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culture et histoire - Page 1985

  • Bagdad aujourd'hui (arch 2011)

    Depuis les élections législatives de mars 2010, aucune majorité claire ne s'était imposée. L'Irak s'enlisait dans une impasse politique, paralysé par le jeu des coalitions. Le 21 décembre 2010, un nouveau gouvernement a enfin été formé ; il est dirigé par l'ancien premier-ministre chiite Nuri al-Maliki. À présent, sans trop y croire, le peuple irakien voudrait échapper aux affres d'une guerre civile.
    CHAQUE OCCIDENTAL A UN PRIX
    La nécessité de donner un mot de passe pour entrer dans un hôtel irrite les étrangers qui séjournent à Bagdad. « Toutes ces précautions sont prises pour éviter d'éventuelles agressions ou des enlèvements ». L'homme qui dit cela porte l'invraisemblable nom de Tex Dallas. Il est un ancien membre des unités spéciales des forces britanniques (SAS) et dirige un hôtel qui héberge des journalistes. Le ministre irakien du Tourisme rapporte qu'en 2009, soixante-treize étrangers se sont rendus dans la capitale irakienne. Ce chiffre ne prend pas en compte les pèlerins iraniens visitant les tombeaux chiites du sud du pays. L'année précédente, le ministère avait délivré sept visas de tourisme. T. Dallas expose que « c'est mieux de ne pas rester longtemps à Bagdad.  Selon les agents de sécurité, chaque Occidental porte une étiquette à six chiffres au-dessus de sa tête ».
    Il y a quatre mois, les forces de coalition conduites par les États-Unis ont officiellement mis fin aux combats, et Maliki s'est constitué une majorité avec l'aide des Kurdes et du terroriste Moqtada al-Sadr. Le 5 janvier 2011, après un exil volontaire de trois ans en Iran, le prédicateur chiite est retourné en Irak, où une foule de trois mille personnes l'a acclamé. Aux dernières élections, son parti Sadrist Trend remporta quarante sièges. Sur quarante-deux ministres que compte l'actuel gouvernement, seulement vingt-neuf sont assermentés. Les Sunnites ont voté en grande partie pour la liste d'Iyad Allaoui, chef du gouvernement par intérim de 2004 à 2005. Avec près de 25 % aux élections législatives de mars 2010, sa formation politique, le Mouvement national irakien, est la plus importante. Le long blocage du parlement a ruiné tout essor politique. Car pendant 289 jours, l'Irak était régi par une bande de marionnettes et de parvenus assoiffés de pouvoir.
    "LES POLITICIENS INFECTENT DE LEURS VIRUS LA JEUNESSE"
    Le premier Reality-Show diffusé après le retrait des Américains « Put him to Camp Bucca » (Mets-le à Camp Bucca) est produit à Bagdad. Camp Bucca était, en Irak, une des prisons américaines les plus dures. Elle a dû fermer en 2009, après plusieurs scandales. Cette émission est une sorte de caméra cachée faisant croire à des scénarios de faux attentats. Le producteur, Nadchim al-Rubai, explique : « Nous voulons que les téléspectateurs rient d'Al-Qaïda ». Ce programme est un des plus populaires. Rubai hait les Américains : « Les occupants ont détruit Bagdad et offert le pays à l'Iran. Ils ont aussi volé nos trésors culturels, fait un million de martyrs et donné le pouvoir à des politiciens incompétents ». Rubai anime une autre émission, « Au cœur de Bagdad ». Il conduit une voiture émettrice sur les places de la ville et interroge ses compatriotes. Un homme en larmes raconte que son fils a été condamné à quinze ans de prison parce qu'il avait volé de la nourriture ; et que, faute d'argent, il n'a pu corrompre la police. « La réalisation de cette émission est dangereuse. Mais nous voulons montrer que les Irakiens rêvent d'une vraie vie. Nous en avons ras le bol des sectes. Nous sommes une nation et les politiciens infectent de leurs virus la jeunesse et les personnes faibles ».
    Des carcasses de voitures calcinées bloquent les rues. Tous les cinquante mètres, des sentinelles années montent la garde derrière des abris de fortune. Dans le quartier "huppé" d'Al-Mansur (du nom du calife abbasside qui fonda Bagdad au VIIIe siècle), les décombres d'une bombe ont été amassés. Seuls les alentours du magasin d'automobiles Dodge-Jeep-Chrysler ont été nettoyés. Dans les quartiers chrétiens, l'exode continue. Sur les trottoirs s'empilent des cartons, des réfrigérateurs, des ventilateurs, des téléviseurs et des chauffe-eau. Et parce que la ville ne peut satisfaire le besoin croissant en électricité, les générateurs privés abondent. Les exploitants de ces installations bruyantes sont devenus riches. Des boîtes à fusibles sont reliées à de nombreux câbles passant par des fenêtres ou attachés à des palmiers.
    DES MERCENAIRES ETRANGERS ASSURENT LA SÉCURITÉ
    Par peur des bombes, les voitures ne sont jamais laissées sans surveillance : Al-Qaïda peut y dissimuler des charges qui explosent par un procédé télécommandé ou à l'aide d'un téléphone portable quand le véhicule franchit un point de contrôle. Cette méthode permet de faire l'économie d'un kamikaze. Le danger est devenu plus sournois. Il est désormais habituel d'envoyer des SMS à la maison pour savoir si tout va bien. La capitale babylonienne est cloisonnée par des murs de cinq mètres de haut servant de protection contre les explosions. Chaque quartier est devenu une fortification. Des mercenaires provenant d'Amérique latine ou du Caucase sont embauchés dans les casernes, les ministères, les bâtiments de l'administration publique. Ils accompagnent les visiteurs en les faisant passer par des sas de sécurité et des systèmes de détection sophistiqués. Le général de la police Faisal Malik Muhsin s'attache les services de ces hommes car les attentats-suicides sont organisés par des rebelles issus du monde arabe. Dans la circonscription de Rachid, ouest de Bagdad, il a trouvé un atelier préparant des voitures pour les attentats. Il avoue avoir de grandes difficultés à différencier les rebelles des terroristes, car « d'anciens officiers des services secrets du parti Baath peuvent être des criminels de premier plan ». Al-Qaïda se finance en grande partie par le racket, bien que depuis le départ des Américains les revenus aient encore régressé. L'été dernier, une banque a été attaquée par un commando de la mouvance Al-Qaïda. Chaque client a été exécuté. Le général Muhsin confie : « Nous avons suffisamment d'armes et d'hommes. Nous avons seulement besoin de compétence. Dans ce domaine, les Américains continuent de nous aider ». Un des instruments les plus remarquables de lutte contre le terrorisme est l'ADE 651. L'Advanced Détection Equipment ressemble à un pistolet équipé d'une antenne radio amovible. Les vigiles des points de contrôle en sont équipés pour détecter les véhicules piégés. D'après le constructeur, ce dispositif fonctionnant par électromagnétisme peut déceler de la drogue et des charges explosives à distance. Le ministère de l'Intérieur irakien a passé commande d'un millier d'ADE 651 pour 85 millions de dollars.
    Malgré la terreur, la jeunesse se retrouve dans des cafés ou au zoo. Les adolescents essayent de ressembler à des footballeurs espagnols et arborent fièrement des T-shirts noirs et étroits avec la photographie de Murat Alan. Cette célébrité du petit écran turc défend son pays contre la suprématie américaine. Dans les rues, les forces de sécurité sont omniprésentes. Elles ont de nouveaux uniformes et de puissants Pick-ups de marque Ford. En plus du labyrinthe constitué par les murs de protection, les Américains ont laissé dans les casernes des Humvees (véhicule tout-terrain), des hélicoptères abîmés ainsi que des baby-foot. Sur les points de contrôle, les vigiles imitent leurs formateurs. Ils posent avec la même nonchalance, mâchent du chewing-gum et portent un banda sur la tête à la manière des pirates avec des lunettes de soleil. « Les gardes semblent mieux qu'avant. Mais je ne leur fais pas confiance », rapporte Nabil al-Dschiburi, gardien du zoo de Bagdad qui a la lourde tâche d'empêcher les visiteurs de tracasser le lion Bachar. Ce fauve appartenait à Oudaï, le fils de Saddam Hussein tué en 2003 à l'âge de 39 ans par l'armée américaine. Dschiburi fait partie des rares personnes à regretter le départ des Américains. Il est persuadé que l'Irak va s'enfoncer dans une guerre civile.
    LE CHEIKH ET LES FILS DE L'IRAK
    Sur l'avenue Aboû Nouwâs, au bord du Tigre, les hôtels Palestine et Al-Mansur détruits par les bombardements, seront remis en état. L'ancien gouvernement a prévu 300 millions de dollars pour rénover les hôtels cinq étoiles. En mars 2011, la Ligue arabe se réunira à Bagdad. Quelques discothèques ont aussi été ouvertes ; « pour chasser le mal de tête », comme le dit en souriant Chalid al-Basri, propriétaire de la plus grande boîte, Al-Wafri. Bien qu'il ait soudoyé l'État, la police peut à tout moment faire fermer son affaire. Il déplore le chaos que le départ de l'US Army a engendré. De nombreux Irakiens ont collaboré avec l'occupant et font à présent l'objet de règlements de compte. Le cheikh, qui doit en partie son succès au général américain David Petraeus (qui avait mené l'offensive sur Bagdad en 2003), habite une villa aux allures de forteresse. Elle est située à proximité de la « zone verte », l'enclave la plus sécurisée de la capitale. Ali Hatim était le meneur des Fils de l'Irak, une milice recensant cent mille hommes qui en 2006 s'engagèrent dans l'armée irakienne et combattirent Al-Qaïda avec succès aux côtés des Américaines. « Nous avons réduit Al-Qaïda en morceau et avons exécuté chacun des prisonniers. A part nous, personne n'a fait cela », souligne le cheikh, « Al-Qaïda promettait à notre jeunesse un combat honorable. Mais c'était un combat contre notre tradition. Ils cherchaient à diviser les clans ». C'est pourquoi, les cheikhs sunnites ont changé de camp. « J'ai discuté une heure avec Obama, peu avant les élections [mars 2010] à Bagdad. Je lui ai suggéré de dialoguer tout d'abord avec les chefs religieux, ensuite avec les politiciens et avec les chefs de clan », relate Ali Hatim, dont la devise était : « Les Américains sont un autobus dont il m'est égal de connaître la vitesse. Le principal est qu'il avance et que je puisse y prendre place ». Mais pour l'heure, le bus a continué son trajet et le cheikh ainsi que les Fils de l'Irak sont restés sur place.
    Seulement une partie des Fils de l'Irak, soit quarante mille personnes, ont été incorporées dans l'armée régulière, et neuf mille occupent un emploi sur les points de contrôle. D'après le New York Times, les États-Unis pensent que des centaines d'anciens membres des Fils de l'Irak se sont laissés acheter par Al-Qaïda et alimentent la rébellion en divulguant des informations sensibles. « Je ne comprends pas la politique des États-Unis », affirme le cheikh. « Les généraux nous ont soutenus. Mais à Washington les politiciens nous ont vendus. Nous sommes exposés aux bandes iraniennes. Nous avons lâché un gangster [Saddam Hussein] et nous en avons accueilli des milliers d'autres. Les Américains ont détruit l'Irak pour l'offrir à l'Iran ». Pour les Fils de l'Irak, il ne voit non plus aucun avenir.
    L'IMPLANTATION DE LA TURQUIE
    Les Irakiens n'attendent plus rien de la politique. Safia Talib al-Suhail, qui appartient à la grande lignée des Tamim, organise des réunions avec des écrivains autour de lectures de poèmes. Elle est aussi une politicienne figurant sur la liste du Premier ministre Maliki. En 2005, George W. Bush avait même invité Suhail à Washington lors de son discours du « State of the Union ». Le président des États-Unis rend traditionnellement compte de la situation du pays à la nation à cette occasion. Les députés du congrès l'applaudirent et la soutinrent comme exemple du changement de régime. Aujourd'hui, elle déclare : « Je ne peux pas expliquer ce qu'il se passe avec les politiciens. Nous avons passé une longue période durant laquelle le pays ne fut pas gouverné. C'est une véritable honte ». Son cousin a été tué devant chez lui par des criminels n'ayant laissé aucun message, et son père est mort en exil, certainement assassiné par les services secrets de Saddam Hussein. La formation du nouveau parlement s'est fait attendre comme un spectacle politique grotesque car « l'Irak est écartelé entre les pressions de l'Iran, mais aussi de l'Arabie Saoudite et de l'ambassade américaine », commente-t-elle. La Turquie a également rejoint ce tiercé des nouvelles puissances entendant peser sur l'économie et la politique irakienne. « Des villes du nord en essor jusqu'aux champs pétrolifères du sud-ouest de Basra [la seconde ville], la Turquie assure une renaissance depuis la période de l'empire ottoman. Elle aspire maintenant à accroître son influence dans un Irak en pleine turbulence dans une démonstration de pouvoir qui illustre son poids grandissant à travers un monde arabe suspicieux », observe l'International Herald Tribune (1). La démocratie irakienne est donc bien devenue une bonne affaire pour tout le monde, sauf pour son peuple.
    L. B. Rivarol du 28 janvier 2011
    International Herald Tribune du 6/1/11 dans Iraqi cleric makes bold return from exile in Iran (Le clerc irakien fait un retour audacieux de son exil en Iran).
    International Herald Tribune du 5/1/11 dans Turkey's soft power opens doors in Iraq (Le pouvoir souple de la Turquie s'ouvre des portes en Irak).

  • 5 juillet 1830 : la prise d’Alger

    Il y a cent quatre-vingts ans, le 25 mai 1830, une flotte importante (plus de cent soixante-dix bâtiments de guerre et de commerce) transportant un corps expéditionnaire de 37.000 hommes quitte Toulon. Objectif : Alger. Il est bon de le préciser, Alger n'est pas alors la capitale d'une Algérie qui n'existe pas. Le terme Algérie n'apparaîtra que bien plus tard. Les historiens français dans leur majorité sont très prudents sur le sujet car, on le sait, l'histoire officielle de l'Algérie soutient qu'il y avait en 1830 une nation algérienne. En fait il y a bien un État à Alger mais c'est un État turc connu sous le nom de Régence d'Alger.

    UN ÉTAT TURC
    En principe il dépendait du sultan de Constantinople mais s'en était affranchi. Dirigé par un dey, il a duré presque trois siècles. Dans son livre (qui fut hélas son dernier) Histoire de l'Algérie 1830-1954, Editions (disparues) de l'Atlanthrope (Versailles, 1993), le professeur Xavier Yacono lui a consacré ses premiers chapitres. La célébrité de cette cité venait de la crainte voire de la terreur causées par ses corsaires, les fameux rais, qui empoisonnèrent la Méditerranée (prise des navires, butins, milliers d'esclaves chrétiens dans ses bagnes). Ce qui apportait une manne financière considérable au budget de la régence. À plusieurs reprises, la ville fut attaquée par des flottes diverses. La plus célèbre fut celle de Charles Quint. Ce fut un fiasco en raison d'une violente tempête. 
    Au XIXe siècle, la course a presque disparu. Ce qui posa un grave problème pour les finances du dey. Faute d'autre solution, on décida d'augmenter les impôts. Ce qui fut mal supporté par la multitude de tribus mal contrôlées qui peuplaient le territoire du dey. En jouant habilement sur leurs rivalités, la régence avait pu conserver sa domination. Mais son autorité était de plus en plus en plus contestée. D'autant qu'à Alger même, le pouvoir du dey était menacé par sa milice composée des fameux janissaires. Alger n'était plus la grande ville d'antan. Sa population était évaluée à 30.000 habitants voire plus et celle de la future Algérie à trois millions (estimations de Xavier Yacono). Dans leur immense majorité musulmans. Bref, cette régence qui a été définie par Charles André Julien (historien anti-colonial) comme une « colonie d'exploitation dirigée par une minorité de Turcs avec le concours de notables indigènes » était en décadence. Reste qu'Alger avait la réputation d'être imprenable…

    L'EXPÉDITION
    Ses causes en sont connues. C'est officiellement pour venger son honneur que la France s'en prend à Alger. Un honneur bafoué lorsque le dey d'Alger en 1827 a souffleté en public notre consul DevaI, un individu douteux d'ailleurs. À l'origine de l'affront une histoire très embrouillée d'un achat de blé par la France sous le Directoire. Et le versement par la France de sommes (4 millions de francs) que le dey n'a jamais touchées. Elles ont été négociées par deux juifs livournais, Jacob Bacri et Busnach, intermédiaires tous azimuts entre la régence et différents États (notamment pour le rachat des esclaves). Ils auraient reçu des acomptes de TalIeyrand qui aurait eu sa part. On comprend l'irritation du dey. En lui-même, l'incident n'est pas grave. Il s'est écoulé trois ans depuis 1827, mais il y avait déjà un contentieux entre les deux pays à propos d'un comptoir français, la Calle. Ça s'est envenimé et des navires de guerre français font le blocus d'Alger mais ce n'est qu'un pis-aller. En réalité, Charles X a besoin d'un succès en politique extérieure. Son régime est en difficultés face à une opposition libérale qui critique d'ailleurs le projet d'expédition. Et même en a révélé des détails. Charles X a pensé à Mehmet Ali, pacha d'Égypte, pour s'emparer de la Régence au nom de la France mais ce fut un échec. Bref, il faut y aller. Principal obstacle : l'Angleterre qui y est hostile. Mais le ministre de la Marine le baron d'Haussez passe outre. À la tête de l'expédition : pour la flotte le vice-amiral Duperré, pour les soldats le ministre de la guerre le comte de Bourmont impopulaire. Il a “trahi” Napoléon à la veille de Waterloo !

    Les plans du débarquement remontent à 1808 où Boutin, un agent secret de Napoléon, a été envoyé à Alger pour préparer un coup sur la ville. Il en a ramené un plan minutieux, des croquis sur les emplacements des défenses, sur le port. Et une conclusion : pour attaquer la ville, il faut la prendre de l'intérieur en débarquant sur la plage de Sidi Ferruch, à quelques kilomètres à l'ouest d'Alger. Ça tombe bien. Le corps expéditionnaire dispose de chalands s'ouvrant à l'avant comme à l'arrière. Ce qui préfigure les barges utilisées par les Américains en novembre 1942 au même endroit et plus encore en 1944 en Normandie.

    LA VILLE EST À NOUS !
    La flotte est arrivée en vue de l'Algérie le 31 mai ; craignant une tempête, elle s'est repliée sur les Baléares avant de revenir le 10 juin. Il y aura bien une autre tempête mais elle ne se produira que le 16 fort heureusement. Le débarquement a lieu le 12. Le dey a rassemblé une armée nombreuse mais disparate et mal commandée. Elle se dispersa après un combat décisif pour les Français. Le professeur Yacono note que des prisonniers français capturés ont été retrouvés massacrés et mutilés. D'où des représailles. Il précise : « c'est déjà le caractère inexpiable de cette guerre ». Qui en annonce beaucoup d'autres. Finalement Bourmont, qui a longtemps hésité, décide, muni d'une forte artillerie, de se diriger sur Alger. Il attaque le fort dominant Alger que les Turcs font sauter. La capitulation est inévitable - elle est demandée et signée le 5 juillet. En trois semaines, la puissance turque s'est effondrée. Bilan du côté français : 1.000 morts, 2.000 blessés et davantage de l'autre côté. À l'annonce de la prise d'Alger l'opinion en France est indifférente, sauf Marseille et Toulon qui la célèbrent bruyamment. Cette victoire ne profitera pas à Charles X chassé par les Trois glorieuses des 27, 28 et 29 juillet 1830, journées que rappelle encore aujourd'hui la célèbre colonne place de la Bastille à Paris.

    Dans la convention de la reddition, il y a un paragraphe cinq qui commence par : « L'exercice de la religion mahométane restera libre. C'est le général en chef qui en prend l'engagement sur l'honneur. » Quoi qu'on en dise actuellement, cet engagement sera respecté, notamment par l'armée plutôt anticléricale. Les Français ont été reçus avec enthousiasme par deux minorités qui avaient à souffrir du dey et de ses janissaires. À savoir les Maures (issus de métissages) et les Juifs à la condition peu enviable. On retrouve Jacob Bacri (Busnach a péri dans un pogrom) « chef de la nation juive » au côté de Bourmont. Il n'y a pas eu d'excès contre la population mais les pillages habituels. Des historiens algériens ont monté en épingle la disparition du Trésor de la Casbah évalué à cent millions. Le dey qui a quitté Alger a dû en emporter une partie. 48 millions ont couvert les frais de l'expédition. Pour le professeur Yacono, il est fort probable que le reste ait abouti dans la cassette royale. La période qui suit est très compliquée. L'Algérie intérieure explose en luttes tribales. Le changement de régime en France n'arrange pas la situation. L'armée testera loyale. Bourmont s'est exilé, emportant avec lui le cœur de son fils tué au combat. Il faut tenir Alger mais aussi Oran et Bône. Abandonner Alger, impossible, l'armée ne le tolérerait pas ni un certain orgueil national. De 1830 à 1834 il faudra se décider à ce qui a été appelé l'occupation restreinte, prélude à l'occupation totale. Ce sont les « débuts des possessions françaises du Nord de l'Afrique ». Il faut envoyer des soldats mais, sur place, dès août, des guerriers algériens descendus des montagnes, les “Zaouaoua” (les Zouaves) se présentent aux troupes françaises qui les incorporent. Le professeur Yacono signale le fait ajoutant que dès les débuts d'une conquête qui va être longue, difficile, meurtrière, il y a à la fois « ralliements et résistances ». Nous ne développerons pas. Notre adversaire le plus sérieux et le plus coriace fut Abd El Kader qui sut profiter de nos erreurs, brandit contre nous l'étendard du djihad mais ne put jamais rassembler toutes les tribus algériennes (notamment les Kabyles qui lui furent hostiles). S'il avait eu le temps, aurait-il pu fonder une nation algérienne ?

    UN SIÈCLE APRÈS, LE CENTENAIRE
    « Nous sommes restés en Algérie parce que nous n'avons pu en sortir » écrit Emile Félix Gautier dans une brochure Un siècle de colonisation publié en 1930. Ce centenaire fut le triomphe. pas modeste, du système colonial. Mais l'Algérie depuis 1848 est composée de trois départements français. Il n'y eut pas en métropole une répercussion profonde mais l'Algérie fut à la une quelques semaines. On le sait bien maintenant, en France il y avait un parti colonial qui triompha ensuite avec l'exposition coloniale de 1931, mais il n'y eut pas (sauf dans des minorités) d'opinion coloniale. Paradoxalement c'est de 1940 à 1945 (et même après), à Vichy comme chez De Gaulle, qu'il y eut l'exaltation de l'Empire. Dans l'Algérie de 1930, il y eut beaucoup de cérémonies et de manifestations spectaculaires. Même si un certain nationalisme. plus religieux que politique est en gestation, on n'observe pas d'hostilité à l'égard du président de la République Gaston Doumergue lorsqu'il traverse un pays qu'il avait bien connu jeune magistrat. Il inaugure notamment à Sidi Ferruch une stèle monumentale (de 15 mètres de haut) ornée de sculptures et d'un bas-relief avec cette inscription : « lci le 14 juin 1830 par ordre du roi Charles X (dans L'Action Française Maurras exulta devant cet hommage de la République au défunt roi), sous le commandement du général de Bourmont l'armée française doit arborer ses drapeaux, rendre sa liberté aux mers, donner l'Algérie à la France. » Avait été ajoutée une suite grandiloquente qui soulignait l'apport de « Cent ans (sic !) de République française et la reconnaissance de l'Algérie pour la Mère Patrie, liée à elle par son impérissable attachement ».

    LE POIDS DE L'ISLAM
    Au même moment, lors d'un Congrès tenu à Alger et regroupant des historiens, un arabisant Desparmet signale qu'« au début du siècle sur des marchés algériens il a entendu un poème en arabe sur l'entrée des Français dans Alger » (1). Qui commence par « Alger au pouvoir des Chrétiens au culte abject. » Se poursuit par « Alger la splendide les nations ont tremblé devant elle. » Il y a d'autres vers injurieux contre « les Juifs qui se sont réjouis à nos dépens », contre les Roumis qui se sont installés dans la ville - « elle n'a plus que des immondes (sic) ». Enfin un éloge de ce « port célèbre » avec l'évocation des « captifs aux mains liées ». En finale : « Ils (les captifs) étaient des mulets (sic) mon fils » ; et en conclusion : « Les exploits d'Alger ont retenti dans les siècles passés. » Pour Desparmet qui publia ce texte dans la très officielle Revue africaine et le commenta, il s'agit là d'« une xénophobie instinctive et d'un fatalisme religieux ». Desparmet signale aussi les propos d'un Algérien de Tlemcen dans une revue du Caire : « Tant que nos enfants seront dirigés dans la droite voie de notre prophète Mahomet, la colonisation française ne triomphera pas de nous. » Il ne semble pas que tout ceci ait été pris au sérieux.

    lN MEMORIAM
    Le 5 juillet 1962, date officielle de l'indépendance de l'Algérie, ces forces souterraines et bien d'autres triomphent. Il faut à la hâte déménager la stèle avant qu'elle ne soit dégradée. Ce sont les paras du 3e RPIma qui s'en occupent. Les plaques, les bas-reliefs, les sculptures sont démontées. Ce qui reste, un squelette de béton dynamité, une énorme explosion. Le lendemain, les débris sont poussés dans la mer par le génie. Exit !
    Après bien des péripéties et grâce à l'action des Cercles AIgérianistes et deux anciens instituteurs français d'Algérie, Roger et Hélène Brazier, le monument a été reconstitué en France (2). Installé et inauguré le 10 juin 1998 à Port Vendres, redoute Bear, Esplanade de l'Armée d'Afrique. Il lui fut ajouté un petit musée. Si vos vacances vous poussent par là, rendez-leur visite. C'est tout ce qui peut rappeler 132 ans de présence française. Dans le numéro de juin de son périodique L'Afrique Reelle (diffusé sur Internet), Bernard Lugan rend hommage à cette période en citant le livre du professeur Pierre Goinard L 'Œuvre française en Algérie, Laffont, 1986. Politiquement, on ne le sait que trop, ce fut un échec et une lourde charge financière mais sur d'autres plans, même si nous sommes à peu près les seuls à le savoir et à le dire, ce fut un bilan glorieux et positif. Mais depuis 1962, des deux côtés de la Méditerranée, l'œuvre française fut insultée, dénigrée, souillée, livrée aux chiens de l'anticolonialisme.
    Jean-Paul ANGELELLI. Rivarol du 9 juillet 2010
    (1) Cité d'après L'opinion française et l'Algérie de 1930. Doctorat 3e Cycle. Nanterre 1972.
    (2) D'autres monuments furent sauvés. Voir le livre d'Alain Amato. « Monuments en exil », Mais fut détruit en revanche par les Algériens l'édifice en hommage à la colonisation et le splendide monument aux morts d'Alger fut coulé dans une masse de béton. Qui recouvrit les panneaux qui l'ornaient et portaient les noms de tous les soldats d'Alger morts au cours des deux guerres européennes, tant les chrétiens que les musulmans. Ce qui gênait le nouveau pouvoir.

  • A Marseille, ce 15 décembre Café actualité de La Faute à Rousseau

     

    A Marseille, ce 15 décembre, Laurent Wetzel a posé la troisième pierre de notre Enquête sur la République...

    La Faute à Rousseau

    http://www.actionfrancaise.net

  • Un avenir sans pétrole ?

    Benoît Thévard, ingénieur en énergie et spécialiste de la résilience des territoires face au problématiques énergétiques, intervient pour expliquer le pic pétrolier, ses conséquences sur l’organisation des territoires et sensibiliser sur l’intérêt de se préoccuper de la résilience des collectivités.


    avenir sans pétrole 1.1 - B.Thévard et C... par avenir_sans_petrole


    avenir sans pétrole 1.2 - B.Thévard et C... par avenir_sans_petrole


    avenir sans pétrole 3.1 - B.Thévard et C... par avenir_sans_petrole


    avenir sans pétrole 3.2 - B.Thévard et C... par avenir_sans_petrole

    http://fortune.fdesouche.com

  • Bertrand de Jouvenel, voyageur dans le siècle

    Pas totalement oublié de nos jours, mais moins célèbre qu'il ne le fut de son vivant, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) a été écrivain, journaliste, reporter, essayiste. Ayant participé à divers épisodes de l'histoire de la France et de l'Europe du XXe siècle, il s'était défini comme « un voyageur dans le siècle », titre de son unique livre de souvenirs (Plon 1979). Cet ouvrage ne portait que sur la période allant de sa naissance à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
    Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Metz, spécialiste des idées et mouvements politiques, auteur d'ouvrages comme Les Années Trente, Jean Coutrot, La Synarchie, L'OAS, Olivier Dard a entrepris dans une copieuse biographie de raconter « ce voyage périlleux mais légitime » (1). En puisant dans des sources diverses et inédites comme les précieux cahiers personnels du disparu, déposés aux Archives nationales. L'index du livre comporte plusieurs centaines de noms. Tous ceux qu'à divers moments Jouvenel a connus ou croisés :
    Drieu, Berl, Luchaire, Bergery, Abetz, mais aussi de nos connaissances, Louis Rougier, Pierre Dominique, Achille Dauphin-Meunier, René Malliavin, Alfred Fabre-Luce ...

    « NÉ DE L'AFFAIRE DREYFUS »
    Jouvenel disait qu'il était « né de l'affaire Dreyfus ». Son père Henry était un ponte du parti radical, sénateur de la Corrèze. Sa mère née Sarah Claire Boas appartenait à la grande bourgeoisie israélite. Tous deux antidreyfusards, ce qui les rapprocha mais le couple se sépara assez vite, Bertrand étant encore enfant. Par la suite sa mère le protégea ou l'encouragea. Mais il connut mieux Colette, la seconde épouse de son père (voir Le Blé en herbe). Olivier Dard n'a pas développé sa vie privée, préférant retracer l'évolution d'un homme relevant de la « génération 1920 ». Très influencé par son oncle Robert de Jouvenel, auteur en 1914 d'un pamphlet La République des camarades (titre toujours actuel) et directeur de L'Œuvre, il se lance dans le journalisme, collaborant à diverses publications dont Notre Temps fondé par Jean Luchaire en 1928.
    Jouvenel s'inscrit dans la mouvance du parti radical. Mais avec d'autres il cherche des voies nouvelles. En économie (L'Economie dirigée est son premier livre, 1928), en politique intérieure où il appelle à rénover les institutions de la Troisième, en politique extérieure où il est partisan des Etats-Unis d'Europe et du rapprochement franco-allemand. Parlant couramment les langues de Goethe et de Shakespeare, il effectue des reportages sur le terrain dont l'un aux Etats-Unis en pleine crise. Après 1930 il est de plus en plus déçu par l'immobilisme et le prêt-à-penser des partis politiques français et se rapproche des non-conformistes des années 1930.
    Arrive le choc du 6-Février. Il fonde alors un hebdomadaire éphémère La Lutte des jeunes (auquel Drieu et Bergery collaborent). Il y annonce sa rupture avec le parti radical. Il sera cependant candidat aux élections de 1936 sous l'étiquette du Parti socialiste de France proche de Marcel Déat, lequel fut exclu par Léon Blum de la SFIO. Puis participant au rendez-vous de Saint-Denis, il adhère au PPF de Jacques Doriot. Mais le quittera en 1938 après Munich. Spécialiste de l'entretien avec des chefs d'Etat, Jouvenel rencontre le chancelier Hitler le 21 février 1936, en présence d'Abetz qu'il connaît bien depuis 1930. Le chef du IIIe Reich lui accorde un entretien qui fut publié dans Paris Midi (dirigé par Pierre Lazareff) au lieu du géant Paris Soir, à la veille de la ratification par le Parlement français du pacte franco-soviétique.

    UN FAUX PROCÈS
    Sur le moment Jouvenel a été très attaqué tant sur Hitler que sur le PPF. Un procès d'intention qui rebondit en 1983 quand l'historien israélien (de gauche) Zeev Sternhell dans son livre Ni droite ni Gauche. L'idéologie fasciste en France (Le Seuil) l'accusera de germanophilie, de complaisance pour Hitler et même d'avoir été l'un des inspirateurs du fascisme en France. Jouvenel, indigné, dépose plainte pour diffamation. Le procès tenu fin 1983 divise les historiens. L'un des défenseurs les plus efficaces de Jouvenel fut son grand ami Raymond Aron qui, à la sortie de l'audience, décède d'une crise cardiaque.
    Olivier Dard revient, avec force détails, sur ce procès. Les juges avaient eu du mal pour savoir qui était ou n'était pas fasciste avant 1939. En ne tranchant pas et « en refusant de créer une jurisprudence fâcheuse, exemple que le législateur, ces dernières années, aurait gagné à méditer » (p. 378), Olivier Dard approfondit la question dans un sous-chapitre sur « le fascisme jouvenélien ». En fait Jouvenel, et il n'a pas été le seul, a été sensible à ce qui se passait alors en Europe, et au magnétisme de ce qu'il appelait « une nouvelle religion » soutenue massivement par des jeunes.
    Quant à Hitler, Jouvenel se défendait d'avoir été son porte-parole. Il a d'ailleurs reproduit les propos d'Hitler dans son Voyage mais comme le lui a fait remarquer ironiquement un long article de RIVAROL (2), il oubliait qu'il avait écrit avoir été très impressionné par « un homme en qui le monde entier a cru voir une menace de guerre ». Et qu'il avait alors révisé « toutes les idées qu'(il se) faisai(t) du dictateur ». Cela n'en fait pas pour autant un nazi. Il avait dénoncé dès 1933 le traitement "médiéval" infligé aux Juifs et critiqué la « nuit des longs couteaux ». À posteriori il pensait avoir été manipulé. Après Munich il donna sa démission du PPF et du Comité France-Allemagne. La mainmise d'Hitler sur la Tchécoslovaquie au printemps 1939 n'avait évidemment rien arrangé. Dans un livre publié en Suisse en 1947, La Dernière année. Choses vues de Munich et la guerre, Jouvenel a rassemblé ses reportages très vivants et directs (parus dans Match, Candide, Le Journal). Pour lui, Hitler préparait la guerre au nom de sa doctrine d'espace vital.

    RETOUR SUR 1983
    Sternhell avait été surtout condamné pour avoir exprimé des soupçons sur l'attitude de Jouvenel pendant l'Occupation, le comparant à Jean Luchaire (l'un des premiers fusillés de 1945). Là il tombait mal. Après la défaite, Jouvenel s'était replié dans une demeure familiale proche d'Argentat en Corrèze, où il retrouva un autre de ses grands amis, Emmanuel Berl, et aussi André Malraux, alors très attentiste. Il s'était rendu plusieurs fois à Vichy et surtout à Paris où il avait repris contact avec Luchaire et Otto Abetz, personnages on ne peut plus officiels. Jouvenel s'était entretenu avec eux. Il était pour une collaboration mais limitée. Il soutint et défendit le Maréchal après le renvoi de Laval le 13 décembre. À son procès, il assura qu'il détestait le Vieux Chef, se mettant sans doute au goût du jour. Il expliqua aussi qu'il « glanait des informations ». Pour qui ? Pour le Deuxième bureau français dont il était devenu un  « honorable correspondant ». Au procès, deux de ses anciens chefs (dont le colonel Paillole et le général Revers) vinrent en témoigner. Il rédigeait pour eux des rapports qui sont parvenus via Pucheu au cabinet du Maréchal.
    Lors de sa dernière entrevue avec Abetz au printemps 1941, Jouvenel apprend que Hitler ne cédera rien sur l'Alsace-Lorraine et que le sort de la France ne sera réglé qu'après la victoire allemande. En novembre 1942 il n'a plus d'illusions. En Corrèze il a pris contact avec des chefs de l'Armée secrète.
    L'un d'entre eux ayant été arrêté, Jouvenel en avril 1943 remonte à Paris pour essayer de le faire libérer. Mais il ne peut rencontrer ni Abetz ni Brinon (qu'il avait bien connu avant 1939). Mieux, il est arrêté - mais pas malmené - par des services allemands qui lui posent des questions sur son attitude et ses articles d'avant 1939. Le publiciste se sent menacé. Il décide de passer en Suisse à l'automne avec de faux papiers, accompagné d'Hélène Duseigneur, fille d'un général suspecté d'avoir été cagoulard, qu'il a rencontrée pendant l'été 1943 et qui sera jusqu'à sa mort (en 1984) sa fidèle compagne et secrétaire.

    UN AUTRE VISAGE
    Bertrand de Jouvenel restera en Suisse de 1943 à 1946. Il sait qu'il est mal vu par différents clans. Si ses notes personnelles avaient été publiées, elles lui auraient attiré des ennuis. Il y critique la « capitulation sans conditions » de l'Allemagne exigée par les Alliés (sur pression soviétique). Il s'en prend à De Gaulle, aux « revenants de Londres », aux « gens d'Alger », au « côté Basile de nos champions démocratiques ». Il est très dur pour Churchill qu'il juge responsable des bombardements aériens sur l'Allemagne et même du terrorisme en Europe. Il prédit que le débarquement sera suivi en France « d'un bain de sang » et s'alarme du « danger communiste ». Drieu est venu le voir rapidement fin 1943 mais est reparti pour son destin. À noter qu'il n'a pas été tendre pour Jouvenel dans son Journal intime.
    Après la Libération, grâce à Achille Dauphin-Meunier et à Emmanuel Berl, Jouvenel sait ce qui se passe en France. Il a été inscrit sur la liste noire du CNE (Comité national des écrivains) avant d'en être retiré. Cet exil suisse est aussi une rupture. En effet, il a commencé à écrire un traité Du pouvoir et désormais il ne voudra plus s'engager directement en politique.
    Quand il rentre en France, il est ostracisé. Il donne alors des articles à la presse non résistancialiste. Comme notre revue les Ecrits de Paris où il est bien accueilli aux côtés d'autres épurés. En 1955 Fabre-Luce lui proposera d'écrire dans Rivarol. Il collabore aussi à la Fédération d'André Voisin où il retrouve des amis des années 1930 comme Jean Maze. Il a aussi des rapports cordiaux avec le bulletin et l'entourage du Comte de Paris ! Son livre Du pouvoir, un classique de la pensée politique, publié en Suisse au Cheval Ailé en 1945, passe inaperçu. Il faudra attendre qu'il soit disponible, bien plus tard, dans la collection (de poche) Pluriel. Mais le second, De la souveraineté (1955), connaît un gros succès en Angleterre et surtout aux Etats-Unis chez les politologues et les universitaires. Invité dans des colloques outre-Atlantique, Jouvenel accède alors à la célébrité. Dans ses ouvrages, il se définit comme un néo-libéral hostile au dirigisme mais soucieux du progrès social, anticommuniste, européen (mais hostile à un Etat européen), atlanliste. Il suit (dans ses notes) l'actualité française et mondiale. En 1954-55, il juge Mendès-France « trop complaisant » avec le PCF et l'URSS. 1945 a été pour lui « la fin de l'imperium européen » et il a ressenti avec douleur Dien Bien Phu. Quant à la guerre d'Algérie, il est soucieux du sort des «Pieds noirs» mais prédit : « Nous céderons ».

    SES ACTIVITÉS INTELLECTUELLES
    Il est passionné par les statistiques. Ce qui le conduit à la prévision de l'avenir. D'où la fondation d'une revue, Futuribles, qu'il voit comme « un carrefour de rencontre des idées qui agitent le débat public ». Il participe en France à des commissions sur la décentralisation et l'aménagement du territoire. Après 1965, il relie l'économie politique à l'écologie. Voir son livre Arcadie. Essais sur le mieux vivre (1968, réédité par Gallimard en 2002). Mais sur ce point aussi, il refuse le catastrophisme du Club de Rome et des Verts. Et prône « une croissance disciplinée » car il est obsédé par « la fragilité du vivant », l'épuisement des ressources énergétiques et des richesses marines. Il n'est plus "réaliste" mais "spiritualiste". Il est d'ailleurs revenu au catholicisme. Il a de nombreuses activités mais vit surtout dans sa retraite d'Anserville (Oise) où il fréquente en voisin Emmanuel Berl qui disparaît en 1986. Il s'inquiète de la nouvelle crise économique : « Nous mènera-t-elle à la guerre comme la première ? » En 1974 et 1981, à la grande surprise de ses amis, il a voté (au second tour) pour Mitterrand tout en critiquant son programme économique. Dans ses notes il s'inquiète de « l'impuissance de la vieillesse » mais avoue avoir « passionnément aimé cette terre ». Il meurt le 1er mars 1987.

    UN PASSEUR
    Ainsi s'achève ce livre remarquable qui charrie tant de noms, de faits, de références, de souvenirs ... Dans sa conclusion. Olivier Dard considère Jouvenel comme un homme qui a toujours voulu comprendre. Il ne pouvait pas percer en politique (pas de charisme, une certaine instabilité Psychologique) mais a réussi comme un "passeur" entre les générations de l'avant-39 à l'après-45. Dans un article de National-Hebdo (reproduit dans Que lire ? tome 3), Jean Mabire avait dit sur lui : « Curieux personnage qui a toujours été décalé. en avance ou en retard sur son temps, jamais en prise sur le réel mais d'une singulière lucidité sur l'évolution du monde qu'il a regardé toute sa vie avec un mélange de scepticisme et d'enthousiasme ».
    Jean-Paul ANGELELLI. Rivarol du 26 septembre 2008
    (1) Olivier Dard. Bertrand de Jouvenel 526 pages. Notes, index et sources. 25 €. Perrin.
    (2) « Pour une révision de tous les procès de tendance » (RIVAROL du 4 novembre 1983) signé Scrutator - pseudo de Maurice Gaït, notre directeur qui décédera le 10 novembre de la même année. Proche de Bergery, il avait connu Jouvenel. Au-delà du procès Sternhell, Maurice Gaït cite Raymond Aron excusant le "fascisme" de Jouvenel et son entrevue avec Hitler. Tant mieux pour Jouvenel. Mais il y en eut bien d'autres (oubliés). Notre directeur d'alors s'interroge « sur cette marmite épuratoire » resurgissant dans les années 1980. Qui n'a plus cessé de bouillonner depuis et s'est même amplifiée.

     

  • IRAK 2003-2008 : un déni d'holocauste

    Le bilan « excède même le million de victimes, un chiffre bien supérieur aux 800 000 victimes du Ruanda voici treize ans et cinq fois celui du Darfour. Un autre déni d'holocauste a lieu sans qu'on y prête attention : l'holocauste de l'Irak » (Docteur Mark Weisbrot, de l'université du Michigan).
    Certains l'apprennent à leur dépens : nier l'Holocauste - ou simplement douter - est source d'interminables et pénibles poursuites. En revanche d'autres génocides ne semblent incommoder personne. Conditionné par le silence des média et une politique gouvernementale des plus opaques, l'Américain moyen estime que 10 000 Irakiens seulement auraient été tués depuis mars 2003, date de l'invasion états-unienne. Pourtant, comme l'indique une étude réalisée il y a plus d'un an par des médecins irakiens et des épidémiologistes américains de la John Hopkins University of Public Health, la réalité est tout autre. Publiée dans le prestigieux journal médical anglais The Lancet, cette étude faisait mention de 655 000 victimes (certificats de décès à l'appui) en date de juillet 2006 : 601 000 de mort violente, le reste en raison d'épidémies, pénurie de médicaments, coupures d'électricité, etc. Les enfants en particulier paient un lourd tribut : plus de 260 000 décès.
    Corroborant ce rapport, ce sont « 1 220 580 victimes [de mort violente] depuis 2003 » que confirmait à son tour l'agence anglaise Opinion Research Business (ORB). Bien qu'alarmant, ce nombre ne semble pas émouvoir média et politiciens - généralement si prompts à s'étendre sur les conflits africains, du Darfour en particulier - et continue d'être réfuté par les gouvernements états-unien et britannique qui lui préfèrent les chiffres du Iraq Body Count (organes de la coalition) donnant un total variant de 73 305 à 84 222.
    L'évidence n'est sans doute qu'un élément trop révélateur de ce carnage, comme le fait remarquer l'Américain Juan Cole, spécialiste du Moyen-Orient : « La mésaventure US en Irak est responsable [en un peu plus de trois ans] d'un massacre de civils dont le nombre est deux fois celui des victimes que Saddam est parvenu à éliminer en 25 ans ». Qu'à cela ne tienne ! Toute déclaration est finalement oblitérée par des démentis officiels comme en témoignait récemment le titre d'un article de la BBC : « Forte augmentation du nombre de morts en Irak » complaisamment suivi d'une longue déclaration publique de George Bush dans laquelle il affirme que « cette méthodologie est totalement discréditée... ces supposés six cent mille et plus... ce n'est pas crédible ».
    Ces statistiques sont d'autant plus choquantes que le pourcentage de victimes le plus élevé est attribué à l'armée américaine. D'après des informations recueillies auprès des familles endeuillées - et jamais mentionnées par les média états-uniens - 83 % des morts doivent être imputés aux membres de la coalition et à leurs alliés (dont 56 % auraient été tués par balles, 13 % par bombardements aériens et 14 % par artillerie) ; 13 % attribués aux insurgés : par voitures piégées (source la plus facile à identifier) ainsi que règlements de comptes entre factions ; 4 % seraient d'origine inconnue.
    Comme le dit avec raison Richard Horton, directeur du Lancet : « Ces révélations soulèvent d'importantes questions, notamment pour les gouvernements des USA et de Grande-Bretagne qui ne peuvent ignorer l'impact de leurs actions sur les civils... Les armées d'occupation ont des responsabilités devant la Convention de Genève... »
    La gravité de la situation réside essentiellement dans le fait de ne pouvoir justifier ces morts civiles par l'occupation armée d'un pays souverain. Des prétextes ont fourvoyé l'élan patriotique de jeunes Américains qui se sont retrouvés confrontés à un scénario pour lequel ils n'étaient nullement préparés. Leur connaissance culturelle et historique de l'Irak est pratiquement inexistante, ce qui engendre une perception caricaturale de ses habitants et accentue cruellement l'incompréhension et le manque de communication entre occupants et autochtones. Ainsi n'est-il pas rare que des voitures civiles aux occupants présumés menaçants soient prises pour cible par des convois militaires qu'ils tentaient tout simplement de doubler ou d'éviter et que sur les routes poussiéreuses et normalement désertiques, des enfants se fassent écraser de même que leurs maigres troupeaux de chèvres...
    La souffrance des innocents peut se résumer à ces quelques mots de désespoir : « Qu'ils viennent et nous attaquent avec une bombe nucléaire qui nous tuera tous ! Ainsi pourrons-nous enfin nous reposer et que ceux qui veulent le pétrole - qui est au cœur du problème - viennent le prendre... Nous ne pouvons plus continuer à vivre ainsi, nous mourrons lentement chaque jour... »
    Est-il étonnant dès lors qu'au vu d'un tel gâchis, l'état psychologique des troupes américaines soit devenu cause d'inquiétude, ce que le Pentagon tente encore de minimiser ? Le taux de suicides est en hausse, surtout depuis mai dernier, date à laquelle les combats ont doublé d'intensité. « Statistiquement, leur nombre [porté à 30] est déjà trop élevé, commente Steve Robinson, ranger en retraite qui tente de faire pression sur Washington en s'appuyant sur le Congrès. Pourtant, il y a longtemps que certains, dans l'armée, avaient en vain tiré la sonnette d'alarme ; il a fallu quelques 600 soldats évacués d'Irak pour troubles psychiatriques pour que la crise soit prise au sérieux. »
    L'Irak est à genoux. 2,5 millions de ses habitants ont fui au-delà des frontières afin d'échapper à l'horreur des combats. Plus de deux millions d'autres restés au pays ont dû quitter leur foyer, leur région où ils étaient menacés de nettoyage ethnico-religieux. À des milliers de kilomètres de là, au Walter Reed Army Médical Center, deux vétérans de retour d'Irak, hospitalisés, se sont pendus, alors qu'au son de cette danse macabre, les magnats de l'Or Noir se frottent les mains devant d'engageantes perspectives. En effet, les nouveaux gisements de pétrole s'annoncent prometteurs.
    Michelle FAVARD-JIRARD. Écrits de Paris mars 2008