culture et histoire - Page 1760
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Concert: Hôtel Stella - Tours - 14/09/13
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Racisme et capitalisme
Le racisme est une question souvent très mal abordée, à la fois par ceux qui s’en revendiquent que par ceux qui le combattent ou combattent l’hostilité à l’Autre. Autre phénomène assez déroutant, les mouvements ou écoles de pensées se revendiquant de l’anti-capitalisme sont très souvent anti-racistes et globalement imperméable à tout discours ethniciste et à l’inverse on constate de nombreux mouvements ethnistes et identitaires ou certains penseurs de l’identité qui professent un catéchisme libéral.
L’anti-capitalisme serait le monopole d’une gauche « ouverte et tolérante » alors que toute volonté de préservation ethnique serait de facto dans le camp du capitalisme, de cette odieuse volonté de l’homme blanc de dominer les peuples bigarrés, forcément opprimés. On ne sait pas bien sur quelles bases repose cette vision des choses mais on se doute bien qu’il s’agit d’une fine analyse bâtie sur des références extrêmement solides…
Depuis le XIXe siècle nous pouvons considérer que le racisme, entendu comme la domination d’une race par une autre, repose sur deux éléments : le capitalisme et la science, l’un nourrissant l’autre.
Le capitalisme est la face économique du libéralisme et sa valeur centrale est le progrès. Ainsi le progrès technique, généré par le capitalisme industriel, a permis à l’Europe d’effectuer un véritable bond en avant scientifique. Le positivisme, le scientisme, le darwinisme sont des enfants de ce XIXe siècle où l’Europe allait de l’avant et dominait les 5 continents. Machines de plus en plus puissantes, outils de plus en plus perfectionnés, ouvertures de laboratoires, de sociétés scientifiques diverses, exploration de contrées méconnues, augmentation des échanges inter-continentaux, le XIXe a opéré un véritable bouleversent économique, technique et scientifique qui s’est traduit par le sentiment chez certains européens de leur supériorité. Cette supériorité, associée au christianisme, était le Fardeau de l’homme blanc de Rudyard Kipling, alors qu’associée à la franc-maçonnerie elle était le « devoir des races supérieures de civiliser les races inférieures » de Jules Ferry. Cette domination sans partage de l’Europe, principalement celle des deux grands empires coloniaux, le britannique et le français, a progressivement pris fin au XXe siècle, lorsque l’Europe s’est suicidée par deux guerres civiles et a laissé place aux Etats-Unis d’Amérique dont elle n’est aujourd’hui qu’un valet servile.
Ce court exposé de la révolution induite par le libéralisme ne nous dit pas tout. Si le capitalisme a effectivement engendré le racisme scientifique, il n’en demeure pas moins que le discours anti-raciste repose sur un odieux mensonge et surtout un odieux simplisme opposant des Blancs unilatéralement racistes à des non-Blancs unilatéralement dominés. Je ne reviendrais pas sur la complicité des élites indigènes dans les colonies aux différentes activités menées par les Européens, en revanche je rappellerai que les grandes entreprises capitalistes dominaient probablement bien plus les millions d’ouvriers européens qui s‘entassaient dans nos usines que les populations rurales des colonies dans des territoires difficilement maîtrisables malgré les progrès logistiques. Le capitalisme a bien plus détruit l’Europe qu’il n’a détruit les autres continents : paysans déracinés et jetés dans les haut-fourneaux et les usines textiles, artisans concurrencés par la production en série, enlaidissements des villes, pollution des eaux, du sol, de l’air, développement des maladies respiratoires, des cancers, de la syphilis, travail des enfants, … Les premières victimes du capitalisme furent des Européens. Quant aux guerres du capitalisme, elles tuèrent et mutilèrent de jeunes hommes européens, créèrent des déficits de naissance et détruisirent nos villes. Si l’armée fut utilisée par des politiques, eux-mêmes financés par des industriels, pour administrer certains territoires coloniaux, elle fut aussi utilisée pour réprimer les révoltes populaires, comme ce fut le cas de La Commune en 1871.
Ainsi le racisme induit par la domination capitaliste, qui induisait une domination d‘une race sur un autre légitimée par la science n’était en réalité qu’un racisme produit par une classe de dominants réunissant franc-maçons, intellectuels divers, scientifiques ou hommes politiques. Le peuple, constitué d’ouvriers, mais encore et surtout majoritairement de paysans n’avait aucunement les moyens de dominer d’autres races. Ainsi la majorité des Français n’ont pas à se sentir coupables des agissements d’une hyper-classe. Cette même hyper-classe qui insulte désormais l’ouvrier français frontiste de « raciste » quand il se plaint des agissements de certaines populations immigrés, qu’il n’a pourtant aucun moyen de dominer et avec qui il partage des espaces de vie, alors que dans le même temps l'hyper-classe ne rechigne pas à employer des jardiniers marocains, des vigiles congolais ou des femmes de ménage philippines, qu’elle paye une misère pour entretenir et surveiller ses résidences de luxe dans des quartiers fermés entièrement peuplés de Blancs sociaux-démocrates ou ultra-libéraux. Le racisme voyez-vous, ce serait établir le constat de l’échec cuisant des politiques migratoires instaurées entre autre par Bouygues ou s‘inquiéter de la démographie galopante des populations allogènes, ce n’est pas d’exploiter des immigrés sans-papiers miséreux dans des abattoirs si on en croît la doxa officielle. Le racisme, ce serait vouloir préserver son cadre de vie, ce n’est pas lorsque l’Etat hébreu dresse des murs entre lui et les palestiniens ou lorsqu’il traite les noirs en sous-hommes, ça c’est l’avant-poste de la démocratie.
Il faut donc bien comprendre qu'aujourd'hui c'est l'anti-racisme qui est le véritable racisme car il vise non seulement à humilier les "Blancs" par la culpabilisation de leur Histoire et de leurs opinions, mais parce qu'il légitime le néo-colonialisme en Afrique au nom du "développement" et de la "démocratie" et l'exploitation de milliers d'Africains sur notre sol au nom du "vivre-ensemble".Le peuple n’est pas raciste car il n’en a pas les moyens. En revanche il est beaucoup plus volontiers ethno-différentialiste, c'est-à-dire conscient de sa spécificité et cherchant à mettre à distance l’Autre pour ne pas perturber la cohésion de son propre groupe. Cet ethno-différentialisme est la condition du maintien de la "décence commune" et de la solidarité. En effet, si il possible d'assimiler des individus dans un groupe social, deux groupes ne peuvent pas s'assimiler sans perdre leur nature propre. L'ethno-differentialisme est différent du racialisme socialiste d’un Vacher de Lapouge fortement marqué par les espérances dans le progrès scientifique de son temps. Le racialisme se base principalement sur la biologie et l'anthropologie. L’ethno-differentialisme est une démarche d’altérité et de maintien des différences produites par la nature autant que par la culture. Le racisme une démarche de domination économique et sociale sur d’autres races ou d’autres groupes ethniques.
Dans l’Antiquité, l‘appartenance à la cité était fondamentale pour l’ordre du monde et l’universalisme qu’il soit celui d’Alexandre ou celui des empereurs romains fut porteur de désordre. Rien ne rapproche la vieille Rome républicaine du paysan-soldat-citoyen de la Rome orientalisée et tyrannique qui s’est développée sous l’Empire, particulièrement au IIIe siècle. De nos jours, les grandes luttes de libération nationale se sont toutes fondées sur deux piliers : le socialisme et l’indigénisme, comme c’est le cas par exemple en Amérique latine avec le zapatisme mexicain ou le bolivarisme venezuelien mais aussi en Europe avec le nationalisme basque ou irlandais, fortement marqués par le marxisme-léninisme. Nous ne voyons pas pourquoi les Français, harassés par deux siècles de domination du capitalisme devraient faire exception à cette règle.
Ainsi à travers le monde dominé par l’Occident, la volonté de lutter contre le capitalisme va de pair avec la préservation de son identité particulière. Le peuple français est dominé depuis longtemps par une hyper-classe manipulant les sentiments patriotiques quand cela l’arrange mais en réalité celle-ci est très fortement adepte du nomadisme, du cosmopolitisme et des professions de foi apatrides. Le peuple français, dominé par les grandes firmes qui lui imposent le voisinage de nouveaux français quelque peu exotiques, doit entreprendre la lente construction de sa libération à la fois ethnique et anti-capitaliste. Ainsi, pas d’anti-capitalisme sans ethno-differentialisme, pas de socialisme sans enracinement préalable. C’est pour nous une conviction et il faut balayer l’extrême-gauche du Capital, sans –frontieriste, apatride et cosmopolite, autant que l’extrême-droite du Capital, raciste et libérale. Jean
http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2013/08/29/racisme-et-capitalisme-5135477.html
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Vae Victis - Hors la loi
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Charte de la Laïcité: une pitoyable diversion
Il vient d’être annoncé qu’une nouvelle coupe sombre, très conséquente de vingt à trente heures selon la classe concernée, allait être opérée dans les heures dévolues à l’apprentissage de l’histoire de France en classe de Troisième et de Terminale. Cet effacement programmé de pages entières de notre roman national, s’inscrit dans l’offensive plus générale, constante et méthodique, visant à couper les jeunes générations de leurs racines, de notre plus longue mémoire. Une perte des repères historiques en complément duquel s’effectue un brouillage des repères anthropologiques au moment ou la théorie du genre s’immisce à l’école. Cette théorie élaborée par la gauchiste américaine Judith Butler qui prône l’indifférenciation des «modèles» familiaux et des « comportements sexuels », a inspiré la récente loi sur le mariage et l’adoption pour les coupes homosexuels. Elle est relayée sous la pression du lobby LGBT et appuyée par Najat Vallaud-Belkacem, le ministre du droit des femmes et porte-parole du gouvernement.
Sur son site Internet, Radio-Notre-Dame relève que « Quoi qu’en dise Vincent Peillon », «les programmes scolaires ont bien été modifiés. Et ici et là commencent à fleurir des livres sur le sujet, destiné au public le plus jeune. « Papa porte une robe », « Tango a deux papas », « Familles arc-en-ciel. Un extrait : « Que veut dire se décider ? Tu te décides pour ton goûter, tu te décides entre fille et garçon ». Tous ces livres sont disponibles sur Internet… »
Tel n’était pas le sujet de la présence ce lundi matin de Vincent Peillon au lycée pluriel de la Ferte-sous-Jouarre (Seine-et-Marne) située une zone urbaine défavorisée. Après la Charte de la Laïcité édictée par Dominique de Villepin en 2007 pour les services publics, M. Peillon présentait la sienne. Elle sera affichée dans tous les établissements scolaires publics et rappelle en 15 articles « dans un langage adapté aux enfants », les « principes de la Constitution », de la Déclaration des droits de l’homme et de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
La Charte précise notamment que « les personnels ont un strict devoir de neutralité », que le port de signes religieux ostentatoires est interdit ( interdiction déjà stipulée par la loi de 2004), qu’ « aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme ».
Sont clairement visés ici les incidents à répétition qui ont lieu dans de nombreux établissements scolaires babelisés, intervenant lors des cours abordant la reproduction, l’ histoire des religions ou les persécutions anti-juives lors de la Seconde Guerre Mondiale…
Président du Conseil français du Culte musulman (CFCM) , Dalil Boubakeur a appelé à respecter la Charte mais a perçu dans celle-ci « un regard oblique sur l’islam, notamment le passage sur l’interdiction du port de signes ou de vêtements ».
« On voit très bien à qui il (le texte de la charte, NDLR) s’adresse, je crains – comme c’était le cas pour la loi de 2004 de voir les musulmans de France stigmatisés dans leur ensemble et que cette interdiction ne soit perçue comme trop brutale ».
Valérie Marty de la fédération de parents d’élèves Peep déplore pour sa part, sans les nommer explicitement, que certains types de pressions sur l’école opérées par des familles islamistes n’aient pas été évoquées par cette charte puisque des sujets comme ceux « du sapin de Noël ou de la cantine » ne sont pas mentionnés. Mme Marty sans citer le cas du hallal, souligne que parfois, « il y a un scandale parce qu’il y a du poisson à la cantine le vendredi »!
Il est vrai, et nous l’avions déjà évoqué sur ce blog que pour Vincent Peillon, la laïcité ce n’est pas la neutralité religieuse mais l’instauration d’une nouvelle religion. Le futur ministre de l’Education l’a écrit noir sur blanc dans son livre Une religion pour la République: la Foi laïque de Ferdinand Buisson : « A l’école de dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines et de l’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est ainsi seulement que la laïcité deviendra la religion de toutes les religions, de toutes les confessions, la religion universelle ».
Ce matin, pour présenter sa charte, le ministre de l’Education était entouré par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, de l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter, mais aussi du footballeur Lilian Thuram membre du Haut conseil pour l’intégration (HCI) et du collectif Devoirs de mémoires. Ce choix de M. Thuram pour l’accompagner est lui aussi symbolique, indépendamment du fait que le livre que ce dernier a fait paraitre sous son nom en 2010, Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama , « devrait figurer en bonne place dans les établissements scolaires » selon la journaliste de L’Humanité Mina Kaci…
En effet, en novembre 2007 à l’occasion du match de foot France-Maroc au stade de France où notre hymne national avait été copieusement sifflé par un public majoritairement maghrébin, Lilian Thuram, alors capitaine de l’équipe de France, avait déclaré que « les sifflets, ( ne le choquaient) pas plus que ça, il faut se poser la question Pourquoi? Ce sont des raisons d’ordre historique, il y a un mal-être dans la société. Et c’était peut-être le moment, inconsciemment, de faire passer un message. »
« Message » dont M. Thuram avait précisé les contours en août 2006 en invitant dans ce même stade pour la confrontation entre la France et l’Italie, 70 immigrés expulsés d’un squat à Cachan dans le Val-de-Marne . Immigrés qui à l’instar de l’ équipe de France, symbolise cette « république métissée que nous aimons, » confiait alors les amis de ce dernier, le Réseau Education sans frontières (RESF)…
Bref les postures républicano-laïcardes s’accommodent parfaitement d’un immigrationnisme échevelé. Cette Charte de la laïcité est un leurre, une pitoyable diversion affirme Bruno Gollnisch qui modéré en tout est modérément laïc. Il sait aussi que le concept de laïcité est resté dans l’esprit de beaucoup d’idéologues ce qu’il fut historiquement, à savoir surtout une arme de guerre contre le christianisme, religion autochtone de l’immense majorité des Français.
N’en déplaisent à MM. Peillon, Thuram et aux docteurs Folamour de l’UMPS, l’école ne souffre pas tant d’un problème de religion que d’un problème d’immigration. Quand la France comptait un million de musulmans sur son sol, l’islam n’était pas un problème. C’est la poursuite d’une politique de substitution de population qui empêche toute assimilation au modèle dominant du pays d’accueil et qui génère fatalement les revendications communautaristes.
http://www.gollnisch.com/2013/09/09/charte-laicite-pitoyable-diversion/
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Notre époque ne peut que favoriser le conspirationnisme…
Complot jésuite, complot franc-maçon ou « judéo-maçonnique », complot synarchique, complot bolchevique, complot néonazi, complot islamiste, ne mettrait-on pas le complot à toutes les sauces ? Et d’où viennent toutes ces théories du complot ?
A. de Benoist Il n’y a pas de théories du complot. Il y a d’une part une mentalité conspirationniste et, de l’autre, une série d’interprétations complotistes d’un certain nombre d’événements. J’avais publié, en 1992, une étude sur la psychologie du conspirationnisme. Depuis lors, Pierre-André Taguieff a consacré à ce sujet une série d’ouvrages qu’on peut considérer comme définitifs. La mentalité conspirationniste consiste d’abord à considérer de manière systématique que tout discours officiel est mensonger, que tout ce qui est important est dissimulé, bref que « la vérité est ailleurs ». Et, dans un deuxième temps, à affirmer que les vrais auteurs des événements sont des puissances malignes, des « forces obscures » tapies dans l’ombre, qui « tirent les ficelles en coulisses » et agissent de façon souterraine pour parvenir à des fins inavouables. On désigne ainsi un bouc émissaire intemporel, transhistorique, omniprésent – « Ils sont partout ! » –, qui poursuit son intérêt particulier au détriment de l’humanité. Ces puissances ténébreuses s’incarnent généralement dans une catégorie d’hommes qu’il suffirait d’éliminer pour que les choses retrouvent leur cours normal. Cette catégorie répulsive correspond à ce que Claude Lefort appelle très justement les « hommes en trop ».
Il n’est pas difficile d’apercevoir les soubassements religieux de cette mentalité. Ces « hommes en trop », quelle que soit l’étiquette qu’on leur attribue, sont une figure du Diable, dont ils ont d’ailleurs tous les attributs. Mais dans la mentalité conspirationniste, on observe aussi l’écho du mythe de la « Caverne » chez Platon : ce que nous voyons autour de nous, et que nous croyons bien réel, n’est qu’illusions et tromperie. C’est un théâtre d’ombres. D’où cette coupure dualiste qui double le monde réel, décrété illusoire, d’un arrière-monde où s’activent les « chefs d’orchestre invisibles ». Le discours conspirationniste est un discours de l’apparence et du masque.
S’interroger sur le conspirationnisme, ne serait-ce pas d’ailleurs déjà prêter le flanc à l’accusation de complotisme ?
Critiquer le conspirationnisme vous fait en effet placer immédiatement au nombre des complices ou des idiots utiles. Pour la mentalité conspirationniste, rien n’est neutre. Il y a d’un côté les agents du complot, de l’autre les affidés et les crédules. Toute contradiction, tout démenti, devient alors une preuve supplémentaire de l’existence du complot. Les thèses conspirationnistes, autrement dit, font un usage systématique du soupçon freudien : la dénégation confirme le symptôme. C’est bien connu, la ruse suprême du Diable est de faire croire qu’il n’existe pas ! De même, dans l’histoire, rien pour les conspirationnistes ne relève du hasard. L’action sociale-historique est débarrassée de tous ses aléas grâce à une théorie linéaire de la causalité qui est censée tout expliquer : les événements sont produits mécaniquement par des agents cachés, qui manipulent les hommes comme on appuie sur un bouton pour obtenir l’effet désiré. Ni marge d’erreur ni zone d’incertitude : tout a été prévu, tout a été « orchestré ». Ce simplisme fait bon marché de ce que Jules Monnerot appelait l’hétérotélie, les « effets pervers », l’accident, l’exception, les dynamiques systémiques, etc., bref tout ce qui fait la complexité de la vie sociale-historique réelle.
Quant aux conspirationnistes, ils se posent d’emblée comme une élite d’initiés, d’experts autoproclamés, titulaires d’un savoir qui surplombe le savoir caché de ceux contre lesquels ils se dressent. Magiquement exemptés de l’aliénation où baignent leurs contemporains, ils sont ceux qui « savent » (on ne sait par quel miracle), dès lors fondés à regarder de haut les « naïfs » qu’on « mène par le bout du nez ».
L’histoire de l’humanité abonde néanmoins en vrais complots. Il y a d’abord les assassinats politiques, réussis (Henri IV, John Fitzgerald Kennedy ou Anouar el-Sadate) ou manqués (Ronald Reagan, Jean-Paul II ou Jacques Chirac). Mais comment faire la part des choses entre « vrais » et « faux » complots ?
Bien sûr qu’il y a de vrais complots. Tout comme il y a des secrets d’État, des mensonges d’État, des actions secrètes menées par les services de renseignement, des lobbies, des groupes d’influence, des attentats sous « faux drapeau », etc. Si le conspirationnisme se bornait à vouloir faire toute la lumière sur tel ou tel événement, ou à s’interroger sur ce qui se passe à l’arrière-plan de la vie politique et sociale, il n’y aurait rien à lui reprocher. Ce qu’on peut en revanche critiquer, c’est son systématisme obsessionnel, sa « logique » paranoïaque, ses interprétations fantasmatiques, ses bouffées délirantes.
À propos des attentats du 11 septembre 2001, Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères, assure ne pas croire en la version officielle des événements pas plus qu’à son avatar conspirationniste. Y aurait-il une sorte de troisième voie, fondée sur le principe d’opportunité ?
La position de Roland Dumas me paraît assez sage. Il n’y a pas besoin d’être conspirationniste pour constater que la version officielle des attentats du 11 septembre laisse pour le moins à désirer, ou pour penser que Lee Harvey Oswald n’était sans doute pas le seul homme impliqué dans le complot pour tuer Kennedy. Il y a une vertu du doute, et le « dubitationnisme » va souvent de pair avec l’esprit critique. Mais ce qui frappe chez les conspirationnistes, c’est qu’ils ne sont capables de douter que d’une manière unilatérale. Hypercritiques vis-à-vis des « versions officielles », ils sont d’une crédulité sans bornes pour toutes les « versions alternatives ». Or, comme l’esprit critique ne se partage pas, il faut examiner les unes et les autres avec la même rigueur. Cela dit, nous sommes à une époque qui ne peut que favoriser le conspirationnisme : à un moment où les gens « ne comprennent plus ce qui se passe », parce que leurs repères se sont effondrés, les « explications » simplistes, qui prétendent rendre intelligible ce qui paraît incohérent, ne peuvent que trouver une oreille complaisante chez un public toujours plus grand. -
Cellules de base de la société, les familles forgent l'avenir d'un pays
Editorial de Jeanne-Emmanuelle Hutin dans Ouest-France :
"Cellules de base de la société, les familles jouent un rôle irremplaçable : ce sont elles qui forgent l'avenir d'un pays, par le renouvellement et l'éducation des adultes de demain. Certains pays l'ont bien compris et, par exemple, assurent aux femmes un niveau de retraite qui prend en compte, de manière conséquente, le nombre d'enfants qu'elles ont élevés.
Mais en France, à l'inverse, la politique familiale actuelle fragilise les familles en les imposant davantage en pleine crise économique. Une pluie de hausses d'impôts continue de s'abattre sur elles : après une nouvelle baisse du plafonnement du quotient familial, on parle aujourd'hui de supprimer la réduction d'impôts pour frais de scolarité dans le secondaire et pour les étudiants.
L'Union Nationale des Associations familiales (UNAF) s'insurge : « Ces mesures sont injustes car plus les enfants sont grands, plus les dépenses relatives aux études augmentent. Et plus les familles ont d'enfants, plus elles seront sanctionnées par ces mesures. ».
« Comment expliquer que pour équilibrer les retraites, on touche aux avantages accordés aux familles et pas à ceux des régimes spéciaux ? » - interroge Laurent Clévenot, responsable de l'UNAF.
Pour beaucoup, c'est d'autant plus injuste, que la branche famille a été mise à contribution pour financer les retraites. Les Associations familiales dénoncent « le tour de passe-passe » car « on transfère 4,4 milliards de majoration de pensions pour charge d'enfants de la branche vieillesse sur la branche famille ».
Mais, en plus, a-t-on mesuré les conséquences de ces mesures conjuguées à la crise ? Sur la natalité par exemple ? Si elle diminuait, le financement des retraites n'en serait-il pas encore plus difficile ? Ne regrettera-t-on pas de ne pas avoir assez protégé les familles pendant la crise ?
Et puis, cette recherche de recettes à court terme, est-elle de nature à sortir de la dangereuse impasse actuelle ? « Il ne suffit pas de grignoter des économies ministérielles, d'amender le droit du travail, de taxer les riches, pour borner les inégalités... » explique Eric Le Bouchee pour qui « les réformes ne sont pas des remèdes pour corriger et remettre en ordre le modèle cassé du XXe siècle, elles doivent être des outils de transformation profonde de ce modèle. L'État n'a pas seulement besoin d'être allégé et simplifié, il faut le repenser non pas pour redistribuer mais pour enrichir les dynamismes. » De cette manière et en protégeant les familles, il sera possible d'assurer demain la solidarité entre les générations, l'indépendance du pays et la liberté de ses citoyens."
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Frakass Ultime Delivrance
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La bibliothèque de Francis Bergeron
Berrichon d'origine et de cœur, âgé de 35 ans, plusieurs fois candidat malheureux à diverses élections sous une étiquette qui nous est chère, Francis Bergeron collabore depuis une dizaine d'années à divers journaux et revues de droite. Il est en particulier rédacteur du quotidien Présent depuis son numéro 0. Après quelques pérégrinations qui ont conduit du côté de l'URSS, puis du Liban, il s'est spécialisé dans les questions de politique étrangère.
Il est l'auteur ou le co-auteur (avec notre collaborateur Alain Sanders ou avec Philippe Vilgier) d'une dizaine de livres. Citons en particulier l’album « Les droites dans la rue : nationaux et nationalistes sous la IIIe République » (1985) « De Le Pen à Le Pen nationaux et nationalistes sous la Ve République » (1986), « Le goulag avant le goulag » (1987), « Les héros de l’Alcazar » (1987), « Paris by right : guide de l'homme de droite à Paris » (1987), « Le Pen : le livre blanc d'un phénomène » (1988).
Ma bibliothèque est à double fond. Je m'explique : il y a les livres « présentables », ou supposés tels. Ils forment les rangs de devant. Et puis, il y a les autres, ceux que les fréquentations politiques de ma très chère épouse m'obligent à cacher.
Car, voyez-vous, ma femme est giscardienne, ou plus précisément léotardienne, tendance Malhuret (sic !) Ce n'est pas une foucade, un simple gag, une plaisanterie de bistrot.
Ma bibliothèque - notre bibliothèque - est le fruit d'un savant compromis. Les sept à huit mille volumes sont rangés sur deux épaisseurs.
Il y a la partie visible et la partie invisible. Dans la partie visible, figurent les rayons chargés d'ouvrages sur le monde communiste. À côté de Soljénitsyne, Glucksmann, Annie Kriegel, Patrick Wajman, Jean-Marie Benoist... il y a de nombreux volumes, plus rares, parus avant guerre, sur le goulag, les famines en Ukraine, les persécutions religieuses ou ethniques. Dès 1918, les occidentaux pouvaient tout savoir sur ce qui se passait réellement en URSS, et des témoignages comme ceux de Joseph Douillet « Moscou sans voiles » (1928) ou de Serge de Chessin « L’apocalypse russe » (1921) disaient déjà l'essentiel. Je possède ainsi plusieurs centaines de livres et de brochures, parus avant 1940, sur la réalité soviétique. Dans les années vingt et trente, les associations qui ont beaucoup publié militaient activement pour la libération de la Russie. Elles avaient pour nom ; Les amis de la Russie nationale, l'Entente internationale contre la IIIe Internationale, Pro Deo, etc. Elles expliquaient déjà que l'avenir de l'Europe était étroitement lié au devenir de la Russie soviétisée - ce qui n'était pas si mal vu pour l'époque - alors que le pacte germano-soviétique, Yalta et les euromissiles étaient encore à venir !
Une mention particulière doit être faite pour le témoignage de Joseph Douillet : « Moscou sans voiles ». Cet ancien consul belge à Rostov-sur-le-Don avait été en poste avant et après la révolution bolchevique. Pour lui, aucun doute : la Russie des tsars était infiniment plus libre et plus développée que la « Russie nouvelle ». Joseph Douillet finira d'ailleurs par être interné dans les geôles soviétiques.
Il est amusant de savoir que c'est ce témoignage de Joseph Douillet qui a inspiré le dessinateur Hergé pour son premier album « Tintin au pays des soviets ».
Les grandes BD de la Belle époque
Une autre partie visible de ma bibliothèque est constituée précisément par les livres pour enfants. Livres du début du siècle, d'abord : beaux livres à la couverture polychrome, reliés de percaline rouge, magnifiquement illustrés : Jules Verne, Paul d'Ivoi, Hansi, Job, le colonel Danrit, des illustrateurs et des auteurs dont les noms ont enchanté l’enfance de nos grands-parents.
Au rayon des livres pour enfants, mentionnons aussi un important rayon de bandes dessinées (un millier d’albums), Mais attention : rien de ces productions modernes, au dessin hideux, qui mélangent sans remords le cochon et le sanguinolent. Uniquement de la ligne claire, de l'école d’Hergé, dans leur édition d'origine : Hergé lui même (près d'une centaine d'albums Tintin en noir et blanc et en couleur), Jacobs (Blake et Mortimer) dans la célèbre collection du Lombard à dos dit « peau d’ours » pour les connaisseurs - Martin (Alix, Lefranc), Cuvelier (Corentin) et tous ces héros qui ont bercé l'enfance de ceux de ma génération : Astérix, jusqu'à la mort de Gosciny, Bob et Bobette, Fripounet et Marisette, Oscar et Isidore, Blueberry, Buck Danny, la Patrouille des Castors, tous les héros des journaux Tintin, Spirou, Cœurs Vaillants - Bob Morane, la collection des Signes de Piste, les aventures de Biggles, ne sont plus du domaine de la bande dessinée, même si les couvertures de ces livres sont souvent superbement illustrées. On pense d'abord, bien entendu, aux dessins de Pierre Joubert - mais ce sont des livres,de l'adolescence qui n'ont pas pris une ride, et qui méritent de figurer dans toute bonne bibliothèque, de même que certains classiques du roman policier (Conan Doyle, Maurice Leblanc ou Nestor Burma).
Pour en finir avec la partie visible de ma bibliothèque, je dois avouer le faible nombre d'ouvrages dits de littérature - quelques Musset, Stendhal, Péguy, Flaubert, etc. sans ordre, au hasard des achats, mais toujours dans des emboîtages ou des reliures de qualité. Des auteurs latins et grecs dans la célébrissime collection Budé. Des livres régionalistes sur le Berry. Mais peu de romans en fin de compte. Ceux des amis, plus Marcel Aymé et Jacques Perret. C'est suffisant pour satisfaire un appétit qui, chez moi, est peu développé.
Déplaçons maintenant ces bandes dessinées, ces romans et ces livres antisoviétiques, et découvrons les rangées d'ouvrages habituellement cachés. Voici mon « enfer », ces livres maudits qui ne doivent jamais voir la lumière du jour.
En cet enfer-là….
De quoi s'agit-il ? D'ouvrages politiques, parus sous la IIIe République ou pendant l'Occupation. Ouvrages rares, écrits le plus souvent par des auteurs maudits. Quelques auteurs pioches au hasard : Toussenel, Lucien Pemjean, Jules Guérin, Dutrait-Cruzon, Drumont, Brasillach, Drieu ou Rebatet, pour citer des noms plus connus, Ploncard et Coston (déjà !) De livres et de brochures édités par les ligues antimaçonniques, le Grand Occident, l'Action française, le PPF, les Francistes et toutes sortes d'autres ligues et partis d'avant 14, d'avant 40 ou les années d'Occupation, aux appellations qui sonnent bien à l'oreille.
Ce n'est pas que ces ouvrages conservent un quelconque intérêt politique. Ils ont essentiellement valeur historique. Mais surtout, ils gardent toute la saveur, la verve, la rumeur des combats menés par les droites d'autrefois.
Ce sont des milliers de destins individuels et collectifs qui sont ainsi ressuscites, l'espace d'une lecture : Mores, l'aventurier tricolore, Déroulède, Maurras, le gros Daudet, les Cagoulards, le parfumeur Coty, l'instable Valois, Rochefort et Xavier Vallat, et tant d'autres dont les noms me viennent à l'esprit en se bousculant.
Un grouillement d'humanité, de personnages grands et petits, motivés tous par une passion - parfois exprimée de façon totalement contradictoire - une passion pour la France et les Français.
Tous ces ouvrages ne supportent certes pas la relecture, cinquante ou cent ans après leur parution. Mais ils ont tout de même pour mérite de montrer que, par-delà les générations, l'« homo civicus», « l’homo politicus » reste confronté aux mêmes préoccupations, et finalement, au même enjeu essentiel : cette défense toujours recommencée d'une identité nationale, condition de notre survie collective dans l'espace et dans l'Histoire.
National Hebdo du 28 avril au 4 mai 1988 -
Le XXIe siècle, siècle du déclin européen ?
Tribune de Michel Geoffroy.
La XXIe conférence des ambassadeurs, réunie cet été, avait pour thème « La France puissance d’influence » : un choix bien symbolique qui renvoie à l’ambition de l’Union européenne de jouer les « soft power », posture dont on voit une nouvelle fois les piètres résultats dans la crise syrienne. MG.
Une manipulation sémantique
Le fait d’accoler les termes puissance et influence constitue une manipulation sémantique, comme le concept de « soft power ».
Les puissants sont influents en raison même de leur puissance et de leur capacité de nuisance. Les Etats-Unis et Israël sont donc des nations influentes par exemple.
Par contre, l’inverse se vérifie beaucoup plus rarement : l’influence ne peut produire les mêmes effets que la puissance, en particulier lorsque des enjeux vitaux se trouvent en jeu.
Car il en va de l’influence diplomatique comme des arts martiaux : il s’agit d’un succédané à l’emploi de la force, donc une technique à l’usage des faibles. Il n’y a qu’au cinéma que les arts martiaux triomphent des hommes d’armes : dans la vraie vie c’est un peu différent.
On veut donc nous faire croire que notre influence se maintiendrait quand notre puissance et celle de l’Europe diminuent. C’est une tromperie.
Le déclin européen
Car le XXIe siècle se caractérise, au contraire par la marginalisation rapide et profonde de la présence, de la culture, de la puissance et de l’influence européennes dans le monde : un déclin plus profond, en tout cas, que lorsque Oswald Spengler publia en 1918 son célèbre ouvrage Le Déclin de l’Occident. Car même après les hécatombes de la Grande Guerre et de la révolution communiste, l’Europe possédait encore de nombreux atouts. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Beaucoup de nos concitoyens n’ont cependant pas conscience d’avoir changé d’époque. On leur a, certes, beaucoup parlé de la mondialisation, mais sans en dévoiler la véritable nature.
La mondialisation ne se réduit pas à l’ouverture des marchés ni à Internet, en effet. Elle se traduit avant tout par une profonde modification des rapports de forces entre les continents et les civilisations, comme l’avait analysé, parmi d’autres, Samuel Huntington, dans son livre Le Choc des civilisations : une modification qui s’effectue à nos dépens.
Mais l’oligarchie européenne et française n’a eu de cesse de masquer cette dure réalité, afin de cacher sa propre responsabilité dans le déclin européen. Il est temps d’ouvrir les yeux.
Marginalisation démographique d’abord
Le XXIe siècle se caractérise d’abord par la réduction de la part relative des Européens – c’est-à-dire des Blancs caucasiens, comme disent les Américains – à l’échelle de la population mondiale et cela sur tous les continents, y compris l’Europe où se produit leur « grand remplacement » programmé du fait de l’immigration. La natalité et la fertilité des Européens ne cessent de chuter, au contraire des autres ethnies, y compris aux Etats-Unis.
Or, jusqu’au début du XXe siècle l’Europe restait une zone de forte croissance démographique, dans un monde en général moins peuplé (sauf en Chine et en Inde). L’exemple de l’Afrique est édifiant sur ce plan : hier vaste continent peu peuplé, aujourd’hui bombe démographique.
Ce déclin démographique signifie qu’à l’aune des Nations unies, la voix des Occidentaux se fait déjà et se fera de moins en moins entendre. En outre, le rayonnement d’une culture ne se dissocie pas de la fertilité de la population qui la porte. Comment les Européens peuvent-ils croire au maintien de leur « influence » et de leurs « valeurs » alors que leur régression démographique –tant absolue que relative – est rapide ?
Marginalisation économique ensuite
La croissance économique – c’est-à-dire l’augmentation des dépenses et des richesses globales – n’est plus l’apanage des Européens. La France s’enorgueillit d’un « rebond surprise de la croissance » au second trimestre (Le Monde du 15 août 2013) à… 0,5%. On a les succès que l’on peut !
Mais l’ascenseur social se bloque et les classes moyennes s’appauvrissent, inversant un mouvement bicentenaire, partout en Europe. Sans parler des taux de chômage structurels élevés que connaissent désormais les Européens et qui n’ont rien à envier à ceux de la Grande Dépression des années 1930, même si les systèmes de « traitement social » les masquent en partie.
Mais pendant ce temps les usines tournent en Chine, en Asie du Sud-Est ou en Inde et encore en Amérique du Nord. On en vient à envier les taux de croissance de l’Afrique !
L’Europe n’est plus dans la course
Comme le soulignait le prix Nobel d’économie Edmund Phelps, ce déclin n’a rien d’accidentel car il recouvre un phénomène culturel plus profond : « L’histoire de l’innovation s’est arrêtée à la fin des années 1960 » en Europe (Le Monde du 29 août 2013), phénomène masqué par la bulle Internet et le développement exponentiel des télécommunications (dont les produits ne sont pas construits en Europe au demeurant).
E. Phelps relève que ces innovations ne concernent en réalité qu’un petit nombre d’industries. Car les grandes entreprises européennes ont axé leur développement sur l’ingénierie financière et la rentabilité à court terme et non pas sur l’innovation. La faible innovation provoque en outre une baisse de la productivité du travail. Il suffit d’ailleurs de voyager en Asie ou en Inde pour se rendre compte qu’il y règne une tout autre ambiance, un tout autre esprit et une tout autre activité que dans la vieille Europe, même si le niveau de vie y est différent.
Les Européens avaient jusqu’au début du XXe siècle le monopole de l’innovation et de la technique : ils l’ont perdu au profit de la côte Est des Etats-Unis, de l’Asie et de l’Inde, qui se trouvent aujourd’hui dans la même situation que le Japon au XIXe siècle. Après la phase d’appropriation – et de copie – des techniques utilisées par les « diables étrangers » viendra celle de leur développement propre et rapide.
Comme hier la marine russe de 1905 se croyait à l’abri dans ses vieux cuirassés poussifs, les Européens vont tranquillement au devant d’un futur Tsushima technologique.
Marginalisation militaire et stratégique aussi
On aborde rarement ce sujet car il est au surplus masqué par l’activisme médiatisé des Occidentaux qui adorent aller bombarder de loin et de haut (on est « chef de guerre » courageux, que diable !), à des fins « humanitaires », des pays souverains mais démunis des moyens de riposte, sous l’œil attendri des caméras.
Mais le recours aux armes hightech et aux drones ne modifient pas durablement les données de la géopolitique et de la puissance, d’autant que le reste du monde s’en dote à son tour rapidement, comme le montrent la prolifération nucléaire ou celle des forces navales.
Plutôt que d’interroger les candidats à l’élection présidentielle française sur le nombre de nos sous-marins, il serait plus judicieux de leur demander de citer les armements dont dispose le reste de la planète, y compris sur le pourtour de la Méditerranée ! Mais les autruches préfèrent regarder ailleurs…
Les mains molles
Car plus que les armements, c’est la volonté et la détermination de les utiliser qui compte finalement. Or l’Union européenne ne sait pas se décider sur des enjeux vitaux. Elle reste à la remorque de tous les événements car elle cumule tous les inconvénients : une multiplicité d’Etats et un « machin » bureaucratique central qui détruit toute souveraineté sans la remplacer par quelque chose de solide.
En outre, qui, en Europe, voudrait mourir pour la Commission européenne ? ou pour le droit à l‘avortement et le mariage des homosexuels ?
Il n’y a pas plus de martyrs européens qu’il n’y a de guerriers européens, à quelques rares exceptions près : seulement des professionnels en uniforme qui considèrent maintenant le combat comme une sorte d’accident du travail qu’il conviendrait que le commandement empêche (cf. la plainte déposée par les familles des victimes françaises de l’embuscade d’Uzbin en Afghanistan contre… la hiérarchie militaire).
Car les jeunes Européens ont désappris le sens du sacrifice et le métier des armes. On confie la défense désormais à des armées mercenaires car composées d’une part croissante issue des « minorités ». Les Européens n’osent même plus dire qu’ils font la guerre.
Rongée par l’individualisme, l’hédonisme, la repentance et la loi de Mammon, la génération européenne Peace and Love actuellement au pouvoir n’a en réalité plus rien à défendre sinon sa médiocre existence.
Il n’est que d’entendre les lamentations des bisounours européens devant la façon dont évolue la crise en Egypte pour se rendre compte de leur impuissance ridicule. Mon dieu, les militaires égyptiens ont violenté les islamistes en les expulsant de la Mosquée ! Mon dieu, le sang a coulé ! Peut-être, mais les islamistes paraissent mis hors d’état de nuire alors qu’ils prolifèrent en Europe.
Machiavel n’est plus italien mais égyptien, manifestement…
Marginalisation morale enfin
Les Européens ne savent pas non plus qu’ils se sont isolés du reste de la planète en se cramponnant à ce qu’ils nomment leurs « valeurs », un sport dans lequel l’oligarchie française excelle.
Les Européens présentent ces valeurs comme universelles mais de moins en moins de terriens les partagent ! D’ailleurs les Européens se révèlent déjà incapables de les faire respecter dans leurs propres banlieues et ils voudraient les imposer à toute la terre !
Car c’était une chose de prétendre incarner des « valeurs » et des « immortels principes » quand on possédait, seul, des canons et des machines à vapeur, c’est-à-dire quand l’idéologie s’accordait avec le nombre et la puissance. Mais lorsqu’on devient minoritaire, curieusement, le caractère « universel » desdites valeurs n’apparaît plus. Comme c’est bizarre…
Des valeurs méprisées
En fait, les valeurs que les Européens présentent toujours comme « universelles », pour se rassurer, sont incomprises par la majorité des terriens.
Par exemple, notre laxisme pénal étonne parce que la plupart des pays autres qu’européens punissent sévèrement les voleurs, les criminels et les délinquants, ce qui en général les dissuade de recommencer, n’en déplaise à Mme Taubira. Ils ne comprennent pas notre attitude bienveillante vis-à-vis de la drogue et des drogués. Pas plus qu’ils ne comprennent que nous gardions si mal nos frontières et notre nationalité : partout ailleurs qu’en Europe la police des frontières et les douaniers font leur travail scrupuleusement, même et surtout dans les pays touristiques. Ni que nous dégradions nos écoles et nos universités, alors qu’ailleurs on les respecte et que l’on conçoit l’accès au savoir comme un privilège.
Ils ne comprennent pas non plus notre lubie du mariage homosexuel, comme le montre le fait que la France ait dû renoncer à engager la révision des conventions matrimoniales la liant avec des Etats qui ne reconnaissent pas l’homosexualité comme un droit. Bref, ce mariage ne sera pas « pour tous », ce qui en dit long sur la réalité de la « puissance d’influence » dont se targue tant notre oligarchie ! Que dire aussi de la façon dont les pays musulmans et africains perçoivent notre féminisme obsessionnel…
Incomprises, ces valeurs apparaissent d’autant plus insupportables quand les Européens les invoquent pour s’ingérer dans la politique des Etats voire les agresser militairement. Et les militaires occidentaux de s’étonner de ne pas être accueillis en libérateurs dans ces pays !
Ces valeurs ne provoquent plus l’envie comme au XIXe siècle, mais au contraire le mépris : le mépris que l’on a pour la jobardise des Européens si généreux vis-à-vis de tous les étrangers, le mépris pour une Europe d’autant plus portée sur la « moraline » qu’elle est impuissante, le mépris que le tribunal de l’histoire a toujours eu pour les peuples décadents.
Europe, réveille-toi !
On pourrait multiplier les exemples de la dégringolade de l’Europe, mais rien n’y ferait.
Une conclusion s’impose : s’ils veulent continuer d’exister dans l’histoire, les Européens doivent percevoir le XXIe siècle comme un défi à relever et non pas comme la morne fatalité d’un déclin repeint aux couleurs du triomphe des « valeurs universelles ». Les bisounours officiels se trompent et nous trompent : le XXIe siècle sera dur et non pas « soft » pour l’Europe.
Beaucoup d’Européens ressentent les choses comme cela et enragent de voir dans quelle impasse l’oligarchie, l’œil dans le rétroviseur, les conduit.
Il est temps qu’ils se mobilisent pour réveiller la belle en dormition, avant qu’il ne soit trop tard.
Michel Geoffroy, 4/09/2013
http://www.polemia.com/le-xxie-siecle-siecle-du-declin-europeen/ -
Spinoza est-il moniste ?
Puisque la scission entre monothéistes - principalement catholiques - et païens dans la mouvance est fait avéré, le point de vue alternatif du monisme spinoziste.
[in : Spinoza : puissance et ontologie, Editions Kimé, Paris 1994, p. 39-53]
Au nombre des étiquettes qu’on a coutume d’attacher à la démarche de Spinoza, - athéisme, matérialisme, panthéisme, etc -, il y a le “monisme” : Spinoza, dit-on, est moniste, il est “un” moniste; il est même celui qui, dans le champ de la philosophie moderne, incarne à la perfection ce courant ou cette tendance. Il serait ainsi “le” moniste intégral, philosophe du tout un qui est un tout seul ou un seul tout, tout seul un tout qui est tout un parce qu’il est un tout un, comme un seul tout un, bref le philosophe de l’un seul qui s’en tient tenacement à l’accomplissement de son unicité, celle-ci constituant à la fois la condition et la marque de sa perfection, donc de son absolue réalité. Mais Spinoza est-il bien ce philosophe-là ? Professe-t-il aussi uniment cette unicité du tout seul un seul du tout tout un qui donnerait son contenu au message moniste, pour autant que ce message ait été jamais proféré par aucun vrai philosophe, ancien ou moderne, et pour autant qu’il vaille d’être ou d’avoir été proféré ? Alors Spinoza est-il vraiment un philosophe moniste ? Spinoza est-il moniste ?
Commençons par l’énoncé de l’évidence, vraie ou fausse, telle qu’elle définit une certaine vulgate spinoziste. Cet énoncé est clairement formulé, d’une manière tellement claire qu’elle peut paraître brutale ou simpliste, dans le chapitre que Russell a consacré à Spinoza dans son HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE :
“Le système métaphysique de Spinoza appartient au type inauguré par Parménide. Il n’y a qu’une seule substance, “Dieu ou la nature”; rien de fini ne subsiste en soi... Les choses finies sont définies par leurs limites physiques ou logiques, c’est-à-dire par ce qu’elles ne sont pas : “toute détermination est une négation”. Il ne peut y avoir qu’un seul Etre qui soit entièrement positif et il doit être absolument infini. Ici, Spinoza est amené au panthéisme complet et pur.” (B. Russell, HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE (en relation avec les événements politiques et sociaux de l’Antiquité jusqu’à nos jours), trad. fr. H. Kern, éd. Gallimard 1952, p. 582)
Dans ces quelques lignes sont accumulées, en vue d’expliquer le fond de la pensée spinoziste, deux fausses citations, - les formules Deus sive natura et omnis determinatio est negatio qui, sous cette forme et avec cette valeur de propositions apodictiques, ne se trouvent nulle part dans le texte de Spinoza, dont elles ont été artificiellement “extraites”-, un néologisme, -le terme “panthéisme” qui a été forgé au XVIIIème siècle en vue de propager une certaine interprétation du spinozisme, en rapport avec la thématique de la religion naturelle -, et la référence mythique à un philosophe dont Spinoza ne connaissait sans doute qu’à peine l’existence, si même il la connaissait, Parménide. Russell ne fait ici que reprendre une tradition, dont il donne une version particulièrement concentrée, en la présentant comme la leçon véritable de la pensée de Spinoza, ainsi ramenée dans le système étroit d’un monisme intégral, système auquel il a été fait allusion pour commencer. Il est amusant de constater que les éléments de cette tradition se trouvaient déjà chez Hegel, que Russell, qui n’en voulait pas comme maître de philosophie, semble ainsi avoir suivi assez aveuglément dans le domaine de l’histoire de la philosophie.
Hegel explique en effet, dans des passages bien connus de sa SCIENCE DE LA LOGIQUE, que Spinoza est par excellence le philosophe de la substance qui est “l’indifférence absolue” (die absolute Indifferenz) à ce qui n’est pas elle (SCIENCE DE LA LOGIQUE, I, III, chap. 3, remarque au par. B, éd. de 1812 trad. fr. Labarrière et Jarczyk, éd. Aubier 1972, p. 358) : son concept développe la définition de l’unité à soi de l’être qui est tout uni à soi-même, comme un tout un, qui n’est rien d’autre que ce qu’il est. Mais, n’étant précisément rien d’autre que ce qu’elle est, ce qui fonde son identité à soi, cette chose absolue qu’est la substance, à laquelle fait défaut, selon Hegel, le fait d’être un sujet, ou plutôt d’être sujet, se trouve d’emblée installée dans un rapport négatif, sinon à soi, du moins à ce qu’elle n’est pas, à ce qui n’est pas soi au sens où la substance est soi, sans l’être, puisqu’elle n’est pas sujet, mais est seulement cette chose qui est absolument ce qu’elle est, et rien d’autre : elle rejette l’altérité radicale du monde, suivant la logique propre à son point de vue d’une sorte de Verneigung, dénégation non moins absolue qu’est aussi absolue l’absence de contenu propre à la négation affirmative ou à l’affirmation négative de son panthéisme acosmiste :
“Spinoza était par son origine un Juif et c’est en somme l’intuition orientale selon laquelle tout être fini apparaît simplement comme un être qui passe, comme un être qui disparaît, qui a trouvé dans sa philosophie son expression conforme à la pensée... La substance comme elle est appréhendée par Spinoza, sans médiation dialectique antérieure, immédiatement, est, en tant qu’elle est la puissance universelle négative, en quelque sorte seulement cet abîme sombre, informe, qui engloutit en lui tout contenu déterminé, comme étant originairement du néant, et ne produit rien qui ait en soi-même une consistance positive” (ENCYCLOPEDIE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES, I, additif au par. 151 (trad. fr. B. Bourgeois, Vrin 1970, p. 584 -586)
Avec cette énonciation d’un tout qui est soi dans la mesure où il n’est rien d’autre que soi, se referme la boucle d’une logique de l’être-un qui, commençant par Parménide (SCIENCE DE LA LOGIQUE I, I, chap. 1, par. C, remarques 1 et 2, trad. Labarrière et Jarczyk p.60 et sq.) et finissant par Spinoza, est aussi une logique du un, ou logique de l’Un : être qui est et n’est pas, dans la mesure où, qualifié, quantifié ou mesuré, il reste privé de détermination intrinsèque, puisqu’il ne peut être déterminé que de l’extérieur, en rapport avec le principe d’une altérité radicale, altérité que, par la dialectique qui lui est propre, il pose en l’excluant, en la déportant, comme un non-être, au dehors de ce qu’il est. Jusqu’au bout, cet être absolument présent et comme abîmé en soi semble condamné à une sorte d’absence, identique au néant : il est “un” être qui n’est que formellement, abstraitement, distingué du néant, néant que, de fait, il est, et est condamné à demeurer, comme un en soi qui est tout en soi, et comme (un) un qui (n’)est (que) cet un qu’il est.
Cette analyse de l’onto-logique moniste est celle qui inspirait le commentaire de Russell. C’est elle encore qu’on retrouve au passage chez Rorty, lorsqu’il évoque “le monisme métaphysique commun à Parménide et à Spinoza” :
“Le monisme a toujours rencontré des difficultés pour rendre compte de l’apparence de pluralité. L’apparence, après tout est aussi irréelle que la pluralité elle-même. Mais des monistes comme Spinoza voudraient parvenir à une possibilité de décrire la relation des modes finis à l’unique substance infinie. Ils voudraient aller au-delà de la seule insistance, froide et rebutante, qui fait dire à Parménide que le non-être n’est pas. L’ambition de Spinoza serait de dire qu’il sait tout des modes finis et qu’il est à même d’en décrire la nature dans un langage certain. On ne voit malheureusement pas très bien comment on pourrait saisir avec certitude ce qui n’est pas réel. Au reste, être certain d’une chose, en donner une représentation exacte, suppose manifestement une relation entre deux choses. Or toute la question, pour le monisme, c’est qu’il n’existe qu’une seule chose.” (R. Rorty, “Deconstruction and Circumvention”,1984), trad. fr. J.P. Cometti in SCIENCE ET SOLIDARITE, la vérité sans le pouvoir, éd. L’éclat 1990) p. 91)
Malgré l’“ambition” qui est la sienne de tout dire au sujet du monde, dans la forme d’une science dont la rationalité exhaustive ne laisse subsister aucun résidu d’inconnaissable, Spinoza ne serait donc pas parvenu à échapper aux limites du monisme selon le modèle qu’en aurait une fois pour toutes fixé Parménide. Mais Parménide lui-même était-il, en ce sens étroit, “moniste” ? On laissera cette question pour une autre occasion. Et on se contentera ici de souligner ce que comporte de rituel cette référence emblématique, qui semble représenter magiquement la circularité imputée à la pensée du tout un, accusée par Rorty de ne pouvoir penser “une relation entre deux choses” : car comment celui qui pense un, et pense un comme un, pourrait-il penser deux, c’est-à-dire précisément ce que, pour le différencier de l’être qui est (seulement) être, Hegel nomme essence ?
Les choses ne sont toutefois pas si simples : et cela, il revient à Hegel, sinon à Russell ou à Rorty, de l’avoir compris. Car, pour lui, Spinoza, penseur par excellence de l’être, est aussi, si surprenant que cela puisse paraître, le penseur de l’essence, que sa logique du Un a entraîné dans le mouvement qui l’a finalement amené à penser Deux, ou la figure par excellence de la relation négative à soi qui définit l’essence. On ne l’a pas assez remarqué (et moi-même, en rédigeant mon HEGEL OU SPINOZA, éd. Maspéro 1979, rééd. La Découverte, 1991), je reconnais n’y avoir pas porté alors suffisamment attention), la figure de Spinoza développée par Hegel est complexe, divisée, dialectiquement contradictoire : d’une part elle s’expose sous les traits de l’Oriental, dont la parole initiatique semble sourdre des origines d’où toute pensée rationnelle est issue, - et ce philosophe-là est bien d’une certaine manière le penseur de l’être-un saisi au plus près de son élan immédiat ; mais elle se présente aussi, à l’intérieur du système de la philosophie moderne, dont les critères de légitimité sont ceux de la rationalité du pur entendement, asservie aux modèles que lui impose la méthode géométrique, comme celle, non de l’initiateur, mais du successeur voire même du sectateur, dont les références sont à chercher du côté de Descartes, et non de celui de Parménide. Or cet autre Spinoza, dont la place se situe en plein milieu du développement de l’histoire de la pensée, comme celle d’un médiateur ou d’un intercesseur, et non en son absolu commencement, est précisément le penseur de ce qui constitue par excellence le moment médiat du développement logique de la pensée elle-même, et c’est ainsi qu’il est le philosophe, non de l’être, mais de l’essence, dont la spéculation, au lieu de se fixer sur la considération obsessionnelle du Un, procède au mouvement analytique de la division, qui exploite sous toutes ses formes le modèle rationnel de la dualité, c’est-à-dire du rapport à soi.
Il est tout à fait significatif à ce point de vue que la remarque suivante faite par Hegel au sujet de la substance spinoziste :
“Ce concept est l’ultime détermination de l’être avant qu’il ne parvienne à l’essence, mais il n’atteint pas l’essence elle-même”
Figure seulement dans l’édition de 1812 de la DOCTRINE DE L’ETRE, mais ait été effacée de la version finale préparée par Hegel en 1831. Hegel, qui avait lui-même commencé par envisager la pensée de Spinoza dans sa figure commençante, du côté de l’être et au seuil de l’essence, en est en effet venu à retrouver cette pensée, comme décalée par rapport à elle-même, dans l’ordre de l’essence, qu’elle devait finir effectivement par atteindre dans son effort de réfléchir intellectuellement l’absolu.
En effet, réfléchie dans son rapport à soi, qui fait qu’elle n’est plus simplement donnée mais posée, la substance spinoziste, sans du tout renoncer à sa massivité de chose, de substance qui n’est pas encore sujet, projette sa réalité dans l’ordre de l’effectivité qui la soumet à un principe fondamental de relation. C’est ce qu’explique la longue remarque consacrée à un parallèle entre la philosophie de Spinoza et celle de Leibniz qui se trouve à la fin de la DOCTRINE DE L’ESSENCE :
“Certes la substance est unité absolue du penser et de l’être ou de l’étendue, donc absolument pas comme déterminer et former ni non plus comme le mouvement faisant retour et commençant à partir de soi-même. Pour une part manque par là à la substance le principe de la personnalité, - un manque qui plus que tout a soulevé l’indignation contre le système spinoziste; - pour une part le connaître est la réflexion extérieure qui ne comprend pas et ne déduit pas à partir de la substance ce qui apparaît comme fini, la déterminité de l’attribut et le mode, tout comme aussi en général elle-même, mais est active comme un entendement extérieur, assume les déterminations comme données et les reconduit à l’absolu, mais ne tire pas de celui-ci leurs commencements.” (SCIENCE DE LA LOGIQUE II, III, chap. 1, par. C (trad. fr. Labarrière et Jarczyk, éd. Aubier 1976, p. 239)
Demeurant enfermée en soi-même dans sa totalité une, la substance ne peut donc être réfléchie qu’en se partageant, à la manière d’une masse qui éclate lorsque qu’on cherche à la pénétrer : elle est alors pensée comme unité de la pensée et de l’être, une unité qui prend nécessairement la forme d’une relation extérieure passant entre les deux termes qu’elle identifie abstraitement. Cette idée donne son fil conducteur à l’étude de la notion d’attribut qui est longuement développée par ailleurs dans le chapitre des LECONS SUR L’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE consacré à Spinoza :
“Sur le rapport de la pensée et de l’être, il dit : c’est le même contenu qui est une fois sous forme du penser et ensuite sous celle de l’être... Tous deux, penser et être sont la même totalité. En effet, la même substance, sous l’attribut de l’étendue, elle est la nature; nature et penser, tous deux expriment la même essence de Dieu.” (LECONS SUR L’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, trad. fr. P. Garniron, t. VI, éd. Vrin 1985, p. 388 )
Ici, un se divise littéralement en deux, puisque c’est la même totalité qui s’appréhende simultanément sous deux formes, comme identité à soi de l’être : l’être alors, par l’effet de cette réflexion qui lui a fait découvrir son autre en lui, et non au dehors, s’est métamorphosé en essence.
On passera ici rapidement sur les difficultés de lecture que soulève cette interprétation. Signalons en quatre principales : la réduction de l’intellect (intellectus) à l’entendement (Verstand) ; l’assimilation, au point de vue de la logique de l’essence, de l’être (Sein) à l’étendue (Ausdehnung) ; la confusion entretenue entre les déterminations modales et les attributs, qui résulte de l’interprétation de l’attribut comme détermination négative, donc nécessairement finie, de la substance ; enfin la représentation en vis-à-vis de la pensée et de l’étendue, qui élimine la thèse de l’infinité des attributs pour pouvoir mieux analyser leur rapport en termes de réflexion. L’essentiel passe finalement ailleurs : il se trouve dans la logique irrésistible d’une lecture, lecture indiscutablement philosophique, qui bascule d’une affirmation moniste, - le Spinoza de la DOCTRINE DE L’ETRE - , au dualisme, - le Spinoza de la DOCTRINE DE L’ESSENCE -, en démontrant que la vérité de Parménide, pour autant qu’on s’efforce de suivre l’élan interne de sa pensée, se trouve chez Descartes, au sens où, comme le dit Hegel par ailleurs, “la vérité de l’être est l’essence” (SCIENCE DE LA LOGIQUE, II, introduction, trad. fr. Labarrière et Jarczyk, Aubier 1976, p. 1), vérité négative de réflexion, propre à la réalité essentielle d’un posé, mais non moins vérité pour autant. Plus hégélien qu’on ne pourrait s’y attendre, J. Bennett, reprend à son compte l’interprétation dualiste de Spinoza, qu’il lit aussi comme un philosophe post-cartésien : cf A STUDY OF SPINOZA’S ETHICS (Cambridge University Press , 1984), p. 41 - 50 et 143-149. Plus hégélien qu’on ne l’attendrait, mais quand-même moins hégélien que Hegel, puisqu’il ne voit pas, ne veut pas ou ne peut pas voir, la conversion logique du monisme en dualisme qui est au coeur de la lecture hégélienne de Spinoza.
Alors, Spinoza est-il moniste ? Oui, pour autant qu’il est aussi dualiste : au point de vue de Hegel, il est en quelque sorte celui qui a perçu l’arrière-fond moniste de toute pensée abstraite d’entendement, ou la postérité dualiste de la pure spéculation de l’Un. Mais cette dialectique encore balbutiante du un et du deux, qui s’arrête au seuil du concept et de ses syllogismes rationnels, ne parvient pas à réconcilier les figures de l’immédiateté et celles de la médiation dans le mouvement d’une pensée authentiquement ternaire ou trinitaire : et c’est pourquoi Spinoza n’a plus sa place dans le troisième et dernier volume de la SCIENCE DE LA LOGIQUE.
Mais il serait temps peut-être d’en finir avec ces décomptes d’apothicaire, qui ne sont après tout que des jeux de l’imagination, car au point de vue de Spinoza c’est l’imagination qui compte : un, deux, trois, comme pourrait le faire un comptable ou un maître de danse. Il faudrait donc à présent en revenir à ce que Spinoza lui-même a pu dire à ce sujet. Or il se trouve qu’il a commencé à s’expliquer sur ce point dans les COGITATA METAPHYSICA qu’il a placés en appendice de ses PRINCIPIA PHILOSOPHIAE CARTESIANAE. Ces COGITATA, ou PENSEES METAPHYSIQUES, publiés en 1663 au moment où Spinoza était engagé dans ses premiers essais de rédaction de l’ETHIQUE, sont d’ailleurs moins des pensées de métaphysique que des pensées sur la métaphysique, sur la métaphysique des Métaphysiciens (Metaphysici), soumise dans ce texte au crible d’un examen critique particulièrement serré. Cet examen s’applique d’abord, dans la première partie des COGITATA, à des questions générales, au nombre desquelles celle de l’Un (Unum), associé au Vrai et au Bien (COGITATA METAPHYSICA, I, chap. 6, “Du Un, du Vrai et du Bien”, De Uno, Vero et Bono). Pour commencer, Spinoza s’interroge sur “ce qu’est l’unité” (quid sit unitas), dont, se plaçant d’emblée dans la tradition nominaliste, il fait une simple désignation abstraite qui, en elle-même, ne correspond à aucune réalité :
“ Tandis que, selon nous, l’unité n’est en en aucune manière distincte de la chose même (qu’elle caractérise), ou n’ajoute rien à ce qui est; mais elle n’est seulement qu’une manière de penser par laquelle nous séparons la chose d’autres qui lui sont semblables ou conviennent de quelque manière avec elle.” (Nos autem dicimus unitatem a re ipsa nullo modo distingui, vel enti addere; sed tantum modum cogitandi esse, quo rem ab aliis separamus, quae ipsi similes sunt, vel cum ipsa aliquo modo conveniunt).
Dans le paragraphe suivant, Spinoza explique que l’unité, ainsi définie comme une simple manière de penser privée de toute réalité propre, ne se comprend que replacée dans le cadre de l’alternative formelle entre unité et pluralité, cette dernière notion correspondant également à une manière de penser abstraite opposée à la précédente. Ceci signifie qu’il est impossible de penser l’unité en soi, ou la pluralité en soi, comme si chacune représentait quelque chose de réel, les termes “unité” et “pluralité” n’ayant une valeur rationnelle que relativement l’un à l’autre. C’est pourquoi, poursuit Spinoza, l’affirmation traditionnelle selon laquelle “Dieu est un” n’a d’autre fonction que de faire comprendre la distinction entre Dieu qui est “un” et les autres choses qui sont représentées sur le mode de la pluralité : l’unité ayant ainsi, à l’exclusion de tout autre, le sens de l’unicité. “Dieu est un” : cela ne veut en aucune façon dire que Dieu est en soi un, un au sens de l’Un considéré lui-même comme un être réel ; mais cela veut seulement dire que Dieu, à la différence des autres êtres, est unique, en ce sens qu’il n’est pas plusieurs, parce que “nous concevons qu’il ne peut en être plusieurs (entendons : plusieurs Dieux) de même nature” (concipimus ejusdem naturae plures esse non posse).
C’est ici que Spinoza, par un de ces extraordinaires artifices de mise en scène dont il a le secret, glisse incidemment une réflexion pour le moins troublante :
“A la vérité, si nous voulions examiner la chose plus précisément, nous pourrions peut-être montrer que Dieu n’est qu’improprement nommé un et unique ; mais la chose n’est pas d’une telle importance, elle n’en a même aucune au point de vue de ceux qui sont attachés aux choses et non aux mots. C’est pour quoi, laissant cela de côté...” (At vero, si rem accuratius examinare vellemus, possemus forte ostendere Deum non nisi improprie unum et unicum vocari; sed res non est tanti, imo nullius momenti iis qui de rebus, non vero de nominibus, sunt solliciti. Quare hoc relicto...)
Autrement dit, unité et unicité, appliquées à Dieu, ne sont que des noms ou des appellations, et ces noms pourraient d’une certaine manière être considérés comme impropres, ce qui semble laisser entendre qu’une autre manière de parler serait peut-être plus exacte. Mais Spinoza laisse aussitôt tomber cet aspect de la question, et renonce à procéder à la rectification suggérée : car, n’est-ce pas ?, ce sont les choses qui comptent pour le philosophe, et non les noms qu’on leur donne, d’une manière qui, sans doute, doit rester jusqu’au bout abusive, car il y dans le fait de nommer les choses quelque chose qui continue à faire problème pour le philosophe ; et c’est pourquoi, ayant éveillé notre curiosité sur ce point sans la satisfaire, il préfère ne pas s’attarder davantage et passe à la suite.
Le lecteur des COGITATA, qui, rappelons-le représentent la seule partie de sa philosophie que Spinoza a publiée de son vivant sous son nom, ne peut alors manquer d’être surpris en rencontrant dans la seconde partie de ce texte, consacrée à l’examen des parties spéciales de la métaphysique, un développement qui porte sur le problème de “l’unité de Dieu” (COGITATA METAPHYSICA II, chap. 2, “De l’unité de Dieu”, De unitate Dei). Spinoza attache tellement peu d’importance aux questions de mots qu’il n’hésite pas à reprendre une forme de désignation ou manière de parler traditionnelle, “Dieu est un” (Deum esse unum), alors même qu’il en a précédemment évoqué les ambiguïtés. Aussi bien, ce qui l’intéresse ici, c’est le fond du problème, à savoir la façon dont est usuellement démontrée rationnellement cette unité qui, ne l’oublions pas, est et est seulement une unicité. Or cette démonstration, dans ses formes communes, qui, font intervenir le principe de finalité, et reviennent à dire qu’un seul Dieu suffit pour expliquer la création du monde et la production des choses, étonne, déclare Spinoza, par sa futilité ; et il ajoute : les arguments sur lesquels elle s’appuie sont “tirés de relations ou de dénominations extrinsèques” (a relationibus aut denominationibus extrinsecis petita). C’est pourquoi il propose d’y substituer une autre preuve, à laquelle il donne la forme d’un raisonnement par l’absurde : s’il y avait plusieurs Dieux, et non un seul, ceux-ci se connaîtraient les uns par les autres, donc relativement, ce qui altèrerait leur caractère d’absolue perfection. Il se contente d’exposer le schéma de cette démonstration, qui lui paraît plus correcte que celles dont usent les Métaphysiciens, ici appelés ironiquement “les auteurs” (Authores).
Ajoutons qu’en 1664 a été publiée une traduction hollandaise des COGITATA, due aux soins de P. Balling. Cette édition comporte, en marge du texte, un certain nombre d’annotations dont on ne sait si elles doivent être attribuées à Spinoza lui-même ou à son traducteur. Le texte qui vient d’être résumé est accompagné d’une remarque, ainsi conçue :
“Cette preuve (il s’agit de la démonstration par l’absurde dont le schéma a été esquissé) peut nous convaincre de l’unicité de Dieu, elle ne peut cependant pas l’expliquer. Je conseille donc au lecteur que nous tirions l’unicité de Dieu de la nature de son existence. Existence qui n’est pas distinguée de son essence ou qui suit nécessairement de son essence.”
(Cette annotation, qui n’est pas reproduite dans l’édition Van Vloten, ne se trouve pas non plus dans le texte présenté par Appuhn. Elle est ici citée d’après l’édition de la Pléiade (Gallimard 1954, réed. 1984), dans la traduction de R. Caillois, p. 268. En voici la texte original, tel qu’il figure dans l’édition Gebhardt : “Maar schoon dit bewijs t’eenemaal overtuigt, echter zoo verklaart het d’einheit Ghodts niet; derhalve vermaan ik de Leezers, dat wy Ghodts eenheit, rechtsweegs uit de natuir van zijn wezendlijkheit besluiten, die namelijk, van de wesentheit Ghodts niet werdt onderscheiden, of die nootzaat lijk nyt zijn wezenheyt volgt.” (Spinoza, OPERA, Heidelberg 1925 t. I p. 253)
Remarquons que l’auteur de cette annotation se contente ici de suggérer la possibilité d’une autre démonstration, dont la version développée doit se trouver ailleurs. Mais, dans ce cas précis, cette démonstration existe effectivement, et nous savons où en chercher le texte complet : dans l’ETHIQUE, et plus précisément dans le corollaire 1 de la proposition 14 du DE DEO, qui explique causalement la nécessité de ce “propre” de Dieu qu’est l’unicité. Il reste pourtant qu’ainsi démontrée nécessairement l’unicité de Dieu maintient le caractère d’un “propre”, qui ne définit pas la réalité divine, comme seuls peuvent le faire les attributs de cette réalité, mais reste d’une certaine façon une détermination ou une dénomination extrinsèque à cette réalité, à laquelle elle ne peut en aucune façon se substituer.
Cette accumulation d’allusions et de repentirs, authentiques ou simulés, laisse perplexe. Il est au moins un lecteur de Spinoza qui a souhaité en savoir un peu plus sur le problème qui vient d’être évoqué: c’est J. Jelles qui, une dizaine d’années plus tard, a demandé à Spinoza des éclaircissements sur certains points de sa doctrine qui lui restaient obscurs. Les réponses de Spinoza à ces questions, contenues dans la Lettre 50 (datée de juin 1674), concernent : le rapport de sa pensée politique à celle de Hobbes, leur “différend” (discrimen ) portant sur la manière de traiter la relation entre droit naturel et droit civil ; la conception selon laquelle, dans le cas de la figure géométrique, “la détermination est négation” (determinatio negatio est); et la question de l’unité ou de l’unicité de Dieu qui retient ici notre attention. Voici l’explication donnée par Spinoza à ce sujet :
“En ce qui concerne la démonstration que je soutiens pour mon compte dans l’Appendice de mes démonstrations géométriques appliquées aux Principes de Descartes, à savoir que Dieu ne peut être qu’improprement dit un et unique, je réponds ceci, qu’une chose peut seulement être dite une ou unique au point de vue de l’existence, mais non à celui de l’essence: en effet nous ne concevons les choses dans une perspective numérique que sous la condition de les avoir ramenées sous un genre commun. Pour prendre un exemple, celui qui tient dans sa main une sesterce et un écu ne pensera pas au nombre deux s’il ne peut désigner cette sesterce et cet écu d’un seul et même nom, celui de pièces ou de monnaies : en effet alors il peut affirmer qu’il possède deux pièces de monnaie, puisqu’il désigne du terme de pièce de monnaie non seulement la sesterce mais également l’écu. A partir de là il est donc manifestement évident qu’aucune chose n’est nommée une ou unique si ce n’est sous la condition qu’ait été conçue une autre chose qui, selon la formule, convient (est en accord de convenance, convenit) avec elle. Mais puisque l’existence de Dieu est son essence même, et que nous ne pouvons former de son essence une idée universelle (quoniam... de ejus essentia universalem non possimus formare ideam), il est indiscutable que celui qui appelle Dieu un ou unique n’a pas de Dieu une idée vraie, c’est-à-dire qu’il s’exprime improprement à son sujet.”
Cette argumentation extraordinairement serrée se développe simultanément sur deux plans : elle analyse la structure intellectuelle de la représentation d’une chose comme une ou unique ; et elle applique les leçons de cette analyse à l’énoncé qui fait spécialement de Dieu un être un ou unique.
D’une part, Spinoza explique donc que d’un point de vue général, représenter une chose quelconque comme une ou unique, c’est la ranger sous une catégorie numérique, ce qui n’est possible que par comparaison, donc relativement, exactement comme dans le cas où, au lieu de penser une chose comme une on la pense comme deux, dans le cadre du rapport de convenance supposé entre deux choses de même genre ou de même espèce, qui implique qu’on les désigne d’un nom commun. Ce raisonnement se décompose lui-même de la manière suivante : premièrement, toute pensée de type numérique procède par abstraction, en se plaçant au point de vue formel des universaux ou des genres ; deuxièmement, cette procédure ne s’applique qu’à des choses considérées dans leur existence, et en rapport avec les modalités de leur existence ; troisièmement, elle ne concerne en rien les essences de choses en tant qu’il est possible de former de ces essences des idées vraies, c’est-à-dire en tant que ces essences sont des essences singulières, donc ne sont pas des abstractions de choses, ou de simples représentations identifiées par l’intermédiaire de noms, mais sont elles-mêmes des choses, qui ne pourraient être exactement désignées que par leur nom propre et non à l’aide de noms communs, parce qu’elles s’offrent à l’intellect en dehors de toute perspective de comparaison. D’où il se conclut que le mécanisme mental qui fait penser une chose comme une est exactement le même que celui qui fait penser deux choses comme deux, ce qui suppose qu’elles soient désignées d’un nom commun qui en fait les représentantes d’une même espèce de choses : représenter une chose comme une ou unique, c’est la comparer idéalement à une autre chose, ou à une infinité d’autres choses, dont l’existence, posée comme possible, est simultanément niée.
On comprend alors que l’exemple des pièces de monnaies n’a pas été pris au hasard : compter ses sous, opération dont la logique est typiquement soumise aux critères fixés par l’imagination, c’est mesurer à l’aune du possible les sesterces réelles qu’on a dans sa poche, en les comparant idéalement à toutes les autres qu’on souhaiterait avoir, qu’on regrette de ne pas tenir en main mais qu’on ne désespère pas de posséder un jour. L’argent, ça se décompte, qu’on l’enterre au fond du jardin, comme Harpagon, ou que, comme Perrette, on le répande au fil de cette rêverie numérique. Moralité : bien mal acquis ne profite jamais ; disons plutôt : les nombres, dont la signification est imaginaire valent toujours pour ce qu’on n’a pas, ou pour ce qu’on a sans l’avoir, c’est-à-dire pour ce qui existe sans exister, en vertu d’une nécessité qui n’est pas celle de son essence.
Ceci amène à considérer l’autre aspect du raisonnement de Spinoza, qui applique ces considérations sur le fait de compter des choses en général au cas spécifique de Dieu, ou de ce qui se range sous le nom de Dieu, nom qui n’est pas un nom commun mais un nom propre, puisqu’il est attaché, non à ce qui est reconnu comme étant commun à plusieurs existences, mais à une essence singulière: c’est pourquoi, sans hésitation aucune, il faut traduire Deus par “Dieu”, et non par “le Dieu” ou par “un Dieu”, le titre de la première partie de l’ETHIQUE, De Deo, signifiant “de Dieu” et non “du Dieu” ou “d’un Dieu”. Peut-on compter Dieu ? On ne le peut évidemment pas, parce que Dieu n’est pas une chose comme les autres. Dieu est la chose absolue dont l’essence est d’exister, qu’il n’est pas possible en conséquence de concevoir comme non-existante : il est en quelque sorte l’existence considérée en soi, dans son essence dont elle ne peut être détachée. Il n’est donc pas une existence, qui existerait sans exister, en vertu d’une nécessité extérieure à son essence. Il n’est pas non plus quelque chose qu’on a sans l’avoir, et qu’on pourrait acquérir ou perdre, ou enterrer au fond du jardin. Mais il est la substance conçue comme telle, “en soi” (in se), dans sa nécessité intrinsèque qui, pour reprendre les catégories hégéliennes, n’est ni de l’ordre du donné ni de celui du posé, c’est-à-dire de l’ordre d’une existence qui ne serait qu’existence ou de celui d’une essence qui ne serait qu’essence. Car ce que Spinoza a voulu comprendre, à travers son concept de Dieu, c’est cette coïncidence absolue des deux ordres de l’essence et de l’existence qui interdit en principe de penser leur rapport à partir de l’un ou l’autre de ses termes, en raisonnant de l’essence à l’existence ou de l’existence à l’essence, comme si, dans le réel ou dans la pensée, l’une précédait l’autre ou l’autre l’une : et c’est pourquoi, soit dit en passant, en Dieu, c’est-à-dire au point de vue de l’en soi de la substance, il n‘y a plus de place pour la considération de la durée, puisqu’essence et existence ne sont en aucune façon “avant” ou “après” l’une par rapport à l’autre.
Comment, dans ces conditions, penser Dieu comme une essence singulière, c’est-à-dire comme une essence de chose ? Qu’est-ce qui autorise à parler de Dieu comme d’une chose ? Or Spinoza semble tenir énormément à cette appellation, à laquelle il se réfère sans cesse. On comprend aisément pourquoi : si Dieu n’était pas une chose, il perdrait son caractère absolu de réalité, et deviendrait une pure relation, c’est-à-dire une abstraction ; il serait représenté comme ce qui est commun à toutes les choses composant la réalité. Au mieux, il deviendrait une notion commune, un concept géométrique, dont on étudie les propriétés générales : c’est précisément ce qu’on fait quand on lui attribue l’unicité, qui est, comme l’éternité ou la liberté, l’un de ses propres et non le déterminant de sa substance. Or, au point de vue de la connaissance rationnelle, connaître une chose par ses propriétés, c’est renverser l’ordre de la nature, en y réintroduisant un élément de finalité et de contingence. Ce qui fait donc difficulté, c’est bien le fait de penser Dieu comme “une” chose, comme si, dans cette désignation, l’article indéfini avait valeur de détermination, réintroduisant ainsi la représentation de l’unité ou de l’unicité dans le concept de la substance. Dieu n’est qu’improprement nommé une chose parce qu’il n’est pas une chose comme les autres, et à côté ou au-dessus des autres choses, pouvant leur être comparée, voire donnant les éléments ou les conditions de leur comparaison : mais il est la réalité même en tant qu’elle se situe en dehors de toute perspective de comparaison. En dehors : non pas au-delà, au sens d’un incomparable transcendant, qui serait l’Absolu ou le tout autre ; mais plutôt en-deçà : en ce point où la chose est pensée absolument comme chose, et cesse du même coup d’apparaître comme une chose, mais devient Chose, sans article défini ou indéfini, c’est-à-dire sans pouvoir être ramenée au statut de sujet grammatical d’une proposition, que celle-ci soit générale ou particulière. En ce sens il faut dire, au point de vue il est vrai d’une connaissance rationnelle qui relève davantage des normes de la science intuitive que de celles de la démonstration géométrique, que Dieu se nomme Chose, pour autant que le nom de chose puisse avoir valeur d’un nom propre. On comprend du même coup que le nom de Dieu, qui ne correspond pas à la désignation d’un genre, soit un nom propre sans être pour autant un nom de personne, le nom de quelqu’un, ou même de quelque chose en particulier, puisqu’il est ce nom de Chose, et rien d’autre.
De ce raisonnement, retenons ceci : l’unité, ou unicité, appliquée à Dieu, c’est-à-dire à Chose, n’a en aucune façon le statut d’un déterminant qui ferait comprendre ce qu’est Dieu, ce qu’est Chose. Tout au plus peut-elle être représentée comme une conséquence, comme un aspect dérivé de sa réalité absolue, c’est-à-dire qu’elle est seulement, comme Spinoza s’était évertué à le dire dés le début de ses COGITATA, une manière de penser, une appellation plus ou moins propre ou impropre, comme l’est d’ailleurs peut-être toute appellation, qui est d’abord un effet de l’imagination et de la mise en perspective que celle-ci effectue vis-à-vis de la réalité. Le “monisme” attribué à Spinoza ne serait ainsi qu’une manière de parler, un déguisement de sa pensée, qu’on ferait aussi bien de ranger dans le placard aux accessoires , pour l’y oublier.Pierre Macherey http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EFZluyZZFFoUiWHZyw.shtml