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culture et histoire - Page 1756

  • De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (B. Constant)

    constant

    « Le but des Anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie. C’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des Modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. »

    Les conséquences désastreuses du tournant de la mondialisation néolibérale des années 60-70, et de la logique générale qu’elle a structurée, sont chaque jour plus manifestes : atomisation du lien social – tribalisation diront certains – passage de l’idée de Nation à celle de société « figée dans le présent » (pour reprendre l’analyse de Finkielkraut), pression sur les bas salaires, violence des sociétés multiculturelles, guerre à la fois larvée et patente de tous contre tous, la liste est interminable.

    D’où l’intérêt d’un coup d’œil sur le passé, et de revenir aux sources du discours libéral, ainsi qu’à ses conditions d’émergence.

    Résumé ici d’un petit texte « culte », écrit par l’un des premiers penseurs libéraux, Benjamin Constant, et daté de 1819, dans un pays marqué à la fois par la Révolution Française et la Restauration de 1815. Nous n’en comprendrons que mieux l’avènement de ce que Michéa a appelé un modèle anthropologique nouveau.

    La thèse générale 

    Constant souligne d’emblée les différences entre la liberté « des Anciens » et celle « des Modernes ».

    De toute évidence, ce qu’il veut faire ici d’abord, c’est sortir de la confusion portée à son paroxysme durant la Révolution Française, où l’on énonça que refuser le modèle antique serait refuser la liberté elle-même. S’ensuit une étude – plus idéologique qu’heuristique – sur l’impossibilité ontologique et conceptuelle de penser la liberté des Modernes chez les Antiques, et réciproquement.

    Les Antiques ignoraient en effet le gouvernement représentatif, gage de notre « démocratie », car leur liberté était d’une autre nature que la nôtre.

    La liberté Moderne s’exerce dans les libertés : la liberté d’expression, d’entreprise, de circulation, d’association, tout cela garanti par le droit de propriété. D’où, finalement, la liberté politique réduite au droit de se faire représenter (l’avènement d’un gouvernement représentatif donc).

    Nous ne retrouvons rien de tel chez les Antiques (exception faite d’Athènes, Constant y reviendra), car chez eux, le citoyen était partie prenante de la vie politique de la Cité, sans représentation. Contrepartie de cette participation directe, il acceptait d’être soumis au corps social. Collectivement souverain, l’individu (Constant utilise ce concept moderne pour parler des Antiques…) était donc pris dans un carcan : « Les lois règlent les mœurs, et comme les mœurs tiennent à tout, il n’y a rien que les lois ne règlent. »

    Reste à expliquer la cause de cette divergence radicale.

    La différence majeure entre Antiques et Modernes découlerait, pour Constant, de la taille du territoire. L’esprit belliqueux était nécessaire à la survie des républiques anciennes, en raison de leur faible taille géographique. L’esclavage en aurait découlé presque naturellement, pour fournir la main d’œuvre nécessaire aux tâches économiques – tandis que les citoyens, eux, faisaient la guerre, ou du moins la préparaient.

    Toujours pour Constant, les Modernes, au contraire, grâce à l’influence des Lumières (et de la pensée libérale, donc) auraient presque effacé les divisions entre États européens (rappelons que le texte date de 1819). La progressive homogénéisation du territoire européen aurait par suite permis la coexistence pacifique d’organisations diverses, sur des territoires de plus en plus vastes…

    On sourira ici sans doute de la« petite contradiction » de Constant : l’esprit dit « des Lumières » a été exporté bien souvent par la guerre. Mais bref, l’impérialisme, culturel ou militaire, selon les circonstances, a toujours été déguisé en « bonne entente des peuples » par les intellectuels organiques des  classes bénéficiaires de l’entreprise. Nihil novi sub sole.

    Revenons au texte.

    Constant en vient finalement à formuler cette idée centrale de la théorie libérale classique : la guerre est antérieure au commerce, certes, mais le commerce finira par la rendre inutile. Le but est le même : posséder. Mais le commerce constitue un moyen détourné d’arriver à cette fin, en substituant le gré à la force : « La guerre est l’impulsion, le commerce est le calcul. »

    Le commerce est donc, pour Constant, une guerre de substitution, une guerre en quelque sorte pacifique. Guerre des Antiques contre commerce des Modernes, question d’époque et d’esprit.

    Rappelons ici qu’après d’inlassables guerres civiles et de religion, l’idée du « doux commerce » émergeait depuis le 18ème siècle (au moins) comme alternative à la guerre de tous contre tous. Subalterne chez les Antiques, le commerce devait donc devenir la règle chez les Modernes, ce qui était vu, par hypothèse, comme une avancée dans le degré de civilisation (nous retrouvons ici dans sa version libérale la théologie inassumée du sens de l’Histoire, propre à toute la Modernité).

    Ce qui rend Constant intéressant, c’est qu’il assume la dimension anthropologique de cette mutation, y compris dans sa part d’ombre. Il ne dissimule pas ce que la limitation du principe de souveraineté chez les Modernes peut avoir de négatif. Il a bien sûr ses lacunes : il explique par l’abolition de l’esclavage que les citoyens, obligés de travailler, ne puissent matériellement pas être présents sur le forum, et à aucun moment, il ne s’interroge sur la position respective du possédant et du salarié, sous cet angle. Mais il faut reconnaître qu’il admet que la liberté des Modernes est politiquement amputée.

    Seulement voilà…

    À ses yeux, c’est un prix raisonnable à acquitter pour la paix. En échange de cette amputation, le commerce, devenu règle, occupe, préserve de l’inactivité – terreau du mécontentement et donc des velléités belliqueuses – et rend désirable l’indépendance.

    En somme, il s’agit de troquer une liberté pour une autre.

    Valeur et limite d’une pensée libérale classique

    Pour donner en quelque sorte des lettres de noblesse à ce postulat, Constant se réfère volontiers à Athènes, où la plus grande liberté accordée aux individus provenait, selon lui, du commerce, et dont l’esprit serait resté inchangé jusqu’aux Modernes. Il y a certes, entre Athènes et nous, l’esclavagisme, les lois faites directement par le peuple et l’asservissement de l’individu au corps social. Mais la comparaison reste mutatis mutandis pertinente, nous dit Benjamin Constant : à Athènes, on observait, dit-il, une grande indépendance individuelle, des mœurs comparables aux nôtres, notamment s’agissant des ménages, une libre circulation des capitaux, un droit de cité pour les étrangers si ceux-ci avaient un métier ou fondaient une fabrique.

    Et c’est ici que l’on touche aux limites du discours libéral classique…

    Tout d’abord, l’Athènes de Constant présente en effet un étrange visage, dont la similitude avec le projet libéral apparaît pour le moins artificielle. On éprouve parfois la sensation qu’elle est un masque, un travestissement, un argument destiné à figer le discours pour l’empêcher d’aller à son terme logique.

    Le Moderne, nous dit Constant, doit préférer la jouissance paisible de l’indépendance privée, et minorer sa présence dans les activités politiques : on est loin d’Athènes. Suivre Rousseau en tentant de renouer avec la participation collective serait, toujours aux dires de Constant, voué à l’échec – de toute évidence, il s’agit ici de réfuter Robespierre et Saint-Just. La liberté individuelle, sacralisée par la Modernité et qu’aucune entrave institutionnelle ne doit entravée, doit aux yeux de Constant définitivement primer sur la liberté politique : le modèle athénien est loin, très loin…

    Pourquoi cette référence athénienne, alors ? Qu’est-ce que ça cache ?

    Le libéralisme de Constant, ce n’est pas la liberté comme valeur, mais la liberté hors de la politique. C'est-à-dire qu’en suivant Constant, nous allons, au fond, au-delà d’une inversion de priorité entre ces deux libertés : nous sommes naturellement amenés à nier le politique, que cela ait été notre projet initial ou pas.

    Comprenons bien la nature du problème. Chez Constant, s’il s’agit de déléguer le pouvoir politique au travers d’un gouvernement représentatif, il n’est nullement question d’abandonner tout rapport au politique ; il ne s’agit que de s’en éloigner pour pouvoir satisfaire à la poursuite de ses intérêts privés. Le peuple doit rester seul maître à bord lorsqu’il s’agit d’écarter pour tromperie ou de révoquer pour abus de pouvoir ses dirigeants. Constant est d’ailleurs conscient des risques de la liberté « des Modernes ». Elle peut, dit-il, détourner le citoyen de la vie politique, ce qui laisserait le champ libre aux puissants, et donc au despotisme. Benjamin Constant n’est pas un idéologue de la dépolitisation comme peuvent l’être certains libéraux contemporains. Pour lui, la fin de l’homme n’est pas le bonheur, mais le perfectionnement, dont le meilleur moyen reste la liberté politique. Dans son esprit, les institutions doivent éduquer moralement le peuple pour qu’il exerce ses droits politiques, des droits qui sont, toujours pour Constant, autant de devoirs moraux : nous sommes à des années-lumière de Brzezinski et de son « tittytainment ».

    Le problème, c’est que la pensée de Constant, en créant une liberté à l’extérieur du politique, rend possible une sortie du politique, une négation même. Le problème n’est donc pas, en réalité, dans la pensée d’un libéral classique comme Constant, mais dans les conséquences potentielles de cette pensée.

    Et cela s’explique très bien : le fond du problème, c’est que l’anthropologie libérale est erronée, parce qu’elle présuppose que tout despotisme est, nécessairement, politique.

    Erreur substantielle de Constant, au regard de ce que nous connaissons aujourd’hui : la croyance en la limitation de la volonté de puissance individuelle induite par l’influence du « doux commerce ». Le règne du commerce rendrait impossible, aux yeux du théoricien libéral, toute forme d’oppression, puisqu’il limiterait l’emprise du politique. Erreur : la puissance du pouvoir financier, dimension complètement occultée chez Constat, a depuis largement prouvé qu’au contraire, la soif de pouvoir peut très bien trouver à s’exprimer ailleurs que sur l’Agora. Ce que le libéral classique n’a pas vu, c’est que l’oppression peut être impolitique.

    En conclusion, ce qui est sain chez Constant, c’est en somme qu’il affirme la liberté du sujet individuel. Par exemple, son refus que le gouvernement prenne en charge l’éducation des enfants, et son souhait que l’État, en la matière, se cantonne aux moyens généraux de l’instruction, sont finalement des idées très saines. Mais ce que Constant n’a pas vu, ou pas voulu voir, c’est que la liberté du sujet individuel serait constamment menacée, si elle n’était pas surplombée par la liberté du sujet collectif – et qu’elle pouvait très bien l’être par des puissances impolitiques.

    Constant à la lumière de notre présent

    En somme, pour Constant, la liberté individuelle est garantie par la liberté politique, mais subordonner le peuple à cette dernière serait aliénant. Il faut donc, à ses yeux, que la liberté individuelle se défende en quelque sorte par ses propres forces, sans que la liberté politique, plus collective, ne lui serve de surplomb protecteur. Alors, à cette condition nécessaire et suffisante, dit-il, renoncer à la liberté des Anciens n’implique effectivement pas renoncer à la liberté tout court. L’idée Moderne de la liberté n’est, dès lors, plus un affaiblissement de la garantie, mais au contraire une extension de la jouissance.

    Et deux siècles après, quand on lit Constant, on en pense quoi ? Qu’est-ce que l’expérience libérale nous a enseigné ?

    Eh bien, elle nous a enseigné que la restriction de l’emprise étatique ne garantit en rien la restriction de l’emprise en général. Constant est proche de la pensée magique lorsqu’il postule que nous défendrions plus efficacement notre liberté individuelle au simple motif que nous y tenons davantage. Deux siècles plus tard, la magie n’opère plus, le réel s’est vengé. Voici exhumée l’erreur initiale, et fatale, du libéralisme classique – l’erreur qui a fait qu’inéluctablement, une fois mis en pratique, il a dérivé vers l’emprise des nouveaux pouvoirs impolitiques.

    Bien sûr, à la décharge d’un Benjamin Constant, il faut reconnaître que rien, dans son expérience, ne le préparait à l’émergence d’une humanité lobotomisée par le tittytainment. Il ne s’agit certainement pas ici de condamner moralement Constant ; si l’on se met à sa place, si on le resitue dans son contexte (la Révolution Française, les massacres, le face-à-face rugueux entre bourgeoisie ascendante et aristocratie décadente), on comprend tout de suite que son erreur est tout à fait excusable – profondément humaine, dirions-nous. Il faut rappeler ici que les libéraux de l’époque évoluaient dans un cadre idéologique très différent de celui qui prévaut aujourd’hui chez leurs héritiers. Ils croyaient encore, par exemple, à la vertu dans la Cité et au patriotisme (il suffit de relire la « Théorie des sentiments moraux » de Smith). Leur ralliement au mythe du « doux commerce » ne traduisait pas autre chose que leur volonté d’édifier un monde délivré de la guerre et de l’oppression sociale.

    Il n’en reste pas moins que le postulat est naïf, selon lequel l’abolition du politique entraînerait celle du despotisme, au motif que tout despotisme serait nécessairement politique. La dissociation contemporaine entre pouvoir étatique et pouvoir financier a bel et bien débouché sur l’autonomisation de cette dernière sphère, devenue prédatrice.

    Toute l’histoire des deux derniers siècles est là pour dénoncer cette erreur. Pour Constant, le commerce était une garantie, car la circulation de la propriété, disait-il, rend celle-ci plus insaisissable. La circulation met « un obstacle invisible et invincible à cette action du pouvoir social ». Il ne lui est pas venu à l’esprit que ceux qui maîtrisent les instruments de la circulation, donc les banquiers, pouvaient très bien se montrer despotiques, aussi despotiques que les puissants politiques, maîtres du territoire.

    Poursuivant dans sa logique, Constant énonce : « Les effets du commerce s’étendent encore plus loin ; non seulement il affranchit les individus, mais en créant le crédit, il rend l’autorité dépendante. » Il ne lui est pas venu à l’idée que ceux dont l’autorité serait dépendante tiendraient donc, mécaniquement, les peuples eux-mêmes en dépendance. L’État souverain perdant le contrôle de la monnaie n’adoucit pas souveraineté, il la transfère à de nouveaux maîtres. Et Rothschild de déclarer « Donnez-moi le contrôle de la monnaie d’une nation, et je me moque de qui fait ses lois. » On sait tout ce qui a découlé de l’application de ce principe par les oligarchies financières…

    Une conséquence qu’évidemment ni Adam Smith avec sa manufacture d’épingles, ni Benjamin Constant avec son amour du commerce comme régulateur des passions humaines, n’ont envisagée. En témoigne encore cette autre déclaration naïve de Constant : « Les individus transplantent au loin leurs trésors ; ils portent avec eux toutes les jouissances de la vie privée ; le commerce a rapproché les nations, et leur a donné des mœurs et des habitudes à peu près pareilles ; les chefs peuvent être ennemis ; les peuples sont compatriotes. » Deux guerres mondiales plus loin, on éclate de rire en lisant ces phrases.

    Bien sûr, tout n’est pas à jeter dans la pensée d’un Benjamin Constant. Qui, parmi nous, souhaite l’abolition de la liberté d’expression, d’association, etc. ? Mais ce qui doit nous séparer des libéraux, même classiques et respectables, comme le fut Constant, c’est la connaissance que nous avons désormais de l’impossibilité de lutter contre l’oppression autrement que par le Collectif.

    L’individu rationnel et calculateur, sacralisé par les libéraux classiques parce qu’ils voyaient en lui une mutation anthropologique libératrice, s’est avéré à l’expérience un tyran plus irresponsable que tous ceux qui l’avaient précédé. Des pouvoirs non-étatiques exercent sur les peuples une emprise sournoise, pire sans doute que celle des pires dictatures. La planète est ravagée par cet « individu rationnel », si rationnel qu’il a totalement rationalisé son irresponsabilité écologique, économique et sociale.

    Non, il ne s’agit pas de rejeter Constant en bloc ; il s’agit de le remettre en contexte, et de le surmonter. Il s’agit de lire Maurras, pour une critique contre-révolutionnaire, et Michéa, pour une critique contemporaine aboutie. Il s’agit de comprendre en quoi la liberté des Modernes ne peut pas être la liberté vraie – pas longtemps, en tout cas.

    Citations :

    « La liberté individuelle, je le répète, voilà la véritable liberté moderne. »

    « Enfin, le commerce inspire aux hommes un vif amour pour l’indépendance individuelle. Le commerce subvient à leurs besoins, satisfait à leurs désirs, sans l’intervention de l’autorité. Cette intervention est presque toujours, et je ne sais pourquoi je dis presque, cette intervention est toujours un dérangement et une gêne. Toutes les fois que le pouvoir collectif veut se mêler des spéculations particulières, il vexe les spéculateurs. Toutes les fois que les gouvernements prétendent faire nos affaires, ils les font plus mal et plus dispendieusement que nous. »

    « Ils voudraient constituer le nouvel état social avec un petit nombre d’éléments qu’ils disent seuls appropriés à la situation du monde actuel. Ces éléments sont des préjugés pour effrayer les hommes, de l’égoïsme pour les corrompre, de la frivolité pour les étourdir, des plaisirs grossiers pour les dégrader, du despotisme pour les conduire ; et, il le faut bien, des connaissances positives et des sciences exactes pour servir plus adroitement le despotisme. »

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  • Ce tabou en or massif que Gollnisch a violé...

    Le principal grief de la police de la pensée contre Bruno Gollnisch et, par conséquent, un des motifs cachés de l’invraisemblable acharnement menteur dont il est la victime, est sans doute que sa proposition de laisser les historiens débattre du "probléme des chambres à gaz", selon le mot fameux de l’historienne Olga Wormser-Migot, a brisé un tabou.

    Ce tabou c’est celui des indemnisations. Il y a soixante ans, il avait déjà coûté très cher à Olga Wormser-Migot.

    Née Olga Jungelson en 1912 à Nancy, cette fille de Russes exilés avait été engagée en août 1944 par les services de l’état civil du ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés.

    De son travail qui consistait à rechercher des déportés revenus des camps, elle tira un ouvrage, "Le Système concentrationnaire", où elle disait sa conviction que les chambres à gaz n’ont existé ni à Ravensbrück ni à Mauthausen.

    Cette affirmation lui valut la haine vigilante de la stalinienne Germaine Tillion et l’intérêt du premier révisionniste, l’ancien déporté et militant socialiste Paul Rassinier, qui s’appuya sur ses travaux pour publier son propre ouvrage : "Le mensonge d’Ulysse".

    Le "problème des chambres à gaz" et donc de l’indemnisation a été depuis écarté de tout débat et il le reste parce qu’il soulève la fureur des déportés, victimes et rescapés, fils et filles de déportés, victimes et rescapés, petits-fils et petites-filles de déportés, victimes et rescapés, en attendant les générations à venir.

    C’est que l’enjeu est considérable, et pas seulement sur le plan de la mémoire.

    Dans "Le Paradoxe juif, Conversations en français avec Léon Abramowicz" (Stock), Nahum Goldmann racontait déjà en 1976 comment, dans les années soixante, il avait convaincu le chancelier Adenauer doffrir à l’Israël du pétrole acheté par l’Allemagne au Koweït et en Arabie Séoudite.

    Depuis, le pactole alimenté par Berlin n’a cessé de se déverser dans les coffres de l’Etat israélien. Tout récemment encore, les chantiers navals allemands ont livré gratuitement à l’Israël trois sous-marins ultra-modernes howaldtwerke-Deutsche-Werft de types 209, 212 et 214, conçus pour recevoir un armement nucléaire.

    En soixante ans, bien d’autres pays se sont joints à cette collecte : l’Autriche, la France, les Etats-Unis versent des sommes considérables soit à l’Israël, soit à la Diaspora, en expiation d’un Holocauste où ils n’ont aucune part.

    Même la Suisse a dû payer après une campagne de sidération où la neutralité qui avait fait de la Confédération le refuge des persécutés a été assimilée à de la collaboration avec le nazisme.

    Partout dans le monde, y compris dans des pays étrangers aux drames de la Guerre mondiale, les monuments et les musées de l’Holocauste, les films de fiction autour de l’Holocauste, les pèlerinages à pleins charters vers les hauts lieux de l’Holocauste se multiplient. Ecoles, lycées et universités sont mobilisés. Sur toute la surface du globe on se prosterne.

    Berlin a dû consentir à l’édification d’un nouveau mémorial de l’Holocauste orné de 2 752 stèles de béton ; cependant que Paris voyait se pérenniser un mur pourtant annoncé comme provisoire sur le Champ de Mars à l’instigation de Marek Halter, un des plus voraces prédateurs de la mémoire.

    A Dresde, à New Delhi, à Pékin ou au Japon (après une autre campagne de sidération consécutive à la publication "malheureuse" dans la presse japonaise de propos révisionnistes), la Shoah fait l’objet d’attentions unanimes.

    C’est au point que des Juifs, y compris la très sensible Annette Wieviorka, en sont venus à exprimer leur désapprobation devant ce que certains ont appelé "le Shoah Business".

    En France, des pensions spéciales ayant été attribuées aux descendants, parfois lointains, des victimes juives de la guerre, les descendants de victimes non juives, manifestant à leur tour devant les grilles du Conseil d’Etat, pour se prévaloir de l’égalité devant la loi, ont été agressés par des Juifs au motif que leur souffrance ne saurait se comparer.

    Dans ce contexte, le constat de Gollnisch qu’il y a « des intérêts considérables à nier ce débat. C’est l’intérêt de l’Etat d’Israël dans les discussions sur les réparations qui sont sans fin » est évidemment inacceptable pour les marchands du temple.

    Il ne faut pas chercher plus loin le motif réel de l’hystérie qui a suivi la simple proposition de laisser les spécialistes déterminer si le trésor de la mémoire est de bon aloi ou de pacotille.

  • Les journées du patrimoine commencent par la défense de la famille

    Depuis ce matin, plus de 1000 volontaires et sympathisants de La Manif Pour Tous sont réunis au Parc Floral de Vincennes (Paris) pour la 1ère université d’été du mouvement né à l’automne 2012 en opposition au projet de loi Taubira de mariage et adoption pour les personnes de même sexe.

    A l'ouverture de l'Université d'été de La Manif Pour Tous, Ludovine de La Rochère a déclaré que, en 15 jours, 37535 personnes ont répondu au questionnaire de sympathisants. Parmi lesquels 93% veulent continuer à s'engager avec LMPT.

    L
    Ici, les sweat interdits sont acceptés !

    S
    Puis Chantal Delsol revient sur la notion de progrès dans les sociétés. C'est ce WE les journées du Patrimoine. Les journées du patrimoine commencent par la défense de notre patrimoine le plus cher : la famille.

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Le Prince (Nicolas Machiavel)

    Parmi les nombreux penseurs composant le corpus de la philosophie politique figurent quelques incontournables, dont fait partie Machiavel. Le penseur florentin, né en 1469, a produit un certain nombre d'œuvres, Le Prince étant sans aucun doute la plus connue. Connu pour le pragmatisme de la pensée qui y est développée, l'ouvrage s'inscrit dans un contexte bien précis, qui explique l'analyse de l'auteur. L'Italie était, en ce XVIème siècle naissant où Machiavel rédige cet essai, loin d'être unifiée ; elle était au contraire morcelée en de nombreuses Cité-États prises dans des luttes de pouvoir, tout comme la Grèce l'avait été en son temps. Florence, Venise, Naples s'opposaient, tantôt s'alliant tantôt s'attaquant, non seulement dans le but d'asseoir leur domination sur leurs territoires mais aussi afin d'étendre ces derniers. Les Cités moins importantes, telles que Forli, furent fréquemment au cœur de ces luttes, servant de trophée aux uns et aux autres. En outre, les pays voisins – France, Espagne, Allemagne, Suisse – ne se contentaient pas d'un simple rôle d'observateur, n'hésitant pas à intervenir militairement en faveur de tel ou tel camp. Cette Italie morcelée avait également en son sein une puissance non négligeable, avant tout sur le plan spirituel, à savoir l'Église. Or celle-ci, à l'époque où écrit Machiavel, vient d'élire Rodrigo Borgia à sa tête – rebaptisé Alexandre VI – dont l'une des principales visées fut d'ajouter un pouvoir temporel – en l'occurrence militaire et politique – au pouvoir spirituel déjà développé. La situation politique est donc d'une grande complexité, et d'une extrême instabilité. Les alliances peuvent se rompre du jour au lendemain, et les guerres se déclarer à tout moment.

    C'est dans ce contexte qu'écrit Machiavel. Son but, avant toute chose, est l'unification de l'Italie, et c'est à ce projet qu'il consacre Le Prince. Son pragmatisme a pu lui être reproché ; il faut savoir que Machiavel, avant d'être un écrivain, est un homme d'action. Fils de Bernard Machiavel, un homme de loi, il avait neuf ans lors de la conspiration des Pazzi – où Laurent de Médicis, dit le Magnifique, échappe de peu aux conjurés, alors que son frère succombe aux lames assassines. Il est donc confronté aux intrigues politiques dès son enfance, et sera nommé une vingtaine d'années plus tard second secrétaire de la Seigneurie. Dès lors, il va s'investir dans nombre de missions diplomatiques au service de sa ville natale, et agir de façon concrète. Il est donc, contrairement à de nombreux philosophes, un homme de terrain, qui fondera sa pensée sur ce qu'il observera au cours de sa vie de diplomate et de fonctionnaire de Florence, avant d'en être exclu. En effet, si Machiavel est durant de longues années un haut dignitaire de la ville de Florence, cumulant les charges (second secrétaire de la Seigneurie, secrétaire des Dix de Liberté et de Paix, chancelier des Neuf de la Milice...), il sera soupçonné de complot, arrêté, emprisonné et torturé en 1513 par les partisans de Jean de Médicis, avant d'être gracié et de se réfugier dans sa maison de campagne où il se mettra à écrire. De ce fait, contrairement à un Rousseau qui écrira plus tard selon ce que l'homme devrait être, et qui en verra le meilleur aspect, Machiavel se basera sur ce que l'homme est, quitte à en prendre l'aspect le plus négatif : il affirme ainsi que jamais les hommes ne manqueront l'occasion d'être méchants s'ils le peuvent.

    C'est donc cette vision qui détermine la pensée de Machiavel lorsqu'il écrit De Principatibus (Le Prince). N'hésitant pas à être dur dans ses recommandations – il dédie son essai à Laurent de Médicis, petit-fils du précédent – Machiavel n'a, une fois encore, que l'unification de l'Italie et l'affirmation de sa puissance et de sa gloire à l'esprit ; il prône donc ce qui doit être fait d'un point de vue pragmatique, pas ce qui devrait être fait d'un point de vue moral. C'est dans doute ce qui explique l'image négative qu'eut Machiavel durant un temps, après sa mort, image renforcée par le primat des questions temporelles sur l'aspect spirituel dans son œuvre. Machiavel étant, comme nous l'avons dit, un homme d'action et de terrain, ses conseils sont pragmatiques et peuvent aller à l'encontre des valeurs religieuses, reléguées en arrière-plan. Le Prince fut donc condamné dès la moitié du XVIème siècle par l'Église – le premier témoignage étant celui du Cardinal Pole vers 1538 qui qualifiera Machiavel d'auteur démoniaque ; de nombreux religieux suivirent le mouvement, parmi lesquels Gentillet, qui écrira un Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume. Contre Nicolas Machiavel Florentin. qui sera consacré à l'étude et à la critique tant du Prince que des Discours sur la première décade de Tite-Live.

    Pourtant, si le penseur florentin fut attaqué par l'Église après sa mort (toute son œuvre sera mise à l'Index fin 1559), il jouira par la suite d'une grande notoriété, et ce dans divers pays d'Europe, notamment en France, ce qui explique le caractère incontournable de son œuvre en matière de philosophie politique. Il sera par exemple repris et approuvé – ou contesté – par Montesquieu aussi bien que par le philosophe de Genève, Rousseau. Il est important de noter que Machiavel, tout en étant un homme d'action, a eu dès son enfance une culture solide : confronté à l'apprentissage de la grammaire latine dès sept ans, il pratiqua assidûment les auteurs latins, comme il l'écrit lui-même dans sa dédicace. Xénophon, Hérodote, Aristote, Polybe, Plutarque et Platon (que Machiavel rejette cependant) chez les Grecs, Tacite, Suétone, Cicéron ou encore Tite-Live chez les Latins, nombreuses sont les sources antiques permettant à Machiavel d'élaborer sa propre pensée politique. Machiavel a par ailleurs un style d'écriture lapidaire, comme il le dit lui-même dans sa dédicace à Laurent de Médicis : « Cette œuvre, je ne l'ai pas ornée et chargée de formules amples, de paroles ampoulées et magnifiques, ou de ces autres parures et ornements extrinsèques dont beaucoup ont coutume d'illustrer et broder leurs écrits ». Le Florentin dit ce qu'il pense devoir dire et ne cherche pas à enjoliver ses propos ; il va au cœur des choses et c'est ce qui le rend si intéressant.

    Le Prince, s'il se compose de vingt-six chapitres, est structuré en trois temps, que l'auteur définit lui-même. Ainsi, le premier chapitre est une courte introduction, énonçant différents types de monarchies ; cette étape est indispensable, car elle lui permettra de développer son raisonnement par la suite. Il y distingue ainsi les monarchies anciennes ou héréditaires des monarchies nouvellement acquises, que ce soit par les armes ou par la fortune. Les chapitres suivants, du II au XI, composent la première partie, consacrée au moyen de gouverner et de conserver chacune d'elles. Passés ces dix chapitres débute la deuxième partie, bien plus courte, allant des chapitres XII à XIV, dans laquelle Machiavel traite des questions militaires. La dernière partie est la plus longue, et va des chapitres XV à XXII ; elle a pour but de « voir quels doivent être les façons et gouvernement du prince avec ses sujets et avec ses amis ». Les trois chapitres restants forment quant à eux la conclusion, articulée en trois points comme nous le verrons.

    Des différentes monarchies et de leurs gouvernements respectifs

    De l'ancienneté des monarchies

    Fort de sa distinction entre les divers types de monarchies, Machiavel s'intéresse en premier lieu aux monarchies dites « héréditaires ». Il précise toutefois que, bien qu'il les ait mentionnées dans son premier chapitre, les républiques ne seront pas abordées dans son ouvrage. Celles-ci sont en effet étudiées plus longuement dans ses Discours sur la première décade de Tite-Live, et n'ont donc nulle raison d'être développées ici. Cette première partie du De Principatibus a en effet pour sujet d'étudier les moyens d'instaurer et de conserver une monarchie ; ceci s'explique par la situation chaotique de l'Italie, que nous avons mentionnée plus tôt : tenter d'introduire une république dans ces conditions serait un échec, et c'est pourquoi Machiavel considère que l'Italie ne peut être unifiée qu'à travers une monarchie, dont Laurent de Médicis – dédicataire de l'ouvrage – serait le Prince. Seule la force peut imposer une unification, quitte à ce que le régime politique change par la suite, comme le montrera l'exemple de Oda Nobunaga, seigneur de guerre qui unifiera le Japon à la fin du XVIème siècle en éliminant ses opposants.

    Machiavel s'intéresse donc dans le chapitre II aux monarchies dites « héréditaires », qui sont bien plus aisées à conserver, et qui se caractérisent par leur stabilité. En effet, l'auteur du Prince les qualifie d'« États héréditaires et accoutumés à la lignée de leur prince » (p. 71). (1) Les hommes aiment la routine ; un système qui dure depuis des années ou des générations les aura ainsi habitués, qu'ils aiment leur prince ou non. De ce fait, un changement radical sera mal perçu et considéré comme une source d'instabilité. Or, selon Machiavel, c'est justement cette idée de stabilité qui caractérise ces monarchies dites « héréditaires » : il y a par conséquent beaucoup moins de difficultés à les conserver que les nouveaux États, car il suffit de « ne pas altérer l'ordre établi par ses prédécesseurs » (p. 71). Conséquemment, un prince d'une habileté ordinaire, qui ne brille ni par ses connaissances militaires ni par ses capacités d'analyse, pourra toujours se maintenir dans un tel État, à moins que la fortune ne lui oppose une « force excessive », comme une invasion. Selon Machiavel, même la gravité d'une telle situation pourrait être relativisée, car dès lors qu'un peuple est habitué à son prince, le moindre revers de l'occupant est pour lui une occasion de reprendre son État, attendu par ses sujets.

    En revanche, tel n'est pas le cas dans les monarchies que Machiavel qualifie de « mixtes », auxquelles est consacré le chapitre III du Prince. La première phrase est explicite : « Mais c'est dans la monarchie nouvelle que se trouvent les difficultés. » (p. 73) ; Machiavel appelle « nouvelle » ou « mixte » toute monarchie n'étant pas héréditaire. Une monarchie mixte pourra être confrontée au même danger qu'une monarchie nouvelle, à savoir que les hommes sont facilement enclins à changer de maître en espérant trouver mieux, prenant de ce fait les armes contre lui, ce qui s'avère souvent une erreur selon le dignitaire florentin. Le changement d'un maître pour un autre est rarement synonyme d'une amélioration du quotidien, selon Machiavel ; cet état de fait découle selon lui d'une nécessité, corrélative à toute instauration d'une nouvelle monarchie, à savoir que tout nouveau prince sera contraint de léser ses nouveaux sujets. En effet, ceux-ci se voient dans un premier temps envahis par des hommes de guerre, avant de subir les inconvénients d'un nouveau régime. Toute nouvelle monarchie est donc risquée pour celui qui l'instaure, selon Machiavel : les nouveaux sujets sont lésés par l'occupation du pays, tandis que les alliés qui ont permis ce changement se considèrent rarement récompensés autant qu'ils devraient l'être. Par conséquent, le nouveau prince a pour ennemis ceux qui ont souffert de l'occupation du pays et peine à conserver l'amitié de ceux qui l'y ont fait entrer, qui lui tiennent rigueur de ne pas les avoir mieux récompensés mais contre lesquels il ne peut rien, étant leur obligé. Machiavel précise en effet que, quelle que soit la force de l'armée que l'on dirige, rien ne peut être fait sans l'appui des habitants.

    C'est alors que Machiavel a recours à ce qui rend Le Prince si particulier, par rapport à tant d'œuvres de philosophie politique : il se réfère à un exemple concret. L'ancien secrétaire florentin a en effet cette habitude – qui se remarque tout au long de l'ouvrage – d'ancrer sa pensée dans le réel, dans les faits, ce qu'explique son passé d'homme de terrain. Il va ainsi étayer chacun de ses propos par des exemples parlants, plus ou moins proches de lui dans le temps, afin d'assurer la validité de son argumentation. Il prend ici l'exemple de Louis XII qui perdit Milan aussitôt qu'il l'avait acquise, n'ayant pas été soutenu par le peuple mécontent. Machiavel s'appuie alors sur cette difficulté à garder un État nouvellement acquis pour proposer deux « remèdes » à cette difficulté, dans le cas d'un pays « différent de langue, de coutumes et d'institutions ». Le premier est d'aller habiter en personne en territoire conquis ; en effet, un prince résidant sur place est en mesure de constater les désordres naissants et donc d'y remédier avant qu'ils ne se développent trop, chose qui serait impossible à distance. Par ailleurs, les sujets ont la satisfaction d'avoir le prince à proximité, de même que la possibilité de se référer à lui. Ainsi, pour reprendre les termes de Machiavel, « ils ont plus de raisons de l'aimer, s'ils veulent être bons, et s'ils veulent être autrement, de le craindre » (p.75). L'autre moyen envisagé par Machiavel consiste à envoyer des colonies, plus efficaces que des troupes selon lui : elles causent moins de dépenses tout en provoquant moins de troubles, et aident au développement du pays colonisé (qui reste toutefois soumis au colonisateur), là où les troupes armées l'auraient détruit. Il s'agit de limiter la puissance d'autrui tout en les protégeant, tout comme le faisaient les Romains : « celui qui cause qu'un autre devienne puissant va à la ruine. » (p.80).

    Des moyens d'acquérir une monarchie

    Ces monarchies nouvelles ou mixtes peuvent être acquises de différentes façons, que Machiavel étudie dans les chapitres suivants. En premier lieu, il s'intéresse aux monarchies acquises par ses propres talents ou ses propres armes ; tel est le sujet du chapitre VI. Celles-ci sont relativement stables car acquises par soi-même, et leur conservation dépend en grande partie de l'habileté du prince qui les gouverne. Le simple fait de passer d'homme privé à prince requérant chance et fortune, nombre de difficultés sont écartées ; néanmoins, la nature des hommes étant changeante, ils sont selon Machiavel aisés à persuader mais difficiles à maintenir. Fortune et virtù doivent donc être conjuguées. Il prend pour exemples de souverains excellents favorisés par la vertu Moïse, Romulus et Thésée, chacun ayant pu être ce qu'il a été grâce à la fortune ; la situation des peuples qu'ils rallièrent chacun à leur manière était condition sine qua non de l'expression de leur grandeur. La fortune a donc permis à ces hommes d'agir, en leur en offrant l'occasion ; celle-ci se serait cependant révélée vaine si ceux-là n'avaient été de grands hommes. Le véritable danger provient de l'introduction de nouvelles institutions dans un État ; il n'y a selon Machiavel nulle chose plus difficile à entreprendre ou à réussir que celle-ci : ceux que les anciennes institutions favorisaient sont ennemis d'un changement, tandis que les autres ne le défendraient pas avec ardeur. Il importe donc d'être aimé du peuple après avoir introduit de nouvelles institutions, comme le fut Hiéron de Syracuse, dont le mérite fit qu'il prit la tête des Syracusains opprimés, et qu'il n'eut pas de difficulté à rester leur prince.

    En revanche, si une monarchie a été acquise par les armes ou le talent d'autrui, il est bien plus aisé d'en prendre la tête, l'allié étant généralement puissant, mais extrêmement difficile d'y rester, dépendant du bon vouloir de l'allié en question. Machiavel prend les exemples de François Sforza et de César Borgia pour étayer son propos. Le premier devint Duc de Milan par ses propres moyens, à l'aide de son talent, et le resta sans difficulté. A contrario, César Borgia obtint ses États par le biais de son père, le pape Alexandre VI, et perdit tout faute d'avoir bâti les fondements au préalable comme il l'aurait dû pour espérer durer. Machiavel reconnaît à César Borgia d'avoir agi de façon à assurer sa longévité, après avoir été nommé duc par son père ; c'est le moyen d'accession au pouvoir qui causa sa perte. Plutôt que de travailler lui-même à atteindre le pouvoir, il se le fit offrir par son père, ce qui ne lui accorda aucune légitimité. Par opposition à François Sforza, Borgia n'eut donc aucune difficulté à se hisser au pouvoir, mais il ne parvint pas à y rester, et tomba avec celui à qui il le devait. César Borgia tenta pourtant de se prémunir de la chute par quatre moyens, qu'expose Machiavel : en premier lieu, il s'assura d'éliminer toute la lignée des seigneurs qu'il avait remplacés, afin d'empêcher le Pape qui succéda à son père et qui lui était hostile, Jules II, de les restaurer. Ensuite, il se gagna tous les gentilshommes de Rome, afin d'avoir un moyen de pression sur le Pape, puis il se rendit le Collège des cardinaux favorable. Il n'eut cependant pas le temps d'acquérir assez de puissance pour pouvoir résister à la disparition d'Alexandre VI, souffrant lui-même d'une santé fragile.

    Un autre moyen d'atteindre le pouvoir développé par Machiavel dans le chapitre VIII est celui qui procède par « scélératesses », afin de passer d'homme privé à prince. On peut soit supprimer le gouvernement libre en place (hypothèse que Machiavel développe dans les Discours), soit profiter de la faveur de ses concitoyens (ce qui est développé dans le chapitre suivant). L'exemple donné est celui d'Agathocle de Sicile qui, de condition « infime et abjecte » (p. 99), prit le pouvoir par la force en éliminant tous les sénateurs à l'aide de l'armée. Il fit face à l'adversité avec mérite et parvint même à contourner puis repousser la menace carthaginoise, libérant Syracuse du siège qu'elle subissait. Violent et cruel, Agathocle ne peut selon Machiavel pas être qualifié de grand homme malgré son courage et son habileté. De la même manière, plus proche dans le temps, Liverotto de Fermo n'hésita pas à tuer les notables de la ville de Fermo (y compris son oncle qui l'avait recueilli) pour la diriger, avant d'éliminer le magistrat suprême. De ce fait, il put assurer sa mainmise sur la ville de Fermo, et devenir redoutable pour les villes voisines, avant d'être trompé puis tué par César Borgia. Machiavel s'appuie sur ces exemples pour envisager un bon et un mauvais usage de la cruauté, qui distingue Agathocle de Liverotto. En effet, Agathocle fut cruel et fourbe pour accéder au pouvoir, mais parvint à défendre la Cité qu'il dominait contre ses ennemis, contrairement à Liverotto qui alla jusqu'à commettre un parricide. Le « bon » usage de la cruauté désigne celles qui se font d'un seul coup pour ne plus avoir à être commises, et qui sont tournées autant que possible au profit des sujets, tandis que le mauvais usage va croissant, les cruautés se multipliant avec le temps. Ce moyen d'acquisition d'une monarchie peut être efficace mais est immoral, et n'est pas sans risque.

    Est alors développé le dernier type de monarchie, par faveur de ses concitoyens, que Machiavel appelle « monarchie civile ». Dans ce type de monarchie, Machiavel opère une nouvelle distinction : on peut accéder au pouvoir soit par faveur des plus grands, c'est-à-dire l'élite, soit par la faveur du peuple. De ces deux possibilités, la faveur des grands est plus risquée : soit ils se lient à la fortune de celui qu'ils hissent au pouvoir, devant alors être honorés s'ils ne cherchent pas à en abuser, soit ils ne le font pas, ou bien par calcul et par ambition – auquel cas ils se révèleront des ennemis dans l'adversité – ou bien par manque de courage, ce qui en fera de bons conseillers en cas de prospérité mais de piètres alliés face au moindre danger. Être fait prince par faveur populaire est plus prudent : il est en effet plus à craindre d'en mécontenter quelques uns tout en ayant le soutien du peuple que de brimer le peuple pour en satisfaire quelques uns. Le soutien du peuple est, selon Machiavel, le meilleur rempart du prince pour conserver son pouvoir.

    Du gouvernement d'une monarchie

    Voilà qui nous amène au troisième axe de la première partie du Prince : comment doivent être gouvernés les différents types de monarchies. Machiavel part d'un exemple représentatif pour développer son propos. Il s'agit de celui d'Alexandre le Grand, qui mourut peu de temps après avoir conquis l'Asie. Selon toute logique, les pays conquis auraient dû se révolter à ce moment-là ; pourtant, ils n'en firent rien, ce sur quoi s'interroge Machiavel. Selon lui, il existe deux façons de gouverner une monarchie : ou bien par un prince, tous les autres étant ses serviteurs et l'aidant à gouverner le royaume selon son bon vouloir, ou bien par un prince et des « barons », qui ont ce rang non par la faveur du prince mais par hérédité et ancienneté. Le premier exemple est le cas du Turc, sa monarchie étant divisée en provinces, chacune étant dirigée par un administrateur qu'il remplace comme bon lui semble ; ce gouvernement a comme avantage que l'État sera difficile à conquérir, mais aisé à conserver, tout dépendant du prince. Cet exemple permet de comprendre pourquoi le royaume de Darius, conquis par Alexandre le Grand, ne se révolta pas à la mort de celui-ci.

    L'autre possibilité est représentée par le Roi de France contemporain de Machiavel. Ce dernier est « placé au milieu d'une foule de seigneurs de vieille souche, reconnus de leurs sujets, et aimés d'eux » (p. 82). Contrairement au cas du Turc, le Roi ne peut alors pas élever ou déchoir tel ou tel selon son envie, sans s'attirer la colère du peuple. Le pouvoir de ces barons est tel qu'il est plus aisé de prendre le pouvoir que dans le premier cas, par la corruption de certains d'entre eux ; il est cependant bien plus difficile d'y rester, car supprimer la lignée du prince ne suffit pas, compte tenu de tous ces seigneurs qui ne peuvent être ni contentés ni exterminés, étant trop nombreux. De ce fait, la première occasion peut faire perdre le royaume gagné avec facilité. L'attitude à adopter dépend donc non du vainqueur, mais de l'objet de la victoire (l'État) et de son fonctionnement.

    Lorsque les pays acquis sont habitués à vivre selon leurs lois, le prince a trois possibilités pour assurer sa domination : les détruire, aller y vivre en personne, ou les laisser vivre selon leurs lois tout en prélevant un tribut et en s'assurant de l'amitié du gouvernement qui y est instauré. Machiavel étudie les exemples des Romains et des Spartiates. Dans le cas des Spartiates, l'instauration d'un gouvernement oligarchique à Athènes et à Thèbes leur permit de tenir ces villes sans avoir recours à la force, pour un temps déterminé, avant de les reperdre. Les Romains pour leur part détruisirent Capoue, Carthage et Numance et ne les perdirent pas ; en revanche, lorsqu'ils laissèrent à la Grèce ses lois et ses institutions, ce fut un échec, ce qui les mena à détruire un certain nombre de villes. La destruction est, des moyens mentionnés, le seul qui soit absolument sûr, selon Machiavel : « qui devient maître d'une cité accoutumée à vivre libre et ne la détruit pas, qu'il s'attende à être détruit par elle » (p. 85), celle-ci tentant à la moindre occasion de restaurer ses anciennes institutions.

    Deux points majeurs apparaissent au fil de cette étude des diverses formes de gouvernement que fait Machiavel. Le premier est d'être en mesure de se défendre et de résister en cas d'attaque, ou de pouvoir vaincre une armée adverse en rase-campagne, qu'il développe au chapitre X ; en d'autres termes, un État viable se doit de ne pas dépendre d'autrui, sous peine d'être sous la menace constante d'une invasion. Il prend pour exemple les villes d'Allemagne qui, si elles sous soumises à l'empereur, ne craignent nulle action de sa part car elles sont suffisamment fortifiées, armées et approvisionnées pour tenir un siège de longue durée. Le deuxième point, sans doute le plus important, est que le prince – nouveau ou non – doit en toute situation veiller à conserver l'amour et le soutien du peuple. Certaines lectures de Machiavel le présentent comme n'hésitant pas à justifier qu'un prince opprime son peuple ; il n'en est rien, car dès lors que le prince fait souffrir le peuple, il est assuré d'en perdre le soutien et donc la protection. C'est là le point commun à tout type de monarchie qui espère durer : l'amitié du peuple doit toujours être assurée, sans quoi le prince doit se préparer à sa chute imminente.

    Des questions militaires

    Des différents types d'armée

    Machiavel consacre la deuxième partie de son ouvrage aux questions militaires, et entreprend au chapitre XII de distinguer les différents types d'armée, qui sont au nombre de quatre. Le premier exemple concerne les troupes mercenaires, qui sont selon Machiavel « sans unité, ambitieuses, indisciplinées, infidèles ; vaillantes avec les amis ; avec les ennemis, lâches » (p. 117). Un prince qui se repose sur une armée mercenaire n'aura donc jamais ni stabilité ni sécurité. Les individus qui la composent n'étant liés au prince que par leur solde, ils ne sont pas prêts à mourir pour lui, et désertent donc dès que la guerre se déclare ; ils sont en outre dangereux en temps de paix, par leur attitude. C'est là la cause de la ruine de l'Italie, selon Machiavel, qu'elle s'est trop reposée sur des troupes mercenaires. Celles-ci ne peuvent en aucun cas être fiables, quand bien même leur capitaine serait un talentueux homme de guerre, car il aspirerait alors à sa propre gloire au détriment de celle de son employeur, tandis qu'un capitaine médiocre ne serait d'aucune utilité et ne le mènerait qu'à la défaite. Le prince doit lui-même aller à la guerre et diriger les opérations, et non s'en remettre à quelqu'un dont il loue la fidélité. C'est ainsi que les progrès se feront, et non par les armées mercenaires, qui sont l'un des deux types d'armée « inutile et dangereuse » selon Machiavel.

    Le deuxième type, proche des mercenaires en ce que ces troupes sont extérieures à l'État, est plus dangereux encore : il s'agit des troupes auxiliaires, dont l'utilisation excessive a elle aussi provoqué la ruine de l'Italie. Les troupes auxiliaires sont celles d'un autre potentat, appelé à l'aide en cas de besoin. A leur sujet, Machiavel écrit que « celui qui veut ne pouvoir vaincre, qu'il use de ces troupes (…). Avec elles en effet, la ruine est chose faite. » (p. 124). En effet, contrairement aux troupes mercenaires, les troupes auxiliaires sont disciplinées et prêtes à obéir, mais à un autre, de sorte que dès que l'on se place en position d'infériorité en leur demandant de l'aide, elles sont en position de prendre le pouvoir. C'est pourquoi Machiavel conclut avec ironie que le plus dangereux dans les troupes mercenaires est la lâcheté, tandis que chez les troupes auxiliaires c'est la vaillance. L'ardeur qu'elles mettent au combat peut en effet se retourner contre le prince qui demande leur aide, pour peu que celui qui les dirige décide de l'attaquer à son tour, profitant de sa faiblesse et de l'élimination des autres dangers. En cas de défaite, l'on est vaincu, et en cas de victoire, l'on est leur prisonnier. L'exemple donné est celui de l'empereur de Constantinople, qui fit appel aux Turcs et les fit venir en Grèce, après quoi ils refusèrent de partir et asservir le pays.

    C'est pourquoi tout prince faisant preuve de sagesse évitera l'un comme l'autre et cherchera toujours à avoir ses armes propres, c'est-à-dire une armée composée de ses propres sujets, qui lui soit fidèle et qui soit donc fiable. Outre la fiabilité de ces troupes « propres », la réputation du prince est elle-même en jeu : un prince qui ayant recours à des troupes mercenaires ou aux troupes d'un autre pays ne suscite que mépris, tandis qu'un prince ayant sa propre armée, issue d'un État qu'il a su rendre fort, brillera aux yeux de ses voisins, et sera même craint s'il cherche à l'être. Une fois encore, Machiavel a recours a un exemple, celui de César Borgia : celui-ci, passant des troupes auxiliaires (françaises) avec qui il prit Imola et Forli aux troupes mercenaires (les Orsini et les Vitelli) avant de les supprimer et de finalement avoir ses propres troupes, vit sa réputation s'accroître progressivement. Cet exemple est renforcé par celui de Hiéron de Syracuse qui, nommé chef des armées, élimina la milice mercenaire pour la remplacer par ses propres hommes.

    De l'importance de l'art de la guerre

    L'art de la guerre est et doit rester une priorité pour le prince : « un prince (…) ne doit avoir autre objet ni autre pensée, ni prendre autre chose pour son art, hormis la guerre et les institutions et science de la guerre ; car elle est le seul art qui convienne à qui commande. » (p. 127). Cet art doit être central dans la vie du prince ; un bon prince est en effet aussi apte aux questions politiques qu'aux questions militaires. Nous avons déjà mentionné le soin que le prince doit apporter à la gestion de sa monarchie (ce que Machiavel reprend et développe par la suite), mais à ce soin doit être ajouté un souci constant de la guerre. La maxime si vis pacem, para bellum (« si tu veux la paix, prépare la guerre ») correspond ici tout à fait : en temps de guerre, le prince doit s'occuper lui-même de son armée et de vaincre ses ennemis ; en temps de paix, il doit se préparer à la guerre, celle-ci pouvant survenir à tout instant, comme le montre l'instabilité de l'Italie du début du XVIème siècle.

    Tout prince faisant passer les plaisirs avant les armes est assuré de perdre son État : si François Sforza passa d'homme privé à duc de Milan, c'est parce qu'il prit les armes ; en outre, un prince qui n'y entend rien à l'art de la guerre ne sera pas estimé de ses soldats et ne pourra se fier à eux. En temps de paix, le prince doit même s'exercer plus qu'en temps de guerre, aussi bien en gardant ses troupes entraîner qu'en s'entraînant lui-même. Cet entraînement peut prendre deux aspects, physique et mental. Le prince doit, selon Machiavel, aller sans cesse à la chasse, afin d'habituer son corps aux conditions rigoureuses mais également d'apprendre à connaître le terrain sur son territoire. Cette connaissance lui permettra d'une part de mieux connaître son pays et donc de mieux le défendre, et d'autre part à mieux exploiter certains types de terrains : la connaissance d'un terrain montagneux ou d'un marécage se révèle utile dans tout terrain similaire ; la connaissance d'une province permet une familiarisation plus rapide avec une autre. Cet exercice mental passe également par la lecture des livres d'histoire, afin d'examiner la vie des grands hommes et de comprendre aussi bien leurs victoires que leurs défaites, afin d'imiter les premières et d'éviter les autres. Le prince ne doit donc jamais rester inactif, même en temps de paix, et en aucun cas se laisser aller aux plaisirs, sous peine de travailler à sa propre destruction.

    Des façons et gouvernement du prince avec ses sujets et ses amis

    De l'image qu'un prince doit donner

    Le troisième thème auquel est consacré le Prince englobe aussi bien les actions que les attitudes du Prince dans son rapport non à l'État de manière générale mais plutôt dans celui qu'il doit entretenir avec les individus. L'auteur du Prince est connu (à tort ou à raison) comme celui qui ne tient que peu compte de la morale dans l'attitude qu'un prince devrait avoir. C'est assez inexact, tout en ayant un fond de vérité. Disons-le une fois de plus, Machiavel préfère « se conformer à la vérité effective de la chose plutôt qu'aux imaginations qu'on s'en fait. » (p. 131). Un prince vertueux est bien évidemment préférable à un cruel ; mais celui qui cherche en toute situation à être un homme de bien ne peut manquer, selon le Florentin, d'être détruit par l'infinité d'individus qui ne sont pas bons. Machiavel voit les choses de façon pragmatique : « Aussi est-il nécessaire à un prince, s'il veut se maintenir, d'apprendre à n'être pas bon, et d'en user et n'user pas selon la nécessité. » (p. 131). Machiavel n'encourage nullement le prince à être immoral ; il lui préconise seulement de savoir l'être si sa survie et celle de son État l'exigent – rappelons que l'Italie est alors morcelée et que chaque État est susceptible d'être envahi par un État voisin, pour peu qu'il montre un signe de faiblesse. Par conséquent, sans chercher à avoir une mauvaise réputation ou à être craint, le prince ne doit pas hésiter à sacrifier sa réputation et à paraître tel si cela lui permet de sauver son État ; il est selon Machiavel préférable de paraître chargé de vices et de protéger son État que de paraître vertueux et d'entraîner sa ruine.

    Il en va de même pour la libéralité ou la parcimonie : le prince doit adapter son attitude à la situation, et ne jamais risquer la ruine de son potentat ; tel doit rester son objectif principal. Le prince, quelle que soit son attitude, est avant tout le garant de sa monarchie et de ses sujets, selon Machiavel. La meilleure solution, sur ce point, est selon lui d'être ladre au début du règne, pour ensuite devenir de plus en plus libéral tout en restant modéré, afin de contenter les sujets petit à petit, sans pour autant vider les caisses de l'État. De la même manière, le prince ne doit pas craindre d'être tenu pour cruel, si cela lui permet d'unifier son peuple, car il jouira alors d'une certaine renommée, alors qu'un excès de pitié le ferait passer pour faible et serait une incitation à l'attaque. Machiavel cite l'Enéide de Virgile pour justifier ce fait : « Les circonstances difficiles et la nouveauté de mon règne me contraignent à procéder ainsi, et à faire garder toutes les frontières. » Pour faire simple, s'il faut faire un choix, il est plus sûr d'être craint que d'être simplement aimé, du fait de l'instabilité des hommes. En effet, comme le dit Machiavel, « les hommes aiment à leur gré et craignent au gré du prince. » Et Machiavel de donner l'exemple de Hannibal, qui était craint et qui permit à sa gigantesque armée de rester unie.

    Des actions et entreprises du prince

    Le prince a selon Machiavel deux moyens de se battre : soit par le biais des lois, soit par le biais des armes. Pourtant, plutôt que de chercher à favoriser l'une par rapport à l'autre, l'auteur affirme que le prince doit savoir user des deux, qu'il doit être à la fois renard et lion, c'est-à-dire qu'il doit savoir ruser aussi bien qu'utiliser la force. Il importe toutefois de cacher ces talents car, en politique, il est dangereux de montrer l'étendue de ses forces. C'est là que la confusion a pu s'opérer, sur les propos de Machiavel, car il écrit que « celui qui trompe trouvera toujours qui se laissera tromper » (p. 142), avant de donner l'exemple d'Alexandre VI (Rodrigo Borgia), maître en manipulation. De la même manière, le plus important n'est pas, pour le prince, d'avoir toutes les qualités qui lui attireront le respect de tous mais de sembler les avoir ; le paraître prend ici une importance majeure. Un prince se définissant par certaines valeurs ne pourra aller à leur encontre ; en revanche, s'il paraît seulement les avoir, et sait agir de façon utile en toute circonstance, il sera à même de faire face à toute situation. Nous retrouvons ici une idée déjà exposée par Machiavel, qui a son rôle dans la mauvaise image de l'ancien dignitaire : « le prince ne doit pas s'écarter du bien s'il le peut, mais doit savoir entrer dans le mal s'il le faut. » (p. 143). On voit en quoi Machiavel et Rousseau, pour ne citer que lui, diffèrent : le philosophe de Genève prônerait pour sa part d'agir toujours selon le bien, quelle que soit la situation.

    Il est donc important de travailler son image : il est primordial d'éviter d'être haï et méprisé. C'est là l'intérêt d'être ladre au début de son règne et de plus en plus généreux, plutôt que l'inverse, car il paraîtrait alors rapace et usurpateur, s'appropriant les biens de ses sujets. Une telle attitude aurait pour conséquence de le faire haïr tant de ses sujets que de ses voisins, et s'unir contre lui. Le prince doit également paraître assuré et ferme, plutôt que changeant et irrésolu, car il serait alors méprisé et considéré comme faible. L'un comme l'autre auraient des effets irrévocables, et conduiraient à la chute du prince. Ces conseils sont explicables par les deux craintes que doit avoir le prince, à savoir l'intérieur (ses sujets) et l'extérieur (les puissances étrangères). Par conséquent, la pensée de Machiavel peut être résumée ainsi : le peuple doit être satisfait de son prince, car il est son meilleur soutien – Machiavel écrit au chapitre XX que la meilleure forteresse qui soit est de ne pas être haï du peuple – et pourra le sauver dans l'adversité, tout en se souciant des grands et en cherchant à les contenter.

    De l'entourage du prince

    Un prince doit veiller à agir comme il se doit, mais également à bien s'entourer ; un bon prince entouré de ministres vils ou inefficaces sera destiné à la ruine tout autant qu'un mauvais prince. Il doit d'une part, nous l'avons vu, se faire un renom de grand homme et de grand esprit. Comment y parvenir ? Non seulement en développant et renforçant son État, tout en satisfaisant le peuple, mais également en étant à la fois « bon ami et bon ennemi ». L'idée selon laquelle le prince se doit d'être ferme prend ici une nouvelle dimension : en cas de guerre, il importe de s'engager et de se prononcer pour un camp ou pour l'autre, la neutralité n'apportant que l'inimitié du vaincu et le mépris du vainqueur, qui pourra alors attaquer. Ne pas se déclarer reviendrait à se désigner, pour reprendre les termes de Tite-Live cité par Machiavel, comme « prix du vainqueur ». En revanche, en cas d'aide au vaincu, celui-ci offrira toujours refuge et secours, dans ses moyens ; en cas d'aide au vainqueur, la position de domination est assurée par ce choix. Il s'agit toutefois de choisir avec attention : Machiavel déconseille vivement de s'allier à plus fort que soi, car cet allié pourra par la suite abuser de sa puissance et vouloir augmenter sa conquête. La guerre ne doit cependant pas être le seul souci du prince (tout en restant le principal) : celui-ci doit également développer son pays en tous points, aussi bien dans les arts qu'en matière de commerce.

    D'autre part, le prince doit sélectionner avec soin son entourage direct. Machiavel définit trois types de cerveaux (ceux qui comprennent par eux-mêmes, ceux qui discernent ce qu'autrui comprend, et ceux qui ne comprennent ni soi ni autrui) ; seuls les deux premiers sont intéressants, et c'est ce sur quoi le prince doit se baser pour choisir ses ministres. Un bon ministre pense à l'État et à son prince avant de penser à lui-même, et ce dernier doit le récompenser et l'honorer comme il se doit, de sorte qu'un lien de confiance les unisse. Sans ce lien, le fonctionnement de l'État sera nécessairement affecté. Les flatteurs sont également à éviter, et surtout ne pas être écoutés. Le prince peut certes écouter l'avis d'autrui mais doit avoir le sien propre et s'y fier, sous peine d'être inconstant et donc faible. Les flatteurs ne pensant qu'à leur intérêt et non à celui du prince, ils représentent pour lui un danger, n'hésitant pas à le conseiller selon leur propre intérêt ou même à le trahir si cela les avantage. Un bon prince doit donc selon Machiavel se conduire de manière à sauvegarder son État mais également s'entourer comme il convient pour ce faire.

    Conclusion : vers l'unification de l'Italie

    Les trois derniers chapitres du Prince (de XIV à XVI) forment une conclusion en trois points. Le premier de ces points concerne les princes d'Italie qui ont perdu leurs États, ce que Machiavel va expliquer par le non-respect de ce qu'il vient d'écrire. Un nouveau prince étant plus observé qu'un prince plus ancien, il doit faire ses preuves par ses actes, et ce dès le début de son règne, aussi bien en fortifiant son État qu'en nouant et entretenant des amitiés solides et utiles. C'est généralement par défaut d'armes ou par paresse que les princes d'Italie ont, à en croire Machiavel, perdu leurs États, donc par leurs propres erreurs et non par coup du sort.

    Fortune et virtù sont certes liées, mais l'une ne peut pas remplacer l'autre, sauf en cas extrême. Machiavel compare la fortune à un fleuve : en cas de crue, quand il se déchaîne, l'homme ne peut rien faire, tandis qu'il peut apprendre à le maîtriser et à en tirer profit en temps calme. C'est pourquoi celui qui apprend à s'adapter au moment s'en sortira toujours mieux ; ces deux notions de fortune et de virtù sont centrales dans Le Prince, et sont d'ailleurs sans doute l'aspect le plus connu. La virtù n'est pas seulement la vertu, mais désigne les capacités du prince, ses actions, son attitude en général. Les deux doivent être conciliées, et c'est seulement alors qu'un prince pourra réellement être bon.

    Machiavel achève son ouvrage par un appel à Laurent de Médicis – son dédicataire, rappelons-le – en lui demandant de s'engager et d'unifier l'Italie. Tel est le but ultime de Machiavel, il ne faut pas l'oublier ; c'est ce projet qui le guide tout au long de sa rédaction du Prince. Souffrant des guerres et des oppositions entre les différentes Cités, l'Italie a eu au fil des années à subir la présence des Français, des Espagnols, ou encore des Suisses, ce que Machiavel n'approuve pas ; c'est pourquoi il enjoint Laurent de Médicis non seulement à unifier l'Italie, mais également à la débarrasser de toutes les troupes étrangères qui n'y ont aucune légitimité.

    http://www.scriptoblog.com/index.php/notes-de-lecture/philosophie/1100-le-prince-nicolas-machiavel

    Note

    (1) Edition Flammarion, Paris, 1992

  • Les liens historiques étroits entre la gauche et la guerre

    Par Jean-Baptiste Noé

    S’il fait bombarder la Syrie, François Hollande entre ainsi en guerre contre un deuxième pays depuis un peu plus d’un an d’exercice du pouvoir. C’est un fait assez rare dans l’histoire moderne de la France, fait qui témoigne des liens passionnels que la gauche entretient avec la guerre.

    Depuis la Révolution française, la gauche est belliciste, et la droite pacifiste. C’est la gauche révolutionnaire qui entre en guerre contre la Prusse et l’Autriche le 20 avril 1792, alors même que les monarchistes y sont opposés, au nom du pacte de familles. La guerre se fait non pas pour des motifs stratégiques ou de conquêtes, mais pour des raisons idéelles : il s’agit de renverser les tyrans et d’établir des républiques sœurs. [...]

    Après les défaites napoléoniennes, la gauche reste nostalgique de la grande France, et une part essentielle du programme républicain consiste à vouloir récupérer les territoires perdus de l’autre côté du Rhin. Les rois de France doivent alors souffler le chaud et le froid : rester pacifistes pour ne pas heurter leurs soutiens monarchistes, tenter quelques combats pour montrer de la bonne volonté à l’aile gauche. [...]

    Sous Louis-Philippe, les républicains n’ont cessé de témoigner de leur pensée belliciste, voulant absolument récupérer la rive gauche du Rhin. [...] Ce sont les mêmes républicains qui ont œuvré pour l’entrée en guerre contre la Prusse en 1870, contre la volonté impériale. [...]

    Les républicains au pouvoir ne cessèrent de vivifier le mythe de la revanche. L’école était leur usine, qui devait fabriquer de solides et sincères républicains, prêts à se faire abattre, et à verser leur sang dans la guerre future contre l’Allemagne. [...]

    [Aujourd'hui] ces guerres sont menées non pas pour des raisons réalistes et stratégiques, mais pour des causes humanitaires. L’armée est déployée pour défendre les populations ou la démocratie, au nom du droit d’ingérence, ou bien au nom des peuples libres à libérer les peuples asservis.

    Nous avons ainsi face à nous un panorama des plus intéressants : les idéalistes sont des faucons et les réalistes des colombes. C’est au nom de l’idéal de la démocratie que la guerre est menée, et c’est au nom d’une réalité dangereuse et complexe que l’on cherche à faire taire les armes.

    Lire l’intégralité de l’article sur Contrepoints

    http://histoire.fdesouche.com/3129-les-liens-historiques-etroits-entre-la-gauche-et-la-guerre#more-3129

  • 1870 : la prophétie d’Ernest Renan sur Hitler et la Russie

    Le vingtième siècle aura été marqué par d’épouvantables guerres racistes menées par les Allemands, guerres menées contre d’autres peuples blancs, surtout le russe ; au cours de la première guerre mondiale, l’Allemagne aura tué deux millions de soldats russes, facilité la fin du tsarisme et la venue au pouvoir des bolcheviques et donc la guerre civile ; ensuite, au cours de la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne nazie, qui a succédé à celles des Ludendorff et autres Hindenburg, prédécesseur de Hitler au pouvoir, extermine vingt millions de Russes et d’Ukrainiens au nom de la criminelle et burlesque théorie raciale venue de Gobineau et de Chamberlain, et qui voit dans les slaves une race européenne récemment mongolisée (?!?) et rendue miraculeusement inférieure par le cours de l’Histoire !

    C’est en 1870, suite à la trop facile victoire contre la France dilettante et sordide du Second Empire, que les Allemands attrapent la grosse tête, comme on dit, et se convainquent qu’ils doivent mener le monde à leur guise avec le peuple-frère anglais, qui leur déclarera pourtant deux fois la guerre. Les sinistres et grotesques théories de Chamberlain deviennent le livre de chevet de Guillaume II qui les offre même aux diplomates américains comme le curieux Rowland Francis, futur ambassadeur en Russie pendant la Révolution du même nom.

    Et c’est à ce moment que notre cher Ernest Renan, un des Français les plus cultivés et plus fins de ce siècle, prend la plume pour écrire au penseur allemand David Strauss, auteur comme lui d’une vie de Jésus retentissante et postchrétienne. Renan aimait l’Allemagne pacifique et savante, celle du peintre Friedrich et du début du siècle romantique. Voyez Balzac qui écrit au début de la célèbre "Auberge Rouge" : « cette noble Germanie, si fertile en caractères honorables, et dont les paisibles moeurs ne se sont jamais démenties, même après sept invasions ».

    Mais Bismarck et la Prusse militariste passèrent par là et modifièrent l’âme et le comportement de ce pays. Renan écrit donc deux lettres à Strauss en septembre 1870, dont la deuxième est ici la plus intéressante. Il lui indique dans un premier temps que l’Allemagne va filer un mauvais coton avec son unification prussienne réussie - si l’on peut dire - par le fer et par le feu - pour reprendre l’expression du chancelier Bismarck, un assez bon ami de l’empire russe.

    « L’Allemagne, en se livrant aux hommes d’Etat et aux hommes de guerre de la Prusse, a monté un cheval fringant qui la mènera où elle ne veut pas. »

    Comme Nietzsche, Renan voit surtout que la théorie raciste - völkisch, comme on dit en allemand - qui finit par servir de base pour tout en Allemagne doit déboucher inéluctablement sur des guerres de type hitlérien, à savoir d’extermination.

    « La division trop accusée de l’humanité en races, outre qu’elle repose sur une erreur scientifique, très peu de pays possédant une race vraiment pure, ne peut mener qu’à des guerres d’extermination, à des guerres zoologiques, permettez-moi de le dire, analogues à celles que les diverses espèces de rongeurs ou de carnassiers se livrent pour la vie. »

    Car l’homme moderne est moins un loup qu’un rat pour l’homme.

    Si un esprit supérieur comme Renan peut écrire en 1870 que le racisme n’a aucune base scientifique il faudra trois quarts de siècle à d’autres esprits pour le comprendre !

    Il est vrai que Renan est scandalisé par la confiscation de l’Alsace et de la Lorraine contre l’avis de leur population. Et là il voit un autre problème pour l’Allemagne, qui va devenir avec le développement du pangermanisme un autre risque pour le monde slave :

    « Vos journaux ne voient pas une montagne qui est devant leurs yeux, l’opposition toujours croissante de la conscience slave à la conscience germanique, opposition qui aboutira à une lutte effroyable. »

    Mais Renan voit en fait émerger une menace slave assez formidable qui motivera sans doute l’agressivité du militarisme allemand ; il ne voit pas à terme dans les slaves le peuple victime de la barbarie germanique ; il voit ce peuple vainqueur. Car les Slaves ont pour eux la démographie, le courage et les vertus militaires d’une race jeune et encore bien dirigée (la mieux dirigée d’Europe avec la prussienne, dit-il, car la moins démocrate), et ils ont aussi une dimension presque onirique et eschatologique :

    « Le Slave, dans cinquante ans, saura que c’est vous qui avait fait nom synonyme d’esclave : il verra cette longue exploitation historique de sa race par la vôtre, et le nombre du Slave est le double du vôtre, et le Slave, comme le dragon de l’Apocalypse dont la queue balaye la troisième partie des étoiles, traînera un jour après lui le troupeau de l’Asie centrale, l’ancienne clientèle des Gengis Khan et Tamerlan. »

    Comme on voit, ces expressions du maître Français justifient d’une manière prémonitoire les peurs et alibis nazis d’un monde slave à connotation asiatique et bolchevique qu’il conviendrait de repousser lors du grand combat vers l’Est ! Dans son bilan de l’histoire, écrit après 1945, le grand historien René Grousset parlera, à propos de l’armée Rouge de la reconstitution de l’empire des steppes, mais blindé et motorisé ! Il s’agit bien sûr plus d’une image ironique, comme me semble-t-il sous la plume de Renan : « l’ancienne clientèle » sonne bizarrement...

    Un rappel sur cette question asiatique dont les nazis firent leurs choux gras pour justifier leur croisade contre la Russie. On sait que durant la guerre, les Allemands - comme les Américains aujourd’hui - trouveront en fait plus facilement à s’allier en Union soviétique, avec des peuples périphériques, notamment caucasiens ou musulmans, qu’avec les slaves ; l’armée allemande terminera assez islamisée - comme l’occident américanisé d’aujourd’hui - et plus multiraciale que jamais, alors que l’armée Rouge défendra la terre, la vie et la liberté slaves. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’hitlérisme : Hitler s’est allié en Asie aux Japonais et aux Hindous contre les Blancs, il avait des musulmans un peu partout comme partisans, et a partout traité les Blancs comme des sous-hommes (y compris les Norvégiens et ses alliés italiens à la fin de la guerre) ! Les antiracistes d’aujourd’hui devraient dresser au Führer des statues. La race blanche n’a pas eu plus implacable ennemi.

    Terminons. Avec une délicatesse qui confine au génie, comme souvent chez lui, Renan prévoit une victoire des Slaves, qui auront mis à profit les leçons cruelles de la docte Allemagne dont il prévoit d’ailleurs aussi la fin du rayonnement et le déclin intellectuel :

    « Si un jour les Slaves viennent revendiquer la Prusse proprement dite, la Poméranie, la Silésie, Berlin, par la raison que tous ces noms sont slaves, s’ils font sur l’Elbe et sur l’Oder ce que vous avez fait sur la Moselle, qu’aurez-vous à dire ? »

    Renan conclut justement qu’aucune nation n’aura tant à souffrir de cette fausse façon de raisonner que l’Allemagne. Comme on sait, à la fin de la deuxième Guerre Mondiale, plus de dix millions d’Allemands seront repoussés de leur terre natale, en plein conflit militaire et en plein froid hivernal. Un autre désastre humanitaire à mettre au crédit de cette guerre raciale insensée dont Renan parle si bien 75 ans auparavant, guerre raciale qui aura eu raison de nous tous finalement.

    Voir l’étude étonnante de l’universitaire Alex Alexiev écrite pour la Rand Corporation en 1982 : "Soviet nationalities in German wartime strategy". Elle est aisément chargeable en PDF.

    Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info