Il était un peu plus de minuit. La réunion du sommet de Varsovie était terminée depuis plusieurs heures. Ce 10 juillet s'annonçait déjà comme une belle journée estivale. Pourquoi ne pas écouter ce qu'on appelle "les nouvelles", celles du journal télévisé du "service public" Soir 3. Pourquoi ne pas espérer un minimum d'informations autres que celles du sport spectacle ? Pascal Verdeau, spécialiste des sujets euro-diplomatique devait évoquer brièvement les débats entre alliés.
Qu'en a-t-il retenu ? à l'entendre, un message d'apaisement car il considère, et il conclut son analyse, en disant que, sur la Crimée, dont les Européens ont condamné en 2014 la conquête militaire, suivie de l'annexion unilatérale par la "fédération" de Russie, désormais, "la page est tournée".
Page tournée ? Certainement pas. Désinformation totale.
Au contraire : les textes adoptés par l'alliance atlantique méritent d'être lus. Ils développent exactement le contraire : ils entendent tirer toutes les leçons du comportement de Poutine et de son régime. Sans doute M. Verdeau, en dépit de sa jolie diction de technocrate et de son accent de bon élève n'a-t-il pas disposé du temps de les découvrir.
La grande crainte que semblait afficher, de son côté, le presse française portait sur les retombées supposées du Brexit. Du point de vue de l'Otan, il ne s'est en fait rien passé. L'Angleterre reste, à l'évidence, un partenaire occidental majeur. Sa préférence pour "le Grand Large" ne signifie d'ailleurs pas autre chose.
L'Alliance atlantique, ce 9 juillet a diffusé, en réalité, plusieurs décisions qui feront date : sur l'Ukraine (1), sur la doctrine de protection des civils, sur la sécurité transatlantique, sur l'Afghanistan, et surtout un communiqué central en 139 points fixant une très riche doctrine stratégique pour l'avenir. Le secrétaire général de l'organisation Jens Stoltenberg a très officiellement mis en garde contre la menace moscovite. Des décisions immédiates ont été prises pour consolider la sécurité européenne à l'est, comme au sud.
Certes si on se cantonne dans l'idée fort attirante de défense européenne, à laquelle j'ai toujours été prêt à applaudir, les choses n'ont pas avancé depuis un demi-siècle, les embryons successifs ont tourné court.
Le prétendu standard européen de dépenses militaires fixé à 2 % du produit intérieur brut n'est atteint à ce jour que par 3 États-Membres de l'union européenne sur 28. Il s'agit de la France, de la Grande-Bretagne, qui aux dernières nouvelles quitte le navire, et de la Grèce que l'on ne cite que rarement en exemple.
L'UEO, cette identité européenne de défense douloureusement accouchée lors de la négociation de Maastricht en 1991, et ratifiée par le traité, a été liquidée officiellement en 2011.
La réalité demeure que la bataille concrète pour la sécurité européenne se situe, aujourd'hui, dans le cadre de l'Otan.
Le 8 juillet, au terme de la première journée de leurs travaux, les chefs d'États et de gouvernements de l'Alliance atlantique avaient déjà diffusé d'importants communiqués tendant à affirmer le rapprochement de l'Union européenne et de l'Otan.
Également les quatre pays membres de l'Alliance et de l'UE les plus proches de la Russie, soit la Pologne et les trois républiques baltes allaient recevoir une garantie au titre de l'article 5 du traité de l'Atlantique nord, etc.
Ces informations auraient pu être intériorisées par nos journalistes.
À Moscou, en tout cas, on en a pris conscience. Ainsi "Moscou demande à l’Alliance atlantique d'expliquer son renforcement "tous azimuts" lors de la réunion du Conseil Russie-Otan prévue pour le 13 juillet prochain, a indiqué la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova, se référant aux documents du sommet du bloc à Varsovie." - peut-on lire sur Sputniknews. (2)
Un autre aspect de la même réalité était souligné par Jean-Sylvestre Mongrenier dans un entretien publié par Libération : "On se retrouve, dit-il, bel et bien dans une forme de guerre froide". (3)
Un point très important a été arrêté : si le déploiement dans les États baltes et en Pologne a vocation à impliquer la Grande Bretagne, les États-Unis et le Canada, et l'Allemagne.
Cette présence dont l’Alliance affirme qu'elle n'affectera pas les accords OTAN-Russie"n’aura pas de durée limitée. Elle durera autant que nécessaire" aux dires mêmes de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan présentant l'accord le 8 juillet.
Rappelons aussi, par exemple, que les Lituaniens ont remis en vigueur le service militaire obligatoire en 2015 du fait des craintes résultant de la crise ukrainienne.
Certains détails parlent : est-ce par hasard si le lieu de la réunion coïncide avec celui, à l'est de la Vistule, où l'armée rouge s'est fixée en 1944, appelant la résistance polonaise à l'insurrection, et, sur ordre de Staline, laissant massacrer l'armée secrète du général Bor-Komorowski, avant de s'emparer de Varsovie en ruines. La plupart des Français l'ignorent. Les Polonais ne l'ont pas oublié.
D'autres évolutions se dessinent par ailleurs, tendant à renforcer l'Otan, ce qui est clairement dénoncé comme insupportable par l'État moscovite. L'heure reste à l'élargissement. Il a été acté le 9 juillet de l'adhésion du Monténégro en tant que 29e membre de l'alliance. On parle clairement d'un processus d'adhésion de la Géorgie, mais également à terme, de l'Ukraine. Bien plus, la Suède et la Finlande, traditionnellement neutres renonceraient à ce statut en raison des agissements russes en Baltique et de la menace sur l'île suédoise de Gotland au centre de cet espace à nouveau menacé.(4)
L’attention s’est surtout portée sur la garantie de la sécurité des pays baltes, de la Pologne mais aussi sur celle des pays de la région de la mer Noire. À noter à e tire que la Bulgarie s'est prononcée par la voix de son président Rosen Plevneliev en faveur d'une présence de l'Otan en mer Noire, vite approuvée par les alliés, cependant que le premier ministre à Sofia déclare pencher pour une, "démilitarisation" (5) qui supposerait le retrait de la marine russe de Sébastopol.
Ceci semble prouver la fausseté de l'idée que l'annexion de la Crimée serait passée par profits et pertes : elle montre au contraire que se renforce dans les pays autrefois soumis au joug soviétique, un très fort sentiment d'hostilité à la menace qu'elle représente.
Face au terrorisme, la question ne peut pas être esquivée de l'équilibre entre les missions définies par l'article 5 et les missions hors de cet article. L'article 5 de défense collective définit la mission de l'Otan. La lutte contre le terrorisme pour l'Otan en découle d'autant plus que c'est bien la combinaison de deux menaces potentielles, à l'est et au sud, qui aggrave le défi à la fois stratégique, militaire et politique de l'Otan dans son ensemble.
Certes on peut trouver deux ou trois fausses notes dans cette réunion de 28 alliés. La déclaration hypocrito-ramollo de Hollande, ou la prise de position de Tsipras allant dans le même sens, ne sauraient être tenues pour "décevantes" que pour ceux qu'un Hollande ou un Tsipras peuvent encore "décevoir".
Nous ne sommes pas du nombre.
JG Malliarakis
Apostilles
- "Une Ukraine indépendante, souveraine et stable, fermement attachée à la démocratie et à l'état de droit, est essentielle à la sécurité euro‑atlantique. Nous restons unis dans notre soutien à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine à l'intérieur de ses frontières internationalement reconnues, ainsi qu'à son droit inhérent de décider librement, sans ingérence extérieure, de son avenir et de l'orientation de sa politique étrangère, principe inscrit dans l'Acte final d’Helsinki." (in Déclaration commune dans le cadre de la commission OTAN-Ukraine au niveau des chefs d’État et de gouvernement en date du 9 juillet).⇑
- "L'Otan se renforce tous azimuts" in Sputnik News. ⇑
- in Libé du 7 juillet, entretien réalisé par Estelle Pattée. ⇑
- cf. "Trois mots sur l’île de Gotland" chronique de Charles Hægen in L'Ami Hebdo édition du 19 juin. ⇑
- cf. le 7 juillet "Bulgaria to Call for Enhanced NATO Presence in Black Sea at Warsaw Summit". ⇑
"La Faucille et le Croissant"
– Islamisme et Bolchevisme au congrès de Bakou
présenté par Jean-Gilles Malliarakis
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