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culture et histoire - Page 705

  • Le 29 août 1949, débute l’équilibre de la Terreur nucléaire

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    Bernard Plouvier

    Il faudra bien, un jour (assez lointain, on le reconnaît volontiers, puisque trop d’intérêts politiques, économiques et tribaux sont en jeu), écrire l’histoire du XXesiècle telle qu’elle a été et non telle que la présente la propagande des vainqueurs de 1945. 

    Franklin Delano Roosevelt, effaré par la rechute de la crise économique aux USA au second semestre de 1937, avait compris que son New Deal – soit une expérience d’économie dirigée – était une absurdité dans un pays aussi étendu qu’un continent et pourvu d’énormes richesses naturelles, dont une armée d’ingénieurs inventifs et entreprenants.

    Il a progressivement, durant les années 1937-40, ruminé ses projets d’économie globale et de mondialisation de la vie politique, corrélés à une exportation de l’american way of life. C’est pourquoi, le cher homme voulait anéantir les pires concurrents économiques des USA : les puissances allemande, nippone, française et britannique. Il espérait faire main basse sur le meilleur des Empires coloniaux et des protectorats (de fait ou de droit) : les Indes et l’Indonésie, l’Indochine et la zone côtière de Chine, le Maroc et l’Égypte, Dakar, les pétroles d’Iraq, d’Iran et d’Arabie saoudite.

    Dans cette stratégie géopolitique à moyen et long termes, la bolchevisation d’une grande partie de l’Europe était une excellente tactique : les Allemands, Français, Néerlandais et Britanniques concentreraient leurs forces pour se défendre contre les visées impérialistes du colosse soviétique et seraient forcés de céder tout ou partie de leurs colonies. Il n’était d’aucun intérêt pour FDR de parlementer avec les Allemands de l’opposition au Führer. Il fallait détruire un maximum d’êtres et de biens en Europe : occupés à relever leurs ruines, les Européens qui ne seraient pas tombés sous la coupe de la grotesque économie soviétique ne pourraient plus concurrencer de longtemps les exportateurs US.

    C’était le sens et l’objectif de la Déclaration de Casablanca que FDR n’eut aucune difficulté à faire agréer par Churchill, ivre mort à son habitude, tandis qu’Eden protestait en vain. L’Incondional Surrender était idéale pour faire se battre Allemands et Nippons jusqu’à complet écrasement. Tout être sensé en Europe – et même aux USA, mais cela ne faisait pas grand-monde là-bas en janvier 1943 – jugeait insane une telle exigence de Capitulation sans condition, dont les conséquences furent autant de crimes contre l’humanité.

    FDR meurt le 12 avril 1945, d’une hémorragie cérébrale consécutive à une hypertension artérielle maligne. Son successeur, le très intelligent Harry Truman (ci-dessus avec Staline), n’est au courant de rien. Lorsque le 25 avril 1945, le gouvernement suédois lui fait connaître l’offre d’Himmler de mettre bas les armes à l’Ouest pour mieux se battre contre l’Armée Rouge, il est bien obligé de refuser : son opinion publique a gobé les idées rooseveltiennes et a été tenue dans l’ignorance des dégâts monstrueux et des tueries de civils induits par les bombardements terroristes de l’US-Air Corps en France, aux Pays-Bas et surtout en Allemagne. De toute façon, il lui semble qu’il est trop tard pour changer d’option politique.    

    Sa décision, rendue publique le 26 avril, eût peut-être été différente s’il avait alors disposé de l’arme utilisant la fission de l’atome. Truman était convaincu de la réalité du péril bolchevik et de la nécessité de faire bloc avec l’Europe occidentale. Sa politique ultérieure le démontre.

    C’est lors de la Conférence de Potsdam (du 17 au 25 juillet) que Truman irrité par l’arrogance de « Staline » décide d’user des deux bombes atomiques dont dispose l’US-Army après l’explosion de celle du désert d’Alamogordo, le 16 juillet. Il donne cet ordre, moins pour terminer la guerre contre le Japon – dont le gouvernement réclame depuis le début du mois des négociations d’armistice –, que pour freiner les visées impérialistes du dictateur soviétique.

    De fait, jusqu’à l’époque où la trahison de marxistes (en grande partie des judéo-marxistes) aura permis aux Soviétiques de faire exploser leur bombe au Kazakhstan, le 29 août 1949, débutant « l’équilibre de la terreur nucléaire », « Staline » laissera en paix le reste du monde. C’est la trahison du secret atomique qui fut la cause première du déclenchement de la Guerre de Corée, le 25 juin 1950.

    De nos jours, s’il faut en croire le Yearbook de 2018 (rapport annuel) du SIPI (le Stockholm International Peace Institute), dont le siège est à Solna, dans la banlieue nord-ouest de la capitale suédoise, environ 15 000 bombes contenant des isotopes radioactifs menacent notre environnement… soyons honnêtes : depuis 1990, le stock a été divisé par cinq (il en existait un peu plus de 70 000 à la fin de la Guerre froide).

    Les 6 500 bombes russes et autant pour les USA ne sont guère à craindre, comme le sont les 300 françaises ou les 215 britanniques, et il est probable que les dirigeants de la Chine n’useront pas de leur stock, évalué entre 270 et 300 « têtes nucléaires ». Peut-on en dire autant des 140 bombes pakistanaises et de la même quantité dont dispose l’armée indienne, des 80 à 90 bombes israéliennes ou des 15 à 30 de Corée du Nord ?

    Certes, des méta-analyses ont démontré que les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki n’avaient pas entraîné ces flambées de mutations génétiques et de malformations fœtales évoquées par toutes les publications des écologistes de pacotille. Mais il est exact qu’après une explosion atomique ou une fuite grave d’isotopes radioactifs, l’on observe durant trois à cinq ans une augmentation régionale des cancers de la thyroïde, des leucémies et des lymphomes.

    Bombes atomiques et bombes à neutrons sont des armes qui menacent les populations civiles désignées comme cibles par des dictateurs déments ou par des stratèges du terrorisme politique ou religieux. Il y a juste 70 ans que nous en sommes menacés et cela n’est pas près de finir ! La vie sur Terre est un Enfer, chacun peut le constater. Était-il absolument nécessaire d’y ajouter un nouvel ingrédient ?    

    http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2019/08/13/le-29-aout-1949-debute-l-equilibre-de-la-terreur-nucleaire-6169896.html

  • Jean-Pierre Mocky : le dernier des anarchistes ?

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    Nicolas Gauthier

    C’est l’un des réalisateurs les plus singuliers qui vient de nous quitter, à l’âge de 86 printemps, ou 90 hivers, selon ses dires, parfois fantasques. Dans le monde du septième art, il n’est pas donné à tout un chacun de devenir un « auteur » ; c’est-à-dire de créer son propre univers, à nul autre comparable, dans lequel on entre ou non, c’est selon. En France, il y a eu Éric Rohmer et Jean Rollin. Il y a encore Jean-Luc Godard et Claude Lelouch. Jean-Pierre Mocky était au rang de ces derniers.

    En effet, il y avait une patte Mocky, un style Jean-Pierre. Des films (plus d’une soixantaine) et des séries télévisées (plus d’une quarantaine) ; souvent tournés à l’arrache, généralement avec de grands acteurs – Bourvil, Michel Serrault, Jean Poiret ou Catherine Deneuve – venus se faire plaisir avec le trublion. On dit « plaisir », sachant qu’ils étaient à peine payés au tarif syndical : avec la seule moitié du budget cocaïne d’un Top Gun(Tom Cruise devant la caméra et Tony Scott derrière), Jean-Pierre Mocky aurait pu tourner au moins vingt longs-métrages…

    On reconnaît aussi un « auteur » au fait que son œuvre repose sur les mêmes thématiques. Ainsi, l’homme avait ses cibles de prédilection, notables et curés au premier chef ; les hypocrites, surtout. Mais c’était sans haine. Et quand il s’empaille sur les plateaux de télévision, avec Christine Boutin et l’abbé Laguérie, à propos de son film Le Miraculé, consacré aux marchands du Temple de Lourdes, c’est finalement en une saine polémique empreinte de franche rigolade.

    À cette occasion, Christine Boutin, alors députée des Yvelines, estime que le cinéaste n’est autre qu’un « grand farceur », ce qui n’est pas faux. Certains critiques de cinéma ont tenté de le tirer, qui à gauche, qui à droite, alors qu’il n’était au fond que vieil anarchiste bougon. Michel Marmin, éminent spécialiste du cinéma et dont les mémoires, La République n’a pas besoin de savants, ont été salués sur ce site, se souvient :

    « Ce que je pense aujourd’hui de Mocky, je l’ai exprimé dès les années 70 dans Valeurs actuelles, notamment à propos de L’Ombre d’une chance et d’Un linceul n’a pas de poche. On me permettra de me citer : “C’est un utopiste à la manière des vieux républicains fouriéristes, qui pense que la société devrait être fondée sur la morale et sur la vérité, qui croit à la mutualité universelle, et qui ne peut se consoler de la méchanceté des hommes.” Tel est resté, selon moi, le sens de la violence et de la dérision de ses films, et jusque dans les téléfilms de la série Myster Mocky présente, toujours réjouissants. Mocky était un anachronisme permanent, et j’ai même écrit qu’il était “un homme de la seconde moitié du XIXe siècle”, je dis bien du XIXe siècle ! L’admiration que je lui témoignais dans mes articles l’avait d’abord surpris, venant d’un critique œuvrant dans un journal de droite, mais son anarchisme n’avait pas de frontières : la gauche parlementaire ne lui inspirait guère plus de sympathie que la bourgeoisie pompidolienne ou giscardienne, surtout quand elle s’acoquinait avec les communistes (que l’on se souvienne de sa désopilante caricature de Georges Marchais dans Y a-t-il un Français dans la salle ?). Il y avait un côtéL’Assiette au beurre chez Mocky, et ce côté-là en faisait une sorte de petit-cousin de Léo Malet, qu’il lisait et adorait. Je me suis alors mis en tête de les rapprocher, ce rapprochement aboutissant à un projet d’adaptation par le cinéaste de la série des Nouveaux Mystères de Paris. Le projet n’eut malheureusement pas de suite. Malheureusement, car Mocky, dont on oublie qu’il était aussi un merveilleux acteur, eût fait lui-même un formidable Nestor Burma. »

    Comme aurait chanté Eddy Mitchell, vu dans Ville à vendre et À mort l’arbitre !, deux des films les plus réjouissants du défunt, cette vieille canaille nous manquera.

    Boulevard Voltaire cliquez ici

    http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2019/08/14/jean-pierre-mocky-le-dernier-des-anarchistes-6169898.html

  • NOTRE FEUILLETON ESTIVAL : UN ETE AVEC JACQUES BAINVILLE... (22)

    Aujourd'hui : 26. Un Empire colonial francais ? Bismarck est "pour"...

    Un Empire colonial francais ? Bismarck est "pour".

    De "L'Histoire de trois générations", pages 206/207 :"...Aux hommes prudents qui dirigeaient la République et qui continuaient la pensée de Thiers, Bismarck avait montré la voie. Bientôt Jules Grévy fut élu à la Présidence. Toute une politique y entrait avec lui, et elle consistait à chercher des dérivatifs à l'idée de revanche, à ne plus "s'hypnotiser sur la trouée des Vosges". Le monde est vaste, avait suggéré Bismarck. En Afrique, en Asie, l'Allemagne vous donne carte blanche. Il calculait qu'il aurait les mains libres en Europe, que l'humeur inquiète des Français serait employée au loin, leur créerait des embarras, si même elle ne les mettait pas en conflit avec l'Angleterre. 
    Et, de leur côté, plusieurs chefs républicains trouvaient l'offre séduisante. L'expansion coloniale, la constitution d'un vaste domaine africain et asiatique, ne serait-ce pas une compensation honorable au Traité de Francfort ? 
    Il ne suffisait pas d'être résolu à éviter les complications européennes ni de rassurer l'Allemagne sur les intentions du régime. Il fallait encore donner des satisfactions à l'amour-propre national, un emploi aux activités, ouvrir des perspectives aux esprits. Une nation comme la nation française ne peut pas vivre dans l'immobilité. Il semblait à Jules Ferry que la politique de l'expansion coloniale fût propre à concilier tout..." Illustration : l'Empire français en 1945. Si, individuellement, les Français peuvent être légitimement fiers de ce qu'ils ont fait en Afrique et en Asie, où ils ont - de fait - éduqué, soigné, nourri, développé des populations à qui ils ont apporté prospérité et progrès en tous domaines, il n'en demeure pas moins que l'aventure coloniale a été infiniment plus profitable aux peuples de l'Empire qu'à la France. 
    Et que, conformément à l'intuition de Bismarck, la France a dépensé au loin une quantité considérable d'énergies, qui ont été détournées de l'objectif premier : son propre développement, et son achèvement territorial du côté du Rhin...

    Tiré de notre Album "Maîtres et témoins"... (II) : Jacques Bainville" (186 photos)

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2019/08/13/notre-feuilleton-estival-un-ete-avec-jacques-bainville-6168697.html

  • La Russie contre l'occident 2/2: Intervention d'Andrei Vavilov+ Question du public

  • NOTRE FEUILLETON ESTIVAL : UN ETE AVEC JACQUES BAINVILLE... (21)

    Aujourd'hui : 25. Parution du "Napoléon" (III/III)

    15 octobre 1931 : parution du Napoléon (III/III)

    Voici les dernières lignes du dernier chapitre du Napoléon de Jacques Bainville.
    "A égale distance de tout parti pris, nous avons essayé d'écrire son histoire naturelle... Nous voudrions - écrit-il dans son Avant-propos - comprendre et expliquer la carrière de Napoléon Bonaparte, en établir l'enchaînement, retrouver les motifs qui l'ont poussé, les raisons qu'il a pu avoir de prendre tel parti plutôt que tel autre. Nous avons tenté de discerner les causes générales et particulières d'une fortune qui tient du prodige et d'événements qui semblent forgés par un conteur oriental...".
    Comprendre et expliquer, plutôt que d'accorder une place prépondérante au récit des événements - en l'occurrence, pour Napoléon, les batailles... : tout Bainville est là. 
    Comme dans ses autres livre majeurs : L'Histoire de France, L'Histoire de deux peuples, continuée jusqu'à Hitler, La Troisième République, Les conséquences politiques de la paix, Bismarck... 
    On verra une fois de plus, dans ces quelques pages qui clôturent son Napoléon, comment Bainville, selon le mot si juste du Duc de Levi-Mirepoix "...faisait, à la fois, de l’histoire un théorème par la logique de la pensée et une oeuvre d’art par la pureté de son style" (duc de Lévis Mirepoix, discours de réception a l’Académie, éloge de Maurras).
    "...S'il n'était que le soldat heureux devenu roi, il serait un entre mille. L'Empire romain, le monde asiatique regorgent de cas comme le sien. Mais le sien est unique aux temps modernes et sous nos climats. Un officier d'artillerie qui, en quelques années, acquiert plus de puissance que Charlemagne et coiffe la couronne de Charlemagne, de telles étapes brûlées à toute vitesse, ce phénomène parut, à juste titre, prodigieux au siècles des lumières, dans une Europe rationaliste, en France surtout, où les débuts des autres "races" avaient été lents, modestes, difficiles, où les anciennes dynasties avaient mis plusieurs générations à se fonder. Les contemporains de Napoléon n'étaient pas moins éblouis de la rapidité que de la hauteur de son ascension. Nous le sommes encore. Lui-même, en y pensant, s'émerveillait un peu bourgeoisement, quand il disait à Las Cases qu'il faudrait "des milliers de siècles" avant de "reproduire le même spectacle". 
    Un spectacle qu'il a regardé, lui aussi, quand il en a eu le temps. Il ne tirait pas vanité d'être un grand capitaine. La guerre - "un art immense qui comprend tous les autres" - il savait la faire comme on sait jouer aux échecs, "un don particulier que j'ai reçu en naissant", et il se flattait que ce ne fût pas sa seule faculté. Le pouvoir, il l'a aimé, mais "en artiste" - il tient au mot qui le définit si bien - et il ajoutait : "Je l'aime comme un musicien aime son violon". Le plus étrange est qu'on lui demande encore ce que, de son temps, "l'école du possible" lui reprochait déjà de ne pas donner. Pourquoi ne s'est-il pas modéré ? Pourquoi n'a-t-il pas été raisonnable ? On s'est fait, on persiste à se faire de Napoléon une idée si surhumaine qu'on croit qu'il dépendait de lui de fixer le soleil, d'arrêter le spectacle et le spectateur au plus beau moment.
    Lui-même, qu'a-t-il été ? Un homme tôt revenu de tout, à qui la vie a tout dispensé, au-delà de toute mesure, pour le meurtrir sans ménagement. La première femme n'a pas été fidèle, la seconde l'a abandonné. Il a été séparé de son fils. Ses frères, ses soeurs l'ont toujours déçu. Ceux qui lui devaient le plus l'ont trahi. D'un homme ordinaire, on dirait qu'il a été très malheureux. Il n'est rien qu'il n'ait usé précocement, même sa volonté. Mais surtout, combien de jours, à sa plus brillante époque, a-t-il pu soustraire au souci qui le poursuivait, au sentiment que tout cela était fragile et qu'il ne lui était accordé que peu de temps ? "Tu grandis sans plaisir", lui dit admirablement Lamartine. Toujours pressé, dévorant ses lendemains, le raisonnement le conduit droit aux écueils que son imagination lui représente, il court au-devant de sa perte comme s'il avait hâte d'en finir.
    Son règne, il le savait, était précaire. Il n'a aperçu de refuge certain qu'une première place dans l'histoire, une vedette sans rivale parmi les grands hommes. Quand il analysait les causes de sa chute, il revenait toujours au même point : "Et surtout une dynastie pas assez ancienne." C'était la chose à laquelle il ne pouvait rien. Doutant de garder ce trône prodigieux, alors même qu'il ne négligeait rien pour le rendre solide, il reposait sa pensée sur d'autres images. Daru n'admettait pas que sa vaste intelligence se fût fait des illusions : "Il ne m'a jamais semblé qu'il eût un autre but que de ramasser, durant sa course ardente et rapide sur la terre, plus de gloire, de grandeur et de puissance qu'aucun homme n'en avait jamais recueilli." Mme de Rémusat confirme pour le sens religieux ce que disait Daru pour le sens pratique : "J'oserais dire que l'immortalité de son nom lui paraissait d'une bien autre importance que celle de son âme." 
    On a fait de Napoléon mille portraits psychologiques, intellectuels, moraux, porté sur lui autant de jugements. Il échappe toujours par quelques lignes des pages où on essaie de l'enfermer. Il est insaisissable, non parce qu'il est infini, mais parce qu'il a varié comme les situations où le sort le mettait. Il a été aussi peu stable que ses positions successives. Son esprit, qui était vaste, était surtout souple et plastique. Il avait des limites pourtant. Peut-être ne remarque-t-on pas assez que, fécond en prophéties, du reste contradictoires, Napoléon n'a prévu ni les machines ni le machinisme. Ses anticipations ne tiennent aucun compte du développement des sciences appliquées. Pour la guerre elle-même, il n'a pas songé à des engins nouveaux, il l'a faite avec les moyens, les instruments de Gribeauval et de Suffren. Ni le bateau à vapeur de Jouffroy, ni celui de Fulton n'ont retenu son attention. Grand lecteur d'Ossian, amateur de tragédies et du Discours sur l'histoire universelle, la mémoire garnie de vers qu'il s'applique à lui-même dans les occasions pathétiques, faiseurs de mots sur l'amour dont s'honoreraient Chamfort et Rivarol, son tour d'esprit est peut-être avant tout littéraire et, par là, un peu néronien. Cependant il se penche comme personne sur le détail des choses. Comptable méticuleux, il sait le nombre des caissons qu'il a dans ses parcs d'artillerie comme il sait la valeur de l'argent. C'est un maniaque du contrôle et de la statistique qui tient avant tout à l'exactitude. Mais des témoins sérieux rapportent qu'il affirmait volontiers des chiffres en l'air. Ainsi chacun de ses portraits est faux par quelque endroit et l'on peut lui faire tout dire parce qu'il a presque tout dit. On l'a appelé Jupiter-Scapin, on a répété le "commediante-tragediante" jusqu'à la fatigue. Mais il disait de lui-même qu'il n'y a pas loin du sublime au ridicule et, si l'on veut le prendre tout entier, ce n'est pas encore par ce côté-là. Ce n'est pas non plus par ses origines italiennes ou corses. S'il a eu une vendetta avec le duc d'Enghien, il n'en a pas eu avec Fouché ni bien d'autres qu'il a épargnés, fussent-ils Bourbons. Si l'on admet que, selon les moeurs de son île natale, il a été l'esclave du clan, on ne comprend plus qu'il ait excepté Lucien et Louis, ni que Louis et Lucien, nourris du même lait que leur frère, se soient retranchés de la tribu. Enfin s'il est proposé tant d'explications de Napoléon, s'il en est tant de plausibles, s'il est permis de le concevoir de tant de manières, c'est parce que la mobilité et la diversité de son esprit ont été égales à la variété, peut-être sans exemple, des circonstances de sa vie.
    Sauf pour la gloire, sauf pour l' "art", il eût probablement mieux valu qu'il n'eût pas existé. Tout bien compté, son règne, qui vient, selon le mot de Thiers, continuer la Révolution, se termine par un épouvantable échec. Son génie a prolongé, à grands frais, une partie perdue d'avance. Tant de victoires, de conquêtes (qu'il n'avait pas commencées), pourquoi ? Pour revenir en-deçà du point d'où la République guerrière était partie, où Louis XVI avait laissé la France, pour abandonner les frontières naturelles, rangées au musée des doctrines mortes. Ce n'était pas la peine de tant s'agiter, à moins que ce ne fût pour léguer de belles peintures à l'histoire. Et l'ordre que Bonaparte a rétabli vaut-il le désordre qu'il a répandu en Europe, les forces qu'il y a soulevées et qui sont retombées sur les français ? Quant à l'Etat napoléonien, qui a duré à travers quatre régimes, qui semblait bâti sur l'airain, il est en décadence. Ses lois s'en vont par morceaux. Bientôt on sera plus loin du code Napoléon que Napoléon ne l'était de Justinien et des Institutes, et le jour approche où, par la poussée d'idées nouvelles, l'oeuvre du législateur sera périmée.
    Imaginatif, puissant créateur d'images, il sentait cette fuite des siècles. Las Cases lui demandait pourquoi, avec le réveille-matin de Potsdam, il n'avait pas emporté à Sainte-Hélène l'épée de Frédéric. "J'avais la mienne", répondit-il en pinçant l'oreille de son biographe et avec ce sourire qu'il rendait si séduisant. Il savait qu'il avait éclipsé le grand Frédéric dans l'imagination des peuples, qu'on répéterait sont histoire, qu'on verrait ses portraits aux murs, son nom aux enseignes jusqu'à ce qu'il fût remplacé lui-même par un autre héros. Ce héros n'est pas venu. L'aventurier fabuleux, l'empereur au masque romain, le dieu des batailles, l'homme qui enseigne aux hommes que tout peut arriver et que les possibilités sont indéfinies, le démiurge politique et guerrier reste unique en son genre. Pour le développement de l'humanité, peut-être, dans la suite des temps, Ampère comptera-t-il plus que lui. Peut-être l'ère napoléonienne ne sera-t-elle plus qu'un bref épisode de l'âge qu'on appellera celui de l'électricité. Peut-être enfin, apparu dans une île du Levant pour s'éteindre dans une île du Couchant, Napoléon ne sera-t-il qu'une des figures du mythe solaire. Presque aussitôt après sa mort, on s'était livré à ces hypothèses et à ces jeux. Personne ni rien n'échappe à la poussière. Napoléon Bonaparte n'est pas protégé contre l'oubli. Toutefois, après plus de cent ans, le prestige de son nom est intact et son aptitude à survivre aussi extraordinaire que l'avait été son aptitude à régner. Quand il était parti de Malmaison pour Rochefort avant de se livrer à ses ennemis, il avait quitté lentement, à regret, ses souvenirs et la scène du monde. Il ne s'éloignera des mémoires humaines qu'avec la même lenteur et l'on entend encore, à travers les années, à travers les révolutions, à travers des rumeurs étranges, les pas de l'empereur qui descend de l'autre côté de la terre et gagne des horizons nouveaux.
    Illustration : couverture de l'édition du "Napoléon" dans Le livre de poche.

    Tiré de notre Album "Maîtres et témoins"... (II) : Jacques Bainville" (186 photos)

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  • Dans la collection "Idées" des Bouquins de Synthèse nationale, vient de sortir : un essai de Thomas Ferrier sur le fascisme en Europe dans les années 1930 et 1940

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    Note de l'auteur :

    Le fascisme a été, avec le communisme, le principal phénomène politique du XXe siècle. Synthèse originale de socialisme et de nationalisme, plus héritier de Blanqui que de Bonald, il a essaimé dans toute l'Europe à des degrés divers, inspirant les uns et les autres. La plupart de ses dirigeants, y compris les deux plus célèbres, viennent de la gauche socialiste. Le fondateur historique du national-socialisme, l'autrichien Walter Riehl, était lui-même un ancien social-démocrate. Et son parti, la DAP devenue DNSAP, était la révision nationaliste d'un courant socialiste classique.

    Zeev Sternhell, qui a consacré une part importante de sa vie au fascisme, a toujours exclu le national-socialisme de sa réflexion, et sa démonstration des origines socialistes du fascisme français a abouti à une aberrante conclusion, qui est de relier les Croix de Feu ou le régime de Vichy au fascisme, très loin de toute révision du socialisme et même par bien des aspects l'antithèse. Nous pousserons son raisonnement jusqu'où il n'a pas osé le mener.

    Dans cet ouvrage, vous découvrirez un panorama exhaustif des fascismes d'Europe, de la centaine de groupuscules polonais et hongrois jusqu'aux grands partis au pouvoir, du Parti nationaliste islandais au NSDAP. L'idéologie commune de ce mouvement continental sera analysée, ses racines également. Cette expérience historique finira dans le froid de l'hiver russe puis dans les ruines de Berlin. 

    On ne saurait comprendre l'Europe d'aujourd'hui sans comprendre les égarements d'hier.

    Fascismes d'Europe, Thomas Ferrier, Les Bouquins de Synthèse nationale (collection "Idées"), 148 pages, 18 euros (+ 5 euros de port). Vient de paraître. 

    Pour l'acheter sur notre site de vente : cliquez ici

    BULLETIN DE COMMANDE

    http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2019/06/23/dans-la-collection-idees-des-bouquins-de-synthese-nationale-6159880.html

  • NOTRE FEUILLETON ESTIVAL : UN ETE AVEC JACQUES BAINVILLE... (20)

    Aujourd'hui : 23. Parution du "Napoléon" (I/III)

    15 octobre 1931 : parution du Napoléon (I/III)

    "Je n'ai jamais écrit un livre "dans la joie". Celui-ci m'aura donné le plus de peine", écrit Jacques Bainville à Frédéric Delebécque, qu'il a chargé de l'aider à revoir et corriger son "bouquin", "le monstre" comme il le lui dit au cours de leurs nombreux échanges. Ceux-ci nous permettent de suivre la gestation de l'ouvrage (1) :
    * "Le premier novembre 1930, Jacques Bainville, dans une de ses "Lectures" de la Revue universelle parlait d'une liste de livres que Napoléon, en 1807, avait désignés pour lui former une bibliothèque de campagne.....Il se préparait, en effet, par de longues lectures, à écrire son Napoléon et, à la fin du même mois, il m'écrivait : "Je vais publier dans la Revue universelle, à partir du premier décembre, quelques parties rédigées de mon bouquin. Si vous vous donnez la peine de me lire, voudrez-vous me faire vos observations et rectifier, corriger, critiquer tout ce qui vous paraîtra répréhensible, à quelque point de vue que ce soit ? Vous me rendrez le plus signalé des services".....
    * ..."A la fin de cette année 1930, en m'envoyant de nouveaux chapitres dactylographiés, il me disait : "Voici le paquet que vous voulez bien vous charger de revoir. Ce ne sont pas de bien belles étrennes que je vous envoie. Dites-moi très franchement non seulement ce qui pourra être erroné et ce qui pourra manquer, mais aussi ce qui ne sera pas clair ou pas bien écrit. J'aime qu'on me conseille et je profite des avis".....
    * ...Bainville était sévère pour lui-même. Il n'était pas facilement satisfait de ce qu'il avait écrit. Voici une lettre du 31 mars 1931 : "Mon cher ami, je suis un peu inquiet du chapitre que vous avez lu dans la Revue, puisque vous voulez bien me lire. Je le trouve confus, mal écrit, bien que je l'aie plusieurs fois remanié. Enfin, j'attends votre impression." Puis, le 7 avril :
    "Mon cher ami, je vous remercie de m'avoir un peu rassuré sur ce chapitre. Ce qui ne veut pas dire que les autres me donnent du contentement. Je n'ai jamais écrit un livre "dans la joie". Celui-ci m'aura donné le plus de peine..."
    * ..."L'année 1931 avance. Nous sommes aux derniers jours d'août, le livre va bientôt paraître, je reçois un gros paquet d'épreuves avec ce mot : "Mon cher ami, voici le monstre...."
    * ..."Le 19 septembre, la révision des épreuves achevée, je recevais une lettre dont le début me frappa vivement : "Mon cher ami, j'ai retourné les placards à l'imprimerie avec les corrections. Vous avez eu raison de me faire enlever le "Comme toutes les fins celle-ci sera laide". Pour moi, je n'en connais pas de belle, mais c'est une opinion et il ne faut décourager personne. D'ailleurs cette idée n'avait pas grand'chose à voir avec Nap." (sic !) Oui, j'avais raison et pour une fois Bainville avait tort. Sa fin, à lui, a été très belle.
    Le 1er octobre il m'écrit que les dernières épreuves ont été définitivement remises à l'imprimerie...."
    * ..."Enfin le livre paraît, le 15 octobre, et le 16 décembre Bainville m'écrit : "Je ne sais si le feuilleton de Lanzac de Laborie (dans les Débats) est tombé sous vos yeux. Il dit du livre une chose dont je dois vous faire hommage. C'est qu'en 600 pages, il n'a trouvé à relever aucune erreur de fait, sinon que j'ai dit que le frère de Cambacérès était évêque alors qu'il l'est devenu."....
    * ..."Mais il y avait dans cette lettre quelque chose de bien plus intéressant que la date de l'épiscopat du frère de Cambacérès. Bainville m'écrivait : "J'avais juré que jamais je n'entreprendrais plus de travail pareil à ce Nap. Mais, subitement, j'ai été tenté par un autre sujet. Que diriez-vous d'un Louis XVI conçu de la même façon ?...."
    (1) : Le souvenir de Jacques Bainville, Plon, 1936 - La leçon de Jacques Bainville, par Frédéric Delebécque.

    Tiré de notre Album "Maîtres et témoins"... (II) : Jacques Bainville" (186 photos)

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2019/08/10/notre-feuilleton-estival-un-ete-avec-jacques-bainville-6167821.html