Mercredi soir l’Action française étudiante du Mans a fait sa rentrée. Ce fut une réussite !!!
culture et histoire - Page 1099
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L’Action française étudiante [Le Mans] Rentrée militante
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Le-Mans-Rentree-militante -
Une Monarchie familiale pour la France.
L'autre jour, en terrasse d'un café parisien près de l'église Saint-Sulpice, j'ai eu comme une hallucination : en gros titre d'un journal dominical, au-dessus de la photo d'un couple souriant, l'on pouvait lire « L'hypothèse royale » ! Ainsi, tous mes vœux semblaient s'approcher de leur réalisation, et je pouvais entrevoir la fin de mon militantisme...
Et puis, j'ai regardé plus attentivement ce titre aperçu à travers la vitre et mes espoirs ont été, une fois de plus, froidement douchés : il y avait bien la photo d'un couple apparemment heureux et complice, mais le titre n'était plus tout à fait celui que j'espérais : « l'hypothèse Royal », et le couple n'était guère princier... Quelle déception !
En fait, je suis persuadé que la présentation de la couverture en appelait au subconscient monarchique des Français, suivant la formule de Georges Bernanos qui affirmait que les Français étaient naturellement monarchistes sans le savoir ou sans l'appréhender formellement : la Cinquième République n'est-elle pas, en somme, une sorte de synthèse (incomplète ?) des traditions républicaines et monarchiques, au point que Maurice Duverger pouvait qualifier celle-ci de « monarchie républicaine » ?
A cet égard, constatons que l'erreur de M. Mélenchon et d'une partie de la gauche (mais aussi de la droite libérale) est de croire qu'il faut poursuivre le mouvement de républicanisation qui n'est rien d'autre que l'affaiblissement de la magistrature suprême de l'Etat et de l'Etat lui-même ainsi que du Politique, mouvement qui risque de désarmer un peu plus notre pays dans (et face à) la mondialisation : car, comment se faire entendre dans un monde de libre-échange agressif et qui réalise, dans une sorte de cabriole idéologique, le programme marxiste de disparition des Etats et des classes (tout le monde devenant « d'abord » consommateur), sans un Etat digne de ce nom, source des lois et des règlements protecteurs des plus faibles ? Car il s'agit bien de cela : face à la gouvernance mondiale qui ne pense qu'en termes économiques et « de profit », il faut un gouvernement des hommes qui soit inscrit dans le long terme et dans un terreau mémoriel et patrimonial autorisant et favorisant ces racines nécessaires au développement de toute personnalité libre et « civique ».
En cela, je pense de plus en plus, au regard des inquiétudes de notre société et des défis qui l'attendent, que l'Etat « familial » est plus rassurant que cette République qui, tous les cinq ans, change de tête et ne place qu'un individu à son faîte, un homme que d'aucuns pensent providentiel quand il n'est souvent que « l'addition des mécontents » et « le refus de l'un par le vote pour l'autre » : l'élection présidentielle divise et énerveplus qu'elle ne rassure ou qu'elle ne fait espérer, et il suffit de voir la bataille de chiffonniers à droite comme à gauche pour le constater aisément !
La Monarchie royale est à la fois dynastique dans son mode de transmission et familiale dans sa représentation : la reine ou les enfants royaux, voire les oncles et tantes, « incarnent » (au pluriel, et à tous les sens de ce pluriel) les familles de la nation, avec leurs difficultés, leurs espoirs et leurs drames, et les familles du pays, d'ailleurs, s'y réfèrent, demandant parfois plus encore à la famille royale qu'à la leur propre…
Le très républicain Régis Debray a fort bien expliqué, il y a déjà quelques années et alors même qu'il était l'un des proches conseillers de François Mitterrand, que, dans notre France contemporaine et républicaine, « il manque une famille royale » qui assumerait la représentation du pays à l'extérieur (comme la famille royale d'Angleterre avec les pays du Commonwealth) et déchargerait le gouvernement de la nécessité d'assurer « le spectacle du politique », ce qui, aujourd'hui plus encore qu'hier, éviterait la « pipolisation » de la classe politique et gouvernementale... Cela redonnerait d'ailleurs plus de crédibilité à des hommes et femmes politiques, aujourd'hui réduits à s'allonger sur le divan des animateurs télévisuels ou à poser pour faire « la une » de la presse dite populaire.
La Monarchie « à la française » n'est pas, certes, que l'image rassurante d'une famille, mais elle ne peut oublier, si elle veut être « complète », cette dimension familiale : les médias qui, faute de famille régnante en France, jouent sur l'image d'un couple, désormais plus politique que conjugal, l'ont bien compris. Alors, donnons-leur une vraie famille à photographier, à valoriser, à aimer !
Il en est une qui, à Dreux, incarne la « possible monarchie »...
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4 décembre : fête du livre de Renaissance catholique
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L'autre avant-guerre (1871-1914) par Henri Guillemin - 6/7
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«Julien Freund, penseur du politique»
Conférence du 27 septembre 2016
Penseur méconnu de la seconde moitié du XXème siècle, Julien Freund (1921-1993) n'en constitue pas moins l'une des figures les plus brillantes de la philosophie politique, et c'est à juste titre que son œuvre commence enfin à connaître un regain d'intérêt. Né à Henridorff en Moselle, Julien Freund a 19 ans lorsque éclate la Seconde Guerre mondiale. Pris en otage à la suite de l'assassinat d'un soldat allemand en 1940, il parvient à s'échapper et rejoint la Résistance. A nouveau arrêté en 1942, il s'échappe une nouvelle fois en 1944. Témoin de la geste communiste de la Résistance, il devient un spectateur désabusé de la Libération et de l’épuration. Il adhère à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) en 1946, mais en sort dépité par les combines d’appareil propres à la IVème République. Il se réfugie dans la philosophie, dont il obtient l'agrégation en 1949. Il entame alors une thèse, fruit de la « déception surmontée » de son engagement politique, thèse qu'il soutiendra quinze ans plus tard sous la direction successive de Jean Hippolyte et de Raymond Aron, et devient professeur de sociologie à l'université de Strasbourg. Malgré son excellente qualité, trois facteurs font que son œuvre demeure relativement méconnue. Premièrement, il a eu le défaut de n’avoir pas été marxiste à une époque où le champ de la philosophie politique était dévolu aux thuriféraires de Marx; deuxièmement Julien Freund est connu comme le propagateur en France de la pensée de Carl Schmitt, philosophe allemand ayant rejoint le parti nazi; troisièmement, on lui reproche son affiliation plus ou moins distante au GRECE (Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne), mouvement d'extrême droite néo-païen aux positions franchement anti-chrétiennes, qui se positionna dans les années 1970-1980 en défenseur de la civilisation et de l'identité européennes. La question que le conférencier va alors se poser est de savoir si cet oubli est mérité, ou si l'on ne risquerait pas au contraire de perdre un enseignement en philosophie politique de grande valeur. Pour nous convaincre de cette seconde éventualité, il a fait le choix de présenter la notion du politique chez Julien Freund, en commençant par sa définition, avant de nous en présenter trois présupposés essentiels puis la finalité.-
Définition du politique : le politique, la politique, l’impolitique
La politique est cette « activité contingente, qui s’exprime dans des institutions variables et dans des évènements historiques de toutes sortes » : non seulement la politique politicienne, celle de tous les jours, mais encore les changements de régimes et systèmes politiques, ne sont que des épiphénomènes qui obéissent, en vérité, à une série d’invariants liés à la nature humaine.
Le politique, en revanche, est un domaine particulier des relations sociales, distinct du domaine économique, moral ou religieux. Ce domaine perdure à travers les siècles et les millénaires, « indépendamment des variations historiques, des contingences spatiales et temporelles, des régimes et des systèmes politiques ». Le politique désigne donc l'ensemble des principes permanents sous-jacents à la politique qui en est une simple manifestation.Alors que la politique est contingente, dépendante des lieux et des époques, le politique est universel, inscrit dans la nature humaine. Freund s'inscrit sur ce point dans la droite ligne d'Aristote, en refusant de faire de la société un artefact, le fruit d'un contrat entre individus libres selon la conception de Hobbes puis de Rousseau, et en affirmant au contraire que l'homme est naturellement sociable, et que par conséquent la société elle-même est naturelle. L'état de nature, tel que le conçoit Rousseau, n'existe pas, et ne peut servir à la rigueur que de spéculation philosophique. Le politique, comme nous le verrons plus loin, n'est pas une fin en soi, mais il n'est pas non plus réductible à un autre champ de l'activité humaine, c'est-à-dire qu'il ne s'agit d'une extension ni de la biologie, ni de l'économie, ni de la technique, ni du droit, ni même de la morale. Le politique est autonome, et ceux qui voudraient faire de la politique en méconnaissant cette réalité, sont « impolitiques », c’est-à-dire qu’ils blessent la vocation du politique en le subordonnant à un autre ordre (économique, notamment).-
Présupposés du politique
Le politique se fonde sur un triple jeu de relations:-
commandement - obéissance
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public - privé
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ami - ennemi
Le politique est inconcevable sans une relation de commandement. L'affirmation de cette relation correspond, selon la terminologie de Pierre-André Taguieff, au « Julien Freund conservateur ». Même dans un régime « libéral », une démocratie moderne, où le commandement semble réduit et tempéré dans sa forme, il s'avère impossible de se débarrasser de l'autorité d'une part et de l'obéissance de l'autre. Freund rejoint sur ce point Tocqueville qui faisait remarquer que le citoyen est bien plus dépendant de l'Etat que ne l'était un sujet du roi. Pour Freund, héritier de Max Weber, le commandement est un phénomène de puissance et c’est cette puissance qui façonne la volonté du groupe. La première définition de la souveraineté n’est donc pas de nature juridique, mais de nature pleinement politique, étant fondée sur la puissance et la force. Il ne faut cependant pas oublier que, même si ce n'est pas le droit qui en fixe les barrières, la puissance est limitée par sa finalité propre, qui est la protection de la collectivité.La relation privé - public, attribuée au « Julien Freund libéral », définit la frontière de la sphère privée au sein de la société, celle où l'individu est libre de ses choix, en tout cas par rapport à la collectivité. La position de cette frontière peut certes fluctuer selon les lieux et les époques, mais de même que pour le principe de puissance, il est impossible de s'en débarrasser. Même dans les régimes totalitaires, il existe toujours quelques activités et relations qui échappent au contrôle de l’État. Sous cet angle, l'histoire de l'Occident semble animée par une aspiration permanente à étendre cette sphère privée, alors que le totalitarisme est un effort pour effacer la distinction entre privé et public. Cette dialectique entre sphère privée et publique est vitale, car c'est elle qui est source de la vie et du dynamisme de la société: ce ne sont pas les institutions encadrant le génie et l'activité individuelles qui produisent les innovations, mais à l'inverse, sans ce cadre, les initiatives individuelles ne pourraient s'épanouir et bénéficier à l'ensemble de la société.Les deux présupposés précédents déterminent la vie au sein d'une collectivité, mais c'est à la dernière, la relation ami-ennemi, qu'il revient de circonscrire cette collectivité par rapport aux entités extérieures. La mise en avant de l'antagonisme « ami-ennemi » comme facteur du politique est un héritage du philosophe allemand Carl Schmitt, qui affirme que l'ennemi est le facteur déterminant du politique. Cet ennemi peut être réel ou virtuel - c’est à dire que sa menace peut exister en acte ou seulement en puissance - mais sa désignation est indispensable à l’unité et à la pérennité de la collectivité, car c'est lui qui donne sa cohérence à la société : « l’inimitié donne la signification politique à une collectivité, à un peuple ou à une nation, car exister politiquement c’est être indépendant ». Le propre de l’Etat est d’éliminer l’inimitié à l’intérieur (ce qui n’exclut,évidemment pas des « adversités » politiques) et de le bloquer à l’extérieur : « l’unité politique d’une collectivité a en effet, pour fondement la suppression des ennemis intérieurs et l’opposition vigilante aux ennemis extérieurs ». L’enjeu pour la collectivité est donc d’identifier et de nommer son ennemi car, quand bien même elle s’y refuserait par pacifisme, elle finirait par être désignée comme ennemie par une autre entité (« c’est l’ennemi qui vous désigne ») qui tirerait alors parti de son défaut de préparation au conflit. Selon cette vision des choses, la guerre est toujours latente, non pas comme une fin, mais comme un dernier recours. Cette perspective tragique, qui exclut l’avènement d’un Etat universel, déplaisait particulièrement au premier directeur de thèse de Julien Freund, l’hégéliano-marxiste Jean Hippolyte, qui concevait l'histoire humaine comme tendant inéluctablement vers la paix universelle, et c'est pour ce motif qu'il laissa à Raymond Aron le soin de poursuivre l'encadrement de cette thèse.
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Finalité du politique
En disciple d'Aristote, Julien Freund soutient que la finalité du politique, c'est le bien commun, autrement dit le bien de la communauté comme entité à part entière. Ce bien commun se distingue d'une part de la somme des biens individuels et d'autre part du bien de l’État pour lui-même qui est au contraire un organe au service de la société, au service de la protection du bien commun. Les individus, en tant que membres de la communauté, profitent du bien commun de deux façons:-
tout d'abord, le bien commun se manifeste par la sécurité extérieure, qui seule garantit la pérennité de la collectivité politique.
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et surtout, le bien commun se définit comme la concorde au sein de la communauté, concorde qui assure aux membres la bona vita de S. Thomas d'Aquin. Il ne s'agit évidemment pas d'une amitié intime entre tous les membres, mais d'un certain accord entre leurs diverses vies et activités. Pour que cette concorde continue à voir le jour, il est nécessaire aux différents individus de se reconnaître comme membres d'une même patrie; c'est pourquoi la question de l'identité est primordiale pour le politique, en tant que fondement de l'entente entre les membres : « on a beau ironiser sur le concept de patrie et concevoir l’humanité sur le mode anarchique et abstrait comme composée uniquement d’individus isolés aspirant à leur seule liberté personnelle, il n’empêche que la patrie est une réalité sociale concrète, introduisant l’homogénéité et le sens de la collaboration entre les hommes. Elle est même une des sources essentielles du dynamisme collectif, de la stabilité et de la continuité d’une unité politique dans le temps », écrit Freund.
CONCLUSION : UNE PENSEE ETRANGEMENT ACTUELLEAprès en avoir dressé un rapide portrait, il est intéressant de constater à quel point les idées de Julien Freund sont pertinentes au regard de la situation de la France de 2016 : la politique gouvernementale, fondée d’une part sur un projet « sociétal » qui nie la distinction privé/public et d’autre part sur une vision « économiciste » de l’homme, semble proprement « impolitique », tandis que l’Etat se place en défaut par rapport à la finalité-même du politique : la sécurité extérieure et la concorde intérieure se dégradent chaque jour davantage, au moment où l’on se refuse à nommer notre ennemi et à accorder une quelconque importance à ce qui fait notre identité nationale.Questions:Q: Julien Freund a une conception "tragique" de la politique d'après l'expression du conférencier, car il estime que la guerre est toujours latente. Mais en disant que la guerre est simplement latente et non inexorable, ne laisse-t-il pas l'espoir qu'il est en le pouvoir des hommes d'éviter le conflit?A: La guerre n'est pas inévitable, c'est vrai, mais ce qui est tragique c'est ce sentiment d'inimitié, qui lui est permanent, ainsi que ce rapport de forces également permanent qui délimite les communautés les unes par rapport aux autres. En outre, la bonne volonté d'un côté ne suffit pas à éviter les conflits, car bien souvent on ne choisit pas ses ennemis, « c'est l'ennemi qui vous désigne », et alors, si la collectivité veut perdurer, elle n'a d'autre choix que de se battre.Q: Cette inimitié entre sociétés et les guerres qui en résultent sont présentées comme naturelles à l'homme. Faut-il comprendre naturelles à l'homme déchu ou à l'homme tel que Dieu l'a créé originellement?
A: Quoique catholique, Freund, et c'est un reproche que l'on peut légitimement lui faire, ne se préoccupe pas des questions métaphysiques ou religieuses. Son approche est, si l'on veut, phénoménologique voire empirique: il prend l'homme dans son état actuel, sans se préoccuper de la raison de cet état, et en tire les conclusions que l'on a vues.Q: Freund prétend que l'homme est naturellement politique; pourtant, n'est-ce pas un constat universel que les hommes s'accordent difficilement entre eux, n'ont pas vraiment le sens du bien commun, et poursuivent au contraire de préférence leur bien particulier? Ne faudrait-il pas plutôt dire que l'homme est naturellement social?A: Pour Freund, la réponse est claire: l'homme est un être de relations, il est donc politique au sens premier du terme. Cela ne veut pas dire qu'il suive toujours les "règles du jeu", ni à l'inverse que les défauts que l'on peut remarquer aujourd'hui soient absolument insurmontables. Au contraire, ces défauts sont très actuels et le fruit d'une détérioration relativement récente du politique.Q: Dans la distinction privé-public, la sphère privée a été définie comme relevant de l’individu et des rapports entre individus. Quelle position cela laisse-t-il à la famille, souvent considérée comme cellule de base de la société plutôt que l'individu?A: Pour Freund, la famille appartient au domaine de la sphère privée, qui est une sphère autonome. Il garde une certaine distance à l’égard des penseurs qui présentent la communauté politique comme une simple extension de cercle familial. -
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ZOOM : Mathilde Gibelin / Le retour du Crapouillot : l'Ecologie quel scandale !
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Maurrassisme et Catholicisme : Grand Texte XXXVIII
Maurras s'explique ici, avec une hauteur de vue incomparable et dans une langue superbe sur le grand respect, la sourde tendresse, la profonde affection qu'il voue - et avec lui toute l'Action française, croyants ou non - à l'Eglise catholique. Au temps où Maurras publie ce vrai grand texte, comme au nôtre, cet attachement a toujours suscité une sorte de critique catholique venue de milieux bien déterminés - suspectant sa sincérité ou mettant en cause ses motivations supposées. Cette même mouvance s'employait par ailleurs, à combattre tout ce qui, dans l'Eglise pouvait relever de la Tradition. Nous partageons aujourd'hui encore les analyses et les sentiments de Maurras envers le Catholicisme - ce qui est pourtant devenu parfois fort difficile du fait de tels des revirements, évolutions, ou prises de position actuelles de l'Eglise. Mais nous n'ajouterons pas à la longueur de ce superbe texte. Lafautearousseau
I
On se trompe souvent sur le sens et sur la nature des raisons pour lesquelles certains esprits irréligieux ou sans croyance religieuse ont voué au Catholicisme un grand respect mêlé d'une sourde tendresse et d'une profonde affection. — C'est de la politique, dit-on souvent. Et l'on ajoute : — Simple goût de l'autorité. On poursuit quelquefois : — Vous désirez une religion pour le peuple… Sans souscrire à d'aussi sommaires inepties, les plus modérés se souviennent d'un propos de M. Brunetière : « L'Église catholique est un gouvernement », et concluent : vous aimez ce gouvernement fort.
Tout cela est frivole, pour ne pas dire plus. Quelque étendue que l'on accorde au terme de gouvernement, en quelque sens extrême qu'on le reçoive, il sera toujours débordé par la plénitude du grand être moral auquel s'élève la pensée quand la bouche prononce le nom de l'Église de Rome. Elle est sans doute un gouvernement, elle est aussi mille autres choses. Le vieillard en vêtements blancs qui siège au sommet du système catholique peut ressembler aux princes du sceptre et de l'épée quand il tranche et sépare, quand il rejette ou qu'il fulmine ; mais la plupart du temps son autorité participe de la fonction pacifique du chef de chœur quand il bat la mesure d'un chant que ses choristes conçoivent comme lui, en même temps que lui. La règle extérieure n'épuise pas la notion du Catholicisme, et c'est lui qui passe infiniment cette règle. Mais où la règle cesse, l'harmonie est loin de cesser. Elle s'amplifie au contraire. Sans consister toujours en une obédience, le Catholicisme est partout un ordre. C'est à la notion la plus générale de l'ordre que cette essence religieuse correspond pour ses admirateurs du dehors.
Il ne faut donc pas s'arrêter à la seule hiérarchie visible des personnes et des fonctions. Ces gradins successifs sur lesquels s'échelonne la majestueuse série des juridictions font déjà pressentir les distinctions et les classements que le Catholicisme a su introduire ou raffermir dans la vie de l'esprit et l'intelligence du monde. Les constantes maximes qui distribuent les rangs dans sa propre organisation se retrouvent dans la rigueur des choix critiques, des préférences raisonnées que la logique de son dogme suggère aux plus libres fidèles. Tout ce que pense l'homme reçoit, du jugement et du sentiment de l'Église, place proportionnelle au degré d'importance, d'utilité ou de bonté. Le nombre de ces désignations électives est trop élevé, leur qualification est trop minutieuse, motivée trop subtilement, pour qu'il ne semble pas toujours assez facile d'y contester, avec une apparence de raison, quelque point de détail. Où l'Église prend sa revanche, où tous ses avantages reconquièrent leur force, c'est lorsqu'on en revient à considérer les ensembles. Rien au monde n'est comparable à ce corps de principes si généraux, de coutumes si souples, soumis à la même pensée, et tel enfin que ceux qui consentirent à l'admettre n'ont jamais pu se plaindre sérieusement d'avoir erré par ignorance et faute de savoir au juste ce qu'ils devaient. La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l'incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir.
Cet ordre intellectuel n'a rien de stérile. Ses bienfaits rejoignent la vie pratique. Son génie prévoyant guide et soutient la volonté, l'ayant pressentie avant l'acte, dès l'intention en germe, et même au premier jet naissant du vœu et du désir. Par d'insinuantes manœuvres ou des exercices violents répétés d'âge en âge pour assouplir ou pour dompter, la vie morale est prise à sa source, captée, orientée et même conduite, comme par la main d'un artiste supérieur.
Pareille discipline des puissances du cœur doit descendre au delà du cœur. Quiconque se prévaut de l'origine catholique en a gardé un corps ondoyé et trempé d'habitudes profondes qui sont symbolisées par l'action de l'encens, du sel ou du chrême sacrés, mais qui déterminent des influences et des modifications radicales. De là est née cette sensibilité catholique, la plus étendue et la plus vibrante du monde moderne, parce qu'elle provient de l'idée d'un ordre imposé à tout. Qui dit ordre dit accumulation et distribution de richesses : moralement, réserve de puissance et de sympathie.
II
On pourrait expliquer l'insigne merveille de la sensibilité catholique par les seules vertus d'une prédication de fraternité et d'amour, si la fraternité et l'amour n'avaient produit des résultats assez contraires quand on les a prêchés hors du catholicisme. N'oublions pas que plus d'une fois dans l'histoire il arriva de proposer « la fraternité ou la mort » et que le catholicisme a toujours imposé la fraternité sans l'armer de la plus légère menace : lorsqu'il s'est montré rigoureux ou sévère jusqu'à la mort, c'est de justice ou de salut social qu'il s'est prévalu, non d'amour. Le trait le plus marquant de la prédication catholique est d'avoir préservé la philanthropie de ses propres vertiges, et défendu l'amour contre la logique de son excès. Dans l'intérêt d'une passion qui tend bien au sublime, mais dont la nature est aussi de s'aigrir et de se tourner en haine aussitôt qu'on lui permet d'être la maîtresse, le catholicisme a forgé à l'amour les plus nobles freins, sans l'altérer ni l'opprimer.
Par une opération comparable aux chefs-d'œuvre de la plus haute poésie, les sentiments furent pliés aux divisions et aux nombres de la Pensée ; ce qui était aveugle en reçut des yeux vigilants ; le cœur humain, qui est aussi prompt aux artifices du sophisme qu'à la brutalité du simple état sauvage, se trouva redressé en même temps qu'éclairé.
Un pareil travail d'ennoblissement opéré sur l'âme sensible par l'âme raisonnable était d'une nécessité d'autant plus vive que la puissance de sentir semble avoir redoublé depuis l'ère moderne. « Dieu est tout amour », disait-on. Que serait devenu le monde si, retournant les termes de ce principe, on eût tiré de là que « tout amour est Dieu » ? Bien des âmes que la tendresse de l'évangile touche, inclinent à la flatteuse erreur de ce panthéisme qui, égalisant tous les actes, confondant tous les êtres, légitime et avilit tout. Si elle eût triomphé, un peu de temps aurait suffi pour détruire l'épargne des plus belles générations de l'humanité. Mais elle a été combattue par l'enseignement et l'éducation que donnait l'Église : — Tout amour n'est pas Dieu, tout amour est « DE DIEU ». Les croyants durent formuler, sous peine de retranchement, cette distinction vénérable, qui sauve encore l'Occident de ceux que Macaulay appelle les barbares d'en bas.
Aux plus beaux mouvements de l'âme, l'Église répéta comme un dogme de foi : « Vous n'êtes pas des dieux ». À la plus belle âme elle-même : « Vous n'êtes pas un Dieu non plus ». En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l'idée et à l'observance du tout, les avis de l'Église éloignèrent l'individu de l'autel qu'un fol amour-propre lui proposait tout bas de s'édifier à lui-même ; ils lui représentèrent combien d'êtres et d'hommes, existant près de lui, méritaient d'être considérés avec lui : — n'étant pas seul au monde, tu ne fais pas la loi du monde, ni seulement ta propre loi. Ce sage et dur rappel à la vue des choses réelles ne fut tant écouté que parce qu'il venait de l'Église même. La meilleure amie de chaque homme, la bienfaitrice commune du genre humain, sans cesse inclinée sur les âmes pour les cultiver, les polir et les perfectionner, pouvait leur interdire de se choisir pour centre.
Elle leur montrait ce point dangereux de tous les progrès obtenus ou désirés par elle. L'apothéose de l'individu abstrait se trouvait ainsi réprouvée par l'institution la plus secourable à tout individu vivant. L'individualisme était exclu au nom du plus large amour des personnes, et ceux-là mêmes qu'entre tous les hommes elle appelait, avec une dilection profonde, les humbles, recevaient d'elle un traitement de privilège, à la condition très précise de ne point tirer de leur humilité un orgueil, ni de la sujétion le principe de la révolte.
La douce main qu'elle leur tend n'est point destinée à leur bander les yeux. Elle peut s'efforcer de corriger l'effet d'une vérité âpre. Elle ne cherche pas à la nier ni à la remplacer par de vides fictions. Ce qui est : voilà le principe de toute charitable sagesse. On peut désirer autre chose. Il faut d'abord savoir cela. Puisque le système du monde veut que les plus sérieuses garanties de tous les « droits des humbles » ou leurs plus sûres chances de bien et de salut soient liées au salut et au bien des puissants, l'Église n'encombre pas cette vérité de contestations superflues. S'il y a des puissants féroces, elle les adoucit, pour que le bien de la puissance qui est en eux donne tous ses fruits ; s'ils sont bons, elle fortifie leur autorité en l'utilisant pour ses vues, loin d'en relâcher la précieuse consistance. Il faudrait se conduire tout autrement si notre univers était construit d'autre sorte et si l'on pouvait y obtenir des progrès d'une autre façon. Mais tel est l'ordre. Il faut le connaître si l'on veut utiliser un seul de ses éléments. Se conformer à l'ordre abrège et facilite l'œuvre. Contredire ou discuter l'ordre est perdre son temps. Le catholicisme n'a jamais usé ses puissances contre des statuts éternels ; il a renouvelé la face de la terre par un effort d'enthousiasme soutenu et mis en valeur au moyen d'un parfait bon sens. Les réformateurs radicaux et les amateurs de révolution n'ont pas manqué de lui conseiller une autre conduite, en le raillant amèrement de tant de précautions. Mais il les a tranquillement excommuniés un par un.III
L'Église catholique, l'Église de l'Ordre, c'étaient pour beaucoup d'entre nous deux termes si évidemment synonymes qu'il arrivait de dire : « un livre catholique » pour désigner un beau livre, classique, composé en conformité avec la raison universelle et la coutume séculaire du monde civilisé ; au lieu qu'un « livre protestant » nous désignait tout au contraire des sauvageons sans race, dont les auteurs, non dépourvus de tout génie personnel, apparaissaient des révoltés ou des incultes. Un peu de réflexion nous avait aisément délivrés des contradictions possibles établies par l'histoire et la philosophie romantiques entre le catholicisme du Moyen-Âge et celui de la Renaissance. Nous cessions d'opposer ces deux périodes, ne pouvant raisonnablement reconnaître de différences bien profondes entre le génie religieux qui s'était montré accueillant pour Aristote et pour Virgile et celui qui reçut un peu plus tard, dans une mesure à peine plus forte, les influences d'Homère et de Phidias. Nous admirions quelle inimitié ardente, austère, implacable, ont montrée aux œuvres de l'art et aux signes de la beauté les plus résolus ennemis de l'organisation catholique. Luther est iconoclaste comme Tolstoï, comme Rousseau. Leur commun rêve est de briser les formes et de diviser les esprits. C'est un rêve anti-catholique. Au contraire, le rêve d'assembler et de composer, la volonté de réunir, sans être des aspirations nécessairement catholiques, sont nécessairement les amis du catholicisme. À tous les points de vue, dans tous les domaines et sous tous les rapports, ce qui construit est pour, ce qui détruit est contre ; quel esprit noble ou quel esprit juste peut hésiter ?
Chez quelques-uns, que je connais, on n'hésita guère. Plus encore que par sa structure extérieure, d'ailleurs admirable, plus que par ses vertus politiques, d'ailleurs infiniment précieuses, le catholicisme faisait leur admiration pour sa nature intime, pour son esprit. Mais ce n'était pas l'offenser que de l'avoir considéré aussi comme l'arche du salut des sociétés. S'il inspire le respect de la propriété ou le culte de l'autorité paternelle ou l'amour de la concorde publique, comment ceux qui ont songé particulièrement à l'utilité de ces biens seraient-ils blâmables d'en avoir témoigné gratitude au catholicisme ? Il y a presque du courage à louer aujourd'hui une doctrine religieuse qui affaiblit la révolution et resserre le lien de discipline et de concorde publique, je l'avouerai sans embarras. Dans un milieu de politiques positivistes que je connais bien, c'est d'un Êtes vous catholiques ? que l'on a toujours salué les nouveaux arrivants qui témoignaient de quelque sentiment religieux. Une profession catholique rassurait instantanément et, bien qu'on n'ait jamais exclu personne pour ses croyances, la pleine confiance, l'entente parfaite n'a jamais existé qu'à titre exceptionnel hors de cette condition.
La raison en est simple en effet, dès qu'on s'en tient à ce point de vue social. Le croyant qui n'est pas catholique dissimule dans les replis inaccessibles du for intérieur un monde obscur et vague de pensées ou de volontés que la moindre ébullition, morale ou immorale, peut lui présenter aisément comme la voix, l'inspiration et l'opération de Dieu même.
Aucun contrôle extérieur de ce qui est ainsi cru le bien et le mal absolus. Point de juge, point de conseil à opposer au jugement et au conseil de ce divin arbitre intérieur. Les plus malfaisantes erreurs peuvent être affectées et multipliées, de ce fait, par un infini. Effrénée comme une passion et consacrée comme une idole, cette conscience privée peut se déclarer, s'il lui plaît, pour peu que l'illusion s'en mêle, maîtresse d'elle-même et loi plénière de tout : ce métaphysique instrument de révolte n'est pas un élément sociable, on en conviendra, mais un caprice et un mystère toujours menaçant pour autrui.
Il faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l'homme et de la société ; pour la résoudre, il faut constituer des autorités vivantes chargées d'interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là et là seulement, l'homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l'homme n'ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d'un froissement, et la société trouve devant elle un grand corps, une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoique inégalement compétentes. L'Église incarne, représente l'homme intérieur tout entier ; l'unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L'État, un lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il contre une poussière de consciences individuelles, que les asservir à ses lois ou flotter à la merci de leur tourbillon ?
Charles MAURRAS •
L'on peut aussi lire intégralement ...
Le Dilemme de Marc Sangnier (1906)
http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2016/10/26/grands-textes-xxxviii-5865894.html
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La démolition du système scolaire date du Général De Gaulle
L'Homme Nouveau publie une passionnante enquête de Jean de Viguerie sur la crise scolaire en France. L'auteur date la décadence du système éducatif au général De Gaulle. Extrait :
"[...] Revenu au pouvoir en 1958, élu président de la République, Charles De Gaulle se saisit du dossier « instruction publique » et impose deux réformes capitales, la « démocratisation » et la diminution des enseignements dispensés. De Gaulle s’occupe personnellement de la « démocratisation ». Il y travaille en « Conseil privé restreint » avec Jacques Narbonne, son conseiller pour ces questions, Christian Fouchet, ministre de l’Éducation nationale, et à l’occasion, le recteur Jean Capelle. Le projet à l’étude, comme l’autre, celui de la diminution des enseignements, feraient partie d’un plan d’ensemble intitulé « réforme » ou « réforme générale de l’enseignement ». Les deux expressions reviennent de temps en temps dans les notes ou les procès-verbaux. On en parle comme d’un plan déjà élaboré, et sur le point d’être appliqué. Ce plan, tout au moins la partie « démocratisation », est celui du parti communiste présenté aux deux assemblées en 1947 par les députés communistes Langevin et Wallon, et alors rejeté. Il prévoyait de faire passer en 6ème, c’est-à-dire dans le secondaire, tous les élèves de la dernière classe du primaire. De Gaulle l’adopte. Il n’a pas le choix. C’est très probablement l’une des deux conditions de la « paix sociale », l’autre étant l’abandon de l’Algérie. Nous disons « très probablement », n’ayant aucune preuve écrite d’un tel accord. La décision ne tarde pas. L’examen d’entrée en 6ème est supprimé par la circulaire ministérielle du 13 mars 1959. Les assemblées n’ont pas été consultées. C’est une mesure choc, mais on a fait en sorte que le public n’en voie pas l’importance. La propagande officielle la justifie par le principe d’égalité : le baccalauréat, dit-elle, ne sera plus réservé aux enfants de la bourgeoisie. Or, il ne l’avait jamais été. Toutes les classes du secondaire comptaient des enfants de tous les milieux sociaux. On sélectionnait les meilleurs du primaire, si leurs parents le voulaient bien. Toute sélection étant supprimée, la qualité de l’enseignement secondaire ne peut qu’en souffrir. Le ministère tente d’y parer. Il crée en 1962 des « collèges d’enseignement général », d’où les élèves venus du primaire, et s’adaptant mal, pourront accéder soit au primaire supérieur, soit aux enseignements professionnels. L’idée est sans doute ingénieuse, mais ces collèges sont supprimés en 1975.
Diminution des savoirs
À la démocratisation s’ajoute, nous l’avons dit plus haut, la diminution des savoirs fondamentaux. C’est l’autre réforme due au général De Gaulle, et qui est comprise dans ce qu’on appelle au ministère, « la réforme générale de l’enseignement ». Celle-ci ne semble pas avoir été évoquée au « Conseil privé restreint ». Elle est préparée au ministère et publiée ensuite au Bulletin officiel de l’Éducation nationale (B.O.E.N.) dans les années 1963, 1964 et 1965, sous la forme de circulaires ministérielles, et sans intervention (comme pour la démocratisation) du pouvoir législatif. Y sont indiquées les notions dont l’étude sera moins approfondie, ou même facultative. [...]
Après avoir dégradé les enseignements primaire et secondaire, le pouvoir gaulliste s’en prend à l’enseignement supérieur, mais cette fois la réforme est soumise à l’approbation du Parlement et elle est votée le 11 octobre 1968 à la quasi-unanimité des députés. Edgard Faure, ministre de l’Éducation nationale en est officiellement l’auteur, mais on a la certitude que les communistes avaient mis au point le projet. Cette loi donne le gouvernement des universités à des conseils irresponsables où les professeurs sont en minorité, les étudiants, le personnel administratif et technique et les « personnalités extérieures » formant une majorité incapable de promouvoir un enseignement de qualité et de comprendre l’importance d’une recherche scientifique de haut niveau. Parti d’une agitation étudiante (le mouvement du 22 mars) une sorte de révolution mi-étudiante, mi-ouvrière avait profondément troublé et paralysé le pays au cours des mois de mai et juin 68. On a cru, on croit encore aujourd’hui, que la réforme des universités a été de la part du chef de l’État une satisfaction donnée aux « soixante- huitards ». En fait, De Gaulle ne s’était jamais inquiété pour l’université, dont il se souciait peu. S’il s’était inquiété, c’était pour son propre pouvoir. Une fois rassuré par les manifestations en sa faveur, par la promesse du général Massu de le soutenir, enfin par son succès triomphal aux élections législatives, il aurait très bien pu faire voter une réforme universitaire beaucoup moins démagogique. Mais il trouva plus sûr de céder aux directives du parti communiste et de faire adopter son plan. La loi d’orientation de 68, en dégradant l’enseignement supérieur, n’est que la suite et l’achèvement des réformes de l’enseignement préparées par le PC et accomplies depuis 1958 par le gouvernement De Gaulle. 68 n’est pas un commencement mais l’achèvement d’un premier travail de démolition. [...]"
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Après Calais, Civitas organise une conférence à Metz et une autre à Strasbourg
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« Le Crépuscule de la France d’en haut » de Christophe Guilluy
Christophe Guilluy, dans Le Crépuscule de la France d’en haut, poursuit le travail d’investigation entamé avec ses deux ouvrages précédents, Fractures françaises (2013) et La France périphérique (2014), qui lui ont valu à juste titre succès de librairie et une certaine forme de reconnaissance médiatique sur lesquels Polémia a appelé l’attention en leur temps.
Ce géographe a en effet rejoint la cohorte des philosophes, démographes, sociologues et autres politologues qui sont réputés venir de « la gauche », mais qui, à un moment donné de leur réflexion, estiment en leur âme et conscience devoir rompre avec l’idéologie dominante, tant celle-ci leur paraît enfermée dans le déni de réalité.
C’est dire que Christophe Guilluy, comme Michel Onzain, Michèle Tribalat ou Jean–Claude Michéa, est périodiquement cloué au pilori par les « nouveaux bien-pensants », tout simplement parce que, comme dans la chanson de Gilbert Bécaud, « il a dit la vérité, il doit être exécuté ».
On retrouvera dans Le Crépuscule de la France d’en haut une thématique amorcée dans les ouvrages précédents : le clivage fondamental de la société française s’organise moins autour de l’opposition entre la ville et ses banlieues que dans une coupure entre les « métropoles » et la France périphérique, c’est-à-dire tout le reste : banlieues et zones péri-urbaines, villes petites et moyennes et ce qui subsiste du pays rural.
A la France périphérique reviennent la désertification démographique, industrielle et commerciale, le chômage et, de surcroît, pour les banlieues une perte des repères identitaires accentuée par une immigration incontrôlée et un communautarisme qui sont notre lot quotidien.
A contrario, les nouvelles métropoles dont l’illustration est offerte de façon criante par Paris et par Londres, regroupent de plus en plus les « heureux de la mondialisation », cette nouvelle classe dominante, déjà décrite avec talent par Luc Gaffié dans La Bobocratie (1).
Cette nouvelle bourgeoisie possède l’argent, qui est d’ailleurs sa première valeur de référence et lui permet d’être la seule à pouvoir s’offrir le luxe de vivre au cœur des métropoles, consentant au mieux de faire construire – pas trop près tout de même – quelques logements sociaux pour abriter les « petites mains » qui lui assureront les services publics ou privés dont elle a besoin au quotidien. Mais généralement la situation se solde par une « bunkerisation » de fait dans les centres-villes, en rejetant les gens les plus modestes vers des banlieues de plus en plus lointaines avec leur cortège de transports en commun surchargés et d’insécurité culturelle, pour reprendre un euphémisme utilisé par Laurent Bouvet dans son ouvrage éponyme (2).
Mais l’argent ne suffit pas si l’on ne maîtrise pas les consciences. Outre les dirigeants et cadres supérieurs du secteur économique et les professions libérales de haut niveau, la classe dominante englobe également la caste politique et médiatique, ces « faiseurs d’opinion » essentiels pour assurer une emprise sur la majorité, par le martèlement incessant de l’idéologie des droits de l’homme et du vivre-ensemble, et la stigmatisation de toute pensée dissidente. Guilluy affirme sans détours que le phénomène des métropoles est intrinsèquement lié au triomphe de la mondialisation et de l’idéologie libérale-libertaire. En rejoignant ainsi les analyses dont Polémia et bien d’autres se font l’écho depuis des années, on comprendra aisément qu’il ne soit pas couvert d’éloges dans Libération ou dans Le Monde. On pourra s’étonner, en revanche, qu’il ait les faveurs du Figaroou de Valeurs actuelles, dont le lecteur moyen, qu’il le veuille ou non, est un bénéficiaire objectif de la mondialisation…
Certains trouveront que la réflexion de l’auteur, qui tourne autour de la notion de classe sociale et utilise abondamment le concept de « classe populaire », comporte horresco referens quelques relents de marxisme. Je pense pour ma part qu’il faut faire justice de ce type d’accusations, pour plusieurs raisons :
En premier lieu, il n’est pas inutile de rappeler que l’antimarxisme ne se nourrit pas de la négation de l’existence ni même de la lutte des classes, mais de la contestation de l’idée que cette lutte soit le moteur de l’Histoire. Rien de tel chez Guilluy : l’opposition entre classe dominante et classes populaires ne comporte aucune vision messianique du rôle de ces dernières, aucune insinuation de l’émergence d’un nouveau prolétariat, ni aucune perspective de révolution inéluctable. Il s’agit de montrer que le règne de la « classe moyenne » n’est désormais rien de plus qu’un mythe, alors que depuis plusieurs décennies cette classe est tirée vers le bas par la mondialisation pour se fondre dans une notion plus générale de classe modeste ou populaire qui représente de nos jours largement plus de la moitié de la population française.
Christophe Guilluy met, par ailleurs, en évidence que si cet antagonisme entre la majorité des « gens ordinaires » – pour reprendre un terme cher à Michéa (3) – et la classe dominante ultra-minoritaire ne débouche pas – jusqu’à maintenant – sur des troubles graves, mis à part les conflits à caractère ethnoculturel, c’est bien parce qu’une part non négligeable des classes populaires demeure persuadée que les bienfaits de la mondialisation l’emportent sur ses effets dévastateurs. Dans ce domaine, la police de la pensée et les médias aux mains des multinationales ou de chefs d’entreprise acquis à la mondialisation ont encore une redoutable efficacité, même si elle est de plus en plus battue en brèche.
L’auteur précise également son analyse sur trois points importants :
- La confrontation qu’il met en évidence n’a rien à voir avec une révolte contre les « super-riches ». Il souligne à juste titre que ce thème est utilisé comme un leurre ou un paratonnerre par la caste politique et médiatique pour détourner l’attention de ses propres turpitudes, en désignant un ennemi d’autant plus commode qu’on le sait hors d’atteinte. C’est l’application de la méthode du « quart d’heure de haine » telle qu’elle est narrée par George Orwell dans son incontournable chef-d’œuvre 1984 (4).
- Les questions de l’immigration et du multiculturalisme ne sont pas évacuées mais, aux yeux de Guilluy, elles sont un facteur aggravant de la désagrégation sociale que nous observons, pas son explication unique. On ne le suivra guère lorsqu’il décèle chez certaines « élites » issues de l’immigration un besoin d’identité et de sécurité culturelle peu différent de celui qui anime les classes modestes « de souche », car c’est un comportement qui paraît relever sinon du phantasme, au moins de l’exception. Mais on peut au moins être d’accord avec l’idée que la mondialisation est un phénomène à multiples facettes, et ne saurait être réduit à sa dimension migratoire.
- Dans cette volonté de se garder de tout réductionnisme, Guilluy note avec raison que les aspirations des classes populaires au regard de la mondialisation vont bien au-delà de celles de l’électorat du FN, puisque toutes les enquêtes récentes montrent que c’est bien plus de 50% des Français qui marquent un attachement à plus d’identité, de sécurité, de sédentarité et d’enracinement.
Un tel constat pourrait laisser à penser que l’avenir est prometteur. Pourtant, bien que les mondialistes soient nettement minoritaires et de plus en plus contestés, Christophe Guilluy estime, de son point de vue de géographe, que le processus de ségrégation territoriale et de désertification de la France périphérique sont trop avancés pour être réversibles.
Lorsqu’on observe la convergence de vues entre la désastreuse Anne Hidalgo à Paris et le nouveau maire de Londres Sadiq Khan, en faveur d’un repli sur soi de la ville centre par rapport aux banlieues, on ne peut pas être vraiment enclin à l’optimisme. D’ailleurs, les projets pharaoniques du Grand Paris et singulièrement le grand réseau de transport express ne sont-ils pas destinés à tenir les classes modestes à distance de Paris, qui serait ainsi réservée à ses riches habitants, aux touristes et à leurs services ancillaires ?
En définitive, en dépit de quelques réserves, la lecture du Crépuscule de la France d’en haut offre un constat de l’état de la société française qui rejoint sur bien des points nos analyses, et l’on ne saurait trop saluer le courage de Christophe Guilluy, qui brise les tabous sans renoncer pour autant à son expertise de géographe. Les démarches sans concessions comme la sienne sont de moins en moins isolées dans le domaine des sciences humaines, et les cris d’orfraie qu’elles suscitent sont à la mesure de la débandade des idéologies cosmopolites.
Bernard Mazin , 23/10/2016
Christophe Guilluy, Le Crépuscule de la France d’en haut, éd. Flammarion, 2016, 253 p.
Ouvrages cités :
- (1) Luc Gaffié, La Bobocratie, une classe à part, Ed. Xenia, 2016.
- (2) Laurent Bouvet, L’Insécurité culturelle, Ed. Fayard, 2015.
- (3) Jean-Claude Michéa, Le Complexe d’Orphée : la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, Ed. Flammarion, Champs Essais, 2011.
- (4) George Orwell, 1984, Folio, 1949.
Ouvrages de Christophe Guilly :
Fractures françaises
La France prériphériquehttp://www.polemia.com/le-crepuscule-de-la-france-den-haut-de-christophe-guilluy/