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économie et finance - Page 884

  • Bataille pour l’Arctique

    Depuis quelques mois, flambée des prix des hydrocarbures et crise alimentaire en vue, les spectateurs avisés auront noté la hausse substantielle de dépêches d’actualité concernant la zone arctique. Ce n’est pas une surprise, après les ressources Opep, l’off-shore russe, l’Arctique représente la 3e et dernière étape d’extraction énergétique, avant le basculement aux « techniques d’extractions avancées » (EOR).

    Certains prédisent déjà aujourd’hui que l’Arctique, plus que le Heartland, représentera le théâtre de conflit majeur du XXIe siècle.

    Comme l’expliquait très bien Krauss Clifford, journaliste et membre du CFR (Think Tank très profondément Atlantiste), « les différends territoriaux concernent les États du monde entier, mais c’est bien en Arctique que les experts s’attendent à voir le plus de conflits » (Krauss Clifford, The New York Times, oct. 2005).

    L’Arctique est la région entourant le pôle Nord de la Terre, aux abords du cercle polaire Nord. L’Arctique inclut le Groenland (territoire autonome du Danemark), une partie du Canada, de la Russie, des Etats-Unis (Alaska), de l’Islande, de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et la totalité de l’océan Arctique. Le nom Arctique vient du grec ancien ἄρκτος (árktos) qui signifie ours. Il est intéressant de noter qu’on ne trouve les ours polaires que sur la "Terre des Ours" (Arctique) et pas en Antarctique. Si cette région du Nord, au-delà du cercle polaire, couvre 8 % de la superficie du globe, elle ne compte qu’à peine 1 % de la population mondiale. Les trois quarts des habitants sont en Russie.

    Dès la fin de la guerre froide, les pays riverains de l’Arctique (Russie, Canada, Norvège, Danemark, Etats-Unis) constituent trois grandes instances de coopération régionale :

    • le Conseil de l’Arctique créé en 1996 sur une initiative canadienne, réunissant les huit États arctiques et les populations autochtones, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Pologne ;

    • la Coopération de Barents décidée le 11 janvier 1993 à la suite d’une initiative norvégienne. Son but est de favoriser les contacts entre les individus de la région de Barents, ainsi que son développement économique. Le Conseil euro-arctique de la mer de Barents réunit les ministres des Affaires étrangères des six pays membres et de la Commission européenne. La France a le statut d’observateur ;

    • le Conseil des Etats de la mer Baltique (CEMB), créé en 1992, réunit les pays riverains de la mer Baltique. Le Conseil, par son intitulé, favorise les coopérations inter-arctique en rapprochant ses membres de la Russie notamment.

    La région arctique, dans laquelle vivent entre deux et quatre millions de personnes, s’est transformée ces dernières années en pomme de discorde entre les Etats riverains. Et il y a de quoi : ce territoire de seulement 1,2 million de km² de fonds marins contiendrait tout simplement 25 % des réserves mondiales d’hydrocarbures !

    Pour résoudre les tensions, lors de la dernière réunion du conseil de l’Arctique les Etats ont confirmé le maintien des accords issus de la convention des Nations unies de Montego Bay (CMB) du 10 décembre 1982, sur le droit de la mer qui a permis la création de la ZEE et surtout la théorie des secteurs (qui définit tout territoire sans maître adjacent comme le prolongement naturel d’un territoire étatique. Cette théorie réserve aux seuls Etats dotés d’un littoral sur l’Arctique la souveraineté des terres émergées de cet océan). Ses dispositions donnent encore lieu à des interprétations contestées et tous les pays riverains de l’Arctique entretiennent des contentieux, mais la Russie, dont la côte arctique embrasse 160° de longitude, a été la plus grande bénéficiaire de cette théorie et l’a naturellement reprise à son compte en 1926. En revanche, les autres Etats riverains (Danemark, Norvège et Etats-Unis) s’y sont opposés, le Canada l’ayant abandonné récemment. La Russie entend donc maintenir la réclamation de ces droits sur le plateau continental au-delà de la zone de 200 milles, conformément aux objectifs de l’opération Arctica 2007.

    Bien que l’accès à ces ressources soit difficile, la fonte des glaces facilite l’accès aux gisements d’hydrocarbures. Pourtant, selon les estimations des spécialistes, notamment de chez Rosneft, d’ici 2030, il faudra dépenser 345 milliards d’euros pour effectuer la prospection et prouver l’existence des ressources, et plus d’un milliard d’euros pour effectuer leur mise en valeur. "Ces sommes ne sont prévues dans aucun budget. Bien plus, il faut reconnaître que Gazprom et Rosneft n’ont ni l’expérience ni les technologies nécessaires pour travailler dans les conditions du plateau continental arctique", affirme Mikhaïl Kroutikhine, en effet "les chiffres peuvent doubler, voire tripler sur le plateau arctique. Par conséquent, l’extraction ne sera rentable qu’à la condition d’une hausse des prix des ressources énergétiques jusqu’à un point qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui", résume l’expert.

    Cette fonte des glaces a une autre conséquence d’une importance capitale, elle permet de rentabiliser de nouveaux corridors de transports. Parmi les principaux :

    - la Route Grand Nord contourne le continent eurasiatique par le Nord et permet de passer de l’Atlantique au Pacifique en longeant les côtes de la Sibérie. Longue de 13 000 km, elle traverse les mers de Kara, de Lapev, de Sibérie orientale et des Tchoutchktes. Elle est considérée aujourd’hui « comme la voie de communication unique et la plus accessible qui relie Mourmansk à Vladivostok et les gisements naturels du Grand Nord russe, de Sibérie et de l’Extrême-Orient entre eux ». Inaugurée à la fin du XIXe siècle, c’est Gorbatchev qui, le 1er juillet 1991, fera ouvrir par l’URSS cette route maritime du Nord à toutes les nations. Pour la développer, les Russes vont développer une flotte de 75 navires à étrave et coque renforcée dès 2010 pour principalement transporter les exportations de pétrole et de gaz du Grand Nord russe. Cette route GN (en rouge sur la photo) ;

    - la Route Pont Arctique qui relie le port de Mourmansk à celui de Churchill, au nord du Canada. Elle est ouverte de juillet à octobre et serait le chemin le plus court pour acheminer l’abondant pétrole russe vers les marchés canadien et américain.

    Par conséquent, la Russie doit être prête à la guerre dans l’Arctique pour « protéger ses intérêts nationaux s’ils sont menacés, car la région contient de grands dépôts inexploités de ressources naturelles », a récemment déclaré Vladimir Chamanov. En effet, à la suite de l’opération sus-citée Arctica, de nombreux pays ont contesté le droit de la Russie de réclamer les surfaces territoriales qu’elle estime lui être due. Par conséquent, celle-ci a immédiatement révisé les programmes militaires pour accélérer le développement de troupes dans l’Arctique, en cas de conflit potentiel.

    La presse « internationale » depuis l’année dernière a dénoncé de façon perpétuelle les revendications russes en parlant notamment de «  bataille pour l’Arctique » ou encore de «  guerre froide pour l’Arctique », mais également la militarisation de la situation. En effet, l’Ours a dans le désordre, violé l’espace aérien norvégien, fait patrouiller des chasseurs bombardiers (Tupolevs) ou encore accéléré le développement du «  Boulava ». A cela s’ajoute les déclarations de la Russie sur sa préparation armée à défendre son territoire, et aussi ses frontières.

    Pourtant, très curieusement, personne n’a « dénoncé » les récentes grandes manœuvres militaires des Américains, ceux-ci ayant récemment procédé à 12 jours d’exercice à grande échelle en Alaska, impliquant environ 5 000 personnes, 120 avions et plusieurs navires de guerre. La Russie, par la voix du lieutenant colonel Chamanov, a affirmé ne pas pouvoir ignorer une telle démonstration de force militaire à proximité des régions essentielles arctiques. Est-ce que ces manœuvres ont un lien avec les prédictions du «  North Institut », Think Tank violemment atlantiste (tout comme le CFR) et qui « ressort » le risque d’une alliance (continentale) Russie-Chine et une prise de contrôle des réserves du Nord Heartland (lire à ce sujet le scénario II sur la constitution d’un corridor énergétique eurasiatique) ? Il est vrai que, récemment, des États comme l’Iran ont exprimé leur visée sur le continent blanc.

    L’Arctique est donc devenu le théâtre des opérations sur lequel tous les pions du grand échiquier sont présents et témoignant bien de la totale continuité de la guerre froide (à plus basse intensité) que les Américains et les Russes n’ont jamais cessé de se livrer.

    Au plus fort moment de ce conflit gelé (coïncidence), les Etats-Unis ont compris l’intérêt de l’Arctique, sa traversée constituant pour ses bombardiers B52, puis pour ses missiles, le plus court chemin en direction... de l’Union soviétique. Ils ont développé un réseau nordique de bases aériennes, qui a progressivement perdu de son importance avec le développement des missiles et du ravitaillement en vol. Au début des années 60, le commandement du NORAD a converti ces bases en des centres de détection, qui ont été modernisés dans les années 80, et rebaptisés North Warning System (NWS). Aujourd’hui, les Etats-Unis maintiennent leurs efforts pour y renforcer le réseau des sites radars nécessaires à l’alerte avancée de leur défense antimissile. « La stratégie américaine d’affrontement avec l’URSS remonte de plus en plus vers le Nord [...], la bataille de l’Atlantique évolue pour aboutir, à partir de 1985, à une bataille purement américaine et sous-marine, la bataille de l’Arctique permettant la confluence des deux flottes atlantique et pacifique. Elle entraîne la marginalisation progressive de l’Europe de l’Ouest ».

    Durant la guerre froide, l’Arctique a été le théâtre d’un duel russo-américain où les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) américains se sont toujours efforcés de pister les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) soviétiques. Seuls les Américains et les Russes possèdent de tels sous-marins, capables de naviguer en milieu polaire. Il est raisonnable de penser que l’océan Arctique continue à abriter aujourd’hui des sous-marins américains et russes, non plus dans le cadre d’une guerre sous-marine déclarée entre deux superpuissances, mais plutôt dans celui d’une stratégie de dissuasion « tous azimuts ». De surcroît. Aujourd’hui, l’océan Arctique permet de faire peser une menace de représailles nucléaires sur toutes les grandes villes de l’hémisphère Nord.

    De nombreux thinks tanks américains réfléchiraient déjà aux implications en matière d’équipement et d’entraînement. Dans son livre Globalization and Maritime Power, Sam Tangredi consacre un chapitre entier aux implications stratégiques et économiques du réchauffement de l’Arctique. L’auteur regrette que les Etats-Unis n’y aient pas encore affiché une position de leadership, alors qu’ils « devraient et pourraient » le faire. Il imagine déjà les conséquences stratégiques de la réduction de la calotte glaciaire ; qui obligerait en particulier l’US Navy à mener une « vieille mission dans une région nouvelle », qui est celle de la protection des voies maritimes.

    Pourtant malgré ces tensions ravivées, la Russie « ne redoute pas un conflit d’intérêts entre les différents Etats riverains de l’océan Arctique », a déclaré Sergueï Lavrov lors de la conférence des cinq pays arctiques. "Nous ne partageons pas les prévisions pessimistes de montée en puissance d’un conflit d’intérêts entre les Etats arctiques et extrarégionaux, qui envisageraient presque une "bataille de l’Arctique" sur fond de réchauffement climatique, qui facilite l’accès à des ressources naturelles dont le prix flambe dernièrement et ouvre de nouvelles voies de transport maritime".

    Le chef de la diplomatie russe estime que l’ensemble des problèmes de la région doivent être résolus de manière civilisée en se basant sur le droit international et les négociations.

    Que conclure ? La zone arctique n’est pas seulement la zone énergétique essentielle pour la période d’après Opep, qui est sans doute très proche. Elle est aussi et probablement devenue le principal théâtre des opérations, car, après la bataille pour le Heartland (qui contrôle le heartland contrôle le monde), peut-être pourra-t-on dire « qui contrôle l’Arctique contrôle le monde ».

    «  Conquis par les airs et sous la glace, l’Arctique a été le siège du seul véritable changement stratégique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le cœur de la stratégie océanospatiale américaine face à l’union soviétique. Il est désormais le centre de gravité géographique désert et glacé de la CSCE  » (Guy Labouérie en 1993).

    A méditer. Alexandre Latsa (son site) mardi 15 juillet 2008

    Sources :

  • LIBÉRALISME

    Le libéralisme désigne de manière générique l'ensemble des doctrines apparues à partir du XVIIe siècle en Occident qui font de l'individu abstrait la clef de voûte de tout leur système. Le terme étant ambigu, selon qu'il l'applique à soit la philosophie politique soit à l'économie politique, nous retiendrons moins les philosophes (Locke, Montesquieu, Rousseau) défendant respect de la liberté individuelle que les tenants du libéralisme économique (Quesnay, Say, Adam Smith, Malthus, Ricardo, J. Stuart Mill) qui seul nous intéresse pour cette entrée lexicale.
    Le libéralisme économique est une conception qui refuse l'intervention de l'État (si ce n'est pour défendre l'initiative privée) et qui postule l'existence de lois naturelles capables d'assurer l'équilibre de l'offre et de la demande, à condition que soient respectées la concurrence et la propriété privée des moyens de production. Le néo-libéralisme actuel est une doctrine qui, devant l'échec du libéralisme classique, admet une certaine intervention de l'État dans l'économie sans pour autant remettre en question le principe de la concurrence et de la libre entreprise. 
    Ses principes fondamentaux sont les suivants : individualisme économique, assimilation de la société à un marché (société marchande), méfiance à l'égard des pouvoirs de nature politique, croyance dans la transparence et la spontanéité des rapports sociaux dès lors qu'ils sont marchands et égalitaires, réduction des finalités culturelles à l'obtention du bien-être, croyance dans la fin possible des idéologies au profit d'une gestion “technique”, neutre et éclairée de la société, etc. Le libéralisme débouche sur la technocratie et l'étatisme (gouvernance), sur la mercantilisation et l'opacité des rapports sociaux, sur la réification de l'homme, assimilé à une “chose” dotée d'une valeur monnayable, qui est cette entité abstraite qu'est l'homo œconomicus. Tout en se vantant d'organiser le libre-échange économique et la libre communication culturelle, le libéralisme alimente la domination du modèle occidental de civilisation et d'un système économique transnational (cf. américanisme). D'autre part, il faut combattre l'idée que le libéralisme, aujourd'hui contesté dans son efficacité économique (cf. économisme), détienne le monopole de la concurrence et de l'économie privée de marché (cf. autarcie ou localisme).
    Au plan politique, le régime idéal est fondamentalement celui où il y a le moins de contraintes sociales. Au plan social, il consomme la rupture avec le principe holiste, soit qu'il nie purement et simplement la notion d'intérêt collectif, soit qu'il le fasse naître de l'ajustement miraculeux des conduites individuelles mues par la recherche rationnelle du meilleur intérêt. Dans cette optique, c'est seulement le jeu des intérêts particuliers qui constituent la société : le tout n'est que le produit du comportement des parties. L'ordre public naît ainsi de la concurrence généralisée. Vision de guerre civile : l'ordre spontané, c'est le consensus établi sur l'exclusion des « perdants ».
    Le libéralisme désigne de manière générique l'ensemble des doctrines apparues à partir du XVIIe siècle en Occident qui font de l'individu abstrait la clef de voûte de tout leur système. Le terme étant ambigu, selon qu'il l'applique à soit la philosophie politique soit à l'économie politique, nous retiendrons moins les philosophes (Locke, Montesquieu, Rousseau) défendant respect de la liberté individuelle que les tenants du libéralisme économique (Quesnay, Say, Adam Smith, Malthus, Ricardo, J. Stuart Mill) qui seul nous intéresse pour cette entrée lexicale. Le libéralisme économique est une conception qui refuse l'intervention de l'État (si ce n'est pour défendre l'initiative privée) et qui postule l'existence de lois naturelles capables d'assurer l'équilibre de l'offre et de la demande, à condition que soient respectées la concurrence et la propriété privée des moyens de production. Le néo-libéralisme actuel est une doctrine qui, devant l'échec du libéralisme classique, admet une certaine intervention de l'État dans l'économie sans pour autant remettre en question le principe de la concurrence et de la libre entreprise.
    Ses principes fondamentaux sont les suivants : individualisme économique, assimilation de la société à un marché (société marchande), méfiance à l'égard des pouvoirs de nature politique, croyance dans la transparence et la spontanéité des rapports sociaux dès lors qu'ils sont marchands et égalitaires, réduction des finalités culturelles à l'obtention du bien-être, croyance dans la fin possible des idéologies au profit d'une gestion “technique”, neutre et éclairée de la société, etc. Le libéralisme débouche sur la technocratie et l'étatisme (gouvernance), sur la mercantilisation et l'opacité des rapports sociaux, sur la réification de l'homme, assimilé à une “chose” dotée d'une valeur monnayable, qui est cette entité abstraite qu'est l'homo œconomicus. Tout en se vantant d'organiser le libre-échange économique et la libre communication culturelle, le libéralisme alimente la domination du modèle occidental de civilisation et d'un système économique transnational (cf. américanisme). D'autre part, il faut combattre l'idée que le libéralisme, aujourd'hui contesté dans son efficacité économique (cf. économisme), détienne le monopole de la concurrence et de l'économie privée de marché (cf. autarcie ou localisme).
    Au plan politique, le régime idéal est fondamentalement celui où il y a le moins de contraintes sociales. Au plan social, il consomme la rupture avec le principe holiste, soit qu'il nie purement et simplement la notion d'intérêt collectif, soit qu'il le fasse naître de l'ajustement miraculeux des conduites individuelles mues par la recherche rationnelle du meilleur intérêt. Dans cette optique, c'est seulement le jeu des intérêts particuliers qui constituent la société : le tout n'est que le produit du comportement des parties. L'ordre public naît ainsi de la concurrence généralisée. Vision de guerre civile : l'ordre spontané, c'est le consensus établi sur l'exclusion des « perdants ».
    Le libéralisme s'avère là une machine à produire la désillusion. Dans une société libérale, le lien social résulterait de la libre concurrence des conduites individuelles ? Jamais comme dans le monde occidental actuel, l'anomie sociale n'a été aussi grande. Le marché serait pluraliste par nature ? Par le jeu du mimétisme concurrentiel, jamais les modes de vie n'ont été aussi indifférenciés : partout, le libéralisme détruit les identités collectives, les cultures enracinées, et s'avère générateur d'uniformité. Il serait principe de liberté, d'émancipation du sujet ? Jamais les hommes n'ont été aussi aliénés que dans le rapport à la marchandise qui caractérise le système des objets.
    À en croire les auteurs libéraux, la liberté s'imposerait d'elle-même dans une société gouvernée par l'économie de marché. Le libre-échange engendrerait la liberté comme son produit le plus naturel, par affinité intrinsèque en quelque sorte. Une telle théorie, qui procède d'un raisonnement similaire au marxisme (c'est l'infrastructure économique qui détermine la superstructure politique et sociale), montre en fait que dans une société calquée sur le marché, la « liberté » elle-même est conçue sur le modèle de l'échange commercial. Ce processus a bien été décrit par Werner Sombart : « On réclame une liberté aussi large que possible, on exige la suppression de tout ce qui peut faire obstacle à la course au gain. Il s'agit, en premier lieu, de la liberté formelle, de la liberté de faire ou de ne pas faire, qu'on considère comme un facteur essentiel de la bonne conduite des affaires. [...] En deuxième lieu, la revendication de la liberté implique l'idée d'un gain ne tenant compte d'aucune considération sans rapport direct avec lui. Elle équivaut à la proclamation de la supériorité du gain sur toutes les autres valeurs. » (Le Bourgeois, ch. XIII). Henri Lepage décrit significativement la liberté de consommer comme « la plus fondamentale des libertés ». Dans la théorie du producteur-consommateur de Gary Becker, c'est par son aptitude à la consommation que l'individu s'affirme véritablement comme citoyen.
    La propriété privé n'est pourtant pas un absolu : il y a quantité d'usages d'une propriété qui équivalent à des nuisances du bien commun. L'initiative privée, elle aussi, peut secréter le meilleur comme le pire. La croire intrinsèquement meilleure parce qu'elle est privée n'est qu'une illusion. Le principe de rentabilité (à distinguer du calcul de rentabilité) n'est qu'une façon d'asseoir le règne de la quantité. Quant à la concurrence, elle ne s'exerce pratiquement jamais selon le modèle idéal de la course des athlètes dans le stade. Elle est le plus souvent biaisée, imparfaite, destructive. La publicité, à elle seule, est déjà une suggestion qui fausse le choix.
    Le libéralisme est une doctrine (et même une idéologie) philosophique, économique et politique, et c’est évidemment comme tel qu’il doit être étudié et jugé. Il ne peut être confondu complètement avec le capitalisme, régime économique apparu au XIXe siècle dans lequel les moyens de production relèvent de la propriété privée (car il existe aussi un capitalisme d'État, forme plus ou moins prononcée de collectivisme où l'État est propriétaire des moyens de production, en tout ou en partie). Même si les partisans du libéralisme économique considèrent qu'il constitue le meilleur ressort du développement économique dans la mesure où il stimule la production par la loi constante de l'offre et de la demande, ce régime implique l'exploitation des travailleurs et des peuples, exploitation qui ne peut que s'étendre mondialement pour aboutir à l'impérialisme, et s'accule, à plus ou moins long terme, à des contradictions mortelles entre une production dépendante de la spéculation boursière n'obéissant qu'à la recherche d'un profit toujours croissant et une consommation de plus en plus bloquée puisque, par application de la concurrence qui règne entre producteurs, le système ne peut, en durant, que diminuer le nombre des acheteurs potentiels (effets conjugués de la paupérisation et de la prolétarisation).
    De toutes les idéologies occidentales, le libéralisme est la plus dominante et en outre celle qui menace le plus notre spécificité culturelle : confortant l'individualisme impolitique, elle fonctionne comme une drogue qui colonise les imaginaires et bloque, notamment, des réactions de défense concertée des peuples, de solidarité économico-politique et d'initiative locale. Le libéralisme est, très clairement, pour nous, l'ennemi principal. Le combattre, ici et maintenant, c'est prendre le mal à la racine, à savoir anthropologiquement le rabattement du politique sur l'économique.
    Vouloir 24 /12 /2010

  • Novembre 1918 - Novembre 2012

     Novembre 1918: consécration sanglante de la première boucherie capitaliste mondiale

    Novembre 2012: dévoilement accompli des impostures politiques du délire obamaniaque renouvelé

    «La Commune ne fut pas une révolution contre une forme quelconque de pouvoir d'État, légitime, constitutionnelle, républicaine ou impériale…Elle fut une révolution contre l'État comme tel, contre cet avorton monstrueux de la société ».

    Marx, Adresse sur la Commune,1871

    En un cercle historique de près d’un siècle, l’histoire mythologique qui défigure systématiquement l’histoire du vrai pour lui substituer partout le monde du réel inverti n’a pas cessé de poursuivre sa route pour persuader les êtres que leur seul avenir possible se nommait travail de l’avoir et qu’il n’y avait d’autre horizon que celui du paraître dans la société fétide du calcul, du décor et de l’échange.

    L’objectif essentiel du spectacle de la domination capitaliste est d’anéantir toute compréhension de ce qui fait l’être de l’histoire vivante de telle sorte que la dictature démocratique du marché puisse organiser avec magnificence la totale ignorance de tout ce qui advient par la falsification complète de la totalité de ce qui s’est passé.

    Des millions de prolétaires d’Europe ont été massacrés entre 1914 et 1918 pour permettre au despotisme mondial de l’économie de résorber sa surproduction par un repartage militaire des marchés autorisant ainsi le nouveau monde américain du fétichisme financier à commencer à s’emparer d’une vieille Europe saignée à blanc.

    L’union-sacrée charognarde de toutes les factions politiques de gauche et de droite a ainsi clairement prouvé – par delà et contre les quelques groupes ouvriers radicaux qui refusèrent la grande tuerie impérialiste – que l’État est toujours le lieu central de l’esclavage et du mensonge et que les cimetières militaires de la guerre ne sont que la sordide continuation logique des usines salariales de la paix…

    Le mouvement ouvrier révolutionnaire fut détruit par l’action conjuguée du capitalisme bolchevique et de la domination enfin totalement pleinement réalisée de la souveraineté marchande, le premier étant l’expression encore archaïque de la fusion étatico-financière que la modernité économique de la seconde a enfin aujourd’hui entièrement accomplie comme aboutissement le plus spectaculaire du pouvoir absolu de l’argent.

    Le règne autocratique du marché démocratique est la forme supérieure de la dictature puisque c’est la dictée insidieuse qui va au plus profond de l’intime en supprimant absolument tout ce qui n’est pas conforme aux intérêts de la criminologie organisée de l’usurpation chosifiante et de la mise en forme planétaire de l’ignorance et de l’idiotie qui la justifient.

    La science des légitimations de l’inauthentique pratiquée à profusion par le gouvernement du spectacle mondial de la marchandise implique un illusionnisme de masse, une manipulation permanente et une falsification obscurantiste forcenée qui font de la démocratie le diktat le plus achevé du totalitarisme de la quantité et du contre-sens.

    La gauche du capital a toujours été ici le centre actif du déploiement social capitaliste. Souplesse social-démocratique et rigidité bolchevique correspondaient chacune antagoniquement mais complémentairement dans leurs sphères de nuisance respective aux conditions contre-révolutionnaires du développement vers la domination réalisée de la tyrannie de la valeur. Le mouvement ouvrier cadenassé politico-syndicalement fut ainsi l’expression de la mystification généralisée de la valeur se valorisant vers l’apogée de la raison pratique marchande.

    Toutes les organisations de gauche et leurs sous-fifres gauchistes (trotskistes, maoïstes et libertaires) qui constituent, de fait, l’extrême gauche de l’appareil politique du capital n’ont jamais servi qu’à contenir, torpiller et détourner les luttes ouvrières. Dès lors, le mouvement ouvrier politico-syndical n’est rien d’autre que le conducteur réel du mouvement de perpétuation des prolétaires en tant que prolétaires, c’est à dire en tant que servile catégorie aliénée de l’économie politique.

    Ainsi, la gauche constitue la force d’encadrement et de discipline de la classe ouvrière qui permet que dans le couple travail-capital, ce soit l’activité domestiquée du travail qui se trouve finalement la plus active et qui, par la prison réformiste des duperies de la revendication, fasse sans cesse se reproduire son ennemi inséparable: le capital.

    La gauche représentante du mouvement moderniste du capital est ainsi l’avant-garde de la droite. La première trace pour la seconde les chemins les plus novateurs de la socialisation aliénatoire et aujourd’hui – dans la fusion idolâtre de l’économie et de la politique, les mafias de gauche et de droite ont fini par professionnellement se fondre et se confondre dans un magma excrémentiel fraternel tout entier soumis aux impératifs du gouvernement du spectacle mondialiste.

    Conformément à la place qui lui revenait dans la mise en scène des rapports de production de la servitude, l’union sacrée de 1914 ( reconduite de façon encore plus paranoïaque en 1939 !) permit de faire marcher le prolétariat européen tout droit à l’hécatombe afin qu’il se fasse massacrer avec enthousiasme pour résoudre la crise de surproduction d’alors et relever ainsi le taux de plus-value.

    Les crapules politiques de droite et leurs confrères, canailles de gauche, tous ensemble et en parfaits chiens de garde de la misère marchande organisèrent ainsi la mort de neuf millions d’êtres humains, chair à travail cérémonieusement reconvertie en chair à canon…

    Et lorsqu’à la fin de cette guerre interminable qui allait consacrer le futur royaume du dollar, surgirent dans de nombreux pays d’Europe, des conseils ouvriers qui remirent en cause la marchandisation de l’humain, c’est bien entendu le Parti Social-Démocrate en Allemagne ( qui écrasa la Commune de Berlin !) et le Parti bolchevique en Russie ( qui brisa la commune de Kronstadt !) qui planifièrent de conserve l’orgie sanglante par laquelle furent éliminés des milliers et des milliers d’émeutiers de la vie

    Et pendant des décennies, les héritiers de Lénine, passionnés de fordisme et bénis par les oligarques deWall Street, ne cessèrent de tuer de mort lente ou de mort rapide des millions de prolétaires, simple matériel tragique pour l’accumulation capitaliste d’État.

    Le maintien de l’ordre capitaliste de l’abondance du faux, ayant régulièrement besoin pour aménager le territoire de ses crises de surproduction, d’enclencher de nouvelles redistributions des marchés, il était inévitable qu’un deuxième abattoir mondial fasse suite au premier. Le mouvement d’innovation technologique du bourrage de crâne allait donc faire là des prodiges jusqu’à rendre impossible toute pensée critique au-delà de quelques rares catacombes.

    Les experts universitaires et médiatiques de la falsification spectaculaire nous enseignent chaque jour que les seules paroles autorisées sont celles qui reproduisent et confirment le dire de la tyrannie marchande.

    Le terrorisme d’État est aujourd’hui le laboratoire le plus perfectionné du gouvernement du spectacle mondial. L’empire américain qui a gagné la deuxième tuerie mondiale résume là parfaitement les contradictions sociales de la planète en son entier. Ayant asservi l’Europe et le Japon à sa sphère de commandement géopolitique, la Maison Blanche ne peut désormais neutraliser leurs potentiels économiques que par la manipulation monétaire, l’infiltration secrète et la terreur de masse sous fausse bannière.

    A mesure que la crise financière du capital fictif, va révéler l’impossible rencontre entre l’illimité besoin du développement de la marchandise et l’incontournable limite des solvabilités réelles, l’empire du billet vert dont le déclin est dorénavant établi, sera amené – pour essayer de préserver son hégémonie - à engager – dans tous les espaces de sa territorialité matérielle et symbolique - de vastes coups montés terroristes dont le 11 septembre n’était qu’un simple prodrome vers tous les tripotages, manœuvres, magouilles qui , des plus grands ou plus petits, sont venus ici et ailleurs nous construire jusqu’en en France d’extraordinaires cinématographies comme celles notamment de l’incroyable et déconcertante affaire Merah

    La deuxième arrivée d’Obama à la Maison Blanche, après un premier mandat de totale ineptie visible arraisonné à tous les diktats de la marchandise totalitaire et avec toute la notoriété de spectacle iconologique mise en scène vient dire ici qu’à bout de souffle, les mécanismes de légitimation de l’absolutisme du spécieux n’ont plus désormais pour seule plaidoyer envisageable que les mythologies pourtant de plus en plus essoufflées de la société métissée.

    Dorénavant, à l’heure où l’ordre américain vient tout à fait publiquement racoler dans les banlieues françaises pour organiser des voyages transatlantiques d’embrigadement culturel pour les leaders de quartiers, le rêve américain de la diversité capitaliste apparaît bien comme le pire opium du temps présent.

    L’empire central de la pourriture capitaliste en ses progrès les plus ignobles dès lors qu’il est dirigé par un noir de théâtre se voit ainsi transmuté oniriquement en un idéal suprême pour tous les domestiques du spectacle de l’artifice et de la farce. Obama, créature de commande de la finance mondialiste, s’est donc immédiatement empressé quelques heures à peine après sa réélection, de promettre à ses créateurs qu’il ferait bien ( encore et encore !) du Bush en pire et en plus grand afin que l’emprise américano-israélienne sur le monde aille avec lui encore toujours plus loin qu’avec son prédécesseur.

    Pendant ce temps, la classe capitaliste œuvre en Europe, pour déprécier de manière forcenée le coût du travail, en tentant d’annihiler l’inconscient collectif des restes de l’héritage communard…Elle transfert donc les entreprises ailleurs et elle délocalise aussi et d’abord sur place ici en recourant massivement à l’armée industrielle de réserve analysée très pertinemment par Marx.

    Cette armée de réserve colorée, valeur suprême des rêves métisses du monde de la valeur, permet là une manœuvre décisive car les populations concernées sont par définition issues de temporalités non-critiques structurées autour d’une vision historique fermée. Il est donc relativement facile de les intégrer à la liberté du commerce de l’aliénation généralisée puisque l’ immobilité de leur relation au monde trouve son répondant moderne dans le culte de l’apathie marchande et dans la passivité de l’enfermement consommatoire, unifiés dans un nouveau temps arrêté par l’éternel présent du fétichisme appropriateur.

    Quoi donc de plus normal qu’ Obama, prix Nobel exceptionnel du spectacle de l’avoir et grand maton des mouroirs de Guantánamo, Gaza, de Kaboul et de Bagdad, qui nous explique que le capitalisme de couleur est l’avenir du monde, boucle de la sorte la boucle des mystifications régnantes et soit là la coqueluche persistante de tous les laquais du MEDEF puisque la régularisation des sans-papiers et l’africanisation de l’Europe offrent à la classe capitaliste cette armée de réserve soumise et bon marché dont celle-ci a besoin à mesure qu’elle entend se débarrasser des vieilles contestations et insurrections ouvrières européennes qu’elle entend surtout ne jamais voir renaître…

    La boucherie de 14-18 a liquidé physiquement des millions de prolétaires pour que persiste le cycle d’abomination de l’exploitation humaine. L’idéologie obamaniaque persévérante d’un capitalisme américain de plus en plus pourri et de plus en plus toxique - en tant que stade supérieur d’élimination de la critique ouvrière radicale - entend éradiquer la possibilité même que cette exploitation soit contestée puisqu’au saint nom idéologique de l’économie politique métisse, la messe antiraciste interdit que l’on puisse critiquer les substitutions industrielles de population qu’échafaude la Sainte-Alliance du Capital pour faire disparaître le vieil esprit des traditions subversives européennes…

    A l’heure où la mystique marchande s’est cristallisée dans le projet mondialiste obligatoire du salariat pluriethnique et de la jouissance par la tune, l’heure est bien à la mort programmée de l’ouvrier européen archaïque qui, lui et lui seul, a su dire massivement en sa longue histoire de lutte de classes radicale que la vraie vie n’a pas de prix et qu’il convient – pour retrouver l’être vrai de l’humain – de balayer révolutionnairement l’ assujettissement au salariat et à l’argent.

    Dés lors, en refus de la société marchande qui est toujours déshumanisation de l’homme et contre l’État, qui n'est partout et rien d'autre que le capital concentré en force d'oppression et de domination, il faut redire l’invariance subversive de ce qui permet l’émancipation humaine: l’émergence du vrai vivre de la communauté anti-marchande.

    Ainsi, comme on le voit, et comme on l’a continuellement vu et revu et malgré les secondaires et grotesques conflits de chapelle, lorsqu’il il s'agit d'embrigader les prolétaires dans la mobilisation générale, les préparatifs de guerre, l'union sacrée idéologique ou militaire les gauchistes comme tous les bolcheviques et les sociaux-démocrates se rejoignent en rigoureux serviteurs de la dictature démocratique du marché. Ils sont tous d'accord pour faire participer le prolétariat à la guerre impérialiste, à ses préparatifs et à ses pièges. Les uns dénoncent les autres, les autres dénoncent les uns, mais en réalité ils se retrouvent tous du côté... du leurre antiraciste de l’actuelle guerre du Capital contre le prolétariat…

    En 1918, c’est dans les tranchées que l’économie de la captivité alla écraser militairement le mouvement prolétarien combattant pour aller ensuite récidiver en plus grand et en plus fort à partir de l’an quarante, dans les bombardements stratégiques de l’incommensurable industrie démocratique de la mort pour tous… En 2012, c’est le diktat de la discrimination positive qui exile le prolétariat indigène hors de sa propre histoire pour qu’un nouveau salariat de bonne couleur et de soumission assurée vienne faire fructifier les grandes surfaces normalisées de la bêtise marchande.

    Contre la catastrophe capitaliste accélérée qui s’annonce, il convient d’agir exclusivement de manière organisée et consciente en comprenant que les polices de l’antiracisme d’État n’ont pour seul objet que de permettre le remplacement des grèves sauvages de jadis par l’immigration de marchandises humaines purement consommatoires.

    Si la colère ouvrière des usines quand elle déborde les chiens de garde syndicaux fait trembler l’autocratie capitaliste, les troubles pro-marchands des banlieues rappellent toujours qu’il existe une profonde et allègre solidarité entre les appropriateurs glauques des bas-fonds et les hauts-fonds distingués de la propriété.

    Le sidérurgiste lorrain qui en mars 1979 brisait les vitrines boutiquières du Paris grand-commerçant en hurlant sa haine de la marchandise représente l’ennemi absolu du pouvoir de l’argent et c’est pourquoi ce dernier déteste celui-là alors même qu’il vénère le casseur black-beur abruti du 9-3 qui fait de chacun de ses fric-fracs un hymne à l’idolâtrie du fric et du trafic.

    L’allogène marchandise humaine venue du Sud n’a pour seul et pauvre objet que de venir participer d’une manière ou d’une autre à la jubilation marchande des avidités spectaculaires du posséder et c’est la raison intéressée pour laquelle le système de l’acquérir l’adule pendant qu’il a en horreur le glaiseux et anachronique prolétaire de l’avant qui quand il s’emporte sait – et lui seul – conchier la pestilence des corruptions marchandes.

    L’antiracisme totalitaire de la marchandise est là le pire produit du racisme car il vient décréter que la lutte des classes doit être interdite lorsqu’elle ose signifier que désormais le prolétaire blanc est inférieur en tout et doit sortir de l’histoire puisque c’est seulement lui qui – depuis des siècles de combat et d’insurrection – a clairement ciblé l’essence de la société du falsifiant spectaculaire.

    L’immigrationnisme n’est rien d’autre que le stade suprême de l’impérialisme de la marchandise !

    NON AU CARNAVAL DU METISSAGE MARCHAND !

    A BAS LA GUERRE ET A BAS LA PAIX, CES DEUX FACES COMPLEMENTAIRES DE L’ABJECTION CAPITALISTE !

    A BAS TOUTES LES UNIONS SACREES DU CAPITAL !

    L’Internationale, Gustave Lefrançais ( novembre 2012)  http://www.scriptoblog.com

    etre_avoir_gd

    A découvrir aux éditions Le retour aux sources: "L'être contre l'avoir" par F.Cousin

  • Todmorden, un exemple à suivre de très près

    Autosuffisance, potagers communs, partage alimentaire, autarcie régionale, formation à la botanique et à la biologie.

  • Pour une troisième voie économique

    Bonjour mesdames et messieurs,

    J’ai aujourd’hui l’honneur de m’adresser à vous à l’invitation de Serge Ayoub. Je ne suis pas membre de Troisième Voie, l’expérience m’ayant enseigné qu’un engagement politique est incompatible avec le recul attendu d’un analyste impartial. Pour autant, je me considère comme un compagnon de route de votre mouvement. J’ai en effet coécrit, avec Serge et un mystérieux « M. Thibaud », un petit ouvrage, « G5G, la guerre de cinquième génération », dont certaines idées se retrouveront sans doute, à l’avenir, dans votre Troisième Voie.

    C’est pourquoi, quand Serge m’a demandé une contribution à votre réflexion sur l’économie, j’ai immédiatement accepté. De toute manière, le moment est excellent pour proposer des voies nouvelles. Après tout, ce que nous allons vivre dans les vingt ans qui viennent, c’est la fin d’un monde. Alors profitons-en pour dessiner, dès à présent, ce que nous espérons pour le monde d’après.

    Entendons-nous bien : cette formule, « la fin d’un monde », n’est pas une « manière de parler ». C’est l’exacte réalité, nous vivons, tous ici, depuis notre naissance, dans un monde : le monde de la consommation, de la confiance en l’avenir et du crédit. Nous allons, dans les deux décennies qui viennent, basculer dans un autre monde : le monde de la rareté, de la méfiance devant l’avenir et de la menace.

    Nous sommes à la veille de constater la faillite du monde anglo-saxon. La dernière fois que ça s’est produit, c’était en 1343, sous le règne d’Edouard III. Cela a entraîné la chute du capitalisme médiéval, conditionné la prolongation de la guerre dite de Cent Ans, et contribué à la division par deux de la population de notre continent. Oyez, oyez, bonnes gens, grand spectacle en perspective ! On ne voit pas ça tous les jours !

    C’est comme ça, on n’y peut rien… Essayons de faire une opportunité de cette grande menace : voilà ce dont il doit être question, pour une troisième voie économique.

    Mais commençons par prendre l’exacte mesure de la réalité.

    Sur le plan financier, la situation actuelle de l’Occident est facile  à résumer : c’est la faillite à peu près complète d’à peu près tout le monde. Il y a, dans le système et avant de prendre en compte les produits dérivés, trois ou quatre fois plus de dettes que ce qui est soutenable au regard des taux de croissance actuels. Les évaluations des actifs monétaires sont totalement déconnectées du réel et ne renvoient plus qu’à un immense schéma de Ponzi. Les actifs immobiliers sont estimés sur la base de ce que les baby-boomers étaient prêts à payer pour préparer leur retraite, on va bientôt voir ce qu’ils vaudront quand ces mêmes baby-boomers devront les revendre aux classes démographiques creuses. Les actifs productifs eux-mêmes sont largement surévalués, puisqu’apparemment, personne n’a provisionné les implications des crises énergétiques et écologiques à venir.

    En fait, tout l’Occident, c’est ENRON. Tous les occidentaux sont des salariés d’ENRON : ils croient qu’ils ont un boulot, mais en fait, ils n’ont qu’une ligne de crédit sur un compte déjà dans le rouge.

    En 2008, les USA et l’Europe se sont offert un répit en sauvant leur système bancaire par les comptes publics. Mais l’Etat salvateur est lui-même totalement démuni. A court terme, la faillite de certains Etats occidentaux devra forcément être constatée, d’une manière ou d’une autre. Va-t-on sauver l’Etat par la Banque, après que la Banque a été sauvée par l’Etat ? Si oui, cela passera par les super-souverains, FMI, BCE. Et après ? Et après, rien. On n’aura fait que reculer pour mieux sauter.

    Dans notre situation et à l'intérieur du cadre imposé par la haute finance actuellement au pouvoir, dans l'Etat profond, aux USA et en Europe, il n’y a que trois solutions : admettre qu’on ne peut pas rembourser les dettes, ce qui implique la déflation, puisque les faillites détruisent des revenus ; faire semblant de rembourser en imprimant de la monnaie à tour de bras, ce qui finit toujours par provoquer une inflation, par exemple via les prix des matières premières ou des denrées alimentaires ; ou bien gérer au fil des évènements, une politique de stop and go, pour fabriquer autant que possible une stagflation ou quelque chose qui s’en rapproche.

    C’est cette dernière solution que nos élites vont probablement suivre ; tout l’indique à ce stade, en tout cas. Dans les années 1970, cela avait permis de gérer l’abandon de l’étalon-or et les chocs pétroliers ; mais cette fois, la situation est bien plus grave : une stagflation étalée sur dix ans, qui se traduira probablement par une inflation réelle de l’ordre de 10/15 % par an, avec dans le même temps des salaires qui stagneront ou progresseront peu en monnaie courante, voilà le programme. La soupe à la grimace, et il y en aura pour tout le monde ; le tout venant impacter des sociétés ravagées par trente ans de dérive inégalitaire et d’appauvrissement des jeunes au profit des vieux.

    Première rupture : c’est la fin de l’ère de la consommation, c’est le début d’une ère de rareté relative. Voire, si certains mécanismes s’emballent, de rareté tout court.

    Circonstance aggravante dans ce contexte pour le moins tendu, le système financier international est par terre. Pour l’instant, on a l’impression qu’il est toujours debout parce que tout le monde fait semblant de ne pas voir qu’il est par terre, mais il est bel et bien par terre.

    La zone euro sera évidemment à brève échéance contrainte à un réaménagement drastique ; ce sera peut-être une explosion pure et simple entre une zone mark et une zone franc, peut-être le passage à un euro monnaie commune mais pas unique, peut-être une assez improbable sortie de crise par l’inflation, une inflation orchestrée par la BCE – une issue assez improbable vu les positions allemandes sur la question.

    Mais en tout cas, ce qui est certain, c’est que la zone euro telle que nous la connaissions, c'est fini. Ça ne pouvait pas durer, de toute manière. En gros, c’était : « empruntez comme des Américains si vous êtes espagnols ou irlandais, négociez vos salaires comme des Français si vous êtes français, et profitez cependant des avantages d’une monnaie forte, à l’Allemande, si vous êtes riches. » Ce genre d’incohérence ne peut pas durer très longtemps. Surtout quand ça crée un système où il n’y a plus aucun outil de contrôle au sein d’un espace allant de Naples à Paris…

    Le dollar, lui, n’est plus appuyé sur rien, à part la trouille bleue que le monde entier éprouve devant l’US Army. A ce sujet, pour ceux qui se demanderaient ce que les armées occidentales vont faire en Lybie : non, il ne s’agit pas de défendre les droits de l’homme parce que BHL a prophétisé son oracle. Il s’agit d’implanter une présence militaire euro-américaine pour empêcher par les armes la progression jusque là irrésistible de la Chinafrique, et ainsi conserver les matières premières sous contrôle – la seule raison qu’il reste au monde de vouloir du dollar, c’est en effet qu’on en a besoin pour acheter du pétrole et des matières premières.

    Conclusion : le système que l’Occident est en train de mettre en place, en gros, c’est le durcissement de la structure de classes en interne, et l’impérialisme à l’extérieur, pour défendre le pouvoir de la haute finance, principalement anglo-saxonne, en confisquant les matières premières et les énergies. Soit l’impérialisme pour sauver l’hypercentralisme du capital privé.

    Techniquement, ça rappelle assez certaines logiques des années 30, n’est-ce pas ?

    Militants de Troisième Voie, à l’avenir, quand on vous traitera de fascistes, vous pourrez répondre à bon droit que vous l’êtes  en tout cas moins que les gens que vous combattez ! Une réponse alternative serait que vous assumez les bons côtés du fascisme-projet, alors que les dirigeants actuels du capitalisme globalisé incarnent les mauvais côtés du fascisme-Etat, mais ce genre de nuances est probablement incompréhensible pour la plupart des gens…

    Bref, revenons au sujet.

    En face de ce fascisme bancaire occidental, un contre-pôle apparaît. En gros, c’est l’Organisation de Coopération de Shanghai, c'est-à-dire principalement l’alliance sino-russe, avec l’Inde en arrière-plan, même si elle n’a pas encore clairement choisi son camp.

    Ce contre-pôle, on peut le remarquer au passage, est allié avec une partie du monde musulman, mais ennemi d’une autre partie. Ici comme ailleurs dans l’Histoire, l’unité musulmane apparaît comme un leurre, et ceux qui ont espéré, à une certaine époque, en l’Islam unifié contre l’Empire de la Banque… eh bien ceux-là apparaissent, une fois de plus, comme des rêveurs. Le monde musulman, sur le plan géopolitique, ça n’existe pas. Il y a des pays musulmans, la plupart sont sans force. La Turquie et l’Iran ont un véritable pouvoir régional, mais le face-à-face planétaire, évidemment c’est Chine contre USA, avec l’Europe à ce stade dans le camp américain, et la Russie dans le camp chinois.

    Il y a un contre-impérialisme pour défendre l’hypercentralisme du capital d’Etat, et ça n’a rien à voir avec le Grand Jihad Hollywoodien et autres fariboles plus ou moins made in CIA...

    Le monde qui émerge, à travers cette confrontation pour l’instant très froide et très indirecte entre OTAN et OCS, c’est un monde de la méfiance. La méfiance de tous devant l’avenir engendre la méfiance de chacun devant les autres. C’est la deuxième rupture : le passage d’un monde de la confiance en l’avenir à un monde de la méfiance devant l’avenir, et donc de la méfiance entre les puissances.

    Cette rupture est sinistre, bien sûr, mais il faut aussi reconnaître qu’elle traduit une prise de conscience : les peuples qui ont fait confiance à l’Empire occidental savent maintenant à quoi s’en tenir, quand on leur tient des discours lénifiants sur la démocratie et la société ouverte. Allez parler de société ouverte aux retraités russes, vous allez voir, ils ont des choses à dire à ce sujet…

    Bref, revenons au sujet : le temps de la méfiance.

    La manifestation concrète de cette méfiance, c’est la décision sino-russe de commercer désormais en roubles et yuans. La signification de cette décision, c’est que la moitié du monde se prépare à sortir du cadre de représentation monétaire promu par l’Occident. La confiance ne règne pas…

    Et elle ne règne pas, d’ailleurs, pour de bonnes raisons.

    Ce cadre de représentation monétaire, promu par la sphère anglo-saxonne, dominante au sein de l’Occident, est depuis toujours appuyé sur le système du crédit. Ce système du crédit, concrètement, cela consiste à fabriquer, via la dette, une masse monétaire un peu plus importante que les besoins de l’économie réelle, qu’on lance ainsi à la poursuite d’une fiction : l’économie qu’il faut construire pour donner un sous-jacent à la masse monétaire générée par le crédit. De ce cadre de représentation, induit par le système du crédit, découle l’obligation de la croissance.

    Au départ, tout cela n’était pas malsain ; cela a pu contribuer à créer de la prospérité. Mais le système a peu à peu dégénéré, au fur et à mesure que le capitalisme butait sur des limites écologiques et énergétiques niées contre toute évidence. La machine économique occidentale s’est ainsi virtualisée jusqu’à définir une véritable paraphrénie, une sorte de discours délirant produit par un cerveau global schizophrène : vous ne pouvez plus rouler en voiture, mais les compagnies automobiles font des bénéfices records ; vous êtes  rendus malades par les médicaments, mais l’industrie pharmaceutique prospère. C’est de la folie. Le système économique occidental, depuis quelques décennies, c’est de la folie.

    Le résultat contemporain, c’est une course en avant qui a échappé à toute limite, à tout processus de pilotage coordonné, un cerveau global entièrement dominé par une irrésistible « pulsion de croissance », si j’ose dire, en  fait un cerveau global psychotique. Un cerveau global qui, parvenu au terme de son évolution, révèle progressivement son caractère psychotique, jusqu’à devenir une sorte de serial killer planétaire, ivre de toute puissance technologique, exactement comme un pervers violent est ivre de puissance devant une victime.

    Il y a un moment où il va falloir que nous, occidentaux contemporains, acceptions de nous voir tels  que nous sommes, même si c’est douloureux…

    Nous sommes une civilisation malade. Nous avons détruit la conscience en anéantissant les cadres religieux qui interposaient des limites, des barrières, entre nous et nos fantasmes de toute-puissance. Nous sommes sortis de la religion, puis nous avons laissé tomber nos idéologies, qui étaient des formes religieuses dégénérées. A présent, nous sommes dans les ténèbres, mais nous ne le savons pas. Nous avançons tels des somnambules, ou plutôt tels des morts vivants, des robots, des créatures programmées par une obsession qui les commande pour leur perte. De la disparition de toute référence à une extériorité transcendante, de l’émergence d’une sorte de projection de nous-mêmes comme point de référence à notre course, est sortie une vision du monde pathologique. Celle d’un Jacques Attali, qui nous présente comme « l’idéal judéo-grec » la double négation de la conscience juive du péché et de la conscience grecque de la nature. Véritablement, c’est une maladie dégénérative.

    Nous sommes aussi une civilisation contagieuse. Parce que nous engageons une course indéfinie à la puissance technologique, tout le monde est obligé de nous suivre. Certains n’y parviennent pas : Africains, musulmans, sud-américains, pour l’instant. D’autres y parviennent : Russes et Chinois, Indiens aussi, en partie. Il y a donc d’un côté ceux que nous pouvons détruire, et d’autre part ceux qui sont amenés, à leur façon, à nous suivre pour résister à notre menace – en produisant une menace en sens inverse.

    C’est là que nous trouvons la troisième rupture : bienvenu dans le siècle des menaces, et des menaces croisées, réciproques.

    Donc, je me résume pour que tout le monde ait les idées claires, voilà la situation : l’ère de la consommation, de la confiance et du crédit, nous a conduits, à l’instant de son retournement, dans l’ère de la rareté, de la méfiance et de la menace.

    Et alors la Troisième Voie, dans ce contexte ? J’y viens.

    Deux voies existent aujourd’hui. Le système s’arrange toujours plus ou moins pour fabriquer deux voies. Ça ne date pas d’hier…

    La première voie est définie par le bloc occidental : c’est le capitalisme de la Banque ; la seconde voie est incarnée désormais par la Chine : c’est le capitalisme de l’Etat. Dans les deux cas, le capitalisme n’a plus grand-chose à voir avec la libre entreprise, encore moins avec la liberté. Il n’y a pas de libre entreprise dans un pays où la Banque déclenche des faillites collectives  pour ramasser périodiquement la mise. Il n’y en a pas plus, évidemment, dans un système où l’Etat conserve fondamentalement un contrôle presque total sur la société.

    Ces deux voies, chinoises et anglo-saxonnes, n’en font qu’une à long terme. Aucune des  deux ne répond aux défis de l’heure. Elles sont produites par le siècle des menaces, mais elles ne permettent pas de répondre aux défis de ce siècle. Dans les deux cas, ce que nous avons, c’est un programme de maximisation de la puissance, une obsession de la croissance quantitative. Ni le modèle américain, ni le modèle chinois ne permettent de définir un avenir humain dans un monde où l’impératif de croissance va buter sur ses impératifs écologiques, énergétiques, mais aussi psychosociaux.

    En fait, ces deux modèles supposent implicitement un rebond technologique avant la date fatidique où les catastrophes convergent, entre 2020 et 2030. Mais ce rebond paraît très improbable. L’énergie de fusion, les ordinateurs quantiques… on nous promet  tant de choses. Mais en pratique, ce que l’on voit, c’est un déluge de gadgets, une multiplication des micro-innovations d’un intérêt de plus en plus douteux.

    La voie du capitalisme financiarisé, virtualisé, à l’occidentale, nous conduit vers un monde où le Capital privé, devenu maître de l’Etat, bâtit un pôle de puissance et de richesse prédateur et restreint, dominant un contre-pôle de pauvreté et d’impuissance, formé par une masse dominée. C’est le monde créé par la toute-puissance de la Banque virtualisée, toute-puissance prédatrice et corruptrice, racine de presque tous nos maux, en réalité. Fondamentalement, le cœur de cette voie se trouve dans les pays anglo-saxons et en Israël. Précisons que les peuples américains, anglais ou israéliens n’y sont, dans leur écrasante majorité, pour rien ou à peu près ; ils se trouvent simplement que le Capital a élu domicile chez eux. Ils commencent d’ailleurs à figurer parmi les victimes les plus cruellement attaquées, d’ailleurs, s’agissant en tout cas des Américains et des Anglais.

    La voie du capitalisme encore industriel, à la chinoise, nous conduit exactement vers le même monde, avec deux ou trois décennies de retard, malgré la vitesse étonnante du décollage chinois. Le capitalisme de l’Etat, tout en haut de la structure,  donne peut-être à la voie chinoise, à ce stade, une plus grande cohérence. Mais ne nous y trompons pas, cette cohérence n’est pas mise au service de la liberté, de la dignité des êtres ordinaires. Le système chinois a l’immense mérite de parvenir à gérer un pays d’un milliard trois cent millions d’habitants. Mais ce n’est pas un système que nous, européens, pouvons envier.

    En pratique et en profondeur, Chine, USA, cela revient au même : c’est le modèle d’une humanité à deux vitesses, pour mettre en cohérence le maintien du niveau de l’empreinte écologique démesurée des riches et l’harmonisation des structures de classes à l’échelle planétaire. Deux voies s’opposent, mais elles s’opposent pour se cautionner, et pour conduire, par leur opposition, à un unique modèle. Lire Jacques Attali, pour savoir ce qu’est ce modèle.

    Chine-USA, une opposition en forme de piège. Une ruse de l’Histoire. Ou plutôt : de ceux qui font l’Histoire.

    Mais c’est aussi une opportunité, car à la charnière de ces deux voies opposées par leur origine, et convergentes par leur dynamique, une troisième voie peut apparaître.

    Cette troisième voie, c’est notre espoir.

    Le duopole sino-américain est en crise. Il y a une sorte de course de vitesse entre deux phénomènes historiques : d’une part la confiscation progressive du pouvoir par une hyperclasse mondialisée qui a encore, sans doute, besoin de plusieurs décennies pour prendre vraiment conscience d’elle-même à l’échelle globale ; d’autre part l’implosion de l’empire jusque là dominant, celui du capitalisme occidental, et une transition complexe à gérer vers une nouvelle structure, au sein de laquelle la Chine risque d’être prédominante. La super-crise sociale et la super-crise géopolitique : laquelle des deux va surdéterminer l’autre ?

    Alors, à tout moment, l’opposition de façade entre capitalisme occidental et capitalisme asiatique peut devenir autre chose qu’une opposition de façade. Le système global n’est pas stabilisé ; il faudra encore plusieurs décennies pour le stabiliser.

    Et c’est donc pendant ce moment historique, entre l’ère impérialiste occidentale et l’ère de l’hyperclasse globalisée, et à la charnière entre les deux sphères occidentale et asiatique, c’est ici et maintenant, que peut se trouver une des rares lueurs d’espoir de notre époque : l’hypothèse d’une renaissance européenne, pour une troisième voie, ni américaine, ni asiatique.

    Le monde a besoin d’un retour à l’esprit de limitation, parce que nous sortons de la consommation et entrons dans la rareté. Le monde a besoin d’une proposition de société qui préfère l’équilibre à la croissance, parce que nous sortons du temps de la confiance aveugle en l’avenir, parce que nous  entrons dans l’ère de la méfiance. Et par-dessus tout, le monde a besoin d’une capacité à construire la paix et la stabilité, parce qu’il est, désormais, le monde de la menace. Ces caractéristiques, limitation, équilibre, stabilité, ne peuvent être apportées ni par l’économie atlantique contemporaine, véritable prolifération cancéreuse de la valeur comptable sans contrepartie réelle, machine à secréter le déséquilibre destructeur, ni par une économie chinoise pour l’instant éclatante de santé, mais caractérisée en profondeur par des déséquilibres sociaux gravissimes, qui finiront par pousser Pékin à s’engager dans un impérialisme adapté à la donne chinoise.

    Dans un tel contexte, la définition d’une troisième voie par un troisième pôle est une espérance pour le monde.

    Cette troisième voie, sa définition suppose d’une part qu’une force émerge qui puisse dire non à l’impérialisme anglo-saxon, d’autre part que ce refus soit accompagné d’une proposition positive de refondation.

    La force, pour liquider l’énorme masse de dettes  en la soldant sur la finance spéculative – ce qui suppose, pour que le voleur rende gorge, que la puissance de l’US Army et des réseaux d’influence de l’Empire occidental, gardiens du pouvoir de la Banque, trouve en face d’elle une puissance dissuasive, de force sinon égale, au moins comparable. La force, en somme, pour préempter la crise géopolitique, pour l’utiliser comme un levier, au lieu de la subir.

    Et la proposition de refondation, c’est la fin, ou plutôt le dépassement de la psychose occidentale. Si notre civilisation a fabriqué cette psychose, c’est d’abord parce qu’elle avait pris énormément d’avance sur les autres civilisations du globe. Ceci implique aussi que nous pouvons, peut-être, trouver les premiers le remède à la maladie que nous avons répandue.

    Ce remède, on le connaît tous en réalité. Arrêtons de tourner autour du pot : très concrètement, il s’agit de convaincre les  riches qu’ils vivront une vie bien plus intéressante en partageant. Hors de là, pas de salut. Un processus d’imitation parcourt la structure sociale et la modèle de haut en bas. Nous devons en changer le contenu, pour qu’il répande à nouveau, à travers toutes les couches de la société, les valeurs supérieures du courage, de l’ascèse, du partage, et de la protection du faible par le fort en somme. Bref, il faut en finir avec le règne des marchands.

    Si l’on a pu s’illusionner un instant sur une possible révolution conservatrice aux USA, il devient désormais évident que nous ne trouverons pas la formule de cette réhabilitation des valeurs supérieures dans un monde atlantique qui nous domine, mais qui illustre, jour après jour, sa renonciation à toute décence. Nos traditions de l’Europe continentale sont notre dernier espoir, voilà ce qu’il nous faut raviver si nous ne voulons pas périr.

    Bref, qu’il s’agisse de constituer un pôle de puissance ou de lui donner une substance, c’est toujours par un choix géostratégique que peut et doit commencer toute « troisième voie économique » : nous devons choisir le contrepoids à la puissance et aux valeurs d’un monde atlantique malade et prédateur, qui nous fait crever parce qu’il héberge, pour l’instant du moins, la Banque, le Capital parasitaire. Demain, peut-être, une deuxième révolution américaine me fera mentir.

    Mais pour l’instant, nous savons tous où se trouve l’alternative : dans l’alliance russe.

    Et nous savons tous, aussi, comment cette alliance peut s’organiser. Depuis que Vladimir Poutine a publié dans la Süddeutsche Zeitung un plaidoyer pour un espace économique de Lisbonne à Vladivostok, tout le monde a pu constater que le Kremlin veut l’alliance européenne – ce qui est parfaitement logique, puisque cela installe la Russie en pont terrestre entre l’Europe et l’Asie. Et tout le monde a pu constater, aussi, que la proposition a été formulée en allemand, ce qui, là encore, n’étonnera personne, du moins parmi les gens qui se sont intéressés, ces dernières années, à la progression fulgurante du commerce germano-russe.

    Bref, le nom concret de l’alliance russe, c’est : Paris-Berlin-Moscou.

    Alors soyons clair : si vous vous demandez, parmi les gens qui vous parlent, qui est du côté des peuples, il y a deux questions à poser. La première, évidente, c’est : êtes-vous pour le retour à la souveraineté monétaire des Etats, donc pour l’abolition de la loi de 1973 interdisant à la Banque de France d’accepter les effets du Trésor à l’escompte. La deuxième, moins évidente mais tout aussi cruciale, c’est : êtes-vous pour une alliance Paris-Berlin-Moscou ?

    Ceux qui répondent oui aux deux questions veulent une troisième voie économique.

    Ceux qui répondent oui à la première question, la loi de 73, mais non à la seconde, Paris-Berlin-Moscou, sont de doux rêveurs, qui n’ont pas pris conscience des vrais rapports de force.

    Vous en trouverez aussi qui répondent oui à la deuxième question, Paris-Berlin-Moscou, mais non à la première, la loi de 1973. Ceux-là veulent en réalité positionner le pouvoir bancaire au cœur d’une future économie continentale – car, il faut bien le comprendre, ce pouvoir, aujourd’hui logé dans le monde atlantique, peut très bien, demain, se repositionner dans un cadre différent, y compris à travers un axe Berlin-Moscou maîtrisé, en réalité, par les banques d’affaires. La politique et l’économie sérieuses, ce n’est jamais simple.

    Mais supposons que tous les écueils ont été contournés. Supposons qu’un nouveau pouvoir, en France et en Allemagne, sans rompre totalement les liens avec les USA, engage réellement l’Europe dans une troisième voie économique…

    Imaginons que le rêve esquissé par Vladimir Poutine dans la Süddeutsche Zeitung est devenu réalité. En quoi consiste alors la troisième voie ?

    Oh, ça n’a rien de bien sorcier : c’est d’une part le relèvement de tout ce qui a été abattu par un demi-siècle de despotisme bancaire, et d’autre part l’adaptation de ces dispositifs restaurés à la nouvelle donne créée par les défis du XXI° siècle, des défis qui ne seront pas ceux du XX° siècle.

    En France, en gros, il faut refaire le Conseil National de la Résistance, en nous souvenant que l’enjeu n’est plus tant de sortir de la pauvreté que d’organiser une aisance écologiquement responsable. En Allemagne, il faut revenir, là encore sous des formes renouvelées, à ce qui s’appelle, là-bas, l’économie sociale de marché et la cogestion. Et en Russie, il faut continuer le bon travail fait, depuis dix ans, par Poutine, en tirant profit des avantages considérables que la Russie peut espérer d’un investissement technologique européen. Nous avons notre hinterland à développer, il s’appelle la Sibérie, et il est immense. Croyez-moi, si nous osons renaître, nous ne sommes pas les plus mal placés sur terre…

    On peut tout à fait imaginer que progressivement ces modèles européens, ces projets nationaux inscrits en Europe, se rapprochent et, dans une certaine mesure, fusionnent. Il est hors de doute qu’il existe aujourd’hui en  France un intérêt pour ce que l’Allemagne a réussi mieux que nous ; une partie de cet intérêt est obscène : cette partie renvoie au fantasme que le pouvoir capitaliste français a toujours entretenu à l’égard de la société germanique hiérarchisée. Mais une autre partie de cet intérêt est tout à fait sain : le fait est que la cogestion et l’économie sociale de marché, eh bien cela marche tout simplement, dans certains domaines, mieux que la planification indicative à la française – même si dans d’autres  domaines, c’est le système français qui s’impose.

    D’ailleurs, il existe aujourd’hui en Allemagne un vif intérêt pour l’esprit de solidarité français – évidemment, les médias dominants, ici, ne vous en parlent pas, mais savez-vous que récemment, un sondage a révélé que 75 % des Allemands approuvaient une grève dure dans les chemins de fer, parce qu’ils estiment la rigueur excessive ? Vous a-t-on parlé des manifestations importantes  qui viennent de secouer la Saxe, à peu près là d’où est parti, en 1989, le mouvement qui devait mettre la RDA par terre… Non, évidemment : vous comptez compter sur les médias français quand il s’agit de ne pas vous informer de ces choses. On préfère vous expliquer que les Allemands bossent dur et ferment leur gueule, et que vous devriez faire pareil. Eh bien, sachez-le, on vous ment : en Allemagne, il n’y a pas que des patrons et des retraités, il y a aussi une population qui souffre. Rien ne dit que cette population acceptera éternellement d’être le prisonnier modèle de la nouvelle prison des peuples, j’ai nommé l’Union Européenne bruxelloise…

    En fait, ce qui se passe en ce moment, c’est que l’Europe est en train d’hésiter entre conclure son suicide et renaître.

    Si nous ne parvenons pas à triompher de la dictature des marchés financiers, si nous devenons les auxiliaires du combat d’une soi-disant voie occidentale vers la société de l’injustice, contre une voie asiatique conduisant d’ailleurs elle aussi à cette même société de l’injustice… bref, si nous nous laissons entraîner dans une voie que nous n’avons pas choisie, les gens qui nous ont poussé au suicide finiront leur travail.

    Mais il y a une autre voie.

    La voie qui consiste, tout simplement, à décider nous-mêmes de notre avenir. Restaurer notre souveraineté nationale, l’insérer dans un ordre européen reposant sur une alliance structurelle entre des puissances européennes souveraines, mais coordonnées par un système d’agences, souple et réactif. Utiliser le formidable levier de puissance de cette alliance pour reconquérir les instruments de la souveraineté monétaire. Utiliser la souveraineté monétaire pour opérer, à l’échelle d’un espace eurosibérien coordonné, une véritable refondation monétaire. Profiter de cette refondation monétaire pour faire, à l’échelle de cet immense espace eurosibérien, ce que jadis, en plus petit, l’alliance des résistants dans le CNR avait fait en France, ou encore ce que, d’une autre manière, les politiques habiles et raisonnables firent en Allemagne, dans les années 50. Redistribuer les revenus. Dompter le capitalisme. L’obliger à produire, sans violence inutile, sans contrainte autre que celle strictement nécessaire, la dose exacte de socialisme qui doit servir de contrepoids à un libéralisme sain, un libéralisme des entrepreneurs. Et choisir, ainsi, à travers l’économie, qui n’est qu’un outil, la renaissance de nos vieux peuples.

    On sait tous très bien ce qu’il faut faire. Et on sait tous très bien que la seule chose qui nous empêche de le faire, c’est, tout simplement, le pouvoir des riches, des très riches. Il faut, donc, tout simplement, briser ce pouvoir, là où il est à ce stade concentré : dans l’Anglosphère. La troisième voie, c’est la voie qui conduit à remporter cette bataille-là.

    C’est possible. Mon opinion est qu’il y a très peu de chances pour que cela arrive, je ne vous le cacherai pas. Mais c’est possible, et c’est absolument la dernière chance, le dernier arrêt pour descendre et changer de train. Après, le programme, c’est highway to hell.

    Donc, en conclusion, voilà à quoi, à mon avis, doit correspondre la troisième voie économique défendue par votre mouvement : saisir la dernière chance de l’Europe.

    Evidemment, on dira qu’il y a un extraordinaire décalage entre cette ambition et vos moyens. A quoi bon, dira-t-on, parler de ces questions à des gens si peu nombreux, si peu puissants ?

    A cette objection, je répondrai qu’on ne vous demande pas, à vous du mouvement Troisième Voie, d’être plus que des auxiliaires dans ce grand combat.

    A ceux qui s’étonnent, ici ou là, que je sois un compagnon de route de votre mouvement, je réponds en général ceci : quand on va passer aux choses sérieuses, ce qui arrivera forcément dans quelques années, et nous le savons tous… quand on va passer aux choses sérieuses, donc, vous préférez les trouver où, les jeunes gars de cette tendance : en face de vous, ou à côté de vous ?

    Et donc, voilà pourquoi j’espère, militants et sympathisants du mouvement Troisième Voie, vous avoir, en bon compagnon de route,  un peu aidé aujourd’hui à choisir le bon combat.

    Michel drac http://www.scriptoblog.com

  • Tant qu’il y aura des cons pour jouer le jeu de l’oligarchie…

    70 000 euros par an et dissonance cognitive

    Le Monde Libertaire

    Le 22 Novembre 2012 url de l’article original:

    http://www.monde-libertaire.fr/anticapitalisme/16017-70-000euros-par-an-et-dissonance-cognitive

    « Moi je ne respecte pas les fonctionnaires français. Je gagne 70 000 euros par an, vous gagnez le Smic, alors vous fermez votre gueule. »

    Une vidéo, sur le net. On ne voit pas grand-chose, mais on entend. Un conflit entre un voyageur et une employée de la SNCF. Banal, surtout depuis que le libéralisme sabre le personnel de la SNCF, qui ne peut plus bien entretenir ses lignes (celles qui subsistent), entraînant des retards consternants et que l’on n’avait jamais vus ces dernières années en France.

    Mais non, ce n’est pas cela. En gare de Viroflay (banlieue réputée pour le malheur de ses habitants qui échouent souvent à passer de la Mercedes à la Bentley), un homme crie dans son portable, et bloque une queue. L’employée lui demande de se pousser pour laisser la place aux autres. Le monsieur répond, ce qui déjà vaut son pesant de stock-options, que lui, « il est cadre, que ce n’est pas son problème, qu’il a des soucis ». D’où l’on déduit qu’il y a au moins un cadre en France qui juge qu’il faudrait deux types de guichet : avec queue pour la population, sans queue pour les cadres. Mais l’internaute continue à enregistrer : « Moi je ne respecte pas les fonctionnaires français. Je gagne 70 000 euros par an, vous gagnez le Smic, alors vous fermez votre gueule. » Et encore : « C’est que nous, on se casse, nous on en a marre. » Ou bien : « Si vous n’aviez pas de gens comme moi à payer 10 000 euros d’impôts, vous n’auriez pas votre salaire, vous feriez quoi, vous seriez à la rue ! » Puis : « Nous, on est supérieurs à vous, et vous, vous allez crever. Moi je vous pique 70 000 euros si vous êtes chez Orange. Je suis tous les mois à Saint-Domingue pour Orange, c’est pour ça que je gagne 70 000 euros. Et le week-end, je suis à La Baule. Vous gagnez combien ? Vous avez votre salaire de merde ? » Lumineux.

    Que les éructations du bonhomme soient vraies ou non (Orange affirme qu’elles sont fausses), on aura rarement, en nos temps hypocrites, aussi bien éclairci la haine de classe. La vraie. La féroce, la sans pitié. Celle qui jouit d’être la botte qui piétine le pauvre. Celle qui crache à la figure du mendiant. Celle qui aime les prisons et les camps. Karl Marx a certes eu tort de faire de la lutte de classes le seul moteur de l’histoire, il a néanmoins l’excuse qu’en son temps de telles déclarations, plus polies mais pas moins sincères ni moins haineuses, étaient monnaie courante, se lisaient dans les livres et les journaux. à quels vilains ressorts psychologiques font-elles appel ? L’ignorance, la honte, l’aigreur.

    L’ignorance, parfois involontaire, souvent volontaire, est une caractéristique constante de la pensée de droite. L’imbécile assertion selon laquelle ce sont les riches qui font vivre les pauvres (« Si vous n’aviez pas de gens comme moi… ») était déjà utilisée par les idéologues contre-révolutionnaires en 1790 : s’il n’y avait pas de ducs, que mangeraient les laquais, les tailleurs et les carrossiers ? (J’entends une voix, au fond de la classe, murmurer « des comtes et des marquis ».) Refuser de comprendre que les revenus des ducs (des cadres…) proviennent en totalité, directe ou indirecte, du travail des pauvres (des employés…) est évidemment la preuve d’une ignorance insondable, et rarement si involontaire que ça.

    La honte. Les survivants des camps de concentration, et une myriade de psychologues, ont depuis longtemps mis en évidence le phénomène. Quelle que soit l’idéologie qui anime un être humain non entièrement psychotique, annihiler, torturer, humilier, exploiter un autre être humain ne va pas sans honte. Cette désagréable sensation ne peut être combattue que par un surcroît de haine et de déshumanisation de la victime. C’est le côté opposé du vieux mécanisme psychologique par lequel on tend à aimer ceux à qui l’on fait régulièrement du bien. La « tendance à la réduction de la dissonance cognitive », dissonance entre deux pensées contradictoires, pousse à la modification de la perception de la réalité afin que l’une des deux pensées contradictoires disparaisse. Haïr le captif impuissant que l’on torture permet de ne plus avoir honte du crime que l’on commet. Notre petite ordure de Viroflay ne doit pas être si fière que cela de gagner sept fois plus qu’une guichetière de la SNCF.

    L’aigreur. Oui, les cadres travaillent dur. De plus en plus dur, d’ailleurs. Et s’ils sont cadres, ils sont donc insérés dans une organisation hiérarchisée, implacable, ils doivent avaler couleuvre sur couleuvre, ils prennent de nombreux risques, ils sont souvent obligés de produire tel ou tel résultat sans être sûrs d’avoir les moyens ou les instruments ou le temps nécessaires. Mais la rage que tout cela entraîne ne peut pas être dirigée contre leurs supérieurs. Bien sûr, pas ouvertement, mais pas non plus psychologiquement : ils ont trop investi moralement, émotionnellement, narcissiquement pour admettre que leur job est une constante humiliation et que leur employeur est leur pire ennemi (réduction de la dissonance cognitive, là encore). Alors, la soupape est la haine du pauvre. Et puisque l’on travaille si dur, on invente que si le pauvre est pauvre, c’est qu’il ne travaille pas assez. Qu’il est paresseux (ce que secrètement le cadre voudrait être). On réussit donc l’exploit d’être à la fois envieux et méprisant envers les pauvres. à peu près comme le catholique pratiquant sexuellement coincé, qui est à la fois envieux et méprisant du célibataire passant d’un lit à l’autre.

    Terminons sur un trait d’humour involontaire : Orange s’est empressé de déclarer que « ce type de propos ne reflète en rien les valeurs d’Orange ». En aurions-nous jamais douté ?

    Nestor Potkine http://resistance71.wordpress.com/

  • Le luxembourgeois Yves Mersch à la BCE : un adieu à la démocratie ?

    En décidant, malgré le vote du parlement européen, de nommer le luxembourgeois au directoire de la banque centrale européenne, les chefs d’États et de gouvernements de la zone euro ont mis à jour les dysfonctionnements actuels de l’Union.

    Tout le monde en convient : l’Europe souffre d’un déficit démocratique, d’un manque de légitimité et d’un éloignement du citoyen. Tout le monde, sauf les chefs d’Etat et de gouvernements de la zone euro. Ces derniers ont tranquillement, lors du sommet européen de ce vendredi, nommé Yves Mersch, l’actuel gouverneur de la banque centrale du Luxembourg, au directoire de la BCE. Et cela, malgré un vote négatif du parlement européen.


    «Vrai» pouvoir du parlement ?

    Avec cette nomination, le conseil européen prouve la vraie valeur du parlement européen dont, depuis le traité de Lisbonne, on nous assure pourtant qu’il a désormais un «vrai» pouvoir. Peu importe la raison pour laquelle l’assemblée avait rejeté cette candidature, en l’occurrence le sexe de monsieur Mersch. On pouvait la juger irrecevable. Mais enfin, en démocratie, le vote du parlement est incontournable. C’est une règle d’or plus essentielle que sa cousine budgétaire. Mais ce n’est pas celle qui est inscrite dans les traités européens.

    La gestion par les sommets

    L’arrivée d’Yves Mersch au directoire de la BCE met à jour également la très mauvaise voie sur laquelle l’Europe est entraînée. Les chefs d’Etat et de gouvernement ne sont pas décidés à laisser entendre d’autres voix que les leurs. L’ennui, c’est que ceci entraîne des désagréments bien plus fâcheux que la nomination du Luxembourgeois. La gestion de la crise de la dette – qui consiste depuis deux ans à poser des rustines sur des sparadraps lors de «sommets de la dernière chance» qui se succèdent – est le fruit de ce fonctionnement désastreux. L’échec récent de l’Eurogroupe sur la Grèce, qui devrait être réparé lundi, l’a encore une fois prouvé.

    Larmes de crocodiles en 2014…

    L’établissement d’un parlementarisme européen serait un des moyens de créer un sentiment de communauté à l’échelle européenne qui manque cruellement aujourd’hui. Il entraînerait une responsabilité des électeurs, des élus et des chefs d’Etat qui serait des plus salutaires. Il est du reste piquant de penser que ces mêmes chefs d’Etat qui se sont essuyés les pieds sur le vote des élus de Strasbourg viendront la larme à l’œil déplorer l’abstention massive qui ne manquera pas de marquer les prochaines élections européennes et soupirer sur « ce mal qui ronge notre démocratie. »

    Un faucon dans la volière de colombes

    Mais en réalité, la nomination d’Yves Mersch est encore plus préoccupante qu’elle n’y paraît. C’est ici la victoire d’une certaine idée de l’Europe. Sur le plan monétaire d’abord, c’est l’entrée d’un faucon au sein du directoire. Un faucon qui sera la voix de la Bundesbank et qui ne devrait pas manquer de freiner, du moins en interne, la participation nécessaire de la BCE à la gestion de la crise au nom de la «stabilité».

    L’Espagne éjectée

    Sur le plan de la représentativité en Europe, ensuite. L’arrivée d’Yves Mersch confirme l’expulsion d’un représentant permanent de l’Espagne au sein du directoire. Madrid s’était d’ailleurs exprimé contre cette nomination. Car il ne faut pas se leurrer: si l’Espagne a été éjectée, c’est en raison de ses difficultés. Autrement dit, les pays en crise deviennent clairement des pays de seconde zone. Ou pire : les chefs d’Etat et de gouvernement auraient ainsi jugé utile de garantir au sein du directoire un certain équilibre entre le «Nord» et le «Sud» de l’Europe, validant ainsi une vision «ethnique». Tout ceci est de bien mauvais augure pour la gestion de notre continent.

    Questions sur le poids du Luxembourg

    Enfin, cette nomination du Luxembourgeois confirme le poids exorbitant du Grand-duché dans les instances dirigeantes européennes, son premier ministre étant également président de l’Eurogroupe. On voudra bien reconnaître que les sujets de son Altesse royale Henri de Luxembourg sont un peu plus doués que les autres, mais ceci n’est pas neutre à l’heure où la commission européenne elle-même fustige la mauvaise volonté de ce petit Etat dans la lutte contre les paradis fiscaux et, où, parallèlement, de grands pays luttent pour retrouver des finances saines.

    La Tribune via http://fortune.fdesouche.com

  • Economistes, institutions, pouvoirs

     Je prends ici le risque de mettre en ligne la communication que j’ai faite à la table ronde « Economistes et pouvoir » du Congrès de l’AFEP (Association française d’économie politique) qui s’est tenu à Paris du 5 au 8 juillet 2012, risque puisque les textes universitaires ne vivent pas très bien hors de leur biotope universitaire. Je le fais cependant à l’occasion du supposé renouvellement du Conseil d’analyse économique (CAE) et accessoirement comme une pièce à verser au débat qui a fait suite à la parution du livre de Laurent Mauduit, Les Imposteurs de l’économie. Mais non sans avertir que ce texte a le style de son caractère et de ses circonstances : académique (quoique…), comme il sied à un colloque… académique, avec quinze minutes de temps de parole strictement comptées. Ceci dit pour signaler que lui reprocher ce à quoi sa nécessité de forme le vouait ne fera pas partie des commentaires les plus malins possibles. A part quoi, on peut discuter de tout — au fond.

    Intérêts à penser

    Sur un sujet à haute teneur polémique comme celui d’aujourd’hui, il est peut-être utile de ne pas céder immédiatement à l’envie (pourtant fort légitime) de la castagne et, au moins au début, de maintenir quelques exigences analytiques, conceptuelles même. Pour commencer donc, et dût la chose vous surprendre, voici ce que dit la proposition 12 de la partie III de l’Ethique : « L’esprit s’efforce autant qu’il le peut d’imaginer ce qui augmente la puissance d’agir de son corps. » La chose ne vous paraîtra sans doute pas aller de soi à la première lecture, mais cette proposition livre ni plus ni moins que le principe de l’idéologie, à savoir que la pensée est gouvernée par des intérêts à penser, mais de toutes sortes bien sûr, très généralement les intérêts du conatus, c’est-à-dire tout ce qui peut lui être occasion de joie (c’est-à-dire d’augmentation de la puissance d’agir de son corps).

    Derrière la pensée donc il y a toujours des désirs particuliers de penser, déterminés bien sûr par les propriétés idiosyncratiques de l’individu pensant, mais aussi — et en fait surtout — par sa position sociale dans des milieux institutionnels. C’est cette position sociale qui conforme ses intérêts à penser, je veux dire à penser ceci plutôt que cela, à avoir envie de penser, de s’efforcer de penser dans telle direction plutôt que dans telle autre. La question est donc celle des profits ou des intérêts à penser ce qu’on pense, et dont il faut redire qu’ils peuvent être de toutes natures : monétaires bien sûr, mais aussi, et évidemment surtout, institutionnels, sociaux, symboliques, psychiques, et à tous les degrés de conscience — ce qui, par parenthèses, devrait suffire à écarter les lectures catastrophiquement béckeriennes [1] de ce propos…

    Sans surprise en tout cas, Spinoza rejoint ici Bourdieu : dites moi à quel domaine institutionnel vous appartenez et quelle position particulière vous y occupez, et je vous dirai quelles sont vos inclinations passionnelles et désirantes, y compris celles qui vous déterminent à penser. Si donc on pense selon ses pentes, c’est-à-dire si l’on est d’abord enclin à penser ce que l’on aime à penser — et telle pourrait être une reformulation simple de (Eth., III, 12), ou plutôt pour lui donner la lecture structurale qui lui convient : si l’on est enclin à penser ce qu’on est institutionnellement déterminé à aimer penser —, alors c’est ce bonheur de penser ce qu’on pense, parce que cela procure toutes sortes de joie, qui est au principe pour chacun du sentiment de la parfaite bonne foi, du parfait accord avec soi-même, et de la complète indépendance, de la complète « liberté » de penser.

    Il est donc probablement inutile d’aller chercher même les économistes de service sur le terrain de la corruption formelle : leur corruption est d’une autre sorte. Elle est de cette sorte imperceptible et pernicieuse qui laisse en permanence les corrompus au sentiment de leur parfaite intégrité, dans leur pleine coïncidence avec les institutions qui, dirait Bourdieu, les reconnaissent parce qu’ils les ont reconnues.

    Les effets d’harmonie sociale qui accompagnent les normalisations institutionnelles réussies rendent donc superflue la thèse formelle du conflit d’intérêt.

    De ces économistes qui, ignorant tout de l’idée de critique, rejoignent ouvertement le camp des dominants, il n’y a pas même à dire que ce sont des vendus, car ils n’avaient pas besoin d’être achetés : ils étaient acquis dès le départ.Ou bien ils se sont offerts avec joie.

    La thèse du conflit d’intérêt d’ailleurs, à sa lettre même, est vouée à rester impossible à établir. De tous les arguments, où le misérable le dispute au ridicule, avancés par exemple par le cercle des économistes (en fait certains de ses membres) pour sa défense, il n’y en a qu’un qui soit un peu robuste : tous ces gens-là mettront quiconque au défi de « prouver » le conflit d’intérêt. Et on ne le prouvera pas ! On ne le prouvera pas, non pas parce qu’on aura du mal à mettre la main sur les pièces à conviction décisives, mais parce qu’il n’existe pas.

    Si je me suis livré à ce bref détour théorique en introduction, c’est précisément pour rappeler qu’il existe bien d’autres modes de l’alignement des discours que le conflit d’intérêt, et qu’en lieu et place de la transaction monétaire explicite et consciente, il est une myriade de transactions sociales implicites et le plus souvent inconscientes qui concourent bien plus sûrement au même résultat, avec en prime le superbénéfice de la bonne conscience pour tout le monde, ce supplément heureux de toutes les harmonies sociales.

    Economistes et journalistes, en rangs serrés

    C’est donc plus un regard sociologique et institutionnaliste qu’un regard journalistique et criminologique qu’il faut prendre sur le paysage dévasté de ladite science économique. A cet égard, la thèse du conflit d’intérêt est un sous-produit de l’hypothèse plus générale de la crapulerie — alias, s’il y a du mal dans le monde, c’est parce qu’il y a des crapules. Ainsi, expliquer la commission des économistes de service par le conflit d’intérêt équivaut dans son ordre à expliquer la crise financière par Kerviel et Madoff, ligne qui entraîne irrésistiblement les solutions dans les impasses de l’éthique. Aussi, très logiquement, tenter de mettre un terme aux malfaisances à coup de déontologie, de chartes et de transparence aura-t-il les mêmes effets, je veux dire la même absence d’effet, ici que là.

    Evidemment, c’est un très grand progrès que de porter au jour les turpitudes de ces économistes, comme se sont attachés à le faire de longue date, et dans l’indifférence générale, Le Monde Diplomatique, Acrimed et tout le mouvement de critique des médias, puis décisivement Jean Gadrey dans un texte de son blog, plus récemment le livre sans doute salutaire, quoique parfois surprenant, de Laurent Mauduit. Et l’on est tout aussi évidemment mieux avec des déclarations d’intérêt que sans ! Mais qui les lira, et qui en fera vraiment état ? Les journalistes ? Pour en faire quel usage ? Dans ses critiques Le Monde des Livres n’omet plus de signaler que Bernard-Henri Lévy et Alain Minc sont au conseil de surveillance du journal. Ce devoir pieusement acquitté, on peut alors continuer de lécher comme d’habitude [2]…

    Par élargissement de la focale institutionnelle, on voit donc que la question n’est pas seulement celle des économistes supplétifs de la mondialisation, mais aussi celle des médias qui en sont les complices, solidaires, et qui les ont imposés sur un mode quasi-monopolistique — tout ce petit monde vantant par ailleurs les stimulants bienfaits de la concurrence non distordue…

    Car à la fin des fins, qui a promu ces individus, dont certains sont des olibrius ? Qui les a poussés sur le devant de la scène ? Qui, par exemple, s’est porté partenaire avec empressement, il y a une dizaine d’années, de cette navrante pantomime qu’est le « prix du jeune économiste » — dont Antoine Reverchon dans un numéro récent du Monde Economie [3] n’hésite pas à faire un modèle de pluralisme, on croit qu’on rêve…

    Comme on sait, cet effet d’imposition a été d’autant plus puissant qu’il a été le fait de la presse dite de gauche, je veux dire de fausse gauche : Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, France Inter, et jusqu’à France Culture — la honte… —, et ceci depuis des décennies. La complicité organique de ces médias avec ces économistes a passé les seuils où toute régulation intellectuelle a disparu. Avec ce sens très particulier de l’évidence qui est l’un des charmes de la bêtise, un article de ce même numéro du Monde Economie s’interroge en toute candeur : « Qui n’a jamais apporté ses conseils à une société privée ? A une banque ? A un gouvernement ? » Mais enfin, bien sûr ! Quel économiste n’a jamais fait ça ?… Mais il faudrait faire l’analyse complète de ce numéro décidément remarquable du Monde Economie, comme d’ailleurs de toutes ces opérations en mode damage control de cette presse auto-commise à la défense des experts organiques de l’ordre néolibéral, Dominique Nora pour le Nouvel Obs [4], ou l’inénarrable Eric Le Boucher pour Slate [5], journalisme de service au service des économistes de service.

    Misère de la déontologie universitaire

    Ces simples évocations laissent entrevoir à elles seules l’ampleur du déport vers les pôles de pouvoir de tout un paysage institutionnel. Au sein duquel il faut évidemment compter les institutions de la science économique elle-même. Là encore, les patchs éthiques de la déontologie et de la transparence promettent d’être terriblement insuffisants. Les chers collègues et les comités de lecture des revues scientifiques liront-ils les déclarations d’intérêt ? Bien sûr ils les liront. Et puis ? Et puis rien évidemment ! La science économique dominante, de son propre mouvement, en suivant ses seules pentes « intellectuelles » (si l’on peut dire… ) et ses orientations théoriques, a donné son aval avec enthousiasme au tissu d’âneries dont les mises en pratique ont conduit à la plus grande crise de l’histoire du capitalisme. Je vous propose alors l’expérience de pensée suivante — c’est une contrefactuelle : période 1970-2010, soumissions aux revues, avec toutes les déclarations d’intérêt en bonne et due forme, des papiers de Fama, Jensen, Merton, Scholes, Summers, Schleifer, etc. Taux de rejet pour cause de collusion trop manifeste avec des intérêts privés ? Zéro, évidemment. C’est donc, là encore, toute une configuration institutionnelle, celle du champ de la discipline, qui a produit cet état dans lequel le discours de la science économique dominante est devenu si adéquat aux intérêts des dominants que se faire payer pour dire quelque chose qu’on a spontanément et « scientifiquement » pensé ne peut pas porter à mal.

    Voilà alors que, par une espèce de tropisme du pire, le système français, pris de décalcomanie institutionnelle, se met à imiter ledit modèle étasunien.

    Et la recherche est désormais en proie au fléau des fondations. Dans son ouvrage, Laurent Mauduit fait de curieuses différences en parant PSE [6] de tous les mérites, pour réserver à TSE [7] le rôle du vilain. Plutôt que de se perdre dans des différences secondes, c’est le principe premier lui-même, celui de l’organisation par fondation, qu’il faudrait questionner.

    Car en voilà une autre harmonie sociale, institutionnellement équipée, et là aussi, tout s’y emboîte à merveille : la science-scientifique la plus consacrée a pris le pli de dire d’elle-même des choses qui se trouvent n’offenser en rien les puissances d’argent (et je parle par litote) ; assez logiquement les puissances d’argent commencent à se prendre de passion pour une science si bien disposée et se proposent de « l’aider », comme une sorte de devoir citoyen sans doute…

    Mais qui peut sérieusement croire un seul instant qu’Exane, Axa, Boussard et Gavaudan Gestion d’Actifs (puisque ce sont les « partenaires » de PSE) pourraient ainsi offrir de larges financements si ces généreux mécènes n’étaient pas de quelque manière assurés d’avoir à faire à une institution qui, majoritairement, ne viendra à aucun moment défier sérieusement leurs intérêts fondamentaux sur le plan intellectuel ? Voici donc ce qu’on peut lire sur le site de PSE : « Le rôle des partenaires privés est central : leur engagement contribue au décloisonnement entre recherche académique et société civile ». L’on notera d’abord que ces décloisonnements s’effectuent toujours dans la même direction, et ensuite que c’est là très exactement l’argument sans cesse rabâché par le Cercle des économistes pour justifier ses agissements : « si nous sommes dans les banques et les conseils d’administration, c’est pour sortir de notre tour d’ivoire, aller au contact de la réalité, et parce que nous avons le goût du terrain »

    Romain Rancière (PSE) peut bien proposer une charte à l’usage des chercheurs de PSE, on ne voit pas, et pour les raisons que j’ai déjà indiquées, quels changements significatifs elle pourrait produire à elle seule, et surtout quand, mettant les individus sur le devant de la scène, elle omet de mettre en question l’institution elle-même, dans ses principes fondamentaux. Quitte à faire dans la transparence, il serait sûrement intéressant de rendre publics les résultats des conventions de recherche entre PSE et, par exemple, Axa Research Fund, ou bien avec la fondation Europlace Institute of Finance — on imagine d’ici les brûlots…

    Laurent Mauduit est malgré tout porté à voir dans la moindre part des partenaires privés dans PSE (relativement à TSE) une démonstration d’auto-modération et de sage prudence. Je lui propose une autre interprétation : PSE en voulait autant que TSE ! C’est juste que le fund raising a un peu foiré en route… après quoi, bien sûr, il est toujours possible de faire de nécessité vertu. Je lui proposerais même une interprétation de l’interprétation : en moyenne, PSE affiche un enthousiasme pour les mécanismes de marché un petit peu en retrait par rapport à TSE — amis économètres, à vos codages ! Intensité market friendly des publications vs. millions d’euros levés : je vous prédis des R2 étincelants.

    Refaire les institutions d’une science sociale critique

    Spinoza explique dans le Traité politique qu’il ne faut pas attendre le bon gouvernement de la vertu des gouvernants — pari sur un miracle voué à être perpétuellement déçu —, mais sur la qualité des agencements institutionnels qui, en quelque sorte, déterminent des comportements extérieurement vertueux mais sans requérir des individus qu’ils le soient intérieurement.

    Parce que ce sont les institutions, spécialement quand nous sommes exposés à un air du temps aussi nocif que celui d’aujourd’hui, parce que ce sont les institutions, donc, qui déterminent les choses aimables à penser, il n’y a pas de salut hors de la reformation des institutions. Une reformation qui vise à consolider les principes de celles que nous habitons, et à tenir à distance celles qui veulent nous coloniser.

    Dit plus explicitement : le bazar déontologique ne nous sera que d’une très mince utilité. Il n’y a qu’un seul combat qui ait quelque sens et quelque poids, c’est le combat institutionnel de l’AFEP [8], et spécialement sous le diagnostic que les institutions « officielles » de la science économique, l’AFSE, les sections 5 du CNU et 37 du CNRS étant sans doute irrémédiablement perdues, il faut construire autre chose à côté.

    Autre chose qui ne nous défende pas seulement contre la corruption par les pouvoirs constitués, mais qui nous protège aussi de l’asservissement au pouvoir diffus de ce qui se donne à un moment donné comme le cercle des opinions légitimes, à l’intérieur duquel sont enfermées les seules différences tolérées. On ne prend conscience de cet effet particulièrement pernicieux qu’à l’occasion de grands événements qui déplacent d’un coup les frontières tacites du dicible et de l’indicible, du pensable et de l’impensable, choc massif de délégitimation qui laisse soudainement à découvert les amis de l’ancienne légitimité.

    A cet égard, l’effet de la crise financière présente aura été des plus amusants, en tout cas des plus spectaculaires. Ainsi a-t-on vu quasiment brandir le poing, parfois même dire « capitalisme », des économistes qui en quinze ans n’avaient rien trouvé à redire ni à la mondialisation, ni à la financiarisation, ni à l’Europe libérale — contestations alors extérieures au cercle de la légitimité, où il fallait impérativement se maintenir si l’on voulait continuer d’avoir tribune régulière au Monde ou à Libération, droit d’être invité à donner conseil au Parti socialiste, et peut-être plus tard de toucher la main d’un ministre.

    Certains qui fustigeaient l’irresponsable radicalité se retrouvent quelques mois plus tard à dire cela-même qu’ils critiquaient — c’est que dans le glissement de terrain tout bouge si vite, et qu’il faut bien tenter de suivre… D’autres commencent à s’indigner bruyamment de choses qui jusqu’ici les laissaient indifférents — et il n’y a pas plus drôle que ce spectacle des néo-rebelles tout occupés à faire oublier leurs propos, ou leur absence de propos d’hier.

    Comme toujours plus grotesque que la moyenne, le Cercle des économistes négocie comme il peut son virage sur l’aile pour ne pas sombrer dans le ridicule et avec le monde qu’il a toujours défendu. Avec un parfait sérieux, il publie maintenant des ouvrages intitulés « Le monde a-t-il encore besoin de la finance ? », ou bien « La fin de la dictature des marchés ? », ce dernier, je vous le donne en mille, sous la direction hilarante de David Thesmar…

    Dans sa lettre 30 à Oldenburg, Spinoza écrit ceci : « si ce personnage fameux qui riait de tout vivait en ce siècle, il mourrait de rire assurément ». On voudrait vraiment que le rire ne soit pas la toute dernière chose qu’il nous reste face à ces gens sans principe, ces opportunistes, et ces demi-retourneurs de veste qui sont le fléau de la pensée critique — dont c’est normalement la fonction de penser contre un air du temps, et d’en assumer le risque de minorité. Mais en parfaits individus libéraux, tous ces gens sont de petites machines procycliques.

    C’est le déséquilibre de nos institutions qui détruit les régulations de la décence et permet que soient à ce point foulées au pied les valeurs intellectuelles les plus élémentaires. On peut donc dire à quelques années d’écart une chose et son contraire, mais sans un mot d’explication, ni le moindre embarras de conscience — et toujours au nom de la science !

    Ce ne sont pas des chartes qui nous délivrerons de ça, voilà pourquoi il importe de construire autre chose. Autre chose qui affirme qu’une pensée vouée à la simple ratification de l’ordre établi ne mérite pas le nom de pensée. Autre chose qui élise la vertu contracyclique de la critique comme notre forme de la vertu. Autre chose, en somme, qui, par l’effet de sa force collective institutionnalisée — donc en extériorité — nous attache à cette vertu en nous déterminant à aimer penser autrement.

    Notes

    [1] Gary Becker est un économiste qui s’est signalé par son projet de théoriser tous les comportements humains à l’aide du modèle économique du choix rationnel. Quand un criminel envisage de passer à l’acte, un fumeur d’arrêter, un individu de se marier, ou de divorcer, etc., il s’agit toujours d’une décision prise sur la base d’un calcul rationnel des profits et des pertes. Evidemment cette brillante entreprise intellectuelle a été, comme il se doit, couronnée d’un prix Nobel…

    [2] Modulo, bien sûr, les variations des rapports de force qui commandent de moins lécher quand l’individu devient moins léchable

    [3] « Dogmatisme, conflits d’intérêt, la science économique suspectée », Le Monde Economie, 3 avril 2012.

    [4] Dominique Nora, « Les économistes sont-ils des imposteurs ? », Le Nouvel Observateur, 2 avril 2012.

    [5] Eric Le Boucher, « Les économistes, bouc émissaire de la crise », Slate, 23 mars 2012.

    [6] PSE, Paris School of Economics, créée sous Dominique de Villepin pour réaliser un équivalent français de la LSE (London School of Economics) ou du MIT, imités jusqu’au bout, y compris dans les formes du financement, puisque PSE est adossée à une fondation qui lève des capitaux auprès de généreux donateurs privés.

    [7] La même chose à Toulouse (Toulouse School of Economics).

    [8] AFEP, Association française d’économie politique qui s’est créée en 2009, en rupture avec l’officielle AFSE (Association française de science économique), autour du problème des manquements gravissimes au pluralisme intellectuel dans les institutions académiques de la science économique.

     par Frédéric Lordon  La pompe à phynance
  • CRITIQUE NATIONALE REVOLUTIONNAIRE DU CAPITALISME SPECULATIF, par Gottfried Feder


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