culture et histoire - Page 1102
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[Guerre de Sécession] La Guerre de Sécession - Épisode 8
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La géographie sacrée de Douguine: la Russie au coeur de la tradition
Régulièrement sous le feu des projecteurs pour sa supposée influence sur le Kremlin, Alexandre Douguine a repris et développé le concept géopolitique d’Eurasie. À travers cette notion, il prône le recours à la géographie sacrée et à la tradition dans la géopolitique contemporaine.
Pour Douguine, la géopolitique n’est pas une science comme les autres. Si l’alchimie et la magie ont disparu au profit de leurs formes modernes et séculières que sont la chimie et la physique, la géographie sacrée des Anciens reste vivante à travers la géopolitique. Rappelant la théorie du Heartland du géopoliticien britannique Mackinder, Douguine fait de l’Eurasie la pièce maîtresse de la géographie sacrée. Avec la Russie en son centre, l’Eurasie incarnerait le dernier bastion de la tradition dans l’hémisphère nord, seul capable de lutter efficacement contre la modernité.
Le penseur russe prétend que la géographie façonne les idéologies, les cultures et les religions. Les civilisations des plaines, des steppes ou des déserts, propices à l’expansion et à la conquête, diffèrent par exemple des civilisations des montagnes et des forêts, lesquelles sont plus enclines à conserver les traditions des peuples. Douguine défend également la pertinence de l’opposition traditionnelle thalassocratie – tellurocratie, utilisée pour qualifier deux types distincts de puissances. Celles qui dominent par la maîtrise de la mer et celles qui dominent par la maîtrise de la terre, étant précisé que ces modes de domination ne seraient pas anodins sur le plan idéologique.
Selon Douguine, la tellurocratie incarnerait la stabilité, la pesanteur, la fixité et le politique, tandis que la thalassocratie promouvrait la mobilité, la fluidité, la dynamique et l’économie. Alors que les empires terrestres, souvent militaires, seraient de forme tellurocratique, les empires coloniaux, plus commerciaux, seraient davantage thalassocratiques. Cependant, le géopoliticien remarque que cette typologie ne se résume pas à une simple opposition eau/terre et à un déterminisme géographique strict. Il existerait ainsi des terres maritimes (les îles) et des eaux terrestres (les fleuves et les mers intérieurs). De même, Douguine remarque que la géopolitique japonaise est de type tellurocratique malgré son caractère insulaire, tandis qu’il voit dans la puissance du continent nord américain une thalassocratie qui repose sur le dynamisme de ses interfaces maritimes et commerciales. En appliquant cette grille de lecture, le penseur russe considère que l’Eurasie, continent terrestre allant de l’Europe à l’Asie et dont le centre de gravité se situe en Russie, pourrait constituer le modèle tellurocratique opposé aux atlantistes États-Unis d’Amérique.
Géographie sacrée et religions
Dépassant le strict cadre de la géographie, ce dualisme se retrouverait au sein des systèmes religieux. Les valeurs de la terre transposées au religieux se manifesteraient par la profondeur, la tradition, la contemplation et le mysticisme. Le principe atlantiste serait au contraire plus superficiel et matérialiste, accordant la primauté au rite, à l’organisation de la vie quotidienne et pouvant aller jusqu’à méconnaître la part de divin dans l’homme. Douguine voit ainsi dans l’orthodoxie l’aspect terrestre du christianisme, tandis que le catholicisme et le protestantisme en constitueraient la face atlantiste. De même, au sein de l’islam, le principe terrestre se retrouverait davantage dans certaines branches du chiisme et dans le soufisme. Au contraire, le salafisme et le wahhabisme seraient davantage atlantistes par l’importance accordée au rite et par leur dogmatisme religieux désireux d’éradiquer les spiritualités traditionnelles des peuples convertis. Face au protestantisme américain et au salafisme saoudien, dont Douguine fait remarquer les alliances géopolitiques depuis 1945, le monde russe réunit au contraire des religions de type tellurique avec l’orthodoxie russe mais aussi l’islam caucasien et d’Asie centrale.
Quant au judaïsme, non seulement il n’échapperait pas à cette opposition interne, mais celle-ci se retrouverait aussi dans les formes séculières de la pensée juive. Douguine analyse les branches mystiques du judaïsme (hassidisme, sabbataïsme, kabbalisme) comme l’expression de l’aspect terrestre de cette religion. Au contraire, le talmudisme en représenterait l’aspect atlantiste notamment par l’accent mis sur la rigueur dogmatique et le rationalisme. Par ailleurs, rappelant l’influence du messianisme juif sur le développement du marxisme et du bolchevisme, Douguine voit dans ces derniers des formes séculières du judaïsme terrestre. Au contraire, le judaïsme atlantiste sécularisé aurait contribué à l’essor du capitalisme et de l’esprit bourgeois. Le géopoliticien russe voit dans cette tension interne au judaïsme l’explication d’un récurrent « antisémitisme juif ». Les propos de Karl Marx, affirmant notamment que l’argent serait le Dieu profane du judaïsme (La question juive), seraient l’incarnation empirique du juif mystique s’attaquant au juif talmudiste, soit une émanation de la tradition contre une forme de la modernité.
Actualisation de l’éternelle lutte entre tellurocratie et thalassocratie, mais aussi fondement sous-jacent de la guerre entre tradition et modernité, l’opposition entre eurasisme et atlantisme ne résume pas la vision de la géographie sacrée selon Alexandre Douguine. Celui-ci s’appuie également sur les dualismes Orient – Occident et Nord – Sud. Pour le chantre de l’eurasisme, l’Orient incarne l’archaïsme, la tradition et la primauté du supra-individuel sur l’individu. L’Occident représente au contraire le progrès matériel, la modernité et l’individualisme. Fidèle aux représentations géographiques de nombreuses traditions (biblique, égyptienne, iranienne ou encore chinoise), cette opposition est également corroborée par les représentations contemporaines fréquentes du « monde occidental » et de l’Orient. Cependant, dans la géographie sacrée, ce sont les valeurs orientales qui sont supérieures aux valeurs occidentales. On peut observer l’exact inverse dans la géopolitique moderne pour laquelle les valeurs occidentales de la démocratie libérale et des individualistes droits de l’homme associées à une stricte économie de marché sont érigées en modèle.
La tradition du Nord
Aux yeux de Douguine, le couple Orient – Occident ne serait cependant qu’une transposition horizontale tardive du couple géographique primordial opposant le Nord au Sud. Terre divine par excellence, le Nord serait la terre de l’esprit et de l’être. S’il refuse l’idée d’un Nord purement objectif qui désignerait uniquement un pôle géographique, le philosophe russe écarte toutefois la définition d’un Nord réduit à une idée. Certes, la tradition primordiale serait issue du nord géographique, mais cette époque serait révolue. L’homme du Nord, presque divin, aurait aujourd’hui disparu en tant que tel mais serait toujours présent de façon diffuse et dans des proportions variables au sein de tous les peuples. Il en est de même de l’homme du Sud, celui-ci incarnant la tendance au matérialisme et à l’idolâtrie. Si l’homme du Sud vénère le cosmos, souvent sous la forme de la Terre – Mère, il ne l’appréhende que par son instinct et se montre incapable d’en saisir la part spirituelle. Ces deux types d’homme ne s’opposeraient plus aujourd’hui frontalement mais à l’intérieur même des peuples et des civilisations. En aucun cas, cette opposition ne peut être comparée à un combat manichéen du bien contre le mal. Le Nord et le Sud sont complémentaires, le premier s’incarnant dans le second. Néanmoins, Douguine estime que le respect de l’ordre divin nécessite la supériorité du principe spirituel du Nord sur le principe matériel du Sud.
Bien que l’opposition entre le Nord et le Sud prime pour lui sur celle entre l’Est et l’Ouest, le stratège russe remarque que le premier couple prend une coloration différente selon les transpositions géographiques qui s’opèrent. Diverses combinaisons peuvent être formées par la spiritualité du Nord, le matérialisme du Sud, le holisme de l’Est et l’individualisme de l’Ouest. Douguine établit ainsi que les valeurs sacrées du Nord sont conservées stérilement par le Sud, mises en valeur par l’Est et fragmentées par l’Ouest. Quant aux valeurs du Sud, selon leur milieu d’immersion elles opacifient l’esprit du Nord, transforment le holisme oriental en négation pure de l’individu, et génèrent un matérialisme individualiste en Occident. C’est sous cette dernière forme que la modernité occidentale apparaît aux yeux du philosophe eurasiste. Fruit de la combinaison la plus négative de la géographie sacrée, la réussite supposée des pays occidentaux pourtant essentiellement situés au nord géographique prône des valeurs opposées à la tradition. Cette inversion des pôles constituerait une caractéristique de l’âge sombre, ou Kali Yuga, dans lequel le monde se trouverait aujourd’hui.
Néanmoins, Alexandre Douguine ne considère pas que le salut doive venir du Sud. Stérile par essence, celui-ci serait uniquement apte à conserver des fragments de tradition nordiste que le mystique russe perçoit dans le monde islamique, dans l’Inde hindouiste, voire dans la Chine malgré sa conversion partielle à la modernité. Le salut viendrait donc de l’alliance entre ce sud conservateur et les îlots de tradition authentique encore présent au nord, et particulièrement au nord-est. Douguine situe donc dans le monde russe le cœur actuel de la tradition et de la lutte contre la modernité. Incluant la Russie mais également ses diverses périphéries, le monde russe réunirait des qualités géographiques (être situé au nord-est au sens de la géographie sacrée), religieuses (orthodoxie, islam eurasiste, judaïsme russe) et les caractéristiques d’une puissance tellurique qui lui permettraient de jouer un rôle déterminant dans la lutte contre la modernité atlantiste, occidentale et opposée à l’esprit du Nord.
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Fondamentaux d'Action Française • Pays réel, pays légal
Un article de Stéphane BLANCHONNET paru dans à-rebours.fr et dansL'AF2000. Et un article parmi plusieurs autres qui rappellent utilement les fondamentaux de la politique d'Action française. LFAR
L'opposition pays réel, pays légal a d'abord un sens politique. Elle prend place dans la critique d'ensemble adressée par Maurras au fonctionnement de la République jacobine. Le pays réel (on parle aujourd'hui de la société civile dans ce sens) s'est vu privé de toute autonomie, dépouillé de toute liberté concrète (alors qu'une Liberté abstraite et absolue était proclamée solennellement), par un pouvoir centralisé s'occupant de tout, s'immisçant partout, au détriment des anciens corps intermédiaires mais aussi du bon exercice des fonctions propres du pouvoir central, les fonctions régaliennes. C'est en ce sens qu'Anatole France affirmait : « nous n'avons point d'État, nous avons des administrations ».
Mais cette opposition peut être comprise à un niveau plus profond. Le pays réel c'est alors la France historique, la France millénaire, forgée par les rois, le catholicisme, l'héritage gallo-romain et grec. Il s'agit d'un peuple avec sa langue, sa sensibilité, ses mœurs, sa manière de manger, de vivre, d'aimer. Le pays légal c'est alors le régime républicain lui-même avec sa philosophie universaliste, abstraite, désincarnée, héritée des Lumières.
Ces deux lectures de la dichotomie maurrassienne sont plus actuelles que jamais. Le populisme dont tout le monde parle n'est pas autre chose que la volonté de rendre à la population un pouvoir que les systèmes représentatifs lui ont confisqué au profit d'une élite qui se reproduit en vase clos et dont la légitimité est de plus en plus contestée. Par ailleurs, le déracinement, causé par l'américanisation et le consumérisme conjugués à l'immigration de masse, produit aujourd'hui une réaction identitaire, forte et salutaire, qui oblige certains politiques à dépasser le nationalement correct et à aller chercher un remède à la crise au-delà de l'invocation rhétorique à la République et à ses prétendues valeurs, pour renouer avec la France charnelle et substantielle. •
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Intervention de Philippe Conrad au colloque de l’IGP sur l’islamisation de la France.
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[Guerre de Sécession] La Guerre de Sécession - Épisode 7
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La droite et le libéralisme
Maurras rappelle une réticence classique des droites vis-à-vis du libéralisme quand il énonce : « la liberté de qui ? la liberté de quoi ? c’est la question qui est posée depuis cent cinquante ans au libéralisme. Il n’a jamais pu y répondre » (Maurras, Dictionnaire politique et critique, 1938). Pour comprendre cette réticence, il faut remonter aux origines de la droite.
Août – septembre 1789 : à l’occasion du débat constitutionnel, les partisans du veto absolu (et non suspensif) du roi se situent à droite de l’assemblée. À gauche se placent les partisans d’un pouvoir royal faible. Dans le même temps, une partie des droites se prononce en faveur d’une constitution à l’anglaise fondée sur le bicaméralisme. De quoi s’agit-il ? Exactement de deux rapports très différents au libéralisme, et qui concernent dés l’origine les familles politiques qui se situent « à droite ». Être partisan d’un veto royal absolu signifie refuser l’autorité venue « d’en bas », c’est-à-dire du Parlement. C’est, d’emblée, défendre une conception transcendante du pouvoir, et considérer, avec Joseph de Maistre, qu’on ne peut « fonder l’État sur le décompte des volontés individuelles ». À l’inverse, être partisan du bicaméralisme signifie se méfier du peuple tout autant que du pouvoir. Tout en ayant comme point commun l’opposition à la toute-puissance de l’Assemblée constituante, ce sont là deux façons très différentes d’être « à droite ». Le paysage se complique plus encore en prenant en compte les arrière-pensées de chaque position.
Si le bicaméralisme est l’expression constitutionnelle assez claire d’un souci d’alliance ou de compromis entre la bourgeoisie montante et l’aristocratie déclinante, par contre, la revendication d’un pouvoir royal fort peut – et c’est une constante de l’histoire des familles politiques de droite – se faire en fonction de préoccupations non seulement différentes mais contradictoires : s’agit-il de donner au roi les moyens de liquider au profit de la bourgeoisie les pouvoirs nobiliaires qui s’incarnaient dans les anciens parlements, ou au contraire s’agit-il de pousser le roi à s’arc-bouter sur la défense de ces privilèges nobiliaires, ou bien encore de nouer une nouvelle alliance entre roi et peuple contre la montée de la bourgeoisie ? De même, le bicaméralisme a pour préoccupation d’affaiblir le camp des « patriotes » (c’est-à-dire de la gauche), et rencontre donc des soutiens « à droite ». Pour autant, est-il « de droite » dans la mesure où il relève d’une méfiance devant tout principe d’autorité ? En tant que moyen d’empêcher la toute-puissance de l’Assemblée constituante, ne relève-t-il pas indiscutablement du libéralisme, c’est-à-dire d’une attitude moderne qu’exècrent une grande partie des droites ?
Cette attitude moderne a ses racines, comme l’a bien vu Benjamin Constant, dans un sens différent de la liberté chez les Anciens et les Modernes. Le bonheur étant passé dans le domaine privé, et étant, sous cette forme, devenu « une idée neuve en Europe » (Saint-Just), la politique moderne consiste à ne pas tout attendre de l’action collective. La souveraineté doit ainsi être limitée, ce qui va plus loin que la simple séparation des pouvoirs. « Vous avez beau diviser les pouvoirs : si la somme totale du pouvoir est illimitée, les pouvoirs divisés n’ont qu’à former une coalition et le despotisme est sans remède » (Benjamin Constant). Tel est le principe de fond du libéralisme : la séparation tranchée des sphères privées et publiques. Conséquence : la crainte du pouvoir en soi. Car dans le même temps, la désacralisation du monde aboutit à ce que chacun estime – comme l’avait vu Tocqueville, avoir « un droit absolu sur lui-même », par déficit de sentiment de participation à la totalité du monde. En sorte que la volonté souveraine ne peut sortir que de « l’union des volontés de tous ». La réunion des conditions d’une telle unanimité étant à l’évidence difficile, – ou dangereuse – le libéralisme y supplée en affirmant le caractère « naturel » – et par là indécidable – de toute une sphère de la vie sociale : la sphère économique, celle de la production et reproduction des conditions de la vie matérielle. Rien de moins.
Un tel point de vue par rapport à l’économie et aux rapports de travail dans la société n’est caractéristique que de l’une des droites – une droite qui n’est pas « née » à droite mais qui a évolué vers le freinage d’un mouvement qu’elle avait elle-même contribué à engendrer. C’est en quelque sorte la droite selon le « droit du sol » contre la droite selon le « droit du sang ». Relève de la première l’homme politique et historien François Guizot, valorisant la marche vers le libéralisme avant 1789, mais cherchant à l’arrêter à cette date. C’est la droite orléaniste. Les autres droites, celles qui le sont par principe – et parce qu’elles croient aux principes – prônent l’intervention dans le domaine économique et social. « Quant à l’économie, on ne saurait trop souligner combien le développement d’une pensée sociale en France doit à la droite, remarque François Ewald. […] Il ne faut pas oublier que les premiers critiques de l’économie bourgeoise et des méfaits du capitalisme ont été des figures de droite (Villeneuve de Barjemont, Sismonde de Sismondi) (1). »
Cette critique des sociétés libérales par certaines droites n’est pas de circonstance. Elle s’effectue au nom d’une autre vision de l’homme et de la société que celle des libéraux. « Il y a une sociologie de droite, précise encore François Ewald, peut-être occultée par la tradition durkheimienne, dont Frédéric Le Play est sans doute avec Gabriel de Tarde le représentant le plus intéressant ». La pensée anti-libérale de droite est, de fait, jalonnée par un certain nombre d’acteurs et de penseurs importants. Joseph de Maistre et Louis de Bonald voient dans l’irréligion, le libéralisme, la démocratie des produits de l’individualisme. Le catholique Bûchez (1796 – 1865), pour sa part, défend les idées de l’association ouvrière par le biais du journal L’Atelier. Le Play, de son côté, critique « les faux dogmes de 1789 » : la perfection originelle de l’homme (qui devrait donc être restaurée), sa liberté systématique, l’aspiration à l’égalité comme droit perpétuel à la révolte. La Tour du Pin, disciple de Le Play, critique la séparation (le « partage ») du pouvoir, considérant que celui-ci doit s’incarner dans un prince, mais propose la limitation du pouvoir et la consultation de la société (civile) notamment par la représentation corporative : le refus du libéralisme n’équivaut pas à une adhésion automatique à l’autoritarisme.
Par contre, le refus d’une société réduite à des atomes individuels est une constante de la pensée de droite, de l’école contre-révolutionnaire aux divers traditionalismes. Maurras a défendu l’idée, dans ses Réflexions sur la révolution de 1789, que la loi Le Chapelier interdisant l’organisation des travailleurs était un des actes les plus néfastes de la Révolution. Il établit un lien entre celle-ci et le libéralisme pour, tous les deux, les condamner. « L’histoire des travailleurs au XIXe siècle, écrit Maurras, se caractérise par une ardente réaction du travailleur en tant que personne à l’encontre de son isolement en tant qu’« individu », isolement imposé par la Révolution et maintenu par le libéralisme (2). » Thierry Maulnier résumait de son côté l’opinion d’une Jeune Droite composante essentielle des « non-conformistes de années Trente » en écrivant : « Il devait être réservé à la société de structure libérale d’imposer à une catégorie d’individus un mode de dépendance qui tendait, non à les attacher à la société, mais à les en exclure (3) ».
L’Espagnol José Antonio Primo de Rivera formulait un point de vue largement répandu dans la droite française extra-parlementaire quand il évoquait, en 1933, la signification du libéralisme économique. « L’État libéral est venu nous offrir l’esclavage économique, en disant aux ouvriers : vous êtes libres de travailler; personne ne vous oblige à accepter telle ou telle condition. Puisque nous sommes les riches, nous vous offrons les conditions qui nous conviennent; en tant que citoyens libres, vous n’êtes pas obligés de les accepter; mais en tant que citoyens pauvres, si vous ne les acceptez pas, vous mourrez de faim, entourés, bien sûr, de la plus haute dignité libérale. »
Les critiques à l’égard du libéralisme énoncées par une partie des droites sont parallèles à celles énoncées d’un point de vue catholique par Louis Veuillot, puis par René de La Tour du Pin et Albert de Mun, promoteurs des Cercles catholiques d’ouvriers, qui furent confortés par l’encyclique Rerum Novarum (1891), mais dont les positions annonçaient avec cinquante ans d’avance celles de Divini Redemptoris (1937). C’est à ce moment que se met en forme, à droite (avec Thierry Maulnier, Jean-Pierre Maxence, Robert Francis, etc.), une critique du productivisme complémentaire de la critique du libéralisme. La Jeune Droiterejoignait sur ce point la critique d’auteurs plus inclassables (Drieu La Rochelle, Robert Aron, Arnaud Dandieu, …).
Si l’anti-productivisme, comme l’anti-économisme (celui par exemple de la « Nouvelle Droite » du dernier quart du XXe siècle) apparaissent par éclipse à droite, la condamnation du libéralisme est le noyau commun de la pensée de droite. Caractéristique dans sa banalité droitière même est le propos de Pierre Chateau-Jobert : « Le libéralisme, écrit-il, […] a pris la liberté pour seule règle. Mais pratiquement, c’est le plus fort, ou le moins scrupuleux, ou le plus riche, qui est le plus “ libre ”, puisqu’il a le plus de moyens (4) ». Droitiste d’une envergure plus considérable, Maurice Bardèche ira jusqu’à déclarer que, comme Jean-Paul Sartre, il « préfère la justice à la liberté ».
Cette conception de la liberté comme toujours subordonnée à d’autres impératifs explique que la droite soit à l’origine de nombreuses propositions sociales. En 1882, Mgr Freppel demande la création de retraites ouvrières. En 1886, Albert de Mun propose la limitation de la journée de travail à dix heures et, en 1891, demande la limitation du travail des femmes et des enfants. En 1895, le même de Mun demande que soit reconnue aux syndicats la possibilité de posséder de biens à usage collectif. En 1913, Jean Lerolle réclame l’instauration d’un salaire minimum pour les ouvrières à domicile (5).
Les projets de réorganisation des rapports sociaux de Vichy (la Charte du travail soutenue par nombre de syndicalistes) comportent de même des aspects socialement protecteurs. Enfin, la difficulté de réaliser des transformations sociales qu’a montré l’expérience de gauche de 1981 à 1983 permet de réévaluer les projets de participation et de « troisième voie » du Général de Gaulle et de certains de ses soutiens venus de la droite radicale comme Jacques Debu-Bridel, d’ailleurs anciens du Faisceau de Georges Valois.
La critique du libéralisme par la droite – hormis le courant orléaniste -, concerne tout autant l’économie que le politique. Le parlementarisme, expression concrète du libéralisme politique selon la droite est, jusqu’à l’avènement de la Ve République, accusé de fragmenter l’expression de la souveraineté nationale, et de la soumettre aux groupes de pression. Pour Barrès, « le parlementarisme aboutit en fait à la constitution d’une oligarchie élective qui confisque la souveraineté de la nation ». D’où sa préférence pour le plébiscite comme « idée centrale constitutive » : « le plébiscite reconstitue cette souveraineté parce qu’il lui donne un mode d’expression simple, le seul dont elle puisse s’accompagner ».
De son côté, Déroulède précise : « Vouloir arracher la République au joug des parlementaires, ce n’est pas vouloir la renverser, c’est vouloir tout au contraire instaurer la démocratie véritable ». Péguy, pour sa part, dénonce en 1902 le parlementarisme comme une « maladie ». Trente années plus tard, André Tardieu (1876 – 1945), chef d’une droite modernisatrice de 1929 à 1936, créateur des assurances sociales, député de Belfort (ville se dotant souvent de députés originaux), auteur de La révolution à refaire voit dans le parlementarisme « l’ennemi de la France éternelle ». Dans un contexte singulièrement aggravé, et énonçant le point de vue de la « Révolution nationale », Charles-Emmanuel Dufourcq, dans Les redressements français (6) concentre aussi ses attaques contre le parlementarisme et l’autorité « venue d’en-bas » comme causes, tout au long de l’histoire de France, des affaiblissements dont le pays n’est sorti que par le recours à l’autorité indiscutée d’un roi, d’un Napoléon ou d’un Pétain. Il manifestait ainsi une remarquable continuité – ou une étonnante absence d’imagination selon le point de vue – avec les tendances théocratiques de la Contre-Révolution.
En revanche, plus marginaux sont les secteurs de la droite qui se sont sentis concernés par la critique du parlementarisme effectuée par le juriste Carré de Malberg, qui inspirera René Capitant et les rédacteurs de la Constitution de 1958. Dès le XIXe siècle, aussi bien la droite dans ses composantes non-orléanistes que la gauche des démocrates et des socialistes – de Ledru-Rollin à Proudhon – sont en porte à faux par rapports aux mythes fondateurs de la modernité française. « L’objectif de 1789 […] consiste, indique Pierre Rosanvallon, à démocratiser, “ politiquement ”, le système politique, qui est d’essence absolutiste, et à libéraliser, “ sociologiquement ”, la structure sociale, qui est d’essence féodale (7) ».
La difficulté du processus tient dans sa simultanéité (et c’est la différence avec l’Angleterre). D’un côté, la gauche socialiste veut « républicaniser la propriété » (Jules Guesde), de l’autre, une certaine droite met en cause « les responsabilités des dynasties bourgeoises » (Emmanuel Beau de Loménie) et le libéralisme qui les a laissé prendre tant de place. Rien d’étonnant à ce que des convergences apparaissent parfois (le Cercle Proudhon avant 1914, les planistes et « non-conformistes des années Trente », le groupe Patrie et Progrès au début de la Ve République, …).
En effet, pour toute la période qui va du milieu du XIXe siècle à nos jours, la distinction proposée par René Rémond en 1954 entre trois droites, légitimiste, orléaniste, bonapartiste, apparaît peu adaptée. D’une part, l’appartenance du bonapartisme à la droite est très problématique : c’est un centrisme césarien. D’autre part, l’orléanisme est écartelé dès son origine entre conservatisme et libéralisme : conservatisme dont François Guizot est une figure centrale, qualifiée par Francis-Paul Benoît de « conservateur immobile, donc non libéral (8) », le libéralisme étant représenté, plus que par les économistes « classiques », par les saint-simoniens modernistes ralliés à Napoléon III.
À partir de 1870, le clivage qui s’établit, « à droite », oppose, plutôt que les trois droites de la typologie de René Rémond, une droite radicale (radicalement de droite, et non conjoncturellement radicalisée), voire une « droite révolutionnaire » (Zeev Sternhell) en gestation, et une droite libérale-conservatrice. L’organisation d’une « droite » libérale au plan économique, conservatrice au plan politique est en effet ce qui permet après le Second Empire le passage, sinon sans heurts, du moins sans révolutions de la France dans l’univers bourgeois et capitaliste. C’est à l’évidence à cette droite que pensait un jour François Mitterrand disant : « la droite n’a pas d’idées, elle n’a que des intérêts ». C’est la droite comme la désigne désormais le sens commun.
Entre la droite révolutionnaire (forme extrême de la droite radicale) et la droite libérale (qui n’est conservatrice que dans la mesure où un certain conservatisme, notamment moral, est le moyen de faire accepter le libéralisme), la vision de la politique est toute différente. Du point de vue libéral, dans la mesure où la souveraineté ne peut venir que du consensus, le champ de la « naturalité » économique et sociale doit être étendu le plus possible. À la suite des penseurs libéraux français comme Bastiat, Hayek affirme que « le contrôle conscient n’est possible que dans les domaines où il est vraiment possible de se mettre d’accord » (ils ne sont évidemment pas très nombreux).
Tout autre est l’attitude du radicalisme de droite (appelé souvent « extrême droite » avec de forts risques de contresens). Jean-François Sirinelli, coordinateur d’une Histoire des droites en France (9), remarque que « l’extrême droite aspire rien moins qu’à un état fusionnel de la politique ». Certes. En d’autres termes, elle aspire à retrouver – ou à inventer – un critère d’indiscutabilité du principe d’autorité, et du lien social lui-même. Conséquence : cette droite radicale tend à ne pas décliner son identité comme celle d’une droite, s’affirmant « ni de droite, ni de gauche » (Barrès, Valois, Bertrand de Jouvenel, Doriot, les hommes des Équipes d’Uriage, le Jean-Gilles Malliarakis des années 80, …), ou encore « simultanément de droite et de gauche » (la « Nouvelle Droite »).
La difficulté de caractériser la droite par des idées à amener certains analystes comme Alain-Gérard Slama à essayer de la définir par un tempérament. Celui-ci consisterait, selon Slama, dans la recherche du compromis. Cette hypothèse ne fait que souligner l’existence de deux droites, une droite libérale, et la droite radicale, que presque tout oppose. Si la première recherche effectivement les accommodements, la droite radicale se caractérise plutôt par la recherche d’un dépassement synthétique des contradictions du monde moderne. À divers égards, sous des formes et à des niveaux très différents, c’est ce qui rassemble Le Play, Péguy, Bernanos, Drieu la Rochelle, Charles de Gaulle. Dépassement des contradictions de la modernité : vaste programme… que ces hommes – pas toujours « à droite », mais sans doute « de droite » – n’ont jamais envisagé de mettre en œuvre par des moyens par principe libéraux.
Notes
1 : François Ewald, Le Magazine littéraire, « La droite. Idéologies et littérature », décembre 1992.
2 : cité dans Thomas Molnar, La Contre-Révolution, La Table Ronde, 1981.
3 : Thierry Maulnier, Au-delà du nationalisme, Gallimard, 1938, p. 153.
4 : Pierre Chateau-Jobert, Manifeste politique et social, Diffusion de la pensée française, 1973.
5 : Cf. Charles Berrias et Michel Toda, Enquête sur l’histoire, n° 6, 1992, p. 13.
6 : Charles-Emmanuel Dufourcq, Les redressements français, Lardanchet, 1943.
7 : François Furet, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, La République du centre. La fin de l’exception française, Calmann-Lévy, 1988.
8 : Francis-Paul Benoît, Les idéologies politiques modernes. Le temps de Hegel, P.U.F., 1980, p. 314.
9 : cf. Histoire des droites en France, Gallimard, trois volumes, 1992.
Le présent article, remanié pour Europe Maxima, est paru dans Arnaud Guyot-Jeannin (sous la direction de), Aux sources de la droite, L’Âge d’Homme, 2000.
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Charles de Foucauld : un grand Français et un grand chrétien
Jacques Richou et Les Amis de René Bazin viennent de faire paraître aux excellentes éditions Via Romana une Petite vie de Charles de Foucauld pour le centenaire de sa disparition. Ce livre est formé des éléments essentiels de l'ouvrage de l’académicien monarchiste et catholique, René Bazin, Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara, paru en 1921. Dans son amicale dédicace, Jacques Richou m'écrit : « Un exemple d'actualité par ses deux engagements au service de la patrie, de la terre, la France, et sa patrie céleste ».
La jeunesse de Charles Foucauld
Charles de Foucauld est né à Strasbourg le 15 septembre 1858. Son père, le vicomte de Foucauld de Pontbriand, sous-inspecteur des forêts, et sa mère, moururent en 1864, à quatre mois de distance. L'éducation de Charles et de sa sœur fut confiée à leur grand-père, qui avait à cette date près de soixante-dix ans : un grand-père aimant et indulgent à l'égard des colères de l'enfant qu'il considérait comme un signe de caractère. Car Charles était violent, ne supportant pas la moindre contrariété. On lira dans ce livre un exemple de ce caractère quelque peu forcené. Jusqu'à la guerre de 1870, il fut élevé dans une école dirigée par les prêtres du diocèse de Strasbourg, puis au lycée de cette ville. La guerre le chassa, avec sa soeur et son grand-père. Ils se réfugièrent à Berne, pour venir, en 1872, habiter Nancy. Il y perdit la foi. Il écrira que c'est pendant la rhétorique qu'il a perdu toute foi, « et ce n'était pas le seul mal ». Il dira : « À dix-sept ans, j'étais tout égoïsme, toute vanité, toute impiété, tout désir du mal, j'étais comme affolé. » Paresseux au possible, il se fait renvoyer de son école. Et il ajoute : « De foi, il n'en restait pas trace dans mon âme ». Mais il conserve une très profonde estime pour ses maîtres religieux. Il sera admis au concours de l'Ecole militaire en 1876. Pas brillamment, certes, puisqu'il sera l'un des derniers de la promotion. Le général Laperrine, qui sera son grand ami plus tard, dira : « Bien malin celui qui aurait deviné, dans ce jeune saint-cyrien gourmand et sceptique, l'ascète et l'apôtre d'aujourd'hui ». René Bazin, à la vue de ses portraits, écrit : « Un buste et un cou trop épais, un visage rond, empâté et sans style, qui n'a de beau que le front, droit et large, et la ligne à peine courbée des sourcils. Enfoncés dans l'orbite, les yeux, brillants et peu commodes, ont été rapetisses par la graisse qui les presse. Quant aux lèvres, indolentes, peu formées, elles sont de celles qui goûtent, parlent peu, et ne commandent pas. La chair domine ». Un portrait assez effarant... Comment Charles de Foucauld deviendra-il celui qu'il sera ? Bazin répond : « C'est le miracle de l'âme qui sculpte la carcasse et met sa signature. » Il aura, à Saint-Cyr, comme anciens, ou comme camarades, Pétain, Driant, Valombrosa, l'extraordinaire marquis de Mores. Il y vit « une existence de doux philosophe épicurien », dira son ami le duc de Fitz-James. La vie qu'il mènera, au sortir de Saint-Cyr, à Pont-à-Mousson, ne sera pas des plus catholiques. Bazin écrit : « Il menait la vie à grandes guides, faisant participer à des plaisirs variés, dont les plus raffinés paraissent être ceux de la table, de nombreux camarades et des compagnes aimables souvent renouvelées ». Bref, c'est ce que nous appelons trivialement aujourd'hui, un bringueur. Et puis, il eut l'ordre, avec le 4e hussard, de rejoindre Bône et Sétif. Il y fut suivi par une "créature", ce que les autorités n'apprécièrent que modérément. Il prit fort mal l’ordre de son colonel de la renvoyer en France, et se rebellant, eut droit à un rapport au ministre de la Guerre, un retrait d'emploi, pour indiscipline et inconduite, au printemps 1881. Mais voici la nouvelle de l'insurrection du marabout Bou-Amana qui prêchait la guerre sainte dans le Sud-Oranais. Il demanda son retour à l'armée, acceptant toutes les conditions, dont le retour en métropole de la "créature". Et là, miracle. Son futur grand ami, le général Laperrine, le raconte : « Au milieu des dangers et des privations des colonnes expéditionnaires, ce lettré fêtard se révéla un soldat et un chef ; supportant gaiement les dures épreuves, payant constamment de sa personne, s'occupant avec dévouement de ses hommes, il faisait l’admiration des vieux du régiment. » « Il savait se faire aimer », dira un de ses soldats, « mais c'est qu'il aimait aussi le troupier ».
Foucauld explore le Maroc
Le lieutenant de Foucauld a vingt-quatre ans et découvre cette terre qui le fascine. Il s'installe à Alger, démissionne de l'armée, et se décide à explorer le Maroc, pays fermé et dangereux. Il apprend l'arabe et se lie à Oscar Mac Carthy, un étonnant savant explorateur, insensible au froid et au chaud, qui a voyagé sans escorte, n'ayant peur de rien car, dit-il, selon le proverbe oriental : « Mille cavaliers ne sauraient dépouiller un homme nu ». Mais quel déguisement choisir pour voyager au Maroc ? Foucauld choisit le costume de commerçant juif. Il est accompagné dans son équipée par un juif pur porc, le rabbin Mardochée Abi Serour qui lui servira de guide. Nous sommes le 10 juin 1883. Charles de Foucauld, qui s'appelle provisoirement le rabbin Joseph Aleman, et Mardochée, se dirigent d'abord vers Tlemcen, d'où, grâce à l'aide de juifs indigènes, ils pourront pénétrer au Maroc par Tetouan. Toujours attifé de sa calotte noire, le mouchoir bleu, les babouches noires et les mèches de cheveux tombant des tempes aux épaules.
Il pénètre dans Chechaouen où un seul chrétien était entré, un Espagnol, en 1863. On ne le revit jamais... Le sentiment de la peur était totalement étranger à Charles de Foucauld. Il arrivera à Mogador le 28 janvier 1884 et fut fort mal accueilli au consulat par un secrétaire qui le prit pour un loqueteux. Regardant par le trou de la serrure pendant que le visiteur faisait sa toilette, il vit quantité d'instruments de physique émerger des plis de ses vêtements. Et Foucauld poursuivit l'exploration de ces terres largement inconnues. Un rapport de la société géographique de Paris, paru un an plus tard, évoquera « le plus important et le plus remarquable voyage qu un Européen ait entrepris au Maroc depuis un siècle ou plus ».
La conversion de Charles de Foucauld
Il va reprendre le chemin du Sud algérien, à l'automne 1885, et entend, fasciné, ces appels à la prière, cette perpétuelle invocation à Dieu qui s'élevait autour de lui chez ces hommes, prosternés cinq fois par jour vers l'Orient. Il dira plus tard : « J'ai songé à me faire musulman ». Il est encore incroyant mais, lors d'un court voyage auprès de sa famille, en France, il va faire une rencontre déterminante : celle de l'abbé Huvelin, son aîné de vingt ans. La foi va se rapprocher de lui et il va se rapprocher de la foi. Il dira à une cousine : « Vous êtes heureuse de croire : je cherche la lumière, et je ne la trouve pas. » Le lendemain, l'abbé Huvelin vit entrer dans son confessional ce jeune homme qui ne s'agenouilla pas, et lui dit : « Je n'ai pas la foi; je viens vous demander de m’instruire. » L'abbé lui répondit : « Mettez-vous à genoux, confessez-vous à Dieu : vous croirez. » Il s'agenouilla et confessa toute sa vie. Et c'est ainsi que Charles de Foucald s'approcha de la table sainte et fit sa « seconde première communion ». Depuis le moment de sa conversion, il s'était senti appelé par la vie religieuse. Il prit l'habit des trappistes le 26 janvier 1890, à l'âge de trente-deux ans, se plaignant d'ailleurs que l’ordre, pourtant très austère, ne lui offrait pas « toute la pauvreté (qu'il) voudrait », ni « l’abjection (dont il) aurait rêvé. » En février 1897, Charles de Foucauld partira pour aller vivre en Terre Sainte une vie d'ermite, après avoir passé sept ans à la Trappe. Son ordination aura lieu le 9 juin 1901. Trois mois plus tard, l'abbé Charles de Foucaud débarquait à Alger. Il allait s'établir dans le sud de la province d'Oran.
Ermite dans le Sud algérien
Il vivra à Beni-Abbès, une oasis de 7 à 8 000 palmiers. Il fut bientôt « le marabout blanc ». Le "marabout" déjeunait d'un morceau de pain d'orge trempé dans une décoction d'une plante saharienne, et, le soir, il dînait d'un bol du même thé, auquel il ajoutait un peu de lait concentré. Il y eut bientôt, émergeant du sable, de jeunes palmiers, des figuiers, des oliviers, des pieds de vigne. Son petit enclos devenait un jardin. Il racheta des esclaves du Sahara, nourrit des pauvres, aidé modestement par sa famille, par ses amis. Il dira : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère, le frère universel... Ils commencent à appeler la maison la Fraternité, et cela m'est doux ». Il reçoit certes des visites mais aucun homme ne s'offre à partager la vie de Termite du Sahara. Il écrira : « Ni postulant, ni novice, ni sœur... Si le grain de blé ne meurt pas, il reste seul... » Charles de Foucauld pense que c'est une erreur de considérer que les musulmans ne sont pas assimilables, à condition qu'ils se convertissent. Vaste programme... Il relève que la France s'est trompée en organisant l'école avec, écrit René Bazin, « cette espèce de fureur scolaire dont le principe paraît être d'exhalter la liberté, les droits du citoyen, l'électorat, comme des biens suprêmes. Or l'expérience a montré que, plus les indigènes avaient acquis de culture française, plus ils avaient tendance à nous haïr. Notre éducation, exaltant les droits de l'individu et lui offrant, comme une vérité première, Vidée orgueilleuse et fausse d'égalité, développe encore l'esprit d'insubordination de l'Arabe, créant des déclassés et des révoltés ». Et il ajoute : « L'autre erreur consiste à favoriser et à répandre l'islamisme, car l’animosité contre les chrétiens est, en fait, développée par la loi coranique. » Le Père de Foucauld considère que la première œuvre à faire est « d'apprivoiser les musulmans », considérant que c'est une erreur de croire que les mahométans ne peuvent se convertir. Dans ce livre, paru en 1937 pour la première fois, Bazin écrit ce qui correspond à la pensée de l'ermite : « Si nous ne changeons pas nos méthodes de colonisation, avant cinquante ans, nous serons chassés de l'Afrique du Nord ». Et puis, Charles de Foucauld forme le voeu de pénétrer jusqu'aux régions plus méridionales habitées par les Touareg, peuple de race berbère. Il sera le seul prêtre dans ces régions immenses où les attaques de convois et de postes se multiplient. Il commence à étudier la langue, le tamacheq (il traduira les Evangiles et écrira un dictionnaire), et puis va découvrir une nouvelle immensité, le Hoggar, un pays de montagnes et de hauts plateaux où il établira son ermitage, à Tamanrasset. Il écrit à un de ses amis : « Les indigènes nous reçoivent bien ; ce n'est pas sincère, ils cèdent à la nécessité. Combien de temps leur faudra-t-il pour avoir les sentiments qu'ils simulent ? Peut-être ne les auront-ils jamais. S'ils les ont un jour, ce sera le jour qu'ils deviendront chrétiens. » Et pourtant, il considère que « ces frères ombrageux » du Hoggar, sont « bien moins séparés de nous que les Arabes ». C’est dire... Il vit au milieu des Touaregs. Bazin écrit que « la guerre, l'expédition pour la vengeance et le pillage, telle a été, jusqu’aux débuts du siècle, l'industrie la plus lucrative des tribus touaregs ». Charles de Foucauld note cette réflexion qui se révélera hélas prémonitoire : « Tant que la France n'aura pas une guerre européenne, il semble qu'il y a sécurité ; s'il y avait une guerre européenne, il y aurait probablement des soulèvements dans tout le Sud, et ici comme ailleurs. » L'ermite est seul, terriblement seul. N'ayant pas de servant de messe, il ne jouit pas du privilège de consacrer le corps du Christ. Sa plainte s'élève, constante, dans ses lettres. « 8 septembre, pas de messe car je suis seul » ; « 25 décembre, Noël, pas de messe, car je suis seul » ; 1er janvier 1908 : « Pas de messe, car je suis seul ». Et enfin, il éprouve une immense joie, le 31 janvier : il apprend que le privilège lui est accordé par Rome de célébrer la messe sans servant. Foucauld va séjourner à Tamanrasset jusqu'au début de 1911, s'autorisant un court voyage d'un mois en France où sa famille et ses amis auront la joie de le revoir.
La guerre et la mort
Il apprend le 3 septembre 1914 la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France. La guerre sainte est prêchée auprès des tribus. Charles de Foucauld l'avait prévu. Mais il a résolu de ne pas quitter Tamanrasset. La situation à la frontière tunisienne et libyenne n'est pas bonne. Les Allemands arment et encadrent apparemment les tribus rebelles. Charles de Foucauld ne se montre pas des plus modérés. Il écrit en janvier 1916 : « Pour la première fois, je comprends vraiment les croisades : la guerre actuelle, comme les croisades précédentes, aura pour résultat d'empêcher nos descendants d'être des barbares. » Mais l'agitation au sein des tribus se poursuit. Foucauld écrira encore à René Bazin : « Le seul moyen que ces peuples deviennent français est qu'ils deviennent chrétiens. » Le 1er décembre 1916, à la tombée de la nuit, le Père est seul dans sa maison fortifiée. Une troupe de 20 Fellagas, accompagnés d'autant de nomades et de harratins (métis d'Arabes et de Noirs) s'approchent silencieusement de la maison. Pour y pénétrer, il faut un traître. Ce sera le hartani El Madani, qui connaît les habitudes et les mots de passe de son bienfaiteur. Il s'approche de la porte du fortin, fait le signal convenu, se présente comme ayant une lettre à lui remettre. La porte s'ouvre. L'ermite est happé et ligoté. Il sera abattu peu après d'une balle dans la tête. Volontairement ou dans l'affolement suite à l'approche de deux méharistes ? On ne sait pas. Parmi les souvenirs pieux que l'on retrouva dans son antre pillé, il y avait le chapelet de l’ermite, un chemin de croix très finement dessiné, une croix de bois et un tout petit ostensoir où était encore enfermée l'hostie sainte...
R.S.Rivarol du 22 septembre 2016
Petite vie de Charles de Foucauld, 140 pages, 19 euros port inclus, Via Romana, 5 rue du Maréchal Joffre, 78000 Versailles.
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Le musée parisien du Quai Branly diffusait dans le cadre d’une exposition une brochure dans laquelle on pouvait lire : « que les esclaves avaient été vendus à des Européens par des Africains », que ceux ci « vendaient leurs frères et sœurs noirs ».
Des militants panafricanistes ont demandé et obtenu la destruction desdites brochures. Car, « Parler de responsabilité des « noirs » dans la traite négrière et l’esclavage, c’est du racisme et du négationnisme ».
Il est pourtant avéré que le commerce triangulaire reposait sur la vente de prisonniers africains par d’autres tribus africaines.
Polémique autour du livret pédagogique accompagnant l'expo "The Color Line" au Quai Branly http://www.afropunk.com/profiles/blogs/fr-le-mus-e-du-quai-branly-apprend-aux-enfants-que-certains …