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entretiens et videos - Page 895

  • Accroissement vertigineux de la pauvreté Entretien avec Noam Chomsky (1994)

     Noam Chomsky, le plus important des philosophes de la gauche américaine, accuse le système occidental d'avoir provoqué une « escalade de la misère » sans précédent. Clinton et les 2 partis américains, asservis à la grande industrie, en sont responsables. Paolo Morisi, le correspondant à Boston de l'hebdomadaire romain L'Italia settimanale, l'a rencontré chez lui pour son journal.

    ChomskyLes données que nous révèle le Census Bureau américain sont claires : le gouffre entre riches et pauvres s'élargit toujours davantage. La pauvreté a augmenté de 14,5% en 1992 et touche désormais 36,9 millions d'Américains. Aujourd'hui, un enfant sur quatre vit dans un état de pauvreté chronique, naît dans une famille détruite où la figure du père est absente. Selon Frank Levy, professeur au Massachussets Institute of Technology (MIT), les pauvres sont face à un horizon plus triste qu'il y a 30 ans, vu les changements qui sont survenus dans le marché du travail et qui tendent à défavoriser les travailleurs les moins spécialisés.

    Peter B. Edelman, consultant pour le Département de la Santé, affirme qu'outre les changements dans l'économie, l'Amérique ne peut s'en prendre qu'à elle-même : elle est responsable de ses pauvres. « Nous avons perdu la volonté, au niveau national, de faire quelque chose pour les pauvres ». Et il accuse : « Reagan et Bush ont montré qu'ils ne cultivaient aucune préoccupation pour les plus démunis ». Le débat sur la pauvreté est pourtant bien présent dans les colonnes des principaux quotidiens américains. Tant les libéraux (c'est-à-dire la gauche) que les conservateurs pensent qu'ils détiennent la bonne stratégie pour contrer cette pauvreté omniprésente, mais leurs discours nous semblent bien confus.

    Alors, qui a les idées les plus claires sur la question ? Noam Chomsky, le célèbre linguiste de notoriété internationale, un intellectuel juif connu pour ses provocations (en 1980, sa lettre défendant la liberté d'expression et par là la possibilité d'ouvrir sereinement à tout débat contradictoire sert d'avant-propos à un livre de l'historien “révisionniste” français Robert Faurisson alors poursuivi en justice) et pour ses positions pacifistes radicales. Dans le passé, Chomsky, qui enseigne au MIT, a critiqué durement l'invasion israélienne du Liban, ce qui lui a valu une excommunication signée par 3 rabbins et, plus récemment, il s'est aliéné le monde culturel et politique américain en condamnant ouvertement la Guerre du Golfe.

    Chomsky

    ♦ Q. : La pauvreté n'a fait qu'augmenter depuis 1992. Le gouffre entre riches et pauvres est plus large que jamais aux États-Unis. Qu'en pensez-vous ?

    NC : La disparité sociale croissante est une tendance de longue haleine, due aux changements profonds de l'économie internationale au cours de ces 20 dernières années. Un facteur crucial a été la désintégration du système économique mondial voulu par Nixon au début des années 70, à l'époque des accords de Bretton Woods. Ces mesures ont conduit à une forte expansion des capitaux libres (14 millions de milliards de dollars, selon la Banque Mondiale) et à une accélération rapide de la globalisation de l'économie, ce qui a rendu possible le transfert de la production vers des pays où règne une forte répression sociale et où les salaires sont très bas. Autre conséquence : le déplacement des capitaux d'investissement à long terme vers la spéculation et le commerce. Selon une estimation de l'économiste John Eatwell de l'Université de Cambridge, aujourd'hui, 90% du capital est utilisé à des fins spéculatives, contre 10% en 1971 ! Les effets à long terme sont clairs : la Communauté Européenne elle-même, en tant qu'entité politico-économique, n'est plus en mesure de défendre les monnaies européennes contre la spéculation.

    La planification de l'économie nationale des pays riches est considérablement menacée et les pays pauvres subissent un terrible désastre. Le monde est canalisé vers un équilibre qui sera caractérisé par une croissance basse et de bas salaires. Le modèle dual propre au tiers-monde, avec des îlots de richesse au milieu d'une mer de pauvreté, s'est internationalisé, de concert avec une internationalisation de la production. Les raisons de cette évolution sont claires et visibles dans le monde entier. Les gouvernements répondent d'abord aux nécessités du pouvoir domestique, incarné en Occident par les secteurs de la haute finance et des firmes multinationales. Pour le reste, la population, même dans un pays riche comme les États-Unis, devient pour une bonne part superflue pour la production de profits et de richesses, qui sont les valeurs premières de la société capitaliste.

    ♦ L'Administration Clinton pense-t-elle sérieusement à améliorer les conditions des moins privilégiés ? Comment expliquer que les idées et le programme de Clinton jouissent d'un grand prestige auprès des partis de gauche européens ?

    L'Administration Clinton n'a strictement rien fait pour résoudre les problèmes sociaux et économiques internes. Je suis resté stupéfait quand j'ai vu que les partis de la gauche européenne se sont alignés sur les “clintoniens” ; c'est un bien curieux exemple de conditionnement et de subordination à la propagande américaine. Clinton s'est présenté comme un “Nouveau Démocrate”, un représentant de l'aile la plus conservatrice du parti démocrate, que l'on distingue à peine des républicains modérés. Les “Nouveaux Démocrates” se vantent d'avoir abandonné les “clichés” de gauche que sont la redistribution, les droits civils, etc. et de se préoccuper principalement des investissements et de la croissance économiques. Il est vrai qu'ils parlent aussi de l'emploi, mais sur le même ton que Bush et que le Wall Street Journal. Il ne faut point trop gratter : on s'aperçoit bien vite que pour ces messieurs le mot “emploi” a la même signification que “profit”.

    L'électorat primaire de Clinton, c'est le secteur de management industriel. En fait, la problématique majeure de la campagne électorale de 1992 était la suivante : on s'est demandé jusqu'à quel point l'État devait protéger les intérêts de cette caste de privilégiés. La réforme dans le domaine de la santé, qui a été l'initiative majeure de Clinton au niveau national, est un exemple patent : il nous indique pourquoi le Président a pu attirer à lui tant de voix issues des castes économiques dirigeantes. La majorité de la population voulait que s'instaure aux États-Unis, comme dans toutes les nations civilisées, une forme d'assistance sanitaire publique. Le plan de Clinton a ainsi satisfait 2 conditions requises par le pouvoir industriel : a) il est radicalement régressif et n'est pas basé sur l'impôt ; b) il octroie un rôle déterminant aux compagnies d'assurances et les gens devront payer les frais immenses de leurs campagnes publicitaires, les hauts salaires de leurs directeurs, leurs profits, leur bureaucratie, etc.

    Mes critiques valent également pour les autres points du programme de Clinton, dont l'Administration accorde un rôle prépondérant aux “faucons” dans les rapports avec les pays du tiers-monde et subsidie les exportations américaines en violation des accords du GATT.

    ♦ Vous ne croyez donc pas que l'Administration Clinton sera plus ouverte aux idées progressistes ? Que penser alors de l'attention toute spéciale que le Vice-Président Gore accorde aux problèmes écologiques ?

    L'Administration Clinton ne s'intéresse nullement aux idées progressistes, à moins qu'elles ne puissent être manipulées et instrumentalisées au profit des managers industriels, des financiers de pointe ou des professionnels de l'argent. Pour toutes ces catégories sociales, une forme restreinte d'écologisme est bien vue. En fait, cela ne leur plaît guère que la détérioration de la couche d'ozone nuise aux peuples blancs de l'hémisphère nord ; ils veulent protéger leurs maisons de vacances de l'invasion des exclus et ils évoquent alors des restrictions à la construction de bâtiments dans les zones où ils se sont établis. Mais sur les questions qui touchent directement les droits et les devoirs des puissants et des riches, il ne me semble pas que Clinton et Gore aient fait grand'chose.

    ♦ Bon nombre de politologues affirment qu'entre le parti démocrate et le parti républicain une convergence s'est établie en politique étrangère et ils citent la Somalie et l'Irak pour étayer leurs arguments. Si une telle convergence existe, pensez-vous qu'il y a aussi une approche commune des problèmes économiques et sociaux internes ?

    Les 2 principaux partis politiques américains ne sont au fond que 2 avatars d'un seul et même parti, celui qui défend les intérêts de la grande industrie. Ils sont tellement semblables sur le plan de la culture et de l'imaginaire politiques qu'ils pourraient parfaitement échanger leurs positions sans que personne ne s'en apercevrait ! Pendant les élections de 1984, la plate-forme républicaine envisageait une croissance militaire de type keynésien, stimulée par des prêts énormes contractés par l'État, tandis que les démocrates présentaient un programme de limitation fiscale. Pour autant que je le sache, aucun commentateur politique ne s'est aperçu que les 2 partis avaient tout simplement échangé leurs rôles traditionnels.

    Les programmes du Républicain Reagan ont été étonnamment similaires à ceux du Démocrate Kennedy. Leur objectif principal est de faire croire que le système politique est toujours en mouvement, de façon à ce que les électeurs ne perdent pas intérêt à la politique. Environ la moitié de la population croit que le gouvernement est aux mains des grands potentats de l'économie qui ne sont là que pour défendre leurs propres intérêts, et que les 2 partis devraient purement et simplement être abolis. Environ le même nombre de citoyens ne va pas voter.

    Pendant plusieurs décennies, le gouvernement américain s'en est tenu à un principe doctrinal : la politique étrangère devait être basée sur la bipartition, ce qui équivaut à une forme de totalitarisme. La politique intérieure, elle, révélait des disputes d'ordre tactique. Sur la plupart des problématiques cruciales, le public est tenu en dehors de la sphère de décision. En fait, la majorité de la population s'oppose à toutes les options prises en considération pour la réforme du système de santé, et refuse le Traité instituant l'ALENA (NAFTA : North American Free Trade Agreement), que l'on fait passer pour un accord de commerce libre, alors qu'il ne l'est pas.

    Le pouvoir est aux mains des grands potentats de l'économie, dans une société largement dépolitisée, où les options pour une véritable participation politique sont extrêmement ténues car les simples citoyens n'ont ni la force ni la volonté de faire valoir leurs intérêts qui sont ceux de la communauté nationale toute entière. Ce qui est intéressant à noter dans notre pays, c'est que tout cela se passe dans l'État qui croit incarner la société la plus libre du monde !

    ♦ Prof. Chomsky, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.  

    ► Propos recueillis par Paolo Morisi, Vouloir n°114/118, 1994.http://www.archiveseroe.eu

  • CULTURE : DE LA RÉSISTANCE Á la reconquête (Le Rat noir)

    JACK MARCHAL … un parcours nationaliste 100 % politiquement incorrect

    Présenter Jack Marchal n'est pas une mince affaire. Véritable pôle culturel nationaliste, il hante les groupes les plus mythiques (Occident, GUD, Ordre Nouveau, PFN) avec son humour décapant depuis plus de 30 ans … Selon ses dires : " C'est en voyant les gauchistes du campus de Nanterre que j'ai compris que les ennemis de ces bâtards ne pouvaient être que mes amis ; voilà comment j'ai rejoint la croix celtique, dans l'hiver 1966-1967 ". Dans l'article qui suit, il nous décrit, en tant que bédéphile averti, la genèse du symbole du militantisme nationaliste radical, le rat noir ! Ce rat maudit à l'humour au vitriol qui a contribué à un certain état d'esprit, combinant agression verbale, autodérision, nostalgie humoristique de ce qui est détesté par ceux d'en face, provocation et fierté ; cet humour " rouge-noir " qui constitue l'apanage des mouvements nationalistes-révolutionnaires en France, Belgique, Espagne et Italie… Homme de culture (dessinateur dans Alternative, célèbre revue du GUD, auteur avec Frédéric Chatillon et Thomas Lagane de l'ouvrage " Les Rats Maudits " sur 30 ans d'histoire des mouvements nationalistes étudiants en France), Marchal est aussi un musicien, précurseur de l'aventure du RIF, auquel il participe d'ailleurs. En 1979, il avait réalisé un album intitulé " Science & Violence " (réédité), et les plus anciens militants belges francophones se souviendront des images du reportage " L'Orchestre Noir " le montrant en concert au local du PFN - Front de la Jeunesse à cette époque. Aujourd'hui, il est guitariste au sein du groupe Elendil (très proche de notre revue) et a encore récemment enregistré des chansons en solo (album " Sur les terres du RIF "). Toujours selon ses paroles, il trouve son éternelle motivation " en regardant autour de lui et en faisant fonctionner sa cervelle ".

    Peux-tu nous expliquer la genèse du Rat Noir ?

    Il est apparu comme symbole du GUD il y a trente ans, fin janvier 1970. De façon fortuite, sans toutefois être totalement le fruit du hasard. Je m'explique. A cette époque une pléthore de groupuscules politico-syndicaux d'ultra-gauche avait profité du rapport de forces résultant de mai 1968 pour coloniser les universités françaises. Les halls de fac étaient bondés de stands et de panneaux couverts d'affiches manuscrites aux textes interminables et répétitifs, des types passaient leurs journées à gratter sur grand format des manifestes révolutionnaires, c'est incroyable comme les marxistes savent être verbeux quand on les laisse faire. Au centre juridique parisien Assas, où nous nous étions infiltrés dans la foulée de nos adversaires, le GUD tentait de se distinguer de la logorrhée ambiante avec des affiches limitées autant que possible à quelques slogans humoristiques tracés avec une graphie spécifique. On nous repérait au premier coup d'œil, même en l'absence de logo (depuis la dissolution d'Occident nous n'osions pas encore ressortir la croix celtique). J'étais de ceux qui étaient chargés de faire ces affiches (ou du moins d'en vérifier l'orthographe...), sous le contrôle de Frédéric B., un des anciens dirigeants d'Occident ? un pro, il sortait des Beaux-Arts, dessinait les affiches d'Occident, a aussi exécuté les premières d'Ordre Nouveau. Il nous avait enseigné que seule l'esthétique est révolutionnaire et qu'imposer un style est le meilleur moyen d'être vu et d'acquérir du pouvoir. Cependant, en cet hiver 1969-70, il arrivait à nos adversaires de marquer des points en affichant des caricatures, parfois pas mauvaises, qui attiraient le regard et étaient souvent dirigées contre nous. On ne pouvait pas se laisser distancer, il fallait répliquer par la surenchère : le GUD s'exprimerait par des bandes dessinées géantes, et en couleurs, lisibles à dix pas ! J'avais fait pas mal de BD quand j'avais 10-12 ans, rien dessiné depuis, mais je m'y suis remis. Et nous avons lancé une chronique illustrée drôlatique, quasi-quotidienne, j'y passais deux heures chaque fin d'après-midi au local du GUD; avec d'autres camarades nous délirions en chœur pour sélectionner les idées les plus saugrenues... L'actualité en offrait à foison, l'agitation universitaire faisait des pages entières dans les journaux. J'ai été amené ainsi à traiter du cas du doyen de l'université de Nanterre, que les gauches avaient forcé à se réfugier dans un local de service. Dans notre chronique illustrée je l'ai présenté vautré dans les poubelles parmi les arêtes de poisson et les épluchures. J'ai aussi mis un rat, c'était logique dans un tel environnement... A sa première apparition, il était juste là pour ronger un trognon de carotte, mais il n'a pas tardé à exprimer des commentaires sarcastiques dans son coin. Il était bien pratique, ce rat. C'est une tendance assez naturelle de mettre en marge un petit personnage adventice qui fait contrepoint avec la scène principale (procédé systématique chez Brueghel comme chez beaucoup de cartoonists américains, sans oublier Gotlib et sa coccinelle. Je note que depuis quelque temps l'infâme Plantu ne manque jamais de placer une petite souris dans un coin des dessins qu'il publie en une du Monde ? le malheureux sait-il sur quelle pente glissante il s'engage ?...). Donc, nous voilà avec ce rat accessoire qui, au fond, disait ce que nous avions à dire. C'est alors que Gérard Ecorcheville, le camarade qui à ce moment-là gérait la propagande du GUD, eut une illumination dont on ne pourra jamais assez le remercier : " Hé, ce rat... Mais c'est nous ! ". Cette remarque géniale a levé une des principales difficultés qui se posait à moi, et qui était de savoir comment représenter le GUD dans les événements où il était acteur. Sous l'aspect d'héroïques chevaliers hyperboréens ? de jeunes filles et jeunes gens propres sur eux ? en brutes casquées toujours victorieuses ?... Bref, en un tournemain, nous avons trouvé à la fois une auto-représentation satisfaisante, un logo, un signe de ralliement qui faisait clairement la différence entre nous et tous les autres, un symbole, tout un style qui allait avec... Ça a été un succès immédiat, du jour au lendemain tout Assas a su que GUD = rats, les foules se bousculaient pour lire la chronique du jour, le rat a été copié et recopié partout où des militants se reconnaissaient dans le GUD, il est même passé à la télévision à propos d'incidents ayant eu lieu à Assas en février-mars 1970.

    Par-delà l'anecdote de la remise à poubelles de Nanterre, la symbolique du Rat Noir ne plonge-t-elle pas des racines plus lointaines ?

    En effet, mais si tu veux je propose de remonter dans le temps à la recherche des indices qui jalonnent la préhistoire du bestiau. Il résulte de la confluence d'un tas de facteurs. Comme toutes les grandes idées il était dans l'air avant de venir au jour. Comme la croix celtique, dont personne ne sait au juste qui l'a inventée ni comment, mais qui a connu jadis des prototypes dans certains mouvements cathos militants, dans les roues solaires de diverses unités militaires, dans une forme très stylisée de francisque, etc... Je précise que dans sa première année d'existence le rat du GUD n'était pas noir mais gris. Sans doute pour gagner du temps. On le coloriait vite fait en hachures, avec des marqueurs usagés. Le fait que nous nous soyons immédiatement identifiés avec l'animal a évidemment à voir avec le fait que dans la période précédente nos amis les gauches nous avaient représentés ainsi. Une affiche collée sur les palissades des quartiers Sud de Paris en décembre 1969 nous avait beaucoup marqués, elle proclamait "Écrasons la vermine fasciste", décorée d'une grosse semelle s'apprêtant effectivement à écraser un hideux rongeur inspiré de Reiser. A partir de là, opérer un coup de judo en exploitant à notre profit les coups de l'adversaire était dans la logique du détournement à la situationniste, très dans l'esprit de l'époque.

    Cependant, la symbolique du rat avait aussi été employée dans un sens opposé sur la jaquette d'un roman paru l'année d'avant, L'Occident, de Marcel Clouzot, personnalité connue du milieu littéraire droitiste : là, une horde de sombres rongeurs représentait les forces de décomposition à l'assaut de notre civilisation...

    L'illustration était très réussie, a été remarquée. En ce qui me concerne, je sais que c'est elle qui m'a initialement retenu de pousser l'identification avec le rat... Peut-être a-t-elle eu un effet inverse chez d'autres camarades qui se sont bornés à y lire "Occident" et à associer la bande de rongeurs. Ce bouquin était en tout cas excellent, il est bien oublié aujourd'hui, peut-être un peu par ma faute... Il faut dire enfin qu'au mouvement Occident, dans les années 1965-67, s'était développé à propos des rats tout un folklore. François Duprat ne cessait de traiter tout le monde et n'importe qui de "Rat visqueux ! Rat pesteux ! Rat scrofuleux ! ", avec un puissant accent du Sud-Ouest qui a marqué les imaginations. Pas mal de responsables et militants on reçu un sobriquet dans cette veine. L'un, qui habitait un petit local semi-souterrain auquel on accédait par l'entrée des caves, était surnommé Rat d'Égout... Tel autre, de petite taille, était appelé Musaraigne. Quant au plus entreprenant des responsables action, on ne le connaissait que sous le nom d'Anthracite.

    Ce qui nous amène directement à Raymond Macherot.

    Évidemment, Anthracite le roi des rats dans la célèbre BD Chlorophylle contre les Rats noirs... Cette oeuvre immortelle de Macherot a eu un impact insoupçonné sur une certaine génération, pour des raisons qu'il est intéressant d'examiner.

    En première analyse, il s'agit d'une BD animalière bâtie sur des schémas archi-classiques. Dans le premier album de la série, Chlorophylle, le gentil lérot végétarien, incarne l'individualisme débrouillard qui se joue des forces mauvaises. De Tintin à Astérix, la BD franco-belge a suscité des foultitudes de héros positifs de ce style. Celui-ci est en butte à la meute des rats noirs, conduits par leur roi Anthracite dans le rôle non moins traditionnel du méchant malchanceux (cf. Zorglub, Iznogoud, Gargamel, Olrik, etc.). Dans le second album, l'antagonisme se circonscrit plus directement entre Chlorophylle et Anthracite, et c'est ce dernier qui vole la vedette. Il n'est pas un simple fantoche à la façon de Gargamel ou des centurions romains face à Astérix, il acquiert de l'épaisseur humaine (si on ose dire), fait preuve d'un cynisme jovial et réjouissant, il est fourbe et cultivé, fredonne des airs d'opéra ou des chansons de Charles Trenet quand il se prépare à commettre ses forfaits ? il commence à être sympathique tandis que Chlorophylle devient ennuyeux. Ces premiers albums se déroulent dans un cadre de prairies, de ruisseaux et de bois superbement observé, qui doit être le pays de Herve et qui m'évoque totalement le bocage normand de mon enfance. Les humains n'y interviennent pas, n'y sont présents qu'à travers les sous-produits de leur industrie que les rats noirs récupèrent à des fins meurtrières (lampe à souder utilisée comme lance-flammes, fusées de feux d'artifice, pistolet même...). L'anthropomorphisme des personnages est contenu dans des limites décentes. La bande des amis de Chlorophylle est composée d'animaux dont les biotopes sont compatibles, qui ne sont pas en lutte territoriale et dont aucun n'est le prédateur de l'autre ? une loutre, un lapin, un corbeau, un hérisson, un mulot. Dans le monde naturel, il n'y a pas de bons et de méchants univoques. Chez Macherot, les camps sont loin d'être tranchés. Certains des " bons " se révèlent paresseux et égoïstes. Pas de solidarité chez les " méchants " : quand les rats noirs coopèrent avec une vipère, ils se méfient tellement d'elle qu'ils la mettent hors d'état de nuire dès le premier service rendu. Les rats noirs finissent par se battre entre eux. D'ailleurs, s'ils sont agressifs, c'est parce que les hommes, en les chassant d'un vieux moulin, les ont contraints à rechercher un nouvel espace vital. Le monde que présente Macherot n'est pas la nature, mais il en est une extrapolation qui a sa plausibilité. Rien à voir avec Mickey, cette souris déracinée de banlieue anonyme. Je me souviens avoir commencé à lire chaque semaine l'hebdomadaire Tintin peu avant que s'achève La Marque Jaune de E.P. Jacobs. Les premières planches de Chlorophylle y ont paru peu après, grosso modo en même temps que L'Affaire Tournesol de Hergé et Les Martiens sont là de W. Vandersteen, ce devait être vers 1955, la BD belge touchait à son apogée. Ce qu'il y avait de bien avec cette série est qu'elle était toute neuve, ne faisait pas référence à des albums précédents, j'ai le sentiment d'avoir grandi et évolué en même temps qu'elle (le dessin des premières pages était encore assez sommaire). Elle a marqué toute une tranche d'âge, celle des baby-boomers francophones, à commencer par ceux qui pour une raison ou une autre (scoutisme, etc.) avaient une certaine sensibilité pour les choses de la nature. On peut dire que Macherot a eu à cet égard une signification générationnelle.

    En dehors des préoccupations écologisantes de Macherot, assez prophétiques pour leur temps, n'y a-t-il pas aussi chez lui un fond philosophique qui rencontre la sensibilité historique particulière que nous partageons ?

    Macherot n'est pas un auteur à message (en tout cas pas au même degré que l'antifasciste Franquin, ou que Le Schtroumpfissime de Peyo, qui est du Maurras en BD), et la construction des albums de la série Chlorophylle se ressent d'une certaine improvisation, mais il lui arrive de toucher à quelque chose de très profond, qui va plus loin que le rappel des lois naturelles, qui met en jeu les conventions qui fondent l'existence des sociétés. C'est très net dans la seconde partie de la série, où la lutte entre Chlorophylle et Anthracite se transporte sur Coquefredouille, petite île méditerranéenne où en l'absence d'hommes les animaux ont développé une civilisation dont le niveau technologique évoque les années 20 (il passera vite aux années 60). On est passé de l'état de nature à l'état social. Le bon roi Mitron XIII (une souris blanche...) règne sur une sorte de pimpant Monaco animalier aux mœurs policées, où les voitures roulent à l'alcool de menthe et où rongeurs et oiseaux cohabitent sans histoires avec canidés et félidés. En fait, ce petit paradis est vétuste et sans joie, débilitant et fragile. Les oiseaux ne savent plus voler qu'en avion : " La vie à Coquefredouille est idiote " soupire l'un d'eux. L'arrivée d'Anthracite va ravager l'harmonie superficielle de Coquefredouille. Rien de tel qu'un rongeur barbare, rat des champs élevé à la dure, pour discerner où sont les points faibles d'une culture urbaine. Sans aucun scrupule, il introduit sur l'île des carnivores qui vont l'aider à faire fortune en terrorisant la population, non sans en dévorer une partie (aucune BD comique enfantine de cette époque ne comporte une telle quantité de morts, l'allégorie animalière permet à Macherot de faire passer ce qui autrement serait pure horreur). Anthracite ne respecte aucun tabou, il lève les interdits, il est le grand catalyseur dionysiaque, l'anarque absolu, le libérateur des puissances du désir (il n'est pas question de sexe, mais on remarque que dans cette deuxième partie de la série les personnages sont sexués, ce qui n'était pas le cas auparavant, et qu'Anthracite recourt très souvent aux déguisements féminins pour tromper son monde). Anthracite est pris, s'évade, participe à un complot pour détrôner le roi, est repris, s'évade de nouveau, recommence, etc. Les gardiens de l'ordre établi sont systématiquement présentés comme des abrutis. Ils ne font pas le poids quand se révèlent soudain volonté de puissance et agressivité dans un monde qui croit les avoir refoulées. Seul Chlorophylle, devenu petit bourgeois conservateur, sait encore être efficace car son hostilité à Anthracite vient de plus loin, elle plonge ses racines dans la nature sauvage. Ne serait-ce l'inévitable deus ex machina qui le fait échouer à chaque épisode, Anthracite serait évidemment vainqueur. Sans garantie de durée toutefois : dès le premier album, son autoritarisme avait provoqué chez les rats noirs une guerre civile dévastatrice entre les monarchistes fidèles à sa personne et les insurgés. Il y a chez Macherot une morale des rapports sociaux qui s'élève jusqu'à une conception cyclique du devenir des sociétés politiques.

    D'où vient la fascination qu'exercent les rats noirs en général et Anthracite en particulier sur les gens tels que nous ?

    Le tout est de savoir de quel " nous " il s'agit. Le " nous " d'il y a 50 ans ou un siècle aurait rejeté avec effroi ce symbole d'amoralité démoniaque. Le " nous " d'aujourd'hui le révère. C'est qu'entre les deux nous sommes passés du stade normatif au stade subversif. Pardon pour la digression, mais il faut rappeler que les théoriciens nationalistes (acceptons cet adjectif, l'invariant qui traverse notre histoire reste la référence à la nation, prise au sens étymologique) des années 20 ou 30 proposaient des systèmes complets allant d'une éthique individuelle jusqu'à une conception de l'État ; leurs idées étaient candidates au pouvoir, elles se battaient contre d'autres conceptions, c'était projet contre projet (voire projectile contre projectile). C'était le temps des idées simples forgées dans l'urgence et des ambitions constructivistes (ou re-constructivistes, dans le cas des maurrassiens et plus généralement de tous les traditionalismes, aussi organicistes qu'ils se veuillent). Depuis, sans devenir beaucoup plus malins, nous avons quand même appris des choses. Nous étions jadis en concurrence avec les marxistes sur le terrain de l'enthousiasme révolutionnaire, l'échec de leur totalitarisme nous a guéris. D'être écartés de l'espérance du pouvoir nous a fait un bien fou. Chez nous, plus personne de sérieux ne songe à dresser une société hiérarchisée rigide et froide, vierge de tout conflit interne. Nous avons appris la nécessité des oppositions entre idées et individus, des luttes de castes, de races et de classes (mais oui). Nos ennemis nous prennent encore pour des SA des années 30 et c'est tant mieux, il ne faudrait pas se réjouir si l'adversaire devenait intelligent. Nous connaissons la valeur de la révolte mais aussi ses limites. Nous savons très bien que si nous étions au pouvoir nous résoudrions un certain nombre de problèmes, que d'autres continueraient à se poser et que nous en susciterions d'inédits. A notre façon, nous sommes devenus plus libertaires et démocrates que nos ennemis, tout en demeurant conscients des paradoxes et contradictions que recèlent libertés et démocratie. Nous savons mieux que personne la valeur de la fonction critique ? même violente et vulgaire... Après tout, nos idées valent mieux que d'autres qu'on se batte pour elles, et nous avons aujourd'hui face à nous le pire totalitarisme de l'histoire, l'absolutisme de la Loi (celle qui n'en respecte aucune). Et donc : l'urgence est à la subversion, par tous les moyens même rigolos. Le tournant du normatif au subversif a été amorcé il y a longtemps (Degrelle a été un précurseur, et Céline dans un autre registre), et n'a vraiment pris dans la mouvance militante qu'au cours des années 70. Le Pen ne s'y est fait qu'au milieu des années 80 (c'est alors qu'il a décollé, pas un hasard) et Mégret demeure normatif comme la pluie. Le mode subversif est une question de ton et de contenu à la fois. Dans le contexte présent, rien n'est plus subversif que de rappeler la dimension passionnelle et animale de la nature humaine, a fortiori quand on le fait dans la bonne humeur (ce que la gauche moralisante ne pardonnera jamais à Gérard Lauzier ou Michel Houellebecq). Face à la pure volonté de puissance d'un prédateur hilare et sans scrupule tel qu'Anthracite, que valent les calembredaines sur la conscience universelle, le devoir de mémoire et l'éthique des Droits de l'Homme ? Je ne sais si Macherot a eu conscience du potentiel mythique du personnage qu'il a créé au début de sa carrière. Il s'est borné par la suite à des historiettes plutôt anodines. Mais les 4 grands albums du cycle de Coquefredouille sont à mettre au niveau des chefs-d'œuvre de la littérature universelle, rayon conservatisme critique. Si le canevas général évoque Animal Farm de George Orwell, Anthracite est un héros balzacien, Vautrin mâtiné de Rastignac, archétype de dominateur allègre et indomptable. La terrifiante bombe au bithure de zytron, allusion burlesque à la grande peur thermonucléaire de la fin des années 50, joue dans cette histoire le même rôle qu'Excalibur dans la geste arthurienne (elle permet à Anthracite de faire un coup d'État qui donne les pages les plus fortes jamais faites par Macherot, avec une immortelle satire des milieux courtisans). Et puis, cet Anthracite né à l'orée de l'Ardenne, tour à tour aventurier humoriste et chef de guerre, qui après la déroute d'une invasion manquée a pris une retraite prématurée quoique hyperactive quelque part au soleil, il me fait bougrement penser à quelqu'un...

    http://les-identitaires.com/Devenir13/Culture_resistance4.htm

  • Entretien avec Vincent Laarman « Jamais l'école républicaine n'a été aussi inégalitaire qu'aujourd'hui » (2007)

    Depuis 2002, forte de ses 64 000 membres revendiqués, l'association SOS Education multiplie les actions de lobbying auprès du personnel politique afin d'obtenir une réforme de fond du système scolaire. Vincent Laarman, son délégué général, explique les raisons de cette agit-prop.

    Le Choc du mois : Presque quarante ans après Mai 68, l'esprit soixante-huitard continuerait-il de dominer l'Education nationale ?
    Vincent Laarman : Oui. Et plus son échec est patent, plus ses représentants s'accrochent aux manettes du pouvoir. Ce qui est assez logique : ils jouent leur survie. Contrairement à ce qu'ils prétendent, ils ne défendent pas les intérêts de nos enfants, mais uniquement leurs privilèges.
    Que les élèves réapprennent enfin à lire, écrire et compter, telle serait un peu la devise de votre association...
    Pas seulement, et votre question est d'ailleurs mal formulée : les tenants de l'école «pédagogiste» vous assureront qu'ils poursuivent exactement le même but, mais avec d'autres méthodes. C'est pour cela que notre objectif principal consiste avant tout à en revenir à ce bon sens, à ces vieilles méthode, qui, elles, ont fait leurs preuves. Soit la transmission d'un savoir structuré, fondé sur l'apprentissage systématique des règles et de leur constante répétition. Les tables de multiplication, les grandes dates de l'histoire de France, les notions élémentaires de la géographie, voilà qui doit se rabâcher inlassablement, jusqu'à ce qu'elles deviennent des réflexes, parce que ce n'est pas en allant surfer sur Internet qu'on apprend à maîtriser l'usage de la langue française...

    C'est-à-dire ?
    C'est-à-dire qu'au lieu de monter un « projet pédagogique » sur les pharaons, juste parce que les livres de Christian Jacq se vendent bien, tendant à persuader les élèves qu'ils découvriront et dénoueront, grâce à Internet, les mystères de l'Egypte antique, encore faudrait-il au moins qu'ils soient capables de situer cette dernière, chronologiquement, ailleurs que quelque part entre le Moyen Age et la Renaissance...

    Un âne chargé de livres restera donc toujours un âne...
    Tout à fait. Internet est une gigantesque bibliothèque, la plus grande que l'humanité ait probablement connue. Mais elle ne transformera pas pour autant des analphabètes en de fins lettrés. C'est à l'école que revient la mission première de fournir à tous les outils susceptibles de leur permettre de tirer profit de cette somme de connaissances. Sans codes : sans repères fondamentaux et sans dates majeures leur permettant de s'y retrouver, apprises à coups de pieds dans le derrière si besoin est, tout cela demeurera vain.

    À vous entendre, cet apprentissage devrait alors commencer dès le plus jeune âge ...
    Bien sûr. Les élèves de maternelle sont à l'école pour commencer à apprendre avant même de comprendre. Cette fonction première de l'Education nationale consiste ainsi à ce que nos enfants apprennent et non point qu'ils s'épanouissent, tel qu'on voudrait nous le faire croire depuis tant d'années : pour s'épanouir, il y a la famille et les amis. Sans être forcément passéiste, rappelons-nous qu'autrefois les élève, de sixième avaient déjà revu trois fois leur Histoire de France. Ils avaient donc le substrat nécessaire à la compréhension du monde qui les entourait et pouvaient ensuite, selon la sensibilité de chacun, développer leurs propres opinions.

    Vous êtes très en pointe dans le combat visant à en finir avec la méthode de lecture globale. Est-ce pour des raisons politiques ou de simple efficacité ?
    Les deux à la fois. La méthode de lecture globale ou semi-globale a créé des générations d'analphabètes et d'illettrés. Quoi que prétende le ministère, c'est près de 20 % des élèves qui arrivent en sixième totalement analphabètes ou seulement capables de vaguement décrypter un texte. Voilà pour l'efficacité. Pour ce qui est du domaine politique, je remarque que cette méthode, vendue sous couvert d'égalitarisme, a abouti à un enseignement parfaitement inégalitaire. Pourquoi ? Tout simplement parce que la méthode de lecture globale permet de vaguement identifier un mot que l'on connaît déjà ou dont on a vaguement entendu parler grâce à un environnement familial que l'on peut, sans prendre grand risque de se tromper, qualifier de «favorisé».
    En revanche, les enfants qui n'ont plus la chance de grandir dans des familles motivées seront, eux, incapables de déchiffrer ces mots qui sont autant de concepts. Ces gamins, ne nous voilons pas la face, arrivent au CP avec tout juste cent mots de vocabulaire ! La méthode syllabique est la seule qui puisse leur permettre de s'élever. Car même un mot dont ils ne peuvent pas forcément comprendre le sens, au moins pourront-il, en apprendre la juste définition dans le dictionnaire, à condition qu'ils sachent lire. Pour résumer, la méthode de lecture globale est, en France, l'équivalent des idéogrammes chinois, réservés à une élite et inaccessibles au peuple, si ce n'est dans sa version abâtardie tel le verlan ...

    Avec tout ce qui en découle...
    Parfaitement. Une langue noble pour les lettrés et les fortunés, et une vulgate rudimentaire pour le commun. Si c'est cela, l'égalitarisme républicain dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée...

    D'où la distorsion de la notion même d'élitisme...
    Oui. Sous couvert d'égalitarisme, les syndicats marxistes ou assimilés font la promotion d'un élitisme sournois tout en perpétuant des intérêts de castes. Alors que la véritable égalité, fondée sur la méritocratie et, justement, l'élitisme, consiste à donner les mêmes chances à tous nos enfants, riches ou pauvres. En ce sens, la méthode de lecture syllabique est, je le répète une fois encore, l'un des meilleurs garants de l'école jadis fondée par Jules Ferry. D'ailleurs, la bonne orthographe n'est ni de gauche, ni de droite ! Jean Jaurès écrivait en un aussi bon français que Charles Maurras !

    On vous sent passéiste, pour le coup ...
    Pas du tout ! L'école d'autrefois avait peut-être ses défauts ; mais au moins a-telle fait ses preuves. Je constate seulement que ceux qui se prennent aujourd'hui pour des hussards républicains persistent à perpétuer ce système inégalitaire que nous dénonçons en permanence, système qui est à l'exact opposé de leurs objectifs publiquement affichés. Quand on sait que les deux premières professions à contourner la carte scolaire sont les professeurs et les journalistes - deux castes majoritairement de gauche et financièrement assez privilégiées -, on a tout compris.

    Nicolas Sarkozy est désormais à l'Élysée. Que vous inspirent l'éviction de Gilles de Robien, ministre sortant de l'Education nationale, et son remplacement par Xavier Darcos ?
    Gilles de Robien présentait au moins ce mérite consistant à avoir insufflé à l'Éducation nationale un souffle nouveau qui allait dans le bon sens, même si dans les faits, il n'a pas fait grand-chose, si ce n'est brasser du vent et susciter la polémique sur des effets d'annonce médiatique pour ensuite capituler devant des syndicats d'obédience marxiste tels que l'Unsa ou le Snuipp. Mais au moins convient-il de lui reconnaître ce mérite d'avoir mis fin à la terreur des «pédagogistes», ces fous furieux ayant la haute main sur les IUFM, ces Instituts universitaires de formation des maîtres, où l'on évoque ces « référentiels bondissants » alors que l'homme de la rue persiste bêtement à parler de « ballons ».

    Et Xavier Darcos...
    À peine arrivé, il s'est déjà couché. Avant même d'entrer dans son nouveau costume, il revenait sur le décret Robien consistant à payer aux professeurs des heures supplémentaires n'ayant jamais été effectuées...

    À savoir...
    À savoir qu'autrefois, les professeurs de sciences naturelles nettoyaient leurs laboratoires. Mais il y a belle lurette que des femmes de ménages sont payées pour cette tâche. Tout comme ces professeurs étaient payés pour les heures passées à polycopier leurs cours alors que maintenant, l'informatique permet d'accomplir ce travail d'un simple clic. C'est un peu comme les conducteurs de TGV qui perçoivent encore une prime de charbon...

    Revenons-en à Xavier Darcos. Il semble qu'il soit revenu sur les décisions de son prédécesseur concernant la méthode de lecture globale...
    D'une manière plus ou moins fourbe, oui. En effet, tout cela est désormais laissé à la discrétion des enseignants. Ce qui signifie que ces derniers sont désormais abandonné, au bon vouloir des inspecteurs. Or il faut savoir que dans l'Education nationale, plus on monte dans la hiérarchie, plus on est syndiqué... À titre d'exemple, seuls 30 % des professeurs le sont, contre 80 % chez les inspecteurs chargés de les surveiller. Pour monter dans cette hiérarchie, le syndicalisme est donc plus que jamais devenu un passage obligé et les divers ministres s'étant succédé à ce poste n'ont jamais voulu ou pu remettre en cause cette tyrannie...

    De même, Xavier Darcos est immédiatement revenu sur les mesures de Gilles de Robien qui souhaitait remettre à l'honneur l'apprentissage dès quatorze ans. Tout comme il a refusé qu'on réinstaure cette simple règle de bon sens voulant que les élèves se lèvent dès que le professeur entre en classe. Mais il est vrai que pour que ces derniers se lèvent, encore faudrait-il qu'ils soient préalablement assis...

    On parle beaucoup de la carte scolaire, de sa suppression ou de son assouplissement. Qu'en pense SOS Education ?
    Il s'agit, là encore, d'une double hypocrisie. Plutôt que d'avoir la discipline et l'excellence pour tous, ce sera une école à deux vitesses, avec d'un côté les riches enfants des « classes dominantes » qui font ces lois, et, de l'autre, les délinquants et les gamins issus de l'immigration. Et, cerise sur le gâteau, Xavier Darcos vient de promettre que les écoles qui auront moins d'élèves bénéficieront de plus de moyens. Soit une sorte de prime aux cancres et à la nullité ; et l'élitisme pour les uns et le nivellement par le bas pour les autres.

    Propos recueillis par Nicolas Gauthier Le Choc du Mois Juin 2007
    SOS Education, 8, rue Jean-Marie Jego, 75013 Paris. Tél. : 01 45 81 22 67.
    Site : www.soseducation.com

  • P. Ploncard d'Assac Entretien sur l'actualité n°1 (avec Florian Rouanet)

    merci Florian

  • Syrie : Medvedev condamne la France

     

    IRIB- À la veille de sa visite en France, le premier ministre de Vladimir Poutine répond au Figaro et à l'Agence France-Presse.

    .....

    La France est le premier des grands pays à avoir reconnu comme légitime la nouvelle opposition syrienne et évoque la possibilité de livraisons d'armes. Qu'en pensez-vous?

    Medvedev : Cela est très contestable. La France est un grand pays souverain, mais je voudrais néanmoins rappeler des principes du droit international approuvés par l'ONU en 1970. Ces derniers stipulent qu'aucun gouvernement ne doit entreprendre d'actions visant à changer, par la force, un régime politique d'un autre pays. Le problème n'est pas de savoir s'il convient de soutenir le régime d'el-Assad ou l'opposition - pour sa part, la Russie adopte une position neutre. Nous condamnons le régime syrien pour le niveau de violence qu'il admet, et également l'opposition, car cette dernière verse aussi le sang, et finalement on a une guerre ci­vile. Du point de vue du droit international, il est inadmissible de soutenir une autre force politique lorsque celle-ci se retrouve être le principal adversaire du gouvernement légitime d'un pays. Il revient au seul peuple syrien et aux forces d'opposition de décider du destin d'el-Assad et de son régime, d'une manière légale, et pas par le biais de la livraison d'armes organisée par un autre pays. Nous n'aimerions pas que la Syrie se désintègre et qu'au Proche-Orient naisse un nouveau foyer de tension, exploité par des extrémistes religieux. La désintégration de la Syrie ne profitera ni à la Russie, ni à la France.

    Pourquoi la Russie ne cesse-t-elle pas ses livraisons d'armes au gouvernement syrien ?

    Notre coopération militaire ne date pas d'hier et elle a toujours eu un caractère légal et ouvert. Nous n'avons jamais fourni à la Syrie des équipements contrevenant aux conventions internationales. Tous sont destinés à se défendre contre une agression extérieure. Nous devons par ailleurs remplir les obligations liées à nos contrats, car, en cas de cessation des livraisons, il y a un risque de sanctions internationales. Depuis que nous avons suspendu certaines livraisons d'armes à l'Iran, à la suite d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, ce pays a fait valoir ses exigences et nous sommes entrés dans un conflit juridique avec eux…

    Les gouvernements occidentaux ont vivement critiqué l'arrestation en Russie des participants aux mouvements d'opposition. Le pouvoir n'a-t-il pas réagi trop brutalement ?

    C'est une question d'appréciation. Je ne commenterai pas la manière dont réagissent les autorités européennes et ne montrerai pas du doigt tel ou tel. Je ne crois pas que la réaction d'un pouvoir est brutale lorsque l'ordre légal est violé. À l'étranger, n'importe quel manifestant levant la main sur un policier sera considéré comme un criminel et emprisonné. Les organisateurs des meetings doivent le comprendre. Je ne crois pas, contrairement à ce que vous pensez, que nous avons serré la vis. Les gouverneurs sont élus, plus de 25 partis ont pris part aux dernières élections régionales. Le pay­sage politique est différent, ce qui ne veut pas dire que la loi ne sera pas perfectionnée. Certes, notre société n'est pas la plus affûtée dans le maintien de l'ordre au cours des manifestations, mais le but de celles-ci n'est pas de provoquer des bagarres. Par ailleurs, notre loi sur les «agents de l'étranger» (qui impose aux ONG recevant des financements extérieurs de s'enregistrer comme telles, NDLR) est d'ordre technique et s'inspire des pratiques étrangères. Si l'on m'apporte des informations sur une ONG obligée de cesser son activité ou confrontée à des problèmes, cela constituera un argument essentiel. Mais ce n'est pas le cas.

    Bien que vous ayez appelé à la libération des Pussy Riot, celles-ci sont toujours en prison. Qu'est-ce qui empêche leur libération ?

    Je n'ai pas appelé à leur libération. Étant juriste de formation, je suis toujours précis dans mes jugements. J'ai dit que je n'aimais pas du tout ce qu'ont fait ces filles, notamment d'un point de vue moral. Mais étant donné qu'elles ont passé un temps considérable en détention provisoire, elles ont déjà goûté à ce qu'est la prison et il me semble qu'une peine plus longue n'est pas nécessaire. Mais il s'agit de ma position personnelle, pas de celle du tribunal. Chez nous, comme chez vous, il existe une séparation des pouvoirs.

    Estimez-vous également que Mikhaïl Khodorkovski a passé trop de temps en prison ?

    Cette question n'est pas très originale… N'importe quelle personne emprisonnée fait l'objet de pitié. Mais le tribunal a déterminé la punition en fonction de la loi et il faut respecter ce verdict. Une procédure d'appel a été engagée. Il existe également un droit de grâce mais que l'accusé n'a pas sollicité. La balle est donc dans son camp.

    Pouvez-vous décrire les émotions que vous avez ressenties en voyant les premières grandes manifestations il y a un an ?

    J'ai compris que notre société était devenue différente, beaucoup plus active. Tout le monde doit respecter la loi, y compris ceux qui n'aiment pas la ligne du pouvoir, en même temps, ce dernier doit changer et être conforme au niveau de développement de la société civile. C'est pourquoi je pense avoir trouvé une bonne réponse en changeant plusieurs bases très importantes de notre société, notamment en simplifiant la procédure d'enregistrement des partis, ce qui nous rapprochera des pratiques européennes. Ainsi, une partie des gens qui n'étaient pas contents de notre construction politique se sont calmés.

    Vous avez plusieurs fois dénoncé Staline. Pourquoi son corps repose-t-il toujours sous les murs du Kremlin ?

    Pour moi il ne fait aucun doute que, sous Staline, ont été tués et réprimés une masse considérable de gens, malgré les opinions contraires des partisans de l'idée communiste. La nostalgie des dictateurs défunts est une erreur très répandue dans l'humanité. Mais il ne faut pas oublier qu'une tombe est protégée par la loi. Si on décide de transférer celle de Staline, il faudra également penser aux autres tombes placées sous le Kremlin, à commencer par celle de Lénine. On ne peut pas dire: «Celui-là est mauvais, il faut l'enterrer ailleurs, et cet autre, il est pas mal, laissons-le là où il est!» Voilà une question éthique très compliquée. Par ailleurs, je ne souhaite pas qu'à cause de cela une partie de la société s'affronte à l'autre. Il y a vingt ans, le Parti communiste était au pouvoir, l'élite soviétique était issue des rangs du parti et une part importante de notre société continue de croire à la victoire de l'idée socialiste. N'importe quel pouvoir doit prendre cela en compte. Ce sont nos gens, nos citoyens…

    Est-il très confortable d'être le premier ministre de Vladimir Poutine ?

    S'il y a une seule personne avec qui il est confortable de travailler, c'est bien Vladimir Poutine.

    Souhaitez-vous retourner au Kremlin ?

    Si ma santé le permet et si nos gens me font confiance pour ce travail, il est évident que je n'exclus pas un tel retournement des événements. Il ne faut jamais dire jamais, d'autant plus que je me suis déjà baigné dans ce fleuve. Je peux m'y baigner une seconde fois…

    http://gaelle.hautetfort.com/

  • Discussion sur la ville (entretien avec Pierre Le Vigan)

     Alain de Benoist : L’une des surprises, quand on lit ton livre, c’est de découvrir que si la banlieue va si mal aujourd’hui, c’est entre autres à cause du… général de Gaulle ? « Force est de constater, écris-tu, que de Gaulle ne connaissait et ne comprenait rien aux questions de la ville ». Cela mérite peut-être quelques explications.

     

    Pierre Le Vigan : En France la grande période de construction, c’est 1960-1975. Cela correspond en bonne part à la période où de Gaulle a été au pouvoir.  Or cette période est une période de désastre urbain. Regardons les grands ensembles de la région parisienne. De Gaulle a évidemment une forte part de responsabilité dans ce désastre. De Gaulle, perspicace dans certains domaines comme l’international, n’eut qu’une vision quantitative de la question de la ville et du logement. Il y avait un manque de logements alors que les ruraux de France (ce sont maintenant les immigrés) se ruaient vers les villes. Il fallait construire : on a voulu le faire vite, à coût réduit, avec des profits dans l’immobilier et le bâtiment qui eux ne l’étaient pas, et dans des zones où le terrain n’était pas cher. De Gaulle n’a certes rien inventé puisque qu’il a suivi les impulsions donné par la IVe République dans le domaine des villes, notamment avec les Z.U.P. créées en 1958 (de même que dans d’autres domaines comme le nucléaire tout avait déjà été impulsé sous la IVe République). Il a été suiviste. Cela ne l’exonère pas. Se contenter de poursuivre les lignes déjà tracées par les gouvernants précédents et par les technocrates, c’est aussi et encore être responsable. On « doit » aussi à de Gaulle la néfaste suppression du département de la Seine, avec la création des trois départements de la Petite Couronne et de ceux de la Grande Couronne (1964 – 1968), et le fait que Paris soit à la fois ville et département, ce qui renforce au plan fiscal, politique et institutionnel les effets désastreux de la coupure physique du Périphérique, lui aussi commencé sous la IVe République en 1956, intégré dans les plans d’urbanisme en 1959 avec de Gaulle, et achevé sous Pompidou en 1973. Il suffit de se promener et de comparer le plan actuel de Paris et un plan d’avant 1960 au niveau des limites de la capitale pour comprendre la violence physique du Périph’, les artères bouchées, les impasses crées, les zones déqualifiées, et le charcutage de toute une vie urbaine et sociale piétinée et meurtrie. Telle a été la politique du général Gaulle et de  son premier ministre Georges Pompidou – moderniste assumé lui aussi – qui, ensuite devenu président, poursuivit la même politique jusqu’à, enfin, la fameuse circulaire Olivier Guichard de 1973 sur l’arrêt des barres et des tours.

     

    A.B. : Tu reprends l’antienne sur le manque de moyens de la politique de la ville en citant cette phrase du sociologue Didier Lapeyronnie : « L’argent que l’on donne aux banlieues n’est rien par rapport aux banques ». C’est certainement vrai, mais est-ce aussi simple que cela ? Toujours plus d’argent, est-ce vraiment ce dont les banlieues ont besoin ?

     

    P.L.V. : Il apparaît à me lire que c’est plus complexe que cela. Les banlieues ont bénéficié d’investissements importants, le bâti – entendons par là les immeubles – a été souvent réhabilité mais cela ne porte  guère sur les espaces publics dégradés et les transports qui restent souvent très insuffisants. Par ailleurs – et c’est ce que tu évoques dans ta question – quand sont venus les plans d’aide aux banques, on s’est rendu compte que les sommes destinées aux quartiers de banlieues étaient bien faibles par rapport à ce que l’on avait débloqué pour sauver un système de crédit victime de ses propres tares. Enfin les moyens humains dégagés pour les banlieues difficiles – celles où les gens souffrent pour le dire autrement, et souffrent des agissements d’une minorité de jeunes délinquants tout comme de la crise générale du système capitaliste – sont très faibles en banlieue notamment en matière de police où ces territoires sont sous-administrés.

    Ceci posé, il est bien évident que le « mieux-vivre » des habitants de banlieue passe (ou aurait dû passer) par moins d’immigration et par l’intransigeance quant aux valeurs de respect du pays d’accueil qu’est la France, quant à la valeur du travail, qu’il ne faut pas laisser à un Sarközy, quant à la valeur du respect des ainés. Toutes pérennités culturelles, au sens fort du terme, incompatibles avec une immigration de masse voulue par le patronat des années 60 (et encouragée par de Gaulle et Pompidou) puis par le turbo-capitalisme à une échelle inégalée depuis le regroupement familial.

     

    A.B. : Dans la mesure où, comme tu le rappelles, ils ont été les véritables « pionniers de l’exclusion », travaillant « dans l’égoïsme plutôt que d’imaginer des espaces de vie commune », n’aurais-tu pas dû intituler ton livre « Faut-il brûler les architectes ? ».

     

    P.L.V. : Le livre existe déjà sous le nom de « Faut-il pendre les architectes ? ». Il est de Philippe Trétiack (cf. ma recension sur le présent site) et l’ouvrage est plus nuancé que son titre ne le laisse penser. La responsabilité des architectes existe bien entendu – et elle relève en bonne part d’une idéologie moderniste – mais celle des maîtres d’ouvrages, les pouvoirs publics, l’État, les maires est plus considérable encore. Ceux qui financent jouent un rôle plus décisif que ceux qui imaginent.

    La fascination pour la civilisation de la voiture – et indirectement du pétrole par cher et abondant – a rencontré l’industrialisation du bâtiment et des objectifs politiques de sauter par-dessus les banlieues communistes et de créer des immeubles dans des espaces politiquement et socialement vierges, dans des zones plus lointaines que les anciennes banlieues apparues au XIXe siècle. Tels sont les trois facteurs qui ont été décisifs dans les années 50 à 70.

     

    A.B. : Pour sauver la ville, tu en appelles à la « démocratie du beau ». Il faut démocratiser le beau, le « rendre accessible au peuple ». Vaste programme, comme aurait dit le Général, mais comment le réaliser ?

     

    P.L.V. : Je crois à l’éducation, qui inclut l’éducation au beau. Mais il y a bien sûr plusieurs idées du beau. Le beau en matière de paysage c’est ce qui donne de la force et de la joie au lieu de faire souffrir. C’est donc à la fois abstrait au plan théorique et parfaitement vérifiable au plan pratique.

     

    A.B. : Avant La banlieue contre la ville, tu as publié, à un rythme rapide, toute une série d’autres livres : Inventaire de la modernité, avant liquidation en 2007, Le front du cachalot en 2009, La tyrannie de la transparence et Le malaise est dans l’homme en 2011. Tu y abordes de façon extrêmement pénétrante des sujets très différents, sous des formes également variées (analyses, notes personnelles, « journal de bord »). Y a-t-il un fil conducteur qui relie tous ces travaux, que le lecteur pressé n’aura peut-être pas aperçu ?

     

    P.L.V. : Publié peut-être à un rythme rapide mais écrit sur un long terme. La question est pour moi simple : comment comprendre notre temps, qu’y a-t-il à comprendre de notre époque ? Cela implique à la fois de saisir le contemporain, et de connaître quelque peu d’autres temps pour comprendre justement ce qui a muté. C’est pourquoi l’urbanisme est si passionnant. Les traces d’un passé proche, des pavillons des années 50 par exemple, nous donnent l’idée des mutations les plus profondes et les plus intimes de notre temps, du rapport des gens aux autres, au paysage, à l’espace, au bruit, etc. Avec la ville, c’est la chair du corps social. Et de là bien sûr je suis passé à d’autres observations, politique, sociétales, esthétiques, etc. Comme le fait que les gens sortent presque tous appareillés avec des diffuseurs de musique individuels et avec leur téléphone mobile.

    Ainsi, les souffrances psychiques et les pathologies sont des axes que j’ai exploré dans Le malaise est dans l’homme et là aussi même si elles ont de tous temps existées, elles apparaissent avec des spécificités dans notre époque et elles sont lues de manière symptomatique par notre époque. Toute époque est à la fois un système de lecture et d’écriture du monde. À partir de là, j’ai plus le tempérament du chercheur que du prédicateur. Ce qui n’empêche pas d’avoir des convictions.

     

    A.B. : Nous sommes, de l’avis de beaucoup d’observateurs, dans une époque-charnière – disons au bord de quelque chose. Quels sont à tes yeux les enjeux essentiels de ce moment que nous vivons ? La notion de « monde commun » peut-elle encore avoir un sens ? Quel est le sujet historique de notre temps ?

     

    P.L.V. : La charnière est derrière. Nous sommes déjà dans autre chose mais nous ne savons pas quoi. La question essentielle c’est : peut-on encore être humain ? Les possibilités de prothèses et d’hommes-prothèses, les mutations génétiques, les actions possibles et en cours sur le psychisme par des médicaments, tout ceci met en cause la conception classique de l’homme. L’homme sujet (sujet de lui-même et sujet de l’histoire)  disparait-il, et avec lui assisterons-nous à la fin de toute psychologie comme Nietzsche l’avait annoncé ? L’homme lui-même comme type d’animal un peu évolué (pas tant que cela car les impératifs éthologiques et écologiques continuent de nous gouverner) disparaitra-t-il ? Ce serait en somme assez anecdotique par rapport à la marche de l’univers. Ce serait sans doute l’occasion de nouvelles aventures du vivant. Au-delà de l’homme c’est tout le vivant qui est touché. Exemple : des poissons ne « savent » plus physiologiquement s’ils sont mâles ou femelles compte tenu de ce qu’ils ont ingurgités comme rejets chimiques d’origine humaine.

    En attendant, les mutations démographiques sont considérables, surtout en Europe et particulièrement en France, elles mettent en cause même la possibilité pour les peuples de rester eux-mêmes, de garder sinon leur identité du moins une identité ce qui veut dire historiquement un mélange de changements mais aussi de stabilité. Or le changement est infiniment plus fort et rapide chez nous que la stabilité. La machine à intégrer ne marche plus. Je prends le métro parisien plusieurs heures par jour : on entend de moins en moins parler français. C’est un signe. Quand l’espace public n’est plus irrigué par une langue commune, c’est qu’il n’y a plus de monde commun. À partir de là, la société n’est plus qu’une fiction juridique, avec des ayants droits, un pays n’est plus qu’un parking, ou un hôtel, la démocratie n’est plus qu’une procédure. Beaucoup plaident d’ailleurs pour cette nouvelle réalité, qui n’a pourtant a priori pas besoin de défenseurs puisqu’elle s’impose d’elle-même. À moins que… En tout cas, seule la relocalisation générale des gens, des économies, des flux, peut remédier à cela, qui est un malaise et un malheur anthropologique, que Pier Paolo Pasolini avait bien vu, et dont il souffrait (souffrir aide parfois à voir, peut-on penser sans être chrétien pour autant). « La tragédie, c’est qu’il n’existe plus d’êtres humains » disait Pasolini en 1974. Mais il en est des êtres humains comme des lucioles : ce qui est voilé n’a pas forcément disparu.

     

    • Propos recueillis par Alain de Benoist. http://www.europemaxima.com/

     

    • Entretien paru dans Éléments, n° 143, avril – juin 2012, sous le titre de « Le général de Gaulle ne connaissait et ne comprenait rien aux questions de la ville » dans une version plus courte faute de place.

  • «Les Années Sarkozy» d’Yves-Marie Laulan

      « Nicolas Sarkozy veut furieusement prendre sa revanche sur le destin qui l’a privé d’un second mandat où son immense talent aurait pu s’épanouir à loisir… sur les Français, ingrats, qui ne l’ont pas réélu… et surtout sur ses « amis de l’UMP » qui ne l’ont pas assez soutenu. »

    Entretien avec Yves-Marie Laulan
    Votre livre est un véritable réquisitoire contre Nicolas Sarkozy…
    Il a fait croire aux Français qu’il allait redresser notre pays alors qu’il l’enfonçait encore davantage. Il n’a vécu que par et pour l’image, les « coups » médiatiques et les sondages. Il a été un magicien de l’illusion médiatique, vivant dans l’instant, sans vision d’ensemble ni projet de long terme. Était-il vraiment fait pour être président de la République ? Il incarne malheureusement à la perfection tous les travers de l’homme politique de notre temps.
    Vous dressez un constat radical des « années Sarkozy »… N’y a-t-il rien eu de positif durant celles-ci ?
    Tout a été en trompe-l’œil : la réforme de l’université ? « À côté de la plaque » : le vrai problème est celui de leur gestion beaucoup plus que le « faux nez » de leur indépendance… La sécurité ? L’affaire Neyret, les ripoux de la police marseillaise, le serial-killer Mérah ou encore l’islamisme radical ont mûri sous le mandat Sarkozy… La réforme de la justice ? Parfaitement inutile au point d’en être dérisoire, tout en laissant de côté les vrais problèmes de la justice en France, injuste et partiale, comme jamais au cours de notre histoire… La réforme de l’école ? Toujours en chantier, avec inchangés le collège unique et la méthode globale, d’où en grande partie l’échec scolaire… Les 35 heures ? Malgré un replâtrage, fiscalement coûteux, elles ont été pieusement conservées… La pénible réforme des retraites laissée en jachère ? Il va falloir la reprendre très bientôt sous peine de faillite… Celle de la Sécurité Sociale ? À peine effleurée… Et ne parlons pas, cerise sur le gâteau, de l’immigration clandestine qui déferle toujours…
    Le chantier des réformes Sarkozy ressemble à s’y méprendre à ces friches industrielles du régime soviétique : jonchées d’équipements laissés à l’abandon sous le soleil et la pluie. Oui, Nicolas Sarkozy aura été le champion toutes catégories des innombrables réformes en trompe-l’œil, toujours entreprises, jamais achevées, mais médiatiquement présentées devant l’opinion comme de grandes victoires de l’ex-président. En d’autres termes, il nous a fait prendre des vessies pour des lanternes. J’en apporte la démonstration, preuves à l’appui.
    Aura-t-il été pire que ses prédécesseurs… et que son successeur François Hollande ?
    Oui, pire ! Parce qu’il nous a fait perdre 5 années qui ne se rattraperont pas… Dans peu d’années, l’immigration massive et intense – au rythme infernal de 250 000 entrées par an –remettra en cause, et pour toujours, la survie de la France, de son histoire, dont elle va être dépouillée, de son identité, de ses traditions et de ses valeurs… C’est un crime majeur, impardonnable ! Car un pays peut se relever d’une guerre perdue, on l’a fait ; d’une crise économique, on l’a vu. Il ne se relève jamais d’une guerre démographique perdue. Et nous sommes en train de la perdre, largement en raison de l’ineptie, et des mensonges de Nicolas Sarkozy, lequel passera devant l’histoire comme un des principaux fossoyeurs de notre Patrie.
    Un retour de Nicolas Sarkozy vous semble-t-il envisageable ?
    Par lui-même, certainement. Il ne va vivre que pour cela. Et ceux qui soutiennent le contraire n’ont rigoureusement rien compris au personnage. Il voudra furieusement prendre sa revanche sur le destin qui l’a privé d’un second mandat où son immense talent aurait pu s’épanouir à loisir… sur les Français, ingrats, qui ne l’ont pas réélu… et surtout sur ses « amis de l’UMP » qui ne l’ont pas assez soutenu…
    Une des pierres d’achoppement pouvait provenir de l’UMP elle-même qui se cabrerait contre le chef déchu dans lequel elle ne croirait plus et déciderait que « cela suffit comme cela » pour regarder ailleurs. C’est ce qui est arrivé à Valéry Giscard d’Estaing avec l'UDF… À moins que l’UMP n’existe bientôt plus…

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  • JACQUELINE DE ROMILLY « Notre vrai espoir est dans l'enracinement des valeurs humanistes »

    Jacqueline de Romilly a suivi ses études à Paris. Elle entre ensuite à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm et à la Sorbonne. Agrégée de lettres, docteur ès lettres, elle devient professeur de langue et littérature grecques à l'université de Lille et à la Sorbonne, avant d'être nommée professeur au Collège de France en 1973 (chaire : la Grèce et la formation de la pensée morale et politique). Cette helléniste de renom est élue membre de I'Académie française en 1988. Jacqueline de Romilly est grand officier de la Légion d'honneur et de l'ordre national du Mérite et Commandeur des Arts et Lettres et des Palmes académiques.
    Comment expliquez-vous que le grec soit en train de disparaître de notre enseignement ?
    J. de R. : La première raison, à mon sens, en est le triomphe actuel du matérialisme. Les carrières scientifiques offrent manifestement des débouchés auxquels on a cru devoir sacrifier la formation littéraire, oubliant que pour tout métier un véritable enseignement est formation de l'esprit, du jugement, de l'art de s'exprimer et des valeurs. À cela s'est ajoutée une tendance nouvelle dans la pédagogie qui consiste à laisser l'enfant découvrir le plus de choses possibles tout seul ; cette tendance, qui peut avoir ses bons côtés, aboutit aussi à couper le contact avec le passé, avec les moments où se sont formées les grandes idées et où on les trouve encore de façon simple et immédiatement accessible. Cette double raison ad' abord atteint le grec, dont l'utilité pratique est très peu évidente, mais elle a atteint ensuite l'ensemble des études littéraires et même l'étude de la langue française et des auteurs français. Enfin, il faut ajouter que la multiplication des disciplines nouvelles et l'augmentation soudaine des élèves exigeaient un effort financier qui n'a pas été fourni : c'est souvent par économie que certains enseignements, si importants pour la formation de l'esprit, sont supprimés dans divers établissements.
    Il ne sera pas facile de réagir contre des causes aussi profondes et aussi diverses; mais la crise qui atteint maintenant l'ensemble de l'enseignement littéraire et des valeurs morales est assez sensible pour réclamer un sursaut : il serait temps d'ouvrir aux jeunes les richesses de cet apprentissage qui les relie au passé et les arme pour l'avenir.
    Est-il possible d'affirmer que durant ta période de la Grèce antique, c'est-à-dire païenne, on trouve toute une préparation des interrogations sur l'homme, sur la vie, sur le sens qui est l'essentiel ?
    J. de R. : Plus aucun doute : la réponse sur ce point est tout à fait évidente. C'est même là, à mes yeux, le trait le plus caractéristique de la littérature grecque. On le voit dès le début, dans les poèmes homériques où sont confrontées les volontés de l'homme et les décisions des dieux où se manifeste la souveraineté de ces dieux, mais aussi la dignité que peut garder, en toutes circonstance, l'homme même vaincu. On voit aussi les principaux héros incarner les grands sentiments ou les grandes situations humaines, à telle enseigne qu'ils en sont restés les symboles jusque dans nos littératures modernes. Ce trait est encore plus net quand on arrive au Ve siècle athénien : on voit alors la tragédie poser ouvertement ses problèmes, discuter de la justice divine, s'en inquiéter et s'interroger sur les limites de la vengeance ou du pardon et sur les conduites politiques. D'ailleurs, c'est l'époque où Socrate lance une philosophie centrée désormais sur l'homme, ses devoirs et ce à quoi il doit aspirer. Dans tous les genres, même dans l'Histoire, se retrouve ce souci de dégager des traits importants pour l'homme, en général, importants pour tous les temps.
    Et c'est ce qui fait à mon sens le prix de ces textes dans la formation des jeunes.
    Pourquoi les Grecs ont-ils eu le sens de l'importance de ces questions ?
    J. de R. : Il serait imprudent de donner une réponse trop précise, alors que les tendances naturelles d'un peuple et les diverses circonstances du temps ont pu jouer. Mais une chose est sûre : dès l'origine, les Grecs ont eu tendance à pratiquer le débat, c'est-à-dire à s'exprimer et à confronter leurs idées avec celles des autres, puis à les fixer par écrit de façon à établir un dialogue par-delà les circonstances du débat lui-même. Dans les poèmes homériques, qui coïncident avec les débuts de l'écriture, on trouve déjà des assemblées où les chefs délibèrent entre eux, et même d'autres assemblées où les dieux délibèrent entre eux. On discute, on cherche à convaincre. C'est le même principe qui les a poussés à définir l'importance de la loi et bientôt à inventer la démocratie. Non seulement ils l'ont inventée, mais ils ont cherché à en définir les principes, les beautés et aussi les risques. Pourquoi l'ont-il fait ? Je répète qu'il est impossible de le dire.
    Peut-on dire qu'il existe une continuité qui mène de ces interrogations à la pensée chrétienne, à la religion chrétienne ?
    J. de R. : Le mot de continuité est peut-être un peu fort, car la coupure apportée par le christianisme reste majeure; la prééminence du religieux sur le politique, la prééminence de l'amour sur toutes les vertus en sont les signes bien nets. Cependant, si l'on considère l'évolution progressive de la pensée grecque, on voit s'y manifester avec le temps des traits qui, en effet, préparent le christianisme. Dans le domaine proprement religieux, on assiste à un rejet progressif des légendes du mythe et à une tendance plus nette à considérer le divin sous une forme plus abstraite et plus parfaite. Déjà Homère écarte certaines histoires étranges du mythe. Au Ve siècle, Euripide, dans son théâtre, laisse des personnages les critiquer ouvertement ; et cela aboutit avec Platon à un refus franc accompagné d'une habitude nouvelle de parler du dieu ou de la divinité. Plus tard, on verra, chez les néoplatoniciens en particulier, une relation encore plus personnelle et fervente avec la divinité. Un bon exemple serait celui de Plotin. En tout cas, il est clair que l'on passe sans heurts des mythes effarants du début à ce rapport personnel avec Dieu qui émerge dans les siècles précédant le christianisme. Je voudrais ajouter qu'une même évolution se fait jour dans le domaine moral. Là où régnait avant tout la justice, on voit se développer, progressivement, des valeurs que l'on peut grouper sous le nom de douceur (c'est le mot employé en grec), et qui comportent l'indulgence, le pardon, la tolérance. J'ai consacré un gros livre au progrès de ces idées, progrès qui est continu et très net au cours des siècles. Certes, ces valeurs apparaissaient dès les premières œuvres grecques, où se marquait par exemple la pitié pour les vaincus ; mais elles n'ont cessé de se développer et par là préparaient en ce sens le christianisme. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le terme de «barbare», signifiant d'abord qui ne sait pas le grec, a pris la valeur qu'il a encore parmi nous aujourd'hui.
    Quelles étaient les relations entre l'homme et les dieux dans la Grèce antique ?
    J. de R. : Ces relations étaient très diverses. Pour simplifier, je distingueras deux aspects. D'abord la religion grecque était un polythéisme, et les dieux -divers pouvaient entretenir avec les hommes des rapports très proches. Jl y avait des enfants nés d'une déesse et d'un mortel ou d'un dieu et d'une mortelle; des dieux pouvaient avoir des mortels pour amis ou pour ennemis; ces dieux pouvaient surgir dans la vie humaine, intervenir sous des formes trompeuses, se mêler à l'action des hommes. Cela sans compter l'existence, non seulement des demi-dieux mais de toutes les petites divinités qui, aux côtés des monstres, introduisaient le sacré dans la vie quotidienne. La vie de l'homme grec était donc pleine de dieux et se trouvait par là comme enrichie par cette présence. Pourtant (et c'est le second aspect), ces dieux qui se mêlent aux hommes restent radicalement différents. Dès Homère, ils sont immortels par opposition aux mortels, et cela change tout. De plus, ces immortels connaissent une hiérarchie : la décision de Zeus est souveraine. L'homme est donc soumis à la décision divine, il la craint ; il tente de se la concilier par des prières. S'il connaît un sort mauvais, il cherche quelle faute il a pu commettre pour irriter un dieu, ou les dieux, ou Zeus lui-même. Le théâtre d'Eschyle est tout plein de ce tremblement devant cette justice de Zeus, dont on s'explique malles manifestations. Le problème des délais de la justice divine a hanté la pensée grecque d'Eschyle à Plutarque.
    Est-il possible d'affirmer que le culte de Zeus était une préfiguration des cultes monothéistes ?
    J. de R. : J'ai déjà indiqué que l'autorité de Zeus, en se précisant, tend à une sorte de monothéisme; mais je ne voudrais pas parler du « culte de Zeus », car cette évolution philosophique ne concerne pas le culte où les sacrifices et tous les rites étaient fort différents, dans leur esprit et dans leur forme, de la religion chrétienne.
    Quelles sont les valeurs humanistes qui vous semblent être encore actuelles ?
    J. de R. : À cette question je répondrai sans hésiter : toutes ! Je pense que le propre des valeurs humanistes est de tenir compte de ce qui est propre à l'homme. Ceci implique le désir de comprendre les autres, de se faire comprendre d'eux et de respecter par rapport à eux des règles précises. Ce principe n'exclut nullement le dévouement à la Patrie et à la Cité, loin de là; mais il implique le respect des règles de la justice et aussi de ces valeurs plus douces dont j'ai parlé et qui englobent pitié, indulgence et tolérance; et, par-delà les règles de la Cité, cela implique les règles valant pour tous, des lois non écrites qui imposent un certain respect des personnes et dont l'autorité vient directement des dieux. On trouve souvent dans les textes grecs des justifications de certaines conduites fondées sur l'idée : « il est un homme comme moi », « il pourrait m'arriver la même chose qu'à lui ». La fierté d'être un homme digne de ce nom anime les textes grecs; mais à la fierté des progrès techniques se mêle toujours le rappel de la règle morale qui commande tout L'ensemble de ces valeurs me paraît essentiel en tout temps, mais peut-être plus que jamais en une époque où l'on voit se développer de façon dramatique la violence, la guerre, et les crimes que l'on appelle justement « crimes contre l'humanité ». Chaque petit texte lu lentement apporte une aide en ce sens.
    Voyez-vous une opposition entre humanisme et enracinement ?
    J. de R. : Je ne crois pas qu'il y ait opposition : cela dépend du sens que l'on donne à enracinement. S'il s'agit d'attachement systématique à des traditions locales et d'hostilité à tous ceux qui ne les partagent pas, il y a opposition; mais les valeurs humanistes sont ce qui peut permettre à l'enracinement de ne pas prendre ce caractère. Elles permettent d'associer ces traditions à une ouverture et à une compréhension des autres. De même que l'on peut être Breton, Français, Européen et comprendre les autres cultures, de même l'enracinement et l'humanisme peuvent être conciliés à condition que celui-ci soit présent. Isocrate n'ignorait pas la lutte profonde, et même l'opposition entre Grecs et sujets de la Perse, mais il définit aussi l'hellénisme comme le fait d'une culture et non pas d'une race. J'aurais donc tendance à retourner le rapport des mots et à dire que notre vrai espoir est dans l'enracinement des valeurs humanistes : c'est là que l'enseignement a son rôle à jouer ; et c'est un rôle capital pour notre avenir.
    ✍ Propos recueillis par François Delancourt Français d'abord! - 2e quinzaine mai 2002