culture et histoire - Page 1288
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Les Grandes Batailles Du Passé : 1066 Hastings
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« Bloody Sunday »ou le modèle global de la contre-insurrection
Finalement, 38 ans après les événements en cause, et après douze ans d'une enquête fleuve marquée par un coût exorbitant (230 millions d'euros), le rapport sur le « Bloody Sunday », ce dimanche sanglant du 30 janvier 1972 où la répression par l'armée britannique d'une manifestation catholique avait fait 14 morts à Londonderry en Irlande du Nord, a finalement été publié le 15 juin dernier. Et l'on dira avec raison, « un rapport de plus, qui sera vraisemblablement renvoyé aux calendes de l'histoire, comme un épisode de plus de l'histoire coloniale britannique ! ».
Que retiendra l'opinion publique du fameux « Bloody Sunday », si ce n'est les « rusch » stridents de la chanson du bon vieux groupe humanitaro-pacifique de U2, ou bien les excuses solennelles de David Cameron á la chambre des communes qui avaient un goût de larmes de crocodiles très « british » dont on a peine á croire qu'elles sont sincères ?
Comme si un simple rapport quelque peu banal dans la longue liste des exactions et génocides coloniaux de l'Empire britannique allait faire vaciller l'« establishment » londonien, qui traite avec cynisme ces quelques « tâches » de l'histoire britannique. C'est bien connu, lorsqu'on ne veut pas résoudre un problème, qu'il soit d'ordre politique, social ou économique, alors on crée une commission. C'est ce qui c'est passé avec les soi-disantes bavures militaires britanniques que l'on na pas pu cacher á l'opinion publique, qui entachèrent sérieusement l'image de marque « clean » des gouvernements anglais successifs depuis 1972.
Alors on a créé une commision d'enquête avec un rapport copieux de milliers de pages, des juges « impartiaux », bien sûr, pour établir une soi-disante vérité judiciaire sur les faits en question. En fait ce qui est en jeu, ce n'est non pas, bien sûr, de rendre justice á la mémoire de victimes innocentes, au bien-fondé de la cause républicaine irlandaise, ou bien de rehausser le blason de la couronne britannique qui s'est toujours contre-foutu de la soi-disante opinion internationale offusquée par ses menées « impériales » de part le monde, mais bien de conforter la thése qu'il s'agissait d'une simple « bavure » de militaires un peu rapides sur la gachette, de surcroît parachutistes, et vraisemblablement barbouzes du MI5, pour mieux occulter le fait qu'il s'agissait d'une opération préméditée dans le cadre d'un opération britannique de contre-insurrection que les autorités britanniques ont expérimentée á cette époque sur l'Irlande du Nord, pour mieux l'appliquer et l'exporter á l'avenir dans le cadre des opérations militaires atlantistes de pacification dans les zones « insurgées » du tiers monde et au Moyen-Orient.
L'Irlande du Nord : laboratoire de la lutte contre-insurrectionnelle
Le conflit nord-irlandais que les autorités britanniques aiment á appeler « troubles », a été et restera un « terrain d'expérience » fécond de la répression anti-guérilla.
En effet, le cadre de réflexion stratégique et les réponses politiques, militaires, sociales comme sécuritaires britanniques à la crise irlandaise opèrent d'une stratégie globale de guerre contre-subversive.
L'un de ses maîtres d'œuvre de la théorétisation de cette stratégie contre-subversive est Frank Kitson (1), responsable militaire de Belfast et auteur de Opérations de faible intensité - subversion, insurrection et maintien de l'ordre (2). L'axe le plus visible de cette stratégie est la militarisation des opérations de maintien de l'ordre. L'armée obtient un rôle de police tandis que de nouvelles technologies et tactiques sont introduites : gaz CS, gaz CN, déplacement des populations, balle en caoutchouc, en plastique, saturation des ghettos, défoliant, fichage de la population, chars… A plusieurs reprises, les SAS, le MI5 et le MI6 tentent de déstabiliser les groupes armés des deux camps, dans une optique de stratégie de tension, en créant de fausses organisations, en jouant sur les dissidences au sein des mouvements républicains et loyalistes ou encore en empêchant des rapprochements entre ces deux tendances.
Les autorités britanniques agissent en permanence de manière illégale à plusieurs niveaux dans leur lutte contre les républicains. Le gouvernement est souvent accusé d'avoir mis en place une politique du « tirez pour tuer » (« shoot-to-kill »). Les assassinats de civils comme de membres de partis politiques et de groupes paramilitaires se multiplient dès le début des années 1970. C'est encore un secret de polichinelle qu'ils sont le fait des services secrets ou des SAS ou encore de loyalistes ou de gangsters à leurs soldes, comme le révèle l'arrestation en 1973 de Kenneth Littlejohn. Dans le cadre de cette même stratégie de la tension, les Britanniques, tant au niveau du gouvernement que de l'armée et des services secrets, s'assurent de l'apparition de forces alternatives aux mouvements républicains légaux ou illégaux. Ils soutiennent ainsi la création du SDLP mais aussi de différents mouvements pour la paix, tel le Mouvement des femmes pour la paix ou encore des programmes sociaux comme la Northern Ireland Playground Association, destinée aux jeunes. Il s'agit de retirer aux républicains leur soutien populaire. Par ailleurs, le gouvernement britannique utilise la tactique anti-subversive de « criminalisation ». D'autre part, le statut de criminel de droit commun lui permet d'utiliser les services d'organisations internationales comme INTERPOL qui refusent de participer à la répression de mouvements politiques. Afin d'illustrer cette tactqiue de criminalistaion, il convinet de rappeler que Le 5 mai 1981, jour de la mort de Bobby Sands suite à une grève de la faim, Margaret Thatcher, alors Premier ministre du Royaume-Uni, déclare au Palais de Westminster : « Monsieur Sands était un criminel reconnu coupable », symptomatique de cette stratégie. Tout juste après le « Bloody Sunday » et la fuite des informations sur les circonstances et le nombre de manifestants irlandais civils executés par les parachutistes britanniques, les autorités britanniques mettent en place un rigoureux contrôle de l'information. En effet, sur ordre de l'armée, les médias de Grande-Bretagne limitent leurs sujets sur les troubles. Des membres du MI5 et du MI6 sont placés dans de nombreuses rédactions. Chaque jour à Belfast, un officier tient une conférence pour la presse internationale. L'Overseas Information Department, chargé de la propagande du Foreign Office et le MI6 se chargent après la mort de Bobby Sands de diffuser sa version des faits auprès de la presse étrangère et des députés européens ainsi que de limiter le succès dans les festivals du documentaireThe Patriot Game d'Arthur McCaig. Le Political Warfare Executive, rattachée au MI6, l'Information Policy, service secret de l'armée britannique, et l'Information Research Department du Foreign Office organisent des campagnes de propagande et d'intoxication tant en Irlande du Nord, qu’en Angleterre et dans le monde entier.
Un autre aspect de la stratégie contre–insurrectionnelle expérimentale britannique est la collusion entre les groupes loyalistes et les forces de sécurité. Elle est dénoncée dès le début des années 1970 par les républicains. Cette coopération se fait à plusieurs niveaux, depuis l'armement d'émeutiers loyalistes par la RUC jusqu'à l'utilisation de membres de groupes paramilitaires dans des opérations illégales (dont des assassinats de membres de l’IRA comme de civils). L'armée, la police et le gouvernement britannique reconnaissent au fil des ans ces rapports, dévoilés par plusieurs organismes (Cory Collusion Inquiry, Lawyers Committee for Human Rights, Police Ombudsman for Northern Ireland) (3) .Des officiers du renseignement de la police de Belfast des unités spéciales de la RUC ont couverts des informateurs appartenant à la milice protestante UVF malgré leur implication dans au moins 10 meurtres et autant de tentatives, selon les conclusions d'une enquête officielle publiées lundi 22 janvier 2007. Le rapport de 162 pages est le résultat de 3 ans d'enquête. Il demande à la police de rouvrir des dizaines de dossiers datant des années 1990 et de poursuivre les anciens officiers impliqués dans la couverture des crimes de leurs informateurs. Le médiateur de la police a insisté sur la difficulté de son enquête. Ainsi, deux commissaires retraités ont refusé de témoigner. D'autres officiers ont répondu évasivement et de façon contradictoire, faisant parfois preuve de « mépris pour la loi ».
La Contre-insurrection à Bagdad
Les révélations du journaliste d’investigation Seymour Hersh (4), selon lesquelles le gouvernement israélien encourage le séparatisme kurde en Iraq, en Syrie et en Iran, s'inscrivent dans le cadre de la transposition de la stratégie britannique contre-insurrectionnelle au Moyen-Orient et en Mésopotamie (5). Il n’est pas surprenant que les Israéliens recourent á la tactique du « diviser pour régner », la pierre de touche de la politique d’un Empire britannique qui domina autrefois virtuellement tous les continents. Le parallèle entre Israël et l’Irlande ne paraît étrange que si l’on oublie que celle-ci a été le laboratoire du colonialisme britannique. Comme en Ulster, les colons israéliens dans les Territoires occupés ont des privilèges spéciaux qui les séparent des Palestiniens (et aussi des autres Israéliens). L'historien et journaliste Conn Hallinan (6) va plus loin en affirmant que l'Irlande du Nord est un modèle de conquête impériale transposable á l'Irak. La législation britannique ségrégationniste en Irlande tels que les Statuts de Kilkenny, en 1367, qui interdisaient le « bavardage » avec les autochtones, les lois pénales de 1692 qui déniaient aux catholiques tout droit civique rappellent les lois d’exception en Irak et en Afhanistan, qui ne sont que la partie visible d’une vaste stratégie d’expérimention contre-insurrectionnelle au Moyen-Orient. En effet, deux généraux américains qui se sont distingués en Irak, le général James N. Mattis du Marine Corps (corps des Marines) et le général David H. Petraeus de l’US Army (armée de terre), chacun en charge de l’entraînement et du commandement doctrinal de son armée, témoignent de la transposition de la stratégie irlandaise de contre–insurrection en Irak et au Moyen-Orient, stratégie bien sûr ré-adaptée et revisitée en fonction du contexte local, culturel, et techno-militaire. Les dits généraux ont récemment fait circuler la première version d’un manuel de « contre-insurrection » (7) (FM 3-24 Draft.).
D'autre part, Robert Fisk révèle que David Petraeus, le commandant des forces US à Bagdad, a préparé un plan consistant à transformer Bagdad en une gigantesque prison, en enfermant le tiers des quartiers de la ville dans des clôtures, et où les allées et venues seraient rigoureusement contrôlées. Le plan prévoit également le déploiement de cinq brigades mécanisées, soit 40.000 hommes, aux alentours de la capitale.
Vérité judiciaire et vérité historique
On ne peut que douter de l’issue judiciaire du rapport, et de l’incrimination de l’armée britannique dans son ensemble sur le critère de la responsabilité de commandement ; il faudra tout juste s’attendre á l’application d’une stratégie judiciaire du « bouc émissaire » en condamnant des actes criminels militaires « isolés » imputables á quelques militaires chevronnés peu soucieux du code militaire, stratégie qui au bout du compte lavera la responsabilité de la couronne anglaise. A ce titre, quoi de plus banal et laconique que les propos de David Cameron devant la Chambre des Communes qui a affirmé que l'action des soldats britanniques lors du « Bloody Sunday », n'était « ni justifiée ni justifiable » ? Il a même ajouté que « C'était mal ». Merci, l’émotion était á son comble et nous avons tous été très « shocked ». Il convient de rappeler d’autre part que le dit rapport évite soigneusement de replacer les faits du « Bloody Sunday » dans le contexte plus large et historique du conflit irlandais-britannique. Pourquoi ? Parce que l’écriture de l’histoire d’une nation n’est pas univoque. Or, le procès tient une place particulière dans la lecture a posteriori de l’histoire.
Mais les méthodes respectives des historiens et des juges diffèrent considérablement. Des procès Barbie, Touvier et Papon, nous pouvons dégager un certain nombre de divergences et de mésententes entre juges et historiens : le risque d’anachronisme, qui est la conséquence logique de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité ; la difficulté de la remise en contexte, longtemps après les faits ; la place des historiens dans le procès, convoqués comme témoins – ce qu’ils ne sont pas –, mais intervenant comme experts – ce qu’ils ne peuvent être juridiquement à l’audience ; les questions purement procédurales, comme celle de l’administration de la preuve, le principe de l’imputabilité des faits et celui de la responsabilité personnelle. Enfin, l’office du juge est de rechercher et de connaître la vérité à travers le verdict (« vérité dite »). La vérité judiciaire répond donc à une logique propre, qui n’est pas celle de la vérité scientifique ou historique. Or, dans certains procès historiques, les magistrats ont parfois adapté le droit à la réalité et même parfois adapté l’histoire au droit ; d’autres ont même réécrit l’histoire. C’est pourquoi les juges anglais s’efforceront tant bien que mal de faire abstraction du fait que les événements du dimanche sanglant, sont la conséquence d’un longue genèse du conflit nord-irlandais qui remonte á la période historique de la colonisation britannique de l’Irlande par les Tudors, la confiscation des terres irlandaises et la colonisation des « planteurs » anglais, la conquête cromwellienne, puis la partition de l'Irlande.
Paradigme sécuritaire de l’ordre néolibéral global
L’immense majorité des auteurs de stratégie militaire ou de politique internationale s’accorde pour reconnaître le brouillage actuel des codes et des cadres traditionnels du conflit collectif armé. Guerres interétatiques, de prédation, civiles, asymétriques, irrégulières, terrorisme, tout succède à tout, se chevauche, se mélange, pour disparaître dans le grand fourre-tout du générique « instabilité ». Dans le cadre de cette nouvelle polémosphère confuse et plurielle car globale, la théorie et la stratégie de la contre-insurrection qui a été experimentée en Irlande du Nord, puis adaptée et appliquée au Moyen-Orient, en Irak et Afganistan, sont peu à peu devenues le fer de lance doctrinal et praxéologique de la lutte globale contre le terrorisme de l'ensemble de la communauté internationale au delá de toutes divergences idéologiques et politiques. La contre-insurrection est devenue le nouveau paradigme sécuritaire de l'ordre néolibéral global. Le traitement sémantico-symbolique de « l'insurgé » et la question de la légitimité de la lutte insurectionnelle sont évacués au profit du maintien de l'ordre établi pur et simple. A ce titre la contre–insurrection est devenue le nouveau mode opératoire de gestion et de surveillance des nouveaux rapports de dominance néocoloniaux géopolitiques et sociétaux. Dans une perspective sémantique et philosophique, il semblerait que le devenir de l'individu et des peuples soit insurrectionnel, alors que l'avenir de l'ordre établi est contre-insurrectionnel. Dans le cadre de la guerre informationnelle permanente, le signifié contre- insurrectionnel « légal », « Etatique », « pacificateur », « civilisateur » « raisonnable », « impérieux » et « centripète », tend á abosrber le signifiant insurrectionel, « chaotique », « asymétrique », « imprévisible“, « irrationnel“, « centrifuge » et « subversif ».
Jure Vujic, Géopoliticien Septembre 2010
Notes :
(1) voir Low Intensity Operations: Subversion, Insurgency and Peacekeeping (1971, Faber and Faber) (
(2) voir John Bowyer Bell, « The Escalation of Insurgency: The Provisional Irish Republican Army's Experience, 1969–1971 » , dans The Review of Politics, vol. 35, no 3, juillet 1973.
(3) voir CAIN Web Service, Police Ombudsman for Northern Ireland, « Public Statement » by Mrs Nuala O'Loan on her investigation into the circumstances surrounding the death of Raymond McCord Junior and related matters, (Operation Ballast).
(4) Seymour Hersh, « Divide and rule-Americ's paln for Bagdad » The New Yorker, 7. 07.2008. (
(5) Voir aussi: Steve Niva « Wallinf off Irag : Israel's imprint on US Counter-insurgency doctrine »
(6) voir article http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2232&lg=fr
(7) disponible sur http://www. fas. org/ irp/ doddir/ army/ fm3-24fd. pdfJure Vujic, avocat, diplômé de droit à la Faculté de droit d'Assas Paris II, est géopoliticien et écrivain franco-croate. Il est diplômé de la Haute Ecole de Guerre « Ban Josip Jelacic » des Forces Armées Croates et de l'Académie diplomatique croate où il donne des conférences régulières en géopolitique et géostratégie. Il est l’auteur des livres suivants: Fragmenti geopoliticke misli (Zagreb, éditions ITG, 2004), Hrvatska i Mediteran – geopoliticki aspekti (éditions de l'Académie diplomatique du Ministère des Affaires Etrangères et des intégrations européennes de la République de Croatie, 2008),Intelektualni terorizam - Hereticki brevijar (Zagreb, éditions Hasanbegovic, 2007), Trg marsala Tita : Mitovi i realnosti titoizma (Zagreb, éditions Uzdanica, 2008), Anamnèses et transits (Zagreb-Bruxelles, éditions NSE), Nord-Sud l'honneur du vide (Zagreb-Bruxelles, éditions NSE), Eloge de l'esquive (Zagreb, éditions Ceres, 2006), Kad andeli utihnu - Apokrif Ante Gotovine ( Zagre2009).
Il est également auteur d'une centaine d'articles en philosophie, politologie, géopolitique et géostratégie. Il signe regulièrement des articles dans les journaux croates Vjesnik, Fokus, Vijenac, et dans les revues Krisis, Catholica . Il collabore avec le Centre d'Etudes Politiques de Zagreb et occupe le poste de responsable du département politologie dans l’Association Matica Hrvtaska.
Enfin, il a préfacé le dernier livre de Tomislav Sunic, La Croatie : un pays par défaut ?, Éditions Avatar, coll. « Heartland », 2010, 252 p., 26 €. -
Bistro Libertés avec Renaud Camus (12/09/2015)
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Vae Victis - Hors la loi
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Les Grande Batailles Du Passé : 1410 Grunwald-Tannenberg
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L'Économie aux risques du regard historique
Face au grand assaut de la sottise contemporaine, certains rares auteurs décriés nous apprennent quand même pas mal de choses et on les consulte avec intérêt. Le mot plaisir serait sans doute excessif, car il évoque une préoccupation commune, qui relève hélas plutôt de la douleur, s'agissant du déclin de la France. Leurs adversaires, autruches ne voulant pas voir la réalité ou cherchant à la maquiller, ont inventé à ce sujet le terme de "déclinisme". Le suffixe semble suggérer qu'ils sont des partisans du phénomène, ou, au moins des spécialistes se complaisant dans leur observation.
Encore ce 8 septembre Nicolas Baverez, l'un des plus percutants d'entre eux intervenait ainsi sur Radio Classique pour y développer des analyses économiques qui paraissent fort justes, dénonçant les erreurs dans lesquelles à nouveau s'engouffre à nouveau notre lamentable président.
On se demande pourquoi, cependant, cet intervenant, trop rare et si pertinent dans les domaines économiques et juridiques qu'il connaît si bien, et qui exerce en ville, si ma mémoire est bonne, la profession d'avocat à la cour, est présenté pour "historien". Rien dans son propos ne s'attache pourtant à la connaissance proprement "historique".
De cette discipline, au rebours des sciences expérimentales, de cette "science des faits qui ne répètent pas" disait Paul Valéry, les enseignements mériteraient d'être tirés. À partir des événements du passé, quand on les a explorés, avec prudence sans doute car ils ne réapparaissent jamais vraiment à l'identique, on peut retirer d'importantes leçons.
De manière discrète mais forte elle nous écarte de ce que Milton Friedman appelle le "modèle naïf", lequel nous incite à croire que "ce qui s'est passé récemment se reproduira constamment". Trop de gens parlant des faits économiques sous l'influence de ce modèle naïf, le regard historique se révèle indispensable.
Sous le regard de l'Histoire, le déclin de la France remonte bien avant l'avènement de gens comme Giscard, Chirac ou Hollande, si négatifs que soient leurs bilans.
Ainsi a-t-on évoqué ces jours derniers, autour du 1er septembre, au gré du 300e centenaire de la mort de Louis XIV (1638-1715), son règne interminable et monumental, le plus long de l'Histoire, au cours duquel le royaume s'est agrandi de territoires "d'étranger effectif" semant hélas le germe des antagonismes futurs.
Or, si l'on peut à bon droit considérer le XVIIe siècle comme le Grand Siècle de la France, on ne doit pas oublier qu'il a connu trois règnes et deux régences, et que les grands auteurs littéraires doivent au moins autant aux temps de Louis XIII et de Mazarin qu'à cette période de lent déclin où la Cour fut installée et le pouvoir centralisé à Versailles, officiellement à partir de 1682.
La grande continuité de l'époque tient certes au régime monarchique. Sans celui-ci, sans la maison de Bourbon, l'éclosion d'une forte civilisation française n'aurait sans doute pas été possible. Mais plutôt que par les souverains eux-mêmes elle fut impulsée par une suite quasi providentielle des grands ministres : successivement Sully, (de 1596 à 1611), puis Richelieu (de 1624 à 1642) puis Mazarin (de 1642 à 1661) puis Colbert (de 1661 à 1683).
Le gouvernement personnel de Louis XIV n'est brillant que pendant 22 ans, grâce à la gestion de Colbert, ce qui fait décrier au stupide duc de Saint-Simon, seulement talentueux en littérature ce qu'il appelle un "règne de vile bourgeoisie". Colbert mourant en 1683, l'entente avec l'Angleterre étant rompue à partir de 1688, par le soutien de la France aux prétendants stuartistes, aucun budget du royaume ne sera plus en équilibre pendant 30 ans. Le roi ne l'ignore pas en 1715 qui reconnaît lui-même avoir"trop aimé la guerre et les bâtiments".
Si l'on compare les deux royaumes de France et d'Angleterre, cette dernière connut aussi une véritable catastrophe en 1776 avec sa défaite face aux colonies insurgées d'Amérique. La situation de ses finances est à ce moment devenue désastreuse. Contrairement à une idée reçue, le Royaume Uni était alors plus endetté que la France de Louis XVI. (1)⇓
On ne doit pas tenir pour fortuite la publication, en cette même année 1776, de "La Richesse des nations" par Adam Smith car c'est bien la doctrine et la forme de pensée qu'inaugure ce livre qui assurera sur 20 ans la reconstruction de la puissance britannique. La principale force qui permettra la victoire sur Napoléon, le triomphe de Wellington était surnommée d'abord la "cavalerie de Saint-Georges" qui financera les coalitions.
Cette notion est évidemment détestée par nos bons esprits, vérité délibérément tenue pour odieuse dans un pays comme la France. (1)⇓
Cela n'empêche que, de tout temps, les peuples sensés moissonnent avant que leurs armées ne partent en campagne.
Chancelier de l'échiquier en 1782 à l'âge de 23 ans puis principal ministre après l'élection en 1783, William Pitt le Jeune se récalami de la doctrine d'Adam Smith. Il voulait la paix et n'entra dans la guerre européenne, déclenchée par les révolutionnaires français, qu'en janvier 1793, après qu'a été connue à Londres la mort de Louis XVI. Il est lui-même mort en 1806, trop tôt donc pour voir la victoire anglaise de 1815, à la préparation de laquelle il avait tant contribué.
Car c'est d'abord la richesse des nations qui, n'en épaisse aux lecteurs de Saint-Simon, et à beaucoup d'artistes et de spirituels que j'ai tant aimés, que j'aime encore d'ailleurs, ce sont bien les "ères de vile bourgeoisie" qui assurent la puissance, la liberté et le bonheur des peuples. Telle est du moins ma conviction.
JG Malliarakis
Apostilles
- Lire à ce sujet Florin Aftalion "L'Économie de la révolution française" coll. Pluriel/Hachette, réédité aux Belles Letttes ce qui infirme largement la thèse de l'endettement de l'Ancien Régime comme cause essentielle de la révolution française.⇑
- où l'on retient Marignan pour la date significative du règne de François Ier au lieu de s'intéresser aux innombrables conséquences de la bataille, moins glorieuse, de Pavie.⇑
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L’antisémitisme, une œuvre d’art ?
Une fois de plus, un « artiste » a décidé d’exploiter le cadre du château de Versailles pour exposer son œuvre, avec la bénédiction du conservateur et du ministre de la Culture, disposant de ce bien commun historique et artistique comme s’il était le leur.
Livrant son travail aux regards depuis le 9 juin, Anish Kapoor, l’« artiste », n’a pas pour objectif de mettre en valeur l’imposante et magnifique création d’André Le Nôtre, Louis Le Vau, Jules Hardouin-Mansart et Charles Le Brun, mais de la souiller. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est lui : il a intitulé son œuvre « Dirty Corner » que l’on peut traduire par « le coin sale, crasseux, malpropre ». C’est là que se situe une immonde sculpture, une sorte de vulve géante et béante délicatement intitulée « le vagin de la reine ».Évidemment, une telle provocation visant ce joyau architectural, mais plus encore la reine de France a suscité protestations, dégoût et colère. Cette dernière s’est manifestée par des graffitis et dégradations une première fois au début, puis une seconde, il y a quelques jours, laquelle s’est accompagnée d’inscriptions antisémites : « le 2e viol de la nation française par l’activiste juif déviant », « SS sacrifice sanglant ». Manuel Valls a fait part de son « écœurement devant cette alliance de l’infâme et de la réaction », l’infâme étant seulement les textes, le répugnant « vagin de la reine » n’étant pas pour lui une infamie.
Généralement, ce genre d’écrits est promptement effacé. Mais, cette fois, ce ne sera pas le cas, car Anish Kapoor lui-même s’y oppose. Il a déclaré avec emphase : « Désormais, ces mots infamants font partie de mon œuvre, la dépassent, la stigmatisent au nom de nos principes universels. “Dirty Corner” restera donc ainsi. »Le problème est que son « œuvre » avec slogans antisémites intégrés est présentée aux visiteurs, or, les articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 interdisent et punissent tout propos public de haine, injure, diffamation, incitation à la haine et discrimination. Dieudonné, un artiste aussi, l’a appris à ses dépens. On n’a pas reconnu dans ses sketches une dimension artistique absolutoire qui l’aurait dispensé de poursuites. C’est pourtant ce qui est accordé à l’insulteur de la reine, car ni le Mrap, ni la LICRA n’ont demandé que soient effacés ces textes. À ce sujet, Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, a déclaré à Libération : « Je vois mal un juge dénier à Kapoor son droit à décider de l’avenir de son œuvre. Il s’agit d’une réappropriation artistique : par sa démarche, l’artiste change la signification et la portée de ces propos. »
Par la grâce de « l’artiste » et de sa parole magique, les injures antisémites deviennent donc anti antisémites. Les visiteurs du château de Versailles devront donc comprendre qu’elles sont, malgré une apparence trompeuse, le fer de lance de la lutte contre l’antisémitisme. Pour leur éviter de tomber dans un abîme de perplexité, nous leur conseillons de s’épargner cette épreuve en allant directement à la Galerie des Glaces.
Guy Rouvrais
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L'Etat tient-il ses promesses ? Histoire de la dette publique en France (résumé)
XXVIe université annuelle du Club de l’Horloge. « La France en faillite ? Pourquoi nous croulons sous les dettes et les impôts » 9-10 octobre 2010
L'Etat tient-il ses promesses ? Histoire de la dette publique en France (résumé)
Intervention de François-Georges Dreyfus
professeur émérite à la Sorbonne
Le temps des rois (1200-1814)
Depuis que la France existe en tant qu'Etat, c'est-à-dire depuis le règne de Philippe Auguste, ses budgets sont dans les deux tiers des cas en déficit : cet endettement est permanent. Ces situations difficiles pour les finances du royaume sont dans la plupart des cas réglées par des expédients, que Philippe le Bel utilisera sans vergogne : diminution du poids d'or ou d'argent dans les pièces de monnaie, liquidation de l'ordre des templiers, expulsion des juifs et des « lombards » (banquiers italiens). Si, après le règne de Philippe le Bel, la situation financière est stabilisée, elle devient dramatique avec la guerre de Cent ans. Pour réguler les finances royales, Charles VII s'appuie sur le grand banquier de l'époque, Jacques Cœur, et Louis XI poursuivra une politique d'assainissement financier en s'engageant dans une politique économique fondée sur l'intervention de l'Etat.
Tout cela est mis à mal par les politiques belliqueuses de ses successeurs, Charles VIII, Louis XII, François Ier, Henri II : de 1490 à 1559 (traité du Cateau-Cambrésis), la France est en guerre, cela n'arrange pas les finances publiques ; et à la mort d'Henri II (1559) commencent les guerres de religion, qui perdureront jusqu'à l'édit de Nantes (1598) et même (siège de la Rochelle) jusqu'à l'édit de grâce d'Alais (1629). Henri IV et Sully avaient, pour réguler la dette, entretenu l'idée de vendre les offices, mais cela freine les investissements économiques. Richelieu, lui, règle le problème de la dette par l'inflation ; la Fronde et le règne de Louis XIV mettent à mal la situation financière de l'Etat, bien que la politique de Colbert favorise une croissance économique. Elle permet de construire Versailles tout en maintenant une armée solide, une politique de fortifications, une marine efficace, mais les crises économiques qui se succèdent après 1690 réduisent ces efforts à néant. La banqueroute de Law après 1715, qui est en fait pour une large part une banqueroute de l'Etat, permet d'apurer une partie de la dette.
Louis XV connaît les mêmes difficultés ; là encore, les conflits, Succession d'Autriche et guerre de Sept ans, n'arrangent pas la situation, d'autant que l'on assiste à une politique de grands travaux immobiliers (place de la Concorde, école militaire, etc...) et de mise en place d'infrastructures. Mais toutes les tentatives de réforme fiscale (par exemple le vingtième de Machault d'Arnouville ou celles du triumvirat de 1770) avortent. Le règne de Louis XVI sera plus catastrophique encore (la guerre d'indépendance des Etats-Unis coûte très cher) et l'échec des réformes (Turgot, Calonne) est un des éléments essentiels qui conduit à la Révolution.
Pour pallier la dette, la Constituante a confisqué les biens du clergé et mis en place une monnaie de papier, l'assignat, qui deviendra très vite une monnaie de singe. L'orthodoxie financière réapparaît avec le franc Germinal créé par Bonaparte.
La prospérité et les victoires avec le droit du vainqueur permettent d'équilibrer les budgets jusqu'en 1811. La chute de l'Empire coûte cher, mais heureusement la France n'a pas à payer d'indemnité de guerre lors des deux traités de Paris (1814 et 1815).
Le temps des bourgeois
Le XIXe siècle fait exception dans notre histoire financière. De 1814 à 1870, la France est en paix : les conflits sont extérieurs : Espagne, Algérie, Crimée, Italie. A partir des années 1820, la France s'enrichit lentement et, comme le demande le baron Louis, on fait une bonne politique, ce qui donne une bonne finance. La guerre franco-allemande fait découvrir une France riche et le poids de la dette publique est faible. Mais il s'agit d'une France malthusienne, à la seule exception notable de l'époque de Napoléon III. De 1815 à 1913, plus de la moitié des budgets sont excédentaires, mais l'on vit chichement, sauf sous le Second Empire : de 1840 à 1850, la France construit 1.000 km de voies ferrées, les Allemagnes 5.000... Sous la IIIe République, Freycinet lance un programme de grands travaux, la moitié n'est pas exécuté, tel le grand canal du Nord qui sera terminé vers 2014 !!! L'affaire de Panama illustre fort bien le malthusianisme des « nouvelles classes moyennes » (Gambetta).
Le temps des déficits
1914 marque une rupture : c'est la Grande guerre ; elle coûte 174 milliards de francs-or, dont 80% sont couverts par l'emprunt. On assiste dès lors à une dévaluation monétaire. De 1919 à 1938, seuls quatre budgets sont excédentaires, pour 10 milliards de francs. Ce sont les budgets Poincaré (1926 - 1927 - 1928 - 1929). Cela ne compense pas les 49 milliards de la période 1920-1925 et de 1930 à 1938 la totalité des déficits représente plus de 110 milliards de francs-or ; on rappellera que le franc a été dévalué par Poincaré, puis par le Front populaire en 1936.
La Seconde guerre mondiale, la défaite, l'occupation vont entraîner des dettes considérables, que l'on couvre plus ou moins par des emprunts, tel l'emprunt Pinay en 1952. Mais le poids de la guerre, la reconstruction pèsent lourdement sur les finances, aussi aucun budget de la IVe n'est-il excédentaire ; ne le seront seulement sous la Ve que les budgets de l'ère Pompidou : le déficit représentant de 0,5% à 4% (en 1975) du PIB entre 1959 et 1976, contre une moyenne de 4,81% pour la période 1947-1958.
En 2007, la dette publique de la France au sens du traité de Maastricht est de 63,7%, moins que l'Allemagne (67,9%), mais plus que l'Espagne (39%) et l'Irlande (24,9%), l'Italie et la Grèce étant au sommet avec respectivement 106,8% et 104,6%.
Durant la période juste avant la crise de 2008, le déficit budgétaire avait été ramené à 3% du PIB en 2006 et 2,5% en 2007. Quant au poids de la dette, il représentait 18% du budget en 1990, 34% en 1996, 37% en 2002, 39% en 2007.
On le voit, du XIIIe siècle au XXIe, les budgets français sont très majoritairement déficitaires. Se pose alors un problème : dans quelle mesure le poids de la dette a-t-il joué un rôle dans l'histoire de notre pays ? En dehors, bien entendu, du cas de la Révolution de 1789, il n'est pas évident qu'il ait été aussi nocif qu'on le dit.
François-Georges Dreyfus
professeur émérite à la Sorbonne
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Manuscrit de Talhoffer : Le livre de combat secret du Moyen-Âge
Le livre sur le Combat de Hans Talhoffer (1420-1490) est un des plus mystérieux manuscrits du Moyen-Âge au monde. Daté de 1459, il se compose de 150 feuillets en papier écrit en dialecte Souabe, et dans ses pages illustrées apparaît une collection unique d’images de combats sanglants, de personnages portant de curieux accoutrements, de duels, de machines de guerre et d’inventions insolites.
Les pages de ce manuscrit inconnu ont été ramenées à la vie grâce à la technologie actuelle de restauration, mais encore aujourd’hui, la majorité de son histoire et de son contenu reste inexpliqué.
D’après le manuscrit, la véritable histoire de l’Europe durant le Moyen-Âge se révèle être violente, secrète, spirituelle, et contient une mine de connaissances, preuve que la société médiévale était bien plus sophistiquée et étrange que nous le pensions.
Hans Talhoffer est le plus connu de tous les maîtres escrimeurs germains du sud au XVe siècle. Il est contemporain au maître d’armes Paulus Kal, avec qui les manuscrits suggèrent une rivalité professionnelle. Talhoffer enseigna selon la tradition de Johannes Liechtenauer.
Le nom de Talhoffer apparait dans les archives de Zurich, qui indiquent comment il enseigna occasionnellement près du Rathaus, le conseil municipal, en 1454. Il est l’auteur de plusieurs traités illustrés décrivant les méthodes de combat utilisant une grande variété d’armes comme la dague, l’épée longue, le bâton et le combat monté, et incluant le combat à mains nues telle la lutte.Ainsi, il y a moins d’un siècle, entre 1890 et 1894, Gustave Hergsell traduisait et éditait successivement, en cinquante exemplaires chacun, les trois manuscrits d’escrime d’un de ces maîtres historiquement connus, Hans Talhoffer. Ces manuscrits originaux sont datés respectivement de 1459, 1443, et 1467 et ont été rédigés par maître Talhoffer en Souabe germanique. Gustave Hergsell édita en premier ce manuscrit de 1459, écrit quinze ans après celui de 1443, avant d’éditer les autres.
Au XVe siècle, il se passa donc vingt-quatre ans pour Hans Talhoffer entre le premier et le dernier manuscrit original. Le manuscrit de 1459, le premier édité, était en partie une méthode de combat tel que maître Hans Talhoffer l’a enseigné au damoiseau Leutold de Königsegg. Ce Leutold, quant à lui, était membre d’une ancienne famille catholique de Souabe.
Il devait être d’une famille princière, vu ce que l’on découvre de son équipement et de ses armoiries dans les planches relatant son combat. Ces planches montrent d’ailleurs un damoiseau aguerri au combat, ou en tout cas très bien formé.
Les manuscrits correspondent historiquement à la période précédant celle appelée de “la grande ligue de Souabe”, qui permit d’assurer par la suite l’ordre en ces régions, entre 1488 et 1533. Ces trois ouvrages sont plus des manuels d’apprentissage du combat individuel en lice fermée, que des manuels de guerre. Ils préfigurent l’émergence d’un ordre de droit.
Les écrits illustrés du maître d’armes Hans Talhoffer sont une référence en matière de combat médiéval. La contribution du fameux maître d’arme à la théorisation du combat et à la révolution de l’escrime en général est indéniable.
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etre vae victis