N’en déplaise aux plumitifs de Libération, qui découvrent que le Rassemblement National se réapproprie une notion passée à gauche et qui essaient de nous faire croire que l’écologie de gauche, c’est bien, tandis que l’écologie de droite, c’est mal. Amusant :
On avait pris l’habitude de voir le Rassemblement national (RN) imposer ses mots et ses sujets (sécurité, immigration, terrorisme) dans le débat public. Le voici qui s’aventure sur un terrain qui n’est pas le sien : «l’écologie politique». Sa présidente, Marine Le Pen, présentait lundi 15 avril le «manifeste» européen de RN en vue des élections de mai. Résultat : un nouveau slogan, «Priorité au local avant le global», un texte qui appelle à l’émergence d’une «civilisation écologique européenne». Et les principes d’une écologie politique nationaliste : «localiste» et «enracinée», à rebours de l’«idéologie du nomadisme»,«hors-sol»pour bobos «mondialistes, globalistes» et «sans-frontiéristes».
«Nationalisme intégral»
Les Français d’abord, la planète ensuite. Nouveau mantra pour une écologie d’extrême droite ? Pour comprendre ce twist écolo, un concept-clé : l’«écologie intégrale». La présidente du RN ne le dit pas comme cela mais tout dans le nouveau discours de son parti fait écho à cette notion à la croisée du souci de l’identité française et de la préservation de l’écosystème. L’une de ses premières occurrences apparaît en 1984 dans un numéro de la publication royaliste, Je suis français. Jean-Charles Masson, un idéologue très catholique, y pose les «jalons pour un écologisme intégral», tout droit inspiré du «nationalisme intégral» de l’écrivain xénophobe de l’Action française, Charles Maurras. Dans son texte, Masson prône un «réenracinement» de la France afin de «dénomadiser» culturellement le pays au nom du respect de la «nature éternelle», «seul moyen» de sa «renaissance». Quarante ans plus tard, ces mots-clés sont employés par les nouveaux cadors du parti d’extrême droite, tout juste passé en tête des intentions de vote pour les européennes.
Mais, depuis quelques années, c’est une autre frange de la droite qui déterre la notion d’écologie intégrale et opère un travail idéologique de fond par l’intermédiaire de sa «revue d’écologie intégrale» lancée en 2015, Limite. Ses plumes réacs, aussi jeunes que radicales, s’appellent Eugénie Bastié, polémiste au FigaroVox, plateforme de débats souverainistes du Figaro, Marianne Durano, agrégée de philosophie et auteure de Mon corps ne vous appartient pas (Albin Michel), et Gaultier Bès de Berc, professeur agrégé de lettres modernes et co-initiateur des Veilleurs, organe émanant de la Manif pour tous. En 2014, ces deux derniers publient Nos limites. Pour une écologie intégrale (avec Axel Norgaard Rokvam, éditions Le Centurion), un essai manifeste qui s’en prend aux sociétés marchandes sans «frontières entre les cultures», entre «l’homme et la femme» et dessine les contours d’un idéal «d’entraide» et «de sobriété» qu’offrirait l’écologie intégrale. Leur cheval de bataille : la protection de la vie, de la planète à l’embryon humain, entre décroissance anticonsumériste à la Pierre Rabhi et militantisme «pro-vie» (anti-avortement, anti-euthanasie, etc.). Avec eux, fini le temps où Christine Boutin défendait les convictions catholiques la Bible à la main. La jeune garde de Limite joue des codes hédonistes de la contre-culture des années 60 et manipule des références philosophiques et littéraires éclectiques : Bernanos, Debord, Pasolini, Orwell, Ellul, Latouche ou encore Simone Veil [Sic ! au lieu de Simone Weil. NDMJ]. Un comble pour ces néotradis en guerre contre la marchandisation des corps et «la dictature de la médecine sur les femmes». Plus sulfureux encore, le royaliste Jacques de Guillebon a également participé à la création de Limite. Personnage incontournable dans l’entourage de Marion Maréchal, le journaliste pour qui l’homosexualité est un «désordre mental» a ensuite cofondé le magazine ultraréac l’Incorrect ainsi que l’Issep à Lyon, école destinée à former la future élite de l’extrême droite française. De quoi présager un débouché politique à l’écologie intégrale version catho ?
Preuve que l’écologie intégrale se situe au cœur de la recomposition idéologique des droites dures, le concept ressurgit une première fois en 2000 dans un manifeste du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece), cercle de pensée aussi connu sous le nom de «Nouvelle Droite», rédigé par le philosophe Alain de Benoist et l’essayiste Charles Champetier. Contre la «démonie productiviste», le Grece prend également position pour une «écologie intégrale» qui «doit en appeler au dépassement de l’anthropocentrisme moderne et à la conscience d’une co-appartenance de l’homme et du cosmos». Depuis, ce courant d’inspiration néopaïenne, qui pourfend aussi bien la mondialisation que le judéo-christianisme, développe une critique virulente de l’individualisme libéral à travers son rejet de la «religion des droits de l’homme» et dénonce le «péril» de l’immigration dans son magazine d’idées, le bimestriel Eléments.
Loin d’être matière à conflit entre cathos ultras et néopaïens, la récupération du terme d’«écologie intégrale» fait l’objet d’une convergence marquée par des allers-retours entre les deux courants. Comme cet entretien de la philosophe chrétienne Chantal Delsol, paru en juin 2016 dans Eléments, et dans lequel elle prône une alliance avec les écologistes païens de la Nouvelle Droite. Ou les incursions d’Eugénie Bastié en «une» d’Eléments, toujours, comme pour dénoncer le «féminisme punitif» à la #MeToo. Inversement, De Benoist voit ses thèses sur le populisme reprises avec enthousiasme par la jeune garde antimoderne aux manettes du FigaroVox.
Même le pape François s’est mis à l’écologie intégrale. Notion qu’il cite abondamment dans son encyclique Laudato si’ («loué sois-tu») de 2015 «sur la sauvegarde de la maison commune», afin d’articuler la crise climatique et les inégalites sociales. Une version rafraîchie de la doctrine sociale de l’Eglise et des précédents discours des papes Jean Paul II et Benoît VI sur l’«écologie humaine». «Il s’agit d’un “anthropocentrisme catholique” où l’homme est le gardien de la création de Dieu, la Nature, et doit la protéger pour la restituer telle quelle», explique Ludovic Bertina, sociologue à l’IMT Atlantique (programme transition énergétique et sociétale) et auteur d’une thèse sur «l’Appropriation du référent écologiste par le catholicisme en France».
Une aubaine pour la jeune garde de Limite qui s’accapare le concept pour diluer ses valeurs morales dans un écologisme promouvant les circuits courts et la permaculture. «En utilisant le terme d’”écologie intégrale’’, ils parviennent à toucher une catégorie de la population qui n’aurait pas été sensible au langage de la théologie chrétienne, explique Bertina. Pour convaincre, ils emploient un langage pseudo-scientifique porté sur la protection de la nature.» En ligne de mire : les catholiques d’«ouverture», moins intransigeants sur la famille ou les questions de bioéthique, et plus attentifs au respect de la dignité des êtres humains en général. L’écologie intégrale, du greenwashing pour intégristes ? Ce mode de pensée n’est, en tout cas, pas étranger à la croisade «antigenre» orchestrée par des groupes catholiques depuis les années 90, en France et en Italie notamment, afin de réaffirmer l’«ordre naturel» de la sexualité.
Versant économique
Les tentatives de rapprochement de cette nouvelle cathosphère verte avec des militants écologistes radicaux et anticapitalistes à Notre-Dame-des-Landes ou au barrage de Sivens lui valent également le surnom de «zadistes de droite». En 2017, Limite ouvre même ses portes à l’ex-militant du Larzac et député européen José Bové, ouvertement opposé à la PMA, qu’il compare dans les pages de la revue à l’eugénisme.
Décidément plus identitaires qu’écolos, ces militants se font surtout remarquer pour leur acharnement contre les «dérives» du libéralisme culturel, reprenant les thèses du philosophe Jean-Claude Michéa, populiste revendiqué et ennemi du libéralisme économique et culturel, dont les essais très critiques envers la pensée de Mai 68 et le progressisme en général, nourrissent la réacosphère intello. Et laissent entrevoir plusieurs sensibilités sur le versant économique. Ainsi, le premier numéro de Limite contient un éloge du théologien britannique Phillip Blond, inspirateur de la big society, politique menée par l’ex-Premier ministre, David Cameron, pas vraiment opposée à l’économie de marché. «C’est un renouvellement de la pensée conservatrice la plus traditionnelle, qui charge autant la prétention de l’Etat à résoudre les problèmes sociaux que le libéralisme destructeur des solidarités, explique Serge Audier – philosophe, maître de conférences à Paris-Sorbonne, auteur de la Pensée anti-68 et la Société écologique et ses ennemis (La Découverte, 2008, 2017). Un conservatisme de troisième voie, compassionnel, à la posture antilibérale mais qui s’accommode, en réalité, d’une ligne conservatrice libérale.»
Brouillage des lignes
Du côté du RN, cette nouvelle pensée alliant écologie et nationalisme s’est trouvé une nouvelle tête de gondole en la personne d’Hervé Juvin, intellectuel et essayiste de 63 ans, ancien conseiller de l’ex-Premier ministre centriste, Raymond Barre. Cinquième sur la liste RN pour les européennes, cet «identitaire écolo», adepte de la théorie du «grand remplacement» et collaborateur d’Eléments, résumait, le 18 avril sur France Inter, sa vision de l’écologie : «La biodiversité animale et végétale est essentielle mais la diversité des sociétés humaines est encore plus importante à mes yeux, et cette diversité est protégée par la frontière.»
Qu’elle soit néopaïenne et aux revendications populaires tendance Nouvelle Droite ou catho-tradi, plus élitiste, version Limite, l’écologie intégrale converge, in fine, vers la stricte défense de l’identité française et du national-conservatisme, allergique, dans les deux cas, à l’appel de l’égalité et de l’émancipation des individus, pensé par les Lumières.
Autre point d’accointance entre ces deux courants, un positionnement «ni droite ni gauche» propice au brouillage des lignes idéologiques. A force, «le terme d’écologie intégrale est devenu polysémique», constate Audier. Voire «fourre-tout», note le politologue et spécialiste des droites radicales Stéphane François. Et même dénué de toute coloration idéologique précise.
A tel point que la notion est maintenant disputée sur sa gauche par le philosophe Dominique Bourg et l’ex-ministre socialiste de l’Ecologie, Delphine Batho. La députée des Deux-Sèvres, qui s’est lancée dans la course aux européennes avec la liste Urgence écologie, vient de publier son propre manifeste d’Ecologie intégrale (éditions du Rocher). Le duo dépeint un projet de révolution écologique dépassant le clivage gauche-droite, émancipateur, en rupture avec le capitalisme, où l’utilisation des ressources naturelles serait limitée dans une «économie permacirculaire». Pour sa campagne, la liste de Batho et Bourg fait alliance avec le Mouvement écologiste indépendant (MEI) d’Antoine Waechter, qui fut l’un des inventeurs de l’écologie «ni de droite ni de gauche». Ex-candidat à l’élection présidentielle de 1988, il est l’auteur du Sens de l’écologie politique (2017), coécrit avec Fabien Niezgoda. Cette présence dans l’orbite d’Urgence écologie interroge : collaborateur d’Eléments et engagé au sein du MEI, Niezgoda a appelé à voter Marine Le Pen à la présidentielle de 2017, après avoir participé à une table ronde sur l’agriculture aux Rendez-vous de la droite identitaire à Béziers en 2016. Signe de la confusion idéologique du moment.
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