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culture et histoire - Page 1757

  • En Homme libre

  • L'effondrement : La famille, les transports et l'urbanisme dans le monde de demain

    La famille
    Bien que de nombreuses familles soient aujourd'hui atomisées, décomposées ou monoparentales, beaucoup se ressouderont et plusieurs familles pourront se grouper dans des maisonnées communes afin de partager les ressources, les coûts et les tâches liées au chauffage, au ménage, à la garde et à l'éducation des enfants et à la recherche et à la production de nourriture.
    Les transports
    Avec le renchérissement et la rareté du pétrole, voire sa disparition pure et simple du commerce mondial, les moyens et les habitudes de transport vont être totalement changés.
         Le transport aérien, low-cost en tête, sera le plus rapide à disparaître, suivi par toute l'aviation civile puis militaire. Utiliser un véhicule à moteur sera un grand luxe, réservé aux plus riches, qui pourront se fournir en essence. L'automobile redeviendra un luxe ou disparaîtra. Faute de maintenance permanente, il ne sera plus possible d'assurer la bonne condition des routes. Cette régression a déjà commencé aux Etats-Unis, où selon le Département fédéral des transports, 18% des autoroutes sont en mauvaise condition et 29% des ponts ont des faiblesses structurelles et sont dans un état dangereux. Une fois les routes les ponts laissés à l'abandon, c'en est fini des transports. Sans automobiles, le transport terrestre se fera essentiellement à dos de cheval, d'âne, de dromadaire, ou par charrette. Les chemins de fer fonctionneront avec des trains à vapeur ou électriques qui pourront circuler encore longtemps, pour autant que l'on puisse sécuriser les voies contre le vol des rails et les attaques. Le transport maritime, et surtout fluvial, bien que réduit, va pouvoir continuer à exister. Le moyen de locomotion individuel le plus efficace sera le vélo. Une bonne partie de la population possède un vélo, souvent dans un état acceptable et rapidement réparable. Avec des carrioles tractées, le vélo sera le moyen de transport du XXIe siècle. On en prendra grand soin.
    L'urbanisme
    Au cours de l'histoire récente le mode de vie urbain est celui qui a le plus changé les habitudes de vie des populations. Et que de changements ! Détroit, Motor City, était, dans les années 1950, la septième ville la plus riche du monde. Aujourd'hui, la population de son centre est désoeuvrée et analphabète et vit parmi les ruines. Sans transport automobile, les villes vont radicalement changer d'aspect et de fonction. Ce sera tout d'abord la fin des zones de banlieues et des zones industrielles, qui se transformeront rapidement en pâturages avec vaches, moutons et chèvres. Le destin des zones suburbaines sera tragique : elles seront pleines de gens sans emplois, pillées, puis systématiquement démontées sous le contrôle de gangs ou de mafias organisés. Progressivement, la nature reprendra ses droits, comme elle l'a fait dans la ville de Prypiet, près de Tchernobyl. Le centre ville quant à lui, va se contracter et se densifier. Les survivants s'y regrouperont pour mieux se défendre et maximiser l'utilisation des ressources restantes. Beaucoup de villes, construites artificiellement au milieu de nulle part, ainsi que les régions qui se sont développées par la conquête des grands espaces grâce à l'automobile, se videront rapidement. La pénurie d'électricité, les ascenseurs en panne et une pression d'eau insuffisante rendront invivables les étages élevés des immeubles. Les gratte-ciel seront progressivement laissés à l'abandon et resteront un témoignage visible de l'époque des énergies fossiles abondantes. Les villes qui survivront le mieux seront celles dont la situation stratégique est évidente : port, pont, axe de passage incontournable, facile à défendre, etc. Les parcs et les pelouses des parcs seront transformés en potagers mais ne suffiront pas à nourrir tout le monde, et des hiérarchies se mettront en place, souvent imposées par la violence, pour en gérer l'accès. De manière générale, la population des villes vivra dans l'insalubrité et son nombre diminuera rapidement. Les villes qui ont des petites centrales hydroélectriques ou qui sont proches de sources de ressources fossiles, comme Ploesti en Roumanie ou Dallas au Texas, seront détentrices d'avantages extraordinaires car elles pourront continuer à faire fonctionner leurs stations d'épuration, leurs égouts, leur réseau d'eau potable, leur électricité, etc. Ces villes attiseront la convoitise de tous.
    Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique
    http://www.oragesdacier.info/2013/09/leffondrement-la-famille-les-transports.html

  • L’« année terrible » des Turcos : le mythe et la réalité par Rémy VALAT

    Le 19 juillet 1870, la France déclarait la guerre à la Prusse et ses alliés. En quelques mois, c’est la défaite. Cet épisode, pourtant illustré par des pages glorieuses, fait pale figure entre le « faste » des conquêtes napoléoniennes et la dureté de la Première Guerre mondiale. Oubliés, les combattants sans visages de cette guerre. Parmi eux les tirailleurs algériens qui comptent : mille neuf cent cinq tués et blessés sur les deux mille huit cent dix comptabilisés entre 1842 et 1882. La guerre de 1870 – 1871 sera l’occasion pour une minorité de tirailleurs de vouloir s’installer en France. C’est le début d’une immigration, de combattants – qui comme plus tard les harkis - étaient attachés à la France. Mais, cette héroïque contribution a fait l’objet d’instrumentalisations politiques… Le mythe n’est pas l’histoire : les archives en apportent la preuve…

    La conquête coloniale et les premières formations de tirailleurs algériens  (1830 – 1870)

    L’exotisme du recrutement et de l’uniforme des troupes coloniales suscita au XIXe siècle l’engouement de la fine fleur de la peinture et de la littérature française, qu’ils appartiennent ou non à la vague orientaliste (Alphonse Daudet, Delacroix, Henri Philippoteaux – qui accompagne Louis-Philippe, duc d’Orléans, lors de l’expédition dans la région de Médéa en avril-mai 1840 – Vincent Van Gogh, Horace Vernet, etc.). Cette mode traverse même l’Atlantique, puisque les armées américaines de la Guerre civile (1861 – 1865) mettent sur pieds des régiments de zouaves. En France, l’histoire des tirailleurs est consubstantielle à la conquête du sol algérien. Très tôt, le général Clauzel, commandant le corps expéditionnaire, recrute illégalement des hommes de la tribu des Zouaouas (à l’origine par altération du nom commun attribué aux soldats des régiments de « zouaves ») pour former deux bataillons (1er octobre 1830). Le gouvernement français mis devant le fait accompli, entérina cette initiative par la loi du 9 mars 1831 et autorisa la formation de corps – essentiellement d’infanterie – de recrutement local et d’étrangers (Légion étrangère) à l’extérieur du territoire national.

    Malgré un faible attrait des indigènes pour ces formations, le commandement français en Algérie parvint à maintenir l’activité de deux, puis de trois bataillons, en y associant des recrues de souche européenne. Le 11 novembre 1837, ces trois formations sont officiellement amalgamées au sein d’un « corps des zouaves ». Cependant, la dureté du conflit – notamment les razzias des troupes d’Abdelkader – favorise les ralliements individuels ou collectifs d’autochtones, mais aussi de métis arabo-turcs et de Turcs. La présence de ces recrues expliquerait le nom de « Turcos » donné progressivement aux zouaves et aux tirailleurs algériens. Ces formations locales, dont les effectifs sont augmentés en 1840, seront officiellement intégrées l’année suivante dans trois bataillons (1841), puis trois régiments de tirailleurs algériens (1855). La préférence se porta rapidement sur une incorporation séparée des recrues locales et métropolitaines, mais le manque chronique de volontaires aptes obligea l’armée française à la mixité. Depuis lors, les bataillons de tirailleurs seront de recrutement indigène, et ceux de zouaves, mixte, voire métropolitain.

    Au sein de ces unités, les chances de promotion des autochtones sont certes réduites, mais contrairement aux idées reçues (véhiculées notamment par le film Indigènes où un des personnages ne peut obtenir de l’avancement, sous-entendu parce qu’il est Algérien) – des hommes ont pu exercer des fonctions d’encadrement (l’article 3 de ordonnance du 7 décembre 1841 autorise les indigènes d’occuper les grades de sergents, caporaux, clairons et pour moitié, les grades de lieutenant et de sous-lieutenant). La promotion des officiers de recrutement local se fait au choix indépendamment des règles d’avancement de l’armée française (art. 9). Sur la recommandation de leurs chefs de bataillon, des Algériens ont pu s’élever dans la hiérarchie militaire, sans qu’il leur soit toutefois possible, au XIXe siècle, de dépasser le grade de capitaine (ordonnance du 31 octobre 1848). La maîtrise du français oral et écrit était un barrage, mais restait une nécessité : toutes les armées modernes s’appuient sur des cadres instruits pour la gestion quotidienne de leurs unités. C’est pourquoi, les « Français de souche » étaient affectés de préférence à l’encadrement (la majorité des officiers et des sous-officiers) ou à des fonctions annexes de logistique et de soutien (muletiers, infirmiers, armuriers).

    Après des débuts difficiles, le nombre des unités augmente significativement pour répondre aux besoins de l’armée française impliquée sur différents théâtres d’opérations. Elles participèrent à la conquête de l’Algérie aux côtés de l’armée régulière et seront déployées sur d’autres théâtres d’opérations (Crimée, Sénégal, Mexique). Les tirailleurs ont été engagés dans de fréquentes opérations de contre-guérilla en Kabylie et ont été associés aux colonnes mobiles partant des villes-dépôts et ravitaillant les postes isolés. Les « Turcos » ont aussi été mobilisés pour des travaux de génie civil ou militaire.

    « L’Année Terrible »

    La France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Les unités de tirailleurs quittent leurs garnisons, s’embarquent pour Marseille ou Toulon, puis sont acheminés par trains jusqu’à leur point de ralliement : Starsbourg. À Lyon, l’accueil qui leur est réservé est enthousiaste : les hommes du 3e régiment reçoivent de la population en liesse de copieuses rations de nourritures et de vin. Les hommes sont affamés et tombent rapidement malades, tandis que d’autres – sous l’emprise de l’alcool – versent dans l’indiscipline.

    Les tirailleurs participent à la bataille de Woerth, le premier engagement majeur avec l’armée prussienne (6 août 1870). Les Turcos – qui combattent aux côtés des zouaves du 1er régiment – luttent par le feu et la baïonnette avec un courage et un acharnement exemplaires. Dans ces circonstances, les pertes sont importantes, même parmi les officiers : le 2e régiment perd 815 tués (dont 15 officiers) et 821 blessés (dont 21 officiers), soit un total de 1 636 combattants mis hors de combat sur les 1 905 recensées sur toute la période du conflit (le régiment totalisera 910 hommes de troupe et 16 officiers tués). Après un regroupement à Saverne, les Turcos en déroute se replient avec le reste de l’armée impériale vers Lunéville, Neufchâteau, et Châlons (15 août). Les survivants des régiments de tirailleurs sont reconstitués en bataillons provisoires. L’un d’entre eux, complété par une centaine d’hommes et d’officiers venus d’Algérie, se reforme à Paris avant de rejoindre l’armée de la Loire. Un autre, improvisé après la bataille de Woerth, marche sur Metz, puis se replie sur Sedan.

    Le 7 septembre, cinq jours après la capitulation de Napoléon III, les hommes de troupes sont séparés de leurs officiers et envoyés en détention en Allemagne. Les Algériens prisonniers ont mal vécu la captivité, en raison du froid, des maladies, de la brutalité et des vexations des gardiens. Seuls quelques tirailleurs parviennent à prendre la fuite en franchissant la Meuse à la nage. Ces évadés continuent le combat, certains défendent Phalsbourg assiégé. Les combattants qui n’ont pas marché sur Sedan rejoignent isolément ou par petits groupes des positions défensives de l’armée en déroute. Des Turcos se retrouvent à Strasbourg, à Bitche et Verdun. D’autres  s’agrègent à des régiments d’infanterie de ligne ou à des unités de circonstance. Bon nombre de tirailleurs vont de bataillon en bataillon, de ville en ville et la plupart décèdent des suites de leurs blessures.

    On retrouve des tirailleurs algériens au siège de Paris. Les quelques Turcos qui ont réussi péniblement à atteindre la ville s’y trouvent par le fruit du hasard. Une compagnie improvisée de tirailleurs est amalgamée à deux compagnies de zouaves et à deux compagnies de chasseurs à pied et forment le 4e bataillon du 28e régiment de marche (28e R.M.), commandé par le lieutenant-colonel Le Mains (8 septembre 1870). Ces compagnies sont rassemblées au Louvre puis de se rendent à Saint-Denis sous l’autorité du général de brigade de Bellemare (la brigade passera au 14e corps d’armée). Le 28e R.M. remplit des fonctions défensives statiques : il tient des postes à Épinay, au château de Villetaneuse, à Pierrefitte, au moulin de Stains, sur la butte Pinçon et à Stains. Par décret du 20 novembre 1870, le 4e bataillon est supprimé; les deux compagnies de chasseurs passent au 21e et au 22e bataillon de nouvelle formation; les deux compagnies de zouaves et la compagnie de tirailleurs algériens passent au 4e zouaves. Ce régiment rassemble des zouaves en fuite arrivés à Paris, puis à Saint-Cloud, le 5 septembre. Les officiers, venus pour la plupart d’unités éparses, peinent alors à organiser l’unité et à y maintenir la discipline. L’unité est envoyée momentanément à la caserne de la Pépinière (15 septembre) avant d’être positionnée sur les lignes avancées de défense (notamment à Nanterre) où il participe à des combats d’avant-postes et à la bataille de La Malmaison (21 octobre 1870). Le 10 novembre, le régiment, qui compte environ cent Algériens,  est affecté à la 2e armée, 3e corps, 1re division, 1re brigade. Le lendemain, le lieutenant-colonel Méric remplace le colonel Fournis à sa tête.

    Le 28 novembre, le régiment reçoit l’ordre de départ pour une offensive – que l’on espère décisive – pour dégager la ville frappée de pénurie alimentaire, et rejoindre l’armée de la Loire que l’on croit victorieuse et en marche sur Paris. L’attaque se porte vers l’Est, à Champigny : le plan prévoyait de rejoindre l’armée de la Loire par Fontainebleau, via Meaux et la Brie. Les soldats font une série de marches et de contre-marches en raison de la crue soudaine de la Marne (29 novembre). Le lendemain et pendant quatre jours, c’est la bataille de Villiers-Champigny. Fidèles à la tradition de l’armée d’Afrique, les zouaves se battent comme des lions, malgré un froid très vif, et chargent à la baïonnette. Ils  contribuent à la prise du plateau d’Avron, le 30 novembre. Un groupe d’irréductibles reprend à l’ennemi des pièces de huit livres abandonnées par des artilleurs du 2e corps et font une trentaine de prisonniers. Le lendemain, les combats cessent : les belligérants instaurent une trêve tacite pour relever leurs blessés et leurs morts. Après deux jours de combats, le froid — qui atteint – 14° — sonne le glas de l’offensive : l’armée de Paris se retire. Le 4e R.Z. a perdu vingt-deux officiers et cinq cent trente-quatre hommes de troupe. La 1re brigade compte à elle seule neuf cents hommes mis hors de combat dont deux cents morts. Affaibli, le régiment rejoint Nogent. Les zouaves souffrent du froid et de la pénurie alimentaire et participent à des missions de reconnaissance autour du plateau d’Avron, Rosny, Montreuil (20 décembre 1870 – 18 janvier 1871).

    Le 19 janvier, tout espoir d’aide extérieure s’évanouit. L’armée française du Nord, en marche vers Paris, est battue à Saint-Quentin. Quant à l’armée de l’Est, qui marche sur Belfort avec l’intention de couper ensuite les communications des Allemands, elle est arrêtée le 17 à Héricourt. L’armée de Paris tente une ultime sortie, celle de la dernière chance, pour ouvrir une voie vers Versailles. L’attaque, menée sur trois fronts, est mal concertée. Après l’éphémère prise de la redoute de Montretout et du château de Buzenval, l’armée française commence à ployer vers 16 heures sous le poids de la contre-attaque prussienne. Les zouaves  sont intégrés à la colonne centrale, forte de cinq régiments de ligne, dix-sept bataillons de mobile et huit régiments de la Garde nationale, qui monte sur les positions prussiennes à l’Est du château de la Bergerie. Une demi-heure après le début de l’offensive (19 heures 30), la brigade Fournès du général de Bellemare parvient sur la crête de la Bergerie, s’empare de la maison dite du Curé et pénètre par une brèche dans le parc prêtes à attaquer la maison Craon, le 109e régiment d’infanterie s’empare du château (Montretout). La nuit tombant et la confusion régnant après l’échec de la riposte française, le général Trochu ordonne la retraite. Les troupes françaises comptent quatre mille soixante-dix hommes hors de combat. Le 4e régiment de zouaves perd seize officiers (six tués, dix blessés), deux cent trente hommes de troupes (seize tués, quatre-vingt-douze blessés, cent vingt-deux disparus), soit un total des pertes de deux cent quarante-six combattants. Le corps de Bellemare a perdu deux mille deux cent un hommes. Après la bataille, le régiment stationne autour de Rosny et de Montreuil (5 – 18 janvier), à Courbevoie (20 – 21 janvier), puis à Montreuil (25 janvier). L’armistice surprend le 4e régiment de zouaves à Paris. Son tribut est estimé à quatre-vingt-quatorze tués, quatre cent soixante-un blessés et deux cent soixante-huit disparus (autant dire tués). Le conflit franco-allemand est quasiment effacé de la conscience collective nationale.

    Le mythe du Turco communard : une délinquance de droit commun plutôt que politique

    Alphonse Daudet, également séduit par l’exotisme des troupes coloniales, a véhiculé le mythe du « Turco de la Commune » dans son recueil de nouvelles, fortement patriotique mais hostile à la révolution parisienne, les Contes du lundi (1). Extrait du « Turco de la Commune » : « Tout à coup, la barricade se tut. […] C’est la ligne qui arriva ! Dans le bruit sourd du pas de charge, les officiers criaient : “ Rendez-vous ! ” […] On l’entoure, on le bouscule. “ Fais voir ton fusil. ”  Son fusil était encore chaud. “ Fais voir tes mains. ” Ses mains étaient encore noires de poudre. Et le Turco les montrait fièrement, toujours avec son bon rire. Alors on le pousse contre un mur, et vlan ! Il est mort sans avoir rien compris. » L’auteur soulignant ici la « naïveté » de ce soldat qui paraît s’être engagé dans une aventure politique sans lendemain, dont il ne comprenait pas les motivations. La thématique du patriotisme et du Turco empreint les Contes. Une autre nouvelle intitulée « Le mauvais zouave » relate l’histoire d’un engagé alsacien qui rejoint la forge paternelle après la guerre de 1870 – 1871, acceptant délibérément de se placer sous la tutelle allemande. Par dépit son père, fervent patriote,  s’engage en lieu et place de son enfant au 3e régiment de zouaves.

    Cet écrit soulève la question de la présence des Algériens du côté des fédérés ? D’autant que plus récemment, dans un roman intitulé Pacifique, Éric Michel reprend l’histoire à son compte : « Sid Ahmed est grand, taiseux comme un ossuaire et sec comme un cotret. De ses gestes harmonieux et lents se dégage une grâce, pourtant quand il marche, il claudique. Ancien berger il était du 1er Tirailleurs algériens. Il a combattu à un contre vingt sous le général Douai pour conserver Wissembourg, c’est là qu’il a été blessé. Présent encore en première ligne pour la défense de Paris, ce coriace a rallié la Commune avec une poignée d’Algériens réfractaires (2) ». De même,  Peter Watkins met en scène un Turco dans son film militant La Commune pour faire le lien entre la lutte des classes et anticolonialisme…

    Mais tout ceci est et restera une légende, de la littérature et du cinéma…

    Faisons place aux archives (3). Certes, il exista une formation de francs-tireurs, les « Turcos de la Commune », mais celle-ci, comme toutes les autres unités, était de recrutement français et européen. Les rôles des compagnies de francs-tireurs (4), lorsqu’ils n’ont pas disparus, ne contiennent aucun nom d’origine arabo-kabyle, et surtout, tous les citoyens enregistrés sont domiciliés à Paris (5). De même, aucun Algérien ne figure sur les listes des volontaires de l’armée de Versailles. Des Turcos auraient-ils pu participer individuellement à l’insurrection, s’échapper de Paris ou bien mourir sur les barricades ? L’hypothèse de la fuite est difficilement envisageable, car les tirailleurs algériens ne sont pas intégrés à la société française, ne disposent pas d’un réseau de soutien suffisant pour assurer leur évasion et sont sévèrement encadrés. Si cela avait été le cas, comme dans la nouvelle de Daudet, ces hommes auraient été tôt ou tard capturés, jugés et passés par les armes. Celle de la mort au combat serait la plus probable, puisque les tirailleurs portent un uniforme de l’armée régulière les distinguant des gardes nationaux fédérés. Pris en flagrant délit, les armes à la main, ils auraient été pour ce motif tués sur place par les troupes gouvernementales, comme Kadour ou les anciens « lignards » abattus pendant la « Semaine sanglante ». De plus, un combattant des troupes coloniales serait difficilement passé inaperçu, son arrestation aurait fait l’objet d’un rapport… Précisément, des Algériens ont-ils été arrêtés, jugés par les conseils de guerre et condamnés à un non lieu ? La destruction d’une grande partie des dossiers de non-lieux ne permet pas de répondre fermement à cette interrogation, mais il a fort à parier qu’un ancien militaire ayant rejoint les rangs de la Commune n’aurait certainement pas bénéficier d’un non-lieu… La consultation des fonds, complets, des dossiers de conseils de guerre à charge contre les Communards (série 8J) ne comporte aucun nom d’Afrique du Nord (6). Les seuls dossiers impliquant des tirailleurs algériens recouvre la période du premier siège  concernent des actes d’indiscipline (absences illégales, insultes à gradés, alcoolisme, refus de service). Les Algériens, peu nombreux à Paris, sont rarement mis en cause, bien que trois d’entre-eux soient passés devant un conseil de guerre pour le vol d’une montre en or (dossier Kouider Ben Mohamed, Scherif Kadder et Adda Ben Sadhoun, 3e conseil n° 25). Les Turcos fréquentent cependant les lieux de sociabilité de la capitale et prennent probablement, comme les autres combattants, leurs habitudes dans les cafés.

    En définitive, il semblerait plutôt que ces hommes – sans attaches en France – aient été obligés de suivre leur régiment. D’ailleurs, l’unité quitte Paris au complet (Il compte cinquante-deux officiers et mille six cent soixante-huit hommes) et après avoir été désarmée (15 mars 1871) et arrive rapidement en Algérie (à Bône le 23 mars et Alger le 24 mars, soit la première semaine de la Commune). Enfin et surtout, aucune désertion – en cette période de contrôle étroit des troupes -  n’est signalée dans les archives du régiment. Ce qui explique l’absence totale de trace de leur présence à Paris entre le 18 mars et le 28 mai 1871.

    Ces hommes n’ayant pas connu l’éveil politique et n’ayant pas de  réelle conscience de classe, n’ont pu participer à la Commune. La barrière de la langue, comme le contrôle militaire, expliquerait cette absence d’engagement. Si des Algériens n’ont pu être retrouvés dans les rangs de la Commune, des zouaves d’origine française ont été incorporés dans les corps de francs-tireurs, réputés pour être des unités fortement politisées (LY 94). Au contraire, à l’instar des gardes nationaux mobiles en juin 1848, les Turcos combattront leurs « frères » en Algérie, lors de l’insurrection kabyle au printemps 1871.

    Il faut bien distinguer histoire et mythes politiques. Les Communards non français étaient principalement de souche européenne. Enfin, rappelons que des Communards parisiens et narbonnais, avec notamment Charles Amouroux, s’organiseront en une « compagnie franche » et prendront les armes contre les Canaques insurgés pour la défense, selon ses dires, la « race blanche ». La lutte anticoloniale, telle que la conçoive les artistes contemporains au regard des phénomènes du XXe siècle, ne peut être idéologiquement associée à la Commune de 1871. C’est un anachronisme et un mensonge.

    Rémy Valat http://www.europemaxima.com/

    Notes

    1 : Alphonse Daudet, Les Contes du lundi, en ligne à l’adresse :

    http://rene.merle.charles.antonin.over-blog.com/article-alphonse-daudet-le-turco-de-la-commune-81623290.html

    2 : Cf. le compte rendu sur le site de Médiapart, http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-pierre-michel/170611/commune-de-paris-1871

    3 : Une intéressante documentation est disponible au Service historique de la Défense, S.H.D., séries 4M, Li, Ly, 1H, 34 Yc, 5Ye, succession du général Carrey de Bellemare, monographies des régiments de tirailleurs algériens, etc. et aux Archives de Paris, A.D.P., série D.R.

    4 : consultables aux archives du service historique de la Défense et aux Archives de Paris.

    5 : Cf. A.D.P. D2R4 49-52 et S.H.D. Ly 94-96.

    6 : Cf. en ligne à cette adresse : http://www.commune1871.org/?-Service-Historique-de-la-Defense

  • BANQUET CAMELOT : Dimanche 22 septembre 2013 :

    Dans la grande tradition royaliste des Camelots du Roi et dans une ambiance festive et de chants...

    Vous êtes tous conviés, ainsi que vos familles et amis, à un Banquet des Camelots et Volontaires du Roi du Groupe d'Action Royaliste le Dimanche 22 Septembre 2013

    Présences annoncées : Guy Steinbach (Ancien du 7ème BCL, Président d'honneur du GAR, de Marius Plateau / doyen des Camelots du Roi), Jean Marie Keller (doyen des Camelots du Roi), Jean Philippe Chauvin (Vice-Président du GAR), Olivier Tournafond ( Professeur d'Université)

    Retenez la date et confirmez votre présence à contact@actionroyaliste.com pour l'organisation. Le lieu sera précisé ultérieurement...

  • Merci à la Russie ! – Tribune de Michel Geoffroy

    Le Système médiatique occidental diabolise en permanence la Russie contemporaine. Quoi qu’il fasse, le président Poutine est systématiquement présenté dans les médias comme un dangereux autocrate, un mafieux ennemi des droits de l’homme et des Femen, ainsi qu’un fauteur de guerre froide. MG

    Par exemple, quand la Russie se trouve elle aussi aux prises avec le terrorisme islamique, on nous dit qu’elle terrorise les gentils Tchétchènes. Quand elle met au pas l’oligarchie économique et financière qui bradait les richesses nationales depuis la chute de l’URSS, on nous dit qu’elle menace les libertés. Quand elle encourage la natalité et la famille, on nous dit qu’elle est homophobe. Quand quelques isolés manifestent contre le gouvernement, on nous dit que la rue est contre Poutine et tout à l’avenant.

    La Russie ? Une résistance bénéfique à l’ordre mondial

    Pareil biais, alors que l’URSS ne subissait pas du tout le même traitement médiatique, ne peut signifier qu’une chose : que la Russie incarne une résistance bénéfique à l’ordre mondial que veulent imposer les Anglo-Saxons et les valets qu’ils recrutent dans l’oligarchie occidentale.

    A l’heure du renversement des valeurs, instrument de cette tentative, on peut sans se tromper affirmer que la Russie reste dans le vrai quand l’Occident sombre dans l’erreur et le déclin. C’est pourquoi l’Occident cultive la haine de la Russie.

    Mais cela veut dire aussi que la Russie redevient un modèle à suivre pour les vrais Européens.

    La Russie fière de son passé comme de son identité

    On a un peu vite oublié en Occident que le peuple russe a payé très cher – par des millions de morts – son entrée dans le XXe siècle, l’instauration du communisme et sa victoire dans la seconde guerre mondiale : un sacrifice qui dépasse de très loin celui supporté par les Occidentaux et notamment les Etats-Unis, bien à l’abri dans leur continent-île.

    Pourtant la Russie a su tourner la page et intégrer ce passé tragique dans son histoire comme dans ses monuments, à la différence d’un Occident déboussolé qui ne cesse de ressasser la repentance instrumentée des « heures-sombres-de notre-histoire » et de nous rejouer les drames de la seconde guerre mondiale.

    La Russie a aussi retrouvé son âme orthodoxe, c’est-à-dire chrétienne, alors qu’en Occident, soumis au culte de Mammon et du Veau d’homme, les églises sont vides et les mosquées se remplissent.

    Merci à la Russie de nous démontrer qu’on peut entrer dans le XXIe siècle en restant soi-même.

    Le cauchemar des Anglo-Saxons

    Les Anglo-Saxons ont un cauchemar : celui d’une Europe puissance, d’une « maison commune » de l’Atlantique à l’Oural à laquelle ont rêvé tant de grands Européens. Toute leur diplomatie depuis deux siècles vise à rendre ce rêve impossible.

    En Europe occidentale, l’instrument de cette diplomatie se nomme aujourd’hui Union européenne. C’est-à-dire une machine (un « machin », disait De Gaulle) destinée à détruire la souveraineté et la liberté des Etats, à détruire leur prospérité et à remplacer leur population ; un empire du néant, qui doit s’ouvrir à tous les vents à la condition de rester prisonnier des « liens transatlantiques », c’est-à-dire de rester vassal des Etats-Unis.

    A l’est, l’instrument de cette diplomatie se nomme diabolisation, affaiblissement et isolement de la Russie. Car la Russie a cher payé aussi l’implosion de l’URSS : un pays ruiné, mis en coupe réglée par les oligarques, entouré d’une ceinture d’Etats plus ou moins artificiels mais dans l’orbite occidentale, une armée détruite face à l’OTAN renforcé et agressif.

    A la chute de l’URSS, les Occidentaux sous la direction américaine se sont immédiatement engagés dans une stratégie d’isolement de la Russie, dont l’affaire du Kosovo a constitué le point d’orgue, après la désagrégation de la Yougoslavie. Sans parler de la tentative de s’approprier ses ressources naturelles et de lui injecter les « valeurs » – c’est-à-dire les vices décadents – des Occidentaux. En clair, les Occidentaux donneurs de leçons n’ont eu de cesse de profiter et d’amplifier la faiblesse de la Russie.

    Toute l’action de la présidence Poutine vise au contraire à recouvrer la puissance et la souveraineté de la Russie. Voilà qui insupporte nos maîtres.

    Merci à la Russie de faire de la puissance une idée neuve en Europe.

    Un monde multipolaire grâce à la réapparition de la puissance russe

    La chute de l’Union soviétique fut, bien sûr, une bonne nouvelle, marquant la fin de la menace communiste en Europe. On ne la regrettera pas. Mais elle a fait aussi disparaître un contrepoids à l’unilatéralisme yankee et à sa prétention, ridicule mais dangereuse, d’imposer un modèle de société humaine indépassable.

    On a vu ce qu’a donné en quelques années un tel unilatéralisme libéré de tout contrepoids : les conflits et les agressions militaires à répétition, la déstabilisation du Moyen-Orient ou la mise en œuvre d’un libre-échangisme débridé aux effets destructeurs.

    Les vrais Européens ne peuvent donc que se réjouir de voir réapparaître la puissance russe. L’Europe manque désespérément de puissance, en effet, dans un monde de plus en plus dur et concurrentiel, face aux grands blocs de l’Asie, de l’Amérique et de l’Afrique.

    La réintroduction de la puissance russe dans le jeu diplomatique mondial aura nécessairement des effets positifs, comme le montre déjà l’affaire syrienne. La Russie a résisté clairement et patiemment en effet aux fauteurs de « frappes » en vue d’une solution politique en Syrie. C’est-à-dire qu’elle s’est prononcée en faveur de la stabilisation contre l’aventure.

    Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir : merci à la Russie de nous rappeler cette antique loi européenne.

    À l’est la liberté

    Contrairement à ce que nous serinent nos médias, la démocratie – c’est-à-dire le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple – et la liberté sont moins menacées en Russie qu’en Europe occidentale.

    Comme il est curieux qu’un Snowden, qui a dévoilé au monde la réalité de l’espionnage des communications mondiales par les Etats-Unis et leurs alliés, ne puisse trouver refuge qu’en Russie ! Mais pas en Europe de l’Ouest qui se targue pourtant d’accueillir à bras ouverts les réfugiés du monde entier. Comme il est curieux qu’un acteur français célèbre, lassé du fiscalisme et de la médiocrité ambiantes, préfère rejoindre la Russie plutôt que la côte est des Etats-Unis !

    C’est que l’Occident ne vit plus en démocratie mais en post-démocratie : un régime de totalitarisme mou qui vide la nationalité et la citoyenneté de leur sens, un régime où l’Etat se dresse contre la nation et installe la loi de l’étranger. Car les vrais oligarques ne prospèrent qu’en Occident : en Russie ils sont sous contrôle ou ils vont en prison.

    Merci à la Russie de nous rappeler que le salut du peuple – et non celui des banques ou des lobbys – doit rester la loi suprême des Etats.

    Michel Geoffroy http://fr.novopress.info/141380/merci-a-la-russie-tribune-de-michel-geoffroy/#more-141380

  • Orwell éducateur (J-C. Michéa)

    michea

    Comme l’indique d’emblée Michéa, il s’agissait pour lui, avec cet ouvrage, de mettre à disposition du lecteur une « boîte à outils philosophiques » pour déconstruire les mythes modernes de la Technique et de l’Economie. Au-delà de l’entretien initial avec Aude Lancelin, donc, plongée dans une déconstruction méthodique de la théodicée progressiste.

    Orwell est repris par la propagande officielle pour ses deux romans, réduits à l’antisoviétisme. Après sa mort, la CIA a obtenu l’achat des droits d’adaptation de ses romans, s’arrangeant au passage pour en effacer les aspects anticapitalistes et anarchisants (vacuité du film 1984 de Radford avec John Hurt…) – son anticapitalisme étant vu comme obsolète. L’intérêt philosophique des écrits politiques d’Orwell est pourtant profond. Il tient notamment à sa rupture d’avec le dogmatisme et les jeux de pouvoir, et donc avec leur paradigme privilégié, la démocratie représentative contemporaine du politicard carriériste, dont la volonté de puissance fonde secrètement, pas seule mais en grande partie, l’impossibilité présente d’établir une société décente. Cet amour du pouvoir est motivé par l’immaturité, l’égotisme et, si on va au fond des choses, l’incapacité à penser correctement le rapport à l’autre ; le mal veut que les représentants de ces pathologies s’orientent naturellement vers les positions dominantes de la société. De cette analyse, bien sûr, découle le socialisme anarchisant d’Orwell, aussi éloigné des doctrines prédigérées du communisme « réel » que de la soumission au Divin Marché.

    Mais tout cela n’explique pas les raisons de l’occultation de ses écrits théoriques en France, alors qu’il est lu en Angleterre comme l’un des plus grands penseurs politiques du 20ème siècle. Dès la fin des années 30, Orwell a saisi la nature exacte de l’oppression totalitaire. Et, au grand dam de la bien-pensance, cette « nature » dépasse les avatars soviétique et nazi.

    Orwell se voit donc calomnié par la gauche, même encore aujourd’hui, qui n’hésite pas – quelle surprise – à désinformer en inventant des contre-vérités, en conformité aux « mœurs du néojournalisme européen », comme le note Michéa. Calomnies répétitives pour bien laver le cerveau de l’idiot moderne lecteur des organes de la Gauche officielle, car le crime orwellien est impardonnable : défenseur de la liberté individuelle certes, mais critique et de l’Etat, et du capitalisme, en rupture avec la philosophie des Lumières autant qu’avec le messianisme du Marché auto-régulé (« l’ordre spontané » du Marché, comme disent les libéraux). Au fond, avec Orwell, nous avons l’embryon d’une critique globale de l’économie politique apparue dans la modernité étatique, et c’est bien cela qu’on ne lui pardonne ni à « gauche », ni à « droite ».

    Socialiste, ce George Orwell. Mais pour Michéa peu importe le terme, seul importe « ce qu’il induit » ; et ce socialisme est bien loin à la fois du communisme d’Etat : c’est un socialisme ouvrier. Un socialisme nécessairement en rupture avec l’idéologie du Progrès, donc. La question que privilégie Orwell est : « ceci me rend-il plus ou moins humain ? ». Orwell cerne ce dont l’homme a besoin : « l’homme a besoin de chaleur, de vie sociale, de confort et de sécurité : il a aussi besoin de solitude, de travail créatif et de sens du merveilleux » (Michéa). Il critique d’instinct la mécanisation progressive de la vie, critique qui permit l’union, en Angleterre dans les années 1830, des tories et des premiers ouvriers chartistes (socialistes radicaux), contre le nouvel ordre industriel et marchand. Les Réactionnaires sont donc les vrais fondateurs du Socialisme, voilà ce que rappelle Orwell.

    Le Progrès est un messianisme, une religion séculière qui s’ignore, avec son fondamentaliste, l’intellectuel moderne. Il est supposé scientifiquement continu (le fameux « sens de l’histoire »…) et « d’une neutralité philosophique absolue », alors qu’il procède au contraire « d’une métaphysique et d’un imaginaire particulier, eux-mêmes tributaires d’une histoire culturelle précise. » Pour un progressiste positiviste, condamner le capitalisme sur les plans philosophique et moral le capitalisme est donc soit insensé, soit du domaine de la pose. Les progressistes de droite (les libéraux), eux, sont au fond plus cohérents : ils avouent crûment que la fin de l’histoire humaine, préfigurée dans le règne capitaliste du Machinal, est leur finalité. En somme, la Gauche comme la Droite postulent que nous devrions adapter nos manières de vivre à des réformes « mathématiquement nécessaires », mais la gauche fait semblant de vouloir humaniser ces réformes antihumaines par essence, alors que la droite, elle, assume son véritable projet.

    Le Progrès est une vision ethno et chronocentrée (bref, un suprémacisme qui s’ignore), qui nie les alternatives à la commercial society en universalisant « l’imaginaire spécifique » de l’Occident, et en postulant (« théorie des stades ») que chaque développement capitaliste mènerait à une société plus juste par le jeu des améliorations matérielles. C’est, en somme, une belle arnaque. Les choix qui président au Progrès sont faits en réalité au vu des contraintes économiques dans le cadre d’une certaine volonté politique, traduisant une certaine vision idéologique – comme par exemple les recherches technologiques pour limiter la durée de vie des appareils électroménagers à sept ans. Les choix qui président au Progrès ne recoupent donc rien qui ressemble à la poursuite d’une humanité meilleure, ou d’une société plus juste. Et parce que les choix sont faits ainsi, les résultats sont ce qu’ils sont…

    La vision du Progressiste, pour qui rien n’était mieux ni avant, traduit au fond un ensemble de mécanisme psychopathologique – la peur viscérale d’avoir une pensée réactionnaire, par exemple, est pour Orwell liée à la peur de vieillir. Le progressiste est, en fin de comptes, un grand enfant, naïf et limité psychologiquement : ainsi la Gauche – stalinienne comme sociale-démocrate, ou encore notre « gauche plurielle » – voit venir l’abondance matérielle illimitée, sans tenir compte des désirs infinis de l’homme, sans prioriser dans ses désirs, sans même s’interroger sur la question de leur justification.

    Parce que sa réflexion est bornée, l’intellectuel moderne évacue toute complexité de son esprit, se faisant à la fois critique d’une prétendue « réaction » qui s’attaquerait au combat « anticapitaliste », et en même temps apologète du « doux commerce » émancipant l’individu d’une tutelle étatique et policière – forcément… – totalitaire. Tout cela pour une fausse libération, encore plus mutilante que l’ancienne répression : la modernité reconnaît l’homme comme consommateur, mais le nie en tant qu’être humain. Message évident, au fond, mais presque impossible à faire comprendre : l’homme de gauche manque d’indépendance d’esprit, et ne s’intéressera pas à un auteur comme Orwell, en rupture avec les dogmes « humanistes de gauche ».

    Ce prétendu humanisme du Progrès est en réalité profondément mécaniste – au sens cartésien – et antihumain. Les Lumières, partant des comportements « naturellement » égoïstes de chacun, voient « l’homme machine » obéir à des mécanismes rationnels. Le progressisme issu de cette idéologie non sue est, selon Michéa, un processus sans sujet, dont la logique interne est infaillible. De fait, tout appel à une certaine moralité, une common decency (« civilité quotidienne des travailleurs et des humbles »), est raillée. Ce n’est pas, voyez-vous, assez « scientifique ».

    *

    Mais attardons-nous sur le socialisme d’Orwell, et plus généralement sur le socialisme ouvrier, davantage explicité ici que dans Orwell, anarchiste tory.

    En rupture avec les idéologies dominantes, le socialisme ouvrier et populaire est hybride, transversal, contrairement aux faux clivages créés pour défendre l’ordre établi. Il faut donc, selon Michéa, créer un langage commun pour démontrer l’universalité de la domination, et mener à une réelle unité du Peuple. Par exemple, mettre fin aux luttes « de gauche » qui ne s’adressent qu’au peuple de gauche, afin de mettre en place les conditions politiques et culturelles d’une lutte de classe nationale. Conditions et révolution culturelle parallèle pour déconstruire l’imaginaire capitaliste, notamment en dénonçant la confusion du souci de soi et de la réussite individuelle égoïste et narcissique. Pour Michéa, une société décente ou socialiste est une société « où chacun aurait les moyens de vivre librement et honnêtement d’une activité qui ait un sens humain », loin de la destruction des relations intersubjectives.

    Nous sommes ici invités à privilégier Mauss face à Marx, ce dernier oubliant (selon le premier) la « face juridique et morale du socialisme » ; l’action socialiste, pour Mauss, doit être psychique et tendre « à faire naître dans les esprits des individus et dans tout le groupe social, une nouvelle manière de voir, de penser et d’agir. » Syndicat et coopérative socialiste doivent être les bases de la société future.

    Renouer, alors, avec les travailleurs socialistes du 19ème siècle et leurs valeurs : solidarité, sentiment d’entraide, esprit du don, « colère généreuse », « sens de la morale », « intelligence libre », et au contraire refuser l’égoïsme et l’amoralité des sociétés marchandes et industrielles, rompre avec la Philosophie moderne (Helvétius, Beccaria, Bentham) et son axiomatique de l’intérêt égoïste et rationnel. Rompre, encore, avec la propagande publicitaire et l’industrie du divertissement, machines servant à faire intérioriser l’imaginaire moderne.

    Enfin, conclut Michéa, face aux évolutions récentes, la critique orwelienne du Progrès reste actuelle. Le dogme officiel préconise la croissance infinie des forces productives dans un monde écologiquement fini ; en outre, la logique de classe est gardée juridiquement invisible, ce qui permet aux privilèges de subsister, malgré la destruction de l’Ancien Régime ; la pathologie des classes dirigeantes est double : volonté de puissance et désir d’accumuler des richesses ; la logique marchande abolit la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange ; et le monde de la consommation est « devenu entre-temps culture et manière de vivre à part entière. » Désormais, comme l’expose Zizek – cité par Michéa, c’est « la consommation elle-même qui est la marchandise achetée. » Dans un tel contexte, la critique orwellienne est, plus que jamais, salvatrice.

    *

    Bref, récapitulons ce que nous enseigne la pensée orwellienne, telle qu’exposée à travers cet entretien et ses (très) nombreuses scolies :

    -          le Progrès est un mythe, une foi dont les postulats n’ont aucune base réelle mais reposent sur l’amoralité des élites les énonçant. Comme tout dogme, il est totalitaire par essence car ne souffre aucune contestation sérieuse sans aussitôt se montrer répressif ;

    -          le Progressiste est un croyant, messianiste suprémaciste et amoral, mais aussi infantile, qui a peur de devenir adulte ; il est atteint d’une pathologie du lien et d’une peur adolescente du sentiment (propos de Michéa). L’humanisme des Lumières dont il se réclame est macabre et machiniste. En ce sens, le Progressiste est inhumain ;

    -          seul un Socialisme digne de ce nom, celui des humbles, des travailleurs, de ceux qui restent ancrés dans le réel, est viable. Non parce que le travailleur est à déifier, loin de là, mais parce qu’il conserve des valeurs comme le don agoniste, l’entraide, les fondements qui permettent à toute société humaine d’exister en tant qu’entité collective ;

    -          être Socialiste c’est être réactionnaire, refuser la tabula rasa et ses arguments fallacieux. En prenant conscience de cela, et à toutes fins utiles quand nous savons que l’opposition entre les partis au pouvoir est une fausse opposition, il nous appartient de voir en quoi l’opposition entre le nationalisme et le socialisme est aussi une opposition fabriquée par le pouvoir pour faire apparaître antagonistes des tendances en réalité proches et complémentaires, qui devraient faire œuvre commune.

    Et à nous, nationalistes, Michéa nous donne quelques pistes de réflexion et de découverte complémentaires : Pierre Leroux, Philippe Buchez, Paul Goodman, Christopher Lasch, George Orwell, Pier Paolo Pasolini, Marcel Mauss, André Prudhommeaux… A la lecture !

    Citations :

    (Sur la criminalisation de toute critique du Progrès) : « Dans les sciences progressistes de l’indignation, dont les lois sont soigneusement codifiées, la rhétorique du Plus-jamais-ça autorise ainsi, à peu de frais, tous les morceaux de bravoure possibles, tout en procurant, pour un investissement intellectuel minimal, une dose de bonne conscience, pure et d’une qualité sans égale. Le tout, ce qui n’est pas négligeable, pour une absence à peu près totale de danger à encourir personnellement (on songera tout particulièrement, ici, aux merveilleuses processions de pénitents d’avril 2002). »

    « La mobilité perpétuelle des individus atomisés est l’aboutissement logique du mode de vie capitaliste, la condition anthropologique ultime sous laquelle sont censés pouvoir se réaliser l’adaptation parfaite de l’offre à la demande et « l’équilibre général » du Marché. Cette conjonction métaphysique d’une prescription religieuse (Lève-toi et marche !) et d’un impératif policier (Circulez, il n’y a rien à voir !), trouve dans l’apologie moderne du « Nomade » son habillage poétique le plus mensonger. On sait bien, en effet, que la vie réelle des tribus nomades que l’Histoire a connues, s’est toujours fondée sur des traditions profondément étrangères à cette passion moderne du déplacement compensatoire dont le tourisme (comme négation définitive du Voyage) est la forme la plus ridicule quoiqu’en même temps, la plus destructrice pour l’humanité. Bouygues et Attali auront beau s’agiter sans fin, leur pauvre univers personnel se situera donc toujours à des années-lumière de celui de Segalen ou de Stevenson. Sénèque avait, du reste, répondu par avance à tous ces agités du Marché : « C’est n’être nulle part que d’être partout. Ceux dont la vie se passe à voyager finissent par avoir des milliers d’hôtes et pas un seul ami » (Lettres à Lucilius). »

    La common decency selon André Prudhommeaux, cité par Michéa : « L’anarchisme c’est tout d’abord le contact direct entre l’homme et ses actes ; il y a des choses qu’on ne peut pas faire, quel qu’en soit le prétexte conventionnel : moucharder, dénoncer, frapper un adversaire à terre, marcher au pas de l’oie, tricher avec la parole donnée, rester oisif quand les autres travaillent, humilier un « inférieur » etc. ; il y a aussi des choses qu’on ne peut pas ne pas faire, même s’il en résulte certains risques – fatigues, dépenses, réprobation du milieu, etc. Si l’on veut une définition de base, sans sectarisme ni faux-semblants idéologiques, de l’anarchiste (ou plutôt de celui qui aspire à l’être), c’est en tenant compte de ces attitudes négatives et positives qu’on pourra l’établir, et non point en faisant réciter un credo, ou appliquer un règlement intérieur […] Les rapports entre le comportement (ou le caractère) d’une part, et de l’autre l’idéologie, sont ambivalents et contradictoires. Il y a souvent désaccord profond entre le moi et l’idéal du moi. Tel camarade se pose en adversaire enragé de l’individualisme « égocentrique », de la « propriété » et même de toute « vie privée », qui s’avère un compagnon impossible : persécuteur, calculateur et profiteur en diable : il pense moi, et il prononce nous. » (Texte rédigé en 1956).

    http://www.scriptoblog.com/index.php/notes-de-lecture/philosophie/544-orwell-educateur-j-c-michea