 4 % en 2015, contre 2 % pour les pays développés, ce qui constitue un écart historiquement faible entre les deux zones », indique Jean-Pierre Petit. Autrement dit, la croissance mondiale se jouera principalement dans les pays développés.

    Et pourtant… Cet air de reprise joué sur un rythme de plus en plus rapide s’accompagne d’une musique lancinante qui commence à emprunter une tonalité grave. La reprise à l’œuvre est atypique, voire inquiétante.

    « Le meilleur exemple est celui offert par la Suède, résume Pierre-Olivier Beffy, chef économiste d’Exane BNP-Paribas. Voilà un pays affichant 2 % de croissance et une bulle immobilière naissante, dont la banque centrale est obligée de fixer son taux d’intérêt directeur en territoire négatif ! » Une décision incroyable n’ayant qu’un seul but : éviter une trop forte appréciation de sa monnaie comparativement à l’euro, en chute libre.

    Vieux sage parmi les banquiers centraux, Stanley Fisher prédisait déjà, il y a trois ans en petit comité, que le « Quantitative Easing » des banques centrales finirait « par provoquer l’une des plus grandes guerres des changes que le monde ait jamais connue ».

    Au-delà de la seule question des changes, ce rôle nouveau des banques centrales explique cette plongée en Terra incognita. « La prochaine remontée des taux de la Réserve fédérale américaine sera cruciale car pour l’instant les marchés donnent l’impression de ne pas y croire alors même qu’elle est inévitable dans un pays qui crée un million d’emplois par trimestre », rappelle Bruno Cavalier.

    Autres rivages inconnus : ceux de la dette. « On a l’impression que le problème de la dette est en passe d’être résolu mais il s’agit d’une illusion, dénonce Jean-Pierre Petit. La crise de 2008, née d’un problème d’endettement privé aux Etats-Unis, a été résolue en générant de la dette publique dans les pays développés. En outre, les pays connaissant la plus forte progression de leur endettement sont les émergents qui suivent la même évolution que nous avec quinze ans de retard ».

    Reprise atypique de l’inflation également, passée à 3,5 % en moyenne dans les pays émergents alors qu’elle évoluait à 110 % il y a 20 ans. Une chute laissant prévoir une longue période de taux bas aux conséquences imprévisibles sur le comportement d’épargne des ménages.

    «Les gérants d’assurance-vie allemands sont en quasi-faillite », plaisante à moitié Patrick Artus, le chef économiste de Natixis. « Ce qui pousse les Allemands à placer leur épargne dans des endroits plus attractifs, à l’extérieur de la zone euro, de sorte qu’ils ne sont plus là pour financer la reprise de l’investissement dans leur propre zone », ajoute-t-il plus sérieusement.

    Quant aux ménages américains, eux-mêmes d’habitude si optimistes, « ils n’ont pas dépensé la cagnotte liée à la baisse du prix de l’essence, qui leur a permis d’économiser 130 milliards de dollars entre juin 2014 et janvier dernier, souligne Christian Parisot, économiste chez Aurel BGC. Non seulement cette somme a été assez largement épargnée, mais les Américains ont moins recours à l’endettement pour financer leur consommation. Comme s’ils avaient intégré le fait que les salaires nominaux progressent très peu depuis plusieurs années ».

    Changement de comportement des agents, transformation des paradigmes économiques, déformation historique des courbes de taux d’intérêt : dans ce contexte imprévisible l’erreur majeure pour les gouvernements serait de parier sur une brise solide et bien établie. « Lorsque les facteurs puissants comme la baisse du pétrole s’estomperont on réalisera que la croissance potentielle s’est considérablement affaiblie », prévient Jean-Pierre Petit. Ne restera plus que la politique monétaire expansive des banques centrales comme facteur de soutien mais les gouvernements auraient tort de se réfugier derrière cet argument pour ne pas poursuivre les réformes : les déséquilibres financiers non conventionnels nés de cette politique les amèneront à l’interrompre un jour.

    Alors même que les effets positifs de cette reprise n’ont pas été ressentis par la population, « on a l’impression déjà d’être plus près de la fin que du commencement », résume Pierre-Olivier Beffy.

    http://fortune.fdesouche.com/378119-terra-incognita-la-reprise-mondiale-quel-prix#more-378119

  • La chevauchée littéraire, devenue mythique d’Artus

    L'aventure d'une revue racontée par celui qui l'a intensément vécue

    Hervé Glot

    Ex: http://metamag.fr/

    Nous avons longtemps hésité avant de classer l'article d'Hervé Glot, issu d'une contribution au magazine des Amis de l'écrivain normando-breton, Jean Mabire . Il avait sa place dans notre rubrique "émotion/réflexion", car l'histoire du magazine Artus relève d'abord de la littérature, de la poésie, de l'image et de l'imaginaire. Mais par la vocation ambitieuse qu'elle s'assignait, au service de la large culture celte, toujours vivante et ardente, par l'enthousiasme  qu'elle a suscité auprès d'artistes, d'intellectuels, du public, par l'impulsion enfin qui continue de nourrir rêves et convictions, elle relève finalement de la rubrique "communautés vivantes".  

    "Difficile de prendre individuellement la parole au sujet d’une aventure qui fut avant tout collective, d’autant que les années ont en partie gommé le contexte qui vit la naissance et l’évolution de la revue Artus, puis, par la suite, des éditions du même nom. Mais soit, je tenterai d’être le chroniqueur concis et néanmoins fidèle d’une chevauchée qui s’est étalée dans le temps et bien sûr, comme tout corps vivant, a initié ou subi ses propres métamorphoses.

    L’affaire est ancienne, puisque c’est en 1979 que fut fondée l’association éditrice de la revue, avec pour dessein d’explorer les voies de la culture celtique d’hier, et d’en faire entendre les voix d’aujourd’hui. Cette association naissait en Bretagne, à Nantes capitale du duché, et Jean-Louis Pressensé en était le directeur et le premier rédacteur. Artus : le nom avait, bien sûr, été choisi en référence au roi de la Table Ronde, dont le royaume légendaire s’étendait sur les deux rives de la Manche. 

    Il élargissait considérablement le réduit breton auquel nous étions certes attachés… mais à condition d’exercer toute liberté dans les instants où il nous siérait de larguer les amarres, comme en témoignait le sous-titre "pays celtiques et monde nordique". L’association était née d’une réaction contre une certaine vision en vogue dans les années 70, celle d’une Bretagne étroite, suffisante et, pour finir, morte d’un trop plein "de légitimes revendications et de droits imprescriptibles"…

    Sources et survivances d’un imaginaire celtique

    Nous souhaitions rechercher, au sein d’un univers plus large, les sources et les survivances d’un imaginaire celtique. Et nous nous interrogions: « Segalen est-il moins celte quand il compose Les Immémoriaux, Kenneth White quand il décrit Hong-Kong, Michel Mohrt quand il rédige "L’ours des Adirondacks ?" »

    Dès lors se posait le problème du contenu que nous entendions donner au terme « celtique ». Pour ma part, très sensible à l’enseignement que prodiguait (parfois dans la douleur) Christian-J. Guyonvarc’h, l’Irlande, avec sa mythologie miraculeusement transmise, était un des conservatoires et l’un des foyers où aller chercher les brandons encore vivants du grand récit. Des brandons à raviver parce que, sans cette lueur venue de ses franges "barbares’", l’Europe, qui cherchait à s’inventer, faisait l’impasse sur une partie de son âme (elle a fait mieux depuis !). De notre point de vue, c’était pour les artistes, les créateurs, se priver d’une source d’inspiration dont des écrivains majeurs, comme Yeats ou Joyce (bon gré, mal gré), avaient fait le suc de leur œuvre, et dont le cinéma s’emparait désormais avec gourmandise. J’aime toujours rappeler que l’Irlande, un tout petit pays, peut se flatter d’avoir porté, bien au-delà de son nombril, la lumière de ses écrivains et que l’imaginaire est une pensée vivante, une flamme que l’on ravive au contact de la diversité du monde. 

    Pourtant, la volée de bois vert ne vint pas des Bretons pur beurre : il apparut rapidement que l’usage que nous faisions des termes celte ou celtique, et ce que nous affirmions comme un héritage mésestimé étaient, pour certains, des vocables strictement interdits, des territoires de la pensée absolument prohibés. Passons sur ces polémiques, elles n’en méritent pas davantage.

    Un sentiment géographique et quasi climatique  

    Nous cherchions à faire partager un sentiment géographique et quasi climatique : cette Europe du nord-ouest, atlantique et baltique, est (de toute évidence) un mélange de terre et d’eau, un espace terraqué aux limites indécises, aux lumières parfois incertaines et aux origines parfois contradictoires. Nous souhaitions faire naître peu à peu, par les textes des chercheurs, ceux des écrivains et des poètes, les œuvres des photographes, des peintres ou des graveurs, etc, une esthétique, un esprit, qui donneraient à la revue une couleur que j’espérais singulière. 

    Jean-Louis Pressensé avait, au tout début de l’aventure, suggéré cet en-dehors des territoires trop arrimés, en évoquant l’Artusien en devenir : « Etre enfant du granit, de la houle, des forêts et du vent, être pétri de fidélité, de folie et de rêves…» Et, effectivement, les filiations furent de cœur, de consanguinité spirituelle, de générosité, jamais fondées sur l’intérêt ou le conformisme idéologique. 

    La revue fut, pour bien des rédacteurs, une école pratique et un centre de formation intellectuelle. Nous approfondissions nos compétences techniques, passant de la terrible composphère, fleuron de chez IBM, à l’ordinateur, et la table de la salle à manger, qui servait de table de montage, conserve les ineffaçables stigmates du cutter de mise en page : à ces moments-là, il fallait penser avec les mains, non sans avoir affirmé, quelques instants auparavant, après Rimbaud, que la main à plume valait bien la main à charrue.

    Nous allions vers les artistes ou les chercheurs par inclination personnelle, aussi bien que par curiosité pour qui nous intriguait. Ainsi, la revue développait son contenu, tandis que les numéros sortaient avec la régularité qu’autorisaient nos occupations professionnelles. Artus a fédéré des énergies, confronté des individualités et surtout nous a conforté dans le sentiment que l’équilibre, le nôtre en tout cas, se trouve où cohabitent le travail des savants et le chant des poètes.

    Un équilibre où cohabitent le travail des savants et le chant des poètes

    Peu à peu, nous avons orienté notre publication vers des thèmes plus précis. Parurent ainsi "Le Graal", "A chacun ses Irlande", "Au nord du monde", "Harmonique pour la terre", "L’Amour en mémoire", "Ecosse blanches terres", "Mégalithes", "Archipels, vents et amers", autant de titres qui signaient des affinités électives, des rencontres insolites ou prévisibles. Avec le recul, cette formule éditoriale a eu le grand avantage d’ouvrir un espace accueillant et de permettre la constitution d’un noyau de collaborateurs, qui auront trouvé dans le rythme revuiste, à la fois souplesse, diversité et régularité. 

    Les universitaires Jacques Briard pour l’archéologie, Christian-J. Guyonvac’h pour le domaine celtique, Léon Fleuriot pour les origines de la Bretagne, Philippe Walter pour la littérature arthurienne, Régis Boyer pour le monde nordique, Gilbert Durand pour le vaste champ de l’imaginaire, furent parmi d’autres, nos guides et nos interlocuteurs. Patrick Grainville et Kenneth White nous donnèrent de sérieux coups de main. Philippe Le Guillou a été le compagnon de nos rêveries scoto-hiberniennes. Michel Le Bris a bercé nos songes romantiques au rythme des puissances de la fiction; quant à Pierre Dubois, il a été pour nous tous l’empêcheur de raisonner en rond, le Darby O’Gill des raths et des moors.

    La revue a permis, en outre, de créer un lectorat qui est naturellement resté fidèle lors du glissement -amorcé en douceur au milieu des années 80- de la revue vers la maison d’édition, ayant ainsi, pour effet, de résoudre partiellement le problème de la diffusion.

    Après s’être essayé à la publication de textes relativement courts : "Enez Eussa" de Gilles Fournel, "Marna" d’Yvon Le Menn, "la Main à plume" de Philippe Le Guillou, suivront une vingtaine de livres dont "Ys dans la rumeur des vagues" de Michel Le Bris, ou "Les Guerriers de Finn" de Michel Cazenave. Des albums sont consacrés à des peintres, des sculpteurs, des graveurs, des photographes (Yvon Boëlle, Jean Hervoche, Carmelo de la Pinta, Bernard Louedin, Sophie Busson, Jean Lemonnier, Geneviève Gourivaud).  

    Avec Pierre Joannon, nous éditerons un gros album, "L’Irlande ou les musiques de l’âme", une somme menant de la protohistoire à la genèse de l’Irlande contemporaine, que reprendront les éditions Ouest-France. Toujours à l’affut des méandres de la création, sous la direction de Jacqueline Genêt, de l’université de Caen, nous avons publié les variations des écrivains de la renaissance culturelle irlandaise, autour de la légende de Deirdre.  

    Depuis ces temps de fondation, d’autres livres bien sûr sont parus, parfois en coédition avec Hoëbeke ou Siloë. Citons "Arrée, l’archange et le dragon", "Des Bretagne très intérieures", "Une Rhapsodie irlandaise", plus récemment "Lanval" et ,dernier en date, "Les îles au nord du monde", un texte de Marc Nagels illustré par Didier Graffet, avec des photographies de Vincent Munier.

    Un numéro spécial avait marqué un tournant dans l’histoire d’Artus. Ce n’était déjà plus le fascicule habituel, mais un véritable album titré "Brocéliande ou l’obscur des forêts". Il allait nous conduire vers une autre direction : une heureuse conjonction permit à Claudine de créer et d’asseoir" au château de Comper" le Centre de l’Imaginaire Arthurien. Mais cela est une autre histoire, et je ne voudrais pas m’approprier abusivement ce qui appartient à une fraternité sûrement plus vaste que la mienne, sinon en rappelant ce que pourrait être… une errance arthurienne.

    Vagabondage dans l’espace arthurien

    Histoire des hommes et de leur imaginaire, rêves, foi, mythes, voilà un terrain de pérégrinations assez inépuisable, au milieu duquel l’héritage celtique et la légende arthurienne brillent, aujourd’hui, d’un éclat particulier, avec leur cortège de prouesses et d’enchantements, dont le moindre n’est pas la promesse de la quête.

    Le roman arthurien n’a pas inventé la quête, mais il lui a donné une couleur et une dimension renouvelées. La quête chevaleresque n’est ni la descente aux Enfers d’Orphée ou de Virgile, la fuite d’Énée ou la dérive involontaire d’Ulysse. À travers d’innombrables épreuves, dont on ne sait dans quelle réalité elles se déroulent, elle unit, à un voyage qui porte ordre et lumière là où règne le chaos, un cheminement intérieur, recherche de perfection ou d’absolu.

    Au centre de la cour arthurienne, la Table Ronde rassemble les meilleurs chevaliers, venus du monde entier briguer l’honneur de servir. Alors, commencent les expéditions, entreprises sur un signe, une requête, un récit marqué d'étrangeté. Lorsqu’il prend la route, chaque chevalier devient, à lui seul, l’honneur de la Table Ronde et la gloire du roi. Il forme l'essence même de la chevalerie arthurienne, affirmant la nécessité de l'errance, le dédain des communes terreurs, la solitude, qui ne s’accompagne que d’un cheval et d’une épée. Il ne sait ni le chemin à suivre, ni les épreuves qui l'attendent. Un seule règle, absolue, lui dicte de « prendre les aventures comme elles arrivent, bonnes ou mauvaises ». Il ne se perd pas, tant qu’il suit la droite voie, celle de l'honneur, du code la chevalerie.

     La nécessité de la Quête est partie intégrante du monde arthurien. Au hasard de sa route, le chevalier vient à bout des forces hostiles. Il fait naître l’harmonie, l’âge d’or de la paix arthurienne dans son permanent va et vient entre ce monde-ci et l’Autre Monde, car l’aventure, où il éprouve sa valeur, ne vaut que si elle croise le chemin des merveilles. Sinon elle n’est qu’exploit guerrier, bravoure utilitaire. Seul, le monde surnaturel, qui attend derrière le voile du réel, l’attire, et lui seul est qualifiant.

    Les poètes recueillent la Matière de Bretagne vers le XIIe siècle, de la bouche même des bardes gallois et, sans doute, bretons. Malgré le prestige du monde antique et des romans qu’il inspire et qui ne manquent pas de prodiges, la société cultivée découvre, fascinée, les légendes des Bretons (aujourd’hui nous parlerions des Celtes), un univers culturel perçu comme tout autre, d’une étrangeté absolue. Le roman, cette forme nouvelle nourrie de mythes anciens, donne naissance à des mythes nouveaux, la Table Ronde, le Graal, l’amour de Tristan pour Iseult, Merlin… Parmi les référents culturels de l’Europe, en train de naître, elle s’impose en quelques dizaines d’années, du Portugal à l’Islande, de la Sicile à l’Écosse.

    La légende celtique, mêlée d’influences romanes ou germaniques, constitue une composante fondamentale pour l’Europe en quête d’une identité qui transcende les nécessités économiques et politiques. Mais le thème de la quête représente, plus fondamentalement croyons-nous, un itinéraire proprement spirituel, initiatique ou mystique même, pour certains. Elle manifeste, aussi, un besoin d’enracinement, la recherche de valeurs anciennes, prouesse, courtoisie, fidélité, largesse, l’aspiration à l’image idéale de ce que nous pourrions être.

    Une fois de plus, le roi Arthur revient : non pas la figure royale, mais l’univers de liberté et d’imaginaire qu’il convoie. A qui s’interroge sur cette postérité tenace, sur ces résurrections insistantes, on peut trouver des raisons, dans le désordre, culturelles, patrimoniales, psychanalytique, politiques, artistiques. Pour nous, nous dirons, simplement et très partialement, qu’il s’agit de la plus belle histoire du monde, et qu’il suffit de revenir au récit, à ces mots qui voyagent vers nous, depuis plus de huit siècles, pour comprendre que les enchantements de Bretagne ne sont pas près de prendre fin."

    http://vouloir.hautetfort.com/