Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Europe et Union européenne - Page 912

  • La Banque centrale européenne: un problème démocratique pour l’Europe ?

    Clément Fontan a obtenu son doctorat en sciences politiques à l’IEP de Grenoble en décembre 2012. Dirigée par Sabine Saurugger, sa thèse analyse la manière dont la BCE a étendu son influence politique et ses compétences pendant la crise de la zone euro. Aujourd’hui ATER à l’IEP de Lille et au laboratoire du CERAPS, ses futurs projets de recherche portent sur la constitution d’un ordre économique européen spécifique, basé sur les politiques d’austérité.

    Lors de la crise de la zone euro, la Banque Centrale Européenne (BCE) ne s’est pas contentée de répondre aux risques de déstabilisation financière ; elle a aussi étendu son influence sur la gouvernance économique des pays européens et gagné des compétences de supervision bancaire. Situation problématique au regard de l’équilibre démocratique des pouvoirs dans l’espace européen.

    « Dans le cadre de notre mandat, la BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez moi, cela sera suffisant ». Ces quelques mots de Mario Draghi, prononcés à Londres le 26 juillet 2012, ont été l’objet de la majorité des commentaires et des analyses sur l’action de la Banque Centrale Européenne (BCE) pendant la crise. En s’exprimant ainsi, le président de la BCE cherchait à stabiliser les taux d’intérêt des dettes souveraines et ainsi à limiter les risques de défaut sur les dettes des pays périphériques de la zone euro, ce qui menaçait l’existence même de la monnaie commune. Quelques jours après ce discours, la BCE précise cette orientation de politique monétaire en annonçant un nouvel instrument, l’Outrights Monetary Transactions (OMT), un programme d’achat potentiellement illimité des dettes souveraines sur les marchés secondaires (marchés d’échange de titre). Bien que ce programme n’ait encore jamais été activé, la menace qu’il a fait planer a permis aux États de la zone euro de se financer à moindre coût en décourageant les opérateurs de marchés de spéculer sur une montée des taux d’intérêt des dettes souveraines.

    Cette annonce a provoqué deux types de réaction qui illustrent bien la ligne de crête sur laquelle la BCE a dû se maintenir pendant la crise. D’une part, certains analystes ont estimé que l’intervention de Mario Draghi avait sauvé la zone euro, le Financial Times le nommant même personnalité de l’année. D’autre part, certains économistes et dirigeants allemands comme Otmar Issing ou Jens Weidmann [1] ont durement critiqué le programme OMT car ils estimaient que la BCE dépassait le cadre de son mandat uniquement focalisé sur la stabilité des prix et alimentait des risques d’aléa moral. Ici, l’aléa moral représente les incitations des États à dépenser plus qu’ils ne devraient car les interventions potentielles de la BCE annuleraient la « discipline du marché » qui restreint l’endettement public.

    Le débat public s’est ainsi été focalisé sur l’efficacité des instruments monétaires de la BCE au détriment d’une discussion de fond sur les conséquences politiques des contreparties demandées aux États membres pour ses interventions. Ainsi, comme toutes les mesures antérieures prises par la BCE pour répondre à la crise (sur lesquelles nous reviendrons plus loin), une éventuelle mise en œuvre de l’OMT serait attachée à des conditions spécifiques prenant la forme de mesures de rigueur qui ont pour but de flexibiliser le marché du travail et de réduire le déficit budgétaire par une baisse des dépenses étatiques. Ainsi, la BCE a été un des acteurs majeurs de l’imposition des politiques d’austérité dans les pays de la zone euro en difficulté financière (Grèce, Portugal, Irlande, Italie, Espagne, Chypre). Reformulons ainsi la citation de Mario Draghi en explicitant les conséquences implicites de l’intervention de la BCE : « Dans le cadre de notre mandat, la BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro, [si vous faites ce que nous vous demandons de faire] ».

    Cette influence sans précédent de la BCE sur la gouvernance économique de la zone euro pose un problème démocratique important : son indépendance du pouvoir politique ne se justifie que par la restriction de ses compétences au champ monétaire. L’incursion de la banque centrale dans le champ économique limite ainsi encore davantage l’impact du vote des citoyens sur la distribution des richesses au sein de l’espace européen. La question politique majeure qui se pose alors à l’observateur de la BCE est la suivante : Dans quelle mesure la BCE est-elle en droit de contraindre les politiques budgétaires et réglementaires — sur lesquelles elle n’a aucun mandat — au nom du bon fonctionnement de la politique monétaire et des objectifs de stabilité financière ?

    Afin de répondre à cette question, il faut d’abord comprendre que la BCE est un acteur politique parmi d’autres, cherchant à défendre et promouvoir ses propres intérêts [2]. Ensuite, il s’agit d’analyser l’impact de la crise de la zone euro sur les rapports de force entre les différents acteurs de l’UEM et par là, la manière dont la BCE a géré les risques provoqués par la crise tout en exploitant les opportunités offertes.

    La BCE, un acteur politique renforcé par la crise

    Alors que les projets de création d’une monnaie unique européenne datent du rapport Werner de 1971, il a fallu attendre le début des années 1990 pour acter la création de la BCE avec la signature du traité de Maastricht et le 1er janvier 1998 pour qu’elle soit opérationnelle. Parmi les facteurs expliquant l’établissement de la première banque centrale supranationale au monde, le rôle joué par les idées économiques a été déterminant.

    D’abord, la création de la BCE s’inscrit dans un mouvement global, qui se déroule depuis les années 1980, de délégation des compétences monétaires à des banques centrales indépendantes. Ensuite, la BCE a été pensée à partir d’un modèle de banque centrale particulier, la Bundesbank, qui était alors la plus puissante en Europe. Afin d’obtenir l’accord des banquiers centraux et des négociateurs allemands sur la création de la monnaie unique, la BCE a donc bénéficié d’un haut niveau d’indépendance corrélé à une focalisation de ses responsabilités sur l’objectif de stabilité de prix. La combinaison de ces deux éléments se comprend ainsi : en échange d’un très faible contrôle exercé par les autorités politiques, la BCE se voit confier des responsabilités restreintes, focalisées sur le contrôle de l’inflation, au détriment d’autres missions traditionnelles des banques centrales comme le soutien à la croissance, le financement des États ou la supervision bancaire.

    Ce qu’il faut retenir ici est que la création et les caractéristiques de la BCE sont d’abord le résultat d’une conjonction paradigmatique particulière à un moment précis de l’histoire de l’intégration européenne. Les agents de la BCE vont alors avoir un intérêt particulier à la protection et à la diffusion de ces idées parmi les autres acteurs de l’UEM. La raison est simple, les éléments idéels qui ont participé à « faire » la BCE peuvent tout aussi bien contribuer à la défaire. Ainsi, les différents présidents de la BCE ont appelé, depuis la création de la monnaie unique, à mener des réformes structurelles destinées à flexibiliser les différents marchés des biens et du travail et à strictement respecter les règles inscrites dans le Pacte de stabilité et de croissance. Il existe aussi des raisons « matérielles » à la défense de ces principes : si les États perdent la confiance des opérateurs de marché et ne peuvent plus se refinancer leur dette auprès de ceux-ci, ils pourraient forcer la banque centrale à racheter directement leurs bons du trésor (monétisation des dettes). Cependant, avant le début de la crise financière, la BCE ne disposait pas de leviers leur permettant d’exercer de pression sur les décideurs politiques de l’UEM en faveur de l’implémentation de ces réformes ; ce moment particulier de reconfiguration des systèmes politiques va changer la donne.

    Les risques et les opportunités provoquées par la crise de la zone euro

    Pendant la crise, la BCE a dû faire face à un paradoxe majeur : elle devait répondre aux risques d’effondrement de la zone euro tout en prenant en compte les tensions engendrées par ses nouveaux instruments monétaires au sein du Conseil des gouverneurs [3].

    À partir de mai 2010, la BCE fait face à la transformation de la crise bancaire en crise souveraine en rachetant les dettes souveraines sur les marchés secondaires afin de stabiliser leurs cours par l’instrument du Securities Market Program (SMP). Cet instrument va lui attirer les critiques des partisans du modèle conservateur de politique monétaire, incarné par la Bundesbank. En effet, par le rachat des dettes souveraines, la BCE franchit une ligne rouge que la banque centrale allemande n’avait jamais dépassée depuis les années 1970 et ravive le tabou de la monétarisation de la dette. Ainsi, en réaction au SMP, deux membres importants du Conseil des gouverneurs de la BCE démissionnent : Axel Weber, alors directeur de la Bundesbank, et Jürgen Stark, représentant de l’orthodoxie monétaire au sein du directoire. Le jour de l’annonce de la démission de ce dernier, l’euro atteint sa plus basse valeur depuis six mois et l’index couvrant 90% de la capitalisation boursière mondiale (FTSE All-world index) chute de 3,07%.

    Afin de faire face à ces tensions, la BCE n’est pas resté inactive : elle a paramétré le SMP de manière à protéger sa réputation originelle, basée sur le modèle de la Bundesbank. Ce paramétrage révèle le caractère politique de l’action de la BCE pendant la crise ; elle ne s’est pas contentée de maintenir les canaux de transmission de sa politique monétaire comme elle l’a prétendu mais elle a aussi cherché à protéger son héritage institutionnel et par là, son autonomie.

    En effet, son utilisation du SMP est restée très limitée, notamment en comparaison avec des programmes similaires des banques centrales américaines et anglaises, ce qui a pu nuire à son efficacité [4]. De plus, la BCE n’a rendu public que le montant hebdomadaire de ses opérations, sans préciser dans le détail la composition des bons du trésor rachetés sur les marchés secondaires. En effet, la BCE a justifié le SMP comme une opération technique destinée à rétablir le bon fonctionnement des canaux de transmission de la politique monétaire ; elle ne pouvait pas dévoiler publiquement que ses achats concernaient exclusivement les bons du trésor des pays en difficulté financière [5] (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, Italie). Cette révélation aurait mis en cause le principe d’unicité de sa politique monétaire (pas de différenciation selon les pays) et aurait suscité des tensions internes encore plus vives.

    Cette protection de sa réputation orthodoxe a alors permis à la BCE d’exploiter la crise financière comme une fenêtre d’opportunité pour étendre son influence sur la gouvernance des politiques économiques des pays de la zone euro. Deux caractéristiques des moments de crise expliquent comment ce glissement des banquiers centraux hors de leur champ de compétences original a été possible.

    D’abord, une crise financière provoque un dérèglement des situations routinières dans un système politique et augmente la valeur de certaines ressources stratégiques détenues par les acteurs. Dans le cas de la BCE, sa position d’interface entre les marchés financiers et les autorités politiques combinée à la mise sous pression des États par les opérateurs de marché va lui permettre de peser sur des décisions sur lesquelles elle ne pouvait pas avoir d’influence en temps normal.

    Ensuite, les périodes de crise sont des événements uniques qui entraînent une montée de l’incertitude chez les dirigeants par rapport à leurs propres grilles de lecture économique et aux solutions à y apporter. Les agents de la BCE ont alors participé au cadrage de la crise financière comme une crise budgétaire et fiscale afin qu’elle puisse étendre son influence au-delà du domaine monétaire, de manière plus décisive qu’auparavant [6].

    L’impact de la BCE sur la gouvernance économique européenne

    Le moyen le plus visible par lequel les agents de la BCE ont étendu leur influence sur la gouvernance économique de la zone euro est son monopole sur les liquidités [7]. En temps normal, les capacités d’intervention des banquiers centraux sur les marchés ne sont qu’un outillage technique mais elles acquièrent une dimension politique particulière en temps de crise. En effet, quand les États et les banques commerciales n’arrivent plus à se refinancer sur les marchés, la BCE peut exercer une pression coercitive sur les dirigeants étatiques qui dépendent de son intervention pour éviter un effondrement de leur système bancaire ou une incapacité à rembourser leurs emprunteurs.

    Cette pression coercitive des banquiers centraux peut s’exercer de manière officielle aussi bien qu’officieuse. D’abord, la BCE a utilisé ses instruments de rachat de titres souverains à destination des pays ayant fait une demande d’aide financière à leurs partenaires de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal, Chypre), conditionnée à la bonne mise en œuvre des réformes demandées en contrepartie. Dans ce cas, le contrôle des réformes demandées est exercé in situ, dans le cadre des missions de la « troïka » en collaboration avec les agents du Fond Monétaire International (FMI) et de la Commission Européenne.

    Ensuite, la BCE a utilisé le SMP de manière davantage officieuse et bilatérale, notamment dans le traitement des tensions sur les dettes italiennes et espagnoles à partir d’août 2011. Dans les deux cas, les dirigeants de la BCE ont envoyé une lettre aux chefs de gouvernements en leur précisant les réformes à mettre en œuvre en contrepartie de l’achat de titres. La divulgation non prévue de la lettre à destination de Silvio Berlusconi par le Corriere Della Serra est en ce sens un document d’archive exceptionnel : les pressions coercitives officieuses à effet immédiat des banques centrales ne sont que très rarement révélées sur l’espace public. La lettre dévoile que la BCE appelle non seulement à réformer des domaines très éloignés de leurs compétences monétaires (libéralisation des services publics, réglementation du marché du travail, système de santé) mais aussi qu’elle précise que ces mesures doivent être adoptées par décret gouvernemental au détriment de la voie parlementaire.

    Le contrôle de ces contreparties politiques et budgétaires par la BCE n’appartient pas seulement à l’ordre du discours. La remise en cause de certaines mesures dans la dernière phase de leur mise en œuvre en octobre 2011 par Silvio Berlusconi a ainsi participé à sa chute en novembre 2011. En effet, le 7 novembre, les taux d’intérêts associés à la dette italienne atteignent des records historiques mais ne provoquent pas l’intervention de la BCE sur les marchés secondaires. Cette retenue, voulue comme une manière de faire respecter la conditionnalité de ses achats, a été un des facteurs ayant provoqué la démission du chef de gouvernement italien le même jour. Dès l’annonce du retrait de Silvio Berlusconi, la BCE réactivait le SMP et rachetait des bons du trésor italien.

    Par ailleurs, afin d’obtenir des liquidités de la part de la BCE lors de leurs opérations de refinancement, les banques commerciales déposent des titres en contreparties. Pendant la crise, la BCE a utilisé son pouvoir de définir quels titres sont acceptés lors de ces opérations pour faire pression sur la gouvernance économique européenne. L’exemple le plus significatif est celui du débat portant sur la possibilité de faire un défaut partiel sur les dettes des pays secourus financièrement. Soulevée par N. Sarkozy et A. Merckel en octobre 2010, cette option avait pour but d’alléger les coûts du remboursement de la dette grecque et des mécanismes d’aide financière supportés par les citoyens et contribuables de la zone euro en opérant une décote sur la valeur des titres détenus par les opérateurs de marchés privés. Étant donné que la BCE possédait elle-même des titres pouvant être soumis à une décote et que cette option mettait en cause la place centrale des marchés dans le fonctionnement des sociétés, elle s’est positionnée très rapidement en défaveur d’un défaut partiel sur la dette grecque. Bien que la BCE ait été le seul acteur refusant cette option, elle a su peser dans les négociations en menaçant de ne plus accepter les bons du trésor grec dans ses opérations de refinancement, ce qui aurait signifié un effondrement immédiat de l’ensemble du secteur bancaire grec et des risques importants de contagion vers les autres pays. Même si le gouvernement grec a effectué une décote importante sur la valeur de ses titres de dette souveraine, la menace de la BCE lui a permis d’obtenir deux concessions importantes : cette option est restée limitée au seul cas grec alors que les dirigeants l’envisageaient pour d’autres pays, et les titres détenus par la BCE ne sont pas concernés par la décote. En d’autres mots, dans l’exercice de leur rôle de préteur en dernier ressort, les banquiers centraux ont exercé une pression unilatérale sur l’ensemble des dirigeants de la zone euro afin de les forcer à respecter la « discipline des marchés », au détriment des coûts sociaux engendrés par le refinancement de la dette auprès des citoyens.

    Au-delà de leur monopole sur les liquidités bancaires, les agents de la BCE ont aussi étendu leur influence au sein des enceintes de l’UEM de manière moins coercitive, par leur expertise sur les questions financières et leur autorité morale sur les représentants étatiques. Lors de mes recherches, j’ai pu effectuer des entretiens avec des agents du Comité Économique et Financier (CEF), une arène cruciale dans la gouvernance de l’UEM qui réunit les conseillers des ministères des finances, ainsi que des agents de la BCE et de la Commission, dont la fonction est de préparer les conseils Ecofin et Européens afférant à la gestion de la crise. Ces entretiens ont révélé que les représentants de la BCE, ici les membres du directoire siégeant au CEF, ont joué un rôle crucial, à la fois dans le timing des décisions prises par les autorités européennes pour répondre à la crise, mais aussi dans le contenu de celles-ci.

    En effet, les représentants étatiques considèrent que les agents de la BCE ont un point de vue de praticien sur les marchés et que leur expertise est plus fiable que les régulateurs nationaux ou que les experts des ministères des finances. Par exemple, J.-C. Trichet a convaincu les chefs d’État de créer le Fonds Européen de Stabilité Financière [8] (FESF) en mai 2010 en les avertissant des risques de contagion de la crise grecque à l’ensemble de la zone euro. Or, du fait de la reconnaissance de cette expertise et de leur indépendance du pouvoir politique, les représentants de la BCE sont perçus par les représentants étatiques comme des acteurs neutres, ne cherchant pas le gain politique, à l’inverse des agents de la Commission Européenne. Par ailleurs, à partir du moment où la crise a été cadrée comme une crise budgétaire et fiscale, les positions passées des représentants de la BCE en faveur de l’orthodoxie budgétaire ont gagné une dimension quasi prophétique et leur ont permis de renforcer leur autorité morale au sein du CEF. La réputation orthodoxe des agents de la BCE leur a notamment permis de gagner la confiance des négociateurs allemands et de les convaincre de participer à la création du FESF, ce que les agents de la Commission ne parvenaient pas à faire. Ils ont ainsi endossé le rôle de créateur d’alliances entre les dirigeants étatiques aux intérêts opposés, rôle que la Commission Delors avait joué lors de la création de l’euro.

    La centralité des représentants de la BCE dans le processus de résolution de crise explique pourquoi ils ont été perçus comme faisant partie des solutions à la crise sans en avoir été une des causes. Cependant, ces perceptions sont contestables ; un rapport de l’OCDE montre notamment que les politiques monétaires passées ont été la principale cause de la formation de bulles immobilières et par là, de la fragilisation des pays touchés par la crise [9]. Par ailleurs, l’image de neutralité associée au statut d’expert est trompeuse : la mobilisation d’arguments experts est une stratégie classique des acteurs ne disposant pas de légitimité électorale pour peser sur la prise de décision.

    Pourtant, l’autorité morale de la BCE et la reconnaissance de son expertise financière ont joué un rôle central dans son acquisition des compétences de supervision financière. Débutée après la chute de Lehman Brothers, la réorganisation du système européen de supervision financière a consacré une place centrale à la BCE qui avait été privée de ces responsabilités à sa création [10]. Ce phénomène s’est d’abord observé lors de la constitution du groupe De Larosière, rassemblant huit personnalités « expertes » — en majeure partie d’anciens banquiers centraux — en charge de proposer des réformes du système européen de supervision financières en amont du processus législatif, puis lors de la création du Comité Européen de Risque Systémique, dont le président est celui de la BCE, et enfin de la création du futur Mécanisme Unique de Supervision qui déléguera la responsabilité finale de la supervision de chaque institution bancaire à la BCE en novembre 2014.

    Les décideurs nationaux et les organes supranationaux avaient des motivations bien différentes pour mettre la BCE au centre de cette réforme. Pour les décideurs nationaux, la reconnaissance de l’expertise financière développée au préalable par la BCE leur permettait d’ « importer » à moindre coût cette caractéristique au sein des nouveaux organes de supervision. Pour la Commission Européenne et le Parlement Européen, l’autorité morale de la BCE envers les États a été la principale raison de leur soutien au transfert ; ils pouvaient ainsi s’assurer que les nouveaux organes supranationaux puissent avoir un impact au niveau national ce qu’une structure ad hoc aurait eu plus de difficultés à accomplir. La BCE a ainsi su jouer sur la diversité des motivations des décideurs et législateurs européens pour étendre progressivement ses compétences de supervision et devenir l’acteur le plus important dans ce domaine en Europe.

    Le docteur Frankenstein et sa créature

    Que retenir de cette analyse politique de l’action de la BCE pendant la crise de la zone euro ? D’abord, les perceptions et les idées des acteurs politiques ont joué un rôle central lors de la prise de décision en temps de crise. Loin de la vision idéalisée des théories de l’intégration européenne qui affirment que la délégation des politiques monétaires est un processus voulu et maîtrisé par les États, l’analyse de la gestion de la crise révèle un processus incertain où le processus de transfert de compétences et le gain d’influence de la BCE dépassent les décideurs politiques. En effet, aucun dirigeant ne pouvait imaginer lors de la création de l’euro que la BCE pourrait un jour forcer la mise en œuvre de réformes socio-économiques au sein de leurs espaces nationaux.

    On peut ainsi interpréter l’évolution institutionnelle et politique de la BCE pendant la crise en se référant à l’ouvrage gothique de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Mû par la volonté d’améliorer le monde à travers la science, le docteur Frankenstein donne naissance à une créature, faite de morceaux de tissus humains épars, qui échappe progressivement à son contrôle et bouleverse l’existence de son créateur. De manière similaire, afin de faire face aux crises de change des années 1980 et d’éviter le retour des crises inflationnistes des années 1970, les décideurs européens ont créé la BCE sur le modèle de la Bundesbank en lui octroyant un niveau d’indépendance très élevé. Celle-ci s’est progressivement émancipée de son champ de compétences initial pendant la crise et elle bouleverse aujourd’hui l’organisation socio-économique des pays européens en imposant des politiques d’austérité strictes. Or, la qualité de la démocratie européenne dépend de la capacité d’influence des citoyens sur les choix gouvernementaux. L’intervention d’une banque centrale indépendante imposant des politiques souvent rejetées par les citoyens concernés altère le bon fonctionnement de la démocratie européenne et risque ainsi de nuire au projet d’intégration européenne de manière générale. Dans le cadre du dialogue monétaire avec le Parlement Européen, ce dernier a d’ailleurs invité la BCE à « réaliser une auto-évaluation critique portant sur tous les aspects de son activité », y compris son impact sur la gouvernance économique [11], sans disposer pour autant de leviers de pression sur celle-ci.

    Enfin, le Parlement précise aussi que le gain de compétences de supervision financière devrait être corrélé à un renforcement du contrôle démocratique sur la BCE et de la transparence sur ses activités. En effet, ces nouvelles missions risquent d’accentuer la porosité déjà existante des trajectoires professionnelles entre le milieu des banques centrales et celui des institutions financières privées, ce qui augmente alors les conséquences négatives d’une éventuelle « capture » de la BCE par les intérêts privés financiers. La créature de Maastricht pourrait ainsi, si l’on ne prend pas garde, devenir malgré sa mission un nouveau vecteur des intérêts financiers privés sur l’organisation des sociétés européennes.

    Clément Fontan

    Pour en savoir plus

    Mark Blyth, Austerity : the history of a dangerous idea. Oxford, Oxford University Press, 2013.

    Clément Fontan, « L’art du grand écart : le modèle ordo-libéral de la BCE face à la crise », Gouvernement et Action Publique, en cours de publication, 2014.

    Clément Fontan, « Frankenstein en Europe : l’impact de la BCE sur la gestion de la crise de la zone euro », Politique Européenne, No.42, pp.11-33, 2014

    Frédéric Lebaron, « Quand le gardien du Temple devient le sauveur des marchés financiers »

    Wolfgang Streeck et Amin Schäfer (eds.), Politics in the Age of Austerity, Hoboken, John Wiley & Sons, 2013.

    Source : http://www.laviedesidees.fr/La-BCE-un-probleme-democratique.html ET

    Clément Fontan, « La BCE : un problème démocratique pour l’Europe ? », La Vie des idées, 15 avril 2014. ISSN : 2105-3030. URL : : http://www.laviedesidees.fr/La-BCE-un-probleme-democratique.html

    [1] Issing est un économiste aux positions orthodoxes marquées et ancien membre du directoire de la Bundesbank (1990-1998) et de la BCE (1998-2006). Weidmann est le directeur de la Bundesbank depuis 2011, et à ce titre membre du Conseil des gouverneurs de la BCE.

    [2] En cela, cette approche se rapproche de travaux classiques de science politique, notamment ceux appartenant aux courants néo-institutionnalistes ou du constructivisme stratégique. Les travaux de N. Jabko sur la Commission européenne peuvent notamment être signalés : Nicolas Jabko, L’Europe par le marché, histoire d’une stratégie improbable, Paris, Presses de Sciences-Po, 2009.

    [3] La politique monétaire de la zone euro est gérée par une structure fédérale : le système européen des banques centrales qui réunit l’ensemble des banques centrales nationales et la BCE. Les décisions sont prises au sein du Conseil des gouverneurs, qui réunit les directeurs des banques centrales nationales et les six membres du directoire, l’organe exécutif de la BCE.

    [4] Le but des programmes d’achat de titres est de convaincre les opérateurs de marchés financier de la détermination de la banque centrale à effectuer ses achats afin de décourager toute activité spéculative, voir Paul De Grauwe, « The European Central Bank as Lender of Last Resort in the Governement Bond Markets », CESifo Economic Studies,No. 59 (3), pp. 520-535, 2014.

    [5] La corrélation entre les variations des taux d’intérêts des dettes souveraines et des montants hebdomadaires de titres achetés permet néanmoins aux chercheurs et aux journalistes financiers de déterminer la destination des achats de la BCE.

    [6] Ce cadrage n’avait rien d’évident car les racines de la crise sont davantage à trouver dans la mauvaise gestion du risque des secteurs financier et bancaire privés que dans les dépenses étatiques incontrôlées des États. Sur ce sujet, lire l’explication très convaincante de Mark Blyth, Austerity : the history of a dangerous idea. Oxford, Oxford University Press, 2013.

    [7] La BCE exerce ainsi la fonction traditionnelle des banques centrales de « préteur en dernier ressort », c’est-à-dire d’autorité supérieure aidant au refinancement des établissements bancaires exposés au manque de liquidité sur les marchés monétaires. Par extension, cette notion peut aussi s’appliquer au marché obligataire souverain.

    [8] Le FESF est un mécanisme d’aide financière ad hoc capitalisé à hauteur de 500 milliards d’euros mis en place par les autorités de la zone euro en mai 2010. Il a été remplacé depuis par le Mécanisme Européen de Stabilité. Dans les deux cas, les prêts sont conditionnés à la mise en œuvre de réformes de rigueur.

    [9] Rudiger Ahrend, Boris Cournède, Robert W. Price, Monetary Policy, Market Excesses and Financial Turmoil. oecd Economics Department Working Papers, n° 597, 2008.

    [10] La séparation entre politique monétaire et supervision financière a été effectuée au nom de l’orthodoxie monétaire (tout autre objectif que la stabilité des prix peut nuire à celle-ci). La BCE a essayé de protéger sa réputation orthodoxe en effectuant un cloisonnement essentiellement symbolique entre ces deux activités, notamment lors des interventions du président de la BCE au Parlement Européen.

    [11] La proposition de résolution du Parlement Européen sur le rapport annuel de la BCE est disponible ici.

    http://www.voxnr.com/cc/etranger/EFAlVZklkFuMQoulnJ.shtml

  • Grèce : Les malades non assurés ne sont plus pris en charge

    Le gouvernement grec n’a pas fourni de traitements aux patients atteints d’hépatite, ce qui met en péril la santé publique nationale. Huit patients non assurés atteints de l’hépatite B et C risquent de voir leur état se dégrader fortement, car ils ne peuvent plus se permettre d’acheter leurs médicaments, met en garde l’hôpital communautaire à Elliniko en Grèce.

    « Malheureusement, notre hôpital ne peut plus fournir sans interruption à ces patients les traitements extrêmement coûteux dont ils ont besoin. Ces personnes sont donc confrontées à de graves complications et risquent aussi de transmettre leurs maladies à d’autres. Cette situation problématique affecte sérieusement la santé publique », indique l’hôpital dans le journal Enet..

    La clinique a accusé le ministère grec de la Santé de s’être engagé dans une « politique irresponsable et stupéfiante » responsable de ruptures de stocks des traitements d’urgence aux patients atteints de maladies contagieuses graves, comme l’hépatite.

    Il y a un mois, la clinique a envoyé une lettre au ministère de la Santé et au secrétariat général du gouvernement pour les alerter quant à la situation critique des huit patients. Elle attend toujours une réponse des autorités.

    « De nouveau, nous demandons au ministère de la Santé de prendre les mesures qui devraient s’imposer, et publiquement cette fois-ci. Ces personnes doivent immédiatement recevoir une attention médicale redoublée et le ministère devrait s’engager à ce que le système de santé publique couvre d’autres cas semblables.Si ce n’est pas le cas, notre société court un grave danger.

    L’attitude du ministère montre non seulement qu’il est dénué d’empathie, mais elle révèle également une politique irresponsable et stupéfiante. On ne peut ignorer les patients atteints de maladies graves et contagieuses », a déclaré l’hôpital.

    L’hôpital d’Elliniko, fondé en décembre 2011, a accueilli des milliers de patients qui se sont vus refuser l’accès à des soins de santé publique gratuit dans d’autres établissements, par exemple, des chômeurs de longue durée et des personnes démunies. L’hôpital refuse les dons en espèce et le soutien d’entreprises, mais accepte cependant des dons de médicaments.

    Le mois dernier, le gouvernement grec et la troïka ont fait l’objet de critiques, car ils niaient l’ampleur des conséquences engendrées par les coupes sans précédent opérées dans les budgets en matière de santé.

    Selon un rapport publié par The Lancet, des professeurs de l’université d’Oxford, de Cambridge et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine ont indiqué que le gouvernement grec se fourvoyait quand il a déclaré que la réduction des dépenses publiques n’avaient aucun impact négatif sur la santé publique.

    EuroActiv

    http://fortune.fdesouche.com/337095-grece-les-malades-non-assures-ne-sont-plus-pris-en-charge#more-337095

  • Le fossé entre riches et pauvres n’a jamais été aussi grand :

    Jamais le monde n’a produit autant de richesses qu’à l’heure actuelle. Si cette richesse était répartie de manière égale entre tous et partout dans le monde, une famille avec trois enfants disposerait d’un revenu de 2.870 euros par mois et d’un patrimoine (épargne, valeur du logement…) de 125.000 euros.

    Nous parlons bien ici de tous les gens sur la planète : Africains, Asiatiques, Européens, Américains, etc. 2.870 euros par mois et un patrimoine de 125.000 euros, voilà qui est étonnamment élevé. Ce n’est certes pas assez pour vivre dans le luxe, mais bien suffisant pour que tous les êtres humains disposent d’un logement confortable, d’électricité, d’eau potable et de sanitaires, également via des méthodes écologiques.

    Il y a donc assez pour que tout le monde puisse mener une vie plus que décente. Et, pourtant, dans le monde, un être humain sur trois ne dispose pas de dispositif sanitaire de base, et un sur quatre n’a pas accès à l’électricité. Un sur sept vit dans un bidonville, un sur huit a faim et un sur neuf n’a pas accès à l’eau potable.[1] Autre manière d’expliquer les choses : avec une répartition égale de la richesse, tout le monde disposerait de 23 dollars par jour. Et, pourtant, 2,4 milliards de gens doivent vivre avec moins de 2 dollars par jour et 1,2 milliard même avec moins de 1,25 dollar.[2]

    Le problème n’est donc pas qu’il n’y a pas assez de richesse, mais que celle-ci est répartie de manière scandaleusement inégale. Aujourd’hui, 85 personnes possèdent autant que 3,6 milliards de gens ensemble.[3] Le 1% le plus riche possède près de la moitié de toute la richesse du monde alors que 70% les plus pauvres en possèdent 3%. Les très riches possèdent chacun une fortune moyenne d’1,6 million de dollars, soit 700 fois plus que la plus grande partie de la population mondiale.[4]

    Un bon 32.000 milliards de dollars sont à l’abri dans les paradis fiscaux.[5] C’est 130 fois plus que ce qui est annuellement nécessaire pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) des Nations unies et éradiquer la pauvreté la plus forte dans le monde. Jamais auparavant le contraste entre ce que l’économie mondiale a à offrir et ce qu’elle donne effectivement pour répondre aux besoins de base n’avait été aussi grand, aussi criant qu’à l’heure actuelle.

    Prospère Belgique

    En Belgique, ou j’habite, le revenu moyen disponible pour une famille avec deux enfants est de 8.000 euros par mois, et le patrimoine moyen d’une telle famille est un petit 800.000 euros.[6] Des chiffres qui paraissent également étonnamment élevés mais, à nouveau, il s’agit de moyennes qui cachent une répartition extrêmement inégale.

    D’un côté, le 1% des Belges les plus riches possèdent 40 fois autant que le Belge moyen. Les dix familles les plus riches de notre pays disposent ensemble d’un patrimoine de 42 milliards d’euros, environ autant que les 2 millions de Belges les plus pauvres. Le patrimoine des familles De Spoelberch, De Mévius et Vandamme correspond exactement au budget total de l’assurance maladie en 2012.[7]

    De l’autre côté, 1 Belge sur 5 court le risque de tomber dans la pauvreté ou dans l’exclusion sociale.[8] Une famille sur 5 avec un bas revenu doit reporter des soins médicaux pour des raisons financières.[9] Et il n’est pas du tout rare que des gens doivent travailler à un rythme inhumain pour à peine 1.300 euros par mois. Au vu de la haute prospérité de la richesse de notre pays, c’est inacceptable.

    Le fossé entre riches et pauvres en Belgique n’a jamais été aussi grand, et il continue de se creuser. Les dernières vingt années, les revenus des 30% les plus pauvres ont baissé de 10% alors que le pourcent le plus riche a vu son revenu augmenter de 30%.[10] Durant cette période, le nombre de pauvres a doublé.[11] C’est la conséquence de deux éléments : d’abord, les allocations et salaires ont été gelés ou augmentent moins vite que la prospérité ; ensuite, le capital bénéficie de toujours plus d’avantages fiscaux. Ces dernières trente années, la part salariale dans le PNB (la richesse nationale) a baissé de 67 à 62%, alors que la part du capital a presque doublé, passant de 6 à 10%.[12]

    Pas la crise pour tout le monde

    C’est la crise qui est ici le grand malfaiteur. Dans le capitalisme, une crise revient à un grand nettoyage brutal et chaotique de l’économie. La facture est invariablement imposée aux travailleurs et aux plus faibles de la société. En d’autres termes, une crise économique est un excellent moyen pour organiser un transfert du travail au capital, des pauvres vers les riches. Les réductions des salaires dans les années 1980 en sont un bon exemple. Si, aujourd’hui, les salaires constituaient une part aussi grande du PIB qu’en 1981, chaque travailleur gagnerait environ 950 euros de plus par mois.[13]

    Le krach financier de 2008 est la répétition du même phénomène. Rien qu’en Europe, 4 millions d’emplois ont disparu à cause de la crise.[14] Dans le monde, 64 millions de gens ont été poussés dans l’extrême pauvreté.[15] Dans presque tous les pays européens, le fossé entre riches et pauvres a augmenté, et même particulièrement fort en Irlande et en Espagne.[16] Actuellement, l’Europe compte 120 millions de pauvres, et 100 à 150 millions de personnes vivent sur le fil du rasoir. Il s’agit donc au total de 43 à 53% de la population ! En outre, avoir un emploi n’est plus suffisant. En Europe, une personne qui travaille sur 10 vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.[17]

    Surtout dans les pays périphériques, la politique d’économies menée depuis 2008 a causé de véritables ravages. Les revenus moyens n’ont pas non plus été épargnés. En Italie, le pouvoir d’achat a baissé de 12%, en Espagne et en Grande-Bretagne (!), de 22%, et en Grèce, même de 33%.[18] Au Portugal, les salaires ont baissé de 12% ;[19] en Grèce, les salaires des fonctionnaires ont même dégringolé de 35%.[20] Aujourd’hui, 31% des Grecs vivent sous le seuil de pauvreté et 27% risquent d’y tomber.[21] En Espagne, la pauvreté pourra atteindre 40% d’ici 2022.[22]

    En Belgique aussi, la pauvreté continue à augmenter. Aujourd’hui, dans ce pays prospère, 24.000 personnes ont besoin de l’aide alimentaire de la Croix-Rouge.[23] Certes, le rythme de cette augmentation a été moins rapide que dans les pays périphériques, parce que nous sommes restés 541 jours sans gouvernement et que des économies n’ont pu être décidées durant cette période. Deuxièmement, chez nous, les syndicats sont plus forts que dans la plupart des pays voisins.

    Pour les super-riches, la crise a en tout cas été une bénédiction. Jamais auparavant il n’y a eu autant de super-riches (fortune de plus de 22 millions d’euros) dans le monde. En Europe, 4.500 ont rejoint la liste, en Belgique, 60.[24] Les « individus très riches » (high-net-worth individual, avec des moyens d’investissements de plus d’un million de dollars) ont vu leur richesse croître d’au moins 41% depuis 2008.[25] Clairement, ce n’est pas la crise pour tout le monde.

    Une question de civilisation

    Ce fossé est un véritable scandale. Pour l’économiste internationalement renommé Jeffrey Sachs, une redistribution fondamentale de la richesse est une question de « civilisation ».[26] Mais il y a aussi des raisons sociales, économiques et même politiques pour entamer la lutte contre ce fossé. En premier lieu, l’inégalité dans un pays entraîne toute une série d’effets néfastes. Cela raccourcit la vie des gens, les rend plus malheureux, augmente la criminalité, le nombre de grossesses d’adolescentes et d’addictions aux drogues, et cela stimule la consommation excessive.[27]

    Economiquement, une grande inégalité aggrave la crise, puisque des bas revenus signifient moins de pouvoir d’achat, ce qui est néfaste pour la consommation globale et donc aussi pour les investissements.

    Il y existe un important parallèle entre notre époque et la Grande Dépression des années 1930. Entre 1920 et 1928, la part des 5% les plus riches est montée de 24 à 33%. Un an plus tard, c’était l’explosion. En 1983, cette part était de 22% et, en 2008, de 33%, soit précisément le niveau de l’année avant le grand krach.[28] Pour les mêmes raisons, les économies ne sont pas une bonne idée. Elles augmentent le fossé, rallongeant et empirant donc la crise. Mais peut-être est-ce bien le but ?[29]

    Pour finir, un fossé trop grand entre riches et pauvres crée également un danger politique, davantage dissimulé. L’inégalité économique croissante et le recul des revenus bas et moyens suscite le mécontentement et l’agitation dans une large couche de la population. Selon The Economist, dans au moins 65 pays, il existe une possibilité haute à très haute d’agitation et de révolte, comparable avec celles du Printemps arabe.[30] Il n’est donc guère étonnant qu’à Davos, l’élite des riches décideurs, tout comme le président Obama et le chef du FMI, commencent à vraiment s’en inquiéter.[31]

    Ils n’ont pas encore réalisé qu’il ne s’agit pas ici d’un excès ou d’un débordement, mais bien d’une erreur-système ou d’un vice de construction. Il est grand temps pour quelque chose de nouveau.

    Lire la suite

  • Gollnisch dans Présent : « l’appel au brassage universel est le véritable dogme religieux de l’Union Européenne »

     

    A moins d’un mois du premier tour des élections européennes,  Bruno Gollnisch a accordé un entretien au quotidien Présent .  Le député frontiste répondait aux questions  d’Yves Chiron sur   laBabel bruxelloise et ses menées contre-nature.  Les appels au sursaut se multiplient, la  Résistance nationale, populaire et sociale s’organise…

    Présent : Un mot, d’abord, de votre présence au Parlement européen. Vous y avez été élu pour la première fois en 1989, puis réélu sans discontinuité en 1994, 1999, 2004, 2009. Vous allez donc, si les électeurs le veulent, obtenir votre 6e mandat.En un quart de siècle de présence au Parlement européen, avez-vous vu une évolution des esprits parmi les députés ?

     Bruno Gollnisch : Oui, hélas, et pas dans le bon sens ! Il règne dans cette institution un étrange état d’esprit, fait de messianisme euro-mondialiste, de bonne conscience, et de satisfaction de soi, qui laisse peu de place à la discussion. C’est d’autant plus choquant qu’en présence d’un échec aussi manifeste, dans toute autre entreprise humaine on serait conduit à se remettre en question. Ici, non ! On accumule d’une part les normes et les charges de toutes sortes pesant sur nos sociétés, cependant qu’on ouvre nos économies à la concurrence de pays qui, eux, n’ont presque aucune contrainte de salaires minimum, de protection sociale, d’hygiène, de sécurité, de représentation syndicale, etc. Et quand le résultat désastreux ne peut plus être nié, on explique que c’est parce qu’il n’y a pas encore assez d’Europe ! Tout se passe comme si on était à bord d’un train fou, qui roule vers le précipice, dans l’allégresse de ses passagers. Il faut d’urgence arrêter ce train.Heureusement, on constate dans plusieurs pays l’émergence de mouvements qui vont dans ce sens, et dont plusieurs s’inspirent de notre exemple.

    Présent : Pour coordonner l’action des députés européens qui partagent le patriotisme du Front National, vous avez créé le groupe Identité, Tradition, Souveraineté (ITS) puis l’Alliance Européenne des Mouvements nationaux (AEMN). Quels sont les valeurs communes et les objectifs communs à ces députés venus de différents pays ?

     Bruno Gollnisch : C’est évidemment la défense des identités et des libertés nationales face aux empiètements incessants de l’Euro-mondialisme, aveuglément soutenu par la majorité de ce Parlement, qu’il s’agisse du groupe  PPE  (Parti Populaire Européen), abusivement dénommés démocrates-chrétiens, dont font partie les députés français UMP,  socialistes et libéraux. Je dois vous dire que Marine Le Pen a souhaité préparer le prochain groupe parlementaire avec les membres de l’Alliance Européenne des Libertés, autre regroupement  souverainiste , et non avec l’Alliance Européenne des Mouvements nationaux (AEMN). Elle est la présidente du Front National, et je m’incline devant ce choix. En tout état de cause, il est certain que l’on a assisté, depuis plusieurs années, à un rejet de l’Euro-mondialisme, de la destruction des libertés et identités nationales, de la négation des véritables valeurs de la Civilisation européenne, etc. Je suis sûr que ce phénomène va s’amplifier considérablement lors des prochaines élections.

    Présent :  Le 10 avril dernier, vous avez pu prendre la parole au cours d’une audition solennelle concernant l’Initiative citoyenne européenne « Un de nous/One of us », qui demande l’introduction dans le droit européen du principe suivant : « Aucun fonds de l’Union européenne ne doit être attribué à des activités qui détruisent des embryons humains ou qui présupposent leur destruction ».La pétition permettant cette Initiative avait recueilli plus de 2 millions de signatures en Europe. Pouvez-nous nous en dire un peu plus sur cette Initiative citoyenne européenne et ses enjeux ?

     Bruno Gollnisch : Cette pétition utilise un dispositif qui introduit, à dose tout-à-fait homéopathique, un peu de démocratie directe dans le fonctionnement de l’Union Européenne. Ne nous faisons aucune illusion quant au résultat final. Mais la pétition a eu le très grand mérite de réveiller quelques consciences, y compris au sein du Parlement, et d’obliger règlementairement les commissions parlementaires compétentes à en débattre publiquement. C’est dans ce cadre que, modestement, je suis intervenu.

    Présent :  Au Parlement européen, vous défendez aussi l’agriculture française contre les trusts multinationaux et l’industrie européenne contre la concurrence déloyale. Mais n’est-ce pas d’abord le fonctionnement des institutions européennes, et d’abord le pouvoir de la Commission européenne, qu’il faut contester ?

     Bruno Gollnisch : C’est naturellement l’ensemble du système, et nous ne nous en privons pas. Mais je voudrais mettre en garde contre une légende, qui voudrait attribuer tous les maux de l’Union Européenne à la seule Commission. Échappatoire bien facile, surtout en période électorale. La Commission est bien sûr co-responsable des dérives de l’institution, mais elle n’est pas la seule !

    L’idée selon laquelle il suffirait de donner plus de pouvoirs au Parlement pour lui permettre de faire entendre à la Commission la voix de la sagesse ne serait vraie que si la majorité des Parlementaires étaient eux-mêmes des sages. Or c’est très loin d’être le cas. Il est très fréquent que cette majorité parlementaire aggrave encore les aspects bureaucratiques, confus, verbeux, des propositions de la Commission…Ce qu’il faut, c’est arrêter net ce délire normatif, et en revenir à des coopérations concrètes, sur des sujets précis, chiffrés, quantifiables. Si c’est encore possible…

    Présent :  Au Parlement européen, certains refusent d’admettre que l’Europe a un héritage chrétien. Benoît XVI soulignait que c’est « un signe d’immaturité, voire de faiblesse » que de s’y opposer ou de l’ignorer. Il mettait en cause « une certaine intransigeance séculière ». Observez-vous une aggravation de cette tendance ?

     Bruno Gollnisch : Oui, malheureusement, du moins de la part du courant actuellement dominant. Il faut bien comprendre que le fait religieux est toléré, mais comme une espèce de  pré-humanisme , appelé seulement à coopérer au triomphe mondial du libéralisme économique et philosophique. Il n’a d’autre légitimité que de se fondre dans l’appel au brassage universel qui résultera de la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. C’est là que se trouve en fait le véritable dogme  religieux  de l’actuelle Union Européenne. Il y a bien sûr un habillage idéologique à tout cela : les  droits de l’homme , en réalité ce que le regretté Jean Madiran appelait très justement les  DHSD , c’est-à-dire les  Droits de l’Homme sans Dieu . Et le sacré, c’est  l’indifférenciation  dans tous les domaines. Il est littéralement blasphématoire de faire des distinctions entre les peuples, les cultures, les sexes, etc. Malheur par exemple à qui s’opposera à la promotion méthodique du  LGBTI , c’est-à-dire :  Lesbienne/Gay/Bi/Trans/Inter-sexuel . Ce serait  discriminatoire .

    Comme est cataloguée  discriminatoire  toute tentative de s’opposer à l’immigration massive, ou de protéger nos marchés, etc. Dans ce contexte, il est consternant de lire les communiqués lénifiants de la  Conférence des Evêques d’Europe , qui ne formule aucune objection aux déviances de l’Union Européenne, et ne s’inquiète que du rejet que l’on sent monter chez les peuples ! Heureusement, cela ne suffira pas à étouffer les légitimes réactions.

    http://gollnisch.com/2014/04/28/gollnisch-present-lappel-au-brassage-universel-veritable-dogme-religieux-lunion-europeenne/

     

  • Alain de Benoist : Europe-marché ou Europe-puissance

    Mesdames, Messieurs, chers Amis,

    Il y a encore un quart de siècle, l’Europe apparaissait comme la solution à presque tous les problèmes. Aujourd’hui, elle est perçue comme un problème qui s’ajoute aux autres. Sous l’effet de la désillusion, les reproches pleuvent de partout. A la Commission européenne on reproche tout : de multiplier les contraintes, de se mêler de ce qui ne la regarde pas, de vouloir punir tout le monde, de paralyser nos institutions, d’être organisée de manière incompréhensible, d’être dépourvue de légitimité démocratique, d’anéantir la souveraineté des peuples et des nations, de n’être plus qu’une machine à ne pas gouverner. Dans la plupart des pays, les opinions positives sur l’Union européenne sont en chute libre depuis au moins dix ans. La proportion de ceux qui, en France, pensent que « l’appartenance à l’Union est une mauvaise chose » a même bondi de 25 % en 2004 à 41 % en 2013. Plus récemment encore, un sondage Ipsos révélait que 70 % des Français souhaitent « limiter les pouvoirs de l’Europe ».

    C’est un fait que l’Union européenne traverse aujourd’hui une crise de légitimité sans précédent. C’est un fait aussi que le spectacle qu’elle offre n’a rien pour enthousiasmer. Mais comment en est-on arrivé là ?

    La « déconstruction » de l’Europe a commencé au début des années 1990, avec les débats autour de la ratification du traité de Maastricht. C’est dès cette époque que l’avenir de l’Europe est apparu comme éminemment problématique et que nombre d’Européens ont commencé à déchanter. Au moment où la globalisation faisait naître des craintes supplémentaires, les gens ont bien vu que « l’Europe » ne garantissait pas un meilleur pouvoir d’achat, une meilleure régulation des échanges commerciaux dans le monde, une diminution des délocalisations, une régression de la criminalité, une stabilisation des marchés de l’emploi ou un contrôle plus efficace de l’immigration, bien au contraire. La construction européenne est apparue alors, non comme un remède à la globalisation, mais comme une étape de cette même globalisation.

    Dès le départ, la construction de l’Europe s’est en fait déroulée en dépit du bon sens. Quatre erreurs essentielles ont été commises : 1) Etre partis de l’économie et du commerce au lieu de partir de la politique et de la culture en s’imaginant que, par un effet de cliquet, la citoyenneté économique déboucherait mécaniquement sur la citoyenneté politique. 2) Avoir voulu créer l’Europe à partir du haut, au lieu de partir du bas. 3) Avoir préféré un élargissement hâtif à des pays mal préparés pour entrer dans l’Europe à un approfondissement des structures politiques existantes. 4) N’avoir jamais voulu statuer clairement sur les frontières de l’Europe et sur les finalités de la construction européenne.

    Obsédés par l’économie, les « pères fondateurs » des Communautés européennes ont volontairement laissé la culture de côté. Leur projet d’origine visait à fondre les nations dans des espaces d’action d’un genre nouveau dans une optique fonctionnaliste. Pour Jean Monnet et ses amis, il s’agissait de parvenir à une mutuelle intrication des économies nationales d’un niveau tel que l’union politique deviendrait nécessaire, car elle s’avèrerait moins coûteuse que la désunion. N’oublions pas d’ailleurs que le premier nom de « l’Europe » fut celui de « Marché commun ». Cet économisme initial a bien entendu favorisé la dérive libérale des institutions, ainsi que la lecture essentiellement économique des politiques publiques qui sera faite à Bruxelles. Loin de préparer l’avènement d’une Europe politique, l’hypertrophie de l’économie a rapidement entraîné la dépolitisation, la consécration du pouvoir des experts, ainsi que la mise en œuvre de stratégies technocratiques.

    En 1992, avec le traité de Maastricht, on est passé de la Communauté européenne à l’Union européenne. Ce glissement sémantique est lui aussi révélateur, car ce qui unit est évidemment moins fort que ce qui est commun. L’Europe d’aujourd’hui, c’est donc d’abord l’Europe de l’économie et de la logique du marché, le point de vue des élites libérales étant qu’elle ne devrait être rien d’autre qu’un vaste supermarché obéissant exclusivement à la logique du capital.

    La deuxième erreur, comme je l’ai dit, a consisté à vouloir créer l’Europe à partir du haut, c’est-à-dire à partie des institutions de Bruxelles. Comme le souhaitaient les tenants du « fédéralisme intégral », une saine logique aurait au contraire voulu qu’on parte du bas, du quartier et du voisinage vers la commune, de la commune ou de l’agglomération vers la région, de la région vers la nation, de la nation vers l’Europe. C’est ce qu’aurait permis notamment l’application rigoureuse du principe de subsidiarité. La subsidiarité exige que l’autorité supérieure intervienne dans les seuls cas où l’autorité inférieure est incapable de le faire (c’est le principe de compétence suffisante). Dans l’Europe de Bruxelles, où une bureaucratie centralisatrice tend à tout réglementer par le moyen de ses directives, l’autorité supérieure intervient chaque fois qu’elle s’estime capable de le faire, avec comme résultat que la Commission décide de tout parce qu’elle se juge omnicompétente.

     La dénonciation rituelle par les souverainistes de l’Europe de Bruxelles comme une « Europe fédérale » ne doit donc pas faire illusion : par sa tendance à s’attribuer autoritairement toutes les compétences, elle se construit au contraire sur un modèle très largement jacobin. Loin d’être « fédérale », elle est même jacobine à l’extrême, puisqu’elle conjugue autoritarisme punitif, centralisme et opacité.

    La troisième erreur a consisté à élargir inconsidérément l’Europe, alors qu’il aurait fallu en priorité approfondir les structures existantes, tout en menant un vaste débat politique dans l’ensemble de l’Europe pour tenter d’établir un consensus sur les finalités. On l’a vu tout particulièrement lors de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale. La plupart de ces pays n’ont en fait demandé à adhérer à l’Union européenne que pour bénéficier de la protection de l’OTAN. Ils parlaient d’Europe, mais ils ne rêvaient que de l’Amérique ! Il en est résulté une dilution et une perte d’efficacité qui ont rapidement convaincu tout le monde qu’une Europe à vingt-cinq ou à trente était tout simplement ingérable, opinion qui s’est encore renforcée des inquiétudes culturelles, religieuses et géopolitiques liées aux perspectives d’adhésion de la Turquie.

    [...]

    Lire la suite sur le blog d’Éléments.

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2014/04/27/alain-de-benoist-europe-marche-ou-europe-puissance.html

  • Le projet d’un monde nouveau : pas de politique sans mystique ?

    « Ce dont il s’agit c’est que l’esprit de l’art –son émotion, son saisissement, son mystère, son énigme, sa vitalité, sa jouissance, sa joie, sa puissance…–soit celui qui imprègne notre vie, notre domaine public, notre Res Publica, notre communauté, notre destin. »

    Nous voici à la croisée des chemins entre deux époques dont l’importance correspond à peu près au passage de l’âge de pierre à l’âge des métaux (Ernst Jünger).

    Voici un texte profond que l’essayiste espagnol Javier Portella a rédigé en français. Il est long. Il peut prêter à controverses. Il est à lire la plume à la main. Au-delà de l’introduction nos lecteurs le trouveront en intégralité en PDF. « Il ne suffit pas de dénoncer les errements de ce monde im-monde qui n’est presque plus un monde. Il ne suffit pas de dire NON. Il faut dire OUI. Mais comment dire OUI lorsque personne ne sait comment remplir le OUI ? ». Autrement dit, il n’y a pas de politique sans mystique.

    Polémia.

    Jamais je n’avais ressenti rien de pareil. Jamais comme ce soir-là, à Rome, je n’avais éprouvé d’aussi près la force vivante de ce que signifie être entouré d’une communauté. Et une communauté, ce n’est pas une simple addition de gens ; ce n’est pas un agrégat, par exemple, d’amis et de connaissances mus par des idées et des inquiétudes partagées. Une

    Le siège de CasaPound à Rome communauté, c’est un destin porté par tout un projet existentiel, historique, politique… Jamais comme ce soir-là – tandis que Sébastien et Adriano égrenaient sous mes yeux étonnés les dix années d’existence de CasaPound – je n’avais ressenti ce que signifie de ne pas être seul au monde.

    Comme nous le sommes tous aujourd’hui.

    Mais comme personne ne l’était lorsque Rome était Rome, lorsque la Grèce était la Grèce, lorsque Florence était Florence : lorsque les hommes étaient des hommes, des individus affirmés dans leur plus haute personnalité, par le fait même d’être et de se sentir partie prenante du grand Tout – polis, romanitas, cità… ; lorsque les hommes, autrement dit, faisaient substantiellement partie de ce Tout au sein duquel la vie était empreinte de sens. Non, ces hommes-là n’avaient rien à voir avec les moutons individualistes d’aujourd’hui, avec ces hommes-masse qui tremblent en craignant d’être engloutis par le Tout sans lequel, pourtant, rien ni personne ne saurait être.…

    Javier Portella, 16/04/2014

    Lire la suite en format PDF en cliquant ICI

    http://www.polemia.com/le-projet-dun-monde-nouveau-pas-de-politique-sans-mystique/

  • Les bonus des mastodontes de la City font encore des vagues

    Veto du gouvernement à l’augmentation du plafond des rémunérations variables chez RBS, vives critiques des actionnaires de Barclays : les bonus des mastodontes de la City continuent de faire des vagues au Royaume-Uni.

    “Le gouvernement a été très clair. Notre approche de la rémunération doit être équilibrée alors que nous émergeons de la crise financière“. Tapant du poing sur la table, le ministère britannique des Finances a opposé une fin de non-recevoir à la Royal Bank of Scotland (RBS), dont l’État détient 81% du capital depuis son sauvetage à grand frais en 2008.

    La banque, qui n’a pas encore sorti la tête de l’eau malgré une cure de redressement drastique et a accusé une nouvelle perte massive de près de 9 milliards de livres (environ 10,9 milliards d’euros) l’an dernier, a indiqué vendredi qu’elle aurait souhaité relever le plafond des bonus de ses banquiers.

    La loi européenne sur le plafonnement des bonus stipule que la rémunération variable des banquiers ne peut plus excéder le montant de leur rémunération fixe, mais permet toutefois aux établissements de la porter au maximum au double de la rémunération fixe, à condition que les actionnaires soient d’accord.

    Problème pour RBS, UKFI, l’entité publique gérant les participations de l’Etat dans le secteur bancaire, a informé la banque qu’elle voterait contre toute résolution allant dans ce sens lors de l’assemblée générale du 25 juin, l’obligeant donc à enterrer le projet purement et simplement.

    La banque a eu beau invoquer que tous ses “principaux concurrents au Royaume-Uni et en Europe” allaient le faire et que ce projet était “compris” par les actionnaires institutionnels présents à son capital. En vain.

    “RBS va dans la bonne direction” grâce à la stratégie de son nouveau patron, Ross McEwan, “mais elle n’a pas achevé sa restructuration et reste détenue en majorité par l’Etat. Une augmentation du plafonnement des bonus ne peut donc pas se justifier” et le gouvernement s’assurera que “la rémunération totale et la rémunération moyenne par personne baissera cette année chez RBS”, a insisté un porte-parole du Chancelier de l’Échiquier, George Osborne.

    “Il y a quelques années, les bonus étaient hors de tout contrôle, les banques ont eu besoin d’être sauvées et l’économie se contractait“, a-t-il rappelé.

    George Osborne est pourtant opposé à la loi sur le plafonnement des bonus que le Royaume-Uni a attaqué devant la justice européenne, car il juge que cette mesure aura pour effet pervers d’augmenter la rémunération fixe des banquiers, mais “tant qu’elle existe, nous nous assurerons qu’elle est appliquée“, a fait valoir son porte-parole.

    Le bon élève Lloyds Banking Group, dont l’Etat se désengage alors que son redressement est en très bonne voie, aura lui le droit d’augmenter le plafond de ses bonus, a en revanche fait savoir le gouvernement.

    Chez Barclays, la question des bonus a également fait des vagues jeudi lors de l’assemblée générale du groupe, près d’un quart des actionnaires ayant voté contre les rémunérations versées au titre de l’an dernier. Une représentante de la société d’investissement Standard Life a notamment souligné ne pas être “convaincue que le montant des bonus de 2013 était dans l’intérêt des actionnaires“.

    Barclays avait suscité une intense polémique en février en annonçant une hausse de près de 10% des bonus à 2,378 milliards de livres (2,8 milliards d’euros), alors que son bénéfice avant impôts a chuté de 32% l’an dernier et que sa division banque d’investissement, ancienne vache à lait du groupe, est tombée dans le rouge au quatrième trimestre. Cette hausse des bonus avait d’autant plus choqué l’opinion que la banque avait annoncé parallèlement la suppression de 10.000 à 12.000 emplois supplémentaires cette année.

    Mais la banque assume et justifie ces gratifications exceptionnelles par le besoin de garder ses banquiers les plus talentueux, qui pourraient sinon se faire débaucher dans un “environnement extrêmement compétitif“. Des banquiers qui pourraient toutefois être beaucoup moins nombreux à l’avenir, Barclays s’apprêtant, selon des médias et des analystes, à annoncer dans deux semaines des milliers de suppressions d’emplois dans sa banque d’investissement.

    AFP (via Bilan)

    http://fortune.fdesouche.com/337577-les-bonus-des-mastodontes-de-la-city-font-encore-des-vagues#more-337577

  • Goldman Sachs a aidé la Grèce à truquer ses comptes pour mieux spéculer sur son dos !

    Entretien avec Alexandre Leraître réalisé par Nicolas Gauthier

    À en juger de Grèce en état de choc (kontrekulture.com), votre dvd documentaire consacré à la crise grecque et co-réalisé avec David Gendreau, deux faits ressortent : les Grecs ont été plus que légers en s’endettant au-delà du raisonnable, mais la banque Goldman-Sachs aurait comme une sorte de responsabilité, elle aussi. Pouvez-vous faire le point pour nos lecteurs ?

    La banque Goldman Sachs a, en fait, surtout aidé les Grecs à maquiller leurs comptes pour pouvoir entrer dans l’euro. Par la suite, sachant pertinemment que la Grèce ne pourrait pas survivre avec une monnaie trop forte, elle a spéculé sur son effondrement.

    Sur l’endettement, on explique que l’euro l’a largement favorisé puisque cette monnaie, tout en étant néfaste, pouvait s’emprunter à des taux très bas. Les « plans d’aide » ont permis de prolonger ce processus un peu plus longtemps. Donc, au-delà des dérives budgétaires de l’État grec qui sont bien réelles, nous montrons, avec David Gendreau, mon coréalisateur, que le pays a été inclus dans un système qui favorise structurellement les dérives en question.

    Parmi les personnalités rencontrées : à droite, le souverainiste anglais Nigel Farage, président du parti UKIP, et à gauche, le musicien Míkis Theodorákis. Et les deux tiennent aujourd’hui le même discours patriote. Étrange, ou logique ?

    Au-delà des sensibilités de chacun, tous s’accordent à constater que l’Union européenne les prive de l’essentiel de leurs marges de manœuvre. Le vrai clivage se situe plutôt là : entre européisme et souverainisme, plus d’Europe ou plus d’État.

    Lire la suite 

  • Traité de Lisbonne

    Où sont passés les défenseurs officiels de la démocratie ? 

    « Article 27. Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres. » (Constitution de l’an I.) 

    Le traité de Lisbonne est la copie conforme de la Constitution européenne. Tout le monde le sait et personne ne prétend d’ailleurs le contraire.

    Lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy s’était engagé à faire voter un mini-traité, et non le traité de Lisbonne, par le Parlement, et non plus par le peuple, comme cela avait pourtant été le cas pour la Constitution européenne. Le président de la République a donc ouvertement dupé le peuple quand il proposa aux parlementaires de se prononcer sur un texte reprenant la constitution scélérate. Le 4 février 2008, un Congrès servile et hypocrite ratifia le traité de Lisbonne.

    Le Parlement défit ce que le peuple avait réalisé et se transforma ainsi en censeur du peuple. Car ce que le peuple a fait, seul le peuple peut le défaire. S’il existait un contrôle de constitutionnalité digne de ce nom, la ratification parlementaire d’un traité européen devrait être interdite, que celui-ci ait été rejeté préalablement par le peuple ou non. Les traités européens étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire des machines à dépouiller les Etats de leur souveraineté, seul le peuple français devrait avoir le droit de se prononcer : selon l’article 3 de la Constitution de la 5ème République, la souveraineté nationale appartient au peuple.

    Qu’un traité engageant une telle part de souveraineté ne soit pas soumis au jugement du peuple est par ailleurs contraire au principe d’autodétermination des peuples. L’entreprise de Nicolas Sarkozy fut donc un viol du peuple français. Autrement dit, un viol de la démocratie. Il y a viol juridiquement et moralement.

    La presse, toujours au garde-à-vous sur la question européenne, a répondu, comme un seul homme, que cela n’était pas si grave. Le président s’était engagé dans la campagne électorale, après tout... Mais en quoi le fait de prévenir à l’avance que l’on violera le peuple et la démocratie atténue le viol en question ?

    A ce stade de la réflexion, une question se pose : où sont passés les défenseurs officiels de la démocratie ? Où sont passés les saintes nitouches du démocratiquement correct, ceux qui voient des atteintes potentielles à la démocratie partout sauf là où elles sont criantes ? Ils ne sont même pas cachés. Ils ne disent rien et approuvent. Pour la pensée officielle et la bobocratie, habituellement et officiellement si « vigilantes » mais néanmoins complètement acquises à l’Union européenne, la ratification parlementaire fut parfaitement normale.

    Le 2 décembre 2007, Hugo Chavez vit rejeter par référendum une réforme constitutionnelle. Que dirait-on de lui si deux ans plus tard il avait fait revoter la réforme par un parlement acquis à sa cause ? Qu’il s’agit d’une méthode dictatoriale. Et pour cause...

    Adrien Abauzit, Né en 1984

    http://www.oragesdacier.info/2014/04/traite-de-lisbonne.html

  • Laurent Wauquiez, un sniper d’opérette ?

    Wauquiez n'est-il qu'un leurre de plus, lancé par la droite parlementaire comme avant chaque élection européenne depuis Maastricht ?   

    Dans l’armée mexicaine de l’UMP, Laurent Wauquiez est sniper de profession. Gueule de gendre idéal, cheveux gris et idées vertes, l’historien de formation est tout sauf une Morano au masculin.

    Sentant la bonne odeur des combats à venir, le député-maire du Puy-en-Velay commence à dégainer. Face à la guerre de bac à sable des « chefs » de son parti, Wauquiez a en effet compris qu’il y avait une faille dans le consensus mou. Dans la catégorie olympique « souverainisme light » – l’ancien champion du triple saut (en arrière) Henri Guaino demeurant confit dans sa sarkôlatrie douteuse –, notre gaillard a pris les devants. Et attention, c’est du lourd : monsieur veut ni plus ni moins sortir de l’espace Schengen ! Ça mérite la médaille d’or de l’audace, non ? Cette proposition martienne, il l’a encore réaffirmée droit dans ses bottes dans l’émission « Zemmour et Naulleau » de vendredi 18 avril.

    Lire la suite