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géopolitique - Page 749

  • Ukraine: le texte de la Déclaration de Genève (jeudi 17 Avril 2014)

    Ci-joint, une traduction de la Déclaration de Genève (1), adoptée, le jeudi 17 Avril 2014, par les États-Unis, la Russie, l’Union européenne et l’Ukraine.
    « La réunion de Genève sur la situation en Ukraine a convenu d’étapes initiales concrètes pour désamorcer les tensions et rétablir la sécurité pour tous les citoyens .
    Toutes les parties doivent s’abstenir de toute violence, intimidation ou provocation. Les participants ont fermement condamné et rejeté toutes les expressions d’extrémisme, de racisme et d’intolérance religieuse, y compris l’antisémitisme .
    Tous les groupes armés illégaux doivent être désarmés; tous les bâtiments occupés illégalement doivent être restitués à leurs propriétaires légitimes; toutes les rues, places et autres lieux publics occupés illégalement dans les villes ukrainiennes doivent être évacués.
    Une amnistie sera accordée aux manifestants et à ceux qui ont quitté les bâtiments et autres lieux publics et remis les armes, à l’exception des personnes reconnues coupables de crimes capitaux.
    Il a été convenu que la mission spéciale de surveillance de l’OSCE devrait jouer un rôle de premier plan en aidant les autorités ukrainiennes et les collectivités locales dans la mise en œuvre immédiate de ces mesures de désescalade partout où elles sont le plus nécessaires, à commencer dans les prochains jours. Les États-Unis, l’Union européenne et la Russie s’engagent à soutenir cette mission, y compris en fournissant des observateurs.
    Le processus constitutionnel annoncé sera inclusif, transparent et responsable. Il comprendra l’établissement immédiat d’un large dialogue national, ouvert à toutes les régions de l’Ukraine et groupes politiques, et permettra la prise en compte des commentaires du public et des amendements proposés.
    Les participants ont souligné l’ importance de la stabilité économique et financière en Ukraine et serait prêts à discuter d’un appui supplémentaire lorsque les étapes ci-dessus sont mises en œuvre. »

    François d'Alançon

    (1) http://eeas.europa.eu/statements/docs/2014/140417_01_en.pdf

    http://www.voxnr.com/cc/dh_autres/EFAAVlZFyVTFtDYciC.shtml

  • Etranges conservatismes américains

    En dépit des impulsions culturelles venues des Etats-Unis via Hollywood et la Pop culture, le paysage idéologique et politique de la seule puissance globale (dixit Zbigniew Brzezinski) demeure « terra incognita » pour la plupart des Européens. Les césures spécifiquement américaines, qui séparent les « liberals » des « conservatives » ne se perçoivent jamais clairement, tant et si bien qu’on les classe en Europe de manière binaire : entre une gauche et une droite. Les problèmes s’accumulent lorsque l’on cherche à établir une bonne taxinomie des écoles politiques et idéologiques américaines : les slogans et mots d’ordre sont si nombreux, reçoivent tant de définitions particulières qu’on ne s’y retrouve plus, surtout si l’on évoque une ancienne droite et une nouvelle droite, soit des paléo-conservateurs et des néo-conservateurs.

    Pour définir les camps politico-idéologiques américains, les définitions habituelles ne sont guère de mise (sauf quand il s’agit, par exemple, du conservatisme tel que l’a défini jadis un Russell Kirk). Européens et Américains ont une expérience différente de l’histoire, nomment donc les choses politiques différemment, ce qui conduit aux confusions et quiproquos actuels. « Cum grano salis », on peut distinguer quelques différences majeures entre conservatismes européens et américains : d’abord, les conservatismes européens sont devenus sceptiques quant à l’histoire à venir ; les conservatismes américains sont nettement orientés vers le futur, sont, dans le fond, anti-historiques, dans la mesure où ils entendent maintenir l’idée fondamentalement américaine d’une société contractuelle (ils n’envisagent pas d’autres modèles). Ensuite, les conservatismes américains sont fiers de leur tradition historique continue, non brisée, que les Européens jugent « courte » ; les conservatismes européens, eux, sont contraints de tenir compte d’une longue histoire, marquée par des ruptures successives. Enfin, les conservateurs américains perçoivent de façon positive le rôle de puissance mondiale que joue leur pays, alors que les Européens se souviennent constamment du « suicide de l’Europe » (dixit Paul Ricoeur) en 1914. Et, last but not least, les conservateurs américains acceptent sans hésitation l’idée libérale d’un libre marché sans entraves, alors que les conservatismes européens critiquent tous le libéralisme.

    Adhésion sans entraves au libre marché

    La genèse des notions de « liberal » et de « conservative » nous ramène à l’ère Roosevelt (1933-1945). Les partisans de la politique social-réformiste et interventionniste / étatique du New Deal rooseveltien se dénommaient « liberals ». Les adversaires de Franklin D. Roosevelt venaient d’horizons divers : parmi eux, on trouvait des libéraux au sens économique le plus strict, qui se posaient comme les seuls véritables libéraux ; il y avait ensuite des critiques de la bureaucratie (du « big government »), en train de devenir pléthorique à leurs yeux. Enfin, du moins jusqu’à l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, il y avait les défenseurs de l’isolationnisme. Murray Rothbard, un « libertarien », soit un extrémiste du marché, désigne cette coalition hostile à Roosevelt sous le nom de « Vieille Droite » (« Old Right »). D’après Rothbard, le terme « conservateur » n’était guère usité aux Etats-Unis avant la parution en 1953 de « Conservative Mind », le grand livre de Russell Kirk.

    Les « conservateurs », qui suivaient la forte personnalité de Robert A. Taft, sénateur de l’Ohio (de 1939 à 1953) et rival républicain de Dwight D. Eisenhower en 1952, renonçaient à toute élévation du débat intellectuel en politique. Attitude qui n’a guère changé en dépit de l’émergence de courants de pensée conservateurs mieux profilés. Libéral et théoricien peu original, Peter Viereck, dans « Conservatism Revisited » (1949) s’est posé comme critique des idéologies totalitaires, le « communazisme ». Russell Kirk (1918-1994) fut donc le premier à se positionner comme explicitement conservateur et à être reconnu comme tel par l’établissement « libéral ». En se référant à Edmund Burke, le critique de la révolution française de 1789, perçue comme rupture de la Tradition, Kirk mettait l’accent sur l’origine « conservatrice » de la révolution américaine. Dans ses écrits, Kirk citait, en les comparant à Thomas Jefferson, les pères fondateurs « conservateurs », tels John Adams et les auteurs des « Federalist Papers », se référait également aux critiques européens de la révolution comme Burke ou Tocqueville. Kirk se posait également comme un conservateur écologiste, pratiquant la critique de la culture dominante, ce qui fit de lui une exception parmi les conservateurs américains, optimistes et orientés vers le futur.

    « On pourrait, pour simplifier, résumer comme suit l’histoire du conservatisme américain : Russell Kirk l’a rendu respectable ; William Buckley l’a rendu populaire et Ronald Reagan l’a rendu éligible » (citation de J. v. Houten). En effet, les conservateurs doivent à William F. Buckley, né en 1925, d’avoir pu accroître leurs influences au sein du parti républicain et d’avoir percé pendant l’ère Reagan. Ils doivent ces succès au réseau de revues et de « think tanks » que Buckley a tissé dès les années cinquante, dont l’ « American Heritage Foundation », créé en 1973.

    Buckley, comme le rappelle son livre « God and Man at Yale » (1951), était un catholique fervent. Il débarque un beau jour à Yale dans le bastion du « liberalism » à l’américaine, dominé par les agnostiques, les athées et les unitariens post-chrétiens, variante du protestantisme aligné sur l’idéologie des Lumières. En 1955, ce fils d’un millionnaire du pétrole fonde la « National Review », autour de laquelle se rassembleront des personnalités très diverses, toutes étiquetées, à tort ou à raison, comme « conservatrices » : des libertariens à Kirk lui-même. Dans ces années-là, où la « New Left » connaissait son apogée, le groupe « Young Americans for Freedom », lancé par Buckley, constituaient déjà un contrepoids politique. Et puisque Buckley, récemment, a critiqué les stratégies de Bush, quoique de manière très modérée, on peut le considérer aujourd’hui comme un représentant des « paléo-conservateurs ».

    Le conservatisme américain, nous l’avons constaté, est un champ fort vaste dont les idéologèmes et les stratégies ne se sont cristallisés que depuis quelques décennies, contrairement à ce que l’on observe chez les conservateurs européens. Aujourd’hui, c’est évidemment George W. Bush qui domine l’univers conservateur américain. Bush se déclare « conservateur », plus exactement le continuateur de l’œuvre politique de Reagan que tous vénèrent en oubliant qu’il était au départ un « liberal ». Les Républicains doivent leurs succès électoraux depuis Reagan à un courant profond, agitant toute la base aux Etats-Unis, courant qui englobe le patriotisme (la fierté de s’inscrire dans une tradition de liberté) et les « valeurs » conservatrices (la famille, la religion, la morale, l’assiduité au travail, etc.).

    Les hommes politiques qui veulent réussir en tant que « conservateurs » sont dès lors contraints de chercher le soutien de la « droite chrétienne ». Par ce vocable, il faut entendre cette immense masse d’électeurs liés aux mouvements religieux du renouveau protestant, animé par les « évangélisateurs ». Ce conservatisme théologien, partiellement fondamentaliste, rassemble des groupements où l’on retrouve les « Southern Baptists », le plus grand groupe protestant organisé, les pentecôtistes (notamment les « Assemblies of God ») et, bien sûr, les « méga-églises » des télé-évangélistes. Tous ensemble, ces mouvements évangéliques alignent quelque 80 millions de croyants, ce qui les place tout juste derrière les catholiques, qui restent le groupe religieux chrétien le plus nombreux aux Etats-Unis.

    Certains évangélistes toutefois, et pas seulement les Afro-Américains, estiment que leur foi peut s’exprimer chez les démocrates. Religion et race se mêlent souvent : ainsi, Pat Robertson, étiqueté de « droite », et Jesse Jackson, étiqueté de « gauche », appartiennent tous deux au mouvement qui soutient les Baptistes et le sanglant « seigneur de le guerre » Charles Taylor au Libéria.

    Malgré la très forte pression que la « droite religieuse » exerce aux niveaux locaux, voire dans certains Etats, elle n’a presque aucune influence au niveau fédéral. Ainsi, le candidat à la Présidence, Mitt Romney, appartient à la secte des Mormons, considérée comme éminemment conservatrice, ce qui ne l’a pas empêché d’être élu gouverneur du Massachusetts, Etat à majorité « libérale ». Le pentecôtiste John D. Ashcroft, représentant notoire de la « droite religieuse », fut ministre de la justice dans le premier cabinet de George W. Bush. Il serait faux, toutefois, de dire qu’après le choc du 11 septembre 2001, le bellicisme de l’actuel président américain, qui prétend être un « chrétien re-né » tout comme son adversaire Jimmy Carter, découle en droite ligne de sentiments religieux qui lui seraient propres.

    La politique extérieure américaine est marquée depuis longtemps par les néo-conservateurs, comme on le constate sous le républicain Reagan avec Jean C. Kirkpatrick ou sous le démocrate Bill Clinton avec Madeleine Albright. Sous Bush Junior, les « neocons » tirent toutes les ficelles seulement depuis le retrait de Colin Powell. L’exécutif qui a programmé la politique moyen-orientale et déclenché la seconde guerre d’Irak alignait des hommes comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et Richard Perle.

    Tous ceux qui ont forgé le vocable « neocons » viennent à l’origine, comme d’ailleurs aussi bon nombre de paléo-conservateurs, du camp de la gauche (des « liberals ») ; on trouve dans leurs rangs des intellectuels de la gauche progressiste, issu des milieux juifs, qui se sont détachés du Parti démocrate au cours des années 70. Les meilleurs plumes de ce groupe furent Irving Kristol, avec sa revue « The Public Interest », Norman Podhoretz, avec « Commentary », et le sociologue Daniel Bell (« La fin des idéologies », 1970).

    La définition usuelle du néo-conservatisme nous vient de Kristol : « Un conservateur est un homme de gauche, qui a été frappé de plein fouet par le réel ». Ce bon mot ne nous révèle que la moitié de la « réalité » : il pose le néo-conservateur, ex-homme de gauche, simplement comme celui qui n’accepte plus et critique les programmes sociaux pléthoriques lancés par les Démocrates. En fait, le néo-conservateur veut surtout une politique étrangère musclée : ainsi, le fils d’Irving Kristol, William Kristol (revue : « The Weekly Standard ») veut que cette politique étrangère américaine instaurent partout une « démocratisation », selon des critères déterminés depuis longtemps déjà par la vieille gauche interventionniste.

    Pat Buchanan : vox clamans in deserto

    Les « anciens conservateurs », ou paléo-conservateurs, qui avaient jadis forcé la mutation sous Reagan, entre 1981 et 1989, ont perdu depuis bien longtemps toute influence. Ainsi, Pat Buchanan n’est plus qu’une voix isolée dans le désert depuis des années, alors qu’il fut l’un des rédacteurs des discours de Nixon, puis conseiller de Reagan. Il tenta, rappelons-le, de lancer un parti réformiste et échoua dans sa candidature à la présidence en 2000. Il est redevenu républicain par la suite. En politique intérieure, Buchanan, catholique traditionnel, dont on se moque en le traitant de « conservateur paléolithique », lutte contre les « libertés » nouvelles que veulent imposer les « liberals » et les libertariens (avortement, mariage homosexuel, euthanasie).

    Buchanan est protectionniste, s’oppose à la société multiculturelle et à l’immigration qui modifie de fond en comble le visage de l’Amérique. Sur le plan de la politique extérieure, il défend un isolationnisme modéré et s’inquiète des pièges que recèle l’interventionnisme global voulu par les « neocons ».

    Il me reste à mentionner –et à saluer-  un combattant isolé, qui pourfend le « culte de la faute » choyé par de nombreux « liberals » (et par leurs homologues allemands), culte qui sert à promouvoir l’idéologie de la « correction politique » (les « Gender studies », les codes anti-discriminatoires de tous acabits, le multiculturel, etc.) : ce combattant n’est autre que l’historien des idées Paul Gottfried. Mais, malgré Buchanan et Gottfried, les paléo-conservateurs n’ont plus aucun influence notable, ni dans les universités ni dans les médias, a fortiori dans l’établissement politique.

    Quelles conclusions peut-on tirer de la topographie que je viens d’esquisser ici ? Après la disparition graduelle des paléo-conservateurs, les nationaux-conservateurs allemands auront bien des difficultés à trouver des alliés Outre-Atlantique. Sans doute, seuls les chrétiens à la foi très stricte trouveront des frères en esprit pour toutes les questions morales chez les évangélisateurs ou les conservateurs catholiques.

    Personnellement, je ne trouve, dans ce camp conservateur américain (toutes tendances confondues), aucune position qui me sied. Si je suis éclectique, je trouverai peut-être quelques points d’accord avec Russell Kirk, mais seulement quand il appelait en 1976 à voter pour le « démocrate de gauche » Eugene McCarthy. Quand je pense à l’idéologie qui domine la RFA aujourd’hui, je suis souvent d’accord avec Paul Gottfried, qui avait dû quitter, enfant, le IIIième Reich national-socialiste. Enfin, je lis toujours avec beaucoup d’intérêt les textes des intellectuels américains qui s’opposent à l’interventionnisme.

    Vu que nous assistons à une orientalisation, soit une islamisation croissante de l’Europe occidentale les analyses clairvoyantes de nos temps présents par Samuel P. Huntington méritent que nous y consacrions toute notre attention ; Huntington nous annonce le déclin de l’Occident en général et la perte d’identité européenne des Etats-Unis. Aujourd’hui âgé de 80 ans, ce professeur de Harvard n’est toutefois pas étiqueté « conservative » mais considéré comme un représentant du « liberal establishment ».

    S’intéresser aux relations intellectuelles transatlantiques est une bonne chose et permet de se comprendre réciproquement. Jusqu’ici, le monde universitaire s’est limité à importer en Allemagne et en Europe le prêchi-prêcha du « politiquement correct » des « liberals », y compris les expressions du mépris que vouent les gauches à Bush qui, quand elles sont satiriques, satisfont leur orgueil blessé. Une poignée de conservateurs allemands critiquent aujourd’hui l’idéologie importée des « liberals » (qui s’expriment en Allemagne sous des oripeaux «écologistes ») mais cette démarche est insuffisante. Face à l’immigration de masse qui menace directement l’existence du peuple allemand, en tant que peuple porteur d’histoire et en tant que nation historique et politique, et l’avenir même de l’Europe toute entière, nous devons, en première instance, procéder à une analyse factuelle et objective de la situation et ne pas ergoter et pinailler sur nos préférences intellectuelles ou rêver à d’hypothétiques coalitions qui ne viendront jamais.

    La politique extérieure américaine se caractérise depuis l’immixtion des Etats-Unis dans la politique mondiale (au moins depuis 1917) par la double nature de la puissance et de la morale qu’elle révèle. La conscience qu’ont les Américains de mener à bien une « mission » inspire cette politique globale ou planétaire, et vice-versa, dans la mesure où les démarches concrètes de cette politique étayent la vision messianique que distille la religiosité américaine.

    Henry Kissinger était une exception : il se posait comme « réaliste » et les notions de « mission » ne l’intéressaient pas vraiment. Depuis la montée en puissance des « neocons », qu’ils soient adhérents des démocrates ou des républicains, l’aspect idéologique et para-religieux de la politique extérieure des Etats-Unis est passé à l’avant-plan. Force est de constater que les assises fondamentales de la politique extérieure des Etats-Unis réconcilient, in fine, les « liberals » et les « conservatives » : il nous suffit d’énumérer les grands événements de ces quinze ou vingt dernières années, avec l’élargissement de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale, avec la politique balkanique (de Madeleine Albright), avec l’appui qu’apporte Washington à la candidature turque à l’UE, aux conflits qui ensanglantent le Proche- et le Moyen-Orient, etc.

    Par ailleurs, la politique extérieure américaine se montre souvent fort dépendante des fluctuations de l’opinion publique intérieure. Hillary Clinton et d’autres candidats à la Présidence commencent à caresser cette opinion dans le sens du poil, en songeant à l’investiture de 2008, car, en effet, si les troupes américaines doivent se retirer d’Irak aussi peu glorieusement qu’elles se sont retirées du Vietnam, la politique extérieure américaine se trouvera confrontée à ses propres misères, aux monceaux de ruines qu’elle aura provoquées.

    Quel rôle jouera la Turquie dans ce scénario ? Rien n’est certain. Quoi qu’il en soit, la paix entre Israël et la Palestine sera, une fois de plus, remise aux calendes grecques.

    Herbert AMMON.

    (article extrait de « Junge Freiheit », n°29/2007). 

    http://vouloir.hautetfort.com/index-2.html

  • Crucifixions en Syrie : le silence coupable des musulmans

    Qui a condamné les très récentes crucifixions de chrétiens en Syrie par les rebelles, d’abord racontées par une sœur, puis confirmées par des photos horribles ?   

    Je n’ai rien contre l’islam. Mais je vois régulièrement sur Internet les atrocités commises au nom de cette religion. Et il y a le silence des autorités musulmanes, grand mufti, imams et autres responsables religieux. C’est ce silence qui me gêne.

    Qui a condamné les très récentes crucifixions de chrétiens en Syrie par les rebelles, d’abord racontées par une sœur, puis confirmées par des photos horribles ? Les musulmans n’ont pas, il est vrai, un chef comparable au pape pour les catholiques. Leur seul guide, c’est un livre saint, élaboré il y a 14 siècles.

    La foi chrétienne accorde une grande liberté, basée sur l’amour du prochain. Il y eut, évidemment, des périodes sinistres où catholiques et protestants s’entretuaient. Un temps où l’on brûlait en place publique les sorcières. Il y eut le temps de la Reconquista.
    Il y eut des centaines de milliers de martyrs tout au long des siècles et de toutes les religions.

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  • Crucifixions en Syrie : le silence coupable des musulmans

    Qui a condamné les très récentes crucifixions de chrétiens en Syrie par les rebelles, d’abord racontées par une sœur, puis confirmées par des photos horribles ?   

    Je n’ai rien contre l’islam. Mais je vois régulièrement sur Internet les atrocités commises au nom de cette religion. Et il y a le silence des autorités musulmanes, grand mufti, imams et autres responsables religieux. C’est ce silence qui me gêne.

    Qui a condamné les très récentes crucifixions de chrétiens en Syrie par les rebelles, d’abord racontées par une sœur, puis confirmées par des photos horribles ? Les musulmans n’ont pas, il est vrai, un chef comparable au pape pour les catholiques. Leur seul guide, c’est un livre saint, élaboré il y a 14 siècles.

    La foi chrétienne accorde une grande liberté, basée sur l’amour du prochain. Il y eut, évidemment, des périodes sinistres où catholiques et protestants s’entretuaient. Un temps où l’on brûlait en place publique les sorcières. Il y eut le temps de la Reconquista.
    Il y eut des centaines de milliers de martyrs tout au long des siècles et de toutes les religions.

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  • Robert Kagan, Charles Krauthammer et Victor D. Hanson, théoriciens actuels de l’impérialisme américain Francesco Dragosei

    Les nouveaux prophètes d’un néo-darwinisme entre les Etats sont des historiens, des essayistes et des journalistes. Dans leurs écrits, ils annoncent l’avènement triomphal, en Amérique et dans le monde, de la loi du plus fort. Dans les travaux de Robert Kagan et de Charles Krauthammer, on découvre qu’une euphorie américano-centrée s’affirme tout de go, spéculant sur les retombées du 11 septembre 2001. Le néo-darwinisme en politique internationale est le frère cadet du néo-darwinisme économico-social, déjà bien présent sur la scène internationale. Ses prophètes? Les intellectuels qui, par leurs écrits, donnent du poids et une dignité théorique à la “brutalité de la praxis”, suggérée par le néo-conservatisme américain actuel. Ce sont des intellectuels de “droite” quand ils le veulent, ou qui ne se posent pas d’emblée comme tels s’ils veulent être plus insidieux. Ils écrivent généralement dans les colonnes du Washington Post. Ces historiens, essayistes et journalistes annoncent l’avènement triomphal, en Amérique et dans le monde, de la loi du plus fort, de celui qui s’adapte au mieux aux lois de la survie. Cette idéologie constitue un virage à 180 degrés par rapport à leurs homologues d’il y a une quinzaine d’années qui débattaient d’un possible déclin de l’Amérique.

    L’une des coryphées du néo-darwinisme est sans conteste possible Robert Kagan, dont l’ouvrage emblématique le plus récent en langue italienne est Paradiso e potere, America e Europa nel nuovo ordine mondiale (ce livre a été édité chez Mondadori en Italie). Cet essai, désormais célèbre, est en réalité un opuscule assez banal et insignifiant, écrit rapidement, sur base d’un article, préalablement paru dans la revue «Policy Review», qui a été beaucoup lu et commenté. Le bagage documentaire de cet opuscule est ridicule, est une compilation de références bibliographiques quasi nulle, de notes prises sur d’autres notes, de comptes-rendus de colloque ou de conférence. Malgré ces lacunes, cet ouvrage fort mince est devenu le plus bel exemple, et même le manifeste, de cette euphorie américano-centrée rampante et néo-darwinienne, qui, depuis l’effrittement de l’épouvantail soviétique, a pris graduellement mais inexorablement la tête de beaucoup d’Américains.

    Une vieille Europe émasculée, jalouse de la puissante Amérique

    La “théorie” de Kagan est simple, simpliste même. L’Europe est vieille et émasculée, à cause des bains de sang des deux guerres mondiales, mais elle se montre envieuse, jalouse, de la puissante Amérique; son seul désir est dorénavant d’en castrer la puissance militaire, en lui imposant en sous main sa culture morbide et pacifiste de la diplomatie et des négociations : cette culture, l’Europa l’a héritée de l’idéal kantien de la paix perpétuelle —mais notre auteur ne cesse de répéter cette affirmation sans jamais citer directement un seul ouvrage de Kant ou de Hobbes), tandis que Hobbes constituerait la source de la culture belliqueuse et virile de l’Amérique. Par conséquent, l’unique voie à suivre pour l’Amérique est de balancer aux orties cette politique sous-jacente de pacifisme que cultive l’Europe, un pacifisme qu’ils jugent délétère; en conclusion, les Etats-Unis souhaitent continuer à asséner les coups de massue, qu’ils distribuent à qui mieux mieux, parce qu’ils sont les plus forts, prétend Kagan sans jamais imaginer, ne fût-ce qu’un seul instant, que le refus européen de ce qu’il appelle le “monde hobbesien” pourrait être un choix de civilisation, une hypothèse sur l’évolution des rapports futurs entre les nations.

    Il se sent toutefois obligé de rassurer ses lecteurs et de leur dire que les raisons de l’Amérique ne sont pas aveugles et égoïstes mais visent également le bien de l’Europe et du reste du monde, dans la mesure où le monde entier aussi veut “faire avancer les principes de la civilisation et de l’ordre mondial libéral”. Selon Kagan et ses amis, donc, l’Amérique s’auto-investit d’une fonction, celle d’être l’unique interprète et l’unique garante du progrès, de la justice planétaire et de la paix. L’Amérique rêve donc d’un Etat (mondial) parfait, de devenir la puissance patronesse du monde, et sa tutrice, comme l’avait annoncé en son temps un Reinhold Niebuhr, nous rappelle Kagan (“la responsabilité de l’Amérique, c’est de résoudre les problèmes du monde”). Ou encore Benjamin Franklin : “La cause de l’Amérique est la cause de l’humanité tout entière”. Effectuons un saut en arrière et revenons à la Russie des années 20 du 20ième siècle et rappelons-nous la figure du grand “Bienfaiteur”, le chef absolu du vaste Etat planétaire, sinistre et mielleux, qui, dans le roman de Zamiatine, Nous, explique, sur un ton paternaliste, que le devoir de son Etat parfait, est de “faire courber l’échine des êtres ignorants qui peuplent les autres planètes pour que s’exerce le jeu bénéfique de la raison”. Et “s’ils ne comprennent pas que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact”, alors “nous les obligerons à être heureux”.

    Ne pas observer les règles du droit international, pratiquer la guerre préventive

    Dans un long article paru dans le numéro 70 de «The National Interest», le journaliste du Washington Post, Prix Pulitzer, Charles Krauthammer, après avoir rappellé que, déjà dans la lointaine année 1990, à rebours des prévisions sur le déclin des Etats-Unis, il avait préconisé, pour l’avenir, une unipolarité américaine, et relevé, avec orgeuil, que “le budget militaire américain dépassait ceux, additionnés, des vingt pays suivants”, et qu’il n’y avait donc aucun signe réellement tangible de déclin; en plus de cette supériorité militaire, l’Amérique, ajoutait-il, détenait la primauté économique, technologique, linguistique et culturelle. Son triomphalisme, fruit d’une faculté typiquement américaine de transformer toute défaite en un contre-récit optimiste (c’est là une faculté que nous appelerons l’ “élaboration euphorique du deuil”), repose sur une tragédie, en apparence peu “triomphale”, celle du 11 septembre; il transforme, avec la magie d’un alchimiste, le coup le plus grave jamais porté sur le sol américain, en un mythe sur l’invulnérabilité de l’Amérique. Il observe avec cynisme : “S’il n’y avait pas eu le 11 septembre, le géant serait resté endormi [...] Grâce au fait qu’il ait pu démontrer ses capacités de récupérer [...] Le sens de l’invulnérabilité a acquis, au sein de la population, une dimension nouvelle”. Toujours à la suite des événements fatidiques du 11 septembre, Krauthammer se donne un alibi pour légitimer moralement la nouvelle politique américaine, celle de ne pas observer les règles du droit international et de pratiquer la guerre préventive : “Le 11 septembre a servi de catalyseur et a fait émerger la conscience [...] que la première mission des Etats-Unis est de se prémunir contre de telles armes”.

    Après avoir pointé du doigt la “sinistre” politique des Lilliputiens européens, qui consiste à immobiliser le Gulliver américain “à l’aide d’une myriade de ficelles qui réduisent sa puissance”, Krauthammer conclut : au fond, dit-il, les Etats-Unis, en poursuivant leurs propres intérêts, poursuivent aussi ceux des Européens ingrats, surtout quand il s’agit d’apporter la paix au monde.

    L’histoire militaire occidentale selon Hanson

    Dans un livre substantiel et bien documenté, intitulé Carnage and Culture, le célèbre historien militaire Victor Davis Hanson effectue un travail d’anamnèse historique en profondeur et part, dans sa démonstration, de la Bataille de Salamine. Son livre est sérieux, très scientifique, mais, face au petit opuscule de Kagan et aux essais de Krauthammer, il constitue une arme bien plus insidieuse et effilée dans le dispositif néo-darwiniste. Hanson analyse toutes les batailles qui ont fait date, comme Salamine (480 av.J.C.), Gaugamèle (331 av.J.C.), Canne (216 av. J.C.), Poitiers (732), Tenochtitlàn (1520), Midway (1942), Tet (1968); Hanson donne corps, ainsi, à la théorie d’un Occident qui a la primauté méconnue, depuis fort longtemps, d’être le plus “létal” quand il fait la guerre (“Brutal Western lethality”, pour reprendre ses paroles), une brutalité qui dérive directement du primat que possède, de fait, sa culture. Que ce soit les Grecs ou les Romains, les Macédoniens d’Alexandre ou les Espagnols de Cortès, ou encore les Américains dans le Pacifique, tous ont obtenu des victoires écrasantes sur des “non occidentaux” (Non Westerners), soit, en l’occurrence des Noirs, des Jaunes ou tous autres peuples qui ne sont pas parfaitement blancs. Ces victoires ne sont pas nécessairement dues à la supériorité de leur organisation ou de leur technologie (par exemple la poudre à canon). Ces victoires, ils les doivent à une “plus-value” civile, faite de discipline, de démocratie, de liberté, d’esprit d’initiative et d’individualisme.

    Quant aux inévitables pages sombres de l’histoire occidentale, Hanson —en utilisant cette capacité d’”euphoriser” le travail de deuil que nous avions déjà observé chez Krauthammer— parvient à transformer ces défaites occidentales (de la bataille de Cannae à Wounded Knee et à l’offensive du Tet) en victoires de fond, car, explique-t-il, les non occidentaux n’ont obtenu la victoire que dans la mesure où ils se sont approprié les armes, les technologies et les idées de l’Occident. Les jeux sont faits. En allongeant et en étirant quelque peu sa théorie sur les triomphes de l’Occident, Hanson parvient à interpréter la défaite américaine au Vietnam de façon telle qu’il en fait une victoire. La bataille de Khesanh, par exemple, il explique avec un orgeuil mal dissimulé, est certes une défaite américaine, mais aussi une victoire à la Pyrrhus des Vietnamiens, en ce sens que la supériorité matérielle des Américains a fait que le nombre de leurs morts est resté très réduit : un mort américain pour cinquante morts vietnamiens. Ces proportions équivalent plus ou moins aux pertes des espagnols de Cortès devant les Aztèques. Désolé, Hanson confesse toutefois que la victoire américaine s’est muée en défaite, par masochisme, à cause de l’hystérie et des distorsions de la presse, de la télévision et de la gauche américaine.

    En raisonnant de la sorte, Hanson rappelle la guerre du Vietnam et la sanctifie (toujours en utilisant, malgré tout, des termes dépréciatifs, comme “horrendous slaughter”, d’”horribles massacres”, “blood bath”, des “bains de sang”, etc.), mais, simultanément, et de manière tacite, il ramène le primat guerrier et civil de l’Occident à l’actuelle supériorité militaire (et aussi civile) des Etats-Unis.

    Sortir l’Amérique du syndrôme vietnamien

    En outre, son livre s’inscrit, mine de rien, dans ce vaste ensemble de narrations réécrites qui visent à sortir l’Amérique de la dépression qui a suivi l’aventure vietnamienne et qui, malgré de fréquentes déclarations contraires, continue à souffir d’une intolérance génétique vis-à-vis de toutes formes de défaite, d’échec, de deuil. Ces “réécritures” relèvent, notamment, de ce célèbre récit national et populaire qui a pour personnage Rambo, porteur du mythe de la trahison du soldat américain héroïque, poignardé dans le dos par l’odieuse bureaucratie politique, militaire et médiatique.

    Terminons en évoquant une voix qui n’appartient en aucune façon à cet aréopage de néo-darwinistes et qui s’exprime dans une publication très sérieuse, qui, elle, n’hésite pas à critiquer l’Amérique et sa politique; cette voix, pourtant, contribue au triomphalisme ambiant de manière subtile. Il s’agit d’un article paru en mai 2003 dans les colonnes de l’«Atlantic Monthly», dû à la plume de David Brooks, l’auteur, entre nombreux autres ouvrages, d’une “cover story” de grande ampleur, très complète (12 pages denses) portant sur les différences entre l’Amérique rouge et l’Amérique bleue. Dans son article, Brooks se réfère au livre Democratic Vistas de Walt Whitman (écrit en 1871), et rappelle que le grand poète —à rebours des anti-américains obtus d’aujourd’hui— avait bien compris que l’Amérique était (et reste) un pays fort diversifié et varié, composé d’hommes bons et moins bons, et que sa force consistait (et consiste) à ne pas dévier du chemin qu’elle avait décidé d’emprunter, c’est-à-dire celui de sa “mission historique”, qui est de se poser comme le guide du monde, même dans les moments où le leadership est médiocre (Woods fait directement allusion à Bush). A la lecture de cet article de Woods, on se laisse, à son insu, prendre aux ardeurs nationalistes et messianiques du poète de New York. Woods le rappelle avec nostalgie son blâme adressé aux Américains : “Whitman avait un sens subtil du caractère unique de la mission historique de l’Amérique (“America's unique historical mission”), que Dieu lui-même ou le destin ont assigné à ce pays, pour qu’il diffuse la démocratie dans le monde et qu’il promeuve partout la liberté”.

    En avançant de tels arguments, Brooks rejette l’hypothèse d’une Amérique différente, alors qu’il venait lui-même de l’énoncer, et donne, sans doute sans le vouloir vraiment, la main aux Kagan, Krauthammer et Hanson. Il apporte, sûrement malgré lui, une contribution involontaire à la rupture générale qu’annoncent ce “bushisme” militant et l’Amérique, rupture du pacte qui unit théoriquement les peuples au sein des “Nations Unies” et postule la parité démocratique entre les nations. Brooks, avec sa vision de l’Amérique, aussi sympathique qu’elle puisse sembler, rejoint ainsi ceux qui affirment, haut et clair, que l’Amérique a une mission planétaire, légitimée par sa prépondérance militaire, renforcée par sa conscience messianique retrouvée. 

    Mardi 19 août 2003 – article tiré du site materialiresistenti

    http://vouloir.hautetfort.com/

  • La crise ukrainienne accélère la recomposition du monde

    « Pierre Charasse, ancien ambassadeur, donne ses conclusions sur l’affaire ukrainienne, saignantes pour l’Otan et le G7. »

    La crise ukrainienne n’a pas changé radicalement la donne internationale, mais elle a précipité des évolutions en cours. La propagande occidentale, qui n’a jamais été aussi forte, cache surtout la réalité du déclin occidental aux populations de l’Otan, mais n’a plus d’effet sur la réalité politique. Inexorablement, la Russie et la Chine, assistées des autres BRICS, occupent la place qui leur revient dans les relations internationales.

    La crise ukrainienne a mis en évidence la magnitude de la manipulation des opinions publiques occidentales par les grands media, les chaines de TV comme CNN, Foxnews, Euronews et tant d’autres ainsi que par l’ensemble de la presse écrite alimentée par les agences de presse occidentales. La manière dont le public occidental est désinformé est impressionnante, et pourtant il est facile d’avoir accès à une masse d’informations de tous bords. Il est très préoccupant de voir comment de très nombreux citoyens du monde se laissent entraîner dans une russophobie jamais vue même aux pires moments de la Guerre froide. L’image que nous donne le puissant appareil médiatique occidental et qui pénètre dans l’inconscient collectif, est que les Russes sont des « barbares attardés » face au monde occidental « civilisé ». Le discours très important que Vladimir Poutine a prononcé le 18 mars au lendemain du référendum en Crimée a été littéralement boycotté par les médias occidentaux [1], alors qu’ils consacrent une large place aux réactions occidentales, toutes négatives naturellement. Pourtant, dans son intervention Poutine a expliqué que la crise en Ukraine n’avait pas été déclenchée par la Russie et présenté avec beaucoup de rationalité la position russe et les intérêts stratégiques légitimes de son pays dans l’ère post-conflit idéologique.

    Humiliée par le traitement que lui a réservé l’Occident depuis 1989, la Russie s’est réveillée avec Poutine et a commencé à renouer avec une politique de grande puissance en cherchant à reconstruire les lignes de force historiques traditionnelles de la Russie tsariste puis de l’Union soviétique. La géographie commande souvent la stratégie. Après avoir perdu une grande partie de ses « territoires historiques », selon la formule de Poutine, et de sa population russe et non russe, la Russie s’est donné comme grand projet national et patriotique la récupération de son statut de superpuissance, d’acteur « global », en assurant en premier lieu la sécurité de ses frontières terrestres et maritimes. C’est précisément ce que veut lui interdire l’Occident dans sa vision unipolaire du monde. Mais en bon joueur d’échecs, Poutine a plusieurs coups d’avance grâce à une connaissance profonde de l’histoire, de la réalité du monde, des aspirations d’une grande partie des populations des territoires antérieurement contrôlés par l’Union soviétique. Il connaît à la perfection l’Union européenne, ses divisions et ses faiblesses, la capacité militaire réelle de l’Otan et l’état des opinions publiques occidentales peu enclines à voir augmenter les budgets militaires en période de récession économique. À la différence de la Commission européenne dont le projet coïncide avec celui des États-Unis pour consolider un bloc politico-economico-militaire euro-atlantique, les citoyens européens dans leur majorité ne veulent plus d’élargissement à l’Est de l’UE, ni avec l’Ukraine, ni avec la Géorgie, ni avec aucun autre pays de l’ex-Union soviétique.

    Avec ses gesticulations et ses menaces de sanctions, l’UE, servilement alignée sur Washington, montre en fait qu’elle est impuissante pour « punir » sérieusement la Russie. Son poids réel n’est pas à la hauteur de ses ambitions toujours proclamées de façonner le monde à son image. Le gouvernement russe, très réactif et malicieux, applique des « ripostes graduelles », tournant en dérision les mesures punitives occidentales. Poutine, hautain, se paye même le luxe d’annoncer qu’il va ouvrir un compte à la Rossyia Bank de New-York pour y déposer son salaire ! Il n’a pas encore fait mention de limitation dans la fourniture de gaz à l’Ukraine et l’Europe de l’Ouest, mais tout le monde sait qu’il a cette carte dans la manche, ce qui contraint déjà les Européens à penser à une réorganisation complète de leur approvisionnement en énergie, ce qui mettra des années à se concrétiser.

    Les erreurs et les divisions des occidentaux mettent la Russie en position de force. Poutine jouit d’une popularité exceptionnelle dans son pays et auprès des communautés russes des pays voisins, et on peut être sûr que ses services de renseignement ont pénétré en profondeur les pays auparavant contrôlés par l’URSS et lui donnent des informations de première main sur les rapports de force internes. Son appareil diplomatique lui donne de solides arguments pour retirer à l’« Occident » le monopole de l’interprétation du droit international, en particulier sur l’épineuse question de l’autodétermination des peuples. Comme on pouvait s’y attendre, Poutine ne se prive pas de citer le précédent du Kosovo pour vilipender le double langage de l’Occident, ses incohérences, et le rôle déstabilisateur qu’il a joué dans les Balkans.

    Alors que la propagande médiatique occidentale battait son plein après le référendum du 16 mars en Crimée, les vociférations occidentales ont subitement baissé d’un ton et le G7 lors de son sommet à la Haye en marge de la conférence sur la sécurité nucléaire n’a plus menacé d’exclure la Russie du G8 comme il l’avait claironné quelques jours plus tôt mais simplement a annoncé « qu’il ne participerait pas au sommet de Sotchi ». Ceci lui laisse la possibilité de réactiver à tout moment ce forum privilégié de dialogue avec la Russie, crée en 1994 à sa demande expresse. Première reculade du G7. Obama de son côté s’est empressé d’annoncer qu’il n’y aurait aucune intervention militaire de l’Otan pour aider l’Ukraine, mais seulement une promesse de coopération pour reconstruire le potentiel militaire de l’Ukraine, composé en grande partie de matériel soviétique obsolète. Seconde reculade. Il faudra des années pour mettre sur pieds une armée ukrainienne digne de ce nom et on se demande bien qui va payer compte tenu de la situation catastrophique des finances du pays. De plus, on ne sait plus exactement quel est l’état des forces armées ukrainiennes après que Moscou ait invité, avec un certain succès semble-t-il, les militaires ukrainiens héritiers de l’Armée rouge, à rejoindre l’armée russe en respectant leurs grades. La flotte ukrainienne est déjà entièrement passée sous contrôle russe. Enfin, autre marche arrière spectaculaire des États-Unis : il y aurait des conversations secrètes très avancées entre Moscou et Washington pour faire adopter une nouvelle constitution à l’Ukraine, installer à Kiev à l’occasion des élections du 25 mai un gouvernement de coalition dont les extrémistes néo-nazi seraient exclus, et surtout pour imposer un statut de neutralité à l’Ukraine, sa « finlandisation » (recommandée par Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinsky) [2], ce qui interdirait son entrée dans l’Otan, mais permettrait des accords économiques tant avec l’UE qu’avec l’Union douanière eurasiatique (Russie, Biélorussie, Kazakhstan). Si un tel accord est conclu, l’UE sera mise devant le fait accompli et devra se résigner à payer la facture du tête-à-tête russo-US. Avec de telles garanties Moscou pourra considérer comme satisfaites ses exigences de sécurité, aura repris pied dans son ancienne zone d’influence avec l’accord de Washington et pourra s’abstenir de fomenter le séparatisme d’autres provinces ukrainiennes ou de la Transnistrie (province de Moldavie peuplée de russes) en réaffirmant très fort son respect des frontières européennes. Le Kremlin offrira par la même occasion une porte de sortie honorable à Obama. Un coup de maître pour Poutine.

    Conséquences géopolitiques de la crise ukrainienne

    Le G7 n’a pas calculé qu’en prenant des mesures pour isoler la Russie, outre le fait qu’il s’appliquait à lui-même une « punition sado-masochiste » selon la formule d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères français, il précipitait malgré lui un processus déjà bien engagé de profonde recomposition du monde au bénéfice d’un groupe non occidental dirigé par la Chine et la Russie réunies au sein des BRICS. En réaction au communiqué du G7 du 24 mars [3], les ministres des Affaires étrangères des BRICS ont fait connaître immédiatement leur rejet de toute mesures visant à isoler la Russie et ils en ont profité pour dénoncer les pratiques d’espionnage états-unien tournées contre leurs dirigeants et pour faire bonne mesure ils ont exigé des États-Unis qu’ils ratifient la nouvelle répartition des droits de vote au FMI et à la Banque Mondiale, comme premier pas vers un « ordre mondial plus équitable » [4]. Le G7 ne s’attendait pas à une réplique aussi virulente et rapide des BRICS. Cet épisode peut donner à penser que le G20, dont le G7 et les BRICS sont les deux principaux piliers, pourrait traverser une crise sérieuse avant son prochain sommet à Brisbane (Australie) les 15 et 16 novembre, surtout si le G7 persiste à vouloir marginaliser et sanctionner la Russie. Il est à peu près sûr qu’il y aura une majorité au sein du G20 pour condamner les sanctions à la Russie, ce qui de fait reviendra à isoler le G7. Dans leur communiqué les ministres des BRICS ont estimé que décider qui est membre du groupe et quelle est sa vocation revient à placer tous ses membres « sur un pied d’égalité » et qu’aucun de ses membres « ne peut unilatéralement déterminer sa nature et son caractère ». Les ministres appellent à résoudre la crise actuelle dans le cadre des Nations unies « avec calme, hauteur de vue, en renonçant à un langage hostile, aux sanctions et contre-sanctions ». Un camouflet pour le G7 et l’UE ! Le G7, qui s’est mis tout seul dans une impasse, est prévenu qu’il devra faire d’importantes concessions s’il veut continuer à exercer une certaine influence au sein du G20.

    En outre, deux événements importants s’annoncent dans les prochaines semaines.

    D’une part Vladimir Poutine se rendra en visite officielle en Chine en mai. Les deux géants sont sur le point de signer un accord énergétique d’envergure qui affectera sensiblement le marché mondial de l’énergie, tant sur le plan stratégique que financier. Les transactions ne se feraient plus en dollars, mais dans les monnaies nationales des deux pays. En se tournant vers la Chine, la Russie n’aura aucun problème pour écouler sa production gazière au cas où l’Europe de l’Ouest déciderait de changer de fournisseur. Et dans le même mouvement de rapprochement la Chine et la Russie pourraient signer un accord de partenariat industriel pour la fabrication du chasseur Sukhoï 25, fait hautement symbolique.

    D’autre part lors du sommet des BRICS au Brésil en juillet prochain, la Banque de Développement de ce groupe, dont la création a été annoncée en 2012, pourrait prendre forme et offrir une alternative aux financements du FMI et de la Banque Mondiale, toujours réticents à modifier leurs règles de fonctionnement, pour donner plus de poids aux pays émergents et à leurs monnaies à côté du dollar.

    Enfin il y a un aspect important de la relation entre la Russie et l’Otan peu commenté dans les média mais très révélateur de la situation de dépendance dans laquelle se trouve l’« Occident » au moment où il procède au retrait de ses troupes d’Afghanistan. Depuis 2002, la Russie a accepté de coopérer avec les pays occidentaux pour faciliter la logistique des troupes sur le théâtre afghan. À la demande de l’Otan, Moscou a autorisé le transit de matériel non létal destiné à l’ISAF (International Security Assistance Force) par voir aérienne ou terrestre, entre Douchambé (Tadjikistan), l’Ouzbekistan et l’Estonie, via une plateforme multimodale à Oulianovk en Sibérie. Il s’agit rien de moins que d’acheminer toute l’intendance pour des milliers d’hommes opérant en Afghanistan, entre autre des tonnes de bière, de vin, de camemberts, de hamburgers, de laitues fraîches, le tout transporté par des avions civils russes, puisque les forces occidentales ne disposent pas de moyens aériens suffisants pour soutenir un déploiement militaire de cette envergure. L’accord Russie-Otan d’octobre 2012 élargit cette coopération à l’installation d’une base aérienne russe en Afghanistan dotée de 40 hélicoptères où les personnels afghans sont formés à la lutte anti-drogue à laquelle les occidentaux ont renoncé. La Russie s’est toujours refusé à autoriser le transit sur son territoire de matériel lourd, ce qui pose un sérieux problème à l’Otan à l’heure du retrait de ses troupes. En effet celles-ci ne peuvent emprunter la voie terrestre Kaboul-Karachi en raison des attaques dont les convois sont l’objet de la part des talibans. La voie du Nord (la Russie) étant impossible, les matériels lourds sont transportés par avion de Kaboul aux Émirats Arabes Unis, puis embarqués vers les ports européens, ce qui multiplie par quatre le coût du repli. Pour le gouvernement russe l’intervention de l’Otan en Afghanistan a été un échec, mais son retrait « précipité » avant la fin de 2014 va accroître le chaos et affecter la sécurité de la Russie et risque de provoquer un regain de terrorisme.

    La Russie a aussi d’importants accords avec l’Occident dans le domaine de l’armement. Le plus important est sans doute celui signé avec la France pour la fabrication dans les arsenaux français de deux porte-hélicoptères pour un montant de 1,3 milliards d’euros [5]. Si le contrat est annulé dans le cadre des sanctions, la France devra rembourser les montants déjà payés plus les pénalités contractuelles et devra supprimer plusieurs milliers d’emplois. Le plus grave sera sans doute la perte de confiance du marché de l’armement dans l’industrie française comme l’a souligné le ministre russe de la Défense.

    Il ne faut pas oublier non plus que sans l’intervention de la Russie, les pays occidentaux n’auraient jamais pu aboutir à un accord avec l’Iran sur la non prolifération nucléaire, ni avec la Syrie sur le désarmement chimique. Ce sont des faits que les médias occidentaux passent sous silence. La réalité est qu’en raison de son arrogance, de sa méconnaissance de l’histoire, de ses maladresses, le bloc occidental précipite la déconstruction systémique de l’ordre mondial unipolaire et offre sur un plateau à la Russie et à la Chine, appuyée par l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et bien d’autres pays, une « fenêtre d’opportunité » unique pour renforcer l’unité d’un bloc alternatif. L’évolution était en marche, mais lentement et graduellement (personne ne veut donner un coup de pied dans la fourmilière et déstabiliser brusquement le système mondial), mais d’un seul coup tout s’accélère et l’interdépendance change les règles du jeu.

    En ce qui concerne le G20 de Brisbane il sera intéressant de voir comment se positionne le Mexique, après les sommets du G7 à Bruxelles en juin et des BRICS au Brésil en juillet. La situation est très fluide et va évoluer rapidement, ce qui va demander une grande souplesse diplomatique. Si le G7 persiste dans son intention de marginaliser ou exclure la Russie, le G20 pourrait se désintégrer. Le Mexique, pris dans les filets du TLCAN et du futur TPP devra choisir entre sombrer avec le Titanic occidental ou adopter une ligne autonome plus conforme à ses intérêts de puissance régionale à vocation mondiale en se rapprochant des BRICS.

     Pierre Charasse, Diplomate français, 29 avril 2014

    Notes :

    [1] « Discours de Vladimir Poutine sur l’adhésion de la Crimée », par Vladimir Poutine, Réseau Voltaire, 18 mars 2014.

    [2] « Henry Kissinger propose de finlandiser l’Ukraine  », Réseau Voltaire, 8 mars 2014.

    [3] « Déclaration du G7 sur la Russie  », Réseau Voltaire, 24 mars 2014.

    [4] “Conclusions of the BRICS Foreign Ministers Meeting, Voltaire Network, 24 March 2014.

    [5] « La France vendra-t-elle des armes à la Russie ? », Réseau Voltaire, 20 mars 2014.

    Source :

    La Jornada (Mexique)

    Réseau voltaire – Mexico (Mexique)

    http://www.voltairenet.org/article183531.html

    http://www.polemia.com/la-crise-ukrainienne-accelere-la-recomposition-du-monde/

  • « Le grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski

    L’œil américain sur l’échiquier mondial.

    Il est toujours bon de rappeler certaines choses, même si celles-ci furent dites il n’y a pas si longtemps de cela ; n’est-ce pas un des premiers principes pédagogiques ?

    Ainsi, les propos de Zbigniew Brzezinski peuvent-ils prendre aujourd’hui peut-être davantage de reliefs, de couleurs, quatorze ans après la publication française de son ouvrage intitulé Le grand échiquier paru chez Fayard.

    Très proche de l’exécutif américain, ancien conseiller à la sécurité de la présidence des Etats-Unis, expert fort écouté du Center for Strategic and International Studies, membre du très influent Counsil on Foreign Relations, Zbigniew Brzezinski est loin d’être un personnage de second rang. Quelques années après le médiatique « Clash of civilisations » de Samuel P. Huntington, où développant le concept d’Occident cet auteur désignait les adversaires des Etats-Unis et l’importance du bloc islamo-confuséen, et où le paradigme de l’après guerre froide devenait le choc des civilisations, Brzezinski faisait paraître The grand chessboard. Cet ouvrage est un examen sérieux de géopolitique mondiale, et trace les objectifs stratégiques des Etats-Unis pour les prochaines décennies.

    Dès l’introduction, nous sommes renseignés sur la portée de l’ouvrage ; il ne s’agit pas d’un énième travail de géostratégie présentant les forces, les interactions, les évolutions, les constantes du monde contemporain, mais bien d’une vision de géostratégie s’inscrivant dans une eschatologie terrifiante. Le but est clair : asseoir et renforcer le rôle dominant des Etats-Unis comme première puissance mondiale ; pour cela, nous dit Brzezinski, il faut à tout prix empêcher l’émergence d’une puissance sur le continent eurasien capable de rivaliser avec les Etats-Unis. En effet, nous dit-il, celui qui tiendrait ce continent serait le maître du monde ; Hitler et Staline, qui l’avaient compris, s’y sont d’ailleurs essayés dans le passé mais sans succès. Les Etats-Unis doivent veiller au respect légitime de la primauté américaine sur cette Eurasie, car ses objectifs sont « généreux ». Ainsi, dans cette logique implacable, défier l’Amérique serait agir contre « les intérêts fondamentaux de l’humanité ». Tout est dit.

    Dans le premier chapitre, nous est brossé le tableau de l’évolution de la puissance américaine depuis 1898 (guerre contre l’Espagne) jusqu’à son état actuel de première puissance mondiale. Nous y voyons cette attitude anti-européenne constitutive de la création des Etats-Unis : cette Europe aux « privilèges archaïques et aux hiérarchies sociales rigides ». La première irruption des Etats-Unis dans la géopolitique européenne n’est pas abordée du point de vue de ses portées réelles, meurtrières (les quatorze points de Wilson portant en germe les conflits européens à venir), mais sous l’angle du formidable idéalisme américain allié à une puissance militaire, économique sans précédent qui font que ses principes sont pris en compte dans la recherche de solutions aux problèmes européens ; le nouvel acteur de l’arène internationale fait valoir sa vision du monde.

    La fin de la seconde guerre mondiale fait émerger un monde bipolaire, et le temps de la guerre froide voit se mettre en place des enjeux géopolitiques clairement définis : les Etats-Unis contre l’Eurasie (URSS), avec le monde comme enjeu. Avec l’effondrement et l’éclatement de l’Union Soviétique, les Etats-Unis deviennent, nous dit Brzezinski, « la première puissance globale de l’histoire ». Le parallèle avec Rome est vite amené, et nous apprenons que Rome (empire simplement régional) est même dépassée.

    L’auteur établit ensuite la liste des empires ayant eu une aspiration à la domination mondiale ; il y en a eu trois : l’empire romain, la Chine impériale et l’empire mongol. Parmi ces trois, seul l’empire mongol approche la définition moderne de puissance mondiale, nous dit Brzezinski ; seul cet empire peut être comparé aux Etats-Unis d’aujourd’hui. Mais, après deux siècles d’existence (du XIIIème au XVème siècle), cet empire disparaissait sans laisser de traces ; ce qui devrait faire réfléchir d’avantage l’auteur.

    L’Europe devient ensuite le foyer de la puissance globale et le lieu où se déroule les luttes pour l’acquérir, sans toutefois être dominé par un Etat en particulier. Brzezinski note que la France en premier lieu (jusqu’en 1815), puis la Grande-Bretagne (jusqu’en 1914) ont eu leur période de prééminence. Mais, aucun de ces empires n’a vraiment été global. Le fait que les Etats-Unis se soient élevés au rang de puissance globale est, lit-on, unique dans l’histoire. Ce pays a un appareil militaire qui est le seul à avoir un rayon d’action global.

    Cette prééminence fait de l’ombre à la Russie et à la Chine ; néanmoins, le retard technologique de ces deux pays fait qu’ils n’ont pas de politique significative sur le plan mondial. Dans les quatre domaines clés (militaire, économique, technologique et culturel) les Etats-Unis sont dominants, et ceci lui confère la position de seule superpuissance globale.

    Brzezinski développe ensuite ce « système global » propre aux Etats-Unis. La puissance globale des Etats-Unis viendrait d’une part du pluralisme de sa société et d’autre part de son système politique. Incidemment, nous apprenons que par le passé les Européens, dans leurs visées impériales, n’ont été que des « aventuriers ». Autre élément de ce système : les idéaux démocratiques sont aujourd’hui identifiés dans le monde comme issus de la tradition politique américaine ; les Etats-Unis sont devenus Le modèle incontournable. La doctrine américaine, « mélange actif » d’idéalisme et d’égoïsme, est le seul qui prévaut; bien entendu ceci pour le plus grand profit de tous.

    Mais cette suprématie américaine repose également, apprend t-on, sur un système élaboré d’alliances couvrant la planète. L’OTAN, l’APEC, le FMI, l’OMC, etc. (dans lesquels les Etats-Unis ont un rôle prépondérant, sinon directif) constituent un réseau mondial actif et incontournable dans la constitution et la conservation de la puissance globale américaine. Et les Etats-Unis se doivent de conserver cette position d’hégémonie globale sans précédent ; il y aurait comme une « mission » confiée à ce pays. Il lui faut impérativement prévenir toute émergence de rivaux, maintenir le statu quo ; ceci au nom du bien être de l’humanité, bien entendu.

    De nouveau, dans le second chapitre, et avec la même logique utilisé par l’auteur dans l’introduction, on apprend que le maintien de la prééminence des Etats-Unis dans le monde va de pair avec la paix dans le monde. L’enjeu est l’Eurasie, nous dit Brzezinski ; C’est l’Eurasie qui est « l’échiquier », c’est là que se déroule le jeu pour la domination mondiale. Apparaît alors la phobie des Etats-Unis : une éventuelle unité politique de l’Eurasie. Et l’auteur d’établir l’univers des possibles, la recension des différents cas de figures qui feraient que les Etats-Unis seraient en position d’affaiblissement ; nous apprenons que l’hégémonie américaine est superficielle, et qu’elle ne passe pas par un contrôle direct sur le monde. C’est ce qui distinguerait l’Amérique des empires du passé. De plus, toujours dans les faiblesses du « géant », il y a le fait que le système de la démocratie « exclu toute mobilisation impériale » ; mais on peut en douter justement par ces moyens d’alliances et de coalitions très « incitatifs » mis en place. Nous sommes également surpris dans la vision que Brzezinski prête aux Américains face à leur statut de superpuissance mondiale sans rivale : ils ne considèreraient pas que ce statut leur confère des avantages particuliers. Les faits prouveraient plutôt autre chose.

    Nous abordons plus loin les thèmes de la géostratégie et de la géopolitique. Sans surprise, nous apprenons que la géographie prédestine les priorités immédiates des pays ; nous le savions depuis au moins Napoléon. Halford J. Mackinder au début du siècle avait tracé déjà ce que nous avions vu plus haut développé par Brzezinski, à savoir que « qui gouverne l’Europe de l’Est domine le heartland, qui gouverne le heartland domine l’île-monde, et qui gouverne l’île-monde domine le monde » (le heartland étant le cœur continental). L’Amérique suit donc cette voie pour parvenir au maintien de son rang.

    Suit une analyse des principaux acteurs et une reconnaissance appropriée du terrain. Les Etats eurasiens possédant une réelle dynamique géostratégique gênent les Etats-Unis, il s’agit donc pour ces derniers de formuler des politiques spécifiques pour contrebalancer cet état de fait. Ceci peut se faire par trois grands impératifs : « éviter les collusions entre vassaux et les maintenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité ; cultiver la docilité des sujets protégés ; empêcher les barbares de former des alliances offensives ». Tout le programme des Etats-Unis est là. Pour la poursuite de son analyse, Brzezinski distingue les « acteurs géostratégiques » (France, Allemagne, Russie, Chine et Inde) des « pivots géopolitiques » (Ukraine, Azerbaïdjan, Corée, Turquie et Iran). Les premiers sont en mesure de modifier les relations internationales, « au risque d’affecter les intérêts de l’Amérique » ; les seconds ont une position géographique leur donnant « un rôle clé pour accéder à certaines régions ou leur permet de couper un acteur de premier plan des ressources qui lui sont nécessaires ».

    La France et l’Allemagne sont deux acteurs géostratégiques clés qui, par « leur vision de l’Europe unie », (…) « projet ambitieux », (…) « s’efforcent de modifier le statu quo ». Ces acteurs sont l’objet « d’une attention toute particulière des Etats-Unis ». Cependant, on peut se poser la question de la « réelle volonté d’indépendance européenne » instiguée par ces deux pays.

    La Russie, joueur de premier plan malgré l’affaiblissement de son Etat, n’a pas tranché quant à son attitude vis à vis des Etats-Unis : partenaire ou adversaire ? La Chine, puissance régionale importante, a des ambitions élevées : la Grande Chine. Le Japon, puissance internationale de premier ordre mais qui ne souhaite pas s’impliquer dans la politique continentale en Asie. Maintenir les relations avec le Japon est un impératif pour les Etats-Unis, ne serait-ce que pour maintenir la stabilité régionale. L’Inde, qui se définit comme un rival de la Chine, est le seul pôle de pouvoir régional en Asie du Sud ; cependant ce pays n’est pas gênant pour l’Amérique car il ne contrarie pas les intérêts américains en Eurasie. L’Ukraine, l’Azerbaïdjan : le sort de ces deux pays dicteront ce que sera ou ne sera pas la Russie à l’avenir. La Turquie, facteur de stabilité dans la Mer Noire, sert de contrepoids à la Russie dans le Caucase, d’antidote au fondamentalisme islamique, et de point d’ancrage au Sud pour l’OTAN. Brzezinski nous fait là un chantage à l’islamisme pour que la Turquie intègre l’Union Européenne : « l’Amérique va profiter de son influence en Europe pour soutenir l’admission éventuelle de la Turquie dans l’UE, et mettre un point d’honneur à la traiter comme un état européen » afin qu’Ankara ne glisse vers les intégristes islamiques. Mais les motifs américains sont aussi plus prosaïques : les Etats-Unis soutiendront « avec force l’ambition qu’ont les Turcs de mettre en place un pipeline reliant Bakou à Ceyhan qui servirait de débouché à la majeure partie des ressources en énergie du bassin de la mer Caspienne ». L’Iran est, curieusement, un élément stabilisateur dans la redistribution du pouvoir en Asie Centrale ; il empêche la Russie de menacer les intérêts américains dans la région du golfe persique. « Il n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis de continuer à avoir des relations hostiles avec l’Iran », et ceci « malgré son sentiment religieux, à condition que celui-ci ne se traduise pas par un sentiment anti-occidental ». Mais les véritables raisons pointent quelques lignes plus bas, avec « la participation des Etats-Unis au financement de projets de pipelines entre l’Iran, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan ».

    Vis à vis de l’Europe, les USA sont, dans les principes tout au moins, pour la construction européenne ; cependant, leur souhait est une Europe vassale. L’OTAN est non seulement le support essentiel de l’influence américaine mais aussi le cadre de sa présence militaire en Europe de l’Ouest. Pour autant, c’est un réel partenariat que souhaite l’Amérique ; on peut se demander toutefois, à l’aune de ces points de vues contradictoires (une Europe à la fois vassale et partenaire), quelle est la marge de manœuvre laissée à l’Europe par les Etats-Unis, et dans quels domaines elle pourrait s’exercer.

    La problématique géostratégique européenne sera, lit-on, directement influencée par l’attitude de la Russie et de sa propre problématique. Et pour faire face à toute éventualité, les Etats-Unis doivent empêcher la Russie de « recouvrer un jour le statut de deuxième puissance mondiale » ; à terme, ce pays posera un problème lors de son rétablissement comme « empire ». L’Asie centrale, zone inflammable, pourrait devenir le champ de violents affrontements entre Etats-nations. Le Golfe persique est une chasse gardée des Etats-Unis ; « la sécurité dans cette zone est du ressort de l’Amérique ». On comprend mieux les enjeux de la guerre menée contre l’Irak. Le défi du fondamentalisme islamique quant à lui « n’est guère stratégique » ; ce qui expliquerait l’attitude ambiguë des USA à l’égard de celui-ci. L’Islam n’a pas d’ « Etat-phare » dirait Huntington. La Chine pour sa part évolue, mais l’incertitude demeure quant à sa démocratisation. Brzezinski note que dans le cas de l’émergence d’une « grande Chine », le Japon resterait passif ; cette neutralité cause quelques craintes aux Etats-Unis. De plus, les Etats-Unis doivent se prémunir contre l’éventualité d’un développement de l’axe sino-japonais. L’Amérique doit faire des concessions à la Chine si elle veut traiter avec elle ; « il faut en payer le prix » nous dit l’auteur. Toujours dans cette zone, la mesure impérative de la stratégie US est « le maintien de la présence américaine en Corée du Sud » ; elle est d’« une importance capitale ». Une autre crainte américaine serait la naissance d’une grande coalition entre la Chine, la Russie et peut-être l’Iran ; une coalition anti-hégémonique, « unie par des rancunes complémentaires ». Enfin, pour maintenir la primauté américaine, la solution adoptée et recommandée est « l’intégration de tous ces Etats dans des ensembles multilatéraux, reliés entre eux, et sous l’égide des Etats-Unis ».

    Le chapitre suivant aborde l’Europe, « tête de pont de la démocratie », où il faut entendre en fait, bien sûr, « tête de pont des Etats-Unis ». L’Union Européenne, union supranationale, dans le cas où elle réussirait deviendrait une puissance globale, apprend t-on ; ce qui veut dire qu’elle ne l’est pas aujourd’hui. La réussite de ce projet, permettrait à ces pays européens « de bénéficier d’un niveau de vie comparable à celui des Etats-Unis » ; mais est-ce vraiment la panacée, et a-t-on besoin de cette Europe-là pour y parvenir ? Par ailleurs, ce niveau de vie n’est-il pas déjà atteint ? Dans l’appréciation de cette idée de projet européen, on note toujours un « oui, mais » ; en effet, cette Europe est placée incidemment « sous l’égide américaine ». Nous pouvons à juste titre nous demander où est le réel « partenariat », « la réelle équité » tant vantée par l’auteur ?

    Brzezinski nous fait un tableau sans concession de l’Union Européenne : les Etats européens dépendent des Etats-Unis pour leur sécurité ; une « Europe vraiment européenne n’existe pas » ; et poursuit-il, « sans détour, l’Europe de l’Ouest reste un protectorat américain ». Tous ceci est un soufflet à ceux qui pensent que l’Europe, grâce à l’Union, est la structure permettant une indépendance vis à vis des Etats-Unis. Comme la situation de l’Union européenne est floue, indécise, « les Etats-Unis ne doivent pas hésiter à prendre des initiatives décisives ».

    « Le problème central pour l’Amérique est de bâtir une Europe fondée sur les relations franco-allemandes, viable, liée aux Etats-Unis et qui élargisse le système international de coopération démocratique dont dépend l’exercice de l’hégémonie globale de l’Amérique ». Ainsi, comme partout ailleurs, les USA se moquent de leurs « alliés » du moment ; seuls comptent les intérêts finaux américains. Observant la politique européenne et son évolution récente, Brzezinski nous dit que la lutte contre la montée « de l’extrémisme politique et du nationalisme étriqué » doit se faire par la constitution « d’une Europe plus vaste que la somme de ses parties – c’est à dire capable de s’assigner un rôle mondial dans la promotion de la démocratie et dans la défense des droits de l’homme ». Le procédé est toujours le même ; pour asseoir ses fins, il faut « diluer» les entités dans des ensembles plus vastes. De plus, dans le processus de construction « européenne », l’UEO apparaît de fait comme l’antichambre de l’OTAN. Il est trop tôt, nous dit Brzezinski, pour fixer catégoriquement les limites orientales de l’Europe. Cependant, pour ce qui est du connu, « l’objectif géostratégique central de l’Amérique en Europe est de consolider sa tête de pont sur le continent eurasien » ; ceci pour constituer un tremplin dans le but « d’instaurer en Eurasie un ordre international fondé sur la démocratie et la coopération », en fait sur la domination américaine.

    Le rôle de l’Allemagne est celui du bon vassal, « bon citoyen de l’Europe, partisan déterminé des Etats-Unis » ; elle n’a jamais remis en cause « le rôle central des Etats-Unis dans la sécurité du continent ». C’est l’effondrement du bloc soviétique qui a fait que « pour l’Allemagne, la subordination à la France n’offrait aucun bénéfice particulier ». Elle a aujourd’hui un rôle entraînant ; « en entretenant des relations étroites avec la puissante Allemagne, ses voisins bénéficient de la protection rapprochée des Etats-Unis ». Avec le rapprochement germano-polonais, « l’Allemagne peut exercer son influence jusque dans les pays baltes, l’Ukraine, la Biélorussie ». La sphère d’influence allemande s’est déplacée vers l’Est, et « la réussite de ces initiatives confirme la position dominante de l’Allemagne en Europe centrale ». Sans l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’Est, « l’Amérique essuierait une défaite d’une ampleur mondiale », note Brzezinski. Ainsi, la collaboration américano-germanique est-elle « nécessaire pour élargir l’Europe vers l’Est ». Par ailleurs, nous apprenons que « l’Europe ne se réalisera pas sous l’égide de Berlin » ; parions toutefois que, pour l’auteur, cela ne s’envisage bien plutôt « sous l‘égide de Washington ».

    Quant à la France, « puissance moyenne post-impériale », elle n’a pas les moyens de ses prétentions. Son rêve de grandeur pour une Europe sous conduite française correspondrait pour elle, nous dit l’auteur, à la « grandeur de la France ». Cependant, elle pourrait avoir des velléités pour traiter directement avec la Russie, et ainsi s’affranchir relativement des Etats-Unis ; nous voyons poindre là une légère inquiétude vis à vis de la France. Pour autant, la France est tout de même « un partenaire indispensable pour arrimer définitivement l’Allemagne à l’Europe ». N’étant pas assez forte pour faire obstacle aux objectifs géostratégiques américains en Europe, « la France avec ses particularismes et ses emportements peut être tolérée ». Quant au couple franco-allemand est primordial pour les intérêts américains ; une remise en cause de cette unité « marquerait un retour en arrière de l’Europe », et serait « une catastrophe pour la position américaine sur le continent ». Il est clair également que les Etats-Unis se servent de l’Allemagne (dominant économiquement en Europe) pour canaliser et « tenir » la France.

    La chapitre suivant, intitulé « Le trou noir », traite de la Russie à l’aune des changements survenus depuis la fin de l’Union Soviétique et la naissance de la Communauté des Etats Indépendants. « Il est indispensable que l’Amérique contre toute tentative de restauration impériale au centre de l’Eurasie » qui ferait obstacle à ses objectifs géostratégiques premiers : « l’instauration d’un système euro-atlantique ». Après l’effondrement de l’Empire, qui a vu un vide politique (le « trou noir ») s’instaurer au cœur même de l’Eurasie, et qui a ramené la Russie « au niveau d’une puissance régionale du tiers monde », Brzezinski constate que cet état a très peu d’espaces « géopolitiquement sûrs ».

    Les frontières actuelles de la Russie ont reculé de plus de mille kilomètres vers le Nord après 1991, et les états qui l’entourent actuellement constituent une ceinture, un obstacle à son épanouissement, à son développement ; ceci tant vers l’Est que vers la Mer Noire et le Sud-Est de l’ancien Empire. L’auteur fournit une réponse américaine aux questions russes ; l’Amérique se préoccupe de savoir « ce qu’est la Russie, et ce que doivent être ses missions ainsi que son territoire légitime ». Mais la raison essentielle qui fait le regard critique, systématique américain vis à vis de la Russie est qu’elle a « une identité eurasienne », une « personnalité eurasienne », ce que les Etats-Unis n’ont pas par nature. Et si les Etats-Unis soutiennent l’Ukraine c’est que sans ce dernier, aucune restauration impériale n’est possible pour la Russie. C’est l’application de la technique du « roll back », celle du refoulement de la Russie vers l’Asie.

    Plus loin, Brzezinski note que les Etats de l’ex-URSS, pour échapper aux nouvelles visées « impériales » russes, « ont cherché à tisser leurs propres réseaux de relations internationales, avec l’Ouest pour l’essentiel, mais aussi avec la Chine ou les pays musulmans au Sud ». La seule solution honorable pour la Russie, nous dit l’auteur, est « une direction partagée avec l’Amérique » ; ce pays « devrait se résoudre à jouer un rôle de tampon entre l’expansionnisme chinois et l’Ouest », à choisir l’Europe, alliée des Etats-Unis, pour faire face à d’éventuelles visées expansionnistes chinoises. Reste donc pour Moscou le « choix européen, seule perspective géostratégique réaliste » ; et, par choix « européen » ont peut entendre, en fait, choix « occidentalo-américain ». Pour les Etats-Unis, « la Russie paraît vouée à devenir un problème », et d’autant plus si d’aventure une alliance avec la Chine et l’Iran se concrétisait. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis doivent « éviter de détourner la Russie de son meilleur choix géopolitique » à savoir, l’Europe atlantiste. La Russie doit s’intégrer à l’Europe, en suivant un processus graduel, commençant par sa « participation au Conseil de l’Europe », à l’instar de la Turquie Kémaliste qui « s’est engagée sur la voie de la modernisation, de l’européanisation et de la démocratisation » ; la deuxième étape de cet arrimage européen de la Russie serait la proposition d’une charte avec l’OTAN par l’Europe et l’Amérique. Enfin, ultime étape dans ce processus, l’intégration de la Russie dans l’Union Européenne. Cependant, précise l’auteur, le choix de l’Europe pour la Russie se fera plus facilement une fois l’Ukraine intégrée elle-même à l’OTAN et à l’Union Européenne.

    Les « Balkans eurasiens » sont l’objet du chapitre suivant. Ces nouveaux « Balkans » sont constitués de neufs pays : le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Géorgie et l’Afghanistan. Les facteurs d’instabilité des ces « Balkans eurasiens » sont nombreux : de graves difficultés nationales, des frontières contestées des voisins ou des minorités ethniques, peu d’homogénéité nationale, des luttes territoriales, ethniques ou religieuses. Toutes les options peuvent donc être envisagées quant à l’avenir de cette région, nous dit Brzezinski.

    Les voisins intéressés, nourrissant des visées politiques sur la région sont la Russie, la Turquie, l’Iran et la Chine. La Russie qui veut retrouver sa zone d’influence, renouer avec ses républiques d’hier, et dont les visées géopolitiques vont vers le Sud, en direction de l’Azerbaïdjan et du Kazakhstan.; la Turquie qui se considère comme le leader potentiel d’une communauté turcophone aux frontières très floues ; l’Iran, dont le principal souci est le renouveau de l’islam en Asie centrale ; la Chine enfin, que les ressources énergétiques de la région attirent, et qui veut y avoir un accès direct hors contrôle de Moscou. Les motifs d’intérêts sont essentiellement économiques : « la région renferme une énorme concentration de réserve de gaz naturel, d’importantes ressources pétrolières, auxquelles viennent s’ajouter des gisements de minerais, notamment des mines d’or ». Mais il y a aussi des raisons plus profondes (et qu’il est curieux de voir soulever par un américain) des facteurs « relevant de l’histoire ».

    D’autres pays ont leurs regards tournés vers cette région : le Pakistan qui veut exercer une influence politique en Afghanistan et profiter à terme de la construction de pipelines reliant l’Asie centrale à la Mer d’Oman. L’Inde qui, pour faire face aux projets du Pakistan et à la montée de l’influence chinoise, est favorable au développement de l’influence iranienne en Afghanistan, ainsi qu’à une présence russe plus importante dans ses anciennes républiques. Les Etats-Unis enfin, qui « agissent en coulisse », cherchent à ménager le pluralisme géopolitique, et tentent « d’empêcher la Russie d’avoir la suprématie ». La dynamique russe et les « ambitions anachroniques » de Moscou dans cette région sont « nuisibles à la stabilité de celle-ci ». Et nous apprenons que « les objectifs géostratégiques américains recouvrent en fait les intérêts économiques de l’Europe et de l’Extrême-orient » ; nous sommes toujours dans cette logique « philanthropique » américaine. L’engagement des Etats-Unis dans cette région, nous dit Brzezinski, est considérée par les pays concernés comme « nécessaire à leur survie ». Les motifs généraux américains sont les pipelines et leurs tracés actuels ; le but des Etats-Unis étant de ne plus passer par des pipelines courant sur le territoire russe, non plus au Nord donc mais par le Sud et la médiane de cette région des Balkans eurasiens. « Si un pipeline traversait la Mer Caspienne pour atteindre l’Azerbaïdjan et, de là, rejoignait la Méditerranée en passant par la Turquie, tandis qu’un autre débouchait sur la Mer d’Oman en passant par l’Iran, aucune puissance unique ne détiendrait le monopole de l’accès à la région ». On comprend aisément à cette lumière les actions et les soutiens américains à tel ou tel pays ; on peut saisir ainsi la bienveillance des Etats-Unis pour les « étudiants en théologie », les Pachtouns de Kaboul, au détriment des Tadjiks d’Ahmed Shah Massoud concentrés dans les régions du Nord de l’Afghanistan.

    Dans l’avenir, Brzezinski voit dans ses Balkans eurasiens une montée de l’islamisme, des conflits ethniques, un morcellement politique, et une guerre ouverte le long de la frontière méridionale de la Russie. Une zone donc qui fera sans doute parler d’elle bientôt.

    Quelle doit être la politique américaine en extrême orient ? C’est l’objet du chapitre suivant. Pour être efficace, elle doit avoir un point d’ancrage dans cette région, nous dit l’auteur. Il est essentiel, poursuit-il, que les Etats-Unis aient d’étroites relations avec le Japon, et qu’ils établissent une coopération avec la Chine. Si l’extrême orient connaît aujourd’hui un dynamisme économique extraordinaire, il va néanmoins de pair avec une incertitude politique croissante. C’est « un volcan politique en sommeil » ; il ne possède pas de « structures de coopération multilatérale » comme l’Union européenne et l’OTAN, et ce malgré l’ASEAN. Cette région est devenue, selon l’Institut International d’Etudes Stratégiques, « le plus gros importateur d’armes, dépassant l’Europe et le Moyen-Orient ».

    Il existe dans cette partie du monde de nombreux points de frictions : les relations entre la Chine et Taiwan ; les îles Paracels et Spratly, objets de multiples convoitises ; l’archipel Senkaku qui sont disputées par la Chine et le Japon ; la division de la Corée et l’instabilité inhérente à la Corée du Nord ; les îles Kouriles, sujets à controverses entre la Russie et le Japon ; enfin, des conflits territoriaux et / ou ethniques divers, le long de la frontière chinoise, également entre le japon et la Corée, enfin entre la Chine et l’Indonésie à propos des limites océaniques. La Chine est « la puissance militaire dominante de la région » ; et, dans l’absence d’équilibre entre les puissances, l’on a vu l’Australie et l’Indonésie se lancer dans une plus grande coopération militaire ; Singapour a également, avec ces deux pays, développé une coopération en matière de sécurité. La probabilité de voir se réaliser ces conflits dépendront « de la présence et du comportement américains ».

    Brzezinski vante la Chine du passé, « pays qui [ au XVIIème siècle ] dominait le monde en termes de productivité agricole, d’innovation industrielle et par son niveau de vie ». Puis, il compatit avec les « cent cinquante années d’humiliation qu’elle a subies » ; la Chine doit être « lavée de l’outrage causé à chaque chinois », et « les auteurs doivent être châtiés ». Parmi les auteurs, la Grande-Bretagne a été dépossédée de son Empire, la Russie a perdu son prestige et une partie de son territoire ; restent les Etats-Unis et le Japon qui sont le principal souci de la Chine aujourd’hui. Selon l’auteur, la Chine refuserait « une véritable alliance sino-russe à long terme, car elle aurait pour conséquence de renforcer l’alliance nippo-américaine » et car « cette alliance empêcherait la Chine d’accéder à des technologies modernes et à des capitaux, indispensables à son développement ».

    Nous est brossé ensuite les différents cas de figure possibles. L’auteur fait état des prévisions prometteuses relatives à la Chine ; cependant, il doute de ses capacités à « maintenir pendant vingt ans ses taux de croissance spectaculaire ». Actuellement, nous dit-il, la croissance rapide de la Chine accentue la fracture sociale liée à la répartition des richesses ; ces inégalités ont un impact sur la stabilité du pays. Mais le rayonnement de la Chine « pourraient bien amener les riches chinois d’outre-mer à se reconnaître dans les aspirations de la Chine ». Autre cas de figure évoqué, l’éventualité d’un repli sur soi de la Chine.

    Dans son espace régional, la Chine joue le Pakistan et la Birmanie contre l’Inde son « rival géopolitique ». L’objectif de Pékin serait « une plus grande influence stratégique sur l’Asie du Sud-Est », contrôler le détroit de Malacca et le goulet de Singapour. La Chine élabore « une sphère d’influence régionale » ceci en particulier vers ses voisins de l’Ouest qui cherchent un contre poids à l’influence russe. Brzezinski traite des relations américano-chinoise mais sans comprendre l’attitude de Pékin, et en jouant les naïfs : « (…) en raison de ce qu’ils sont et de leur simple présence, les Etats-Unis deviennent involontairement l’adversaire de la Chine au lieu d’être leur allié naturel ». Par ailleurs, les Chinois savent que « leur influence dans la région se trouverait automatiquement renforcée par la moindre attaque qui viendrait miner le prestige américain ». L’objectif central de la politique chinoise serait d’affaiblir l’Amérique pour que cette dernière ait besoin d’une Chine « dominant la région » et « mondialement puissante pour partenaire ».

    Autre point d’extrême orient analysé par l’auteur : le Japon, dont les relations avec l’Amérique, nous dit-il, feraient dépendre l’avenir géopolitique de la Chine. Le paradoxe du Japon est qu’il « a beau être riche, dynamique et économiquement puissant, il n’en est pas moins un Etat isolé dans sa région et politiquement limité dans la mesure où il est tributaire d’un allié puissant qui s’avère être non seulement le garant de l’ordre mondial mais aussi son principal rival économique » : les Etats-Unis. Mais, « la seule véritable question politique pour le Japon consiste à savoir comment utiliser la protection des Etats-Unis afin de servir ses propres intérêts ». Le Japon est, apprend-t-on, un pays «qui ne se satisfait pas du statu quo mondial ». Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, note Brzezinski, on observe une redéfinition de la politique étrangère de ce pays. Cette redéfinition porte le Japon à « ménager la Chine plutôt que de laisser le soin aux Etats-Unis de la contenir directement ». Cependant « très peu [de japonais] se prononcent en faveur d’une grande entente entre le Japon et la Chine » car cela déstabiliserait la région, et provoquerait le désengagement des USA, subordonnant la Corée et Taiwan à la Chine, mettant « le Japon à la merci de cette dernière ».

    Les Etats-Unis veilleront à ce que le Japon mette « en place une coopération véritablement internationale, mieux institutionnalisée » à l’instar du Canada, « Etat respecté pour l’utilisation constructive de ses richesses et de son pouvoir, et qui ne suscite ni craintes ni ressentiments ». Les objectifs globaux des USA étant de faire du Japon « le partenaire essentiel et privilégié de la construction d’un système » de coopération mondiale.

    La partie n’est pas gagnée d’avance en extrême orient pour les Etats-Unis, concède Brzezinski, car « la création d’une tête de pont démocratique est loin d’être imminente (…) contrairement à ce qui s’est passé en Europe ». On note la prudence des Etats-Unis vis à vis de la Chine : « il est préférable de la traiter comme un acteur crucial sur l’échiquier mondial », et la faire participer au G7, lui donnant accordant ainsi du crédit et satisfaisant son orgueil. Les USA doivent également « se montrer conciliant sur certaines questions, tout en restant ferme sur d’autres », poursuit Brzezinski. Et revenant sur le problème de Taiwan, nous apprenons que « les Etats-Unis interviendraient pour défendre non pas l’indépendance de Taiwan, mais leurs propres intérêts géopolitiques dans la région Asie-Pacifique » ; voilà qui est clair. Pour ce qui concerne la Corée et le Japon, l’Amérique peut « jouer un rôle décisif en soutenant la réconciliation » ; la stabilité apportée faciliterait « le maintien de la présence des Etats-Unis en extrême orient », et cette réconciliation « pourrait servir de base à une éventuelle réunification » de la Corée

    Toutefois, nous dit Brzezinski, les Etats-Unis ne sont pas seulement la première superpuissance globale, mais seront très probablement la dernière, ceci à cause de la diffusion de plus en plus généralisée du savoir et de la dispersion du pouvoir économique. Si les Etats-Unis ont pu exercer une prépondérance économique mondiale, ils le doivent à « la nature cosmopolite de [leur] société (…) qui [leur] a permis (…) d’asseoir plus facilement leur hégémonie (…) sans pour autant laisser transparaître [leur] caractère strictement national ». Il est peu probable qu’un autre pays puisse faire de même ; « pour simplifier, n’importe qui peut devenir Américain, mais seul un Chinois peut être Chinois ». Il transparaît dans ces propos une négation radicale de l’altérité. Les Etats-Unis ne veulent pas « l’autre », ils ne le conçoivent même pas ; ils ne connaissent que l’autre en tant que « même », un clone en quelque sorte ; piètre intelligence du monde, de la richesse, de la diversité de l’homme que ce rapport à l’autre, spécifiquement américain.

    Comme la puissance Américaine ne saurait durer sans fin (nous ne sommes pas arrivé avec le triomphe de l’Amérique et de ses « idéaux » à la fin de l’Histoire, pour reprendre les mots d’un illuminé nommé Francis Fukuyama), Brzezinski nous trace « l’après domination états-unienne ». Le legs de l’Amérique au monde, à l’histoire, doit être une démocratie planétairement triomphante, nous dit-il, et surtout, la création d’une « structure de coopération mondiale (les Nations Unies sont « archaïques ») (…) qui assumerait le pouvoir de « régent » mondial ». Voilà donc un testament établi pour la poursuite mondiale – et jusqu’à la fin des temps – du « rêve américain ». Mais chacun sait que les temps comme les rêves ont toujours une fin.

    Si la recension des objectifs géostratégiques américains est établie, la formulation et la structure interne de l’ouvrage sont assez confuses puisque l’on retrouve souvent des éléments concernant un sujet deux ou trois chapitres plus loin. L’auteur manque un peu de rigueur dans son exposition. Plus généralement, si l’on comprend la logique de ce discours de la part d’un américain, on ne peut décemment acquiescer aux propos de Zbigniew Brzezinski. Dès lors que l’on n’est pas américain, on ne peut pas souscrire aux thèses énoncées dans ce livre; ce serait sinon, pour prendre l’exemple d’un animal, comprendre les motivations de son prédateur, et accepter de se laisser dévorer par lui. Si certains constats de l’auteur sont justes et relèvent du bon sens, il n’en demeure pas moins qu’il faut combattre ces objectifs impériaux / impérialistes américains malgré cette apathie qui caractérise malheureusement les Européens en général et les Français en particulier, cet état de « dormition » dont parle Dominique Venner (1).

    Philippe Raggi, 29/04/2014

    PS : J’avais écrit ce commentaire sur le livre de Brzezinski dès la parution de son ouvrage en France. Je n’ai rien modifié à ce texte depuis lors.

    Source : A l’Est de Suez, Blog de Philippe Raggi sur l’Asie du Sud-Est et notamment sur l’Indonésie.

    http://philippe-raggi.blogspot.fr/2014/04/loeil-americain-sur-lechiquier-mondial.html

    Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard : American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, New York, Basic Books, 1997.

    Le grand échiquier, traduction de The Grand Chessboard : American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Paris, Collection Pluriel, Hachette Littérature, 1997

    Le grand échiquier, éditions Fayard/Pluriel, mars 2011, 288 pages (réédition)

    Zbigniew Brzezinski est expert au Center for Strategic and International Studies (Washington, DC) et professeur à l’université Johns Hopkins de Baltimore. Il fut conseiller du président Carter, s’oppose à Reagan, Clinton et Bush et reste toujours un ardent partisan de la suprématie américaine dans le monde..

    Note :

    (1) Cf. : http://www.dominiquevenner.fr/2010/07/l%E2%80%99europe-en-dormition/

    http://www.polemia.com/le-grand-echiquier-de-zbigniew-brzezinski/

  • Genève : procès contre l'Eglise à l'ONU

    L’Eglise catholique fait face, depuis hier, à un assaut de critiques et d’accusations devant le Comité de l’ONU contre la torture :

    "Pour la deuxième fois en quatre mois, l’Eglise catholique se trouve rattrapée par les affaires de pédophilie et est contrainte de rendre des comptes devant un organe onusien. En janvier dernier, les représentants du Vatican avaient déjà dû s’expliquer devant le Comité de l’ONU sur les droits de l’enfant après la publication d’un rapport accablant.

    Hier, les représentants de l’Eglise catholique ont fait face à unnouvel assaut de critiques et de condamnations, cette fois devant le Comité des Nations Unies contre la torture. Les experts onusiens ont pointé du doigt le manque de réaction et l’absence de mesures pour traiter des cas d’enfants abusés sexuellement par des prêtres. [...]

    Le nonce apostolique auprès de l’ONU, Mgr Silvano Tomasi, a expliqué que les actes commis par des prêtres en dehors du territoire du Vatican ne relevaient pas de la Convention contre la torture ratifiée par le Saint-Siège mais des Etats et des juridictions où les faits ont été commis. [...]"

    Ces accusations sont injustes quand on sait combien l'Eglise a pris ce sujet à coeur et a introduit toute une série de règles strictes pour répondre à ce problème. Aucune autre institution n'en a fait autant.

    Michel Janva