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géopolitique - Page 802

  • Étonnantes révisions chez les grands stratégistes américains

    Quand Brzezinski et Luttwak révisent leurs propres doctrines!
    Notes complémentaires à une conférence tenue à la tribune de l’ASIN (“Association pour une Suisse Indépendante et Neutre”), le 31 octobre 2012, à Genève, et à la tribune du “Cercle non-conforme”, le 14 novembre 2012, à Lille.
    Le glissement le plus important dans la pensée stratégique et géopolitique s’est observé l’an dernier, en 2012, dans les travaux des plus grands stratégistes américains, Edward Luttwak et Zbignew Brzezinski. Nous pouvons parler d’un véritable “coup de théâtre” du printemps et de l’été 2012. “Zbig”, comme on le surnomme” à Washington, avait été un adversaire du statu quo, de la “coexistence pacifique” au temps de Nixon et de Kissinger (quand ce dernier avait adopté les règles de la diplomatie classique, selon Metternich, son modèle favori à l’époque). Brzezinski refusait toute forme de “coexistence pacifique”, qu’il dénonçait comme “coexistence passive”: à ses yeux, il fallait que Washington gagne activement la guerre (froide), tout en évitant la confrontation directe, ce que les armements nucléaires cumulés rendaient de toutes les façons impossible. La compilation de ses suggestions offensives a été consignée dans un volume, devenu bien vite un best-seller international et intitulé “The Grand Chessboard” (= “Le Grand échiquier”).
    Toute la stratégie de Brzezinski a abouti à l’échec
    Dans “The Grand Chessboard”, Brzezinski suggère de briser la puissance soviétique (russe) en soutenant systématiquement les dissidents musulmans et, surtout, dès l’entrée des troupes soviétiques à Kaboul, en armant les mudjahiddins afghans (pour “Zbig”, il s’agissait de “musulmans déboussolés”, bref d’“idiots utiles” pour les desseins de l’impérialisme américain), de manière à ce que ces combattants de la foi épuisent les ressources soviétiques par une guerre de partisans lente et coûteuse. L’objectif final, bien mis en évidence dans “The Grand Chessboard” était de contrôler la “Route de la Soie” (“Silk Road”), une route non plus caravanière mais jalonnée de “pipelines”, d’oléoducs et de gazoducs, entre l’Europe et la Chine. Pour y parvenir, il fallait également détacher l’Ukraine de la Russie et soutenir, dans un premier temps, à l’époque de Türgüt Özal en Turquie, le panturquisme, de façon à attirer dans un nouvel ensemble toutes les républiques ex-soviétiques à majorité musulmane, qui se seraient alors, spontanément croyait-on, tournées vers l’allié turc au sein de l’OTAN. Le soutien aux mudjahiddins (puis aux talibans) a créé l’imbroglio afghan, toujours irrésolu, puis de nouveaux problèmes avec le fidèle allié pakistanais, chargé d’armer et d’instruire les mudjahiddins et les talibans puis sommé de les laisser tomber en dépit de l’étroite imbrication entre le système militaire d’Islamabad et les réseaux islamo-terroristes en Afghanistan et au Cachemire. Quant à la “Route de la Soie”, elle est plutôt, au bout de trente ans d’efforts vains pour la contrôler, aux mains des puissances du “Groupe de Shanghaï”, car le Turkestan, pièce centrale du dispositif et vaste espace entre l’écoumène euro-russe et la Chine, n’a pas marché dans la combine. L’Ukraine, malgré la “révolution orange” de 2004-2005, n’a pas vraiment rompu avec la Russie, au contraire, les “orangistes” ukrainiens, favorables à une adhésion à l’OTAN n’ont plus du tout le vent en poupe et leur figure de proue, Ioulia Timochenko, est en prison pour corruption. Les tentatives d’Özal, pour réaliser une sorte d’union panturque ou pantouranienne, n’ont abouti à rien. Et, finalement, ce sont plutôt les ressources américaines qui s’épuisent dans une guerre longue, dont on n’entrevoit pas encore la fin. L’ennemi numéro un demeure la Russie, certes, mais les tentatives de l’éliminer définitivement ont constitué autant d’échecs.
    Les déclarations de Luttwak à “La Stampa”
    Même constat de révision déchirante chez Edward Luttwak, à qui l’on doit deux maîtres ouvrages, appelés à devenir des classiques de la littérature stratégique, l’un sur la “grande stratégie” de l’Empire romain, avec l’accent sur la maîtrise de la Pannonie (la plaine hongroise) et de la Dobroudja (l’embouchure du Danube), deux “trouées” permettant l’invasion de l’Europe par des peuples cavaliers venus de l’Est ; l’autre sur la “grande stratégie” de l’Empire byzantin, dont la Turquie ottomane hérite de l’espace-noyau stratégique entre 1369 et 1453, en s’opposant tout à la fois à l’Europe (à l’héritage papal de l’Empire romain d’Occident) et à la Perse. Contrairement à l’Empire romain classique, avant la scission entre en Occident latinisé et un Orient hellénisé, l’Empire byzantin déploie une stratégie basée moins sur la force que sur la persuasion (diplomatique) et sur l’endiguement des adversaires (quitte à créer des querelles au sein de leurs états). Le 19 septembre 2012, Edward Luttwak déclare au journal italien “La Stampa” que le “printemps arabe” est un échec malgré l’appui des ONG occidentales, qu’il n’a pas abouti à l’établissement d’une démocratie réelle et solide, que les Frères musulmans donnent le ton en Tunisie et en Égypte (ce qui déplait tout à la fois aux Saoudiens et aux militaires égyptiens). Le seul succès de toute cette agitation, pour Luttwak, a été de neutraliser le Hamas. En Libye, la volonté occidentale de provoquer un changement brutal a débouché sur un chaos incontrôlable et le désir de s’emparer de la manne pétrolière libyenne est remis aux calendes grecques, tant pour les consortiums anglo-saxons que pour les Français de Total (qui avaient participé à la curée). La mort tragique de l’ambassadeur américain Stevens est la preuve la plus emblématique que les réseaux rebelles, hostiles à Khadafi, sont hétérogènes et non contrôlables, en tous cas, ne se montrent pas reconnaissants à l’égard des puissances occidentales qui les ont armés (à moins que ce soit le Qatar ?). Autre exemple : un colonel rallié au nouveau régime, prétendument pro-occidental, a été abattu pour avoir servi Khadafi jadis, sans qu’on n’ait pu se saisir de ses assassins.
    Pour Luttwak : une politique minimale
    Pour Luttwak, il aurait fallu préserver le statu quo politique dans le monde arabe. Si un régime arabe s’était montré hostile aux États-Unis, ajoute Luttwak, ou s’il avait accumulé des armes de destruction massive ou s’il avait représenté un danger quelconque, il aurait fallu le frapper durement puis se retirer immédiatement, comme cela avait été pratiqué en Libye en 1986. Les États-Unis n’auraient jamais dû s’incruster dans des “terrains minés” et auraient dû laisser “les peuples se débrouiller”. Pour Luttwak, Washington doit se retirer d’Afghanistan car, contrairement au projet initial de réaménagement de ce pays dans le sens des intérêts américains, les pétroliers texans ne peuvent y installer les oléoducs et gazoducs prévus et d’autres consortiums américains ne peuvent y exploiter les gisements de minerais! Seule la culture du pavot rapporte dans la région! Luttwak appelle le gouvernement Obama à ne pas intervenir en Syrie, ou, à la limite, de charger Turcs et Français de faire le travail. Dans la région, les puissances anglo-saxonnes doivent se limiter à tenir la Jordanie, vieil allié, pour protéger Israël de tout débordement. Les seuls objectifs valables de toute politique extérieure américaine sainement conçue devraient être 1) de se défendre et 2) d’assurer les approvisionnements énergétiques.
    Revenons aux révisions auxquelles procède Zbrignew Brzezinski : en février 2012, il présente à un public choisi de stratégistes et de décideurs son nouvel ouvrage, qui porte pour titre “Strategic Vision”. Dans la prestigieuse revue “Blätter für deutsche und internationale Politik” (juillet 2012 – à lire sur http://www.blaetter.de/archiv ), Hauke Ritz, dans son article intitulé “Warum der Westen Russland braucht”, résume clairement la position prise par Brzezinski dès la fin de l’hiver 2011-2012 : “Si, dans son dernier et célèbre ouvrage “The Grand Chessboard”, il s’agissait encore, pour lui, d’obtenir le contrôle politique sur l’Asie Centrale, et s’il évoquait encore en 2008 l’idée d’une “seconde chance” pour bâtir un monde unipolaire (ndt : sous hégémonie américaine), aujourd’hui Brzezinski admet que les Etats-Unis ont partout perdu de la puissance et que le monde multipolaire est devenu une réalité. Fort de ce constat, il ébauche toute une série de nouvelles perspectives. La plus étonnante de celles-ci, c’est qu’il abandonne son hostilité radicale à l’endroit de la Russie, hostilité qui était présente de manière explicite ou implicite dans tous ses ouvrages antérieurs. Qui plus est, il affirme désormais que, pour la survie de l’Occident, il est impératif d’intégrer la Russie”.
    Les éléments clefs de la nouvelle stratégie suggérée par Brzezinski
    Brzezinski suggère une nouvelle stratégie puisque toutes celles qu’il a échafaudées jusqu’ici n’ont conduit qu’à des échecs. Les éléments clefs de cette nouvelle stratégie sont:
    -          Élargir la notion d’Occident à la Russie : à la lecture de cette étonnante suggestion, on constatera que Brzezinski ne retient plus la distinction opérée par Samuel Huntington dans son fameux article de “Foreign Affairs” de 1993 (puis dans son célèbre livre “Le choc des civilisations”) entre une civilisation occidentale euro-américaine et catholico-protestante, d’une part, et une civilisation orthodoxe, d’autre part. Cette distinction est donc désormais caduque.
    -          Il ne faudra pas, dans l’avenir, démoniser la Chine comme on a démonisé la Russie (ou le Japon ou l’Allemagne, ou l’Irak, l’Iran ou la Libye, etc.). Brzezinski reste logique avec lui-même. Il sait que la Chine était un allié tacite puis officiel des États-Unis depuis les affrontements sino-soviétiques de la fin des années 60 le long du fleuve Amour et depuis le coup diplomatique de Kissinger en 1972. La logique du “Grand Chessboard” était finalement de dominer l’espace de l’antique “Route de la Soie” pour relier l’Euramérique à la Chine par une chaîne de petits États faibles et contrôlables, incapables de reprendre le rôle de Gengis Khan, de Koubilaï Khan, de Tamerlan, du Tsar Alexandre II ou de Staline. Dans les nouvelles propositions de Brzezinski, toute démonisation de la Chine par l’ubiquitaire “soft power”, constitué par l’appareil médiatique global contrôlé in fine par les services américains, entraînera les Chinois à démoniser l’Amérique, créant une situation ingérable ; en effet, la Chine est le plus gros détenteur de la dette amércaine (+ de 25%), tant et si bien qu’ont a pu parler d’une “Chinamérique” ou d’un “G2”.
    -          Il faudra empêcher Israël d’agresser l’Iran (est-ce un indice que les États-Unis sont progressivement en train de lâcher Tel Aviv ?). Toute attaque israélienne, conventionnelle ou nucléaire, limitée ou non aux installations atomiques iraniennes, déclenchera une guerre totale que personne ne gagnera. La région du Golfe Persique sera en flammes, à feu et à sang, et le prix du pétrole augmentera dans des proportions inouïes, ajoute “Zbig”. Pire : le chaos dans les zones pétrolifères du Golfe conduira fatalement à un rapprochement énergétique euro-russe, ce qui pourrait s’avérer bien contrariant (et là, “Zbig” reste parfaitement logique avec lui-même, avec ses stratégies d’avant 2012!).
    Une dynamique d’auto-destruction
    Brzezinski constate que la dynamique de superpuissance, poursuivie par les États-Unis, surtout par les cercles néo-conservateurs qui y ont longtemps fait la pluie et le beau temps, est une dynamique d’auto-destruction, comparable à celle qui a fait s’effondrer l’URSS à la fin des années 80. Étonnant d’entendre cela de la bouche même du plus grand “conseiller du Prince” que l’histoire ait jamais connu, un “conseiller du Prince” qui a eu l’oreille de chefs d’État ayant disposé de la plus formidable panoplie guerrière de tous les temps. Brzezinski vient de rompre définitivement avec l’idéologie néo-conservatrice. Les signes avant-coureurs de cette rupture datent pourtant déjà de 2007-2008. Avant cette rupture graduelle, Brzezinski et les néo-conservateurs n’avaient pas, à l’analyse, la même approche intellectuelle des faits et des événements, mais, en fin de compte, les effets de leurs suggestions revenaient au même : il fallait mener une guerre à outrance contre les challengeurs de l’Amérique sur la masse continentale eurasiatique.
    En 2007, Brzezinski sort son ouvrage “Second Chance”, où il constate déjà un certain nombre d’échecs dans la politique extérieure américaine. Pour parachever la réalisation du plan néo-conservateur d’un “nouveau siècle américain”, dont il admet le principe général, il suggérait une “seconde chance”, tout en précisant bien qu’il n’y en aurait pas de troisième. Dans “Second Chance”, Brzezinski signalait que le discours de Bush sur la “guerre contre le terrorisme” était perçu dans les rimlands musulmans de l’Eurasie et du pourtour de l’Océan Indien comme une “guerre contre l’Islam”. Cette perception conduisait au déclin de l’influence américaine dans cette région, la plus cruciale, la plus impérative à dominer, sur l’échiquier géostratégique mondial. Brzezinski, en dépit de ses remarques cyniques sur les “musulmans déboussolés”, reste ici logique avec sa géopolitique antérieure, visant à forger une alliance entre le fondamentalisme islamiste et les États-Unis.
    La “deuxième chance” a été loupée...
    Ensuite, “Second Chance” rappelle que la politique extérieure de Bush n’a jamais critiqué l’Axe Pékin-Moscou ni été assez dure à l’endroit de la Russie, une dureté qui aurait pu, à l’époque, porter ses fruits. Normal : Bush avait besoin de l’aval de Poutine pour pouvoir se servir des bases russes ou autres, turkmènes, kirghizes, tadjiks ou ouzbeks, situées dans ce que Moscou appelle son “étranger proche”. C’est donc en heurtant la sensibilité des musulmans, en ne tentant pas de disloquer l’Axe Pékin-Moscou et en ménageant la Russie de Poutine que les néo-conservateurs, en misant trop sur le Proche et le Moyen-Orient pétrolier, en négligeant bon nombre d’autres politiques possibles dans l’environnement immédiat de cette région, risquaient, en 2007-2008, de louper la “deuxième chance”. Or, si Washington rate cette “seconde chance”, ce sera, à terme, la fin de “l’ère atlantique”, qui a duré 500 ans (et l’avènement d’une multipolarité où l’espace pacifique entre Singapour et le Japon, l’Océan Indien voire l’Atlantique-Sud acquerront autant de poids que l’Atlantique-Nord, dont l’importance est née du déclin de la Méditerranée à l’époque de Philippe II d’Espagne, comme l’avait naguère démontré Fernand Braudel). Mais, ce déclin de l’Atlantique septentrional ne sera pas pour autant l’avènement de la Chine, pense Brzezinski. Pourquoi ? Parce que le contentieux sino-indien ne sera pas effacé de sitôt.
    “Strategic Vision”, en cette fin février 2012, constate le recul de la mainmise américaine sur la Géorgie (où les dernières élections n’ont pas porté au pouvoir le favori des États-Unis), sur Taïwan, sur la Corée du Sud, sur l’Ukraine (où les effets de la “révolution orange” des années 2004-2005 se sont évanouis), sur l’Afghanistan et le Pakistan, sur Israël (que Washington s’apprête à abandonner?) et sur quelques autres têtes de pont au Proche- et au Moyen-Orient. Ce recul ne signifie pas pour autant un affaiblissement fatal pour l’Occident, explique Brzezinski: si le tandem euro-américain s’allie à la Russie, alors un espace stratégique inaccessible et inexpugnable se formera sur tout l’hémisphère nord de la planète, de Vancouver à Vladisvostok. Cette grande alliance “boréale” potentielle devra absolument compter sur l’alliance turque, car la Turquie est le “hub”, le moyeu, qui unit géographiquement l’Europe, la Russie (l’espace pontique), l’Afrique (le canal de Suez + l’espace nilotique de l’Égypte au Soudan et à la Corne de l’Afrique), l’Asie (l’espace de la turcophonie + les bassins du Tigre et de l’Euphrate + la péninsule arabique). Sans ce moyeu, l’alliance “boréale” ne pourrait fonctionner de manière optimale.
    “La démocratie ne s’impose pas de l’extérieur”
    “Strategic Vision” entend aussi mettre un terme à la démonisation systématique de la Russie par les médias américains: pour Brzezinski, la Russie doit dorénavant être considérée comme un pays démocratique à part entière. Il ne ménage pas ses critiques à l’endroit des médias et des ONG qui ont travaillé à exciter les opposants russes les plus délirants et les plus farfelus (jusqu’aux “pussy riots” et aux “femens”), à cultiver et amplifier la “légende noire” dont on accable la Russie, au moins depuis la Guerre de Crimée au 19ème siècle. Le noyau dur de sa critique est de dire que ce travail de harcèlement par les ONG est inutile dans la mesure où une démocratie ne s’impose jamais de l’extérieur, par le jeu des propagandes étrangères, mais uniquement par l’exemple. Il faut donner l’exemple de la démocratie la plus parfaite, d’une bonne gouvernance à toute épreuve (hum!) et alors on sera tout logiquement le modèle que tous voudront imiter.
    “Strategic Vision” constate aussi que les aventures militaires n’ont pas atteint les résultats escomptés. Il y a eu “hétérotélie” pour reprendre l’expression de Jules Monnerot, soit un résultat très différent des visées initiales, hétérogène par rapport au but fixé. Le coût de ces aventures militaires risque, même à très court terme, de déstabiliser les budgets militaires voire d’entraîner la faillite du pays. Le modèle américain du bien-être matériel pour tous risque alors d’être définitivement ruiné alors qu’il avait été vanté comme le meilleur de la Terre, ce qui, quand il ne fonctionnera plus très bien, entraînera fatalement des désordres intérieurs comme ailleurs dans le monde. Déjà les soupes populaires attirent de plus en plus de citoyens ruinés dans les villes américaines. L’American Way of Life ne sera plus un modèle universellement admiré, craint “Zbig”.
    Les États-Unis, ajoute Brzezinski, sont comme l’URSS dans les années 1980-1985. Six raisons le poussent à énoncer ce verdict :
    1.     Le système est irréformable (mais il l’est partout dans l’Euramérique...);
    2.     La faillite du système est due au coût des guerres;
    3.     L’effondrement du bien-être dans la société américaine entraîne une déliquescence généralisée;
    4.     La classe dirigeante n’est plus au diapason (comme en Europe);
    5.     La classe dirigeante tente de compenser les échecs extérieurs (et intérieurs) par la désignation d’un ennemi extérieur, qui serait “coupable” à sa place;
    6.     La politique extérieure, telle qu’elle est pratiquée, mène à l’isolement diplomatique, à l’auto-isolement.
    Zbigniew Brzezinski doit cependant battre sa coulpe. En effet,
    1.     La réconciliation avec la Russie aurait dû se faire dès les années 90, quand les thèses exposées dans “The Grand Chessboard” constituaient la référence politique des décideurs américains en matière de politique étrangère.
    2.     Brzezinski n’a pas contribué à l’apaisement nécessaire puisqu’il a jeté de l’huile sur le feu jusqu’en 2008! Mais, malgré son grand âge, il est capable de tirer les conclusions de l’échec patent des suggestions qu’il a formulées au cours de sa très longue carrière.
    L’interventionnisme tous azimuts est une impossibilité pratique
    Brzezinski déplore, comme nous, l’ignorance générale des faits d’histoire, dont sont responsables les médias et les réseaux d’enseignement (dans son entretien accordé à Nathalie Nougayrède, cf. infra, il dit : “... ce qui m’inquiète le plus à propos de l’Amérique, c’est cette espèce d’ignorance satisfaite dont elle fait preuve” et “... sur beaucoup de questions concernant les affaires étrangères, on se heurte à une ignorance si infiniment profonde qu’elle en est embarrassante. C’est un gros problème”). En conclusion, l’auteur de “The Grand Chessboard” constate, dans son nouvel ouvrage, que l’intervention tous azimuts est une impossibilité pratique ; elle est, ajouterions-nous, le fruit d’une idéologie universaliste qui se croit infaillible et refuse de prendre en compte les limites inhérentes à toute action humaine, fût-elle l’action d’un hegemon, doté de l’arsenal le plus formidable de l’histoire; or toute action a des bornes, nous enseignait déjà Aristote. Si on persiste à prendre les idéologèmes universalistes pour des vérités impassables, pour des dogmes intangibles, et si on tente obstinément de les traduire en pratique par un interventionnisme tous azimuts, on risque à coup sûr l’enlisement. Pour un autre observateur américain, Charles A. Kupchan (2), en effet, le système général de la globalisation, mis en place par les “bâtards de Voltaire” qui se piquent d’économie et de néo-libéralisme, n’est pas un système qu’il faut croire éternel, définitif, mais, au contraire, “un système momentané et transitoire qui fera forcément place à une alternative différente, qu’il ne nous est pas encore possible de définir avec précision” (p. 87). Par voie de conséquence, ceux qui pensent dans les termes mêmes du système actuellement en place sont des sots incapables d’imaginer une réalité différente, ou de travailler à en préparer une. Ceux qui, en revanche, refusent de croire béatement à la pérennité du système globaliste actuel, font davantage usage de leur raison, une raison vitale et vitaliste cette fois, héritée en droite ligne de la philosophie tonifiante de José Ortega y Gasset, et non pas d’une raison viciée et devenue caricaturale, comme celle des “bâtards de Voltaire”. Ce sont eux qui préparent la transition vers un autre monde, qui l’anticipent, toute raison vitale étant prospective.
    Neutralité, non-immixtion, différencialisme
    Avec les vérités toutes faites, avec les préconceptions figées de la vulgate des Lumières révisée par Bernard-Henri Lévy (hors de laquelle il n’y aurait aucun salut), du républicanisme obligatoire et incantatoire qui fait sombrer la France hollandouillée dans un marasme intellectuel navrant, du puritanisme américain de Bush derrière lequel se profile le trotskisme déguisé des bellicistes néo-conservateurs, avec les vérités médiatiques préfabriquées dans les arsenaux du soft power américain, avec un islam dévoyé et non plus traditionnel (au sens noble du terme) qui considère toutes les autres formes politiques nées de l’histoire des hommes comme relevant de la “djalliliyâh”, on n’aboutit à rien, sinon au chaos total, à la négation de tous les fleurons de l’intelligence, nés au sein de toutes les cultures: d’autres options sont donc nécessaires, même si certaines d’entre elles ont été, jusqu’il y a peu de temps, considérées comme néfastes, régressistes ou inacceptables. Parmi ces options, citons 1) la volonté de neutralité en Europe, d’alignement sur la sagesse helvétique, récurrente, sans doute sous d’autres oripeaux, depuis les années 50 en Allemagne et en France (sous la forme du gaullisme de la fin des années 60 et de la diplomatie d’un Couve de Murville ou d’un Michel Jobert, dans l’esprit du discours de Charles de Gaulle à Phnom Penh en 1966), ensuite théorisée, sous une forme “mitteleuropäisch” par les neutralistes allemands des années 80, lassés de l’OTAN, notamment par le Général Jochen Löser immédiatement avant la perestroïka de Gorbatchev; 2) le principe chinois de non immixtion dans les affaires intérieures de pays tiers, qui a rapporté à Pékin les succès que l’on sait dans les pays d’Afrique, fatigués des interventions occidentales si intrusives et si blessantes pour l’amour-propre des dirigeants africains; pour la Chine, chaque entité politique peut interpréter les droits de l’homme à sa façon (on se rappellera alors, en Europe, de Frédéric II de Prusse, l’ami de Voltaire ; il aimait à répéter : “Ein jeder kann selig werden nach seiner Façon”); 3) l’acceptation des différences sans chercher à faire de prosélytisme, comme le veulent les principes qui sous-tendent la civilisation indienne (cf. l’oeuvre de Naipaul, prix Nobel de littérature en 2007). L’islamisme wahhabite et le messianisme américain, le laïcisme à relents messianistes d’un BHL et du républicanisme français, ce mixte délétère de messianismes camouflés et de “nuisances idéologiques” modernes (Raymond Ruyer), le faux “rationalisme” des “bâtards de Voltaire”, tel qu’il a été décrit par John R. Saul aux États-Unis dans un livre qui n’a pas été pris en considération à sa juste mesure par les vrais cercles contestataires du désordre établi dans nos pays (1), sont, dans cette triple optique neutraliste européenne, anti-immixtionniste chinoise et différentialiste indienne, des options dangereuses, belligènes et déstabilisantes. On a vu le résultat en Libye, où les discours préfabriqués d’un BHL, conseiller de Sarközy, et “bâtard de Voltaire” emblématique et “auto-yavhéïsé”, n’ont pas généré un ordre stable et démocratique mais un chaos abominable, risquant de s’exporter dans toute l’Afrique du Nord et dans la région sahélienne.
    Wall Street et télé-évangélisme
    Pour combattre l’influence néfaste de toutes ces formes de messianisme politique, il faut entamer un combat métapolitique dont l’objectif premier doit être de rendre caducs les effets de la “théologie américaine”. La nature de cette théologie et la teneur de son message ont été analysées par une quantité d’auteurs anglo-saxons dont Clifford Longley (3) et Kevin Phillips (4). Si Longley examine le processus d’émergence de cette notion d’élection divine en Angleterre et aux États-Unis et nous permet d’en connaître les étapes, tout en s’inquiétant, en tant que Catholique anglais, des dérives possibles d’un fondamentalisme trop puissant et devenu fou, Phillips montre clairement les nuisances de ce fondamentalisme protestant et bibliste dans la réalité concrète actuelle, celle de l’échiquier international et, forcément, du “Grand Chessboard” centre-asiatique, cher à Brzezinski. Mieux: Phillips démontre, documents à l’appui, quels effets nocifs a eu et aura la combinaison a) de ce fondamentalisme et de cet “évangélisme” ou ‘télé-évangélisme” et b) de la politique économique et financière de Wall Street - qui a renoncé à toute forme de finance saine et hypothéqué la santé économique des États-Unis, en donnant libre cours à la spéculation la plus éhontée et en précipitant le pays dans une dette publique et privée sans précédent. Ces délires religieux et financiers vont plonger à terme les États-Unis, hegemon du monde unipolaire (espéré par Brzezinski), dans un marasme ponctué de prêches évangélistes, marqué par un endettement inédit dans l’histoire mondiale.
    Phillips espère un retour aux finances saines des anciennes administrations républicaines prébushistes et au pragmatisme diplomatique de Nixon, cette fois dans un contexte qui aura réellement dépassé les clivages de la “Guerre froide” (“Strategic Vision” de Brzezinski ne le contrariera pas) et se déploiera dans un monde plutôt multipolaire, même si “Zbig”prévoyait plutôt, tout juste avant que ne paraisse “Strategic Vision”, une sorte de duopole sino-américain en état de “coexistence pacifique”, dans un monde plus “asymétrique” que “multipolaire” (5).
    Un refus de tout fondamentalisme simplificateur
    La perspective métapolitique et géopolitique, que nous souhaiterions propager par nos diverses actions et interventions, repose donc sur un refus de tout pari sur un quelconque fondamentalisme simplificateur et forcément belliciste pathologique à cause même de ses hyper-simplifications. En matière de diplomatie et dans les commentaires diffusés dans les médias, nous souhaitons voir triompher l’attitude de la “tempérance requise”, prônée surtout par l’Inde, et non pas cet engouement, cher au belliciste néo-conservateur Robert Kagan, pour un Mars américain tout-puissant et roulant en permanence les mécaniques, s’opposant - à l’encontre de la dualité Mars/Vénus, Arès/Aphrodite, de la mythologie classique - à Vénus, c’est-à-dire à l’Europe, à la tempérance et à la diplomatie classique, inspirée du “jus publicum europaeum”. La perspective, que nous entendons faire nôtre, refuse les visions du monde basées sur une césure dans le temps, comme la “djalliliyâh” des wahhabites ou l’idée folle d’une “Nouvelle Jérusalem” du Massachussets (cf. Longley, op. cit., pp. 35-65). Pour restructurer l’Europe, après l’effondrement proche des “nuisances idéologiques” et des “messianismes”, il faut donner primauté aux héritages helléniques, romains et germaniques (slaves-byzantins dans l’aire qu’attribuait Huntington à ce complexe à fondements également grecs). Pour le protestantisme, il ne s’agit donc plus de valoriser les “iconoclastes” de 1566 (6) ou les “dissidences” religieuses de l’Angleterre du 17ème siècle ou les visions des “Pèlerins du Mayflower”, noyaux de l’idéologie et de la théologie américaines actuelles, etc. mais plutôt de se référer à la renaissance élizabéthaine, celle de l’époque où Christopher Marlow et William Shakespeare créaient leurs oeuvres immortelles (7), à l’oeuvre culturelle de Gustav-Adolf de Suède, aux fleurons du “Siècle d’or” hollandais.
    De même, si l’Occident doit se débarrasser de ses propres fondamentalismes protestants et “voltairo-bâtards”, une “dé-messianisation”, c’est-à-dire une “dé-wahhabitisation” et une “dé-salafisation”, doit avoir lieu dans le monde musulman, qui possède assez de ressources en lui-même pour dépasser ces folies qui ne lui apportent que des malheurs, comme dans les années 90 en Algérie, comme en Libye aujourd’hui, et demain en Tunisie et en Égypte. L’aire civilisationnelle islamique peut se référer au chiisme duodécimain quiétiste (éliminé en Iran par Khomeiny, au départ à l’instigation des services américains), l’ibaditisme d’Oman, le soufisme libyen (étrillé par les milices salafistes qui ont agi avec la bénédiction de BHL et de Sarközy), l’islam de Tombouctou (presque éradiqué par les milices salafistes au Mali pour le plus grand malheur de l’Afrique sahélienne), la définition de l’islam par Seyyed Hossein Nasr et surtout l’islam tel que l’a théorisé Henry Corbin et ses disciples. Forces auxquelles on peut ajouter les bonnes traditions militaires, d’ordre, de discipline et de sens du service que l’on a vues à l’oeuvre, notamment en Égypte, sous Nasser, et en Syrie depuis la fin des années 50. Si le wahhabisme et le salafisme génèrent incontestablement l’islamophobie en Europe, en Thaïlande et ailleurs, et souvent à juste titre, les formes d’islam que nous aimons, dont nous prenons sereinement et humblement connaissance, ne généreront certainement jamais d’islamophobie mais, sans renier aucune de nos traditions, un bon petit engouement orientaliste et goethéen.
    Robert STEUCKERS. http://robertsteuckers.blogspot.fr/search?updated-max=2013-08-27T02:16:00-07:00&max-results=7
    (article préparé en novembre 2012 et parachevé à Villeneuve-d’Ascq, Forest-Flotzenberg, El Campello, Almuñecar et Fessevillers).
    Notes:
    (1)   John SAUL, Les bâtards de Voltaire – La dictature de la raison en Occident, Payot, Paris, 1993.
    (2)   Charles A. KUPCHAN, The End of the American Era – U.S. Foreign Policy and the Geopolitics of the Twenty-First Century, Vintage Books, New York, 2002.
    (3)   Clifford LONGLEY, Chosen People – The Big Idea that Shpaes England and America, Hodder & Stoughton, London, 2002-2003 (2nd ed.).
    (4)   Kevin PHILLIPS, American Theocracy – The Peril and Politics of Radical Religion, Oil, and Borrowed Money in the 21st Century, Viking/Penguin Group, London, 2006.
    (5)   Zbigniew BRZEZINSKI, “Nous sommes dans un monde très asymétrique”, entretien, propos recueillis par Nathalie Nougayrède, in Le Monde – Bilan géostratégique – 2011.
    (6)   Solange DEYON & Alain LOTTIN, Les casseurs de l’été 1566, Hachette, Paris, 1981.
    (7)   Lacey Baldwin SMITH, The Elizabethan Epic, Jonathan Cape, London, 1966.

  • Bombardement imminent contre la Syrie ? Poutine menace d’attaquer l’Arabie Saoudite en représailles

    cercledesvolontaires.fr: Selon le quotidien The European Union Times (édité conjointement aux États-Unis et au Canada), le président russe Vladimir Poutine a distribué Mardi aux forces armées russes un « ordre d’action urgente » autorisant « une frappe militaire de grande envergure contre l’Arabie Saoudite au cas où les menaces occidentales contre la Syrie seront exécutées ».

    La situation internationale est particulièrement tendue. Les gouvernements américain, français et britannique soufflent le chaud et le froid depuis la soit-disant « attaque chimique du président syrien contre son peuple ». Plusieurs sources (russes, israéliennes, syrienne, américaines) indiquent que les frappes pourraient commencer dès demain jeudi 28 août (*), à l’aide de missiles Tomahawks. Ces missiles sont de type « sol-sol », c’est-à-dire qu’ils sont conçus pour être tirés du sol (en l’occurrence, depuis des destroyers américains), pour viser une cible également au sol.

    En cas d’attaque contre la Syrie, Poutine attaquerait l’Arabie Saoudite. Il faut préciser que, auparavant, l’Arabie Saoudite avait fait une « proposition qu’on ne peut pas refuser » à la Russie : ou bien la Russie lâche Damas, et obtient ainsi des gains et des avantages sur le contrôle du marché pétrolier mondial, ou bien c’est l’Arabie Saoudite qui lâchera ses hordes de terroristes tchétchènes sur les J.O. d’hiver en Russie. L’information peut paraître surprenante, mais elle tout de même révélée par le journal britannique The Telegraph.

    A noter que l’Égypte a annoncé, par le biais du général Abdel-Fattah al-Sissi, qu’aucun bateau de guerre n’aurait le droit de passer par le canal de Suez, pour attaquer la Syrie.

    Aujourd’hui, le Conseil de Sécurité de l’ONU examinait une résolution rédigée par la Grande-Bretagne à l’encontre de la Syrie. La Chine et la Russie ont claqué la porte du conseil en cours de session. Nul doute qu’ils opposeront leur Véto dans les prochains jours, lorsque cette résolution sera soumise au vote…

    Raphaël Berland

    Source: cercledesvolontaires.fr

  • OTAN + égorgeurs musulmans : même combat !

    Dans la cacophonie européenne ambiante, la religion droit de l’hommiste se taille un franc succès lorsqu’il s’agit de s’apitoyer sur des images de tueries sanglantes en provenance de pays des mille et une nuit.

    Concernant le Proche-Orient, l’ONU avertit : « toute action devra recevoir l’aval du Conseil de Sécurité » et son secrétaire général, Ban Ki Moon demande du temps « afin que les inspecteurs puissent terminer leur travail à Damas » pour établir les faits. De son côté, la Maison Blanche répète qu’elle ne cherche pas à destituer Bachar al Assad par une offensive militaire en Syrie et qu’elle « agira avec les alliés »…par des frappes « ciblées » ?

    L’Histoire nous a enseigné que les anglo-américains sont passés orfèvres en matière de bombardements :
    *12-15 février 1945 à Dresde plus de 8.000 bombes explosives et 600.000 bombes incendiaires ont conduit 135.000 civils au royaume des cieux.
    *9-10 mars 1945 à Tokyo l’opération « Typhon de feu » fit 200.000 morts grâce au largage de 700.000 bombes M.29 (napalm).
    *Le 6 août 1945, Hiroshima fut rayée de la carte et l’on dénombra 180.000 victimes.
    *Le 9 août suivant 90.000 habitants de Nagasaki subirent le même sort.
    *Durant la guerre du Viêt-Nam entre 1964 et 1975, des centaines de milliers de victimes furent anéanties par le fer, par le feu et par les produits chimiques, dont il reste encore des séquelles aujourd’hui.
    *23 mars 1999, c’est au tour de Belgrade de connaître les bombardements des avions de l’OTAN, dans l’opération « Force alliée », avec des milliers de victimes innocentes, tout au long des 25.000 sorties aériennes. La destruction de l’Ambassade de Chine conduira l’OTAN à s’excuser…de cette bavure.
    *N’oublions pas les bombardements en Afghanistan depuis 2002, ni les deux guerres en Irak (1992 et 2003) déclarées sous de fallacieux prétextes avec une mise en scène pitoyable (armes de destruction massive, 4ème armée du monde, etc., etc.,.).
    *En mars 2011, par une vague résolution de l’ONU, destinée à protéger la population civile de Benghazi, les forces de l’OTAN -encore elles- aiguillonnées par les déclarations incendiaires de Nicolas Sarközy, bombardent la Libye, étendent la guerre à tout le pays et obtiennent in fine le lynchage de Mouammar Kadhafi le 20 octobre 2011.

    On assiste depuis des mois à une désinformation généralisée concernant les conflits et les manipulations des médias à propos des « révolutions de Jasmin », le « Printemps arabe » ou le bourbier du Proche Orient, afin de faire gober à Margot l’inverse de la réalité.
    Et il est étrange que les yankees (et aussi leurs alliés du Golfe) s’obstinent à vouloir détruire les régimes qui existaient, quand on constate les résultats a posteriori en Tunisie, en Libye, en Egypte, et très certainement en Irak et en Afghanistan, sans parler du Kosovo….
    Les marchands de canons et les gnomes de Wall Street ont encore de beaux jours devant eux, grâce au chaos organisé par le Nouvel Ordre Mondial !

    Pieter KERSTENS.

    http://fr.altermedia.info/guerre/otan-egorgeurs-musulmans-meme-combat_50570.html

  • Le rôle d’Israël dans l’annonce de l’attaque contre la Syrie

    (Réseau Voltaire) - Selon le site internet du magazine Foreign Policy du 28 août 2013, la NSA aurait intercepté les communications entre le chef de l’unité syrienne des armes chimiques et un haut responsable du ministère syrien de la Défense. Ce dernier était paniqué après l’attaque chimique ayant coûté la vie à 1 429 personnes [1].

    Cette information, largement diffusée par la presse atlantiste, a contribué à accroître la certitude affichée par les États occidentaux en la culpabilité de la Syrie.

    Pourtant, la source de l’intoxication n’est pas états-unienne : la veille, 27 août, la chaîne de télévision Jewish News One annonçait que les interceptions avait été réalisées par Tsahal [2].

    De son côté, une source militaire syrienne a confirmé, antérieurement à l’attaque, la présence d’officiers de Tsahal à Douma (zone contrôlée par la Brigade de l’islam) d’où les deux obus contenant des produits chimiques (mais pas nécessairement des gaz de combat) ont été tirés.

    L’emballement occidental est ensuite le fait de quelques individus liés à Israël, sous l’impulsion du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius.

    [1] « Exclusive : US Spies say intercepted calls prove Syria army used nerve gas », Foreign Policy, 28 août 2013.

    [2] « Tsahal indique que [le] gouvernement syrien est responsable », Jewish One, 27 août 2013.

    http://www.voltairenet.org/article179982.html

  • Les 1er résultats d'enquête de l'ONU indiquent que ce sont les rebelles qui ont utilisé du gaz sarin

  • Les Occidentaux sont-ils prêts à bombarder la Syrie ?

    Faisant mine de croire à une attaque chimique du gouvernement syrien contre son propre peuple, Washington, Londres et Paris battent les tambours de la guerre. Faut-il prendre ces menaces au sérieux de la part d’États qui annoncent comme imminente, depuis plus de deux ans, la chute de la Syrie ? Bien qu’il ne faille pas exclure cette option, Thierry Meyssan pense qu’elle est moins probable qu’une intervention organisée par l’Arabie saoudite. Cette agitation aurait plutôt comme objectif de tester les réponses de la Russie et de l’Iran.

    Quelle mouche a donc piqué le Prix Nobel de la Paix Barack Obama ? Dimanche 25 août, la Maison-Blanche a diffusé un communiqué dans lequel un haut-fonctionnaire anonyme explique qu’il y a « très peu de doutes » de l’usage par la Syrie d’armes chimiques contre son opposition. Le communiqué ajoute que l’accord de la Syrie pour laisser pénétrer les inspecteurs de l’Onu dans la zone concernée vient « trop tard pour être crédible ».

    Si l’usage d’armes chimiques dans la banlieue de Damas, le mercredi 21 août 2013 est fort probable, le Conseil de sécurité des Nations-Unies n’a pas conclu qu’il était le fait du gouvernement syrien. Réuni en urgence à la demande des Occidentaux, les ambassadeurs ont eu la surprise de voir leur collègue russe leur présenter des photos satellites montrant le tir de deux obus, à 01h35 du matin, depuis la zone rebelle de Douma dans les zones rebelles affectées par les gaz (à Jobar et entre Arbin et Zamalka) à des heures coïncidant avec les troubles relatés. Les photos ne permettent pas de savoir s’il s’agit d’obus chimiques, mais elles laissent penser que la « Brigade de l’islam », qui occupe Douma, a fait d’une pierre trois coups : d’une part éliminer les soutiens de ses rivaux au sein de l’opposition, d’autre part accuser la Syrie d’avoir recours aux armes chimiques, enfin perturber l’offensive de l’armée arabe syrienne pour dégager la capitale.

    Si le gouvernement syrien —comme son ennemi israélien— n’est pas signataire de la Convention contre les armes chimiques et dispose de stocks importants, les jihadistes en ont aussi, comme l’a confirmé Carla del Ponte à la grande fureur du haut-Commissaire aux Droits de l’homme. En décembre, l’Armée syrienne libre avait diffusé une vidéo montrant un laboratoire chimique et menaçant les alaouites. Cette semaine, le gouvernement a découvert plusieurs caches d’armes chimiques, de masques à gaz et d’antidotes, dans la banlieue de Damas. Les produits provenaient d’Arabie saoudite, du Qatar, des États-Unis et des Pays-Bas. C’est d’ailleurs à la demande du gouvernement syrien, et non des Occidentaux, que des inspecteurs de l’Onu sont présents en Syrie pour deux semaines, afin d’enquêter sur les allégations d’usage. Enfin, le 29 mai 2013, la police turque a arrêté une douzaine de membres du Front Al-Nosra et saisi des armes chimiques qui devaient être utilisées en Syrie.

    Pourtant, vendredi le président Obama réunissait son Conseil national de sécurité pour examiner les options d’attaque contre la Syrie en présence de l’ambassadrice Samantha Power, chef de file des faucons libéraux. Il décidait de renforcer la présence militaire US en Méditerranée en y envoyant un quatrième destroyer, chargé de missiles de croisière, l’USS Ramage. Il s’ajoute à l’USS Gravely, l’USS Barry et l’USS Mahan qui est maintenu sur zone alors qu’il devait rentrer au port.

    Samedi il appelait au téléphone le Premier ministre britannique David Cameron. Et dimanche, il parlait avec le président français François Hollande. Les trois hommes convenaient qu’il fallait intervenir sans préciser de quelle manière. Dimanche encore, le secrétaire d’État John Kerry appelait ses homologues britannique, français, canadien et russe pour leur dire que les États-Unis avaient la conviction que la Syrie avait franchi la « ligne rouge ». Si ses trois premiers interlocuteurs l’écoutaient petit doigt sur la couture du pantalon, le Russe Sergey Lavrov s’étonna que Washington se prononce avant le rapport des inspecteurs des Nations Unies. Il lui répondit sur les « conséquences extrêmement graves » que représente une intervention dans la région.

    Lundi le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian était au Qatar et devait se rendre aux Émirats pour se coordonner avec eux. Tandis que le conseiller de sécurité nationale israélien, le général Yaakov Amidror, était reçu à la Maison-Blanche. Lors d’un entretien téléphonique entre le premier ministre britannique David Cameron et le président russe Vladimir Poutine, ce dernier a souligné qu’il n’existait aucune preuve de l’usage d’armes chimiques par la Syrie. De son côté, le vice-ministre des Affaires étrangères chinois, Li Baodong, a téléphoné à son homologue US, Wendy R. Sherman, pour appeler les États-Unis à la retenue. Conscient du risque de guerre régionale dont les chrétiens seraient les premières victimes, le pape François Ier a réitéré ses appels à la paix.

    Doit-on pour autant penser que les Occidentaux vont entrer en guerre sans mandat du Conseil de sécurité, comme l’Otan le fit en Yougoslavie ? C’est peu probable car à l’époque la Russie était en ruines, aujourd’hui elle devrait intervenir après avoir émis trois vétos pour protéger la Syrie ou renoncer à toute action internationale. Cependant Sergey Lavrov a sagement écarté une Troisième Guerre mondiale. Il a indiqué que son pays n’était pas prêt à entrer en guerre contre qui que ce soit, même à propos de la Syrie. Il pourrait donc s’agir d’une intervention indirecte de soutien à la Syrie, comme le fit la Chine durant la guerre du Vietnam.

    L’Iran a alors fait savoir, par le biais de son chef d’état-major adjoint, Massoud Jazayeri, que pour lui l’attaque de la Syrie serait le franchissement de la « ligne rouge » et que, si elle passait à l’acte, la Maison-Blanche endurerait de « graves conséquences ». Certes l’Iran n’a ni les moyens de la Russie, ni ses alliances, mais elle fait certainement partie des 10 premières puissances militaires mondiales. Dès lors, attaquer la Syrie, c’est prendre le risque d’une riposte sur Israël et de soulèvements dans une grande partie du monde arabe, notamment en Arabie saoudite. L’intervention récente du Hezbollah libanais et les déclarations de son secrétaire général Hassan Nasrallah, comme celles de l’organisation palestinienne FPLP-Commandement général, ne laissent aucun doute.

    Interrogé par la presse russe, le président syrien Bachar el-Assad, a déclaré : « Les déclarations émises par des politiciens états-uniens, occidentaux et d’autres pays constituent une insulte au bon sens et une expression de mépris envers l’opinion publique de leurs peuples. C’est un non-sens : d’abord on accuse, ensuite on rassemble les preuves. Cette tâche est menée par un pays puissant, les États-Unis (…) Ce genre d’accusation est exclusivement politique, elles répondent à la série de victoires enregistrées par les forces gouvernementales sur les terroristes ».

    En Russie, le président de la Commission des Affaires étrangères de la Douma, le journaliste et géopoliticien Alexeï Pouchkov, a commenté sur son compte Twitter : « Washington et Londres ont déclaré Assad coupable bien avant les conclusions des inspecteurs de l’Onu. Ils n’accepteront qu’un verdict de culpabilité. Tout autre verdict sera rejeté ».

    Le principe d’une nouvelle guerre en Syrie cadre mal avec les problèmes économiques des États-Unis et des Européens. Si vendre des armes est un moyen de gagner de l’argent, détruire un État sans espérer de retour sur investissement à court ou moyen terme, ne pourra qu’aggraver la situation.

    Selon un sondage Reuters/Ipsos réalisé après l’attaque du 21 août, 60 % des États-Uniens sont opposés à une intervention en Syrie contre 9 % qui y sont favorables. S’ils étaient convaincus de l’usage d’armes chimiques par la Syrie, ils resteraient 46 % à s’opposer à la guerre et deviendraient 25 % à la soutenir. Le même sondage indique que les États-uniens apprécient encore moins la guerre secrète : ils sont 89 % à déclarer qu’il ne faut pas plus armer les rebelles, contre 11 % qui veulent les armer encore. Enfin, quatre options étaient proposées aux sondés : des frappes aériennes (soutenues par 12 %), la création d’une zone de non survol (11 %), le financement d’une force multinationale (9 %), et une intervention US directe (4 %).
    En France, Le Figaro, édité par le marchand d’armes Dassault, a posé la question à ses lecteurs : au bout d’une journée, ils étaient 79,60 % à s’opposer à la guerre contre 20,40 % à la soutenir.
    Il sera certainement difficile pour les Occidentaux de renverser leur opinion publique et d’entrer en guerre.

    Une autre interprétation des événements est possible : certaines des vidéos montrant les victimes des attaques chimiques ont circulé sur Internet quelques heures avant les attaques. Il sera donc toujours possible aux Occidentaux de « découvrir » la supercherie le moment venu et de faire machine arrière. Cependant l’affaire des armes chimiques en Irak a montré que les Occidentaux pouvaient mentir à la communauté internationale et le reconnaître sans conséquence une fois leur forfait accompli.

    Les accusations des jihadistes et de leurs sponsors occidentaux interviennent alors que l’Armée arabe syrienne lançait une vaste offensive, « Bouclier de Damas », pour dégager la capitale. Le tir des deux obus de la « Brigade de l’islam » correspondent au début de cette offensive qui s’est déroulée durant 5 jours et s’est soldée par d’importantes pertes parmi les jihadistes (au moins 1 500 blessés et tués, sur les 25 000 présents). Toute cette agitation peut n’être qu’une guerre psychologique à la fois pour masquer cette défaite et pour tenter de paralyser l’offensive syrienne. C’est surtout un moyen pour Washington de tester la réponse iranienne après l’élection de cheikh Hassan Rohani à sa présidence. Et il est désormais clair que celui-ci ne pourra pas s’opposer à la politique du Guide de la Révolution, l’ayatollah Ali Khamenei.

    Cependant, durant la guerre contre la Libye, j’avais sous-estimé la possibilité des États-Unis de violer toutes les règles, y compris celles de l’Otan. Alors que, me basant sur des documents de l’Alliance atlantique, j’insistais sur la longue capacité de résistance de la Jamahiriya face à son opposition armée, j’ignorai la tenue d’une réunion secrète sur la base Otan de Naples, dans le dos du Conseil atlantique. À l’époque, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Danemark et la Turquie, ainsi qu’Israël, le Qatar et la Jordanie planifiaient en secret l’usage des moyens de l’Alliance pour bombarder Tripoli [1]. Ne faisant pas confiance à leurs alliés, qu’ils savaient opposés à une attaque si coûteuse en vies humaines, ils ne les avaient pas prévenus. L’Alliance atlantique n’était plus une Alliance proprement dite, mais une Coalition ad hoc. En quelques jours, la prise de Tripoli fit au moins 40 000 morts, selon les rapports internes de la Croix-Rouge. Un tel dispositif est peut-être en cours d’organisation : les chefs d’état-major d’à peu près les mêmes États, plus l’Arabie saoudite et le Canada, sont réunis depuis dimanche et jusqu’à ce soir à Amman, sous la présidence du commandeur du CentCom, le général Lloyd J. Austin III. Ils envisagent cinq options possibles (fournitures d’armes aux Contras ; bombardements ciblés ; création d’une zone de non-survol ; mise en place de zones tampons ; et invasion terrestre).

    La presse atlantiste appelle à la guerre. Le Times de Londres l’annonce.

    Le président Barack Obama pourrait ainsi suivre le plan de guerre établi par son prédécesseur George W. Bush, le 15 septembre 2001, qui prévoyait, outre les attaques de l’Afghanistan et de l’Irak, celles de la Libye et de la Syrie, ainsi que l’a révélé l’ancien commandeur de l’Otan, le général Wesley Clark [2]. Sauf que, pour la première fois, la cible dispose d’alliances sérieuses.

    Toutefois, la nouvelle rhétorique US contredit l’ensemble des efforts de l’administration Obama depuis un an qui s’est appliquée à éliminer les obstacles à la tenue de la conférence de Genève 2 : démission du général David Petraeus et des partisans de la guerre secrète ; non-renouvellement du mandat d’Hillary Clinton et des ultra-sionistes ; mise en examen des opposants irréductibles à une alliance avec la Russie, notamment au sein de l’Otan et du Bouclier antimissiles. Il contredit également les efforts de John Brennan de provoquer des affrontements au sein de l’opposition armée syrienne ; d’exiger l’abdication de l’émir de Qatar ; et de menacer l’Arabie saoudite.

    Côté syrien, on se prépare autant que se peut à toute éventualité, y compris un bombardement par l’Otan contre les centres de commandement et les ministères coordonné à un assaut des jihadistes contre la capitale. Cependant, l’option la plus probable n’est pas le déclenchement d’une guerre régionale qui déborderait les puissances occidentales. C’est une attaque, à l’automne, supervisée par l’Arabie saoudite, et endossée par les combattants qu’elle recrute actuellement. Éventuellement, cette opération pourrait être soutenue par la Ligue arabe.

    [1] Le relevé des décisions de cette réunion comprend une longue liste de cibles et les moyens qui leurs sont attribués. Un alinéa prévoyait d’envoyer un commando m’éliminer à l’hôtel Radisson où je résidais. Cependant, lors de l’attaque, je me trouvais au Centre de presse de l’hôtel Rixos.

    [2] Ce plan prévoit de détruire également le Liban, puis le Soudan et la Somalie et de finir avec l’Iran.

  • Notes sur deux résistants antiSystème

    Ex: http://www.dedefensa.org
    Nous devons savoir et croire qu’à côté de l’exposé permanent des détails monstrueux de la menace qui pèse sur nous, avec la monstrueuse NSA notamment, ceux qui luttent contre cette menace avec un “rendement” inimaginable dans son rapport moyens-efficacité méritent bien autant, et même bien plus, d’être l’objet de notre attention. L’efficacité de leur action, leur courage, leur professionnalisme, leur habileté face au Système, constituent autant de motifs irrésistibles d’espoir dans l’accélération très rapide de l’effondrement du Système. Ces “héros de la Résistance”, bien connus ou parfois ignorés, sont non seulement un exemple du point de vue humain, mais encore plus un exemple du point de vue opérationnel. Ils démontrent l’extraordinaire vulnérabilité du Système, et, en quelque sorte, son espèce très particulière de bêtise, étrangement lié à la chose, donc aussi monstrueuse que la taille de la chose... (Parole de René Guénon, à toujours avoir à l’esprit : « On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature… »)
    Nous allons prendre comme référence solide et “diluvienne” en un sens, avec nombre de citations, un article d’une longueur considérable de Peter Maass, journaliste indépendant et auteur, que nous ne qualifierions pas de “dissident” complètement, mais qui n’est pas si loin de l’être. Maass a publié très récemment une interview de Edward Snowden dans le New York Times Magazine (voir notre texte du 16 août 2013), et c’est également dans ce NYTM du 18 août 2013 qu’est publié ce très long article sur le “couple” Greenwald-Poitras, mais surtout sur Laura Poitras.
    La bohème Greenwald-Poitras au travail
    Laura Poitras, cinéaste de films documentaires dont la substance est clairement antiSystème, qui a reçu de nombreuses récompenses et nominations pour ses travaux, est la cheville ouvrière de l’affaire Snowden, et peut-être la stratège de cette affaire, le deus ex machina. Bien qu’il soit inapproprié de proposer ce qui pourrait se rapprocher d’un classement entre Poitras et Greenwald, qu’il est bien préférable parce qu’honorable de les mettre côte-à-côté sans trancher là où il n’y a rien à trancher, il reste que Poitras apparaît, par ses méthodes, ses extraordinaires connaissances en matière de sécurité informatique, son comportement vis-à-vis des moyens d’identification et de répression du Système, beaucoup plus comme une résistante au sens opérationnel du terme que Glenn Greenwald. Il s’agit bien là d’un constat à la fois opérationnel et technique, et nullement d’un jugement de valeur sur leurs psychologies et leur engagements réciproques.
    L’extrait ci-dessous, qui met en scène aussi bien ces rapports entre Poitras et Greenwald, que la “base opérationnelle” de Greenwald à Rio-de-Janeiro, rend compte d’une situation insolite par un autre aspect. Cette “base”, l’habitation où Greenwald, qui est homosexuel, vit avec son compagnon, dans un environnement qui a toutes les allures d’une jungle, avec dix chiens dissipés et un chat philosophe, ressemble à une sorte de bohème qui serait aussi une installation rudimentaire de résistance. Il y a à la fois du hippy et du Paul Léautaud (pour l’esprit de la chose et les animaux) dans la description de ce chaos domestique, parcouru par les hordes d’animaux, avec Greenwald en T-shirt, devant son ordinateur, qui hurle par instant pour obtenir un peu de silence dans ce contexte jacassant. C’est pourtant là que s’élaborent la stratégie et la tactique de la plus formidable opération antiSystème jamais réalisée, mettant en jeu une technicité et des technologies d’une extraordinaire puissance et qui demande des capacités tout aussi extraordinaires. (Il y a dans cette description presque candide d'une sorte de clandestinité connue de tous et ainsi exposée à tous, le paradoxe fondamental de la lutte à ciel ouvert, et nécessairement à ciel ouvert pour bénéficier de l'apport de la communication, de l'antiSystème contre le Système.)
    Dans la jungle, avec dix chiens et un chat
    « Greenwald lives and works in a house surrounded by tropical foliage in a remote area of Rio de Janeiro. He shares the home with his Brazilian partner and their 10 dogs and one cat, and the place has the feel of a low-key fraternity that has been dropped down in the jungle. The kitchen clock is off by hours, but no one notices; dishes tend to pile up in the sink; the living room contains a table and a couch and a large TV, an Xbox console and a box of poker chips and not much else. The refrigerator is not always filled with fresh vegetables. A family of monkeys occasionally raids the banana trees in the backyard and engages in shrieking battles with the dogs.
    « Greenwald does most of his work on a shaded porch, usually dressed in a T-shirt, surfer shorts and flip-flops. Over the four days I spent there, he was in perpetual motion, speaking on the phone in Portuguese and English, rushing out the door to be interviewed in the city below, answering calls and e-mails from people seeking information about Snowden, tweeting to his 225,000 followers (and conducting intense arguments with a number of them), then sitting down to write more N.S.A. articles for The Guardian, all while pleading with his dogs to stay quiet. During one especially fever-pitched moment, he hollered, “Shut up, everyone,” but they didn’t seem to care.
    « Amid the chaos, Poitras, an intense-looking woman of 49, sat in a spare bedroom or at the table in the living room, working in concentrated silence in front of her multiple computers. Once in a while she would walk over to the porch to talk with Greenwald about the article he was working on, or he would sometimes stop what he was doing to look at the latest version of a new video she was editing about Snowden. They would talk intensely - Greenwald far louder and more rapid-fire than Poitras - and occasionally break out laughing at some shared joke or absurd memory. The Snowden story, they both said, was a battle they were waging together, a fight against powers of surveillance that they both believe are a threat to fundamental American liberties.
    « Two reporters for The Guardian were in town to assist Greenwald, so some of our time was spent in the hotel where they were staying along Copacabana Beach, the toned Brazilians playing volleyball in the sand below lending the whole thing an added layer of surreality. Poitras has shared the byline on some of Greenwald’s articles, but for the most part she has preferred to stay in the background, letting him do the writing and talking. As a result, Greenwald is the one hailed as either a fearless defender of individual rights or a nefarious traitor, depending on your perspective. “I keep calling her the Keyser Soze of the story, because she’s at once completely invisible and yet ubiquitous,” Greenwald said, referring to the character in “The Usual Suspects” played by Kevin Spacey, a mastermind masquerading as a nobody. “She’s been at the center of all of this, and yet no one knows anything about her.”
    « As dusk fell one evening, I followed Poitras and Greenwald to the newsroom of O Globo, one of the largest newspapers in Brazil. Greenwald had just published an article there detailing how the N.S.A. was spying on Brazilian phone calls and e-mails. The article caused a huge scandal in Brazil, as similar articles have done in other countries around the world, and Greenwald was a celebrity in the newsroom. The editor in chief pumped his hand and asked him to write a regular column; reporters took souvenir pictures with their cellphones. Poitras filmed some of this, then put her camera down and looked on. I noted that nobody was paying attention to her, that all eyes were on Greenwald, and she smiled. “That’s right,” she said. “That’s perfect.” »
    L’apprentissage de résistante de Laura Poitras
    Pour une cinéaste qui voyage beaucoup, l’existence de Laura Poitras depuis au moins 9/11 est un calvaire du point de vue de ses déplacements. Elle a été placée sur une “liste sélective” de suspects, juste en-dessous de la liste des personnes interdites de vol. (Un agent de sécurité compatissant lui a indiqué un jour : « You’re flagged. You have a threat score that is off the Richter scale. You are at 400 out of 400. ») Elle a renoncé à tenir la comptabilité des occurrences où elle a été retenue pendant deux, trois heures, interrogée par des groupes musclés et obtus de la sécurité des aéroports US, avec son matériel saisi, interdiction de prendre des notes puisque un stylo est considéré comme une arme, etc., – mais le nombre de ces “incidents” dépasse au moins la quarantaine.
    « “It’s a total violation,” Poitras said. “That’s how it feels. They are interested in information that pertains to the work I am doing that’s clearly private and privileged. It’s an intimidating situation when people with guns meet you when you get off an airplane.”
    « Though she has written to members of Congress and has submitted Freedom of Information Act requests, Poitras has never received any explanation for why she was put on a watch list. “It’s infuriating that I have to speculate why,” she said. “When did that universe begin, that people are put on a list and are never told and are stopped for six years? I have no idea why they did it. It’s the complete suspension of due process.” She added : “I’ve been told nothing, I’ve been asked nothing, and I’ve done nothing. It’s like Kafka. Nobody ever tells you what the accusation is.” »
    Au long de ces années d’“expérience”, Poitras a donc appris à prendre ses précautions. Avant un déplacement aérien, elle confie son ordinateur à un compagnon de voyage si compagnon compatissant et complice il y a, elle laisse ses notes chez des amis ou dans des consignes, elle débarrasse son matériel électronique de toute information de quelque intérêt que ce soit, ou bien les encrypte pour les rendre inaccessibles aux services de sécurité. Il faut compter qu’un voyage lui demande un à deux jours de préparation pour prendre toutes ces précautions. Ainsi est-elle devenue une exceptionnelle experte des mesures de sécurité, aussi bien dans le comportement que dans le maniement et l’usage du matériel informatique.
    Contact avec Snowden
    Cette expérience dans les matières de sécurité a conduit Poitras a tenir effectivement un rôle central dans les premiers contacts puis les relations avec Snowden. Ses propres relations avec Greenwald avaient été établies après que le journaliste US, alors à Salon.com, avait publié un article sur le harcèlement sécuritaire dont elle faisait l’objet dans les aéroports. Snowden avait lu cet article et savait que Poitras travaillait sur un documentaire, dernier d’une trilogie qu’elle réalise depuis 2007 (les deux premiers documentaires achevés et primés), et celui-là spécifiquement sur les programmes de surveillance du gouvernement, - dont la NSA au premier rang, certes. Après un premier contact infructueux avec Greenwald, Snowden décida de contacter Poitras
    « In April [2013], Poitras e-mailed Greenwald to say they needed to speak face to face. Greenwald happened to be in the United States, speaking at a conference in a suburb of New York City, and the two met in the lobby of his hotel. “She was very cautious,” Greenwald recalled. “She insisted that I not take my cellphone, because of this ability the government has to remotely listen to cellphones even when they are turned off. She had printed off the e-mails, and I remember reading the e-mails and felt intuitively that this was real. The passion and thought behind what Snowden - who we didn’t know was Snowden at the time - was saying was palpable.”
    « Greenwald installed encryption software and began communicating with the stranger. Their work was organized like an intelligence operation, with Poitras as the mastermind. “Operational security - she dictated all of that,” Greenwald said. “Which computers I used, how I communicated, how I safeguarded the information, where copies were kept, with whom they were kept, in which places. She has this complete expert level of understanding of how to do a story like this with total technical and operational safety. None of this would have happened with anything near the efficacy and impact it did, had she not been working with me in every sense and really taking the lead in coordinating most of it.”»
    Rencontre d’un “freluquet de 29 ans”
    La rencontre de Snowden met en évidence deux choses : la globalisation de la résistance avec ces trois citoyens US se déplaçant dans tous les sens, se rencontrant finalement à Hong Kong après des échanges à partir de diverses parties du monde, et ensuite eux-mêmes évoluant dans des pays étrangers, intervenant dans des médias non-US, etc... Et aussi, toujours avec le cas de Snowden, la jeunesse de cette résistance globalisée, avec ce “freluquet de 29 ans” (rencontre avant son anniversaire) qui en paraît à peine 20, que Greenwald-Poitras découvrent avec stupeur comme une sorte d’adolescent attardé porteur de certains des secrets les plus lourds du Système. Ils s’attendaient à voir un personnage d’entre 40 et 60 ans, chargé d’ans et d’expérience...
    La rencontre, l’arrangement et les circonstances diverses font douter grandement de deux choses : 1) de la capacité du Système de paralyser la résistance en la parcellisant, en l’emprisonnant par des interventions de surveillance constantes sur les communications électroniques autant que physiques ; et 2) de l’argument de ceux qui jugent que le Système a suffisamment formaté les jeunes générations pour boucler tout notre avenir dans le “Goulag électronique global”... Assange, Manning, Snowden, - faites la moyenne d’âge des trois “whistleblower” les plus fameux et les plus efficaces de la Résistance, et concluez quelle généralisation l’on peut faire à propos de telle ou telle génération. (Ajoutez-y, si vous le voulez, l’enthousiasme extraordinaire soulevé chez les jeunes et les étudiants par la candidature de Ron Paul en 2012...) La jeunesse actuelle n’est pas plus vertueuse que les précédentes, mais elle n’est pas plus conditionnée non plus, – mais elle maîtrise suffisamment les techniques de communication pour envisager des coups tels que celui de Snowden.
    « There, they were to wait until they saw a man carrying a Rubik’s Cube, then ask him when the restaurant would open. The man would answer their question, but then warn that the food was bad. When the man with the Rubik’s Cube arrived, it was Edward Snowden, who was 29 at the time but looked even younger. “Both of us almost fell over when we saw how young he was,” Poitras said, still sounding surprised. “I had no idea. I assumed I was dealing with somebody who was really high-level and therefore older. But I also knew from our back and forth that he was incredibly knowledgeable about computer systems, which put him younger in my mind. So I was thinking like 40s, somebody who really grew up on computers but who had to be at a higher level.” [...]
    « “It’s an incredible emotional experience,” she said, “to be contacted by a complete stranger saying that he was going to risk his life to expose things the public should know. He was putting his life on the line and trusting me with that burden. My experience and relationship to that is something that I want to retain an emotional relation to.” Her connection to him and the material, she said, is what will guide her work. “I am sympathetic to what he sees as the horror of the world [and] what he imagines could come. I want to communicate that with as much resonance as possible. If I were to sit and do endless cable interviews - all those things alienate me from what I need to stay connected to. It’s not just a scoop. It’s someone’s life.”»
    L’action antiSystème oblige à réviser le sens des “valeurs”
    Ces diverses précisions sur ces deux personnages, sur les contacts établis avec Snowden, etc., nous introduisent dans un nouveau monde du journalisme, où le mot de “journalisme” n’a d’ailleurs plus grand sens, où il faut s’en garder comme de la peste pour ses connexions incestueuses avec le Système (presse-Système)... Nous y sommes, finalement : il ne s’agit pas de journalistes, ni de reporteurs, ou bien il nous faut changer le sens des mots. Dans cette époque où le système de la communication est devenu le champ de la principale bataille, et d’une bataille sans merci et sans exemple avec cette entité nommée Système, - cette entité constitutive sans aucun doute pour nous d’une intention délibérée de destruction du monde comme jamais aucune force historique n’en a manifesté l’intention, au point où il faut la mettre dans le champ métahistorique, - dans un tel monde et dans le champ de la communication, il n’y a plus ni journaliste ni reporteur... Il y a des collaborateurs au sens de “collabos” (et l’on voit les “collabos” de qui il s’agit) et il y a des “résistants”.
    Ainsi vivent-ils et agissent-ils comme des résistants, les Greenwald-Poitras & Cie. Ils sont toujours en mouvement, incroyablement sophistiqués dans leurs actions et la sécurité dont ils se protègent, mais sachant aussi bien dans un degré de sophistication dans la contre-sophistication, se priver de ceux des moyens de sophistication dont nous sommes prisonniers dans le chef du Système. (Cette attention systématique de Poitras de ne pas utiliser de téléphone portable, même fermé et verrouillé, parce que aisément repérable par GPS.) Ils se battent comme les plus expérimentés des terroristes de la G4G dans le sens le plus général (ici, celui de l’internet), eux-mêmes combattants de la G4G engagée contre le Système. Ils se déclarent d’ailleurs (Greenwald surtout dans des déclarations, Poitras plus discrète à cet égard, mais significative, elle, dans ses actes) comme des “journalistes” absolument non-objectifs selon le sens que le Système donne au concept d’“objectivité”, à son avantage et pour nous emprisonner dans la prison de ses “valeurs”... (On en verra plus loin là-dessus.)
    Dans la citation ci-dessous, on trouve des considérations décisives quant à leur comportement, leur souplesse d’action par rapport aux médias dont ils dépendent (voir leur réaction devant les hésitations de Guardian à les suivre, - ce qui en dit tout autant sur le Guardian, qui finalement a suivi, et qui est finalement bien plus dépendant de Greenwald que Greenwald n’est dépendant de lui)
    Scènes d’opérationnalisation de la Résistance
    « Poitras and Greenwald are an especially dramatic example of what outsider reporting looks like in 2013. They do not work in a newsroom, and they personally want to be in control of what gets published and when. When The Guardian didn’t move as quickly as they wanted with the first article on Verizon, Greenwald discussed taking it elsewhere, sending an encrypted draft to a colleague at another publication. He also considered creating a Web site on which they would publish everything, which he planned to call NSADisclosures. In the end, The Guardian moved ahead with their articles. But Poitras and Greenwald have created their own publishing network as well, placing articles with other outlets in Germany and Brazil and planning more for the future. They have not shared the full set of documents with anyone. [...]
    « Unlike many reporters at major news outlets, they do not attempt to maintain a facade of political indifference. Greenwald has been outspoken for years; on Twitter, he recently replied to one critic by writing : “You are a complete idiot. You know that, right?” His left political views, combined with his cutting style, have made him unloved among many in the political establishment. His work with Poitras has been castigated as advocacy that harms national security. “I read intelligence carefully,” said Senator Dianne Feinstein, chairwoman of the Senate Intelligence Committee, shortly after the first Snowden articles appeared. “I know that people are trying to get us.... This is the reason the F.B.I. now has 10,000 people doing intelligence on counterterrorism.... It’s to ferret this out before it happens. It’s called protecting America.”
    « Poitras, while not nearly as confrontational as Greenwald, disagrees with the suggestion that their work amounts to advocacy by partisan reporters. “Yes, I have opinions,” she told me. “Do I think the surveillance state is out of control? Yes, I do. This is scary, and people should be scared. A shadow and secret government has grown and grown, all in the name of national security and without the oversight or national debate that one would think a democracy would have. It’s not advocacy. We have documents that substantiate it.”
    « Poitras possesses a new skill set that is particularly vital - and far from the journalistic norm - in an era of pervasive government spying : she knows, as well as any computer-security expert, how to protect against surveillance. As Snowden mentioned, “In the wake of this year’s disclosure, it should be clear that unencrypted journalist-source communication is unforgivably reckless.” A new generation of sources, like Snowden or Pfc. Bradley Manning, has access to not just a few secrets but thousands of them, because of their ability to scrape classified networks. They do not necessarily live in and operate through the established Washington networks - Snowden was in Hawaii, and Manning sent hundreds of thousands of documents to WikiLeaks from a base in Iraq. And they share their secrets not with the largest media outlets or reporters but with the ones who share their political outlook and have the know-how to receive the leaks undetected.
    « In our encrypted chat, Snowden explained why he went to Poitras with his secrets : “Laura and Glenn are among the few who reported fearlessly on controversial topics throughout this period, even in the face of withering personal criticism, [which] resulted in Laura specifically becoming targeted by the very programs involved in the recent disclosures. She had demonstrated the courage, personal experience and skill needed to handle what is probably the most dangerous assignment any journalist can be given - reporting on the secret misdeeds of the most powerful government in the world - making her an obvious choice.”»
    L’objectivité de l’antiSystème
    Comme on l’a lu ci-dessus, ces “journalistes” ne sont pas du type dont on louerait l’objectivité. Greenwald fait, de ce point de vue, l’objet de nombreuses attaques de ses confrères férus de la vertu d’“objectivité” selon les critères du Système. La question est de savoir ce que viennent faire précisément dans cette bataille suprême ces “valeurs”, dont la fameuse “objectivité” telle qu’elle est entendue en général fait partie, alors qu’on sait combien leur manifestation dans les règles et sous le contrôle du Système ne peut avoir comme effet que de rouler pour le Système. C’est qu’alors, pour bien comprendre la chose, il faut s’employer à redéfinir les concepts.
    La définition de l’“objectivité” est multiple. Il est inutile de se compliquer la tâche, parce que nous sommes ici dans des situations simples. On retiendra, du Wikipédia, deux versions de la définition de l’objectivité. En philosophie, «[L’]on entend habituellement par objectivité d'un objet ce en quoi consiste la réalité de cet objet. [...] Entendue au sens métaphysique d’une réalité de l'objet, l'objectivité s'oppose soit à ce qui n'est qu'apparence, illusion, fiction... [...]
    « Dans le domaine de l'information et du journalisme, l'objectivité est un idéal difficilement atteint par les contraintes extérieures (économie, argent, pression). De ce fait, la manière dont les informations sont traitées, mais aussi du choix des informations traitées et de l'importance relative qui leur est accordée dépend de l'indépendance et du savoir de la source. Il est outre difficile pour le journaliste, comme pour tout rédacteur, de s'abstraire d'un certain nombre d'influences liées à son milieu, son éducation, son pays d'origine, etc. Mais, le journaliste, en tant que professionnel, est dans le devoir de faire abstraction de toute contrainte extérieure, pour que l'information soit aussi proche que possible de la vérité. »
    On observera que dans le deuxième cas (celui du journalisme), le mot “vérité” est employé, alors que le mot “réalité” est utilisé dans l’extrait de la conception philosophique et métaphysique. La situation que nous envisageons implique que le mot “vérité” doit être impérativement utilisé dans le cas métaphysique, au détriment du mot “réalité”, qui doit être rejeté. En effet, dans tous ces cas, l’“objet“ de l’observation et de la réflexion (métaphysique) ou de l’information (journalisme) n’est pas autre chose que le Système qui est l’objet-absolu par définition dans notre époque, et le seul objet digne d’observation, et qui représente une vérité ultime dans le sens le plus bas, le plus maléfique possible, comme représentation du Mal. Cet “objet”, qui est bien entendu l’ennemi totalitaire de la vérité, représente donc et paradoxalement une vérité lorsqu’il est justement identifié, et lui-même étant la démonstration du contraire de ce qu’il entend nous faire penser en refusant absolument la vérité. (Il nous démontre par son existence même que la vérité existe, qui est son aspect maléfique absolu, alors que sa production veut nous imposer absolument l’inexistence de la vérité.) Devant la simplicité et l’évidence de cette situation qui dicte la voie de la vérité (de l’“objectivité” dans ce cas), il ne saurait être question d’autre chose que de se battre par tous les moyens possibles et avec toute l’habileté possible contre lui, - et le meilleur de ces moyens étant de retourner contre lui sa propre force (Sun Yi), ce qu’ils (nos résistants en question) font avec un art consommé...
    L’argument dérisoire de l’absence d’“objectivité” par absence de respect des règles de la définition habituelle du mot selon des valeurs que le Système instrumente à son avantage ne mérite même pas un instant d’attention, y compris pour sa réfutation. Mais l’“objectivité” telle que nous l’avons re-définie dans ce cas n’est pas non plus ni engagement, ni choix partisan ou idéologique selon les références classiques des batailles intraSystème ; elle est l’évidence de l’acte à accomplir, de la bataille antiSystème. Par conséquent, Greenwald et Poitras, lorsqu’ils luttent, résistant offensivement contre le Système comme ils font, représentent la vertu même de l’objectivité en tant que mise à nu de la vérité, de la nature absolument perverse et maléfique du Système. Cet acte n’est même pas volontaire ni calculé, ni nécessairement conscient, il est naturel, il les dépasse littéralement, montrant ainsi combien la Résistance est une activité qui correspond à la nature impérative des choses et du monde, avec les affrontements impératifs qui vont avec, dans cette époque de crise catastrophique et d’effondrement du Système.
    L’énigme du Système
    La fin de l’article nous dévoile encore plus combien ces deux aventuriers de cette sorte si spécifique de la G4G antiSystème acquièrent la conscience qu'il y a une énigme au bout de leur mission telle que nous avons tenté de la décrire. Dans leurs dernières réflexions, chez eux qui, à l’instar de Snowden, ont sacrifié le reste de leur vie selon des normes de tranquillité et de stabilité, on trouve en effet une volonté de la recherche de la compréhension de l’abysse insondable qu’est le Système. Greenwald-Poitras ont la sensation effectivement de se trouver devant un mystère qu’il tentent de déchiffrer ; point d’affirmations, comme si souvent chez nos chroniqueurs ainsi assez éloignés du véritable esprit de la Résistance, sur les divers “complots“ en cours, sur les élites qui nous manipulent depuis un ou deux millénaires, sur la rationalité planificatrice de ceux qui nous dirigent, sur leurs manigances arrangés depuis si longtemps et avec une telle maestria.
    Au contraire, chez eux le respect de la vérité qui reste encore à trouver devant ce monstre qui est à première vue incompréhensible dans sa démarche de déconstruction et de dissolution... Greenwald-Poitras ont la sensation de détenir une clef du mystère, mais ils ne prétendent pas pour autant comprendre ce mystère ; il leur faudrait ouvrir la porte, et peut-être qu’une seule clef ne suffirait pas, et ils ne prétendent pas savoir ce qu’il y a derrière la porte avant de l’avoir ouverte, s'ils y parviennent. On sent qu’il y a chez eux l’intuition qu’il se pourrait bien que les explications humaines soient insuffisantes. La Résistance bronze les âmes.
    Pour le reste, les deux sont comme celui avec qui ils ont sorti cet énorme crise Snowden/NSA. Comme Snowden, ils ont accepté de bouleverser leurs vies.
    « Poitras smiled [...] She is not as expansive or carefree as Greenwald, which adds to their odd-couple chemistry. She is concerned about their physical safety. She is also, of course, worried about surveillance. “Geolocation is the thing,” she said. “I want to keep as much off the grid as I can. I’m not going to make it easy for them. If they want to follow me, they are going to have to do that. I am not going to ping into any G.P.S. My location matters to me. It matters to me in a new way that I didn’t feel before.”
    « There are lots of people angry with them and lots of governments, as well as private entities, that would not mind taking possession of the thousands of N.S.A. documents they still control. They have published only a handful - a top-secret, headline-grabbing, Congressional-hearing-inciting handful - and seem unlikely to publish everything, in the style of WikiLeaks. They are holding onto more secrets than they are exposing, at least for now. “We have this window into this world, and we’re still trying to understand it,” Poitras said in one of our last conversations. “We’re not trying to keep it a secret, but piece the puzzle together. That’s a project that is going to take time. Our intention is to release what’s in the public interest but also to try to get a handle on what this world is, and then try to communicate that.”
    « The deepest paradox, of course, is that their effort to understand and expose government surveillance may have condemned them to a lifetime of it. “Our lives will never be the same,” Poitras said. “I don’t know if I’ll ever be able to live someplace and feel like I have my privacy. That might be just completely gone.”»
    La légitimité de la Résistance
    Ce long article vaut bien des analyses rationnelles des experts, y compris et particulièrement ceux qui se croient critiques du Système. Par leur parcours, les résistants Greenwald-Poitras alimentent pour nous un certain nombre d’hypothèses que nous avons toujours favorisées.
    • Le Système est à la fois d’une puissance extraordinaire et d’un aveuglement à mesure, suivant par ce moyen l’équation surpuissance autodestruction. Sa surveillance est de chaque instant, mais elle s’exerce dans le vide, sans savoir pourquoi elle existe ni ce qu’elle cherche, avec une sorte d’aveuglement massif, presque obèse et certainement obscène, sans se soucier des effets et des dégâts, y compris pervers et contre-productifs. La bêtise du Système est une sorte de chef d’œuvre du domaine. Sa kolossal surveillance alerte celui qui est l’objet de cette surveillance si cette surveillance est justifiée dans son chef, ou bien elle le radicalise dans la résistance si cette surveillance n’est pas justifiée dans son chef. On peut dire que c’est le harcèlement automatisé du Système (Poitras est sur telle liste, Poitras est soumise au même traitement à chaque débarquement sur un aéroport US) qui a aguerri Poitras, qui l’a préparée à effectuer l’opération la plus délicate d’établir le contact avec Snowden, puis l’exploitation de ce contact, – en même temps que la contrainte qui lui était imposée formait sa psychologie à alimenter dans son esprit une philosophie de résistance antiSystème implacable.
    • La G4G, puisqu’on peut utiliser cette formule en l’occurrence, est une méthode universelle... On voit dans ce cas l’adaptation d’acteurs du drame à l’origine éminemment occidentalisés, sinon américanisés du bloc BAO, à une technique guerrière qui réfute la logique du Système dominant le bloc BAO. Cette adaptation favorise notamment l’exploitation de tous les attributs de la puissance du Système, pour sélectionner ceux qui lui sont favorables et les utiliser à son avantage, et pour sortir du contexte où évoluent ceux qui lui sont défavorables et retrouver des techniques surannées mais invisibles au monstre. La “guerrière” G4G Poitras est devenue une artiste incomparable de l’encryptage d’une part, mais elle se garde bien de transporter un téléphone portable et elle communique de la main à la main les email importants tirés sur papier plutôt que les expédier tels quels à Greenwald. La Résistance s’adapte d’instinct, sinon d’intuition et dans tous les cas d’expérience, à l’orientation qu’il faut donner à l’utilisation de tout ce technologisme qu’elle combat au fond, jusqu’à une utilisation qui est l’inversion même du technologisme ; elle fait de même avec la communication, dont elle use également de façons radicalement opposée selon les circonstances, toujours avec la même capacité d’adaptation. La résistance antiSystème réduit les deux piliers du Système à des outils dont il est si aisé de comprendre qu’on peut en obtenir ce qui importe si l’on est parvenu à donner un sens à l’action qu’on a entreprise.
    • La tactique principale de l’antiSystème est nécessairement d’utiliser la force du Système contre le Système (Sun Tzu), ou de retourner la force du Système contre le Système. (Le 2 juillet 2012 : « L’opérationnalité de la résistance antiSystème se concentre naturellement dans l’application du principe fameux, et lui-même naturel, de l’art martial japonais aïkido : “retourner la force de l'ennemi contre lui...”, - et même, plus encore pour notre cas, “aider la force de cet ennemi à se retourner naturellement contre lui-même”, parce qu’il est entendu, selon le principe d’autodestruction, qu’il s’agit d’un mouvement “naturel”.») Le résultat est cet effet colossal, - en langage normal, dans ce cas, - de trois individus aussi insaisissables que des anguilles bien qu’ils évoluent en pleine lumière, qui tiennent dans leurs mains la formule à peine secrète d’un bouleversement à l’échelle de la toute-puissance du Système, et disposent d’assez d’énergie intelligente pour déclencher la dynamique qui va susciter ce bouleversement. Il ne s’agit pas de développer une force considérable et nécessairement aveugle, comme fait le Système, mais simplement de faire pression sur les quelques points vitaux ici et là, d’utiliser avec clairvoyance et régularité les documents disponibles (combien ? Trente, quarante déjà publiés sur des milliers qui attendent comme une énorme épée de Damoclès postmoderne), comme une cascade diluvienne mais contrôlée, d’ainsi obtenir par ces piqûres successives un effet de contrainte psychologique sur le monstre qui tonne, enrage, éclate de fureur aveugle, expose sa monstrueuse impuissance, jusqu’à des effets de rupture enchaînant les conséquences de sa propre déstabilisation.
    La Résistance connaît bien son Gulliver. Elle ne l’enchaîne pas, certes pas, elle lui donne au contraire toutes les occasions possibles de se déchaîner et de montrer son vrai visage en brisant tout, en se découvrant dans toute sa fureur nihiliste. Le reste suit, comme un tricot se défait, en se détricotant par conséquent. Il y a, perceptibles dans l’article sur la fin, des moments de joyeuse complicité et même d’ironie jubilante entre Poitras et Greenwald. Ils sont, avec le freluquet-Snowden et d’autres compagnons de la même eau, des résistants qui devinent, s’ils ne le savent, qu’ils ont de leur côté le puissant adoubement de quelques principes fondamentaux. Ils sont légitimes. Salut aux héros de notre temps postmodernes, qui sauvegardent pour l’avenir le cimier principiel qui est nécessaire pour que ce qu’on nomme une civilisation le soit vraiment, et non l'imposture qui nous est offerte présentement.
    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2013/08/23/temp-d501abe1e78d4f4f36396b5055aad504-5146240.html

  • Guerre Iran-Irak : les États-Unis coupables de complicité de crimes de guerre et de complicité de génocide

    1980 : mécontent de la tournure que prend la Révolution islamique (avec en point d’orgue la prise en otage du personnel de l’ambassade des États-Unis à Téhéran) et de ses conséquences géopolitiques, Washington rompt ses relations diplomatiques et instaure des sanctions économiques contre l’Iran.

    Le projet de conquête par Saddam Hussein des champs de pétrole du Khuzestan en territoire iranien enthousiasme les États-Unis, qui y voient de nombreux avantages. Pendant que les deux nations s’épuiseront dans une lutte implacable, elles ne s’occuperont pas des projets d’Israël et de l’Oncle Sam au Moyen-Orient... C’est aussi une opportunité de vente massive d’armes aux deux camps [1].

    En septembre 1980, Saddam Hussein donne l’ordre à son armée de pénétrer en Iran. C’est en 1983 que celle-ci procède à l’utilisation de l’arme chimique sur le front, en la combinant avec des tirs d’artillerie conventionnelle pour masquer son usage.

    Reagan et son administration sont parfaitement au courant de l’existence d’usines de fabrication de gaz moutarde ou de gaz sarin, et de l’achat d’équipement, facilitant la production d’obus pouvant contenir des agents neurotoxiques, à des fournisseurs italiens.

    « Les Irakiens ne nous ont jamais dit qu’ils avaient l’intention d’utiliser un gaz neurotoxique. Ils n’avaient pas besoin de le faire. Nous savions déjà  [2].

    Déclaration du colonel de l’US Air Force en retraite Rick Francona (ayant servi pour la NSA, la DIA, la CIA au Vietnam, au Laos et au Moyen-Orient).

    L’Iran tente, en vain, d’alerter l’opinion publique sur ces attaques chimiques.

    « Au fur et à mesure que les attaques irakiennes se poursuivent et s’intensifient, les chances augmentent de voir les forces iraniennes mettre la main sur un obus au gaz moutarde non-explosé et portant des marques de fabrication irakienne. Téhéran présentera de telles preuves devant l’ONU et accusera les États-Unis de complicité de violation de lois internationales  [3].

    Rapport top secret de la CIA de novembre 1983.

    Saddam Hussein (tout comme les « combattants de la liberté » afghans qui luttent contre l’Armée rouge) est alors dans le camp du « Bien ». Les médias ne se mobiliseront que pour dénoncer l’usage de ces armes... par l’Union soviétique en Afghanistan.

    Bien que l’utilisation du gaz de combat ne permette pas de remporter une victoire décisive, elle est un moyen de contrer la stratégie iranienne, inspirée des Soviétiques, de vagues d’assauts successives de fantassins.

    En 1987, l’état-major iranien aperçoit une faille dans le dispositif militaire irakien à la hauteur de la ville de Bassorah. Le cours de la guerre risque de basculer au profit de Téhéran. Ronald Reagan informe ses collaborateurs, à la lecture du rapport de la CIA à ce sujet qu’« une victoire de l’Iran est inacceptable ».

    Fort des informations livrées par le Pentagone, l’armée irakienne déjoue le projet d’offensive décisive de l’Iran et lance quatre attaques chimiques de grande envergure pour affaiblir ses adversaires.

    Du 16 au 19 mars 1988, La dernière de ces attaques aura pour cible la ville d’Halabja, dont vient de s’emparer l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), allié de la République islamique. Le bombardement massif de la ville, sur ordre du général Ali Hassan al-Majid (dit « Ali le Chimique »), fera près de 5 000 morts, victimes d’un mélange de gaz moutarde et des neurotoxiques Tabun, Sarin et VX [4].

    Le 22 juillet 1988, un cessez-le-feu entre en vigueur entre les deux belligérants, épuisés par 8 ans de guerre.

    http://www.egaliteetreconciliation.fr/Guerre-Iran-Irak-les-Etats-Unis-coupables-de-complicite-de-crimes-de-guerre-et-de-complicite-de-19780.html

    Notes

    [1] La vente d’arme à l’Iran servira à financer la lutte contre-révolutionnaire des Contras au Nicaragua.

    [2] http://www.huffingtonpost.com/2013/08/26/us-gave-iraq-intel-ignored-chemical-attacks_n_3817868.html

    [3] http://www.huffingtonpost.com/2013/08/26/us-gave-iraq-intel-ignored-chemical-attacks_n_3817868.html

    [4] Une vingtaine de victimes de cette attaque ont porté plainte contre X en juin 2013 à Paris pour « génocide et crimes contre l’humanité » à l’encontre d’entreprises françaises, qui auraient une part de responsabilité dans la fourniture de matériel ayant faciliter la production de gaz de combat.