Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1754

  • La démocratie malade du libéralisme par Pierre LE VIGAN

    Une fois de plus, le taux d’abstention aux élections européennes a battu des records. Il a été en France de près de 60 %, et de 57 % sur l’ensemble des pays de l’Union. Le taux de participation n’a cessé de baisser depuis 1979, la première date d’élection au suffrage universel des députés européens. Ce phénomène d’abstention, qui concerne surtout les milieux populaires, et d’autres phénomènes, tels l’importance des votes, du moins jusqu’en 2007, pour des partis éloignés de l’espérance de gouverner, ont amené beaucoup d’observateurs à parler de déclin de la démocratie.

     

    Guy Hermet, politologue, professeur à l’Université de Montréal, parle de « crépuscule démocratique », d’« hiver de la démocratie ». La démocratie se viderait elle-même de sa substance. Les formes ne recouvriraient plus des pratiques et des engagements. Emmanuel Todd explique de son côté que notre époque est celle d’« après la démocratie » : une post-démocratie. On peut bien sûr lier ce phénomène au contrôle social généralisé, au fichage et « flicage » sans précédent. Il serait l’effet d’une désaffection vis-à-vis des institutions. Mais ce ne sont là que des conséquences de l’atonie citoyenne.

     

    La démocratie est née libérale. La loi Le Chapelier de 1791 a interdit les coalitions c’est-à-dire les associations ouvrières en même temps que les corporations. Napoléon Ier, reprenant une disposition de la fin de l’Ancien Régime,  a soumis l’ouvrier à la possession d’un livret précisant ses différents patrons successifs et gardé par le patron tant qu’il était dans l’entreprise. La démocratie ne s’installe durablement qu’avec la IIIe République. Elle est préparée par le Second Empire avec, en 1864, le droit de coalition ouvrière et l’autorisation du droit de grève. Le droit d’association ouvrière ne sera complet – ce qui ne veut pas dire sans entrave – qu’en 1884 avec la loi Waldeck-Rousseau. Le postulat dominant de la Révolution française n’était pas la démocratie au sens où nous l’entendons. C’était les droits de l’individu. Celui-ci était considéré comme préexistant à la société. La Révolution française, c’est d’abord l’individualisme libéral, matrice de notre monde moderne.

     

    C’est dire que la démocratie était mal partie. Partie sur le mode de la négation de la notion de bien commun à construire par le politique et sur la négation de la  régulation sociale. Les individus avant la solidarité : cela commençait mal. Il y eu certes, après des décennies de libéralisme sauvage, quelque quarante ans de libéralisme tempéré par des doses de démocratie sociale. Des années 40 aux années 80. Ce fut le fordisme (du nom d’Henry Ford) : régime économique et social marqué par l’idée que les salariés doivent participer aux fruits de la croissance et y être associés. Ainsi, la récupération sociale était associée à l’ouverture de nouveaux marchés. Le peuple devenait consommateur et oubliait un peu ses revendications de producteur. Une façon de faire mentir la théorie marxiste de la lutte des classes. Avec le néo-libéralisme ou pour mieux dire avec le mondialisme et l’hyper-capitalisme, ce phénomène est accru. Sous l’effet de la vision libérale de la société qui marchandise tous les champs de l’activité humaine, le producteur et le citoyen ont été réduits au consommateur. « Le libéralisme met la démocratie en crise », remarque l’historien Marcel Gauchet.

     

    Le fordisme a laissé la place à l’ultra-libéralisme et à sa déréglementation dans le domaine économique à partir des années 1980, avec Thatcher en Grande–Bretagne, Reagan aux États-Unis, et… Mitterrand en France. À partir de 1983, la politique s’est alors rabattue sur la surface extensible à l’infini des « droits de l’homme », des droits qui sont pour la plupart souhaitables mais dont l’affirmation répétée liquide en fait le droit lui-même. En effet, les droits de telles ou telles catégories finissent par se heurter et être tout simplement illisibles. En outre, ce ne sont pas l’affirmation des droits qui résolvent les problèmes, mais les politiques réellement engagées. L’habitant d’une zone rurale a moins besoin d’une énième affirmation du droit à la santé sur papier à en tête de la République que d’un médecin à moins de 20 km de chez lui. Ce régime de prolifération de droits parcellaires coupe l’individu lui-même en petits morceaux en fonction de caractéristiques qui n’épuisent pas pour autant la multitude des facettes de l’identité de chacun.

     

    Si le droit lui-même se liquéfie sous l’effet de cette « sociétalisation » du droit c’est-à-dire son rabattement sur des enjeux,  voire des micro-enjeux de société, le politique s’effondre littéralement, ce dont donne la mesure les vagues d’abstentions massives aux élections qui déferlent régulièrement ou le vote pour des partis radicaux. « Une politique fondée sur l’addition des intérêts particuliers s’apparente plutôt à une anarchie, c’est-à-dire à une non-politique. La démocratie consiste au contraire à laisser définir plusieurs versions de l’intérêt général, que la souveraineté populaire hisse à la représentation alternativement », indique la philosophe Chantal Delsol. La politique cesse ainsi d’être le lieu des décisions qui tranchent, à l’image de notre politique extérieure qui s’émeut de tout mais ne s’engage sur rien. La politique devient un « impouvoir », le lieu de l’impuissance du pouvoir selon le mot de Marcel Gauchet.

     

    La démocratie s’effondre ainsi sous son propre poids ou plutôt sous celui de ses excroissances qui l’ont en fait dénaturée. Les droits de l’individu ont remplacé ceux du peuple. L’universalisme abstrait des droits de l’homme a remplacé le droit concret des hommes réels. La démocratie dite libérale est devenue le fossoyeur de la démocratie réelle. « Elle s’en est prise au principe du pouvoir en général et partout. Elle a universellement sapé les bases de l’autorité du collectif au nom de la liberté. [...] Elle a fait passer au premier plan l’exercice des droits individuels, jusqu’au point de confondre l’idée de démocratie avec lui et de faire oublier l’exigence de maîtrise collective qu’elle comporte », écrit Marcel Gauchet, qui a engagé une vaste fresque historique sur la démocratie.

     

    L’universalisme des droits de l’homme tend à dissoudre le citoyen. Citoyen devient un adjectif (« une conduite citoyenne », « un tri citoyen des ordures ») mais cesse d’être un sujet. La politique est réduite aux droits et ceux-ci sont réduits à de bonnes intentions morales. Il n’y a plus ainsi ni droite ni gauche ou du moins, droite et gauche ne se distinguent pas plus que Total et Shell. Ce sont des marques commerciales, des produits marketing. C’est ce que pointait le député P.S. Manuel Valls dans une polémique cet été. « Nous ne sommes pas capables d’assumer théoriquement ce que nous faisons ensuite quand nous gouvernons . […]  Avec Lionel Jospin au pouvoir, nous avons privatisé beaucoup d’entreprises. » « Mais ensuite, nous n’acceptons pas du tout le rôle de la nouvelle économie » (in Le Point, 28 juillet 2009). C’était une façon de dire que le P.S. est social-libéral mais ne l’assume pas. Il est vrai que la social-démocratie a cessé d’être une marche, fut-elle lente, au socialisme mais est au mieux un ralentissement de la marche au turbo-capitalisme voire – c’est arrivé – une accélération de cette marche, la caution de gauche servant d’alibi.

     

    Dès lors que le citoyen n’a plus le choix de diverses lignes politiques, il n’y a plus de démocratie. Face à cela certains mettent en cause, notamment du côté des anarcho-libertaires, ou chez les nostalgiques de droite (et parfois de gauche) d’un « ordre naturel », le principe même de la démocratie représentative. Toute délégation de pouvoir serait à proscrire. Au minimum, les élus devraient être liées par un mandat impératif, n’agir qu’en fonction de leurs engagements. Le maximum de questions devraient être réglées par la démocratie directe ou encore démocratie de base. Cela n’est guère réalisable. Bien entendu, la démocratie la plus locale possible, la plus décentralisée possible est souhaitable. Mais le mandat ne peut être impératif sauf à imaginer que l’histoire s’arrête et qu’un programme puisse suppléer à tout. Les référendums d’initiative populaire sont sans doute très souhaitables mais ne sauraient s’appliquer à tout : aucun référendum n’aurait, en 1940,  mandaté de Gaulle pour qu’il anime la résistance à Londres. L’initiative personnelle et historique est à un moment donné irremplaçable.  Le principe de la délégation de pouvoir reste indispensable. Ce qui pose problème c’est la personnalisation excessive. Qu’un camp ait un leader qui se dégage comme dominant à tel moment, c’est bien naturel et c’est souhaitable pour lui. Mais qu’une élection se fasse sur une bataille d’image, voilà qui est devenu la norme et qui est le contraire d’une bonne pratique démocratique, car le choc des images supplée à l’affrontement des idées. Ce sont alors les communicants qui prennent le pouvoir. Et chacun sait qu’ils sont interchangeables entre droite et gauche.

     

    L’apparition du thème de la société civile et de la gouvernance (toujours « nouvelle » aurait dit Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues) est significatif. À la base, la notion de « société civile » ne veut rien dire d’autre que « ce qui n’est pas la société militaire ». Or l’ouverture du politique à la « société civile » ne se traduit pas par autre chose que par l’ouverture au monde des affaires : hier, Bernard Tapie ou Francis Mer, aujourd’hui Christine Lagarde. Comme si le peuple ne faisait pas partie de la « société civile ». De même, la notion de « gouvernance » envahit le champ politique alors que ce n’est pas son registre. Appliquée aux entreprises ou aux associations, la notion de gouvernance désigne une gestion qui a l’ambition d’être à long terme et d’être l’outil d’un projet. La notion de gouvernance est ainsi parfaitement légitime dans le domaine du tiers secteur économique comme l’économie sociale et solidaire (coopératives, associations, fondations, etc.). Cette notion est beaucoup plus contestable dans le registre du politique ou il ne s’agit pas tant de « gérer » que d’incarner un peuple, d’assumer son destin, de maintenir le lien social. Avec le discours de la gouvernance, c’est encore la pensée unique, celle du « il n’y a qu’une seule politique possible » qui s’exprime, et ce d’une manière d’autant plus contraignante qu’il s’agit de faire « converger les gouvernances ». C’est-à-dire qu’il n’y a plus qu’une politique possible et que celle-ci est mondiale, c’est une toile unique qui enserre dans ses filets les libertés des hommes et des peuples. There is no alternative. D’autant que cette gouvernance se veut concertée entre les États, les grandes entreprises, les institutions internationales telles le F.M.I. Or, comme l’écrit l’ancien secrétaire d’État américain au travail sous Clinton, Robert Reich, auteur de Supercapitalisme — le sous-titre est explicite : « Le choc entre le système économique émergent et la démocratie » (Vuibert, 2007) — « aucune compagnie ne peut sacrifier son rendement au bien commun ».

     

    C’est l’hyper-économie, la chrématistique qu’Aristote, Sismondi et d’autres avaient déjà critiquée qui a tué à petit feu la démocratie. C’est pourquoi la renaissance de la démocratie ne peut venir que d’une autre économie. Le tiers secteur de l’économie sociale et solidaire participe de l’invention de cette autre économie, une économie réencastrée dans le social, selon le souhait de Karl Polanyi. Bien entendu, le tiers secteur est enserré dans une économie elle-même principalement capitaliste. Mais il montre qu’entre l’administration bureaucratique de l’économie et la gestion capitaliste cherchant avant tout la rétribution de l’actionnaire, il y a une autre voie non seulement possible mais porteuse d’espoir.

     

    Toutefois, la nouvelle économie comme la renaissance de la démocratie sont soumises à une condition : retrouver les vertus du citoyen. Ces vertus sont été mises à mal par l’idéologie du désir lié à un « capitalisme de la séduction » (Michel Clouscard), capitalisme qui s’est mis en place à partir des années 1970. C’est l’état d’esprit libéral-libertaire, à la fois jouisseur, hédoniste, dévalorisant le travail et considérant que « tout vaut tout », et mettant ainsi ce qui ne vaut rien au même niveau que ce qui devrait valoir beaucoup. C’est aussi cela qui est arrivé en bout de course.

     

    Pierre le Vigan http://www.europemaxima.com/?p=289

     

    Bibliographie commentée

     

    Guy Hermet, L’hiver de la démocratie ou le nouveau régime, Armand Colin, 2007.

     

    Pour l’auteur, nous sommes au crépuscule d’une époque. Un populisme « people », une sorte de bougisme donne encore l’illusion qu’il se passe quelque chose.  Mais la démocratie s’est vidée de son contenu. La question est de savoir ce qui sortira de la métamorphose  en cours.

     

    Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard, 2008.

     

    L’auteur dénonce le vide idéologique des grands partis, l’isolement de la classe dominante (l’hyper-classe) et ne voit comme solution pour refaire une démocratie qu’un protectionnisme à l’échelle européenne.

     

    Marcel Gauchet, L’avènement de la démocratie, Gallimard, 2007.

     

    Sur quatre tomes prévus, deux sont parus : « La Révolution moderne » (tome I) et « La crise du libéralisme » (tome II). Une enquête rigoureuse sur l’émergence de la forme politique démocratique en Occident.

     

    Michel Clouscard, Néo-fascisme et idéologie du désir, 1973, et réédition Delga, 2007.

     

    Le premier livre de critique de l’idéologie « libérale-libertaire ». Il sera suivi par beaucoup d’autres – notamment ceux d’Alain Soral – sur le même thème. Malgré le caractère un peu systématique de la critique, qui sous-estime sans doute les aspirations vraiment émancipatrices de Mai 68, l’auteur montre bien la formidable capacité du système marchand à récupérer les aspirations à « vivre mieux » pour les réduire à « consommer plus ».

  • Comment faire face à la désinformation publicitaire ? Sixième Journée de réinformation de Polémia le 26 octobre

    Pourquoi s’attaquer à la publicité ?

    Parce que c’est le plus formidable moyen de contrôle des esprits : 2% du PIB y sont consacrés, c’est considérable. Dans beaucoup d’entreprises, le deuxième poste de dépenses après les salaires c’est la « com » ! Staline ne disposait pas du dixième des moyens de persuasion dont usent – et abusent – les grands oligopoles publicitaires. Certes, Staline avait le goulag mais nous, c’est dans un goulag mental que nous sommes enfermés.

    Un goulag mental contrôlé par des oligopoles !

    Oui, en France les messages publicitaires (ce qui entre dans nos têtes) et les achats d’espace (ce qui fait vivre ou mourir les médias) dépendent du bon vouloir de deux grands opérateurs-prédateurs : Publicis (Maurice Lévy et la famille Badinter) et Euro-RSCG (Stéphane Fouks, l’ami de DSK, le publicitaire de Hollande et Valls).

    Et la fusion de Publicis et d’Omnicom (le géant américain) va créer un mastodonte mondial capable d’aligner 130.000 agents de propagande ; 130.000 propagandistes chargés de formater l’opinion en créant des besoins d’achat superficiels et en véhiculant le message idéologique dominant : mondialisme, antiracisme, rupture des traditions.

    Que va apporter la Journée de réinformation de Polémia ?

    Une description clinique et construite de la situation : Michel Geoffroy analysera « la publicité comme élément clé de l’idéologie dominante » ; Romain Le Cap présentera dans un diaporama « 10 ans de conditionnement politiquement correct » ; Bruno Gabriel décortiquera « les techniques de manipulation publicitaire ».

    La Journée apportera-t-elle aussi des éléments positifs ?

    Une première remarque d’abord : décrire, dénoncer une tyrannie, c’est déjà l’affaiblir. Voilà une première utilité de cette journée. Mais, vous le savez, apporter du positif est dans le génome de Polémia. Nous ferons des propositions pour aider les Français à échapper à l’ahurissement publicitaire. Robert Ménard, créateur de Boulevard Voltaire, apportera un message sur « comment se libérer de la tyrannie publicitaire ? ». Quant à J.H. d’Avirac, il ouvrira des perspectives sur « marketing de l’offre et marketing de niches : peut-on réconcilier publicité et identité ? ».

    Rendez-vous samedi 26 octobre.

    J.Y. Le Gallou  http://fr.novopress.info

    - Samedi 26 octobre 2013, Salle Dosnes-Thiers, Place Saint-Georges, Paris (IXe).

    Source : Polémia.

  • L’armée de tous par Georges FELTIN-TRACOL

    Le 22 septembre prochain, les électeurs suisses seront convoqués à une votation nationale. Ils décideront d’approuver ou non l’abrogation du service militaire obligatoire. Hormis le Parti chrétien-social, les organisateurs de l’initiative référendaire et les tenants du oui se recrutent à gauche (Parti socialiste), à l’extrême gauche et chez les Verts. Relayés par le fameux Groupe pour une Suisse sans armée (G.S.s.A.), ces militants veulent abandonner pour des raisons idéologiques un système original de défense nationale.

    Les premiers sondages indiquent que les Suisses ne sont pas prêts à renoncer à une de leurs spécificités. Désireux de renforcer cette tendance, Jean-Jacques Lagendorf, grand spécialiste de stratégie et d’histoire militaire, assisté par Mathias Tüscher, vient de publier aux Éditions Cabédita qui s’intéressent depuis un quart de siècle à l’histoire, au patrimoine, à la mémoire et à l’actualité de l’aire arpitane (Suisse romande, Franche-Comté, Savoie, Val d’Aoste, espace rhodanien), un vibrant plaidoyer en faveur du système militaire suisse en vigueur.

    Les auteurs défendent en effet le système de milice qui a fait la renommée militaire de la Confédération helvétique. Cette notoriété date au moins du Moyen Âge, mais, comme ils le déplorent, qui se soucie de nos jours de l’histoire ? Celle-ci « n’est plus enseignée ou est à l’agonie (p. huit) » dans presque tous les États d’Europe occidentale, victime d’un assassinat puisque sa « suppression, ou [s]a réduction, […] dans les programmes scolaires a pour effet, et c’est d’ailleurs le but recherché, de participer à la décérébration universelle (p. 9) ». Connaître l’histoire aide à comprendre la vie de la cité, c’est-à-dire la politique.

    Favorisées par la géographie et des paysages montagnards alpins qui renforcent la cohésion villageoise (une telle solidarité aurait-elle été possible dans de grandes plaines à champs ouverts ?), « dès le XIIIe siècle, les communautés de paysans libres se révoltent contre les Habsbourg qui, en s’appuyant sur différentes forces locales, par alliances mais aussi par achats ou en profitant de conditions anarchiques, s’étendent en Suisse centrale (p. 7) ».

    À la fin du Moyen Âge, les armées suisses sont réputées dans toute l’Europe pour leur invincibilité du fait de leurs écrasantes victoires sur les ducs d’Autriche et le Grand Duc d’Occident, le Bourguignon Charles le Téméraire. « Vers la fin du XVe siècle, la population confédérée est évaluée à 230 000 hommes avec environ 50 000 hommes aptes à porter les armes, ce qui est énorme (p. 10). » Ces troupes détonnent par rapport aux jeunes armées permanentes des États territoriaux naissants : les combattants élisent leurs commandants et conservent avec eux en temps de paix leurs armes. Les entraînements sont réguliers et tous se connaissent si bien qu’au son des cloches, les paroisses peuvent vite se mettre en défense !

    Jean-Jacques Langendorf et Mathias Tüscher ne cachent pas que « tous les avantages et désavantages d’une armée de milice sont déjà présents : rapidité de la mobilisation, cohésion du groupe mobilisé, car tout le monde connaît tout le monde, forte motivation, car l’on défend quelque chose de concret, que ce soit sa famille, son lopin de terre, ses biens, son honneur mais en revanche tendance au relâchement de la discipline, affrontements personnels […], désir de rentrer à la maison quand les choses tournent mal, etc. (p. 11) ».

    L’invincibilité suisse est finalement brisée au cours des Guerres d’Italie (1494 – 1516) et par la célèbre bataille de Marignan. Si la Confédération proclame dorénavant sa neutralité permanente, elle n’en garde pas moins ses milices populaires armées. Leurs membres maintiennent la tradition civique antique pratiquée en Grèce et à Rome : elle exige que le citoyen – s’il a le droit de participer à la vie politique – a en contrepartie le devoir de défendre son sol natal. Des féministes s’indignent encore que la Confédération helvétique n’ait accordé le droit de vote aux femmes qu’en 1971. Elles oublient que dans la logique de la Cité antique, si le citoyen – l’homme – porte les armes, la femme porte, elle, les enfants. Donnant la vie, les femmes ne peuvent pas apporter la mort et sont donc de facto exclues la vie publique. L’obtention par les femmes du droit de vote impliquerait normalement leur intégration dans les milices ou, pour le moins, leur participation à un service national ou civique…

    Malgré d’indéniables défauts, le système de milice intrigue l’Europe et est parfois cité en exemple. Machiavel et Jean-Jacques Rousseau le célèbrent. Les insurgés américains s’en inspirent largement dans leur guerre contre le colonisateur britannique, puis contre les tribus amérindiennes. De cette expérience formatrice sera voté en 1791 le deuxième amendement de la Constitution étatsunienne autorisant le port d’arme par les citoyens. Puis est fondée en 1913 la Garde nationale, cette force armée présente dans chaque État fédéré dirigé par le gouverneur ou, en cas d’urgence, par le président des États-Unis. En Europe, les États allemands imitent leur voisine méridionale. Vaincue par Napoléon Ier, la Prusse se lance dans de vastes réformes structurelles et se donne « une Landwehr rassemblant tous les hommes de 17 à 40 ans ne servant pas dans l’armée permanente, d’un Landsturm qui regroupe tous les hommes de 15 à 60 ans qui ne servent ni dans l’armée permanente, ni dans la Landwehr (pp. 23 – 24) ».

    Le système suisse de milice correspond par conséquent à une troisième voie entre l’armée de métier préconisée par les conservateurs et le système français de conscription à durée limitée (assortie au XIXe siècle d’un tirage au sort et d’une exemption pour les plus aisés). L’exemple suisse est vanté par les ancêtres idéologiques (le socialiste français Jean Jaurès) de ses actuels détracteurs. Ainsi, les auteurs rappellent-ils que les « “ libéraux ”, regroupant les socialistes et toutes les tendances de gauche (sauf une frange marxiste) […] considèrent d’un œil favorable l’armée de milice (p. 34) ». Le système helvétique n’a pas qu’une vocation militaire. Grâce à sa souplesse et à sa forte symbiose avec la population, il assure aussi d’autres missions  fondamentales telles la protection civile, l’aide aux victimes de catastrophes naturelles ou industrielles, voire, en cas de subversion intérieure, le maintien de l’ordre public.

    Jean-Jacques Langendorf et Mathias Tüscher estiment que la milice suisse est la mieux adaptée aux temps chaotiques qui s’annoncent en Europe. Le triomphe de l’individualisme, du consumérisme, du « tout à l’égo » et de l’eudémonisme corrompt et ronge les sociétés occidentales. Si la Suisse fait figure d’heureuse exception en matière de démocratie directe, elle n’est pas immunisée des affres du politiquement correct (les lois liberticides ont été adoptées par votation et on y trouve de nombreux centres légaux d’injection toxicomane…). Toutefois, l’esprit suisse garde encore une vitalité certaine. Dans un environnement d’instabilité croissante montent à l’horizon des menaces multiples.

    Véritable château d’eau de l’Europe, la Suisse pourrait susciter des convoitises de la part de puissances avides de posséder la grande richesse du XXIe siècle : l’eau douce. Les auteurs avertissent dès à présent leurs concitoyens. « La Suisse n’est pas aimée car, en général, les bons élèves ne le sont jamais par les cancres de la classe. Sa démocratie directe ainsi que son fédéralisme fonctionnent, son économie tient infiniment mieux la route que celle de l’U.E., son esprit innovateur la place en seconde position après les États-Unis […]. Tous ces éléments attisent envie et convoitise, l’envie des petits malfrats qui passent la frontière pour réaliser un coup juteux mais aussi celle d’États voisins qui dissimulent leurs convoitises en se drapant dans les oripeaux de la diplomatie. […] Ceux qui estiment, dans le camp des chevaliers de l’illusion, qu’en cas de crise majeure l’U.E. nous viendrait en aide se trompent cruellement. Le lâchage par cette dernière, lors de la crise Suisse – Libye, à partir de 2009, en est une illustration éloquente (p. 67). »

    Le havre de paix et de prospérité attirera la convoitise certaine soit des États en faillite, soit – si s’effondrent les structures étatiques – des bandes territorialisées surarmées et pillardes. Dans cette perspective inquiétante, le conflit prendrait une tournure nouvelle, celle de « guerre rampante (p. 73) », l’hybridation post-moderne de la guerre conventionnelle et de la guérilla. On peut par exemple imaginer que les troubles qui affectent aujourd’hui Marseille et Colombe (près de Paris) atteignent un jour Lyon, Grenoble ou Annecy. Afin de contenir les razzias vers les paisibles contrées suisses, les citoyens-soldats helvètes effectueront des opérations ponctuelles contre les Minguettes à Vénissieux, Vaulx-en-Velin ou le quartier lyonnais de La Duchère…

    La Suisse dispose encore d’« un instrument adapté, souple (mais qui pourrait l’être encore plus), bien instruit et commandé, immédiatement mobilisable, possédant à la maison son arme de service avec la munition, doté du matériel idoine, qui connaît admirablement ses compagnons d’armes, le terrain, qui est rompu au combat urbain, complètement implanté dans la population, puisqu’il est lui-même la population. En outre, avec les spécialistes civilo-militaires qu’il compte dans ses rangs, il peut offrir un renforcement bienvenu aux spécialistes militaires de la cyber-guerre, de la guerre chimique, de la technique de désinformation, de la guerre économique… (pp. 74 – 75) ». Les auteurs redoutent cependant le succès du oui. Ses conséquences seraient dévastatrices tant la milice appartient à l’esprit suisse lui-même. « La milice, écrivent-ils, c’est la responsabilité partagée entre tous (p. 37). » Or partager la responsabilité entre tous, n’est-ce pas une formule synonymique pour définir une démocratie – l’ultime ? – consciente d’elle-même ?

    Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/

    • Jean-Jacques Langendorf (avec la collaboration de Mathias Tüscher), Une digue au chaos. L’armée des citoyens, préface de Philippe Leuba, Cabédita, Bière (Suisse) – Divonne-les-Bains (France), 2013, 78 p., 18

  • "Aux veilleurs assis et aux veilleurs debout, nous voudrions associer des veilleurs à genoux"

    En effet, "Nos mouvements de protestation ne deviendront vraiment féconds que s’ils sont portés par la prière". De l'abbé Eric Iborra

    "Face à la volonté inflexible du gouvernement d’imposer sa loi dénaturant le mariage et la filiation, nous avons assisté, étonnés, auréveil d’une France qui semblait depuis longtemps endormie. Invité par nous à s’exprimer le 12 juin dernier sur les suites politiques que pourrait revêtir ce mouvement de protestation à bien des égards multiforme,M. Sellier, ancien sénateur, resituait le problème à son juste niveau, théologal, en reprenant l’exemple de Ste Jeanne d’Arc. Et l’une de nos paroissiennes nous confiait alors qu’il faudrait soutenir ce mouvement dans toutes les paroisses de France par une mobilisation sans précédent autour de l’adoration eucharistique car l’enjeu du combat est avant tout d’ordre spirituel.

    Cela m’a rappelé ce qu’avait dit en 1937 le futur Pie XII à Notre-Dame de Paris dans un sermon mémorable et à bien des égards prophétique : « Le courant qui insensiblement a entraîné les générations d’hier se précipite aujourd’hui et l’aboutissement de toutes ces déviations des esprits, des volontés, des activités humaines, c’est l’état actuel, dont nous sommes les témoins, non pas découragés, certes, mais épouvantés ».
    L’été, vous le savez, a en effet ajouté aux turpitudes du printemps la loi instrumentalisant les embryons à des fins soi-disant thérapeutiques mais en fait mercantiles, ainsi que la manipulation de l’esprit des jeunes qui se dissimule sous la prétendue charte de la laïcité qui va se mettre en place à l’automne dans les écoles. Nos mouvements de protestation ne deviendront vraiment féconds que s’ils sont portés par la prière. Souvenons-nous de Moïse priant sur la montagne tandis que Josué combattait dans la plaine (Exode, ch. 17) !

    C’est pourquoi, à partir de vendredi prochain, 20 septembre, nous proposons que l’adoration eucharistique hebdomadaire ait lieu désormais après la messe, de 19h45 à 20h30, pour permettre au plus grand nombre d’y participer et qu’elle ait pour intention principale le salut spirituel et temporel de la FranceAux veilleurs assis et aux veilleurs debout, nous voudrions associer des veilleurs à genoux. Ne manqueront pas même des textes sur la France pour orienter notre prière…

    « Vigilate ! » s’était écrié le cardinal Pacelli, nous mettant en garde, prophétiquement, contre l’activisme, « Priez, sinon vous ne feriez qu’œuvre humaine et, à l’heure présente, en face des forces adverses, l’œuvre purement humaine est vouée à la stérilité, c’est-à-dire à la défaite : ce serait la faillite de votre vocation ».

    « Veillez et priez ! ». C’était la parole du Seigneur à ses disciples au moment d’entrer dans sa Passion, scène que représente l’un des vitraux du chœur ! Soyons nombreux,chaque vendredi, à répondre à son invitation, pour la France et pour toutes les nations qui souffrent des mêmes maux. »

     

    Relèverons-nous ce nécessaire défi seulement à Paris ?

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Septembre 1970 : l’usage d’armes chimiques par les États-Unis au Laos

    Septembre 1970. La guerre au Vietnam fait rage entre le nord et le sud du pays. Ses proches voisins, le Laos et le Cambodge, sont également touchés par le conflit.

    Pendant que les B-52 de l’US Air force tapissent de bombes le territoire cambodgien frontalier avec le Sud-Vietnam et qui sert de base arrière et de piste d’acheminement en matériel et en hommes pour le Vietcong [1], les combats au sol sont assurés dans le plus grand secret par des unités d’élite pratiquant la guerre non-conventionnelle (sabotage, espionnage, capture ou élimination d’officiers ennemis, secours aux prisonniers de guerre, soutien aux agents clandestins, etc.)

    Un commando de 16 membres de « bérets verts » (probablement des membres du MACV-SOG [2], épaulés par une centaine de combattants Hmongs [3], mené par le lieutenant Robert Van Buskirk) est chargé d’un opération clandestine au Laos : sa mission, du nom de Tailwind, a pour but la destruction d’un village servant de camp militaire où a été signalé un groupe de « yeux ronds » – des caucasiens – (un groupe de déserteurs américains, parfois présenté comme des conseillers militaires soviétiques).

    Après de violents combats ou de nombreux soldats sont blessés, l’opération tourne mal : à court de munitions, épuisés et isolés dans la jungle montagneuse du Laos, encerclés par les soldats vietnamiens et laotiens du Pathet Lao  [4] et à plus de 100 km de leur base de Kontum, les hommes du lieutenant Van Buskirk semblent ne pas pouvoir s’en sortir. Ils contactent par radio leurs supérieurs et demandent l’exfiltration de leur petit groupe par hélicoptère.

    L’état-major ordonne aux hommes de passer leurs masques à gaz (élément troublant car aucune unité servant en Asie du Sud-Est ne s’encombrait de ce genre d’équipement, preuve que les unités en étant équipées étaient susceptibles de devoir faire face aux gaz de combats). Deux bombardiers Douglas AD Skyraider sont envoyés sur zone et lâchent plusieurs bombes sur les forces communistes qui se retrouvent dans une brume à peu de distance des hommes des forces spéciales.

    Le sergent Mike Hagen témoigne : « Ça m’est apparu comme un brouillard très léger, sans couleur, inodore, à peine visible. »

    Le soldat Craig Schmidt raconte : « L’air est devenu collant. Nous avons rabattu nos manches pour nous couvrir autant que possible. »

    Le sergent Mike Hagen déclare : « C’était du sarin un gaz neurotoxique, même si le gouvernement refuse de l’appeler comme ça. »

    Le gaz neurotoxique fait des ravages parmi les soldats vietnamiens et laotiens. Mike Hagen décrit : « Les soldats ennemis se tordaient à terre, saisis de convulsions, de vomissements et de diarrhées incontrôlables avant de périr par étouffement. »

    Les hommes de Van Buskirk peuvent alors rejoindre la zone d’extraction. De retour dans leur base, le commando a reçu l’ordre de ne pas faire mention dans leurs rapports de cette attaque au gaz.

    Les témoignages des vétérans de l’opération Tailwind furent diffusés en 1998 par CNN et le magazine Time, prouvant que les États-Unis furent les premiers à utiliser du gaz de combat depuis le protocole de Genève de 1925 prohibant l’emploi en cas de guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques (non-ratifié par Washington au moment des faits, sous la présidence Nixon).

    La veille de l’assaut sur le village, les appareils états-uniens avaient déjà « préparé » la cible par un bombardement au gaz létal.

    Henry Kissinger [5] et Colin Powell [6] firent pression sur Ted Turner, le propriétaire de CNN, pour faire stopper l’enquête de la journaliste April Oliver, en charge du dossier. Cette dernière refusa et fut licenciée. La Justice confirmera le sérieux de son enquête sur l’opération « Tailwind » et soulignera que la procédure de l’employeur était abusive.

    Le Pentagone nia l’usage de tels armes et affirma « n’avoir trouvé aucun document faisant état de l’utilisation de gaz de combat » au Vietnam.

    http://www.egaliteetreconciliation.fr/Septembre-1970-l-usage-d-armes-chimiques-par-les-Etats-Unis-au-Laos-20041.html

    notes :

    [1] Front populaire pour la libération du sud du Vietnam, d’inspiration nationaliste et communiste.

    [2] Military Assistance Command, Vietnam – Studies and Observations Group : force opérationnelle interarmées de guerre non-conventionnelle créée le 24 janvier 1964.

    [3] Auxiliaires issus des tribus de montagnards des hauts plateaux du sud de la Chine (spécialement la région du Guizhou) du nord du Vietnam et du Laos.

    [4] Organisation politique et paramilitaire communiste laotienne.

    [5] Conseiller à la Défense nationale en 1969, puis secrétaire d’État entre 1973 et 1977

    [6] Tristement célèbre comme ayant été chef d’état-major des armées durant la première guerre du Golfe.

  • En Homme libre

  • L'effondrement : La famille, les transports et l'urbanisme dans le monde de demain

    La famille
    Bien que de nombreuses familles soient aujourd'hui atomisées, décomposées ou monoparentales, beaucoup se ressouderont et plusieurs familles pourront se grouper dans des maisonnées communes afin de partager les ressources, les coûts et les tâches liées au chauffage, au ménage, à la garde et à l'éducation des enfants et à la recherche et à la production de nourriture.
    Les transports
    Avec le renchérissement et la rareté du pétrole, voire sa disparition pure et simple du commerce mondial, les moyens et les habitudes de transport vont être totalement changés.
         Le transport aérien, low-cost en tête, sera le plus rapide à disparaître, suivi par toute l'aviation civile puis militaire. Utiliser un véhicule à moteur sera un grand luxe, réservé aux plus riches, qui pourront se fournir en essence. L'automobile redeviendra un luxe ou disparaîtra. Faute de maintenance permanente, il ne sera plus possible d'assurer la bonne condition des routes. Cette régression a déjà commencé aux Etats-Unis, où selon le Département fédéral des transports, 18% des autoroutes sont en mauvaise condition et 29% des ponts ont des faiblesses structurelles et sont dans un état dangereux. Une fois les routes les ponts laissés à l'abandon, c'en est fini des transports. Sans automobiles, le transport terrestre se fera essentiellement à dos de cheval, d'âne, de dromadaire, ou par charrette. Les chemins de fer fonctionneront avec des trains à vapeur ou électriques qui pourront circuler encore longtemps, pour autant que l'on puisse sécuriser les voies contre le vol des rails et les attaques. Le transport maritime, et surtout fluvial, bien que réduit, va pouvoir continuer à exister. Le moyen de locomotion individuel le plus efficace sera le vélo. Une bonne partie de la population possède un vélo, souvent dans un état acceptable et rapidement réparable. Avec des carrioles tractées, le vélo sera le moyen de transport du XXIe siècle. On en prendra grand soin.
    L'urbanisme
    Au cours de l'histoire récente le mode de vie urbain est celui qui a le plus changé les habitudes de vie des populations. Et que de changements ! Détroit, Motor City, était, dans les années 1950, la septième ville la plus riche du monde. Aujourd'hui, la population de son centre est désoeuvrée et analphabète et vit parmi les ruines. Sans transport automobile, les villes vont radicalement changer d'aspect et de fonction. Ce sera tout d'abord la fin des zones de banlieues et des zones industrielles, qui se transformeront rapidement en pâturages avec vaches, moutons et chèvres. Le destin des zones suburbaines sera tragique : elles seront pleines de gens sans emplois, pillées, puis systématiquement démontées sous le contrôle de gangs ou de mafias organisés. Progressivement, la nature reprendra ses droits, comme elle l'a fait dans la ville de Prypiet, près de Tchernobyl. Le centre ville quant à lui, va se contracter et se densifier. Les survivants s'y regrouperont pour mieux se défendre et maximiser l'utilisation des ressources restantes. Beaucoup de villes, construites artificiellement au milieu de nulle part, ainsi que les régions qui se sont développées par la conquête des grands espaces grâce à l'automobile, se videront rapidement. La pénurie d'électricité, les ascenseurs en panne et une pression d'eau insuffisante rendront invivables les étages élevés des immeubles. Les gratte-ciel seront progressivement laissés à l'abandon et resteront un témoignage visible de l'époque des énergies fossiles abondantes. Les villes qui survivront le mieux seront celles dont la situation stratégique est évidente : port, pont, axe de passage incontournable, facile à défendre, etc. Les parcs et les pelouses des parcs seront transformés en potagers mais ne suffiront pas à nourrir tout le monde, et des hiérarchies se mettront en place, souvent imposées par la violence, pour en gérer l'accès. De manière générale, la population des villes vivra dans l'insalubrité et son nombre diminuera rapidement. Les villes qui ont des petites centrales hydroélectriques ou qui sont proches de sources de ressources fossiles, comme Ploesti en Roumanie ou Dallas au Texas, seront détentrices d'avantages extraordinaires car elles pourront continuer à faire fonctionner leurs stations d'épuration, leurs égouts, leur réseau d'eau potable, leur électricité, etc. Ces villes attiseront la convoitise de tous.
    Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique
    http://www.oragesdacier.info/2013/09/leffondrement-la-famille-les-transports.html

  • L’« année terrible » des Turcos : le mythe et la réalité par Rémy VALAT

    Le 19 juillet 1870, la France déclarait la guerre à la Prusse et ses alliés. En quelques mois, c’est la défaite. Cet épisode, pourtant illustré par des pages glorieuses, fait pale figure entre le « faste » des conquêtes napoléoniennes et la dureté de la Première Guerre mondiale. Oubliés, les combattants sans visages de cette guerre. Parmi eux les tirailleurs algériens qui comptent : mille neuf cent cinq tués et blessés sur les deux mille huit cent dix comptabilisés entre 1842 et 1882. La guerre de 1870 – 1871 sera l’occasion pour une minorité de tirailleurs de vouloir s’installer en France. C’est le début d’une immigration, de combattants – qui comme plus tard les harkis - étaient attachés à la France. Mais, cette héroïque contribution a fait l’objet d’instrumentalisations politiques… Le mythe n’est pas l’histoire : les archives en apportent la preuve…

    La conquête coloniale et les premières formations de tirailleurs algériens  (1830 – 1870)

    L’exotisme du recrutement et de l’uniforme des troupes coloniales suscita au XIXe siècle l’engouement de la fine fleur de la peinture et de la littérature française, qu’ils appartiennent ou non à la vague orientaliste (Alphonse Daudet, Delacroix, Henri Philippoteaux – qui accompagne Louis-Philippe, duc d’Orléans, lors de l’expédition dans la région de Médéa en avril-mai 1840 – Vincent Van Gogh, Horace Vernet, etc.). Cette mode traverse même l’Atlantique, puisque les armées américaines de la Guerre civile (1861 – 1865) mettent sur pieds des régiments de zouaves. En France, l’histoire des tirailleurs est consubstantielle à la conquête du sol algérien. Très tôt, le général Clauzel, commandant le corps expéditionnaire, recrute illégalement des hommes de la tribu des Zouaouas (à l’origine par altération du nom commun attribué aux soldats des régiments de « zouaves ») pour former deux bataillons (1er octobre 1830). Le gouvernement français mis devant le fait accompli, entérina cette initiative par la loi du 9 mars 1831 et autorisa la formation de corps – essentiellement d’infanterie – de recrutement local et d’étrangers (Légion étrangère) à l’extérieur du territoire national.

    Malgré un faible attrait des indigènes pour ces formations, le commandement français en Algérie parvint à maintenir l’activité de deux, puis de trois bataillons, en y associant des recrues de souche européenne. Le 11 novembre 1837, ces trois formations sont officiellement amalgamées au sein d’un « corps des zouaves ». Cependant, la dureté du conflit – notamment les razzias des troupes d’Abdelkader – favorise les ralliements individuels ou collectifs d’autochtones, mais aussi de métis arabo-turcs et de Turcs. La présence de ces recrues expliquerait le nom de « Turcos » donné progressivement aux zouaves et aux tirailleurs algériens. Ces formations locales, dont les effectifs sont augmentés en 1840, seront officiellement intégrées l’année suivante dans trois bataillons (1841), puis trois régiments de tirailleurs algériens (1855). La préférence se porta rapidement sur une incorporation séparée des recrues locales et métropolitaines, mais le manque chronique de volontaires aptes obligea l’armée française à la mixité. Depuis lors, les bataillons de tirailleurs seront de recrutement indigène, et ceux de zouaves, mixte, voire métropolitain.

    Au sein de ces unités, les chances de promotion des autochtones sont certes réduites, mais contrairement aux idées reçues (véhiculées notamment par le film Indigènes où un des personnages ne peut obtenir de l’avancement, sous-entendu parce qu’il est Algérien) – des hommes ont pu exercer des fonctions d’encadrement (l’article 3 de ordonnance du 7 décembre 1841 autorise les indigènes d’occuper les grades de sergents, caporaux, clairons et pour moitié, les grades de lieutenant et de sous-lieutenant). La promotion des officiers de recrutement local se fait au choix indépendamment des règles d’avancement de l’armée française (art. 9). Sur la recommandation de leurs chefs de bataillon, des Algériens ont pu s’élever dans la hiérarchie militaire, sans qu’il leur soit toutefois possible, au XIXe siècle, de dépasser le grade de capitaine (ordonnance du 31 octobre 1848). La maîtrise du français oral et écrit était un barrage, mais restait une nécessité : toutes les armées modernes s’appuient sur des cadres instruits pour la gestion quotidienne de leurs unités. C’est pourquoi, les « Français de souche » étaient affectés de préférence à l’encadrement (la majorité des officiers et des sous-officiers) ou à des fonctions annexes de logistique et de soutien (muletiers, infirmiers, armuriers).

    Après des débuts difficiles, le nombre des unités augmente significativement pour répondre aux besoins de l’armée française impliquée sur différents théâtres d’opérations. Elles participèrent à la conquête de l’Algérie aux côtés de l’armée régulière et seront déployées sur d’autres théâtres d’opérations (Crimée, Sénégal, Mexique). Les tirailleurs ont été engagés dans de fréquentes opérations de contre-guérilla en Kabylie et ont été associés aux colonnes mobiles partant des villes-dépôts et ravitaillant les postes isolés. Les « Turcos » ont aussi été mobilisés pour des travaux de génie civil ou militaire.

    « L’Année Terrible »

    La France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Les unités de tirailleurs quittent leurs garnisons, s’embarquent pour Marseille ou Toulon, puis sont acheminés par trains jusqu’à leur point de ralliement : Starsbourg. À Lyon, l’accueil qui leur est réservé est enthousiaste : les hommes du 3e régiment reçoivent de la population en liesse de copieuses rations de nourritures et de vin. Les hommes sont affamés et tombent rapidement malades, tandis que d’autres – sous l’emprise de l’alcool – versent dans l’indiscipline.

    Les tirailleurs participent à la bataille de Woerth, le premier engagement majeur avec l’armée prussienne (6 août 1870). Les Turcos – qui combattent aux côtés des zouaves du 1er régiment – luttent par le feu et la baïonnette avec un courage et un acharnement exemplaires. Dans ces circonstances, les pertes sont importantes, même parmi les officiers : le 2e régiment perd 815 tués (dont 15 officiers) et 821 blessés (dont 21 officiers), soit un total de 1 636 combattants mis hors de combat sur les 1 905 recensées sur toute la période du conflit (le régiment totalisera 910 hommes de troupe et 16 officiers tués). Après un regroupement à Saverne, les Turcos en déroute se replient avec le reste de l’armée impériale vers Lunéville, Neufchâteau, et Châlons (15 août). Les survivants des régiments de tirailleurs sont reconstitués en bataillons provisoires. L’un d’entre eux, complété par une centaine d’hommes et d’officiers venus d’Algérie, se reforme à Paris avant de rejoindre l’armée de la Loire. Un autre, improvisé après la bataille de Woerth, marche sur Metz, puis se replie sur Sedan.

    Le 7 septembre, cinq jours après la capitulation de Napoléon III, les hommes de troupes sont séparés de leurs officiers et envoyés en détention en Allemagne. Les Algériens prisonniers ont mal vécu la captivité, en raison du froid, des maladies, de la brutalité et des vexations des gardiens. Seuls quelques tirailleurs parviennent à prendre la fuite en franchissant la Meuse à la nage. Ces évadés continuent le combat, certains défendent Phalsbourg assiégé. Les combattants qui n’ont pas marché sur Sedan rejoignent isolément ou par petits groupes des positions défensives de l’armée en déroute. Des Turcos se retrouvent à Strasbourg, à Bitche et Verdun. D’autres  s’agrègent à des régiments d’infanterie de ligne ou à des unités de circonstance. Bon nombre de tirailleurs vont de bataillon en bataillon, de ville en ville et la plupart décèdent des suites de leurs blessures.

    On retrouve des tirailleurs algériens au siège de Paris. Les quelques Turcos qui ont réussi péniblement à atteindre la ville s’y trouvent par le fruit du hasard. Une compagnie improvisée de tirailleurs est amalgamée à deux compagnies de zouaves et à deux compagnies de chasseurs à pied et forment le 4e bataillon du 28e régiment de marche (28e R.M.), commandé par le lieutenant-colonel Le Mains (8 septembre 1870). Ces compagnies sont rassemblées au Louvre puis de se rendent à Saint-Denis sous l’autorité du général de brigade de Bellemare (la brigade passera au 14e corps d’armée). Le 28e R.M. remplit des fonctions défensives statiques : il tient des postes à Épinay, au château de Villetaneuse, à Pierrefitte, au moulin de Stains, sur la butte Pinçon et à Stains. Par décret du 20 novembre 1870, le 4e bataillon est supprimé; les deux compagnies de chasseurs passent au 21e et au 22e bataillon de nouvelle formation; les deux compagnies de zouaves et la compagnie de tirailleurs algériens passent au 4e zouaves. Ce régiment rassemble des zouaves en fuite arrivés à Paris, puis à Saint-Cloud, le 5 septembre. Les officiers, venus pour la plupart d’unités éparses, peinent alors à organiser l’unité et à y maintenir la discipline. L’unité est envoyée momentanément à la caserne de la Pépinière (15 septembre) avant d’être positionnée sur les lignes avancées de défense (notamment à Nanterre) où il participe à des combats d’avant-postes et à la bataille de La Malmaison (21 octobre 1870). Le 10 novembre, le régiment, qui compte environ cent Algériens,  est affecté à la 2e armée, 3e corps, 1re division, 1re brigade. Le lendemain, le lieutenant-colonel Méric remplace le colonel Fournis à sa tête.

    Le 28 novembre, le régiment reçoit l’ordre de départ pour une offensive – que l’on espère décisive – pour dégager la ville frappée de pénurie alimentaire, et rejoindre l’armée de la Loire que l’on croit victorieuse et en marche sur Paris. L’attaque se porte vers l’Est, à Champigny : le plan prévoyait de rejoindre l’armée de la Loire par Fontainebleau, via Meaux et la Brie. Les soldats font une série de marches et de contre-marches en raison de la crue soudaine de la Marne (29 novembre). Le lendemain et pendant quatre jours, c’est la bataille de Villiers-Champigny. Fidèles à la tradition de l’armée d’Afrique, les zouaves se battent comme des lions, malgré un froid très vif, et chargent à la baïonnette. Ils  contribuent à la prise du plateau d’Avron, le 30 novembre. Un groupe d’irréductibles reprend à l’ennemi des pièces de huit livres abandonnées par des artilleurs du 2e corps et font une trentaine de prisonniers. Le lendemain, les combats cessent : les belligérants instaurent une trêve tacite pour relever leurs blessés et leurs morts. Après deux jours de combats, le froid — qui atteint – 14° — sonne le glas de l’offensive : l’armée de Paris se retire. Le 4e R.Z. a perdu vingt-deux officiers et cinq cent trente-quatre hommes de troupe. La 1re brigade compte à elle seule neuf cents hommes mis hors de combat dont deux cents morts. Affaibli, le régiment rejoint Nogent. Les zouaves souffrent du froid et de la pénurie alimentaire et participent à des missions de reconnaissance autour du plateau d’Avron, Rosny, Montreuil (20 décembre 1870 – 18 janvier 1871).

    Le 19 janvier, tout espoir d’aide extérieure s’évanouit. L’armée française du Nord, en marche vers Paris, est battue à Saint-Quentin. Quant à l’armée de l’Est, qui marche sur Belfort avec l’intention de couper ensuite les communications des Allemands, elle est arrêtée le 17 à Héricourt. L’armée de Paris tente une ultime sortie, celle de la dernière chance, pour ouvrir une voie vers Versailles. L’attaque, menée sur trois fronts, est mal concertée. Après l’éphémère prise de la redoute de Montretout et du château de Buzenval, l’armée française commence à ployer vers 16 heures sous le poids de la contre-attaque prussienne. Les zouaves  sont intégrés à la colonne centrale, forte de cinq régiments de ligne, dix-sept bataillons de mobile et huit régiments de la Garde nationale, qui monte sur les positions prussiennes à l’Est du château de la Bergerie. Une demi-heure après le début de l’offensive (19 heures 30), la brigade Fournès du général de Bellemare parvient sur la crête de la Bergerie, s’empare de la maison dite du Curé et pénètre par une brèche dans le parc prêtes à attaquer la maison Craon, le 109e régiment d’infanterie s’empare du château (Montretout). La nuit tombant et la confusion régnant après l’échec de la riposte française, le général Trochu ordonne la retraite. Les troupes françaises comptent quatre mille soixante-dix hommes hors de combat. Le 4e régiment de zouaves perd seize officiers (six tués, dix blessés), deux cent trente hommes de troupes (seize tués, quatre-vingt-douze blessés, cent vingt-deux disparus), soit un total des pertes de deux cent quarante-six combattants. Le corps de Bellemare a perdu deux mille deux cent un hommes. Après la bataille, le régiment stationne autour de Rosny et de Montreuil (5 – 18 janvier), à Courbevoie (20 – 21 janvier), puis à Montreuil (25 janvier). L’armistice surprend le 4e régiment de zouaves à Paris. Son tribut est estimé à quatre-vingt-quatorze tués, quatre cent soixante-un blessés et deux cent soixante-huit disparus (autant dire tués). Le conflit franco-allemand est quasiment effacé de la conscience collective nationale.

    Le mythe du Turco communard : une délinquance de droit commun plutôt que politique

    Alphonse Daudet, également séduit par l’exotisme des troupes coloniales, a véhiculé le mythe du « Turco de la Commune » dans son recueil de nouvelles, fortement patriotique mais hostile à la révolution parisienne, les Contes du lundi (1). Extrait du « Turco de la Commune » : « Tout à coup, la barricade se tut. […] C’est la ligne qui arriva ! Dans le bruit sourd du pas de charge, les officiers criaient : “ Rendez-vous ! ” […] On l’entoure, on le bouscule. “ Fais voir ton fusil. ”  Son fusil était encore chaud. “ Fais voir tes mains. ” Ses mains étaient encore noires de poudre. Et le Turco les montrait fièrement, toujours avec son bon rire. Alors on le pousse contre un mur, et vlan ! Il est mort sans avoir rien compris. » L’auteur soulignant ici la « naïveté » de ce soldat qui paraît s’être engagé dans une aventure politique sans lendemain, dont il ne comprenait pas les motivations. La thématique du patriotisme et du Turco empreint les Contes. Une autre nouvelle intitulée « Le mauvais zouave » relate l’histoire d’un engagé alsacien qui rejoint la forge paternelle après la guerre de 1870 – 1871, acceptant délibérément de se placer sous la tutelle allemande. Par dépit son père, fervent patriote,  s’engage en lieu et place de son enfant au 3e régiment de zouaves.

    Cet écrit soulève la question de la présence des Algériens du côté des fédérés ? D’autant que plus récemment, dans un roman intitulé Pacifique, Éric Michel reprend l’histoire à son compte : « Sid Ahmed est grand, taiseux comme un ossuaire et sec comme un cotret. De ses gestes harmonieux et lents se dégage une grâce, pourtant quand il marche, il claudique. Ancien berger il était du 1er Tirailleurs algériens. Il a combattu à un contre vingt sous le général Douai pour conserver Wissembourg, c’est là qu’il a été blessé. Présent encore en première ligne pour la défense de Paris, ce coriace a rallié la Commune avec une poignée d’Algériens réfractaires (2) ». De même,  Peter Watkins met en scène un Turco dans son film militant La Commune pour faire le lien entre la lutte des classes et anticolonialisme…

    Mais tout ceci est et restera une légende, de la littérature et du cinéma…

    Faisons place aux archives (3). Certes, il exista une formation de francs-tireurs, les « Turcos de la Commune », mais celle-ci, comme toutes les autres unités, était de recrutement français et européen. Les rôles des compagnies de francs-tireurs (4), lorsqu’ils n’ont pas disparus, ne contiennent aucun nom d’origine arabo-kabyle, et surtout, tous les citoyens enregistrés sont domiciliés à Paris (5). De même, aucun Algérien ne figure sur les listes des volontaires de l’armée de Versailles. Des Turcos auraient-ils pu participer individuellement à l’insurrection, s’échapper de Paris ou bien mourir sur les barricades ? L’hypothèse de la fuite est difficilement envisageable, car les tirailleurs algériens ne sont pas intégrés à la société française, ne disposent pas d’un réseau de soutien suffisant pour assurer leur évasion et sont sévèrement encadrés. Si cela avait été le cas, comme dans la nouvelle de Daudet, ces hommes auraient été tôt ou tard capturés, jugés et passés par les armes. Celle de la mort au combat serait la plus probable, puisque les tirailleurs portent un uniforme de l’armée régulière les distinguant des gardes nationaux fédérés. Pris en flagrant délit, les armes à la main, ils auraient été pour ce motif tués sur place par les troupes gouvernementales, comme Kadour ou les anciens « lignards » abattus pendant la « Semaine sanglante ». De plus, un combattant des troupes coloniales serait difficilement passé inaperçu, son arrestation aurait fait l’objet d’un rapport… Précisément, des Algériens ont-ils été arrêtés, jugés par les conseils de guerre et condamnés à un non lieu ? La destruction d’une grande partie des dossiers de non-lieux ne permet pas de répondre fermement à cette interrogation, mais il a fort à parier qu’un ancien militaire ayant rejoint les rangs de la Commune n’aurait certainement pas bénéficier d’un non-lieu… La consultation des fonds, complets, des dossiers de conseils de guerre à charge contre les Communards (série 8J) ne comporte aucun nom d’Afrique du Nord (6). Les seuls dossiers impliquant des tirailleurs algériens recouvre la période du premier siège  concernent des actes d’indiscipline (absences illégales, insultes à gradés, alcoolisme, refus de service). Les Algériens, peu nombreux à Paris, sont rarement mis en cause, bien que trois d’entre-eux soient passés devant un conseil de guerre pour le vol d’une montre en or (dossier Kouider Ben Mohamed, Scherif Kadder et Adda Ben Sadhoun, 3e conseil n° 25). Les Turcos fréquentent cependant les lieux de sociabilité de la capitale et prennent probablement, comme les autres combattants, leurs habitudes dans les cafés.

    En définitive, il semblerait plutôt que ces hommes – sans attaches en France – aient été obligés de suivre leur régiment. D’ailleurs, l’unité quitte Paris au complet (Il compte cinquante-deux officiers et mille six cent soixante-huit hommes) et après avoir été désarmée (15 mars 1871) et arrive rapidement en Algérie (à Bône le 23 mars et Alger le 24 mars, soit la première semaine de la Commune). Enfin et surtout, aucune désertion – en cette période de contrôle étroit des troupes -  n’est signalée dans les archives du régiment. Ce qui explique l’absence totale de trace de leur présence à Paris entre le 18 mars et le 28 mai 1871.

    Ces hommes n’ayant pas connu l’éveil politique et n’ayant pas de  réelle conscience de classe, n’ont pu participer à la Commune. La barrière de la langue, comme le contrôle militaire, expliquerait cette absence d’engagement. Si des Algériens n’ont pu être retrouvés dans les rangs de la Commune, des zouaves d’origine française ont été incorporés dans les corps de francs-tireurs, réputés pour être des unités fortement politisées (LY 94). Au contraire, à l’instar des gardes nationaux mobiles en juin 1848, les Turcos combattront leurs « frères » en Algérie, lors de l’insurrection kabyle au printemps 1871.

    Il faut bien distinguer histoire et mythes politiques. Les Communards non français étaient principalement de souche européenne. Enfin, rappelons que des Communards parisiens et narbonnais, avec notamment Charles Amouroux, s’organiseront en une « compagnie franche » et prendront les armes contre les Canaques insurgés pour la défense, selon ses dires, la « race blanche ». La lutte anticoloniale, telle que la conçoive les artistes contemporains au regard des phénomènes du XXe siècle, ne peut être idéologiquement associée à la Commune de 1871. C’est un anachronisme et un mensonge.

    Rémy Valat http://www.europemaxima.com/

    Notes

    1 : Alphonse Daudet, Les Contes du lundi, en ligne à l’adresse :

    http://rene.merle.charles.antonin.over-blog.com/article-alphonse-daudet-le-turco-de-la-commune-81623290.html

    2 : Cf. le compte rendu sur le site de Médiapart, http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-pierre-michel/170611/commune-de-paris-1871

    3 : Une intéressante documentation est disponible au Service historique de la Défense, S.H.D., séries 4M, Li, Ly, 1H, 34 Yc, 5Ye, succession du général Carrey de Bellemare, monographies des régiments de tirailleurs algériens, etc. et aux Archives de Paris, A.D.P., série D.R.

    4 : consultables aux archives du service historique de la Défense et aux Archives de Paris.

    5 : Cf. A.D.P. D2R4 49-52 et S.H.D. Ly 94-96.

    6 : Cf. en ligne à cette adresse : http://www.commune1871.org/?-Service-Historique-de-la-Defense