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  • Les Déracinés, de Maurice Barrès Partie 2

    Ce qui ne trouve en revanche aucun élément rédempteur aux yeux de Barrès, c'est le rationalisme kantien, comprenant le fameux Impératif catégorique issue du Fondement de la métaphysique des mœurs (1785). Le défaut fondamental que lui trouve Barrès est qu'il ne prend pas en compte l'existence de la chair, et qu'il s'attache exclusivement à un idéal de pureté davantage adapté à Dieu qu'à l'Homme, négatif photo du pragmatisme (le kantisme considérant, par exemple, qu'une action ne peut être jugée qu'en fonction de ses motivations, et n'a aucune valeur si elle n'est pas mue par la "volonté bonne", ce qui veut dire qu'on excusera l'enfer, tant qu'il est pavé de bonnes intentions). On a évoqué plus haut la réflexion de Kant : "agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle" (appréciez la plume aérienne du philosophe). Barrès y voit une démonstration d'égocentrisme absolue. Les Déracinés est une critique du règne de la subjectivité et de la moralité individuelle, à laquelle il oppose la "conscience nationale". L'organique. Ses jeunes protagonistes veulent "devenir des individus", seuls entre eux-mêmes, mauvaise idée à laquelle Barrès oppose une pensée holistique pure (qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités et non comme des sommes de parties, s'opposant, d'un point de vue sociologique, à l'individualisme). La morale de Barrès est celle de la volonté d'accomplir un destin commun, celle de la terre et de la patrie. On retrouve sa légère obsession de la "race", qu'il emploie plus au sens territorial que biologique, comme Charles Maurras. À travers son roman, Maurice Barrès cherche à rendre meilleurs l'homme et la société dans laquelle il se meut, non à partir de concepts abstraits ou d'idées fausses, mais en se fondant sur des réalités tangibles. Aux méfaits du jacobinisme, de l'universalisme, et du centralisme sur les jeunes esprits, en un mot, du déracinement, il oppose les bienfaits de la décentralisation, de la continuité, de "tout ce qui demeure vivant de l'héritage de que nous avons reçus de nos pères", en un mot, de l'enracinement. "Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut", écrit Frédéric Mistral dans Les Îles d'or. À l'époque de Barrès, la France avait déjà cessé de monter.

    Barrès descend donc l'enseignement de ladite philosophie par le vil Bouteiller, élite formatée n'envisageant pas un instant de remettre en question son bien fondé, comme un croyant face à la vérité révélée. À travers ce personnage, on pressent la venue, lointaine mais sûre, des profs sociaux-libéraux de l'ère soixante-huitarde, et leur qualité de propagandistes solidifiée par leur conviction d'appartenir au Camp des Saints ; mais aussi des amibes technocratiques moralement désertiques comme un Alain Minc, dont les analyses du monde ignorent ses réalités sociales, culturelles, charnelles. Pour Barrès, l'enseignement de la philosophie allemande contribue à détacher la jeunesse française de ses racines. C'est en partie d'elle que se nourrit le cosmopolitisme, concept dément vieux comme l'antiquité mais appliqué depuis peu au monde. L'expression "citoyen du monde" reviendra à plusieurs reprises dans le roman, jamais sous un éclairage positif, naturellement. En tentant d'accéder à l'universel, les petits étudiants vont se défaire de leurs attaches régionales, du lien charnel à la terre, et d'un certain particularisme, devenant des créatures sans passé, employées du grand Capital, bâtards du siècle. On croyait les pages vierges qu'ils étaient remplies des "enseignements" de Bouteiller, mais ces "enseignements" ont été écrits à l'encre sympathique. L'élévation va pour beaucoup se transformer en chute, qu'elle prenne la forme d'une sévère désillusion, ou d'une authentique tragédie comme indiquée plus haut : les plus pauvres des sept jeunes Lorrains, confiants en la justesse du nouveau monde et en l'égalité des chances tant vantée, demeureront au final les perdants, victimes du système qui les aura transformés en Icare de supermarché, aveuglés par les lumières de la capitale, croyant naïvement pouvoir toucher le soleil du doigt ("L'état donne aux jeunes Français des notions exagérées de la place occupée dans le monde par les idées de droit, de justice, de devoir" - p.293). Au lieu de cela, ils auront droit à l'isolement et au vice… ils auront droit aux coulisses de leur nouveau monde.

    Les enseignements de l'Empereur

    Plus haut a été évoquée la réunion fondatrice des jeunes protagonistes du livre autour du tombeau de Napoléon 1er. Il va sans dire que la figure de l'Empereur occupe une place cruciale dans Les Déracinés, comme ce chapitre constitue un passage charnière du récit. Une façon de rappeler que le bonapartisme doit être une voie explorée attentivement par le traditionaliste à la fois méfiant de la république, et pas entièrement convaincu par la praticabilité de la restauration royaliste (on pense surtout à la notion de dynastie dans la monarchie héréditaire : vers qui se tourner ? Légitimistes ? Orléanistes ?). L'idée de l'homme providentiel émergeant des cendres du combat a de tout temps suscité la fascination des peuples - plus ou moins conscient des risques de dérive dictatoriale inhérents à ce cas de figure. On peut se demander si la tentation césariste est véritablement un danger.

    Quand on parle de bonapartisme, il ne s'agit pas de celui de Napoléon III, le nain qu'aimait moquer Victor Hugo, et qui aura surtout anéanti les chances de formation d'une dynastie en transformant progressivement l'Empire en régime gras, parlementaire et démocratique. Quitte à choisir un sous-courant consécutif à la dissolution du Second Empire, on préfèrera le bonapartisme "blanc" des victoriens ou impérialistes, proches de la droite royaliste et cléricale, opposée à la gauche républicaine. Mais il est conseillé de s'arrêter sur le "vrai" bonapartisme. Et pour retourner à ses  fondements, la voie la plus conseillée est sans doute la lecture du Mémorial de Sainte-Hélène, recueil des mémoires de Bonaparte rédigé par l'historien Emmanuel de Las Cases au cours d'entretiens quasi quotidiens avec l'Empereur, à Saint-Hélène. Ce que l'on peut en lire confirme le fossé qui sépare le bonapartisme du jacobinisme. Présenté à l'inverse par certains comme un libéral, Bonaparte s'en distingue également par son attachement à un exécutif puissant et sa méfiance presque maladive envers le marché (on pense à son fameux "la bourse, je la ferme"). Son antiparlementarisme et sa méfiance envers les assemblées législatives, "sources d'instabilité", accroissent le pouvoir de séduction de sa "monarchie constitutionnelle tempérée" - nous sommes loin du despotisme militaire. Le caractère plébiscitaire de sa gouvernance renforce plutôt qu'elle ne menace sa dimension héréditaire : pour lui, un peuple aspire à une dynastie de régnants, qui trouvera sa raison d'être dans l'incarnation de ses aspirations élémentaires (après tout, ce n'est pas un référendum qui a fait tomber le second empire). Enfin, Napoléon 1er aspire à la fin du règne des partis, un des éléments fondamentaux de la pensée royaliste. Pour fortifier la nation, Napoléon proclame le bien-fondé de la promotion des élites, et aspire à la création d’une aristocratie nationale sans privilèges anachroniques. Une aristocratie à mille lieues de celle, financière, de cosmocrates nomades jouant avec nos vies de leurs dirigeables de luxe.

    La gouvernance d'un de Gaulle, seul chef d'état digne de ce nom que nous ayons eu en deux siècles, comporte de nombreux points communs avec celle de Napoléon 1er. Il n'y a pas de coïncidence. Cette somme de constats suggère une réflexion de fond sur un système qui parviendrait à combiner les qualités du monarchisme selon Maurras et celles du bonapartisme originel. Le combat de la critique positive n'est pas près de finir.

    Si loin, si proche

    Une des choses qui rendent Les Déracinés d'autant plus passionnant vis-à-vis du Socle, c'est le parallèle que l'on peut faire entre nous, ses membres, et les sept jeunes Lorrains. Comme nous, ils se cherchent un positionnement politique et moral dans la société française moderne - c'est là l'ambition supérieure qui les distingue de leurs pairs. Comme nous, ils cherchent une place à la France dans un monde qui l'ensevelit chaque jour un peu plus, et un sens à l'Histoire qui, elle aussi, prend de cours un peu tout le monde. Comme nous, et en dépit de quelques convictions solides comme la primauté de la nation (issue d'une sorte de proto-boulangisme préfigurant à mon sens un socialisme national), ils bâtissent leur vision du monde sur la conscience que ce dernier est complexe, et que son sens menace de leur échapper à tout instant. Comme Barrès, comme nous, ils se nourrissent de leurs doutes et de leurs dissensions cordiales. Il est probable que la majorité des groupes d'action ou de réflexion politique qui se forment dans la France d'aujourd'hui aient, chacun, leur François Sturel, leur Maurice Roemerspacher, et leur Henri Gallant de Saint-Phlin. Certains membres de ces groupes pourront même puiser dans Les Déracinés une certaine inspiration. Au moment d'une réunion, Suret-Lefort dit : "il est évident que chacun de nous a ses vues sur la religion. J'admire Saint-Phlin ; je demande seulement que nul n'ait à endosser les idées de ses collaborateurs. Je ne pourrais écrire à La Vraie République s'il n'était pas entendu que la profession de Saint-Phlin n'engage que lui seul." (p.242) Les multiples divergence entre les membres du journal la Vraie République sont complexes, parce qu'aucun d'entre eux n'a entièrement raison, ni entièrement tort, ce magnifique patchwork illustrant les tourments existentiels de la France d'alors… tourments qui se poursuivent encore aujourd'hui.

    Les Déracinés inspirera nombre de réflexions au traditionaliste n'ayant pas encore trouvé parfaitement sa voie. Rejette-t-il la république, tel un Barrès ? Ou bien sa conception de la France pourrait-elle se satisfaire d'une république autoritaire et "virile", quitte à être portée, dans un premier temps, par un tempérament despotique ? Dans le second cas, croit-il que l'instauration d'une sixième république constituerait un début de solution ? Où se situe-t-il face à, d'un côté, les tenants d'un pouvoir centralisé, comme les césaristes, et de l'autre, l'exaltation par un Barrès de la province comme "France réelle" ? Dans le prolongement de cette réflexion, que pense-t-il du principe de subsidiarité ? Au risque d'effrayer son propre pessimisme, ne croit-il pas que la France a, comme les jeunes protagonistes du roman de Barrès, subi un processus de désenracinement déjà bien engagé ? Auquel cas, a-t-il une idée des moyens de la réenraciner, fussent-ils radicaux ? Sans forcément se positionner vis-à-vis de la figure historique de Napoléon, qui a tant inspiré nos jeunes déracinés, que pense-t-il qu'il faudrait garder de l'héritage napoléonien (d'un côté, le bilan matériel et les institutions établies de 1800 à 1804, de l'autre, le bilan mythologique et imaginaire) ? Et une myriade d'autres interrogations tout aussi substantielles.

    Pour le SOCLE 

    - Face aux menaces extérieures, la république n'a pas les moyens de protéger la France.

    - Le parlementarisme est un régime dangereusement instable et aisément corruptible.

    - Il n'existe qu'un seul nationalisme : défensif et conservateur.

    - Paris, ou du moins le Paris de son époque, est une Babylone nouvelle, dévoreuse d'âmes.

    - La Province est la "France réelle".

    - L'universalisme et le cosmopolitisme sont parmi les plus grands ennemis de la patrie.

    - Le processus de dissolution de l'identité française sous les influences étrangères avait déjà commencé dans la seconde moitié du XIXème siècle.

    - La subsistance de la patrie tient à la volonté d'accomplir un destin commun.

    - Le rationalisme kantien et son culte de la raison sont fondamentalement mauvais.

    - Le "culte du Moi" (épanouissement de sa propre sensibilité) nourrit le patriotisme : en invitant à l'introspection, il induit une célébration de ses propres origines et du passé.

    - Il est recommandé de se méfier des professeurs trop exaltés !

    http://lesocle.hautetfort.com/archive/2016/03/20/les-deracines-de-maurice-barres-5777117.html

  • Les Déracinés, de Maurice Barrès Partie 1

    Quand le traditionaliste séduit par la pensée royaliste a suffisamment parcouru l'œuvre de l'incontournable Charles Maurras, son arrêt suivant se situe généralement sur les sentiers du tout aussi grand Maurice Barrès. Présentons-le en quelques lignes hautes en couleur, pour les non-initiés : Barrès est un écrivain et homme politique français né en 1862, qualifiable de pendant mélancolique de Maurras, et autre figure de proue du nationalisme traditionaliste français. Orateur virulent, funestement antidreyfusard, boulangiste convaincu, nationaliste attaché un temps aux idées socialistes, ennemi absolu du marché absolu, figure fluctuante d'un patriotisme se cherchant un peu, tanguant entre la Ligue des Patriotes de Paul Déroulède (antiparlementaire et nationaliste) et le royalisme positif de son ami Maurras, dont il se distinguait par un rapport aux idées politiques bien plus distancié. Il  ne cèdera jamais au monarchisme, ni au républicanisme, ni à aucun autre dogme que celui de la terre et du sang. Tout en tenant à l'"équilibre du Moi" en ces temps où moult idéologies veulent transformer la personne en individu, l'homme donne une importance capitale au respect de ce qui a précédé, les ancêtres et leur héritage, et à ce qui transcende les êtres, le sacré. "Nous sommes les instants d'une chose immortelle", dira-t-il vers la fin de sa vie.

    Félix Croissant, pour le SOCLE

    La critique positive des Déracinés au format .pdf

    2382446219.jpgAlors que Barrès est surtout un essayiste, un chroniqueur et un journaliste, son livre le plus connu est un roman publié en 1897, Les Déracinés. Bien que la bibliographie du Socle tiennent également à distance la fiction, s'arrêter attentivement sur cet ouvrage n'aura pas manqué de nourrir notre pensée politique.  

    L'action se déroule dans l'atmosphère dépressive engendrée par la débâcle militaire de 1871 face à la Prusse, cadre où les institutions, jusqu'à la République même, se trouvent en péril, et dans le contexte de la crise économique qui accable le monde depuis 1873, et a provoqué une forte montée du chômage chez les paysans et ouvriers.

    Disons-le d'entrée : Les Déracinés est un grand roman dans la lignée de l'œuvre d'un Balzac ou d'un Stendhal, ample et foisonnant, aussi stimulant intellectuellement que passionnant dans son récit. L'écriture de Barrès est un peu solennelle, parfois exagérément verbieuse, mais surtout massive, et lyrique (la description des funérailles de Victor Hugo, sur laquelle se conclura le roman, est d'une puissance inégalée), et d'une précision parfois intimidante dans ses descriptions des tourments psychologiques de ses personnages. 

    Nancy, 1879

    L'action des Déracinés démarre dans un lycée de Nancy, en 1879 (on est dans de la quasi-autobiographie, à ce stade), où sept lycéens, Sturel, Suret-Lefort, Saint-Phlin, Roemerspacher, Racadot, Renaudin et Mouchefrin, pages blanches ne demandant qu'à être remplies, voient leur monde retourné à 670 degrés par un professeur de philosophie jeune et dynamique, Bouteiller, à la fois professeur plein d'idéaux et petit commissaire politique en puissance. Son éloquence, sa verve, et sa conviction monolithique d'appartenir au camp de l'avenir et du juste va convertir sans mal ces gamins à une vision du monde républicaine (Bouteiller est un gambettiste convaincu, soit de la gauche républicaine modérée) et kantienne (sa devise : toujours agir en désirant que son action serve de règle universelle). Cette vision du monde a un corollaire : l'idée que l'avenir se joue à Paris, centre du monde d'alors… où ces jeunes hommes joueront, précisément, leur avenir. On percevra rapidement l'amour de Barrès pour la province et sa méfiance envers la cité. L'ascension des jeunots sur la capitale survient au bout d'une petite cinquantaine de pages au-delà desquelles rien n'ira plus : ivres d'espoirs et de fierté mal placée, naïvement confiants en la solidité de leurs liens face à la gargantuesque machine citadine, le groupe de jeunes hommes est déjà, sans s'en rendre compte, victime du déracinement lorrain que leur a fait subir Bouteiller, théoricien plus obsédé par sa grande idée de la France que par les âmes qui la forment. Le déniaisement parisien suivra, et se conclura cinq ans plus tard par le sacrifice sous la guillotine d'un des sept protagonistes, présenté comme le dommage collatéral de leur entreprise trop grande qui se sera brisée sur l'impitoyable réalité de cette fin de siècle comme des vagues sur un rocher. 

    Sans s'ouvrir dessus, l'action des Déracinés prend vraiment son envol lorsque les sept jeunes Lorrains se retrouvent autour du tombeau de Napoléon 1er pour lancer leur grand projet de journal "différent", La Vraie République. Napoléon, figure du grandiose et de l'accomplissement personnel, source de l'imagination condensée du siècle. Un modèle. À la fin du livre, les ex-gamins auront remplacé ces aspirations à un horizon supérieur par une place dans le système, vie faite de concessions qu'ils auraient méprisées quelques années plus tôt. La cité corruptrice… air connu.

    Nous avons donc Sturel, fils de la grande bourgeoisie provinciale et rêveur à la sensibilité maladive ; Roemerspacher, animal social cartésien et équilibré ; Gallant de Saint-Phlin, de famille monarchiste et catholique, grand optimiste ; Suret-Lefort, pur produit de Science Po, avocat anticlérical et antiromantique ; Renaudin, journaleux arriviste et avare, futur traître au boulangisme ; Racadot, petit-fils de serf et ambitieux matérialiste ; Moucherin, sans-le-sou malingre et laid trouvant sa raison d'être dans l'ombre de Racadot. Quelques uns des personnages ont de sérieux airs de Rastignac - l'œuvre de Balzac n'ayant pas échappé à Barrès. Mais l'élévation dans la société des personnages de Barrès se distingue de celle des personnages de Balzac par sa différence de ton : là où Balzac épousait le cynisme blasé de son antihéros, Barrès habite ses personnages les plus prospères et carriéristes d'un certain fatalisme stendhalien (certains rappelant davantage le Julien Sorel du Rouge & Le Noir). Par ailleurs, le mélancolique et indécis François Sturel, qui ressemble le plus à Barrès, a davantage de temps d'antenne que des personnages comme l'opportuniste Suret-Lefort. Sturel et quelques autres finiront par réaliser, trop tard, l'erreur de leur voie individualiste et de la réalité du déracinement.

    Un puissant écho dans le présent

    Se distinguant de l'œuvre d'un Zola de par son aptitude à bouleverser les idées, Les Déracinés n'offre rien de moins qu'un témoignage historique et politique d'une époque à la fois proche de la nôtre sur la frise historique, et séparée par le gouffre béant du 20ème siècle. C'est une fiction certes, mais nourrie à l'expérience barrésienne du monde, détail qui confère au romanesque une légitimité de document officiel, et une épaisseur d'ouvrage documentaire. Documentaire étonnant d'actualité : Barrès décrit un monde en connaissance de cause, et cela donne lieu à des scènes de la vie politique et sociale de Paris d'une authenticité impressionnante, et effroyablement proches de celles que l'on connait aujourd'hui. Barrès invite rétrospectivement à une mise en perspective de l'Histoire française d'après-1793, réduisant le gouffre du 20ème siècle à quelques coups de canons bien bruyants et deux-trois charniers fort regrettables : en le lisant, le patriote d'aujourd'hui, fût-il pleinement conscient que le désastre civilisationnel contemporain n'a pas surgi du néant au mois de mai 68, ne manquera pas de penser : "ventre-saint-gris, c'était exactement la même chienlit en 1880 !" Exactement, cent ans avant l'arrivée d'Attali à l'Élysée en tant que conseiller spécial de l'homme à l'écharpe rouge - non, pas Christophe Barbier. La même chienlit : le déracinement. Une société sans repère. Les Déracinés est un manifeste presque philosophique sur ses dangers, et, bien naturellement, politique (on peut y deviner, par exemple, l'antidreyfusisme de son auteur et son hostilité générale envers les Juifs non-assimilés…).

    Trouvons, page 240, un exemple illustrant le puissant écho du roman avec notre réalité : "La France débilitée n'a plus l'énergie de faire de la matière française avec des éléments étrangers. Je l'ai vu dans l'Est, où sont les principaux laboratoires de Français. C'est pourtant une condition nécessaire à la vie de ce pays : à toutes les époques, la France fut une route, un chemin pour le Nord émigrant vers le Sud ; elle ramassait ces étrangers pour s'en fortifier. Aujourd'hui, ces vagabonds nous transforment à leur ressemblance." Le caractère prophétique des Déracinés est un autre de ses joyaux : dès 1880, il aura diagnostiqué un ébranlement fondamental des valeurs annonçant un "ordre nouveau".

    La cité mortifère

    Au-delà même de sa nature de récit initiatique, Les déracinés est surtout une radioscopie de l'univers intellectuel Parisien dans la troisième république naissante, aux institutions menacées par les calculs politiques et les ambitions personnelles. Barrès connaissant le monde du journalisme parisien, on a droit à des pages entières de description des relations perverses qui lient temporairement politiciens et journalistes, et du carnaval des subventions d'état à la presse. On retrouve Bouteiller, anciennement professeur de philosophie plein de formules pompeuses, présentement boursier et aspirant-député ne reniant pas le moindre calcul, et le gotha parisien qu'il fréquente, comprenant des personnages historiques comme le banquier juif Jacques de Reinach. On passe de la haute bourgeoisie vivant dans des hôtels particuliers de l'ouest parisien, incarnée par la jeune Mademoiselle Alison, qui épousera plus tard un jeune baron un peu crétin, au Paris populaire du nord-est, où subsistent deux de nos jeunes Lorrains les moins fortunés. Barrès juxtapose l'univers érudit et ouaté du Bel-Ami de Maupassant à celui, étouffant et suintant, des Misérables d'Hugo, dimensions interdépendantes d'un Paris hypertrophié et articulé par le seul chaos, au cœur duquel fermente le tumulte à venir, cadre de la monstrueuse mosaïque de l'auteur.

    On s'évade aussi de cet imposant foutoir à travers les récits rocambolesques et mystiques de la belle aristocrate ottomane Astiné Aravian, venue de Constantinople et de passage à Paris, dont le jeune Sturel tombe vite amoureux. Elle l'aidera à prendre en partie conscience de l'ampleur du monde, et à déceler - un peu - l'absurdité certaine du petit théâtre parisien. 

    En guise de parenthèse, on rappellera que Barrès était un grand voyageur. Lorsqu'André Gide, pas son plus grand partisan, lui écrit, après lecture des Déracinés : "né à Paris d'un père uzétien (d'Uzes, située dans le Gard) et d'une mère normande, où voulez-vous que je m'enracine ? J'ai donc pris le parti de voyager", Barrès a l'autorisation de lui rire à la figure. Il faut préciser que Gide le comparera plus tard à Adolf Hitler. CQFD.

    La République, l'universalisme, Kant, et leur "nouveau monde" 

    Qui dit Paris dit république. La position de Barrès à son égard est ambigüe ; jamais vraiment antirépublicain comme un Maurras, mais conscient de ses tares inéluctables, il se fend d'une critique en demi-teinte de ce régime incandescent. Il prend lui aussi un recul saisissant pour observer cette dernière, inspiré par l'œuvre du grand historien Hippolyte Taine, à qui l'on doit le monumental livre-fleuve Origines de la France contemporaine. Ce dernier, auquel Barrès dédiera un chapitre entier de son livre, compare l'internat à de "grosses boites de pierre", machines égalitaires où la personne est réduite à l'état d'individu. Barrès n'exprimera rien de moins dans son livre avec ses sept jeunes protagonistes à la fois produits et victimes de cette machine. 

    Face au niveau de langage et de réflexion de ces jeunes Lorrains, sans commune mesure avec celui des jeunes têtes plus ou moins blondes qui garnissent nos lycées, certains de nos contemporains seront tentés de relativiser les failles de l'internat. Ce point n'échappera pas à l'esprit lucide traversant nos âges sombres et subissant les excentricités funestes du monde moderne, son néolibéralisme suintant, son progressisme vindicatif, son vivrensemble, sa discrimination positive, son relativisme culturel, sa LGBT-friendliness, son Aymeric Caron à l'incomparable chouinage poivre et sel, sa Belkacem à mini-jupe rétractable, son sapin de Noël anal, son art moderne tout autant, et son absence regrettable de Dominique Wolton. C'était déjà la chienlit en 1880, mais en lisant Les Déracinés, on mesure l'ampleur de la dégringolade pluridisciplinaire que connait la France. Pour paraphraser Orwell, à l'époque d'Entre les murs, embrasser le monde de Barrès devient un acte révolutionnaire.

    À suivre

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  • Crise migratoire : que faire ? Débat entre Jean-Yves Le Gallou et Catherine Wihtol de Wenden

    Crise migratoire : que faire ? Débat choc entre Catherine Wihtol de Wenden (politologue, sociologue et militante du droit à l’immigration en France) et Jean-Yves Le Gallou, haut fonctionnaire, ancien député européen, cofondateur du club de l’Horloge et président du think tank Polémia, en direct sur Radio Sputnik le 12 mai 2016.

    http://fr.novopress.info/

  • Loi travail : les principales dispositions du texte soumis au "49-3"

    L'utilisation du vote bloqué 49-3 stoppe l'examen des amendements par l'Assemblée nationale. 5.000 étaient présentés par les députés. Voici les principales mesures du projet de loi finalement présenté par le gouvernement.
    Après des mois de négociations, de relectures, de réécriture, la mouture définitive du projet de Loi Travail ne tiendra donc compte de quasiment aucun des amendements parlementaires, en raison de l'utilisation du fameux "49-3" de la Constitution qui permet l'adoption d'un texte sans vote. Voici donc les grandes lignes du projet de loi porté par Myriam El Khomri... avant son passage au Sénat où il sera détricoté... avant que l'Assemblée nationale n'ait de toute façon le dernier mot.
    Le licenciement économique facilité?
    Les entreprises de moins de 11 salariés pourront "réajuster" leurs effectifs si elles justifient une baisse de leur chiffre d'affaires pendant un trimestre seulement. Entre 11 et 50 salariés, l'entreprise devra déplorer deux trimestres de baisse du chiffre d'affaires, trois trimestres consécutifs entre 50 et 300 salariés, et quatre trimestres au-delà de 300 salariés.
    Pour les filiales française des groupes internationaux, autre sujet épineux, le gouvernement a finalement accepté que ce soit le chiffre d'affaires mondial qui soit pris en compte pour apprécier la situation économique de la branche française, alors que le patronat réclamait que le périmètre soit réduit à la seule France.
    Sur les CDD, le gouvernement préserve le patronat
    Il n'y aura pas de surtaxation des CDD, comme l'avait pourtant annoncé le gouvernement. Ou du moins, celle-ci ne devient pas obligatoire. On en revient donc aux termes de la loi Emploi de 2013 qui autorise, s'ils le souhaitent, les partenaires sociaux à moduler le taux de cotisation à l'assurance chômage en fonction de la nature et de la durée des contrats. Cette modulation ne reste donc que facultative, elle relève de la négociation entre partenaires sociaux sur l'assurance chômage actuellement en cours.
    Le référendum d'initiative syndicale maintenu
    La CGT et FO étaient vent debout contre cette mesure. Mais le gouvernement n'a rien lâché sur la possibilité dans une entreprise de recourir à une consultation interne des salariés pour valider un accord d'entreprise.
    La règle est désormais la suivante. Un accord d'entreprise sera considéré comme valide dans deux cas. Soit l'accord est signé par des syndicats représentant au moins 50% des salariés, soit il est conclu par des syndicats ne représentant que 30% des salariés mais ces organisations ont alors le droit d'organiser un referendum auprès des salariés. Et si une majorité des salariés approuvent l'accord, alors celui-ci sera considéré comme valide... même si des syndicats représentant 50% des salariés ne l'ont pas conclu.
    Pour certains syndicats, cette mesure sera une façon de contourner la représentation syndicale majoritaire, tandis que le gouvernement argue qu'elle doit permettre de débloquer le dialogue social.
    L'accord offensif sur l'emploi
    Une entreprise pourra, en cas d'appel d'offres, imposer un temps de travail spécifique et une nouvelle organisation du travail. En revanche, elle ne pourra pas modifier le salaire mensuel. Les salariés récalcitrants pourront faire l'objet d'un licenciement individuel pour motif économique.
    Temps de travail : l'accord d'entreprise prime
    Le gouvernement renonce finalement à instaurer un "droit de véto" au profit des branches à l'encontre d'accords d'entreprise qui dérogeraient trop à une règle instituée par une branche. Il ne restera qu'un simple "droit de regard". Concrètement donc, notamment en matière de temps de travail, une entreprise pourra conclure un accord d'entreprise dérogatoire à un accord de branche et pas seulement dans un sens plus favorable aux salariés... Par exemple, si un accord de branche fixe le taux de bonification des heures supplémentaire à 20%, une entreprise pourra abaisser ce niveau sans pour autant aller en deçà de 10%. Le principe de "faveur" ne jouera pas. Autrement dit, le salarié ne pourra pas invoquer le fait que l'accord de branche lui soit plus favorable.

    La Tribune :: lien

    http://www.voxnr.com/cc/di_varia/EuyFpkyukZNmSMzyOg.shtml

  • Le Lundi de Pentecôte travaillé ne rapporte rien

    Selon la CFTC :

    "Sous l’affichage « journée de solidarité » a été instauré une taxe sur les salaires de 0,3%. C’est ce prélèvement mensuel dit-contribution solidarité autonomie- qui rapporte plus de 2 milliards par an.

    Quand un salarié se voit imposer de travailler une journée sans être rémunéré le calcul est simple : 0,3% de 0 égale 0.

    Au-delà du principe inacceptable, faire travailler des salariés sans les rémunérer, cette mesure arbitraire se traduit concrètement par nombres d’aberrations.

    Pour n’en citer que deux :

    • Est-il juste qu’un employé de supermarché puisse être obligé de travailler gratuitement un jour férié, alors qu’un agent de la SNCF est censé travailler 1 mn 52 de plus par jour pour s’acquitter de la journée dite « de solidarité » ?
    • Pour quelle raison, les professions libérales ne sont-elles pas assujetties à une journée « dite de solidarité » ?

    Pour la CFTC, il est indispensable qu’un effort financier important soit fait au profit des personnes dépendantes et handicapées, encore faut-il que cet effort soit justement réparti et organisé. Fondamentalement attachée au principe « tout travail mérite salaire », la CFTC couvre par un mot d’ordre de grève tout salarié du secteur privé que son employeur voudrait faire travailler gratuitement le lundi de Pentecôte ou tout autre jour qualifié de « journée de solidarité »."

    Bref : lundi venez à Chartres. La messe de clôture du pèlerinage de Chrétienté est à 15h00.

    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html