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culture et histoire - Page 1989

  • Qu’on vire les pédagogistes !

    Tous les cinq ans, une étude internationale, le Programme International de Recherche en Lecture Scolaire (PIRLS), évalue les performances en lecture des enfants de dix ans dans 45 pays. Pour la deuxième fois consécutive, le score des élèves français est en déclin, confirmant d’autres études (PISA par exemple). Ils sont en-dessous de la moyenne européenne.

    M. Peillon, ministre de l’Éducation nationale, s’appuie sur ces piètres performances pour justifier son « pacte de refondation de l’école », notamment son plan de recrutement massif. Plus d’enseignants, serait-ce la solution ? S’il est vrai que la diminution du nombre de professeurs depuis cinq ans est durement ressentie sur le terrain, on sait que la question des moyens n’est pas la principale. D’autres pays font mieux avec, proportionnellement, moins de personnel. Comment, dès lors, remédier à ce désastre ? En tirant les leçons de décennies d’errements pédagogistes.

    L’Éducation nationale a été le terrain d’expérimentation de dangereux docteurs Folamour qui ont pris nos enfants pour cobayes. Au nom de fumeuses théories, ils ont obligé les instituteurs à abandonner des méthodes d’apprentissages éprouvées par des générations de maîtres. Ces méthodes empiriques parvenaient à apprendre à lire, écrire et compter à nos aïeux, parfois à 45 par classe. Aujourd’hui les méthodes prétendument scientifiques échouent dans 25% des cas (rapport Ferrier, 1998) avec des effectifs de 25 par classe. « Prétendument » car la prétention à la scientificité de ces Diafoirus ne va pas jusqu’à mesurer leur efficacité. C’est pourtant en favorisant les méthodes les plus efficaces que le National Reading Plan a réussi à améliorer les performances des écoliers américains en lecture. Faire la même chose en France devrait permettre une amélioration similaire sans coûter un centime à l’État.

    Une autre cause du désastre éducatif de la France est la diminution dramatique du nombre d’heures consacrées à l’enseignement du français tant en primaire qu’au collège. Entre 1967 et 2001, les élèves de primaire ont perdu plus d’une année de français. Au collège, entre 1972 et 2002, c’est également une année de français qui a été perdue. Cela au profit d’activités « d’éveil » ou de « découverte du monde » : informatique, langue vivante, éducation à la santé, au développement durable, et bientôt lutte contre les stéréotypes sexistes. Cela au gré des modes et des lubies de ministres de rencontre. Là encore, la suppression de ces gadgets et le retour à des horaires décents pour étudier le français améliorerait le niveau des enfants de notre pays sans coûter un euro aux contribuables.

    Mais pour faire cela, il faudrait déloger de leurs postes les experts auto-proclamés de l’éducation qui se sont infiltrés dans tous les rouages de l’enseignement. Eux qui, de leur propre aveu, se sont trompés — Philippe Mérieux reconnaissant avoir eu tort de vouloir apprendre à lire à partir de modes d’emploi ; Jean Hébrard estimant que ce qu’il a écrit dans les années 70 ne vaut rien — et qui continuent pourtant à pontifier… Virer ces responsables du désastre culturel subi par la jeunesse de France serait une vraie refondation de l’école. Les finances du pays comme les enseignants ne s’en trouveraient également que mieux.

    Boulevard Voltaire via http://www.actionfrancaise.net

  • Le livre noir du libéralisme (P. Larrouturou)

    Je suis membre de l’association d’Alain Soral, « Egalité et Réconciliation ». Du coup, je fréquente des gens de gauche. Du coup, ils me font lire des bouquins écrits par des gens de gauche. Du coup, j’ai lu « le livre noir du libéralisme », de Pierre Larrouturou (PL).

    Surprise : c’était une lecture vraiment intéressante. Il reste de la vie intelligente à gauche, finalement.

    PL est un ancien du cabinet Andersen. Un moment proche de l’UDF, passé par le PS au temps du rocardisme, en était parti après la mise au placard de Rocard, y revint après le 21 avril 2002 sur l’invitation de F. Hollande (qui préférait le savoir à l’intérieur de la structure plutôt qu’à l’extérieur, au moment où le PS vacillait). PL vient de fonder « Nouvelle Gauche », une association qui se propose de « réveiller le PS » (tout un programme…)

    « Le livre noir du libéralisme » est divisé en trois parties : le constat (le néolibéralisme nous conduit au désastre absolu), la solution (un New Deal européen), et le blocage (l’état tragicomique du PS français).


    PLAN

    1.1 - La fausse croissance américaine

    1.1.1 - La dette, moteur d’une fausse croissance
    1.1.2 - L’immigration, remède temporaire aux inégalités

    1.2 - Du désastre américain à la récession mondiale ?

    1.3 - Du rêve chinois au cauchemar belliciste ?

    1.4 - L’arnaque Sarkozy

    1.4.1 - Retraites : le faux médicament
    1.4.2 - Chômage : la fausse guérison

    2 - LA SOLUTION

    2.1 - Abandonner les illusions rassurantes

    2.1.1 - Pas de miracle de la croissance
    2.1.2 - Pas de miracle sur le chômage
    2.1.3 - Pas de miracle protectionniste

    2.2 - Faire naître une nouvelle société

    2.2.1 - Un nouveau modèle européen
    2.2.2 - Une Europe sociale
    2.2.3 - Un nouveau Bretton Woods

    3 - LE BLOCAGE

    3.1 - Le PS est autiste

    3.1.1 - Zéro débat
    3.1.2 - Zéro projet
    3.1.3 - Zéro ambition

    3.2 - Vers un nouveau mai 68 ?

    4 - MES CRITIQUES

    4.1 - Une vision trop limitative

    4.1.1 - Tout l’Occident est en crise
    4.1.2 - La question identitaire
    4.1.3 - Une crise de civilisation

    4.2 - Une certaine ignorance des rapports de force


    RESUME ET CRITIQUES


    1 - LE CONSTAT

    PL démonte pour commencer quelques-uns des mythes contemporains. Cette partie du bouquin en fait la valeur : beaucoup d’informations, des analyses parfois péremptoires, mais en tout cas dérangeantes.

    1.1 - La fausse croissance américaine

    Pour PL, la croissance américaine n’est due qu’à deux moteurs : la dette et l’immigration.

    1.1.1 - La dette, moteur d’une fausse croissance

    Les USA connaissent, depuis 25 ans, une phase de concentration des richesses très marquée. Les 5 % les plus riches sont de plus en plus riches, le reste de la population s’appauvrit. D’où la dette des particuliers : pour pouvoir continuer à consommer, il faut que les pauvres s’endettent. Voilà la voie « néolibérale » vers laquelle veut nous entraîner une partie de notre classe dirigeante euromondialiste.

    Cette voie est à long terme une impasse. La dette totale américaine (privée et publique y/c secteur financier) se monte à 340 % du PIB. A titre de comparaison, à la veille de la grande récession de 1929, la dette totale n’était « que » de 140 % du PIB. Il y a un risque sérieux de crise majeure à brève échéance.

    La bonne santé de l’économie américaine est totalement artificielle. On nous parle de plein emploi : en réalité, le nombre d’heures travaillées moyen par emploi est plus faible aux USA (33,7 heures) qu’en France (36,2 heures). S’il y a moins de chômeurs aux USA, c’est parce que toute une Amérique survit d’une fiche de paye à l’autre, en travaillant 10 heures par semaine sur des emplois de service sous-payés.

    Le contenu de la croissance américaine est malsain. Le PIB par tête est gonflé par de faux revenus, qui sont aussi de vrais déficits. Par exemple : les frais de santé par tête sont deux fois plus élevés aux USA qu’en France et pourtant, l’espérance de vie est plus faible là-bas qu’ici. Pourquoi ? Entre autres choses, parce que les « frais généraux » du système de santé américain sont très lourds. C’est l’endettement des plus pauvres qui, pour l’instant, permet de financer ce système inefficient, dont le gonflement artificiel crée optiquement de la « croissance ».

    En somme, la crise des subprimes n’est que la partie émergée d’un formidable iceberg de dettes non provisionnées. Comme les pauvres, de plus en plus pauvres, ne peuvent plus consommer qu’à crédit pendant que les riches, de plus en plus riches, ont besoin de faire tourner la machine économique pour rentabiliser leurs placements, l’Amérique doit fabriquer constamment de nouvelles bulles spéculatives pour cacher chaque dette avérée sous une nouvelle cascade d’emprunts. C’est exactement le mécanisme qui conduisit jadis à la crise de 1929 : tôt ou tard, on ne peut plus continuer à dissimuler la faillite collective, et donc, ça craque.

    1.1.2 - L’immigration, remède temporaire aux inégalités

    Une échappatoire, cependant…

    Pour continuer à faire croître leur marché intérieur alors que les inégalités croissantes empêchent les pauvres de consommer, les USA ont de plus en plus recours à un subterfuge : l’immigration, qui permet d’augmenter la consommation totale alors que les salaires stagnent. Voici en effet un fait peu commenté par les thuriféraires du modèle américain : hors croissance démographique lié à une immigration clandestine d’abord, régularisée ensuite, le PIB américain augmenterait moins vite que celui de l’Europe. Et cela, malgré son financement par la dette !

    En somme, le modèle américain contemporain, eh bien ça ne marche pas. Tout simplement.

    1.2 - Du désastre américain à la récession mondiale ?

    Le capitalisme dérégulé des Chicago boys fabrique des bulles financières à répétition depuis 25 ans (envolée boursière pré-1987, mirage de la nouvelle économie dans les années 90, bulle immobilière des années 2000, bulle sur les matières premières en voie de formation…).

    Le triomphe de ce capitalisme-là risque au final d’être de courte durée : il en train de crever de sa victoire. Partout, des montagnes de cash s’accumulent, mais il n’y a plus d’investissement productif, faute de marché solvable. Le ratio investissement sur PIB est à son plus bas niveau historique dans les pays du G7. Il y a un risque sérieux de déflation mondiale soudaine.

    1.3 - Du rêve chinois au cauchemar belliciste ?

    En pendant ce temps-là, hors d’Amérique…

    En Chine : la situation de l’empire du Milieu version 2007 rappelle celle de l’Allemagne des années 30, avec un cocktail explosif de force extrême (développement industriel, croissance très rapide des capacités militaires) et de faiblesse extrême (déséquilibre social, dépendance envers l’investissement étranger).

    La Chine est en état de grande tension : le soi-disant « miracle chinois » n’a été possible que grâce à l’esclavagisation d’une grande partie de la population (main d’œuvre au rabais). Chaque année, 24 millions de personnes supplémentaires arrivent dans les villes pour trouver du travail, et la moitié n’en trouve pas ou peu. Pour l’instant, ce pays au bord de l’explosion se rééquilibre grâce à un développement rapide mais malsain, tiré par la demande américaine. Moralité : si les USA cessaient d’importer, la Chine devrait piloter un atterrissage douloureux.

    Or, l’Amérique va réduire ses importations. Assise sur une montagne de dettes, Washington va déprécier le dollar, c’est inéluctable. D’où le scénario catastrophe : comme la croissance chinoise dépend d’une consommation américaine financée par la dette, l’implosion financière des USA provoquera l’implosion sociale de la Chine, et cette implosion poussera les dirigeants chinois à la guerre – parce qu’ils n’auront pas d’autre porte de sortie.

    1.4 - L’arnaque Sarkozy

    En pendant ce temps-là, hors d’Amérique et loin de la Chine…

    En France, la réaction des « élites » est de présenter la crise française comme une conséquence des carences de notre pays. Ce discours n’est, selon PL, que poudre aux yeux. Les carences supposées de notre économie ne sont pas le vrai problème. Le discours officiel ne sert qu’à justifier l’alignement de la France sur un modèle néolibéral qui est, lui, le vrai problème.

    Pour PL, la crise du modèle français n’est due qu’à la collision entre notre modèle et le désastre social mondialisé. Certes, un RMIste aujourd’hui gagne autant qu’un travailleur à temps partiel sur un emploi précaire. Mais qu’est-ce que ça prouve, sinon que les revenus du travail doivent être réévalués ?

    La rigidité française est un mythe : le taux de rotation de la main d’œuvre est plus élevé en France (23%) qu’en Allemagne (16 %), et il est presque aussi élevé qu’aux USA (24 %). Nous sommes les champions des horaires atypiques, ce qui nous permet une durée d’utilisation des équipements dans l’industrie de 54 heures par semaine, record du monde.

    En 25 ans, en France, la part des salaires dans le PIB est passée de 79 % à 67 %. Voilà concrètement ce qui provoque la crise française. Et ce phénomène n’a rien d’exceptionnel : au niveau de l’économie occidentale, la part des salaires vient d’atteindre un plus bas depuis… 1929.

    1.4.1 - Retraites : le faux médicament

    Pour cacher la véritable nature de la crise, à l’UMP, le mensonge est de rigueur. Fillon se vante d’avoir réussi la réforme des retraites : en fait, l’âge moyen de départ à la retraite, qui était de 62 ans en 2001, vient de passer sous la barre des 61 ans. C'est-à-dire que tout en allongeant la durée de cotisation, le pouvoir a laissé s’installer une situation où les gens sont poussés à prendre leur retraite de plus en plus tôt (d’où, bien sûr, la baisse prévisible du pouvoir d’achat des retraités).

    1.4.2 - Chômage : la fausse guérison

    Autre exemple du mensonge UMP : les chiffres du chômage sont bidonnés. En réalité, il reste 3,3 millions d’inscrits à l’ANPE en catégorie « immédiatement disponibles », 0,4 million en catégories « chômeurs en formation » ou « emplois aidés », 0,2 million de chômeurs Outre-Mer, 0,4 millions de plus de 55 ans dispensés de recherche d’emploi, 1,2 millions de RMIstes (dont la moitié n’émarge pas à l’ANPE). Au final, il y a en France au moins 4,5 millions de chômeurs. On est loin des 2 millions officiels… En fait, la « baisse du chômage » officiellement proclamée ne résulte que du basculement d’une partie des chômeurs vers des catégories non comptabilisées dans les statistiques. On a caché la poussière sous le tapis, c’est tout.

    Les chiffres de création d’emplois sont également faussés : en fait, l’intérim et les boulots précaires explosent. C'est-à-dire qu’une France est en train de naître, où l’on vit d’une feuille de paye sur l’autre, avec 15 heures au SMIC par semaine. PL estime que c’est là le vrai problème français, celui qui risque effectivement d’avoir un jour des conséquences politiques très graves. Les émeutes de novembre 2005 furent d’ailleurs, si l’on en croit les RG, la conséquence de ce désastre social, alignement sur la société inégalitaire en voie de formation aux USA.

    Un alignement mondial, bien sûr : au Japon aussi, par exemple, la proportion d’emplois à temps partiel explose. En Allemagne, 6 millions de salariés survivent avec 400 euros par mois. 7 millions d’Allemands vivent sous le seuil de pauvreté… Ce que nous venons de dire pour la France est vrai pour toutes les économies développées.

    C’est la marche au désastre.

    2 - LA SOLUTION

    Pour PL, la solution passe d’une part par la prise de conscience collective de la situation réelle (nous sommes au bord du gouffre), d’autre part par la naissance d’une nouvelle société.

    2.1 - Abandonner les illusions rassurantes

    2.1.1 - Pas de miracle de la croissance

    Tout d’abord, savoir que : l’Europe, toutes choses égales par ailleurs, ne peut dans les décennies qui viennent que connaître une croissance faible (moins de 1 % par an), pour des raisons structurelles, démographiques en particulier. Savoir en outre qu’une récession est très possible, sachant que le prix du baril de pétrole pourrait dépasser 300 $ en 2015, si l’épuisement des gisements est confirmé (risque à ce stade mal connu). Ensuite savoir que : le type de mesure envisagé par Sarko relève :

    • soit du court-termisme (par exemple le déblocage de l’épargne salariale, qui a fait bondir le PIB d’un demi point sur un trimestre, puis entraîna une baisse compensatoire le trimestre suivant),
    • soit du financement par la dette des ménages, comme aux USA (ce que Sarkozy appelle une France de propriétaires, c’est en réalité une France de surendettés).

    Moralité : il n’y a pas de croissance miracle à espérer.

    2.1.2 - Pas de miracle sur le chômage

    La réduction du chômage par l’effet de la démographie est une simple illusion d’optique. On ne fera que vider le problème « chômage » en remplissant le problème « retraites ». En pratique, l’allongement de la vie active est inévitable, donc il n’y aura pas de baisse de la population active, donc pas de baisse du chômage réel. La baisse de la population active, vu la pyramide démographique, ne devrait commencer vraiment qu’en 2050, quand la population totale commencera à diminuer sensiblement.

    Moralité : l’effet « baisse du chômage » n’existe que dans les discours de nos hommes politiques.

    2.1.3 - Pas de miracle protectionniste

    La tentation protectionniste doit, estime PL, être repoussée. Le déficit de l’UE avec la Chine est de 110 milliards d’euros en 2006, ce qui commence à devenir vraiment préoccupant. Pour continuer à gagner des parts de marché à l’exportation, la Chine ne cesse de faire baisser ses salaires réels (c'est-à-dire que le développement de l’économie chinoise en volume est financé par l’appauvrissement des Chinois ordinaires). Comment éviter cette mise en concurrence avec une Chine dont le modèle de développement est malsain ?

    Un protectionnisme pur et dur ouvrirait la porte ouverte à une crise terrible en Chine. Donc à moins de trouver une autre voie, nous avons le choix entre :

    • regarder l’Europe se désindustrialiser (ce qui impliquera tôt ou tard une catastrophe chez nous)
    • ou regarder la Chine exploser (avec à la clef une guerre mondiale).

    A priori, la situation est sans issue.

    2.2 - Faire naître une nouvelle société

    L’issue existe pourtant, estime PL, mais elle suppose une véritable réforme. Une société nouvelle doit naître, dit PL. S’il y a crise, c’est justement parce que le « Nouveau » est empêché de naître.

    Les remèdes sont en réalité bien connus : hausse des salaires (fordisme), protection sociale (Beveridge), soutien de l’Etat (Keynes). Contrebalancer la concentration morbide des richesses par un système de redistribution : voilà la solution, en France et dans le monde (y compris en Chine). Et si cette solution n’est pas appliquée, c’est tout simplement, juge PL, faute de volonté politique.

    2.2.1 - Un nouveau modèle européen

    L’Europe doit montrer la voie en conduisant une véritable révolution du travail. Il faut prendre acte de la formidable hausse de la productivité opérée ces dernières décennies pour réduire enfin sérieusement et mieux partager le temps de travail ( la France possède probablement la plus forte productivité au monde par heure travaillée). PL propose de mettre en place la semaine de 4 jours / 32 heures (son cheval de bataille). D’après lui, cette mesure serait finançable assez facilement (il propose de dispenser de cotisations chômage les entreprises ayant mis en place la semaine de 4 jours – cette partie du livre fait un peu « réclame pour la méthode Larrouturou », alors je vous passe les détails).

    PL en appelle également à une grande politique publique de recherche développement. Il faut que les commandes publiques décuplent dans ce domaine pour que l’Europe rattrape les USA (recherche publique : 250 milliards de dollars par an). Le financement doit être rendu possible par un impôt européen – un simple alignement de la fiscalité européenne sur celle des USA dégagerait des recettes fiscales considérables, car l’impôt sur les bénéfices est de 40 % aux USA, paradis supposé du libéralisme, contre 25 % en Europe, enfer supposé du fiscalisme !

    (Au passage, une remarque : PL fait observer qu’aucun pays européen ne peut remonter son taux d’imposition de manière isolée, puisque les entreprises fuiraient son sol. Cela n’est vrai que parce que l’Europe constitue une zone économique unifiée. C'est-à-dire qu’en créant un espace économique unifié sans créer de fiscalité européenne, l’Europe de Bruxelles a mis les Etats européens en concurrence fiscale. De là le différentiel d’imposition entre l’UE et les USA en matière de bénéfices, et de là, donc, entre autres choses, le déficit de financement public de la recherche en Europe. Cela dit pour ceux qui n’auraient pas encore compris ce qu’est en réalité l’Europe de Bruxelles…)

    Outre un nouveau modèle du travail et une grande politique de recherche, PL propose diverses mesures. Par exemple : que le fonds de réserve des retraites soit utilisé à la construction de logement social, un « placement » plus efficace à long terme que la bourse (qui va imploser à partir de 2010 au plus tard, quand les baby-boomers vendront les actions destinées à financer leurs retraites). Dans la même optique (privilégier l’économie réelle contre l’économie financiarisée), il suggère des investissements massifs dans une grande politique de l’énergie.

    Bref, ce que nous propose PL, c’est un nouveau New Deal, à l’échelle de l’Europe. Ni plus, ni moins.

    2.2.2 - Une Europe sociale

    Ce New Deal européen ne sera possible que si l’Europe se fait pour de bon. PL est manifestement favorable au type de solution proposé par l’Allemand Joschka Fischer en 2000 : une fédération d’Etats-nations, avec un parlement européen souverain pour toutes les questions nécessitant une action commune (monnaie, défense, affaires étrangères) – les parlements nationaux ne conservant que les attributions relatives aux matières locales (instruction publique, urbanisme, par exemple). C’est à peu de choses près la structure des USA – curieusement, PL ne semble pas se rendre compte qu’il propose de décalquer ici, en Europe, les solutions institutionnelles dont il dénonce la faillite économique et sociale outre-Atlantique…

    PL estime la construction de ces Etats-Unis d’Europe incontournable, puisque, dit-il, nos problèmes viennent d’abord de l’Allemagne, laquelle a fortement baissé ses coûts salariaux et augmenté sa TVA (d’où baisse de la consommation, donc des importations). Une Allemagne de plus en plus néolibérale et de moins en moins européenne, qu’il faut « encadrer » par un traité européen (un de plus !), un traité fait pour obliger les économies de l’Euroland à converger vers le haut en matière sociale.

    2.2.3 - Un nouveau Bretton Woods

    Pour que cette convergence de l’Europe vers le haut en matière sociale n’entraîne pas un nouveau mouvement de délocalisation vers la Chine, et sachant qu’il refuse tout protectionnisme « hard », PL préconise un nouveau Bretton Woods. Il s’agit de négocier avec la Chine un système de montants compensatoires qui permettrait de gérer la transition progressive de l’empire du Milieu vers un modèle de développement autocentré. C’est la généralisation à l’échelle du globe du mode de fonctionnement de l’Europe monétaire dans les décennies qui ont précédé la mise en place de l’Euro, tout bonnement.

    3 - LE BLOCAGE

    Ces remèdes rooseveltiens, nous dit PL, sont bien connus. Comment se fait-il alors que le PS ne les propose pas ? – Réponse : parce que le PS, c’est zéro débat, zéro projet, zéro ambition.

    3.1 - Le PS est autiste

    3.1.1 - Zéro débat

    Le PS n’a aucun débat d’idées au plus haut niveau. Les dirigeants se bunkérisent dans un autisme déconcertant. PL raconte qu’un ponte du PS (dont il tait le nom, hélas) lui a déclaré, avant le référendum de 2005, que ça ne servirait à rien de demander un complément social au traité européen, parce que de toute façon, « le politique ne peut rien faire sur le chômage, sur le logement ou sur l’illettrisme. » D’où l’on peut effectivement déduire, avec Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, que le rôle du politique, c’est de remplir les pages people…

    3.1.2 - Zéro projet

    Dans ces conditions, et PL le dit explicitement, le but de la direction du PS est de donner l’impression qu’elle fait quelque chose, alors qu’elle ne fait rien.

    Absolument rien.

    Où l’on reparle de la pathétique querelle de ménage Hollande – Royal, etc. Je vous épargne cette partie du bouquin, parce qu’on ne tire pas sur une ambulance en panne.

    3.1.3 - Zéro ambition

    En fait, le choix du PS est tout simplement de gagner les collectivités locales (fromages, assiette au beurre, yabon copinage) tout en laissant la droite d’affaire gérer l’implosion de la société française. Le PS, c’est un parti centré sur la lutte des places. Au point que PL juge possible qu’un jour, l’UDF de Bayrou remplace le PS comme « force de gauche » – conclusion qui, je l’avoue, me ferait bien rire…

    3.2 - Vers un nouveau mai 68 ?

    PL voudrait que le PS porte un projet de société, et même qu’il travaille avec le SPD pour construire un véritable projet européen. Pour sortir ce parti cataleptique de son sommeil, il appelle de ses vœux une sorte de « mai 2008 bis » – avec, en arrière-plan, l’idée qu’une gauche « remise en mouvement » pourrait enfin surmonter ses divisions. Au besoin, il envisage de lancer un mouvement sur le modèle du très drôle « Vaffanculo day » inventé par l’acteur italien Beppe Grillo (chaque semaine, des milliers de personnes s’assemblent pour dire à la classe dirigeante d’aller se faire f… Une sorte de manif anti-CPE permanente, si vous voulez).

    Une suggestion en forme de provoc à deux balles, à mon avis bien révélatrice de la crise de nerfs qui guette le Parti Socialiste !

    4 - MES CRITIQUES

    PL est un économiste visiblement sérieux, qui creuse ses sujets et sait de quoi il parle. Mais je formulerais deux critiques lourdes : une vision trop limitative, une certaine ignorance des rapports de force.

    4.1 - Une vision trop limitative

    4.1.1 - Tout l’Occident est en crise

    Tout à sa volonté de rédiger un « livre noir du libéralisme », PL a tendance à oublier que le modèle d’économie mixte à la Française reproduit largement les errements du néolibéralisme mondialisé (à petite échelle, il est vrai). Remarque : la dette publique française est de 70 % du PIB officiellement, probablement 160 % si l’on réintègre les retraites par répartition (et il faut les réintégrer, parce que c’est bel et bien une traite sur l’avenir, donc une dette). Par des voies différentes de celles des USA (endettement caché par les retraites plutôt que dette privée), nous avons en fait pratiqué à peu près la même politique qu’eux.

    Au fond, c’est toute une civilisation qui est en crise, et cette crise ne renvoie pas seulement à la question du libéralisme. Cela, le mondialisme néolibéral, ce n’est que la forme principale prise actuellement par une crise beaucoup plus globale (au sens de : qui concerne tous les domaines en tous lieux).

    4.1.2 - La question identitaire

    Limitatif, PL l’est aussi en ignorant complètement la question identitaire en France et en Europe. Son monde semble peuplé d’ « homo economicus » mathématiquement égalisés. Cet angle mort lui fait, parfois, manquer des éléments de diagnostic cruciaux. Par exemple, il s’étonne du différentiel de performance entre le système éducatif finlandais et le système français. Mais à aucun moment, il ne s’intéresse à la diversité ethnique respective des deux pays…

    PL semble persuadé que l’homme est indéfiniment modelable par le système social. Il croit que le niveau de compétence académique moyen a fortement augmenté en France, puisque, dit-il, les effectifs de l’enseignement supérieur ont augmenté. Et de toute évidence, il s’imagine qu’une nouvelle hausse ferait semblablement monter le niveau. Tout cela paraît bien théorique, déconnecté du réel. PL vit dans un monde économétrique, mathématisable – le monde de Jacques Attali, la conscience en plus.

    PL ne semble pas remarquer que la catastrophe qu’il décrit prend forme au moment précis où l’Occident comme civilisation implose démographiquement, culturellement, politiquement. Il ne pose à aucun moment la question du lien éventuel entre la « mauvaise croissance » étatsunienne et l’individualisme organique américain, paroxysme de la modernité bourgeoise. Il y a, de toute évidence, un refus chez PL de voir dans sa globalité la question contemporaine, d’élever cette question jusqu’à remettre en cause la finalité même de l’expérience sociale, telle que le matérialisme contemporain la formule.

    4.1.3 - Une crise de civilisation

    PL ne voit que l’aspect économique des problèmes. La question civilisationnelle n’est qu’effleurée dans son essai – il constate que l’un des blocages en matière de réduction du temps de travail, c’est que le travail est devenu un des divertissements qui permettent à l’homme occidental contemporain de se fuir. Mais comment faire cesser cette fuite ? – A cette question, PL ne tente même pas de répondre.

    C’est pourquoi, s’il a bien vu que le néolibéralisme est une pathologie, il ne cherche pas à remonter jusqu’à la cause profonde de cette pathologie. PL parle du point de vue de quelqu’un qui veut continuer à faire fonctionner un système sur le point d’entrer en crise fatale – mais mon avis, mon avis à moi, je l’avoue, c’est que ce système est la crise. En lui-même.

    Derrière la catastrophe prévisible qui marquera l’implosion cataclysmique du modèle mondialiste néolibéral, il y a, à mon humble avis, la faillite d’un mode de pensée systématique et désincarné (Hobbes), individualiste et dualiste (Descartes), matérialiste et amoraliste (Adam Smith). La reproduction presque trait pour trait du désastre de 1929, reproduction qui semble bel et bien être au programme de la prochaine décennie, confirme que la crise du modèle occidental moderne est structurelle, qu’elle ne pourra que se reproduire à intervalles réguliers, et que seule l’existence d’un contrepoids puissant (l’URSS entre 1945 et 1985) a permis temporairement de borner les tendances auto-amplificatrices de ce système incohérent, spontanément porté à opérer une division de l’humanité entre détenteurs du capital et masses aliénées.

    4.2 - Une certaine ignorance des rapports de force

    La vision limitative adoptée par PL l’empêche de formuler une réponse à sa propre critique en termes de rapports de force effectifs. PL pense, ou affecte de penser, que la catastrophe latente qu’il décrit dans la première partie de son essai n’est que l’incidence fâcheuse d’une politique conduite par des inconscients. Vision rassurante, mais que rien ne vient étayer…

    Il existe une vision alternative à celle de PL. Selon cette vision, la violence faite aux peuples par le mondialisme néolibéral n’est pas le prix à payer pour le déploiement du système économique en tant que finalité : c’est le système économique qui est au contraire le moyen, et la violence qui est le but. Dans cette optique, l’idéologie mondialiste néolibérale est un outil, outil qui permet d’exercer une violence délibérée sur les peuples, violence qui constitue la fin dernière du pouvoir.

    Cette question du caractère volontaire de la crise, question que PL refuse d’aborder, est pourtant centrale. Si l’optique alternative est la bonne, alors il ne sert à rien d’expliquer à la classe dirigeante euromondialiste que sa politique nous conduit au désastre : ça ne sert à rien, parce que dans cette hypothèse, la classe dirigeante veut le désastre. Donc, dans cette hypothèse, il ne s’agit pas de convaincre les dirigeants de l’utilité d’une politique réformiste, il s’agit de préparer leur renversement, ou tout au moins de construire un rapport de forces qui les obligera à des concessions.

    Enfermé dans son positionnement d’économiste perturbateur au sein de la gauche dite réformiste, PL s’interdit de poser les vraies questions, en particulier dans la troisième et décisive partie de son bouquin. D’où vient en réalité le blocage qu’il dénonce ? Et si, en avouant que le politique est impuissant, les hiérarques du PS ne faisaient que dire la vérité ?

    Avec la disparition de la menace soviétique et la déconstruction méthodique des faits nationaux, donc des nations, donc des peuples, donc des masses populaires en tant que collectivités soudées capables de prendre conscience d’elles-mêmes comme forces agissantes, avec aussi le déplacement des capacités d’intégration logistique depuis les organisations territoriales vers les organisations non territoriales, les mondialistes néolibéraux se retrouvent en situation de toute puissance : voilà le vrai problème.

    PL ne se demande pas ce qu’est l’Europe de Bruxelles, ce qu’est sa nature. C’est quoi, cette Europe de Bruxelles qui ne réagit pas quand les USA organisent, par leur politique de change, la désindustrialisation de leur principal concurrent géostratégique ? Les USA se sont auto-désindustralisés, et à présent ils exportent leur modèle... Est-ce que cette Europe de Bruxelles est une expression de la souveraineté européenne ? Ne serait-ce pas plutôt un proconsulat de l’empire mondialiste ? – Poser la question, c’est y répondre. En proposant de renforcer l’échelon européen avant d’avoir traité cette question de la souveraineté, PL prend le risque de renforcer l’ennemi qu’il croit combattre. A quoi ça sert de faire enfin fonctionner l’Europe, si l’Europe n’est pour finir qu’un auxiliaire de l’empire ?

    Faute de poser ces questions fondamentales, PL se condamne à tourner autour du pot, sans jamais s’en approcher vraiment. Son « mai-68 bis » ne convaincra personne. Qu’est-ce qui se passerait si le peuple de France descendait dans la rue ? – Ma foi, il y trouverait sans doute le sous-prolétariat violent qui s’est déjà défoulé lors des manifs anti-CPE, en 2006, et dans l’hypothèse où cela ne suffirait pas à faire sagement rentrer la classe moyenne inférieure à la maison, on peut supposer que l’oligarchie n’hésiterait pas à faire monter le niveau de violence interethnique jusqu’au point où une reprise en main autoritaire du pays deviendrait possible – au nom, bien entendu, de la tolérance et des Droits de l’Homme.

    PL se croit en démocratie alors qu’il n’y a plus de peuple : voilà son problème. PL veut sauver la gauche réformiste, alors que le Capital n’a plus aucune raison de se réformer : voilà son impasse. PL veut croire que la classe dirigeante souhaite l’égalité, alors qu’elle veut l’inégalité, l’injustice même. PL veut réveiller le PS, lui enseigner ce qu’il ne sait pas. Mais je crains, moi, que les dirigeants du PS n’aient hélas compris, de leur côté, quelque chose que PL, malgré toute sa science, malgré toute sa finesse, n’a fait qu’entrapercevoir…
    Michel Drac http://www.scriptoblog.com

  • Yvain ou le Chevalier au Lion

    Un roman mythologique

    Du merveilleux au mythe, la distance n'est pas très grande d'autant que les deux domaines procèdent d'un même univers originel. Le Chevalier au lion est riche d'épisodes mythiques dans le sens le plus immédiat du mot. La mythologie peuple ses récits d'êtres monstrueux, de combats prodigieux contre des géants, d'exploits hors du commun réservés à des êtres d'élite. Yvain accomplit justement les épreuves héroïques classiques du héros parfait. Il affronte des adversaires multiples ou des personnages monstrueux avec une déconcertante énergie. L'adversaire est unique lorsqu'il s'agit du géant Harpin de la Montagne, sombre brute sanguinaire et perverse. L'adversaire est double lorsqu'il s'agit des deux fils du netun, les invincibles champions du seigneur de la Pire Aventure. L'adversaire est triple enfin lorsqu'il s'agit des trois chevaliers félons qui ont injustement accusé Lunette d'un crime qu'elle n'a pas commis.

    Ces exploits tirent leur caractère mythique de la nature même des adversaires affrontés. L'adversaire monstrueux ou triple est typique des mythes d'initiation à la guerre dans la mythologie indo-européenne. Le mythologue Georges Dumézil a montré l'importance du motif du combat contre trois adversaires. Il y voit un thème fondamental dans l'initiation guerrière du héros indo-européen. Dans le cas des netuns, les adversaires monstrueux ne sont que deux mais leur nature mythique est bien rappelée par leur nom : netun vient peut-être de Neptunum. Dans le sillage de ce nom, il faut placer les rites en l'honneur de Neptune (les Neptunalia dont parle Georges Dumézil) et qui concernent précisément les eaux dangereuses et caniculaires qui sont apparues au début du roman avec la furieuse tempête. Avec Harpin de la Montagne, réapparaît une figure classique de monstre mythique et prédateur : un géant dont le caractère ogresque est renforcé par le fait qu'il vient régulièrement chercher une pâture humaine pour satisfaire ses appétits pervers. On songe naturellement au Morholt de la légende tristanienne ou au Minotaure grec.

    On notera que ces trois combats sont concentrés dans la deuxième partie de l'oeuvre. Lors de ces luttes, le chevalier est toujours assisté de son lion qui semble faire corps avec lui. De ce fait, Yvain et son lion ne font qu'un. Il s'agit de deux personnages en une seule et même figure : l'un est la métaphore de l'autre. Les miniatures médiévales n'auront aucun mal à déduire la nature héraldique de ce lion : Yvain est toujours représenté avec un écu au lion. Dans l'adaptation islandaise du Chevalier au Lion, le lion d'Yvain est qualifié de berserkr. C'est dire qu'il est un guerrier-fauve, un guerrier "à chemise d'ours", pour reprendre une expression classique de la littérature scandinave que traduit justement le terme berserkr. En fait, Yvain tient lui-même du guerrier-fauve, ce parfait animal de combat, comme le soulignent les métaphores du texte, mais la présence d'un lion à ses côtés vient humaniser et relativiser la violence de son comportement en reportant sur la bête la terrifiante force aveugle qu'il a su désormais maîtriser. L'épisode de la folie sauvage d'Yvain témoigne sans doute de l'état de fureur propre au guerrier-fauve. Les récits mythologiques représentent cette colère et cette fureur transfigurantes caractéristiques du héros indo-européen. Cette frénésie qui correspond réellement à la folie d'Yvain constitue une étape importante dans l'initiation guerrière du héros. Dans sa période de rage et de fureur, le futur héros se confond littéralement avec l'homme-fauve. Il échange sa nature contre celle d'un ours, d'un loup ou d'un chien dont il prend directement l'apparence.

    Dans la première partie du roman figure un autre épisode dont le caractère mythique est évident. Il s'agit de la coutume de la fontaine. On a depuis longtemps souligné le caractère traditionnel de cet usage qui s'apparente à de vieux rites pour obtenir la pluie, particulièrement lors des périodes de grosse chaleur. Verser un peu d'eau sur la pierre qui borde la fontaine entraîne un véritable déluge et un orage terrifiant. Le rite pratiqué autour de la fontaine de Barenton dans la forêt de Brocéliande est probablement un reste de vieux cultes néolithiques, antérieurs au monde indo-européen. Il confirme le lien d'Yvain avec la mythologie de la canicule puisque c'est la période au cours de laquelle les orages sont les plus dangereux. Mais la canicule est aussi la période zodiacale du Lion, signe emblématique d'Yvain. 

    Chevalier-lion

    En posant d'emblée la figure du lion comme emblème de son héros Yvain, Chrétien de Troyes privilégie une figure symbolique riche de sens. Incarnant traditionnellement la bravoure, la fierté et la force, le lion résume bien les vertus que l'on s'accorde volontiers à reconnaître à Yvain. Compagnon d'armes du chevalier, le lion se confond avec lui au point que les deux êtres échangent leurs personnalités. D'une part, Yvain est comparé à un lion. D'autre part, le lion tient parfois le rôle d'Yvain. Il devient même un personnage à part entière, pourvu des mêmes réactions et sentiments qu'un humain, par exemple lorsqu'il tente de se suicider. Le lion d'Yvain est sans nul doute le premier modèle d'un personnage animal humanisé dans la littérature française : audacieuse tentative d'un écrivain inventif. Il faut relire les passages où apparaît le lion pour comprendre comment Chrétien a su humaniser cet animal a priori terrifiant.

    Dans le roman, le lion est un animal guerrier qui s'apparente et se substitue à la figure plus archaïque de l'ours. Comme l'a montré Michel Pastoureau, spécialiste de l'héraldique, c'est vers le milieu du XIIè siècle que se produit une mutation importante dans l'histoire des symboles : l'ours qui est alors considéré comme le roi des animaux est remplacé par le lion. Le roman de Chrétien de Troyes se place donc au moment où l'ours tend à devenir lion sous l'influence de modèles antiques gréco-latins. Avant d'être un chevalier au lion, Yvain a sans doute été un chevalier à l'ours, à l'instar d'Arthur qui porte justement le nom celtique de l'ours (art). Rappelons en effet qu'en ancien français le nom du roi est Artu(s) et on n'aurait aucun mal à trouver des héros antiques qu'une relation archaïque au lion a pour ainsi dire portés vers un statut mythique. Le plus célèbre de ces héros est sans conteste Héraclès, toujours associé au lion qui rappelle l'un de ses exploits. Il revêt sur ses épaules en effet la peau du lion de Némée qu'il a tué dans un de ses célèbres travaux. À travers cette peau qui lui sert d'emblème, il s'est approprié la force mythique du lion. Il est devenu un homme-lion. Yvain est une sorte d'Héraclès celtique. Lui aussi accomplit des exploits sans toutefois tuer le lion qui va devenir son emblème. Au contraire, le lion deviendra son compagnon après avoir été sauvé de l'étreinte mortelle du serpent. Notons ici que, dans la langue médiévale, serpent désigne plutôt un dragon qu'un simple serpent (c'est bien ainsi que le représentent les miniaturistes du Moyen Âge). Son analogue serait plutôt la tarasque vaincue par sainte Marthe dont le nom rappelle celui de l'ours (art dans les langues celtiques) et dont la fête tombe le 29 juillet en pleine période caniculaire. Si le Chevalier au Lion tue le dragon en présence d'un lion, on peut assurément traduire cet épisode en termes de calendrier : Yvain est bien un héros de la canicule. Il accomplit son exploit lorsque le soleil est dans le signe du Lion et il tire de cet exploit son surnom. La mythologie chrétienne du Moyen Âge conserve dans le calendrier la mémoire du mythe celtique fondateur sur lequel est construit le roman de Chrétien. C'est ce que Nathalie Stalmans appelle avec raison les "affrontements des calendes d'été dans les légendes celtiques". Ce mythe se retrouve aussi bien dans les légendes hagiographiques que dans plusieurs récits hérités du monde celtique.

    Le lien entre Yvain et le lion serait ainsi de nature zodiacal. Il soulignerait le caractère solaire du héros qu'il partage d'ailleurs avec Gauvain dont il est le cousin germain mais il renverrait aussi à sa date de naissance. Il existe un texte irlandais racontant la naissance mythique d'Yvain/Owein. On y apprend que le héros a été engendré, près du gué de l'Aboiement, lors d'une nuit de Samain (autrement dit le 1 novembre). Par conséquent, il naît neuf mois plus tard, le 1er août, jour de Lugnasad (fête du dieu solaire Lug) dans le calendrier celtique. Ainsi, le signe du Lion (du 22 juillet au 23 août) est le signe zodiacal d'Yvain. Natif du Lion, Yvain est un enfant du soleil car le soleil possède son domicile astrologique dans le seul signe du Lion. La présence d'un lion aux côtés d'Yvain n'est plus alors un simple hasard. Il rappelle le caractère solaire du héros. Il préfigure aussi son destin héroïque et royal. Il est admis en effet dans la tradition astrologique que le signe du Lion est un signe d'excellence puisqu'il est lié à l'astre le plus puissant : le soleil.

    Dans l'interprétation traditionnelle de l'Antiquité, le signe du Lion est le signe royal par définition. Macrobe (que Chrétien de Troyes connaissait fort bien puisqu'il le cite au v. 6730 d'Érec et Énide) était un grammairien latin du début du Vè siècle après Jésus-Christ. Il était l'auteur d'un commentaire à la fois mathématique, astronomique et mythologique sur le Songe de Scipion de Cicéron. Ce Commentaire sur le Songe de Scipion développe une idée essentielle que les érudits du Moyen Âge devaient méditer. La Voie Lactée (dont on sait qu'elle apparaît lorsque le soleil est dans le signe zodiacal du Lion) est la voie des héros. Tout personnage qui aurait un lien avec cette Voie Lactée ne pourrait être que prédestiné à un destin d'exception. C'est bien le cas d'Yvain porté vers sa destinée royale par ce signe exemplaire. De très nombreuses sculptures de l'époque romane illustrent les thèmes de cette mythologie solaire où les figures bibliques et gréco-romaines rejoignent les grands thèmes celtiques.

    À partir d'une mythologie qu'il hérite du monde celtique et qui exploite quelques grands motifs mythiques liés à la période de la canicule (signe zodiacal du Lion), Chrétien de Troyes livre dans le Chevalier au Lion un nouveau mythe adapté au monde chrétien et courtois du Moyen Âge. Ce mythe est celui du chevalier-roi, modèle de toute perfection, qui s'élève vers une souveraineté royale et amoureuse à la fois. Dans l'évolution de l'écriture romanesque de Chrétien de Troyes, ce roman expérimente une véritable esthétique du symbole, comme l'a montré Daniel Poirion. À partir des éléments que lui livre la tradition orale des Celtes, Chrétien cherche à créer un personnage qui serait une référence suprême en matière d'héroïsme. Le symbolisme zodiacal lui sert à suggérer l'image d'un héros solaire capable de rivaliser avec ses glorieux ancêtres antiques. Yvain, sous les traits du héros, incarne la perfection de la chevalerie courtoise : ardent défenseur des faibles et des opprimés, il est le chevalier sans reproche qui donne désormais à la chevalerie une mission morale qui prépare de loin la chevalerie céleste des futurs romans en prose du Graal. En s'imposant comme l'un des meilleurs chevaliers du monde, il devient un repère mythique pour la chevalerie courtoise car il relève un défi nouveau. Si, dans la tradition occidentale, le héros est surtout un être qui ne s'accomplit que dans une mort exemplaire, à travers Yvain, c'est la vie qui est exaltée. La fatalité inhérente à la figure héroïque (et que Tristan assume dans sa mort d'amour), Yvain l'exorcise en s'engageant sur une voie qui éloigne le pessimisme tragique du destin pour rechercher l'optimisme radieux de la volonté. Séduit par l'éclat du symbole léonin, le romancier champenois réalise ainsi une synthèse magnifique du héros qui concentre toute la richesse de la tradition mythologique résumée dans un double héritage celtique et gréco-latin. En même temps, il élabore une réflexion originale sur l'héroïsme chevaleresque et courtois en incarnant le modèle troubadouresque du fin amant dans une figure où "avec le Lion, le soleil et la raison brillent sur l'héroïsme".

    Professeur à l'université de Grenoble

  • Colonisation: l’historien Daniel Lefeuvre remet les pendules à l’heure

    Retour sur un extrait d'émission remontant à 2009. Sur le plateau animé par Franz-Olivier Giesbert figurent Daniel Lefeuvre, Nicolas Dupont-Aignan, Jack Lang et Houria Bouteldja.

    Lang, Bouteldja et même Giesbert font visiblement grise mine face aux connaissances historiques et à l’argumentation de Daniel Lefeuvre qui se voit soutenu par Nicolas Dupont-Aignan.

    http://www.francepresseinfos.com/

  • 19 décembre 1946 Première guerre d'Indochine

    Le 19 décembre 1946, le parti communiste vietnamien de Hô Chi Minh lance une insurrection générale contre le colonisateur français à Hanoï et dans tout le Tonkin. C'est le début de la première guerre d'Indochine... et de trois décennies de conflits quasi-ininterrompus qui vont mettre le Viet-Nam et les autres pays de la région à feu et à sang.

    Le drame puise sa source dans la défaite de la France face à l'Allemagne, l'occupation de ses colonies d'Indochine par le Japon et la volonté du général de Gaulle, à la Libération, de réoccuper l'Indochine pour l'honneur du drapeau, cela au moment même où les autres puissances coloniales abandonnaient leurs colonies d'Asie (Indes et Birmanie pour l'Angleterre, Indonésie pour les Pays-Bas).

    Joseph Savès.
    La reconquête française

    Le 24 mars 1945, alors qu'il s'apprête à prendre le pouvoir en France, le général de Gaulle déclare son intention de restaurer l'autorité de la France en Indochine.

    Cette déclaration intervient quinze jours après l'humiliant «coup de force du 9 mars» par lequel les Japonais se sont emparés des leviers de commande en Indochine et ont capturé, voire massacré, les Français présents sur place.

    Le chef de la France libre veut prendre de court ses alliés anglo-saxons qui lorgnent sur l'Indochine comme le montrera leur décision, à Potsdam, d'en confier l'administration aux Chinois et aux Britanniques, à l'exclusion des Français.

    De Gaulle projette d'établir une fédération de colonies et de protectorats qui comprendrait les trois provinces du Viêt-nam (les trois Ky : Tonkin, Annam et Cochinchine) ainsi que le Cambodge et le Laos. Le 14 août 1945, il nomme l'amiral Thierry d'Argenlieu gouverneur général de l'Indochine ; farouche partisan de la colonisation, l'homme a aussi la réputation d'être rigide et cassant.

    Les événements se précipitent. En septembre 1945, sitôt après la capitulation du Japon, Hô Chi Minh, chef du parti communiste vietnamien, le Vietminh, proclame unilatéralement la République démocratique du Viêt-nam.

    Dans le même temps, un corps expéditionnaire débarque à Saigon sous le commandement du général Leclerc. Celui-ci serait partisan de négocier avec le Vietminh mais pour son supérieur hiérarchique d'Argenlieu, il n'en est pas question.

    Fonctionnaires et militaires français se réinstallent sans trop de mal en Cochinchine, où le Vietminh est quasiment absent. Là-dessus, Leclerc engage non sans succès la reconquête du nord.

    Échec des négociations et insurrection

    Mais de Gaulle quitte le pouvoir en janvier 1946... Le nouveau gouvernement comprend l'inanité d'un maintien de la France en Indochine. Il prépare un accord avec les Vietnamiens en vue de reconnaître leur indépendance, suivant l'exemple des Britanniques qui s'apprêtent à quitter leur colonie des Indes.

    Paris bénéficie d'une circonstance favorable : Hô Chi Minh, à Hanoï, craint une mainmise de ses voisins chinois et se montre disposé à composer avec les Français. C'est ainsi que le négociateur Jean Sainteny et Hô Chi Minh signent les accords du 6 mars 1946. Ils reconnaissent un État libre du Viêt-nam au sein de l'Union française.

    Une conférence se réunit à Fontainebleau, en présence d'Hô Chi Minh lui-même, en vue de préciser les contours de l'indépendance de l'Indochine. Un référendum est prévu pour l'union des trois Ky. Mais la conférence se prolonge indéfiniment, les protagonistes jouant la montre.

    Elle va tourner court en raison d'un premier incident qui survient le 19 novembre 1946. Ce jour-là, une fusillade se produit dans le port de Haïphong entre une jonque chinoise et la douane française. À bord de la jonque, des nationalistes vietnamiens transportent de l'essence de contrebande. La fusillade dégénère et fait 24 morts. Parmi eux le commandant Carmoin qui s'avançait avec un drapeau blanc vers les Vietnamiens de la jonque.

    L'incident de la jonque chinoise est aussitôt exploité par les partisans d'une reconquête de l'ancienne colonie, au premier rang desquels figure l'amiral Thierry d'Argenlieu.

    Avec le soutien du ministre des Affaires étrangères Georges Bidault, l'amiral veut au moins conserver Saïgon et la Cochinchine à la France et il s'oppose ouvertement à Leclerc et Sainteny. En contradiction avec les accords du 6 mars, il décide de rompre l'unité des trois Ky du Viêt-nam en créant une Cochinchine indépendante affidée à la France.

    Une guerre pour rien

    Pour imposer leur solution au Vietminh et rétablir leur autorité sur une partie au moins de l'Indochine, les militaires décident de recourir à la bonne vieille «diplomatie de la canonnière» héritée du siècle précédent.

    Le 23 novembre 1946, à l'instigation de l'amiral d'Argenlieu, trois avisos du colonel Debès bombardent le port de Haïphong. Brutale, l'attaque aurait fait 6.000 morts ! L'événement passe inaperçu de la métropole et notamment du chef du gouvernement, le socialiste Léon Blum, qui n'en perçoit pas la gravité. Mais sur place, il n'en va pas de même. L'agression lève les derniers hésitations de Hô Chi Minh.

    Le 19 décembre suivant, son parti, le Vietminh, lance une offensive générale contre les Français. La centrale électrique de Hanoï est détruite, les rues barrées, les magasins et les maisons d'Européens attaqués... On compte pas moins de 400 victimes, morts et disparus, parmi les colons.

    Le lendemain, après le massacre, l'«oncle Hô», surnom affectueux que donnent les communistes à leur chef, publie une déclaration sans ambiguïté : «Luttez par tous les moyens dont vous disposez. Luttez avec vos armes, vos pioches, vos pelles, vos bâtons. Sauvez l'indépendance et l'intégrité territoriale de la patrie. Vive le Vietnam indépendant et indivisible. Vive la démocratie » (*). Aussitôt, Hô Chi Minh entre dans la clandestinité et son général Giap forge une armée de 60.000 hommes pour chasser les Français.

    L'opinion française se montre indifférente à cette guerre coloniale qui débute, quand elle ne s'y oppose pas par des manifestations violentes contre les convois de soldats, voire de blessés rapatriés d'Indochine.

    Il est vrai que les combattants du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) ne sont pas des conscrits mais des militaires de métier, des volontaires des colonies d'Afrique et d'Asie et des soldats de la Légion étrangère, y compris de jeunes Allemands, orphelins de la Wehrmacht, à l'égard desquels l'opinion publique se sent peu d'affinités.

    Rien de tel du côté vietnamien. Les communistes bénéficient du soutien de la population et s'assurent la maîtrise de la plus grande partie du Tonkin.

    Insuccès français

    Les Français tentent de restaurer un semblant de protectorat ou d'«État associé à l'Union française» en installant à sa tête l'ancien empereur de l'Annam, Bao-Daï. Leurs calculs sont mis à mal par la victoire des communistes à Pékin, le 1er octobre 1949. Le nouveau maître de la Chine, Mao Tsé-toung, ne va plus dès lors ménager son soutien logistique à Hô Chi Minh.

    En contrepartie, les diplomates américains, favorables au commencement à Hô Chi Minh, le lâchent lorsqu'eux-mêmes sont amenés à repousser une attaque communiste en Corée, en juin 1950. Ils décident dès lors de soutenir massivement l'effort de guerre de la France.

    Devant la difficulté de tenir les confins sino-indochinois, l'armée française décide de les évacuer. L'opération se solde à Cao-Bang, en octobre 1950, par de lourdes pertes (7.000 victimes sur un effectif de 8.000 hommes).

    En décembre 1950, le prestigieux général Jean de Lattre de Tassigny reprend les choses en main et redresse la situation. Mais, malade et accablé par la mort au combat de son fils unique, lieutenant en service au Tonkin, le «roi Jean» s'éteint à Paris le 11 janvier 1952.

    Son successeur intérimaire, le général Raoul Salan, futur putschiste d'Alger, poursuit avec un certain succès et malgré des moyens mesurés le travail de «pacification». Il installe dans les montagnes, au coeur des zones ennemies, des camps retranchés ou «hérissons» sur lesquels viennent se briser les offensives du général Giap. Il remporte ainsi un franc succès à Na Sam en décembre 1952 puis dans la plaine des Jarres.

    Mais, le 8 mai 1953, les aléas de la politique parisienne portent le général Henri Navarre à la tête du corps expéditionnaire , en remplacement de Salan. Le nouveau commandant en chef dispose de 250.000 hommes (près de 450.000 avec les troupes indochinoises).

    À Paris, les responsables politiques estiment que la guerre, officiellement qualifiée d'«opérations de pacification», n'a que trop traîné et qu'il est temps pour la France d'y mettre un terme, en se retirant du Viêt-nam, si possible avec les honneurs.

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