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géopolitique - Page 858

  • La pensée stratégique russe : guerre tiède sur l’échiquier eurasien. Les révolutions arabes, et après ?

    La pensée stratégique russe : guerre tiède sur l’échiquier eurasien. Les révolutions arabes, et après ? « Ce livre montre bien à quel point les dirigeants occidentaux, en commençant par ceux des États-Unis, ont eu tort de croire qu’avec l'effondrement de l'URSS, la Russie elle-même à son tour disparaîtrait de la scène mondiale en tant qu'acteur majeur. »

    Andreï Gratchev
    Dernier porte-parole et conseiller de Mikhaïl Gorbatchev

    Pourquoi cette seconde édition, sous-titrée : « Les Révolutions arabes, et après ? » ?

    Je voulais expliquer la spécificité de la position russe sur la scène internationale, au regard de l’évolution géopolitique récente accélérée par le « mirage arabe » et, dans ses grandes lignes, verrouillée par la gouvernance néo-libérale sous leadership américain.

    Cette évolution touche, d’une manière plus ou moins directe, les intérêts nationaux de la Russie – élargis à sa proche périphérie, la Communauté des Etats indépendants (CEI), qui couvre prés de 99% du territoire de l’ex-URSS. En la définissant comme son « Etranger proche », la Russie veut montrer à l’Occident que la CEI reste sa zone exclusive de responsabilité et, par ce biais, dissuader ses velléités expansives.
    Fondamentalement, mon livre vise à présenter la réaction russe face aux doubles menaces constituées par le futur bouclier anti-missiles américain et la propagation du « Printemps arabe », au delà de son cadre régional. A la base, il y a une totale incompréhension de l’Occident global sur le comportement russe, perçu à travers le prisme désuet de la Guerre froide. Cette seconde édition enrichie du livre, recentrée sur l’imminence d’un hiver islamiste – selon l’expression de Poutine –, s’efforce d’éclairer ce point particulièrement délicat.

    Depuis la disparition officielle de l’URSS, le 25 décembre 1991, la Russie a le sentiment d’avoir été volontairement marginalisée par l’axe occidental. Au moyen de son levier USA-OTAN, cet axe s’est montré avide de profiter de la faiblesse temporaire de la puissance russe, issue d’une transition post-communiste désastreuse sur le plan économique et rythmée par la terrible « thérapie de choc » imposée par le premier ministre de Boris Eltsine, Yegor Gaïdar. Comme si, selon Andreï Gratchev, ancien conseiller du président Gorbatchev, il y avait eu une volonté inavouée de l’Occident – surtout des Etats-Unis – de voir la Russie post-communiste disparaître de la scène mondiale, en tant qu’acteur majeur, et de la réduire au rang de simple puissance régionale.

    Entre 1992 et 1998, après l’application du « modèle de Washington », cette transition néo-libérale en Russie se traduit par une inquiétante décroissance – croissance économique négative, sanctionnée par une compression de prés de 50% du PIB russe sur cette période ! Moscou regrette, aujourd’hui, la volonté occidentale d’étendre son influence en périphérie post-soviétique, considérée comme son pré-carré historique et, en définitive, de renforcer son unilatéralisme armé dans la gouvernance mondiale.
    Le vieux rêve gorbatchévien d’un monde post-guerre froide multipolaire, repris par la nouvelle direction russe à la suite d’Evgueni Primakov et poursuivi désormais par Vladimir Poutine, a été brisé.

    Le discours de Poutine à la Conférence de Munich sur la sécurité en 2007, marque t’il une inflexion radicale dans la politique étrangère russe ?

    Tendanciellement, depuis son arrivée au pouvoir présidentiel, le 30 mars 2000, V. Poutine s'efforce de s'opposer à l'orientation qu’il juge « anti-russe » de la diplomatie occidentale et cela, sur la base de la défense prioritaire de ses intérêts nationaux.

    Il le fait en s’appuyant de plus en plus sur un axe eurasien avec la Chine – avec aussi, l’Inde et l’Iran –, surtout depuis la désillusion de 2003 avec l’intervention américaine en Irak, en violation des règles internationales et ce, en dépit de l’opposition sino-russe. Cette orientation eurasienne, catalysée par l’axe sino-russe, est d’ailleurs reprise dans le cadre d’une structure politico-militaire commune, l’OCS. Depuis 2003, et sous l’impulsion du vieux « soviétique » Primakov, on assiste donc à une inflexion asiatique de la diplomatie russe, en réaction à l’attitude occidentale.

    De manière spectaculaire, Poutine a dénoncé l’attitude provocante de l’Occident lors de son célèbre discours de Munich, le 10 février 2007. Il n’accepte pas la sacralisation du « facteur force » – selon son expression – dans la régulation mondiale et dans la stratégie d’ingérence de l’axe USA-OTAN, très politiquement orientée. Il n’accepte pas non plus l’élargissement de l’OTAN à l’ancienne zone d’influence soviétique et l’extension douteuse du bouclier américain ABM, via sa composante otanienne en Europe, aux portes de la Russie. Pour le président Poutine, il s’agit d’une stratégie d’encerclement à finalité politique, consciemment focalisée contre la Russie restée, dans le prisme occidental, l’ennemi héréditaire de la Guerre froide.

    En poursuivant le reflux (roll back) de la puissance russe et la neutralisation de son potentiel nucléaire stratégique – via son bouclier anti-missiles –, la politique actuelle de l'administration Obama s’inscrit dans une logique atténuée de Guerre froide. Ce faisant, elle oblige la Russie, soucieuse de rééquilibrage stratégique, à renforcer les deux organisations politico-militaires de sa ligne sécuritaire sur l’espace eurasien, l’OCS et l’OTSC*.

    Au final, la politique américaine apparaît donc, dans la pensée stratégique russe, comme une menace latente majeure – en quelque sorte, « officialisée » par l’avertissement de Munich.

    Vous parlez de « pensée unique », pour caractériser les analyses dominantes sur les révolutions arabes, pourquoi ?

    Oui, le plus troublant est ce relatif consensus sur les « révolutions » arabes qui s’exprime, désormais, de manière unilatérale contre le régime Assad, devenu soudainement gênant – un peu à la manière de feu Kadhafi. Comme un ennemi (idéologique) à abattre.
    Pour caractériser cette configuration, associée à une structure d’intérêts relativement complexes et contradictoires, mais motivés par la volonté d’éliminer un « dictateur qui massacre son peuple », Moscou parle de scénario libyen. Par cette expression, la Russie sous-entend la mise en œuvre d’une stratégie manipulatoire soumise à un objectif politique précis visant, en réalité, autre chose que les intérêts légitimes du « bon peuple syrien » et la défense des droits de l’homme, en général.

    En référence à l’expérience libyenne, Moscou redoute une possible instrumentalisation d’une résolution de l’ONU avec la complicité tacite de l’OTAN, en vue d’une intervention militaire et réaliser, par ce biais, un vieil objectif de la Guerre froide visant à l’expulser de la région. Selon moi, il y a une volonté délibérée de créer un seuil critique conduisant le « système » (le régime syrien) à surréagir et à « perdre la tête » – pour, à terme, légitimer un devoir d’ingérence. La stratégie de harcèlement continu contre les forces pro-Assad s’inscrit, de manière indiscutable, dans la réalisation de cet objectif. La multiplication des incidents avec la Turquie, plus ou moins suscités par cette dernière, s’explique à partir de cette problématique qui a, il y a peu, justifié l’installation par l’OTAN de missiles Patriot à visée (théoriquement) défensive, à la frontière turco-syrienne. Depuis peu, les prétextes d’une intervention se multiplient – dont celui, redondant, de l’utilisation d’armes chimiques par « celui qui massacre son peuple ».

    Et, cela, à partir d’une simple rumeur, allègrement reprise par les médias occidentaux sans la moindre vérification – une fois de plus. Inquiétant.

    Pourquoi parler d’ « évolutions » arabes, et non de révolutions ?

    Au départ, ces « révolutions » semblent spontanées et répondent au juste désir d’émancipation de peuples longtemps privés de droits et de libertés. « Semblent », car Moscou n’écarte pas l’idée – depuis le début de la crise – d’une main extérieure pour précipiter l’éclosion précoce d’un « Printemps démocratique ». Et, a priori, mes informations personnelles accumulées depuis 2 ans le confirment. Les dés sont, donc, politiquement pipés.

    Même dans l’hypothèse de véritables « révolutions », ces dernières ont été progressivement soutenues et guidées de l’Etranger au profit, notamment, de puissances ambitieuses enclines à renforcer leur pouvoir régional. Sans parler du rôle trouble des grandes puissances occidentales adeptes, dans un premier temps, d'un encouragement aveugle de la rébellion et, dans un second temps, de son soutien armé. Au nom de droits de l’homme à géométrie variable.

    Cette orientation est évidente dans le cas syrien, avec l'implication insidieuse des puissances saoudienne, qatarienne et turque – en totale violation du principe westphalien de souveraineté des Etats-nations. A cela, s’est greffée l’ingérence croissante des services secrets occidentaux. Je préfère donc parler d’évolutions consciemment orientées. Le terme « révolutions » est idéologiquement connoté et traduit un déterminisme excluant toute critique ou vision alternative.

    C’est la porte ouverte à la pensée unique et, surtout, à la justification morale d’une ingérence politique programmée.

    Quelle est la position officielle de la Russie sur la Syrie. Et comment mieux la comprendre ?

    Officiellement, et conformément aux lois internationales sur la souveraineté des Etats, la Russie ne veut pas s’impliquer militairement dans un conflit interne pour éviter son exacerbation et aggraver le chaos. Et cela, d’autant plus qu’elle sort d’un lourd traumatisme.

    Elle n’a pas oublié le « piège afghan » de 1979, tendu par Zbigniew Brzezinski, alors conseiller à la sécurité du président Carter, pour l’enliser dans un conflit périphérique. La « leçon » afghane – comme plus tard, celle de 1999 en ex-Yougoslavie, avec le bombardement de l’OTAN – est profondément ancrée dans la mémoire stratégique russe. En outre, l’indépendance auto-proclamée du Kosovo, le 17 février 2008, a été ressentie par elle comme une véritable gifle diplomatique. Trop longtemps occultée, la Russie veut désormais s’affirmer sur la scène mondiale et, dans cette optique, elle veut faire de la question syrienne, une « preuve » de son retour comme grande puissance, respectée et écoutée. Pour Moscou, seule une solution négociée permettrait de sortir de l’impasse syrienne – conformément aux accords de Genève, du 30 juin 2012.

    Moscou s’efforce donc d’adopter une attitude neutre et équilibrée, privilégiant une reprise du dialogue entre les parties prenantes à la crise, comme pierre angulaire de la future transition démocratique – qu’elle n’exclut pas sans Assad, si le peuple le décide (c’est d’ailleurs, aussi, la position du président syrien). Ce faisant, la Russie s’oppose ouvertement à la coalition arabo-occidentale qui exige, comme préalable incontournable, le départ d’Assad. Un non sens, auto-destructeur pour la Syrie et donc, pour la région.

    Cette configuration explique le veto russe – associé à la Chine – aux résolutions successives du Conseil de sécurité de l’ONU, portées par les membres de cette coalition et structurellement favorables à l'opposition anti-Assad. Comme d’ailleurs, l’information médiatique quotidiennement diffusée par l’OSDH* sur la crise syrienne, asymétrique et non contrôlée, donc potentiellement manipulable. Avec, en définitive, une désinformation choquante – la fin justifiant les moyens.

    Or, l'extrême hétérogénéité et islamisation de cette coalition ne présage rien de bon sur la transition post-Assad.

    Vous parlez « d’enjeux cachés » dans le déroulement de la crise syrienne. Pouvez-vous expliquer ?

    Aux traditionnels enjeux politiques de contrôle d’une zone névralgique, il y a la volonté de gagner la bataille de l’énergie, via le contrôle des sources et circuits énergétiques majeurs. Par ailleurs, à l’instar d’autres acteurs de la région, le Qatar aurait un projet gazier stratégique passant par le territoire syrien pour « rentabiliser » ses exportations énergétiques et garantir ses débouchés. Le potentiel gazier syrien, a priori considérablement sous-évalué, serait donc un objectif implicite de cette guerre qui ne dit pas son nom et qui est aussi, par ricochets, une guerre contre l'Iran.

    Dans le même temps, il y a en effet le désir de toucher l’Iran en affaiblissant un de ses principaux alliés (syrien) de la région et, par ce biais, fragiliser le nouvel axe du mal émergent Chine-Iran-Russie. Car la puissance économique et politique montante de cet axe eurasien est de plus en plus redoutée par le leadership américain, contraint à une reformulation de sa stratégie dans la région. Nouveau réalisme oblige.
    Au final, « l’hyperpuissance américaine », pour reprendre l’expression de Hubert Védrine, doit aussi gérer son déclin économique, aujourd’hui rendu inéluctable par la pression concurrentielle accrue des « émergents ». Ce déclin est accéléré par un interventionnisme politico-militaire de moins en moins soutenable et économiquement épuisant – parfaitement anticipé par Paul Kennedy, en 1987, dans son fameux livre : « The Rise and fall of the great powers ».

    En conséquence, le redécoupage régional des cartes géopolitique et énergétique se présente comme l’enjeu clé de cette guerre sans nom.

    A vous suivre, il s'agit aussi d'une « guerre de l'information » ?

    Oui, sans aucune ambiguïté. Pour mémoire, rappelons que lorsque G.W. Bush a lancé sa fameuse croisade en Irak en 2003, il a reconnu – et ce n'est pas par hasard – que la première guerre à gagner était celle de l'information. Les révolutions libérales (« colorées ») en zone post-soviétique à partir de 2003, et plus tard, les révolutions arabes depuis 2010, sont une stricte application de ce principe bushien.

    Noam Chomsky démontre, dans ses œuvres, le rôle crucial des stratégies de désinformation dans les démocraties. Pour V. Poutine, l'information a un rôle politique, via l'activité décisive d'ONG à financement étranger dans la structuration et la manipulation de l'opinion publique. Il l'a personnellement vérifié lors des dernières campagnes législatives et présidentielles russes, avec Golos – ONG russe chargée du monitoring des élections, mais très liée aux dollars et donc, aux intérêts américains via NED et USAID*. Pourrait-on imaginer un scénario inverse aux Etats-Unis ? Cela a conduit, fort justement, Vladimir Poutine à renforcer la législation russe contre ces nouveaux « agents d’influence », soutenus de l’étranger – et, dés lors, définis comme des agents politiques.

    Dans les années 2000, dans le cadre des « révolutions de couleur », les ONG à financement américain ont eu un rôle clé dans l'arrivée au pouvoir des « libéraux » dans certaines républiques post-soviétiques, comme la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizstan (2005). En 1989, lors de la révolution polonaise, elles ont aussi joué un rôle non négligeable – avec, encore, le soutien de NED. Troublante inertie.
    En conséquence, Poutine définit l'information comme levier des nouvelles stratégies du soft power, moins coûteuses sur les plans politique et économique, mais terriblement efficaces dans le monde inter-connecté d'internet, fondé sur l’immédiateté communicationnelle. « L’hyper-information » mal contrôlée peut, en effet, alimenter des stratégies politiques de déstabilisation des pouvoirs en place. Une telle tentative a été observée au Kazakhstan en décembre 2011, contre le président pro-russe et ami de V. Poutine, Nazarbaïev. A la même époque, ce scénario s’est répété contre le candidat Poutine qualifié, lors des manifestations de rue successives, de nouveau « dictateur soviétique ». Les clichés ont, décidément, la vie (trop) longue.

    Le discours de Poutine souligne le danger de futures révolutions portées par le « soft power » et la manipulation de l'information pour renverser des régimes hostiles, comme cela se passe au Moyen-Orient et bientôt, comme il le redoute, en périphérie post-soviétique. Poutine redoute, en particulier, une extension du « Printemps arabe » dans les régions musulmanes de l’espace russe économiquement sous-développées, donc fragilisées et courtisées par les idéologies de l’Islam radical – ce qu’il dénonce comme la menace imminente d’un hiver islamiste.

    Dans ce cadre, ne pas comprendre la réaction russe relève d’une ineptie intellectuelle.

    A la fin de votre livre, dans le post-scriptum, vous développez le concept de « Guerre tiède »…

    En opposant à nouveau russes et américains, via des axes géopolitiques relativement hétérogènes mais structurés autour de la défense d’intérêts communs, cette guerre s’inscrit dans le prolongement d'une forme actualisée et désidéologisée de la guerre « froide ». Structurellement, il s’agit toujours d’une guerre d’influence, par alliés interposés – mais recentrée sur l’économique. C’est ce que j’appelle la guerre « tiède ».
    Ainsi, la transition post-communiste du nouvel ordre international est caractérisée par une nouvelle forme de conflictualité bipolaire opposant, dans un terrible face-à-face, l’axe arabo-occidental (soutenu par la Turquie) et l’axe eurasien sino-russe (soutenu par l’Iran). En creux, c’est aussi la question d’un monde post-occidental plus démocratique qui se joue – selon le terme utilisé par Hélène Carrère d’Encausse dans son livre de 2011, « La Russie entre deux mondes ». Cette question est portée par le pouvoir économique et politique croissant des puissances émergentes du 21° siècle, contestant la traditionnelle domination du Nord. Ces puissances, principalement les BRICS, revendiquent leur place dans la nouvelle gouvernance mondiale et ses instances décideuses – ce qui, selon la phraséologie gorbatchévienne, passe par une « Perestroïka internationale ».

    Fondamentalement, cette Guerre tiède est axée sur le contrôle des Etats stratégiques, en particulier les « pivots géopolitiques », pour reprendre la terminologie de Brzezinski. Ces Etats « pivots » fondent leur force moins sur leur puissance intrinsèque que sur leur capacité de nuisance et sur leur localisation au cœur d’espaces et de carrefours stratégiques. Zbigniew Brzezinski* l’explique fort bien dans son ouvrage majeur, véritable bible de la politique étrangère américaine depuis 1997, « Le grand Echiquier ». De ce point de vue, l'Arabie saoudite peut être considérée, selon moi, comme le nouveau pivot géopolitique de la stratégie américaine sur l'Echiquier arabe.
    Aujourd’hui, ce pivot régional est activé contre les intérêts russes au Moyen-Orient, pour poursuivre le reflux de l’ancienne puissance communiste. Par ce biais, Washington transforme la Syrie en pièce maîtresse de cette impitoyable partie d’échecs. Or, en s’appuyant sur le facteur religieux, elle provoque une inquiétante politisation de ce dernier – exprimée par la montée de l’Islam radical, comme vecteur identitaire et accélérateur des « révolutions ». Au final, la crise syrienne cache donc un enjeu géopolitique majeur, médiatisé par de puissants rapports de force.

    Au coeur de la Guerre tiède, les coûts collatéraux humains et politiques sont déjà énormes et, sans doute, irréversibles – avec, en particulier, le renforcement de la fracture chiites/sunnites comme levier d’une terrible conflictualité inter-confessionnelle. Et l’hiver naissant, aux couleurs politiques incertaines, risque d’être très long…

    (*) Précisions

    Pivots géopolitiques et géostratégiques

    Selon Brzezinski (2000, pp. 68-69) : « La notion de pivots géopolitiques désigne les Etats dont l’importance tient moins à leur puissance réelle et à leur motivation qu’à leur situation géographique sensible et à leur vulnérabilité potentielle, laquelle influe sur le comportement des acteurs géostratégiques ».

    Les acteurs géostratégiques sont définis comme « des Etats dotés d’une capacité et d’une volonté nationale suffisantes pour exercer leur puissance et leur influence au-delà de leurs frontières. De ce fait, ils sont en mesure de modifier les relations internationales, au risque d’affecter les intérêts de l’Amérique (…) ». Certains de ces Etats ont la capacité d’atteindre « une position régionale dominante ou une influence mondiale » (Brzezinski, 2000, p. 68).

    Brzezinski Z. (2000) : « Le grand Echiquier – L'Amérique et le reste du monde », éd. Hachette (1° éd. : Bayard, 1997).

    Organisation syrienne des droits de l’homme (OSDH)

    Organisation basée à Londres et représentée par un seul homme (Rami Abdelrahman), proche des frères musulmans et opposant anti-Assad. Il opère dans un studio londonien sous haute protection des services de sécurité britanniques. Ses informations, nourries par de mystérieux coups de fils, sont reprises sans aucun contrôle par AFP, CNN, CBS, BBC… De manière systématique, il incrimine le régime syrien et glorifie l’Armée Libre Syrienne (ALS). Il a dévoilé ses idées dans un article, consultable en anglais.

    Communauté des Etats indépendants (CEI)

    La CEI contient l’ex-URSS moins les Etats baltes et la Géorgie. Elle couvre 99% du territoire de l’URSS et peut être considérée comme la zone d’influence traditionnelle de la Russie. Cette forme atténuée et désidéologisée de l’Union soviétique a une fonction essentiellement politique, quasi-symbolique, et elle s’inscrit dans la nécessité de préserver l’unité de l’espace post-soviétique. A la disparition de l’URSS, la CEI a permis un « divorce à l’amiable » entre la Russie et ses anciennes Républiques, tout en préservant un fort lien identitaire entre ces dernières – dans le prolongement du soviétisme. Aujourd’hui, V. Poutine s’efforce de réactiver la CEI sous leadership russe, en y développant les liens économiques via l’extension d’une zone de libre échange. L’objectif latent est de dissuader l’expansionnisme américain dans l’ex-URSS, perçu comme une nouvelle forme d’impérialisme économique.

    Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC)

    L’OTSC, qualifiée d’ « OTAN russe », est une structure politico-militaire sous domination russe, selon la « tradition » soviétique. Elle vise à assurer une défense commune des Républiques les plus proches de Moscou – le « noyau dur » de la CEI – face aux menaces extérieures. Elle regroupe actuellement sept Etats : Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Russie et Ouzbékistan – qui couvrent près de 70% du territoire de l’ex-URSS. L’Ouzbékistan vient de quitter pour la seconde fois l’OTSC (une première fois en 1999, réintégration en 2006). Son objectif est de se rapprocher de l’axe OTAN-USA en vue de développer un partenariat économico-stratégique, plus sécurisant et financièrement plus intéressant que le paternalisme protecteur de la Russie. A terme, on peut prévoir le retour d’une base américaine en Ouzbékistan – et, peut être, au Tadjikistan, également très courtisé par le « protecteur » américain ». Dans cette hypothèse, la fiabilité, voire l’existence même de l’OTSC serait menacée et, par ce biais, le statut – donc le pouvoir – régional de la Russie.

    Organisation de coopération de Shanghai (OCS)

    L’OCS est une structure politico-militaire eurasiatique, dominée par l’axe sino-russe. Fondamentalement, elle exprime l’inflexion asiatique de la politique russe, depuis 2003. Elle vise à renforcer la stabilité et la sécurité de l’Asie centrale, en prise aux « nouvelles menaces » alimentées par le chaos afghan, le « Printemps arabe » et la triple montée concomitante de l’extrémisme, du séparatisme et du nationalisme. Elle regroupe actuellement six Etats : Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Russie et Ouzbékistan. L'Inde, le Pakistan et l'Iran (bientôt l’Ukraine) ont le statut de « pays observateurs » – véritable antichambre à l’adhésion à l’OCS. De manière implicite, cette organisation permet à la Russie d’avoir un droit de regard sur la politique chinoise, autrement dit, d’exercer une forme de contrôle soft sur un concurrent redoutable et qui, à long terme, deviendra une réelle menace pour son leadership en Asie centrale. Mais, dans le même temps, l’OCS donne une légitimité à la présence chinoise en périphérie centre-asiatique. Désormais, la Chine y exerce en effet une influence croissante, heurtant de plus en plus les prérogatives historiques de la Russie dans la région – et amorçant, de ce fait, un véritable « jeu à trois » entre les puissances américaine, chinoise et russe.

    USAID, NED, Golos : le nouveau « soft power » américain

    Une institution clé dans le contrôle et la contestation des résultats des législatives russes du 4 décembre 2011 a été une ONG nationale, Golos (« Voix »), sous influence américaine. Ainsi, cette ONG est, d’une part, alimentée par des fonds américains (via l’agence gouvernementale USAID : United States Agency for International Development) et, d’autre part, liée à la National Endowment for Democracy (NED), fondation créée en 1983 par le président R. Reagan pour combattre le communisme et qui, depuis 1991, cherche à étendre l’influence américaine (et son idéologie libérale) dans l’espace post-soviétique. Personnellement, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec les modèles des révolutions colorées ayant placé en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et au Kirghizstan (2005) des dirigeants libéraux pro-américains, après des procédures électorales douteuses supervisées, voire soutenues et financées par des ONG sous contrôle américain. Le scénario des révolutions colorées en zone post-communiste est le suivant : développement – sous la pression d’institutions (de type ONG) de défense des libertés et des droits de l’homme – de manifestations massives dans les rues, succédant à des élections contestées (à l’origine, par les ONG) et finissant, à terme, par provoquer le départ d'un leader considéré comme autoritaire et non démocratique. La politique (américaine) a, parfois, ses raisons, que la démocratie (post-guerre froide) ignore…

    Jean Géronimo http://www.voxnr.com

    notes :

    Livre disponible sur Amazon, Fnac et Decitre.
    Cet entretien a été réalisé pour l'IRIS et publié le 28 janvier 2013 sur son site (http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article7647) dans une version plus courte que celle figurant ci-dessus.

  • La démographie africaine dans sa longue durée (suite et fin), par Bernard Lugan

    Suite et fin du texte de Bernard Lugan intitulé La démographie africaine dans sa longue durée. La première partie est ici. La seconde partie de ce texte est titrée par l’africaniste : Les réponses historiques à l’accroissement démographique
    Première difficulté, nous ignorons quelle était la population de l’Afrique sud-saharienne à l’époque précoloniale. Il semblerait que jusqu’aux XVI-XVII° siècles, elle fut un monde de basse pression démographique. De nombreux indices permettent de penser qu’un essor considérable se produisit ensuite à partir de l’introduction de plantes américaines par les Portugais : maïs et haricots devenus la nourriture de base dans toute l’Afrique australe et dans l’Afrique interlacustre, patates douces, manioc, etc., partout ailleurs.
    Dans les années 1970, le phénomène avait fait dire à Yves Person, alors titulaire de la chaire d’histoire de l’Afrique à la Sorbonne que la traite européenne avait en quelque sorte « épongé » l’excédent d’une population en explosion et qu’en définitive elle avait eu peu d’impact sur la démographie africaine. Yves Person avait-il raison ? Sans entrer dans ce débat extérieur à notre sujet, et dont les développements ont été faits par Pétré-Grenouilleau en France, nous pouvons mettre en évidence plusieurs éléments :
    1. Aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique de l’Est et australe, les traditions indiquent que partout, des milieux nouveaux ont été défrichés à partir de la fin du XVI° siècle, avec une accélération jusqu’à la veille de la colonisation.
    Dans un monde que j’ai particulièrement étudié, qui est celui de la région interlacustre, les traditions des lignages défricheurs indiquent la venue de ces derniers dans la zone de la crête Congo Nil qui était alors une forêt primaire qui fut achetée aux pygmées Twa à partir du XVI° siècle. En Afrique du Sud, les traditions des Nguni du Nord (Zulu et apparentés), aussi bien que celles des Nguni du Sud (Xhosa et apparentés) indiquent le même ordre de grandeur chronologique. Dans les deux cas nous sommes en présence d’un excédent de population qui part conquérir des territoires nouveaux, l’expansion territoriale jouant alors le rôle de soupape.
    2. Pour nous en tenir à ces deux ensembles régionaux sur lesquels nous sommes particulièrement bien documentés, nous constatons que la réponse des hommes à l’essor démographique y eut des applications différentes.
    Dans la région interlacustre, milieu de dualisme entre la civilisation de la vache et celle de la houe, la réaction des uns et des autres face à l’essor démographique fut très différente. C’est ainsi que les pasteurs tutsi limitèrent leur croît démographique, en l’alignant sur celui des bovins. Chez eux, les pratiques abortives ou les comportements sexuels adaptés permirent de limiter l’essor de la population. Alors que les Tutsi étaient généralement polygames, cette polygamie ne déboucha pas sur une explosion démographique car les femmes les plus belles n’avaient que peu d’enfants afin qu’elles puissent conserver l’élégance de leurs formes. Il en était d’ailleurs de même avec les vaches royales.
    Ayant choisi d’être minoritaires par rapport aux agriculteurs hutu qui les entouraient, il fallut aux Tutsi prendre le contrôle politique des premiers afin que le fait d’être minoritaires ne soit pas un handicap pour eux. C’est alors que, selon l’adage de l’ancien Rwanda, il fallut « sauvegarder les biens de la vache (les pâturages) contre la rapacité de la houe », et pour ce faire, un système de contrôle des hommes fut instauré au profit des Tutsi. La réponse de ceux des Hutu qui se sentirent emprisonnés fut de migrer vers la crête-Congo-Nil pour la défricher. Le mouvement fut général, ce qui explique d’ailleurs pourquoi les clans hutu de la région sont éclatés.
    A la différence des Tutsi, les Hutu, pourtant monogames, affirmèrent leur différence par une démographie galopante et le phénomène s’accentua à partir du moment où ils s’implantèrent dans les zones de montagnes. Il y eut deux raisons, à cela. D’abord parce qu’il fallait des bras pour défricher la forêt et ensuite parce que ces régions étaient exemptes de malaria ou de maladie du sommeil. La seule limite au développement démographique y était la mortalité infantile due au froid et qui provoquait ces affections bronchiques dont les effets néfastes furent éliminés par la médecine coloniale.
     3. En Afrique australe, le mouvement fut différent car les populations qui appartiennent à deux grands groupes, les Sotho Tswana et les Nguni, pratiquaient à la fois l’agriculture et l’élevage. Les Sotho Tswana qui vivaient sur le plateau central de l’actuelle Afrique du Sud occupaient l’espace depuis le fleuve Limpopo au nord jusqu’au nord du fleuve Orange au Sud. La limite méridionale de leur zone d’occupation était pluviométrique car au sud d’une certaine limite, l’agriculture n’était plus possible. Nous sommes mal renseignés sur eux.
    En revanche, nous sommes bien documentés sur les Nguni, ou du moins sur les Nguni du Sud, à savoir les Xhosa et apparentés car dès le XVI° siècle nous disposons de témoignages de naufragés européens. Puis à partir des années 1760, le contact s’étant établi avec les Hollandais, les archives de la colonie du Cap contiennent une importante documentation les concernant. Je ne ferai pas l’histoire du contact entre les front pionniers blanc et Xhosa en Afrique du Sud, pour m’en tenir au seul point qui nous intéresse ici, à savoir la question démographique.
    Les Nguni du Sud qui vivaient dans le piedmont oriental de la chaîne du Drakensberg et dans les plaines littorales à partir du sud de la région de Durban furent confrontés à un double problème : ceux qui en avaient les moyens étaient polygames et ici, la polygamie engendrait une nombreuse progéniture, or, l’espace était limité dans trois directions. Au nord, par les autres tribus nguni qui maillaient étroitement l’espace, à l’est par l’océan et à l’ouest par la chaîne du Drakensberg qui était un obstacle naturel. La seule expansion possible était donc vers le Sud. C’est pourquoi, et nous sommes très bien documentés sur la question, à partir là encore du XVI° siècle, à chaque génération, le surplus de la population partait conquérir des espaces nouveaux sur lesquels de nouvelles chefferies étaient créées.
    Le phénomène est essentiel et il mérite que l’on s’y attarde. L’exemple des Xhosa, les plus connus parmi les Nguni du Sud, illustre bien cette réalité. Ici, l’organisation était comme souvent lignagère, tribale et clanique. Politiquement, l’organisation était la chefferie. Chaque chef avait plusieurs femmes dont les huttes étaient situées par ordre d’ancienneté à droite de la hutte du chef, d’où les épouses dites « de la main droite » et les « enfants de la main droite ». Mais, ne pouvait être l’héritier de la chefferie, que l’aîné des garçons né de la Grande épouse. Or, cette dernière ne pouvait être désignée qu’après l’accession au pouvoir du chef. En d’autres termes, tant qu’il était dauphin, l’héritier ne pouvait avoir de Grande épouse. A la mort de son père, il choisissait donc une nouvelle femme qui devenait sa Grande épouse et qui vivait dans son enclos chef.
    Bien évidemment, il y avait une considérable différence d’âge entre les aînés des « épouses de la main droite » et celui de la Grande épouse. A chaque génération, il y avait donc contestation du pouvoir et les oncles ou demi-frères de l’héritier légitime partaient avec les membres de leur lignage et leurs dépendants pour s’installer plus loin vers le sud où ils fondaient de nouvelles chefferies. La soupape de la surpopulation était donc la conquête de terres vierges. Or, le mouvement fut bloqué à la fin du XVIII° siècle lorsque le front pionnier hollandais rencontra le front pionnier nguni. Le traumatisme fut tel chez ces derniers qu’il provoqua une crise existentielle et une anarchie dévastatrice.
    Chez les Nguni du nord, la situation était différente car, même si l’organisation sociale était quasi semblable, la différence était qu’à partir du début du XVII° siècle, il n’y eut plus d’espaces vierges à conquérir, dans ces conditions, la réponse des Nguni du Nord à l’accroissement démographique fut la guerre afin que les plus forts se taillent un espace vital aux dépens des plus faibles. Or, la culture guerrière nécessitait une solide organisation laquelle déboucha sur l’étatisation dont l’accomplissement fut l’Etat zulu.
    Dans les exemples choisis, nous venons donc de voir que ce fut quand il n’y eut plus d’espace vierge permettant au croît humain de s’établir que l’Etat apparut. Ce phénomène est bien connu. Pour ne prendre qu’un exemple, la naissance de l’Egypte dynastique, le « miracle égyptien », fut d’abord une réponse adaptée à un milieu particulier, l’étroite vallée du Nil, qui devait faire face à un insurmontable problème de survie de ses populations. Ce fut pour répondre aux défis de la démographie que naquit l’Etat égyptien. Rares sont les exemples de ce type car partout ailleurs en Afrique, l’espace existait et la logique n’était donc pas à la limitation de la population, mais au contraire à son essor car seuls survivaient les groupes nombreux capables d’aligner des guerriers pour se défendre et des bras pour défricher ou cultiver, d’où la philosophie de la virilité et de la fécondité.
    Bernard Lugan
    Texte publié avec l’aimable autorisation du site realpolitik.tv, animé par Aymeric Chauprade.

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  • La démographie africaine dans sa longue durée (I), par Bernard Lugan

    Universitaire africaniste, Bernard Lugan aborde les questions africaines sur la longue durée en partant du réel, à savoir la Terre et les Hommes. Pour lui, il convient de parler des Afriques et non de l’Afrique, et des Africains, donc des peuples et des ethnies, et non de l’Africain, terme aussi vague que réducteur.
Après plus de trente années d’expériences de terrain et d’enseignement universitaire en Afrique – il fut notamment professeur durant dix ans à l’université nationale du Rwanda –, il mène actuellement des activités multiples : édition d’une revue africaniste diffusée par internet, direction d’un séminaire au CID (Ecole de Guerre), conseil auprès de sociétés impliquées en Afrique. Il est également expert pour l’ONU auprès du TPIR (Tribunal international pour le Rwanda) qui siège à Arusha, en Tanzanie.

    Contrairement à ce qui est trop constamment affirmé, l’Afrique se développe, mais sa démographie est plus rapide que son développement. Certains chefs d’Etats en sont conscients. C’est ainsi que dans le discours prononcé le 9 juin 2008 lors de l’ouverture du deuxième congrès national sur la population, le président Moubarak d’Egypte déclara que la pression démographique était la « mère de tous les maux », la huitième plaie d’Egypte en quelque sorte. Avec une population de 80 millions d’habitants concentrée le long du Nil sur quelques dizaines de milliers de km2, avec un indice de fécondité de 3,1 par femme et un taux de croissance naturelle de 18,5 pour 1000, la catastrophe est effectivement annoncée. Le président égyptien est allé jusqu’à reprocher à ses compatriotes (je cite) de « faire concurrence aux lapins ».
    I- La situation actuelle : une démographie qui bloque le développement
    Aujourd’hui, l’accroissement de la population est tel qu’il gomme les effets du développement du continent et qu’il annonce de graves crises alimentaires.
    Quelques chiffres permettent de saisir l’ampleur du phénomène : dans les années 1900, la population de l’Afrique était d’environ 100 millions d’individus ; dans les années 1950-1960, au moment des indépendances, elle était de 275 millions ; en 1990, de 642 millions dont 142 en Afrique du Nord ; en 2002, de 689 millions ; en 2004, de 872 millions et en 2005 de 910 millions. En 2007, la population de la seule Afrique sud-saharienne était estimée à 788 millions. Selon les Nations Unies, dans les années 2050, les Africains sud-sahariens seront un peu moins de deux milliards si toutefois les femmes n’ont que 2,5 enfants en moyenne, et aux environs de 3 milliards si elles continuent à en avoir 5,5 (1).
    Or, il faut bien comprendre que c’est cette croissance démographique et elle seule, qui annule les effets du développement. Entre 1966 et 2005, le PNB du continent a en effet augmenté de 3,9% en moyenne, ce qui est une excellente performance, mais, ramené à l’évolution de la population, ce taux tombe à 1,6% (FMI, mars 2005). Entre les années 1960 et 1995, la production agricole africaine a progressé en moyenne de 1,25% par an, soit 43,75% en trente-cinq ans, ce qui est remarquable. Mais, dans le même temps, comme la population croissait de 3% par an, soit 105%, l’écart entre les besoins et les moyens s’est considérablement creusé ; le phénomène ira en augmentant car un taux de 3% entraîne un doublement de la population tous les 20 ans.
    En 1970, 200 millions d’Africains n’avaient pas accès à l’électricité ; en 2002, ils étaient 500 millions. Et pourtant, en 30 ans, des dizaines de milliers de kilomètres de lignes furent tirés, mais là encore, la démographie est la grande responsable de ce constat car les naissances sont allées plus vite que l’électrification. Cet exemple se retrouve dans tous les domaines.
    Autre conséquence de la surpopulation, les disettes saisonnières qui, dans la société traditionnelle apparaissaient régulièrement au moment de la soudure entre deux cycles agricoles ou lors d’accidents climatiques ponctuels, se sont transformées en famines, car les ressources alimentaires ont-elles aussi progressé moins vite que la population.
    Des années 1960 à 2000, deux grandes zones furent quasiment en permanence frappées par le phénomène de famine : le Sahel et la Corne de l’Afrique. En 2002, une troisième zone s’y est ajoutée, l’Afrique australe où cinq pays, à savoir le Lesotho, le Mozambique, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe furent sévèrement touchés par une crise alimentaire. Cette année là, la crise agricole frappa également des pays comme le Sénégal où la récolte céréalière 2002/2003 fut en forte baisse par rapport à celle de l’année précédente et où, faute de pâturages, certains troupeaux furent gravement affectés. Selon la Banque mondiale (Rapport de décembre 2002), en 2002, 30 millions de personnes dans toute l’Afrique eurent besoin d’une aide alimentaire. Ce chiffre a encore augmenté depuis, notamment en 2007-2008, quand 135 millions d’Africains reçurent une aide alimentaire (Banque africaine de développement, avril 2008).
    Le phénomène a été amplifié par l’exode rural et par la création de mégapoles non productives mais grosses consommatrices, ce qui entraîna une baisse des productions vivrières et par conséquent l’augmentation du déficit alimentaire : « Les villes et les agglomérations du continent vont devoir absorber une vague de 12 à 13 millions d’habitants en 2008, si bien que la population urbaine va croître plus vite que la population rurale à l’horizon 2035 » (2) Or, souligne la BAD, cette urbanisation n’est pas le résultat de l’industrialisation, mais de la misère rurale.
    La surpopulation a également eu des conséquences dramatiquement observables sur l’environnement, amplifiant le phénomène de désertification. Depuis la décennie 1960, le déboisement de l’Afrique qui en est une conséquence directe a même pris des proportions alarmantes. Les 3/4 des Africains se servent en effet de bois ou de charbon de bois pour la cuisson de leurs aliments ; 85% du bois coupé en Afrique sert en bois de feu, 10% pour l’habitat et 5% seulement pour l’exportation.
    C’est cette démographie devenue suicidaire qui fait que l’Afrique sud-saharienne est aujourd’hui plus pauvre qu’elle ne l’était en 1960 puisque, depuis les indépendances, le revenu par habitant y a baissé entre moins 0,5 et moins 1% par an.
    (1) En Afrique, le Sida a fait depuis le début de la pandémie 25 millions de morts. Dans les pays les plus touchés (Botswana 37% de la population, Zimbabwe 24%, Afrique du Sud 21%, on pourrait assister à une contraction de la population active mais pas à un dépeuplement.
    (2) BAD (Banque africaine de développement), Compte-rendu de la réunion du 14 mai 2008, Maputo. Selon la Banque mondiale, en 1981 11% des pauvres de la planète vivaient en Afrique sud-saharienne. Cette proportion était de 27% en 2007 et elle sera de 33% en 2015. Selon la BM, il faudrait un « miracle » pour que la situation change (Rapport de la Banque mondiale du 26 août 2008, Washington.)

    A suivre  : 
La démographie africaine dans sa longue durée

    (II) – Les réponses historiques à l’accroissement démographique.
    Texte publié avec l’aimable autorisation du site realpolitik.tv, animé par Aymeric Chauprade.

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  • Afrique : Défense des intérêts économiques français

    Conférence sur la France-Afrique à l’école Militaire par Monsieur André JANIER Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire auprès de la République de Côte d’Ivoire jusqu’à l’été 2009. L’objet de cette conférence est de donner un éclairage sur la capacité de la France à défendre ses intérêts en Afrique francophone.

    16 décembre 2009

    En écoutant le parcours professionnel de notre orateur, qui d’autre que lui aurait la légitimité à redonner espoir à nos entrepreneurs, attirés qu’ils seraient vers de nouveaux territoires… de compétition.
     
    L’ambassadeur en s’adressant à son auditoire, principalement représenté par les étudiants du 3° cycle spécialisé en Intelligence Economique et Stratégie de l’EGE, mais aussi d’auditeurs de l’IHEDN et d’industriels insista sur le rôle des ambassadeurs dans un contexte de guerre économique.
    En géopolitique et en géostratégie l’ambassadeur est avant tout une arme pacifique de négociation(1) pour les politiques dans les conflits d’intérêts, par opposition à l’emploi de la force. Les diplomates se consacrent à contourner les confrontations directes. La guerre économique est pour lui différente du combat qui vise à éliminer les adversaires.
    Elle devrait avoir pour objet de contourner la confrontation(2) et d’amener les parties en présence à se placer sur des terrains de compromis ou de cheminement possibles.
    Ainsi en parlant aux nouveaux entrepreneurs Français, conquérants sur les marchés mondiaux, il leur répète qu’il faut reconstruire leur notoriété sur des bases de qualité et de développement durable.
    Sur ces champs les Chinois ne sont pas crédibles au delà des effets de vitrine comme les derniers jeux olympiques, ou en jouant les milliardaires en distribuant monnaies et palais…
    En Afrique ces « nouveaux » territoires s’organisent aussi selon des règles et des normes
    internationales, souvent aidés en cela par la Communauté Européenne.
    Leur rôle est aussi de sensibiliser nos entreprises à la prise en compte essentielle de cette nouvelle donne où les rapports de force ne sont plus régis par l’antériorité d’occupation, mais par la meilleure offre du moment.
    Pour lui il leur faut apprendre à être patient, opiniâtre et à reconstruire leur notoriété sur des bases de qualité et de développement durable. Quelques batailles perdues n’en font pas la guerre nous encourage-il!

    André Janier, ministre plénipotentiaire hors classe, a été ambassadeur successivement au Qatar, au Tchad, au Yémen, en Iraq, et Cote d’Ivoire. Il a également représenté la France dans le processus euro-méditerranéen et dans les négociations pour le Darfour.

    http://fortune.fdesouche.com

  • Jour de victoire pour la France au Mali, malgré des perspectives peu rassurantes

     

    Jour de victoire pour la France au Mali, malgré des perspectives peu rassurantes
    Mission accomplie pour la France: les forces françaises ont pris la ville de Kidal, dernier bastion des islamistes au Nord-Mali.

    La guerre fut courte et inhabituelle. Elle a commencé il y a trois semaines contrairement à toute attente: les Européens ont aidé les forces américaines pendant des années en Afghanistan et en Irak, soit, mais évoquaient constamment leur retrait.

    En 2011, l'opération en Libye - avant tout européenne – n’était pas une guerre-éclair malgré les apparences. Elle s'est déroulée avec une tension extrême de forces et de ressources pour les pays européens. Sans parler de son résultat, c'est-à-dire le tableau plus que dramatique de la Libye aujourd'hui. Tout cela ne renforce pas le moral.

    En ce qui concerne le Mali, les Français et d'autres Européens ne pouvaient pas rester de marbre: les djihadistes qui régnaient déjà au nord du pays sont entrés en janvier à Kona (l’épicentre des combats actuels) et s'apprêtaient clairement à mettre le cap sur la capitale Bamako.

    Si ce scénario était arrivé à son terme, un deuxième Afghanistan taliban apparaîtrait sur la carte de l’Afrique à proximité des pays qui fournissent du pétrole et du gaz à l'Europe – l'Algérie et la Libye - cette dernière étant elle-même sur le point de se transformer en une sorte de Mali. Et tout le secteur énergétique nucléaire français fonctionne grâce aux mines d'uranium au Niger voisin.

    C'est donc ici un cas d'urgence où l'Europe - dans le cas présent la France mais appuyée d'une manière ou d'une autre par tous les Européens - fait la guerre malgré la crise économique et toutes ses dispositions pacifistes.

    Leçon numéro un: sur ce modèle, la situation au Grand Moyen-Orient pourrait pousser les Européens ou les Américains à une réaction militaire immédiate en dépit de leurs propres dispositions, et pas seulement au Mali.

    La logique dicte à l'UE et aux Etats-Unis une politique budgétaire prudente et une modestie idoine dans les affaires internationales. Oui. Mais le Mali a dicté un autre ordre du jour, que cela plaise ou non aux Américains et aux Européens.

    L'opération au Mali est figée pour l'instant sur la mince frontière entre une "expédition" d'un corps de 2 500 soldats français et une "guerre", pendant laquelle les troupes se concentrent pendant une longue période en garnisons et que les pertes sont inévitables.

    L'ennemi s'est pour l’instant évaporé et on ne peut pas dire qu'il ait opposé une forte résistance, ce qui soulève des questions désagréables: où est-il? Dans le désert? Vient ensuite le scénario optimiste: les Africains reprendront l'initiative en envoyant leurs troupes au Mali. D'accord. Mais s'ils échouaient?

    Bien sûr, les mouvements ultra-islamistes sont un mal. Ils ont interdit la musique dans le nord occupé du pays et ont tenté de brûler la bibliothèque unique de Tombouctou, où sont conservées des manuscrits datant du XIIème siècle sur la vie de cet oasis à la croisée des routes commerciales.

    Ces manuscrits sont majoritairement rédigés en arabe et concernent l'histoire du monde islamique. Mais pour les extrémistes salafistes, ils étaient simplement "non islamiques". Beaucoup d'ouvrages ont pu être sauvés car les habitants les avaient mis à l'abri chez eux.

    Mais les autres Maliens, sont-ils bons? Un reportage de France-24 montre les troupes maliennes traînant hors de sa maison un habitant de la ville de Diabali libérée et commençant à le frapper à la tête. Parce qu'il avait une barbe. Ici, la barbe ne signifie pas simplement "musulman" – la majorité des Maliens l’est - mais salafiste.

    Ce genre de procédés serait dans l'ordre des choses aujourd'hui. Voici donc ce qui pourrait se produire par la suite: le Mali se transformerait en arène de confrontation tribale et régionale, les habitants chasseraient les troupes gouvernementales et feraient revenir… devinez qui. Et si d'ici là les soldats français ne partaient pas, ils en prendraient aussi pour leur grade. Pour cette raison, d'une manière ou d'une autre, la vie renvoie les Européens à l'idée familière de la "construction nationale". Cette fois en Afrique.

    Le premier ministre britannique David Cameron, qui s'est rendu mercredi en Algérie, a déclaré que 240 militaires britanniques seraient envoyés à Bamako pour aider à constituer une armée malienne régulière. C'est à peu près ce que les Britanniques et autres font en Somalie, en aidant ce qui fait office de gouvernement dans ce pays.

    Pendant ce temps, les Etats-Unis comptent aider les Européens en installant dans la région une base de drones au Niger. D'abord des drones de reconnaissance, puis de combat. Rien de plus pour l'instant. Mais le débat concernant ce qui s’est passé au Mali et la marche à suivre est très intensif aux USA.

    On parle également de drones et de moyens de surveillance électronique américains œuvrant déjà en Afrique - en Somalie et même cette fois au Mali, à partir du Burkina Faso. Mais le succès de l'électronique est limité, les terroristes ne sont plus très bavards au téléphone. Les conclusions des experts américains sur l'Afrique sont du réchauffé. Susanna Wing écrit dans Foreign Affairs que la démocratie a régné au Mali pendant 20 ans, puis les touaregs du nord ont profité du renversement début 2012 et de l'affaiblissement du gouvernement en tentant de créer leur propre Etat, avant de laisser leur place aux islamistes extrémistes.

    Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur cette guerre. Mais il est possible que l'Afrique et ses risques puissent poser problème à l'idée chère d'Obama d’une "réorientation du Moyen-Orient vers l'Extrême-Orient" - où la Chine est en plein boom.
    Dmitri Kossyrev http://www.voxnr.com
    source : RIA Novosti :: lien
  • Chute de la zone euro : Marine et « l’équipe Gollnisch » préparent l’Europe d’après…

    La crise du capitalisme spéculatif, les effets délétères du mondialisme et ses ravages au sein d’une Union européenne au logiciel dépassé, une zone euro non viable …Chaque jour qui passe ne fait que confirmer de manière  aussi évidente qu’implacable la justesse des avertissements et des analyses du Front National et de Marine Le Pen. Si la majorité des  députés britanniques a  finalement eu peur de la vox populi et a refusé  lundi  soir  d’organiser un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE,  les coutures de la défroque bruxelloise  craquent de partout. Le quotidien La tribune l’évoque aujourd’hui, après la Grèce, c’est aujourd’hui l’Italie qui se rapproche dangereusement du bord du gouffre, pays dont la chute signerait notamment la mort de la zone euro, du moins dans sa configuration actuelle…

     « Quatrième dette publique au monde (…) l’Italie présente (…) un risque  systémique . Un doute sur sa capacité à rembourser sa dette et c’est la contagion à tout le système financier mondial. Près de 830 milliards d’euros de la dette italienne sont en effet dus à des opérateurs étrangers, souvent des banques et des fonds de pension. Les établissements français, qui contrôlent plusieurs banques importantes en Italie (elles mêmes ayant dans leurs comptes beaucoup d’emprunts italiens) à l’instar de la BNL (BNP),Cariparma (Crédit Agricole), seraient autrement plus concernées par un fléchissement (de l’économie italienne) que par le désastre grec. »

    Si la  Banque centrale européenne (BCE) a racheté  massivement cet été  des emprunts italiens afin de maintenir bas leurs taux « il ne saurait être question d’éponger la moitié de la dette publique italienne indique encore La tribune, comme les banques et in fine les Etats de la zone euro s’apprêtent à le faire avec les 330 milliards d’euros du total de la dette grecque. À 1.900 milliards d’euros, l’endettement accumulé par les autorités publiques transalpines n’est pas gérable à coups de Fonds européen de stabilité financière (FESF), même plus efficient».

    Dans ce contexte, le Front National offre plus que jamais un recours cohérent et crédible à la pensée unique euromondialiste. La lettre d’information Entourages 2012, souligne d’ailleurs le poids  de Bruno Gollnisch et de « ses proches »  « au sein de l’équipe de campagne de Marine Le Pen », dans le travail de réflexion et d’élaboration du  programme  de la candidate nationale sur les questions européennes.

     « Conseiller aux souverainetés et aux renégociations des traités », Président de  l’Alliance européenne des mouvements nationaux (AEMN),  Bruno Gollnisch s’est vu investi d’une tâche centrale est-il expliqué : «  recenser l’ensemble des contraintes internationales et européennes qui pèseraient sur la France et réfléchir aux conditions de leur révision, à commencer par une sortie de l’euro. » De son côté l’ingénieur centralien  Thibaut de La Tocnaye, qui avait «  coordonné les commissions d’action politique (CAP) pour le compte de Jean-Marie Le Pen lors de la précédente élection présidentielle », «  conseille désormais (Marine) sur les problématiques de réindustrialisation. »

     Catherine Salagnac, la  « directrice de cabinet » du député européen, « diplômée d’économie et de sciences politiques », « a pris la tête du CAP consacré à l’Europe » indique encore Entourages 2012. « En complément du travail de Bruno Gollnisch, (elle) devra élaborer les grandes lignes d’un futur traité européen revu de fond en comble mais qui n’abandonnera pas la coopération intergouvernementale. Epaulée par Edouard Ferrand, le conseiller aux affaires internationales du FN, elle n’exclut pas de s’appuyer sur la clause de retrait prévue par l’article 50 du traité de Maastricht. Ses premières propositions seront présentées (…) le 19 novembre 2011. »

     On le constate, si gouverner c’est prévoir, le mouvement de Marine Le Pen est fin prêt et l’équipe de Bruno Gollnisch est en première ligne dans l’élaboration d’une politique de souveraineté et de prospérité retrouvées. 

    25 octobre 2011 http://www.gollnisch.com

  • VIDEO - LA FRANCE, L'EUROPE ET LE MONDE : RETOUR GEOPOLITIQUE

    Gaullistes ou anti-gaullistes des années 1960, tout comme les plus jeunes d'entre nos lecteurs qui n'ont connu cette époque que par les livres, les récits ou les documents de toute nature, regarderont certainement cette vidéo avec intérêt, sans-doute avec profit, et, pour quelques uns, avec une certaine nostalgie pour un temps - à ce jour révolu, il est vrai (mais les "retours" sont toujours possibles) - où le Politique s'exprimait dans le langage de la culture et avec - au moins - les apparences de l'autorité et de la puissance.

    Après cinquante ans (cette conférence de presse élyséenne de De Gaulle date du 15 mai 1962), bien des choses ont changé en France, en Europe et dans le monde. De Gaulle évoque la menace des "Soviets" : elle s'est effondrée; il parle d'une Allemagne qui, selon son expression avait "les reins cassés", l'Allemagne coupée en deux par un rideau de fer. Elle a retrouvé aujourd'hui son unité et sa puissance qui, à bien des égards, dépasse la nôtre, pour l'instant. Tout, cependant n'a pas changé. Quelques grandes constantes demeurent et restent d'actualité. En particulier tout ce qui a trait à la construction européenne, à l'heure où, justement, chacun s'interroge sur son devenir. Quelle Europe voulons-nous ? Comme Maurras, De Gaulle voulait l'Europe, mais ne voulait pas que l'on fît "comme si c'était fait". De plus, elle ne pouvait être, pour lui, que souveraine, c'est à dire indépendante des Etats-Unis d'Amérique, sans quoi elle n'existerait pas. Son projet était réaliste, progressif, volontaire mais construit sur la base des peuples et des Etats. On sait que c'est une démarche inverse qui a été suivie depuis; une démarche idéologique et technocratique, d'ailleurs plus mondialiste qu'européenne. On sait ce qu'il en est aujourd'hui et qu'au lieu d'être une force centripète qui eût uni peu à peu peuples et nations d'Europe occidentale s'habituant progressivement à leur unité, "l'Union" que l'on a tenté d'imposer aux peuples européens finit par être une force centrifuge qui oppose et divise. De fait, les peuples l'ont rejetée. D'ailleurs, à bien y regarder, l'affaiblissement des Etats, la décadence du Politique, n'ont pas du tout, comme d'aucuns l'espéraient, favorisé la construction européenne. Bien au contraire, ils l'ont rendue presque impossible. 

    Est-il encore temps, comme il faut sans doute le souhaiter, de reprendre avec le réalisme qui s'impose un grand projet européen ? Ou, comme à d'autres époques de notre Histoire commune, faute de volonté, faute d'autorité, faute de solidarité, ce projet, cent fois repris, finira-t-il par se dissoudre et s'évanouir une fois de plus, comme une perpétuelle utopie ? Telle est la question.  

    Mon bureau 3 Lucs.jpgCliquez sur l'image pour lire la vidéo 

  • Les fondamentaux du début de siècle

    Nous allons traiter de géostratégie. C’est là une discipline relativement nouvelle. Le Grand Larousse ne la mentionne pas, le Grand Robert la définit comme : « un ensemble de facteurs stratégiques en liaison avec la géographie et la démographie d’une zone déterminée ». Ce serait donc une déclinaison plus spécifiquement militaire de la géopolitique. Mais, dans ce cas, ce serait une tautologie car il ne peut exister de stratégie militaire qui se conçoive hors du milieu naturel, c’est-à-dire de la géographie. Quant à la géopolitique, signalons-le en passant, elle est l’étude de l’influence de l’environnement physique sur le comportement des peuples.

    La période que nous vivons, comme celle des prochaines décennies, a été et sera façonnée par trois facteurs déterminants parce qu’à la fois d’ordres politique, technique et socio-économique. Il s’agit, en l’occurrence, des faits exposés ci-après :
    - La disponibilité de l’énergie indispensable au développement, c’est-à-dire, dans une grande mesure, de l’industrialisation. L’aspiration au mieux « vivre » anime une fraction de plus en plus étendue de la population et la production de biens commercialisables répond à son attente. L’énergie conditionne la production, oxygène du développement.

    Terminal pétrolier de l'île de Das, à Abu Dhabi

     

    La centrale nucléaire de Cruas, dans la vallée du Rhône. Les 4 réacteurs, mis en service en 1984 et 1985, produisent chaque année 25 milliards de kWh, soit environ 40% de la consommation de la région Rhône-Alpes. © Daniel Riffet

    - L’efficacité des techniques nouvelles d’information et de communication (T.I.C) qui mettent en évidence les inégalités socio-économiques, amplifient les mouvements migratoires mais aussi placent les populations à la merci du pouvoir politique lorsqu’il s’approprie la gestion des TIC.

    - Enfin, l’affrontement politique, économique et social, dans un monde ouvert, des industrialisés de longue date et des peuples émergents. D’un côté les bénéficiaires d’un puissant acquis civilisateur et de l’autre le poids des masses.

    Jean Gabin : Le Gentleman d'Epsom !

    Nouvel An à Pékin…

    I – L’énergie, mère commune de tous les peuples

    En ce qui concerne la géopolitique, elle est bipolaire : celle des hydrocarbures et celle que fournit la désintégration de la matière, les autres formes d’énergie relevant davantage du national que de l’international.
    Il n’est pas exagéré de dire que la quasi-totalité des événements de grande ampleur survenus depuis un siècle a pour origine commune l’appropriation ou le contrôle des sources et de la consommation de ces deux formes d’énergie.
    De manière spécifique, les hydrocarbures et l’atome ont déterminé la politique, la diplomatie, les alliances et les tensions, le recours à la force des armes avec en réaction, le terrorisme sous toutes ses formes.

    Nigérians carbonisés par l'explosion du site pétrolier qu'ils attaquaient
    http://pandanlag.unblog.fr/fin-du-petrole/

    Enfin, la grande fracture entre les nantis et les autres. Bifide, la désintégration de la matière est à la fois source d’énergie industrielle et arme d’intimidation sinon de guerre. Elle privilégie les uns, suscite les convoitises ou les inquiétudes des autres. (Pour Washington elle justifierait même une guerre d’anéantissement préventive et en invoquant non des faits, mais des intentions).

    I.a – La dictature politique des hydrocarbures.
    Significative, en effet, est l’évocation des principales étapes – au cours du siècle dernier et au début du suivant – de l’obsession pétrolière dans la vie internationale.

    1916 - 1920  
    Signés en 1916 et sanctionnant le démembrement de l’empire Ottoman, les accords Sykes-Picot soumettaient à l’influence française la Syrie et la Mésopotamie septentrionale – le nord du futur Irak – y compris Mossoul.

    Londres contrôlait les villayets de Bagdad, Bassora, du Koweït plus proches de la route des Indes. Mais, en octobre 1918, l’armée (britannique) du général Allenby ayant atteint Damas – zone  française –  et surtout du pétrole ayant été découvert dans la région de Mossoul, l’accord de 1916 fut modifié : la province de Mossoul passant, en septembre 1919, sous le contrôle des Britanniques, ce que confirma, en avril 1920, le traité de San Rémo, la France, en compensation, recevant un mandat sur le Liban et la Syrie. Ainsi a été dessinée la carte politique du Proche-Orient, Londres formant un Etat irakien et exerçant sa tutelle sur la Palestine. Ce découpage fut accepté par la Turquie, par le traité de Lausanne (juillet 1923). Ainsi le pétrole de Mossoul avait réuni les conditions d’au moins un siècle d’instabilité régionale.

    1951 – 1953
     En 1951, Mohammed Mossadegh, premier ministre iranien nationalise la production pétrolière iranienne après avoir rompu les négociations avec la compagnie Anglo-Iranian.

    Mohammad Mossadegh en 1951

     

    Mohammad Mossadegh (1882-1967) Issu d'un milieu social aisé et cultivé, Mossadegh fait ses études à Téhéran. En 1896, il est contrôleur des impôts dans la province du Khorassan. Après dix années de service au ministère des Finances, il part à l'étranger. Étudiant à l'École des sciences politiques de Paris, il poursuit des études de droit en Belgique et en Suisse. Docteur en droit,il est élu en 1925 au parlement iranien, le "Majlis". Il s'oppose alors à la nomination du Premier ministre, Reza Khan en tant que nouveau roi d'Iran. Malgré l'effort de l'opposition, Reza Khan est proclamé roi et fonde une nouvelle dynastie, celle des Pahlavi. Mossadegh est contraint de se retirer de la vie politique, en s'exilant dans ses propriétés.

    C'est alors qu'en 1942, suite à l'avènement du nouveau roi, Mohammad Reza Chah Pahlavi, il revient à la politique en siégeant de nouveau au Parlement iranien dans le rang des nationalistes. En 1944, Mossadegh rédigea une loi interdisant à quiconque de négocier avec des compagnies étrangères sans l’autorisation du Parlement. L’Angleterre porta l’affaire jusqu’à la Cour Internationale de La Haye. Cette dernière se prononça en faveur des Britanniques. Devenu Premier ministre le 29 avril 1951, avec l'appui des factions religieuses modérées (conduites par l'ayatollah Abol -Ghassem Kashani), il fitappel de cette décision. En 1952, la Cour Internationale donna raison à Mossadegh.

    En février 1953, soutenu par Londres et par Washington le shâh destitue le premier ministre et, l’année suivante, un nouvel accord sera conclu avec la Grande-Bretagne quant au partage des ressources pétrolières de l’Iran. Mais vingt ans plus tard, reprenant la politique de Mossadegh, le shâh s’assure la maîtrise de la production iranienne, provocant la réaction des Occidentaux. Giscard d’Estaing accueille, en France, Khomeyni qui prêche l’éviction du shâh ; émeutes, révoltes, chassent le souverain (janvier 1979) si bien qu’en avril 1979 est proclamée en Iran une république islamique. Indirectement création des maladresses de la politique de Londres, Paris et Washington.

    Emeute. Iran 1979…

    1956
    Le 20 juillet, la Banque mondiale refuse de financer la construction du barrage d’Assouan, vaste projet d’irrigation du Caire. La semaine suivante, le colonel Nasser riposte en nationalisant le canal de Suez. Londres et Paris, à la conférence de Sèvres, envisagent des sanctions militaires. Gaston Deferre, ministre du gouvernement Guy Mollet, va jusqu’à suggérer d’affamer la population égyptienne en asséchant le Nil. C’est à un subterfuge auquel on aura recours : l’Etat d’Israël sera incité à s’en prendre à l’Egypte et, sous prétexte de séparer les combattants, un puissant corps d’intervention franco-britannique envahira l’Egypte mettant un terme au nasserisme

    Vue aérienne de navires coulés à l'entrée du canal de Suez afin d'empêcher tout passage lors de l'attaque de l'Égypte en 1956 par Israël, la France et la Grande-Bretagne.
    (© Central Press/Getty Images)

    Mais, à la surprise de Londres et de Paris, Washington se rangea aux côtés de l’Egypte et contre ses alliés français et britanniques. Faisant cause commune avec Moscou – qui avait brandi le spectre de l’arme atomique –Washington s’en prit à la livre sterling et ses bâtiments de guerre firent mine de gêner les opérations de débarquement alliées.

    Ainsi, sept ans seulement après la signature du Pacte atlantique, Washington s’associait à Moscou contre ses principaux alliés atlantiques.
    Première esquisse d’une politique pétrolière déterminante, il s’agissait pour Washington – comme pour Moscou – de ménager le monde arabe, détenteur d’au moins 70 % des ressources pétrolières alors inventoriées. La quête d’énergie valait bien un retournement – momentané – d’alliances.

    1960
    Les grands producteurs de pétrole, soucieux de tirer le maximum de profits des richesses de leur sous-sol – leur principale source de revenus – s’associent dans une Organisation des pays exportateurs (OPEC). Huit ans plus tard, sera mise sur pied une Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP) afin de défendre les intérêts spécifiquement arabes de l’entreprise pétrolière. Aussi l’or noir a-t-il provoqué la mise sur pied d’organisations à la fois politiques et commerciales, face aux démarches des compagnies exploitantes et à celles des gouvernements des pays consommateurs. Le commerce des hydrocarbures devenait une arme politique dotée de ses structures d’études, d’analyses et… de combat.

    1973.
    Après celui provoqué par la crise de Suez le choc pétrolier qui suivit la guerre dite du Kippour (octobre 1973) fut d’une autre ampleur.
    Il semble que cette guerre fut plus ou moins « agencée » par le Département d’Etat, comme si celui-ci avait voulu que l’Etat d’Israël, toujours victorieux sur les champs de bataille, en vienne à composer avec l’Egypte, son puissant voisin après ne l’avoir emporté sur lui que de justesse grâce à l’audacieuse manœuvre des blindés de Sharon. Aussi les services spéciaux américains ont-ils trompé leurs homologues israéliens en leur cachant les préparatifs militaires égyptiens (Mme Golda Meir, à l’époque premier ministre le reconnut) si bien que les Egyptiens franchirent la ligne de Bar-Lev, les défenseurs israéliens y étant surpris.

    « l'un des fameux ponts de bateaux jetés pour permettre le passage des chars égyptiens ».

    Bar-Lev est le nom du chef d'état-major de Tsahal qui fit édifier en 69/70 cette ligne de défense anti-artillerie, afin qu'Israël puisse conserver ses positions dans le Sinaï après l'annexion de ce dernier lors de la guerre des Six jours.

    Habile diplomate Henry Kissinger avait pris la précaution d’organiser, à Washington une rencontre Nixon-Brejnev afin de négocier la participation d’entreprises américaines à l’exploitation des gisements de gaz naturel de Sibérie mais aussi par l’article IV du traité (de Washington du 22 juin 1973) conclu par les deux pays, de décider que si quelque part dans le monde un conflit risquait de dégénérer en échange de coups nucléaires, les deux capitales devaient aussitôt se concerter pour y mettre un terme. Ainsi était « verrouillée » la tension israélo-arabe et il était moins risqué de la mettre à l’épreuve par une nouvelle guerre qui ne saurait déclencher le recours à l’atome.

    Comme en 1956, l’objectif de la Maison-Blanche était de favoriser le clan arabe, sans pour autant, rompre les liens avec l’Etat hébreu. A nouveau, étaient en jeu, les approvisionnements en énergie fossiles.

    1979.
    En février, à Camp David est négocié un traité de paix israélo-égyptien qui sera signé le 26 mars par Sadate et Begin. Cet accord mécontente de nombreux pays musulmans et contribue à une nouvelle crise pétrolière dont il faudra que s’accommodent les économies des pays gros consommateurs d’hydrocarbures.

    1981 – 1988
    Guerre Irak-Iran.

    Scène de la guerre Irak-Iran

    Bagdad entend reprendre le contrôle du Chott el Arab et du détroit d’Ormuz par où transitent ses pétroliers. Car l’Iran a occupé Abou Moussa et les îles de la Grande et de la Petite Tomb, menaçant d’enclaver l’Irak, privé de son seul débouché sur la mer. Si la Syrie soutient l’Iran, l’Irak est aidé par l’Arabie Séoudite (qui redoute l’Iran chiite) la France, les Etats-Unis et l’URSS. La « guerres des villes » (échanges de fusées balistiques) l’attaque des tankers et des installations pétrolières de Kharg, d’Abadan…. déclenchent un nouveau choc pétrolier en 1985.

    L'Euphrate, long de 2 700 km, traverse en outre la Syrie et l'Irak. Le Tigre (1 899 km) est frontalier avec la Syrie et coule ensuite en Irak. En Basse Mésopotamie, les eaux mêlées des deux fleuves constituent, sur 170 km environ, le Chott el Arab qui débouche dans le golfe persique.

    1990 – 1991
    Première guerre du Golfe. Positions de principe des futurs belligérants : l’Irak ne reconnaît pas la démarche des colonisateurs qui détachèrent le Koweït de l’Irak, province ottomane. Soucieux d’assurer leur ravitaillement en hydrocarbures les Etats-Unis aimeraient voir attribuer à l’Arabie Séoudite, à l’époque le grand allié, le quota de production de l’Irak, laïc-socialisant et plus pro-soviétique et pro-français que tourné vers les Etats-Unis. De surcroît, la « nucléarisation » de l’Irak par la France inquiète Washington. Tel Aviv, de son côté, incite Washington à intervenir.
    Bagdad reproche aux autres pays du Golfe de provoquer la baisse du prix du pétrole. Plus spécifiquement le Koweït est accusé d’exploiter abusivement le gisement de Roumeillah, à cheval sur la frontière koweïto-iranienne.

    Pour arriver à ses fins, Washington usa de l’ambiguïté de ses porte-parole :
    Ce fut la cas de Mme A. Glaspie, ambassadeur à Bagdad, déclarant à Saddam Hussein, le 25 juillet que « les Etats-Unis n’entendaient pas intervenir dans le différend irako-kowétien ». Et plus encore de Mme Tutwiller et de John Kelly respectivement porte-parole du Secrétaire d’Etat et adjoint de M. J. Baker pour les questions du Proche-Orient : …  « Si le Koweït ou les Emirats étaient attaqués, les Etats-Unis n’étaient pas tenus de leur porter secours … ».
    (31 juillet). S’agissait-il d’un piège ou de deux maladresses verbales ? Toujours est-il qu’ainsi encouragé Saddam Hussein fit envahir le Koweït le 2 août.

    Autoroute Nord Koweït-city/Bagdad, baptisée la "Highway of death" ("autoroute de la mort") par l'armée Américaine du temps de la première guerre du Golfe.

    Washington et ses alliés négocièrent jusqu’au début de 1991, les opérations militaires commençant le 16 janvier. Les Etats-Uni avaient réussi à mettre sur pied une coalition d’une trentaine de pays plus intéressés par le futur partage des richesses énergétiques de l’Irak que par le sort du Koweït. Ainsi a commencé une longue période d’instabilité au Proche-Orient et amorcé la profonde fracture entre « l’Occident » et « l’Orient », ou plutôt entre les anciennement industrialisés, forts consommateurs de pétrole et de gaz naturel, et les grands producteurs musulmans.

    Années 90 à 2000
    Les richesses énergétiques de la Caspienne passent de l’URSS défunte aux entreprises occidentales. La région du Caucase suscite les convoitises des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne … et de la France (Exxon et Chevron Texaco, British Petroleum, Total mais aussi ENI italien et Lukoil russe). A Washington, Mme Madeleine Albright, Secrétaire d’Etat déclare :
    … « Prendre en compte les destinées du Caucase sera une tâche exaltante pour les Etats-Unis ». Ce qui explique les manœuvres des Etats-Unis en Géorgie, le tracé d’un nouvel oléoduc évacuant le pétrole de Bakou par la Turquie, en se détournant de la Russie. Ce qui justifie les réactions de Moscou. Ainsi, le pétrole, et demain le gaz naturel des rives de la Caspienne sont-ils à l’origine des empiétements occidentaux dans le domaine qui fut, exclusivement, celui de Moscou, annonçant une nouvelle guerre froide ayant l’énergie pour origine.

    1993. La Chine devient importatrice de pétrole
    La zone Asie-Pacifique n’a pas été favorisée en ce qui concerne les gisements d’hydrocarbures. Les réserves de la zone sont de l’ordre de 4 à 5 % des réserves mondiales alors que la consommation approche 30 %. Rapportées aux besoins de sa population les réserves de la Chine sont faibles (18 milliards de barils) comparés aux 263 milliards de barils de l’Arabie Séoudite et, a fortiori, aux 100 milliards du minuscule Koweït. Aussi la Chine est-elle devenue le deuxième importateur de pétrole, devancée seulement par les Etats-Unis, avec plus de 6 millions de barils/jours d’achats à l’extérieur.

    Aussi Pékin s’est-il tourné vers Moscou et aussi le continent africain pour en emporter l’or noir et les matières premières indispensables à l’alimentation de son énorme potentiel de production. (Achats à Moscou de 700 millions de tonnes de pétrole en 25 ans). Construction de nouveaux oléoducs des gisements de Sibérie au littoral chinois du Pacifique, investissements massifs en Afrique et aménagements de l’infrastructure nécessaire au déplacement des fluides et autres matières premières). La boulimie d’énergie crée des liens économiques et politiques entre la Chine et la Russie, l’Afrique, l’Amérique du sud, au détriment des positions acquises par les pays anciennement industrialisés. Et la situation s’aggravera encore avec le passage des ans, la demande mondiale passant de 80 millions de barils/jour à 120/125 millions dans 15 ans. La Chine contribue à cet accroissement avec des besoins augmentant de 5 à 7 % annuellement.

    Cette quête d’énergies fossiles est une précieuse manne pour les pays émergents qui en détiennent des gisements. L’Afrique en bénéficie, ce qui pourrait, au moins, ralentir la montée vers l’hémisphère nord de larges fractions de sa population.

    2003. Deuxième guerre du Golfe
    La première guerre du Golfe a réuni les conditions de la seconde. Le traitement infligé au peuple irakien et aussi le déploiement en Arabie Saoudite de forts contingents armés de l’Occident, stationnant en terre sainte, ont dressé contre les Etats-Unis en particulier et les Occidentaux en général, des intégristes musulmans rassemblés sous l’égide d’Al Qaeda. D’où la série d’attentats énumérés ci-dessous :
    -World Trade Center (fév. 1993) Dhahran (juin 1995) – Nairobi et Dar es Salam (août 1998) – Yémen (octobre 2000) et New-York, World Trade Center et Pentagone à Washington (septembre 2001) – dans le temps que l’Argentine, l’Arabie Séoudite, la France, l’Egypte étaient aussi les victimes du terrorisme musulman (avant l’Espagne, la Grande-Bretagne, la Russie, l’Etat hébreu, l’Ouzbékistan, le Pakistan etc…).

    Mais c’est évidemment l’attentat du 11 septembre 2001 qui a été déterminant dans la mesure où « bouleversés par l’audace des terroristes », les autorités américaines constataient que nombre de ressortissants saoudiens étaient impliqués dans les attentats visant les Etats-Unis.

    D’où, la décision de changer de politique au Proche-Orient et, au lieu de s’en remettre à l’Arabie Saoudite comme essentiel fournisseur de pétrole, exploiter directement les hydrocarbures d’Irak en s’y installant par la force des armes. La guerre serait aisément justifiée : l’Irak détenait des armes de destruction massive – ce qui se révéla faux. Sa population subissait  une cruelle dictature et les Etats-Unis lui feraient bénéficier de la démocratie. Depuis, les événements ont mis en évidence l’échec de l’entreprise. Il fallait également s’en prendre à l’Afghanistan, siège des écoles de terrorisme et des irréductibles talibans… Mais aussi terre de passage d’un éventuel oléoduc – et gazoduc – alimentant l’Asie orientale en énergies provenant du bassin de la Caspienne.

    La politique pétrolière des Etats-Unis dictée par le souci d’assurer à son économie un ravitaillement en énergie correspondant à ses besoins lui a aliéné sinon l’hostilité de tous les gouvernements musulmans, du moins celle de leurs populations. Et aussi celle de nombre de peuples émergents, soit près de la moitié de l’humanité.

    Ainsi, cette politique pratiquée obstinément depuis le début des années 90 a créé une fracture plus profonde encore et plus grave que celle qui avait opposé l’économie planifiée à l’économie de marché, autocraties et démocraties au temps de la « guerre froide ». L’armement nucléaire figeait les hostilités au niveau verbal et diplomatique. Aujourd’hui, le terrorisme contourne le nucléaire et les moyens traditionnels d’assurer la sécurité si bien que la décision d’y mettre un terme dépend des terroristes eux-mêmes.

    2000 à ……. 2050 ?  L’énergie au service de la Russie.
    Si l’obsession énergétique inspire et domine la politique intérieure (un gouvernement de « pétroliers ») et extérieure (la guerre) des Etats-Unis, la Russie de Poutine recourant seulement à l’économie et à la pression diplomatique, place la même politique volontariste au service de la Russie, et de son retour à la puissance.

    Au début du présent millénaire la Russie fournissait 13 % de l’énergie mondialement consommée. Plus spécifiquement en 2002 elle produisait 9 %  du pétrole mondial et déjà 25 % du gaz naturel dont elle détient 27 % des réserves mondiales. Ce qui lui permet de produire plus de 500 milliards de mètres cubes et par un gigantesque réseau de ravitailler en énergie le reste du monde. Mise en œuvre par 300.000 spécialistes et gérant plus de 150.000 kilomètres de gazoducs. Gazprom distribue le gaz naturel russe en Europe et en Asie.

    Du développement d’infrastructures de GNL en mer de Barents à la construction de gazoducs reliant les gisements de Sibérie à la Chine, la Russie annonce d’ambitieux projets de développement d’infrastructures, qui permettraient à terme de limiter sa dépendance actuelle vis-à-vis du débouché européen.

    En Europe, une dizaine de pays de centre Europe sont tributaires à 100 % du réseau Gazprom, l’Allemagne à 45 %, la France à 25 %, la grande firme d’Etat russe ayant déjà investi près de trois milliards de dollars dans ses gazoducs européens.

    Moscou utilise cette indispensable répartition d’énergie à des fins politiques, ne serait-ce qu’en majorant ou en diminuant les coûts en fonction du comportement des pays consommateurs vis-à-vis de la Russie. C’est ainsi qu’en 2004, afin que Minsk cède à Gazprom une entreprise de gazoduc nationale, les livraisons avaient été stoppées pénalisant à la fois la Biélorussie et la Pologne et menaçant l’ouest européen… Vis-à-vis de l’Ukraine, Moscou détient un atout majeur dans la négociation. Depuis, la Biélorussie bénéficie à nouveau de bas tarifs tandis que les pays baltes, entrés dans l’OTAN, paient plus cher.

    Environ 25 % des besoins en gaz naturel de l’Union européenne sont satisfaits par Gazprom. De nouveaux projets sont à l’étude pour ravitailler la Turquie et, directement, l’Europe de l’ouest par un oléoduc construit sous la Baltique. Dépourvus d’énergies – Norvège et Grande Bretagne mises à part – les Etats de l’Union dépendent ainsi des ressources de la Russie.

    2000 à 2050 ? Le pétrole hisse la Norvège au premier rang.

    En ce qui concerne le revenu par habitant la Norvège a atteint le sommet de la hiérarchie des peuples. La rente pétrolière norvégienne, presque en totalité, a été versée à un fonds géré par la Banque de Norvège (plus de 190 milliards de dollars). Cette fortune – qui augmente avec le temps –  a permis à la Norvège d’éviter le carcan de l’Union européenne, les diktats de Bruxelles et l’euro afin de conserver sa pleine indépendance politique et économique.
    D’importants gisements d’énergie fossile non exploités se trouveraient en mer de Barentz. Conformément aux droits de la mer, par son littoral nord, la Norvège y est, économiquement, souveraine. Son espace maritime est encore accru  par les îles de Spitzberg qui relèvent aussi de la Norvège.

    Il y a là une source de vastes profits, du moins pour les prochaines décennies. Mais aussi un sujet d’inquiétude en raison des ambitions – tout aussi légitimes – de la Russie sur la mer de Barentz orientale qui jouxte les eaux revendiquées par la Norvège. Il est dangereux pour les pays faibles d’être trop riches en ressources énergétiques. La Norvège n’est pas faible, mais elle se développe sur le flanc d’un géant…

    2000 à 2050 ? Le pétrole émancipe l’Amérique du Sud.

    Le continent sud américain n’est pas dépourvu de sources d’énergies fossiles. Les réserves de pétrole seraient de l’ordre du milliard de barils et celles de gaz naturel d’environ 7 à 8 % des réserves mondiales.

    Les principaux gisements d’énergie fossile se trouvent au Venezuela, en Bolivie et, plus modestes, en Colombie, Pérou et Argentine.

    Deux événements ont complètement changé la situation des pays producteurs et exportateurs. D’une part l’augmentation du prix du baril avec le revenu considérablement accru de la rente pétrolière et, d’autre part, la demande de la Chine et de l’Inde déplaçant vers l’Asie les centres de haute consommation qui se trouvaient, naturellement, en Amérique du Nord.

    Le président Chavez du Venezuela, et le président Morales de Bolivie se sont engagés dans la même voie que celle jadis empruntée, en Iran, par Mossadegh : nationaliser les hydrocarbures afin que le budget national tire plein profit de la commercialisation d’un produit national.

    « Hugo Chavez du Venezuela, Fidel Castro de Cuba et Evo Morales de Bolivie »…

    Eventuellement au détriment des entreprises exploitantes étrangères (Total, Exxon-Mobil, Conoco Phillips au Venezuela, et Pétrobras, Repsol et encore Total en Colombie).

    L’arme du pétrole – avec les privilèges qu’elle confère – est brandie par M. H. Chavez. Il menace même d’ignorer, désormais, les organisations internationales (F.M.I.,  Banque mondiale,  taxées d’être aux ordres de Washington) acceptant peut-être de rejoindre la Communauté andine des nations (C.A.N) … pour qu’elle tourne le dos aux Etats-Unis.

    Ainsi, les hydrocarbures suscitent, en Amérique latine, un mouvement d’émancipation vis-à-vis de la « grande sœur d’Amérique du nord », hier dominante sur le continent sud américain.

    2000 à 2050 ? L’immense fortune des petits pays producteurs de pétrole

    Les mini Etats arabes producteurs de pétrole bénéficient de l’explosion de leurs revenus. Fort intelligemment, ils gèrent cet afflux de liquidités – mesuré en centaine de milliards de dollars – en le plaçant au service du futur, lorsque, sous le sable, ne sera plus qu’un sous-sol stérile.

    Localement ils développent des activités compatibles avec la dimension de leur territoire et les aptitudes de la population (finance, tourisme, quelques industries de pointe) mais, surtout les Emirats investissent à l’extérieur en participant, financièrement, à des entreprises minières, industrielles, touristiques, afin d’en tirer des revenus compensant le manque à gagner dû à l’épuisement des hydrocarbures.

    Quelques exemples illustreront le propos :
    Abu Dhabi a construit une fonderie d’aluminium, consacré des milliards de dollars à la réalisation d’ensembles  immobiliers  destinés  à attirer les touristes. Une ligne aérienne nationale les transporte et un nouvel aéroport les accueille. Dubaï exploite conjointement une mine de bauxite (3 milliards de dollars d’investissement en Afrique) crée un vaste centre de loisirs, participe au capital d’industries d’armement (Daimler-Chrysler, Doncaster).

    « Projet « Palm island » à Dubaï »

    Sa compagnie aérienne opère à partir d’un vaste aéroport destiné à être une des « plaques tournantes » du trafic aérien international . Emirates va ainsi être richement dotée, avec 43 Airbus 380 et une centaine de biréacteurs modernes. Dubaï a investi 11 milliards de dollars dans l’habitat indien, l’urbanisation de ce grand pays étant inéluctable, entre dans le capital du Nasdaq américain et a rejoint le Qatar pour s’approprier 48 % du capital de la prestigieuse Bourse de Londres. Pour sa part, le Koweït finance la Bristish Petroleum, la Royal Bank of Scotland, des firmes industrielles allemandes et britanniques, construit et gère des aéroports internationaux… Bref la rente pétrolière grossie, détournée de nouvelles prospections, est affectée, maintenant, au financement d’activités extérieures en étant peu à peu substituée au commerce des hydrocarbures.

    Parce qu’il s’agit de sommes considérables, l’économie générale du monde en est modifiée. Ces participations ou ces prises de contrôle financier pèsent sur la vie politique et économique des pays bénéficiaires de cet afflux de liquidités mais également atteints dans la gestion d’un patrimoine ou d’un potentiel de production national dont ils ne sont plus maîtres.

    Cette revue sommaire de ce que l’on pourrait appeler les « actes des hydrocarbures » montre que cette forme d’énergie a façonné les relations internationales et, en maintes occasions, sinon en permanence décidé du comportement des gouvernements et cela dans tous les domaines. L’autre forme d’énergie, celle que fournit la désintégration de la matière, et qui relève de la géopolitique, a également exercé sur les peuples une « dictature » analogue mais, évidemment d’un autre ordre.

     

    I.b – L’emprise de l’atome sur l’humanité

    Hiroshima : 6 août 1945

    Le mois d’août 1945 inaugure un nouveau rapport de force entre les nations. Hier, le charbon, le fer, l’industrie lourde faisaient la différence. Depuis Hiroshima le traitement de l’uranium et le laboratoire distinguent les nantis des autres.

    L’atome « militarisé » a mis fin à une guerre d’extermination qui avait duré six ans, mobilisé les combattants par millions et accumulé les ruines et les victimes, plus de 50 millions. En novembre 1945, Albert Einstein écrivait : « Comme je ne peux prévoir que l’énergie atomique ait, d’ici longtemps, des applications bénéfiques, je dois dire qu’actuellement, elle constitue une menace. Peut-être est-il bon qu’il en soit ainsi. Cela peut intimider les êtres humains et les conduire à mettre de l’ordre dans leurs affaires internationales car, sans la pression de la peur, ils ne sont pas capables de le faire ».

    La pression de la peur ? Elle s’est exercée dans le bon sens. Après Hirsohima et pour une durée indéterminée, l’atome « militarisé » a neutralisé les privilèges qu’accordaient un territoire de vaste étendue, une riche démographie, et les gros bataillons qu’elle permettait, l’industrie lourde, des positions stratégiques favorables. La puissance repose sur d’autres critères qui doivent
    moins à l’ordre naturel qu’à la volonté politique et à la capacité scientifique. Dans ce cadre géopolitique nouveau l’atome « militarisé » a eu aussi un bilan bénéfique. Il a imposé le statu quo entre les forces de l’OTAN et celles du Pacte de Varsovie, joué le même rôle dans le différend sino-russe des années cinquante, interdit à nouveau le recours à la force entre l’Inde et la Chine, puis entre l’Inde et le Pakistan après deux guerres meurtrières disputées avec des armements classiques.

    1949.  Les Etats-Unis perdent le monopole de l’atome « militarisé », l’URSS ayant procédé à ses premières expérimentations. D’autre Etats vont s’engager dans la compétition : Grande-Bretagne (1952), France (1960), Chine (1964), Israël (1965), Inde (1974), Pakistan (1998), Corée du Nord (2006). Bien d’autres encore, pourraient suivre en partant de la production des centrales nucléaires leur fournissant de l’énergie commercialisable, à commencer par l’Iran.

    1952   Première bombe dite à hydrogène expérimentée par les Etats-Unis en octobre, l’URSS disposant d’un projectile thermonucléaire en 1954, la Chine en 1967, la France en 1968 et l’Inde en 1998.

    1958   Le sous-marin « Nautilus », de la marine américaine, passe sous la calotte glaciaire, au pôle nord, et annonce une ère stratégique nouvelle et sans précédent : le trinôme sous-marin, missile balistique et ogive nucléaire forment une arme décisive pratiquement invulnérable faute de pouvoir la localiser dans l’immensité océanique. Cette ère nouvelle commence avec le début des années 60.

    1962 Les Etats-Unis ayant installé des fusées Thor et Jupiter en Turquie (et Italie et Grande-Bretagne) Moscou en déploie d’analogues à Cuba cherchant à la fois à occuper Berlin ouest et à obtenir le retrait des fusées qui menacent le sud de la Russie sans qu’il existe, à l’époque, une parade.

    Fidel Castro et Nikita Khrouchtchev "Nous ferons tout pour soutenir Cuba."

    Grave épreuve de force qui inquiète le monde et dont il est courant de dire aujourd’hui qu’une guerre mondiale fut évitée de justesse. La réalité est autre. C’est justement à cause – ou plutôt grâce – au déploiement, de part et d’autre, de sous-marins lance-missiles qu’un échange de coups nucléaires était impossible, aucune des deux parties ne sachant où frapper pour paralyser ou stopper l’agression. La crise a été exploitée à des fins de politique intérieure par l’équipe Kennedy (le président et son frère) faisant croire que la non-guerre reposait sur leurs talents diplomatiques. La Maison-Blanche retirant ses fusées de Turquie, le Kremlin retira les siennes de Cuba, l’échange mettant fin à la crise.

    1963.  Signature, à Moscou, du traité interdisant les essais nucléaires dans l’atmosphère. (La France, la Chine, l’Inde n’ont pas adhéré au traité, la France en respectant ultérieurement les clauses).

    1968.  Les Etats-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne signent le traité de non prolifération (TNP) en faisant la part des Cinq, ayant réalisé des essais avant janvier 1968 (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France, Chine) et les autres Etats auxquels les Cinq s’engagent à ne pas fournir des armes nucléaires ou de les aider en s’en doter. Valable pour 25 ans, ce traité sera prorogé sans limite mais inégalement respecté.

    Cérémonie de signature. La négociation du Traité de non-prolifération des armes nucléaires s'est achevée en 1968. Sur cette photo prise le 1er juillet de cette année, l'ambassadeur des États-Unis Llewellyn Thompson (à gauche) signe le traité à Moscou avec le ministre soviétique des affaires étrangères Andreï Gromyko. Assiste à la scène, parmi les membres de l'ambassade des États-Unis et les représentants soviétiques, le Premier ministre soviétique Alexeï Kosygin (troisième à partir de la droite). (AP Wide World Photos)

    1972.  Autre accord  – bilatéral cette fois – entre Washington et Moscou. Ce premier accord sur la limitation des armements stratégiques porte également sur la restriction des armements  anti missiles, les deux parties fondant leur sécurité mutuelle sur le fait que l’une et l’autre demeurant vulnérables à une agression déclenchant d’imparables représailles. Encore une situation, historiquement, sans précédent. (En 1967, le stock américain culminait à 32 500 ogives nucléaires et le soviétique à 45 000 en 1986, incroyable potentiel de sur-annihilation, confinant à l’absurde). 

    1986.  Signature du traité de Washington par lequel Russes et Américains démantèlent respectivement leurs armes nucléaires de portée intermédiaire (de sites de lancement de missiles de croisière), les engins Pershing à l’Ouest, des SS 20, SS 4, SS 5 et SS 22 et 23 à l’est).

    1996  En septembre signature du traité d’interdiction complète de tous les essais nucléaires (TICEN). Il est signé par les Cinq mais, en 1999, le Sénat américain refusera de le ratifier. Démantèlement du Centre d’essai du Pacifique et recours à la simulation en ce qui concerne la France (et les Etats-Unis, lesquels cependant, n’ont pas fermé leur Centre du Nevada).

    1998  Nouveaux essais indiens en mai et pakistanais en juin, le TICE n’est pas appliqué et la Corée du Nord négocie l’achat de deux réacteurs nucléaires dans le même temps qu’elle aborde la filière des centrifugeuses  selon les conseils du professeur pakistanais A.Q. Khan.

    Abdul  Qadeer Khan, fondateur du programme nucléaire pakistanais. (AP Wide World Photos)

    S’il en était besoin le traitement infligé à l’Irak par les Etats-Unis a justifié aux yeux des dirigeants nord-coréens, le recours à l’atome « militarisé » national. Au cours des années 80 et en fonction de l’affaiblissement de l’allié soviétique le directeur d’une usine de traitement du minerai d’uranium, Kim Dae Ho fit campagne « pour fonder la réunification sur la mise au point de l’arme atomique ». On sait, maintenant, que dès le début des années 60, la petite communauté scientifique de Corée du Nord s’intéressa à la science de l’atome. Elle recruta un chimiste japonais Lee Sung Ki qui avait d’ailleurs été enlevé aux siens lors des hostilités de Corée (1950 – 1953) et qui s’est mis au service de Pyong Yang. De son côté Moscou aida la Corée du Nord, les universités soviétiques spécialisées  accueillant plusieurs dizaines d’étudiants nord-coréens en atomistique. Ajoutons que le programme intitulé « Atom for peace » annoncé en 1955 par le président Eisenhower fut également un stimulant pour le régime de Pyong Yang, les techniques de l’atome étant largement divulguées.

    Accédant peu à peu à la puissance les Etats émergents d’Asie se sont naturellement tournés vers les sciences de l’atome dans le même temps que s’en détournaient les « anciennement  industrialisés » en Occident. Ainsi en zone Asie-Pacifique, la Russie par la Sibérie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord sont des Etats possédant le savoir conduisant à l’ « atome militarisé ».
    La Chine doit à Hiroshima une révélation qui se montra décisive. Séculairement assurée sinon de sa supériorité, du moins d’une civilisation n’ayant rien à envier à l’extérieur, force lui fut de constater que c’est la science occidentale et non la sienne qui a maîtrisé la désintégration de la matière. D’où une révolution des vieilles certitudes et la préparation d’une nouvelle Chine regardant différemment l’Occident industrialisé et prête à emprunter les mêmes voies pour accéder à la toute puissance.

    Dans un tel environnement, on saisit les ressorts  de la démarche
     iranienne. Il est probable que la diplomatie américaine n’a jamais été confrontée à un problème aussi complexe que celui que lui pose l’Iran contemporain et son
     programme nucléaire. C’est que les acteurs du conflit sont nombreux, imprévisibles, rivaux, à la fois coopérants et adversaires.

    Qu’on en juge :
    -D’abord le pouvoir – avec ses rivalités internes  – qui siège à Téhéran.
    -Puis, les chiites d’Irak alliés de circonstance  des Etats-Unis dans le cadre de la « démocratie », les sunnites  irakiens, tantôt poursuivis, tantôt courtisés ; les minorités iraniennes  hostiles  au pouvoir central ; le Pakistan ravitaillant en armes les opposants  au régime des mollah et l’Etat hébreu « travaillant » les Kurdes d’Iran et, naturellement refusant un échange de bons procédés : démantèlement  de Dimona (en Israël) parallèlement à la destruction des usines de Natanz et de Arak (en Iran).

    Les autorités irakiennes ont vivement démenti les informations de la chaîne britannique BBC 2 selon qui des instructeurs israéliens formeraient des soldats kurdes en Irak, mais elles n’ont pas été en mesure d’expliquer les témoignages et les images recueillis.
    Le magazine « Newsnight » du 19 septembre 2006 avait présenté des images exclusives de vastes installations et de ces entraînements. Interop et Colosseum, deux sociétés israéliennes de mercenariat serviraient de couverture à cette activité de Tsahal. Les officiers transiteraient par Djibouti pour masquer leur origine.

    Enfin, par-dessus  ces ambitions, ces démarches  et ces contraintes, il faut aussi tenir compte des intérêts de la Russie et de la Chine, et aussi de l’Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne, de la Turquie. C’est beaucoup exiger de Mme C. Rice,  Secrétaire d’Etat de M. Bush, traitant le dossier iranien.
    Mais il faut aussi prendre l’Histoire en considération et le lourd contentieux irano-occidental. Au début de la Seconde Guerre mondiale les Britanniques et les Soviétiques envahissent l’Iran. Les premiers occupent le sud (route des Indes) et le second, le nord (Caspienne méridionale). Ils ne se retireront qu’en 1942.

    Précédemment ont été brièvement rappelées les deux interventions anglo-saxones dans les affaires de l’Iran et dont Mossadegh, puis le shâh Reza Palevi furent les victimes… et Khomeiny le bénéficiaire.

    Comme le serait la présidence  américaine, dix ans plus tard, obsédé par les approvisionnements en pétrole, Giscard d’Estaing allait non seulement donner une certaine autorité aux appels à la révolte de Khomeiny mais, auparavant, il avait conclu avec le shâh – invité à Paris en 1974  – un accord de coopération pétro-nucléaire. Paris fournirait à Téhéran 5 centrales nucléaires et 1e réacteur de recherche en échange d’un prêt de 1 milliard de dollars destiné à la réalisation du projet Eurodif (enrichissement de l’uranium naturel pour en faire un combustible capable d’alimenter les centrales nucléaires). L’Iran devait obtenir, annuellement, 10 % de la production d’Eurodif. Une société franco-iranienne, Sofidif participerait à 60 % au capital du CEA et pour 40 % à celui de l’Agence iranienne de l’énergie atomique ; la Sofidis disposerait de 25 % des actions d’Eurodif.

    1974 - Giscard et le Shâh D'Iran
    Centre nucléaire de Marcoule (Gard) le 28 juin 1974 : Le Président de la République française, Valéry Giscard d'Estaing, et son premier ministre Jacques Chirac reçoivent le , souverain d'Iran. Quelque temps plus tard, un accord est conclu pour financer la construction d'Eurodif, usine d'enrichissement d'uranium, absolument indispensable pour alimenter les 58 réacteurs nucléaires que la France va construire.

    C’était préparer l’Iran à devenir une puissance nucléaire à part entière. (Un an plus tard Giscard allait réitérer avec l’Irak. Saddam Hussein, reçu à l’Elysée, en sortait pour déclarer : « que l’Irak allait devenir la première puissance nucléaire arabe ». On connaît la suite).

    Mais, une fois au pouvoir, Khomeiny renonça à l’accord Eurodif  et réclama le remboursement du milliard de dollars. Paris commença par refuser et gela les comptes franco-iraniens d’autant que Téhéran entendait rester dans le capital d’Eurodif  tout en obtenant le remboursement du prêt. Paris argua de la rupture du contrat mais, jusqu’en 1984 les négociations échouèrent. N’ayant pas encore la « bombe », Téhéran disposait de l’arme du terrorisme : prise d’otages, attentats à Paris en mai 1986, enlèvement à Beyrouth de 4 journalistes, explosion dans le TGV Paris-Lyon, attentats aux Champs-Elysées  et en septembre 1986  5 bombes explosent encore à Paris. Le gouvernement français se résigna à rembourser en 3 tranches de 330 millions de dollars. Mais chaque retard dans le paiement fut sanctionné par un nouvel attentat. Les otages furent libérés entre juin 1986 et janvier 1987, mais Georges Besse, artisan d’Eurodif, avait été assassiné (17 novembre 1986) ainsi que le général Audran. Aussi est-il risqué de vouloir « sanctionner » l’Iran. Il semblerait que Washington le sache si Paris l’ignore. Vis-à-vis de l’Iran, la politique pétro-atomique  de Giscard d’Estaing avait déclenché une vague d’attentats – et ses dizaines de morts et ses centaines de blessés. L’année suivante une politique analogue conduite  avec l’Irak, puis relayée par les Etats-Unis aboutira au chaos actuel.

    Aujourd’hui, les Iraniens constatent que des forces armées des Etats-Unis sont stationnées à leurs frontières occidentales  (en Irak) et orientale (Afghanistan) et qu’au nord, à cause des richesses  énergétiques de la Caspienne, les Occidentaux sont aussi au nord, tandis qu’au sud, croisent les navires de l’US Navy. Cet encerclement  rapproche la population iranienne de ses dirigeants, fussent-ils extrémistes.

    Aussi, M. Ahmadinejad  exploite-t-il  aisément les faiblesses des Etats-Unis, tenus en échec en Irak, en Afghanistan et au Liban. Il assistait aux récentes réunions du groupe de Shanghaï et fit cause commune en Amérique latine, avec les régimes opposés à Washington.

    M. Ahmadinejad et Hugo Chavez

    En gagnant du temps, Téhéran peut envisager un « accommodement » comme celui qui vient de permettre à la Corée du Nord de ne plus figurer sur « l’axe du mal », tout en conservant la demi-douzaine de « bombes A » qu’elle détiendrait  ou qu’elle pourrait assembler avec le plutonium déjà produit. La Maison-Blanche a un extrême besoin de «succès » diplomatiques, même chèrement payés et Téhéran en tirerait parti en se prêtant à un compromis. Ce serait, semble-t-il, la position de l’organisation de l’énergie atomique de Vienne (due à la grande sagesse dont fait preuve son directeur, M. El Baradei).

    M. El Baradei

    On y admet qu’en 2020 la consommation  électrique de l’Iran atteindrait 56.000 mégawatts dont 7.000 grâce aux Centrales nucléaires du pays. Et le président iranien, Mohamed Khatami déclarait : … « Si nous voulons produire 7.000 ou 10.000 mégawatts d’électricité nucléaire, nous ne pouvons dépendre des autres pour le combustible des centrales  atomiques ».

    Et d’annoncer que l’Iran n’était pas isolé, qu’il avait reçu de la Chine 1000 kg d’hexafluorure d’uranium et aussi des centrifugeuses  G 2 tournant à des vitesses supersoniques, mises au point par le consortium Urenco (Anglo-germano-hollandais) tandis qu’il négociait toujours avec la Russie pour l’alimentation de la centrale nucléaire de Boucheir.

    « Une guerre préventive contre l’Iran est une ultime option qui ne peut être écartée (estimait le sénateur Joseph Lieberman)… mettre des armes nucléaires entre les mains  d’un gouvernement qui croit et dit ce qu’il dit des Etats-Unis est dangereux ».

    Et voici quatre ans qu’outre-atlantique  on se préparerait à cette guerre bien qu’elle ajouterait à l’insécurité générale du monde et au déclin moral des Etats-Unis.                
    La concomitance  de l’obsession pétrolière – pour le développement  – d’une part et l’atome militarisé  pour la sécurité dans l’indépendance, d’autre part, ont plongé l’humanité dans la division, le désordre, le chaos, la guerre, le terrorisme d’Etat et de groupe, compromettant à la fois la course à la prospérité et l’aspiration à la sécurité.

    II  - Le règne des nouvelles techniques d’information et de communication

    Tous les gouvernements  cherchent à s’assurer sinon le contrôle, du moins l’utilisation intensive des TIC afin de justifier leur politique et d’y rallier l’opinion.
    La pratique croissante  de la démocratie – ou d’un simulacre de démocratie – implique le recours généralisé aux TIC, instruments normaux de l’exercice du pouvoir, quel qu’il soit.

    La puissance  d’information – et plutôt de désinformation –  des TIC est telle qu’elle permet au pouvoir qui maîtrise ces techniques de créer un monde virtuel aux agencements conformes à ses intérêts.Spéculant sur la complexité de la plupart des grandes affaires nationales et internationales, les gouvernements sont en mesure d’en donner l’image simplifiée, plus intelligible mais déformée, voire trompeuse qui leur convient.

    Faire la part de la désinformation est malaisé, et la confusion entre la réalité et l’artifice fait le jeu des pouvoirs.

    Relativement récente, l’addition de l’image télévisée à l’écrit et au son, s’est révélée décisive. Grand est son pouvoir de simplification, la succession rapide d’images supprime la réflexion et lui substitue une sensation subjective.La photographie d’un fait ou d’un événement en certifie l’authenticité, le téléspectateur y croit bien qu’à son insu, l’image peut être perfide, trompeuse,et  « fabriquée ».

    La rétention d’images est une forme passive de la désinformation particulièrement  efficace, d’autant qu’elle peut apparaître innocente. Aléatoire est devenue la pratique de la démocratie. D’une part, le pouvoir de persuasion des TIC permet de contourner la réalité et de faire approuver des dispositions conformes au monde virtuel que ces techniques  peuvent créer, d’autre part l’image télévisée a inauguré l’intrusion du « crédit de faciès » dans la vie politique.

    L’aspect physique  d’un cadre politique – silhouette, visage avenant – décide de sa carrière. Ses invisibles capacités  n’entrent plus dans l’équation politique quotidienne comme jadis, l’intelligence, la rigueur morale, la compétence, l’éloquence ; seuls comptent « l’extérieur » et la fréquence des images de sa personne.La popularité, c’est-à-dire en définitive, l’accès au pouvoir est fonction du « paraître ».

    Il faut être vu à l’écran le plus souvent possible, entrer ainsi dans un grand nombre de foyers et y racoler les suffrages de l’électeur.Ainsi le vedettariat cinématographique  est-il devenu la condition de la réussite politique. La manipulation des TIC est parfois conduite  de manière cocasse.C’est  ainsi qu’à la veille des opérations militaires préparées par l’Allemagne et visant la dislocation de la Yougoslavie, une officine américaine  de publicité avait trouvé profit à passer de la propagande  touristique en faveur de la Croatie en instrument de propagande  au détriment de la Serbie. Et comme un journaliste français (1) s’en montrait surpris, il lui fut répondu que c’était un moyen de gagner beaucoup d’argent…
     D’ailleurs, cela n’a pas d’importance car au moins un Américain sur deux ne sait où, en Afrique, est la Bosnie ».

    La guerre d’Irak, le traitement de sa malheureuse  population ont été justifiés en usant du mensonge délibéré (sur l’existence d’armes de destruction massive introuvables) de même que l’opinion publique avait été « préparée » à l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie par une campagne préalable de diabolisation des Serbes.

    En France, la récente élection présidentielle  a mis en évidence la puissance du TIC, et plus particulièrement celle de l’image télévisée.Près de la moitié du corps électoral français a été séduit par l’aspect physique d’une candidate que rien ne désignait vraiment à l’exercice des plus hautes fonctions.Elle a été le produit de l’image télévisée.Dans le cadre d’un système électoral où le racolage – démagogique à souhait – vise des millions de suffrages, les TIC sont, évidemment prépondérantes. Et le « crédit de faciès » déterminant.

    « Racolage électoral »

    Autre aspect inattendu, et comparativement secondaire  des interventions des TIC dans la vie de la société : son rôle dans le marché de l’art. Ce n’est plus sa valeur réelle  qui caractérise une œuvre d’art mais son prix d’achat. Une planche barbouillée  de vert acide, rose tendre et bleu pâle demeure un morceau de bois aussi longtemps que les TIC ne décident pas qu’elle est une œuvre d’art, mise en vente plusieurs millions de dollars. Et plus la somme est élevée, plus grand est l’art. Démarche normale  en fin de civilisation après des siècles au cours desquels le beau a été exploré sur toutes ses formes si bien qu’au contemporain il ne reste que l’incongru et le laid comme champ d’action. Grâce aux TIC et à leur pouvoir de persuasion ce domaine est à la fois vaste et rémunérateur.

    IIIAffrontement des « anciens industrialisés » et des nouveaux émergents

    Le XXIème siècle  est manifestement celui du retour, aux sommets de la puissance, des peuples de la zone Asie-Pacifique. La substitution de leur civilisation à celle qui, à l’Ouest, domina le monde durant des siècles ne se fera pas sans douleur.

    Évolution du secteur des semi-conducteurs

    Ces données permettent d'appeler l'attention sur deux phénomènes :

    - la place croissante de la zone Asie-Pacifique (hors Japon),

    - et la relative sous-consommation de l'Europe en semi-conducteurs, qui, avec plus de trois fois la population du Japon et près d'une fois et demie la population des États-Unis, représente une part inférieure du marché.

     En effet, la mutation des pôles de puissance s’effectuera dans un environnement de crise : à la raréfaction, puis à l’épuisement des énergies fossiles (hydrocarbures) accélérés par les besoins du développement asiatique et par l’accroissement général de la population, s’ajouteront l’insuffisance des ressources en eau potable et aussi les exigences de la sauvegarde du milieu naturel. D’où d’éventuelles tensions, voire des différends  meurtriers, les peuples se disputant des ressources inégalement réparties ou devenues insuffisantes.

    Milliardaires  en vies humaines, Chine et Inde empruntent, pour leur développement, la même voie que celle qui fut suivie par l’Occident, terme général englobant ici essentiellement l’Europe et l’Amérique du Nord. En marche, elles  prennent le train du progrès tel qu’il a été conduit pendant deux siècles dans le cadre de la « civilisation industrielle » euro-atlantique.

    Rassemblant, dans moins d’un quart de siècle, quelque 3 milliards d’habitants,  soit la moitié de la population mondiale  d’aujourd’hui, Chine et Inde détiennent un formidable potentiel de travail, avec près d’un milliard d’actifs.

     Et cela ne relevant que  de deux gouvernements. C’est dire la très grande capacité  de production de ces deux Etats dominant déjà les autres en zone asiatique, ne serait-ce  que par leur masse et les privilèges qu’elle confère. En théorie ces deux peuples seraient en mesure de satisfaire, sinon tous les besoins  du monde en produits de consommation  courante, du moins en équipements, limitant par des coûts de fabrication très bas toute production -ou presque- hors de chez eux.
    A l’Ouest nous nous habituons mal aux grands chiffres, communs  en Asie Pacifique. Milliardaires  en vies humaines, Chine et Inde peuvent se permettre d’afficher des ambitions surprenantes  qu’ils étayent sur de vastes réalisations. Tous a été dit et écrit sur les taux de croissance  à deux chiffres,  les énormes réserves de change, mais aussi les conditions d’existence précaires de centaines de millions d’habitants, aussi bien en Chine qu’en Inde.

    Rappelons  quelques unes de ces ambitions et de ces réalisations :

    • Pékin s’est donné comme  objectifs de construire 30.000km de voie ferrée d’ici à 2020, et aussi 35.000km d’autoroutes, d’urbaniser la population à 45% , de créer annuellement 15 millions d’emplois. En quête d’énergie, sous  toutes ses formes, le gouvernement chinois a envisagé la construction de quelque 30 centrales nucléaires parallèlement aux gigantesques barrages construits pour utiliser le réseau hydraulique du pays.

    Chine : Barrage des Trois Gorges

    Il s’agit, chaque année, de multiplier par 7 la production d’énergie électrique (et de construire 8 centrales thermiques  mensuellement). Et aussi, de l’aménagement  de 30 nouveaux aéroports, de reloger les ruraux dans 400 villes nouvelles de chacune 1 million de nouveaux citadins, en moyenne. Il s’agirait également  de porter la classe moyenne, une centaine de millions, à au moins 200 millions en dix ans, en sachant que 130 millions vivent avec l’équivalent de 1 dollar/jour et qu’il faut aussi, simultanément améliorer leur sort. Egalement ambitieux, sont les projets et les réalisations de la Chine en ce qui concerne l’espace  et l’armement en envisageant, dès maintenant d’y occuper la 3ème place derrière les Etats-Unis et la Russie…avant de les devancer.

    La population de l’Inde, d’ici une trentaine d’années, aura dépassé, numériquement  celle de la Chine. A la différence de celle-ci, elle bénéficie dans ses relations  avec les « anciennement industrialisés », de la présence prolongée des Britanniques. Une des formes de sa richesse est la jeunesse  de sa population, un Indien sur deux aurait moins de 25 ans (soit 550 millions).

    Comme la Chine  elle comporte une forte classe rurale -700 millions- travaillant des parcelles  de petites dimensions  et avec des moyens  encore rudimentaires, si bien qu’il y a migration vers les villes … et la nécessité  d’en créer de nouvelles, par centaines. Cette « armée de réserve », en Inde comme en Chine, peut servir de « régulateur des salaires », les ruraux étant admis à la ville lorsque les salaires  augmentent.

    Mais l’Inde apporte  à la coopération internationale une importante main- d’œuvre, très qualifiée, aux traitements modestes.

    Par exemple, par dizaines  de milliers, annuellement, des ingénieurs, ou encore 12 à 15 000 docteurs en chimie. Et aussi des milliers de spécialistes travaillant dans les TIC, l’Inde  exportant, en outre, pour plus de 10 milliards de dollars, chaque année, des logiciels et des systèmes de gérance à distance. Aussi, entre-t- elle victorieusement dans l’ère post-industrielle. Mais sans pour autant négliger les industries  de main-d’œuvre. La puissante  firme TATA MOTORS n’envisage-t-elle pas de fabriquer en grande série, des voitures automobiles qui seraient vendues moins de 2 000 Euros l’unité ?

    A côté de l’énorme potentiel de production que représentent, maintenant –productivité croissante  aidant- les quelque 2 milliards de productifs mondiaux, les TIC ont joué leur rôle et facilité la mondialisation des échanges.

    Les « anciennement industrialisés » ont visé le marché mondial, et pour ce qui nous concerne ici, celui des grandes puissances émergentes de la zone Asie-Pacifique avec ses 3 milliards de consommateurs.Sans trop se soucier qu’il y a parmi eux aussi, plus d’un milliard d’actifs -et même de « sur-actifs »- comparés aux normes du travail « occidental ».En retour il fallait donc s’attendre à subir les effets d’une concurrence  faussée par les coûts d’une main-d’œuvre  encore longtemps peu rémunérée bien qu’aussi qualifiée.

    La conquête  de ce vaste marché, ne serait-ce que d’une fraction, a imposé des transferts de technicité qui ont contribué à accroître la qualité de la production locale tandis que celle-ci, exportée vers les marchés des « anciennement industrialisés » y figeait, puis y stérilisait la production, modifiant l’assiette de leur économie.

    Au cours des dernières années, les unes après les autres, de nombreuses  activités industrielles  et commerciales des « anciennement  industrialisés » ont cessé, ou ont été préparées à renoncer faute d’être en mesure de produire à des prix rivalisant avec ceux pratiqués en zone Asie-Pacifique.

    Usine textile en Chine

    Ce fut le cas des textiles, de l’habillement, de l’industrie du jouet, de celle de l’électronique  ménagère, des ordinateurs, des constructions navales, et ce sera aussi le cas du matériel ferroviaire, de la pharmacie, des services à distance, de l’aéronautique, des techniques de l’atome, de l’espace.

    Lenovo, le constructeur chinois d’ordinateur s’est fait connaître en rachetant la division PC à IBM fin 2004 pour 1,25 milliard de dollars.

    Avant de mettre la clé sous la porte, les « anciennement  industrialisés » ont tenté des délocalisations en Europe, vers l’Est ou vers le Sud mais sans pouvoir rejoindre les conditions de production de la zone Asie-Pacifique et en ajoutant au chômage local.

    Si, demain, ainsi que c’est annoncé, la Chine et l’Inde exportent leur production automobile, mettant sur le marché  des voitures vendues entre 1700 et 3500 euros, personne sur ce versant du monde, ne pourra relever un tel défi.
    Encore moins outre-atlantique  où, déjà, la production automobile japonaise menace une industrie américaine qui fut mondialement majeure.

    Si, comme le déroulement  des événements le donne à penser, l’innovation et la production dont se montre capable la zone Asie-Pacifique en venait à dominer celles de l’Occident, celui-ci serait tenu de s’accommoder d’une sorte de colonisation économique, ne vivant que de l’exploitation de son rayonnement et de sa splendeur passés. D’abord une économie de services puis perdant pied dans ce domaine également, des activités secondaires dépendant des loisirs des futurs trop riches.

    Le charbon d’abord, le pétrole et le gaz naturel ensuite, autrement dit des formes d’énergies puisées dans la nature, à relativement bon compte, ont puissamment contribué à façonner la société occidentale, et dans la foulée, fort inégalement, le reste du monde.Et ce qui a été ainsi accompli aux cours des deux derniers siècles est irréversible. Si l’Occident faiblit, l’Asie-Pacifique reprend le flambeau permettant, et sans  doute amplifiant, ces acquis.

     Le XXIè siècle est celui de la mutation d’une énergie à une autre, laquelle  reste à trouver et à développer. Ce sera l’objectif de la seconde moitié du siècle  et la question se pose de savoir ou naîtra cette énergie, ou plutôt, où naîtront ces énergies de remplacement, sur quel versant du monde ?

    Qui, initialement  du moins, en aura le monopole ?

    Et à quel prix ces énergies nouvelles seront-elles  commercialisées, déterminant une nouvelle forme de société ?

    Au cours des deux derniers siècles, de plus en plus exploitées, les énergies naturelles disponibles ont donc contribué –fort inégalement, certes- à l’amélioration générale des conditions d’existence. Mais dans le même temps Pétrole et Gaz naturel ont provoqué, de graves conflits, les non producteurs s’en prenant aux terres de pléthore. En revanche, simultanément, « l’atome militarisé » a figé les tensions évitant qu’elles dégénèrent en guerre d’extermination comme celles qui déchirèrent la première moitié du XXe siècle.

    Mais l’heure de l’épuisement de cette forme d’énergie approche car la demande croissant -50% de plus au cours du prochain quart de siècle- vide les gisements exploités. A cet égard les experts sont pessimistes bien qu’il y aurait encore d’importantes ressources, mais dont il sera coûteux de tirer parti.Avant que la planète ait fourni ses derniers hydrocarbures, ceux-ci seront plus chers. Déjà, au cours de l’année 2006, quelque 200 milliards de dollars ont été dépensés pour trouver dans le monde de nouvelles sources d’énergie.La contraction puis la fin de la rente pétrolière vont bouleverser les économies, et les conditions d’existence des pays producteurs ainsi que leurs rapports avec les Etats grands consommateurs. La Russie a raison de hâter sa montée en puissance, si la Chine et l’Inde seront libérées du poids des importations d’hydrocarbures et les pays producteurs du tiers-monde, à nouveau plongés dans la précarité. Donc, en matière d’énergies, une fin de siècle fort différente, politiquement, de ses débuts.
    Enfin, autres caractéristiques  du temps présent et des prochaines décennies, l’affrontement socio-économique  des « anciennement  industrialisés » et des « grands émergents » tourne à l’avantage de ces derniers.

    Les dépenses militaires des USA depuis 1998

    Ils marquent des points dans la guerre économique tandis que les premiers, sous l’égide des Etats-Unis, en restent à l’épreuve de force pour tenter de pérenniser leur prédominance.

    Pierre M. Gallois 5 octobre 2007 http://www.lesmanantsduroi.com

  • L’Europe, la géopolitique et Pierre Béhar par Maximilien MALIROIS

    Les Éditions Desjonquères publient en 1990 le premier essai de Pierre Béhar, intitulé Du Ier au IVe Reich. Permanence d’une nation, renaissance d’un État. Agrégé d’allemand, professeur de littérature et de civilisation allemandes, enseignant aux universités de Sarrebruck, Metz et Paris-VIII, cet universitaire français interroge l’histoire de l’Allemagne à la lumière de la réunification de 1990 dans des frontières nouvelles. Celle-ci donnera-t-elle naissance à un futur Reich tant il est vrai que la conjonction de son poids démographique et de son dynamisme économique inquiéterait ses voisins ? Béhar y répond négativement. Il considère que le chancelier Kohl vient plutôt de donner à l’Allemagne l’adéquation tant désirée entre la nation, le peuple et l’État. Cependant, du fait de sa position géographique, l’Allemagne redevient l’« État du Milieu » de l’Europe et reprend son rang de puissance régionale à part entière.

    Entre-temps, le bloc soviétique implose. Son effondrement abasourdit les Européens de l’Ouest qui se voient confrontés avec le retour explosif d’épineuses questions nationales gelées par cinquante ans d’internationalisme prolétarien ! Paraît alors L’Autriche-Hongrie, une idée d’avenir. Dans ce nouveau livre, Pierre Béhar dénonce le meurtre de l’Empire des Habsbourg par les vainqueurs de la Grande Guerre. Il salue aussi la clairvoyance de l’historien royaliste et libéral Jacques Bainville qui avait vu le danger des traités de paix dès 1920.

    L’héritage des traités de 1919

    En détruisant l’Autriche-Hongrie qui n’était pas une construction politique parfaite (loin de là…) et en chassant les Habsbourg, les Alliés de l’Entente ont durablement déstabilisé un ensemble régional. Le principe des nationalités à disposer d’elles-mêmes ne peut s’y appliquer intégralement sans qu’au préalable, on rectifie des frontières supposées intangibles et on garantit le droit des nombreuses minorités ethniques, linguistiques et religieuses. Pragmatique, la dynastie autrichienne avait exercé une autorité supranationale consolidée par l’histoire qui fût reconnue et respectée par les peuples du Danube et des Balkans. L’idée démocratique associée au nationalisme le plus chauvin excite au contraire les antagonismes nationaux. Livré à lui-même, chaque peuple se cherche alors un protecteur et s’aligne sur la grande puissance continentale du moment (la France dans les années 1920, l’Allemagne dans les années 1930 et 1940, l’U.R.S.S. et les États-Unis entre 1945 et 1991, l’O.T.A.N. depuis 1991). Ces alignements successifs ne font que renforcer les tensions entre peuples voisins et rivaux et contribuent à accroître la déstabilisation du Sud-Est européen.

    Puis, avec Une géopolitique pour l’Europe, Pierre Béhar étend ses réflexions à l’Eurasie. Voulant répondre indirectement à Francis Fukuyama, prophète de la “ Fin de l’Histoire ”, il entrevoit que les bouleversements en cours aussi bien à l’Est (fin des démocraties populaires et éclatement des fausses fédérations) qu’à l’Ouest (émergence d’un marché commun européen) modifient radicalement la donne politique continentale. D’un ton assez optimiste, l’auteur expose un ambitieux projet géopolitique pour les peuples européens et eurasiens. Or, dans Vestiges d’empires, il semble abandonner ce dessein paneuropéen pour un constat pessimiste et désabusé. Aux incertitudes exaltantes du début des années 1990 succède le désenchantement de la fin de la décennie. Les guerres balkaniques et caucasiennes ont fait leur œuvre sanglante. L’euroscepticisme à l’Ouest a ralenti une construction européenne elle-même en proie aux soubresauts néo-jacobins et séparatistes régionaux ainsi qu’aux empiétements constants d’une administration technocratique et d’un marché qui se veut global. En pleine mondialisation, les nations européennes s’affirment plus que jamais vivaces alors qu’elles subissent parallèlement une perte majeure de légitimité. L’Europe, terre natale des nations, tente désespérément de s’unir, mais celles-ci semblent dans leur intimité s’y refuser. Bref, c’est le cercle vicieux !

    Pour la très grande Europe

    Les considérations géopolitiques de Pierre Béhar sont séduisantes car exemptes d’idéologie quelconque. « La géopolitique n’est autre que la politique nécessitée par les contraintes de la géographie, souligne-t-il. Celle imposée à l’Europe est claire. » La construction européenne ferait bien de prendre en compte le facteur géographique plus souvent que les indices macro-économiques. Mais comment Béhar conçoit-il l’Europe ? Il réfute la vision habituelle qu’il juge erronée. « Si l’on prétend [la] définir par la tradition judéo-chrétienne, on obtient une définition de celle-ci qui englobe les Américains et les Néo-Zélandais, mais qui exclut les Albanais et les Bosniaques. » L’Europe n’est qu’un sous-ensemble d’un espace plus vaste qui comprend aussi bien les Russies et la Sibérie que le monde turc : l’Eurasie. Pour qu’il soit efficace d’un point de vue géopolitique, Béhar pense qu’au nom de l’équilibre européen, il faut accepter l’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne ! Pour lui, toute l’histoire ottomane, puis turque, est européenne, et les Turcs sont appelés à devenir, un jour ou l’autre, pleinement des Européens. Il est l’un des premiers à voir qu’« il est essentiel pour l’Europe qu[e la Turquie] soit le contrefort et son prolongement vers l’Asie centrale ». Il ajoute qu’Ankara dispose de plusieurs options géopolitiques. Soit elle rejoint l’Union et, en retour, l’Europe s’ouvrirait le vaste marché touranien des république d’Asie centrale et pourrait se constituer un glacis protecteur contre les pressions arabes, iraniennes, pakistanaises et chinoises. Soit Ankara se rapproche d’une Russie anti-occidentale et « eurasiste » (voie nationaliste), se recentre vers le monde arabo-musulman (voie néo-ottomane) ou bien devient « le promontoire d’un monde touranien hostile à l’Occident en général, à l’Europe en particulier » (voie pantouranienne), ces trois dernières possibilités étant assez complémentaires sous certaines conditions.

    Au « réalisme » spatial s’ajoute une conception originale chez un universitaire du temps historique. La chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS ont stupéfié les observateurs qui ne s’y attendaient pas, d’où leur profond trouble. Toutefois, Béhar atténue, tant « il est vrai que, même si elle vient s’inscrire dans un cycle assez nettement défini, la crise à laquelle se trouve confrontée l’Europe semble, dans sa nature, radicalement neuve. Elle ne l’est en réalité que dans la mesure où, dans sa conscience historique, l’Europe moderne ne trouve pas de précédent à cette situation ».

    Maastricht ou la soumission

    Rédigés au moment de la discussion du traité de Maastricht, les livres donnent une vision stimulante d’une véritable Europe politique. Mais l’auteur craint que Maastricht « divise une Europe occidentale qui ne l’était pas, et exclut durablement l’Europe centrale de la famille européenne. Se fondant sur des critères économiques, ce traité instaure implicitement une Europe à quatre degrés » les États riches, les moins riches, les pauvres et les indigents avant de préciser : « C’est une des grandes spécialités de la “ construction européenne ” que de faire les choses en dépit du bon sens ». Ses objections convergent ici avec la critique des souverainistes nationaux. Par ailleurs, il remarque que loin d’atténuer la méfiance française envers l’Allemagne, Maastricht l’a attisé. Cela explique les atermoiements européens au cours de la guerre en Bosnie-Herzégovine. La longue inaction des chancelleries françaises et britanniques se comprend par le désir secret de limiter la pénétration allemande dans la région et par la « représentation inconsciente que les musulmans sont moins chez eux en Europe que les chrétiens, même si ces musulmans – Bosniaques, mais aussi Albanais – font partie des plus anciens peuples d’Europe, convertis au XVIIe siècle à l’Islam ».

    Revenant sur le processus de construction de l’Union européenne, P. Béhar critique sévèrement le parti-pris économiste. Avant d’imposer une monnaie unique, il faut créer un marché, instaurer une fiscalité et développer une économie adaptées. Et avant de s’atteler aux tâches économiques, il importe de donner à l’Europe un cadre militaire et diplomatique commun, ce qui signifie favoriser l’intérêt général des Européens. « Une armée commune, un projet de stratégie commun n’ont de sens que si l’on se met d’accord sur des intérêts politiques communs à défendre. On défend alors des intérêts, une vision d’ensemble. » Or le caractère que prend l’Europe dans la seconde moitié des années 1990 inquiète Béhar.  La réintégration subreptice de la France dans le giron de l’O.T.A.N. détruit toute velléité de défense européenne souveraine. « Un ensemble politique qui n’a plus les moyens d’assurer lui-même sa propre sécurité se dépossède des moyens d’une politique étrangère indépendante, qu’il se constitue en fédération, en confédération ou en tout ce que l’ingéniosité de ses légistes et de ses technocrates pourra bien inventer. Et cette démission, il faut le souligner, n’anéantit pas l’indépendance de la seule “ Union européenne ”, mais de l’Europe entière. » Cette lâcheté inacceptable aliène durablement les intérêts propres de l’Europe. En outre, elle affaiblit les Européens qui risquent finalement de perdre leur sécurité et leur liberté. « Il ne faut pas s’en remettre [aux Américains] pour la construction de l’avenir européen, martèle-t-il. C’est une attitude qui [le] fatigue que d’accepter de jouir de droits et de refuser les devoirs qui permettent d’accéder à ces droits. »

    Béhar se montre sans indulgence envers la diplomatie calamiteuse de François Mitterrand qui nia les évidences de l’après-9 novembre 1989. L’aveuglement et/ou la frilosité du Président fit perdre à la France l’occasion unique de prendre la tête des nations européennes libérées. Déçues des atermoiements français, celles-ci se tournèrent vers l’Allemagne ! Conscient de l’importance des liens franco-allemands dans le mécano européen et estimant qu’« il n’est plus possible de réfléchir dans les cadres de pensée qui ont donné naissance aux traités de Westphalie », Béhar suggère des propositions détonnantes et révolutionnaires.

    Le rôle européen manqué de la France

    Dans un premier temps, considérant que si l’Allemagne est la grande puissance économique, dans « un autre domaine, en revanche, la France [lui] est supérieure : celui des armes ». Avant même la dissolution du Pacte de Varsovie (1991), il proposa que la France « prenant acte de l’immense élargissement de l’Europe, ne devait-elle pas replier à l’intérieur de ses frontières ses forces basées en Allemagne, mais les étendre aux territoires européens, offrant à la Pologne et à la Hongrie, qui précisément s’efforçaient de se rapprocher pour leur sécurité de l’Europe occidentale, de les stationner sur leur   sol ». Attention, Béhar insista beaucoup pour que ce déploiement vers l’Est fût élaboré en concertation avec les onze autres membres de la C.E.E. afin qu’il ne fût pas compris comme un moyen de restaurer une quelconque prépondérance française. Par cette action spectaculaire, « il s’agissait de concevoir une politique européenne équilibrée, dans laquelle aucun État – donc pas l’Allemagne, mais pas non plus la France – n’exerçât de prépondérance, et de mener la politique de la France dans le cadre et en fonction de cette politique conçue aux dimensions de l’Europe. La France, se gardant de prétendre pour elle-même à aucune hégémonie, devait d’une part aider les nations à recouvrer la liberté et à s’associer comme elles le désiraient, bref œuvrer à un nouvel équilibre européen interne; elle devait d’autre part mettre ses armes stratégiques et tactiques au service de la défense de l’ensemble européen » et en rendant, par une politique navale ambitieuse, l’Europe maîtresse de ses espaces maritimes.  En effet, « si la politique de la France a un avenir, conclut-il, c’est aux dimensions européennes » car la géographie et l’histoire ont fait de la France « une sorte de microcosme de l’Europe. Le Nord du pays est de culture flamande, l’Est de tradition germanique; les mondes normand et celtique de l’Ouest le rattachent aux îles britanniques; la Navarre est la porte de l’espagne et la Provence celle de l’Italie. Tous les mondes culturels, qui sont autant de visages de la culture européenne – le nordique et le méditerranéen, le continental et l’insulaire – se rencontrent en France pour s’y unir. Les autres cultures sont des variations de la culture européenne; la culture française est la synthèse de ces variations. Elle est la seule qui entretienne des relations avec la majorité des autres, permettant à chacune des autres d’une certaine façon de se reconnaître en elle – ce qui explique une part de son rayonnement passé : de toutes les cultures d’Europe, la culture française est la plus européenne. De la civilisation du vieux continent, elle est comme le point d’orgue. »

    La Confédération paneuropéenne

    Malheureusement, les événements prirent un tour différent. Alors, devant les risques d’une domination continentale depuis Berlin, Pierre Béhar traça une construction européenne alternative susceptible de concilier les constantes géopolitiques et les identités nationales. A la filandreuse Confédération européenne de F. Mitterrand, il opposa un modèle calqué sur l’exemple amélioré de l’Autriche-Hongrie. Pourquoi ? Parce que la Double-Monarchie est « cette grande survivance du passé [qui] semble aujourd’hui presque prophétique : une sorte de modèle de confédération pour l’Europe du XXIe siècle. Mais, dans une Europe des nationalités où l’Allemagne et l’Italie venaient de réaliser leur unité, elle paraissait un vivant anachronisme ». La Confédération paneuropéenne comprendrait non seulement des États, mais surtout et essentiellement des fédérations régionales d’États. Par le biais de ces fédération (balkanique, danubienne, nordico-scandinave, balte, atlantique, latine), il s’agirait de « créer des ensembles homogènes capables de faire entendre leur voix clairement en Europe ». Au sein de la Confédération, la fédération danubienne exercerait un rôle très important puisque « c’est autour de l’axe Vienne – Budapest que doit se reconstituer l’Europe centrale. Il doit être un élément essentiel de l’équilibre de l’Europe future ». Il va de soit que cette conception de l’Europe accorde le primat au politique. Pierre Béhar conteste sévèrement l’idéologie néo-libérale.

    Cette Confédération paneuropéenne serait neutre ou, pour le moins, libérée de l’emprise américaine. À plusieurs reprises, Béhar exprime son hostilité envers l’O.T.A.N. Cependant, son attitude devient contradictoire après le déclenchement des nouvelles guerres balkaniques. S’il prend successivement la défense des Croates, des Bosniaques, puis des Kosovars, il se montre excessivement hostile à la Serbie. Après la signature des accords de Dayton, il regrette que ce soit, une nouvelle fois, une puissance non-européenne qui s’ingère dans les conflits du continent pour les régler.

    L’Europe indépendante n’en demeure pas moins d’une urgente actualité primordial et une ardente nécessité. « Nous continuons de parler de parler de “ France ”, d’« Allemagne », d’« Angleterre », d’« États-Unis » ou de “ Russie ” comme aux plus beaux jours du XVIIIe siècle, sans nous rendre compte que ces mots représentent des forces dont les rapports de proportion se sont inversés. […] Aux dimensions du monde, seule compte l’Europe comme un tout. Il n’est pas actuellement en Europe de plus sûre façon de trahir les intérêts de sa patrie que de rester enfermé dans le cadre de pensée national ». P. Béhar insiste donc dans ses texte sur l’importance d’une géopolitique qui doit considérer le fait européen, les réalités nationales et la mondialisation qu’il faudra bien accommoder au risque sinon de périr. Pierre Béhar, parce qu’il est aussi historien, croît en l’Europe des peuples car « le sort des civilisations est toujours entre leurs mains. Les sentences qu’elles subissent ne sont prononcées que par elles-mêmes. Aussi sont-elles toujours justes ». Voilà un écrivain d’une espèce rare : un souverainiste… européen !
    Maximilien Malirois http://www.europemaxima.com/

    Bibliographie
    Les phrases citées proviennent des livres et articles ci-dessous. Nullement exhaustive, cette petite liste se veut surtout indicative.
    I – Les ouvrages
    • Du Ier au IVe Reich. Permanence d’une nation, renaissance d’un État, Paris, Éditions Desjonquères, coll. « Le bon sens », 1990.
    • L’Autriche-Hongrie, une idée d’avenir. Permanences géopolitiques de l’Europe centrale et balkanique, Paris, Éditions Desjonquères, coll. « Le bon sens », 1991.
    • Une géopolitique pour l’Europe. Vers une nouvelle Eurasie ?, Paris, Éditions Desjonquères, coll. « Le bon sens », 1992.
    • Vestiges d’empires. La décomposition de l’Europe centrale et balkanique, Paris, Éditions Desjonquères, coll. « Le bon sens », 1999.
    • Les langues occultes de la Renaissance. Essai sur la crise intellectuelle de l’Europe au XVIe siècle, Paris, Éditions Desjonquères, coll. « La mesure des choses », 1997.
    II – Les articles
    • « Faute d’une âme. Déficiences européennes » (pp. 81-87), Futuribles, Paris, juin 1995.
    • « Problèmes éternels de l’éternelle Russie » (pp. 12-23), Géopolitique, n° 54, Paris, été 1996.
    • « Entre l’Empire et l’État national. Naissance d’une nation » (pp. 33-36), Enquête sur l’histoire, n° 20, Paris, avril-mai 1997.
    • « Luther et la Réforme » (p. 37), Enquête sur l’histoire, n° 20, Paris, avril-mai 1997.
    III – Un entretien
    • « Prospective européenne : leçons d’histoire » (pp. 45-60), Futuribles, Paris, mai 2000.
    • Paru dans L’Esprit européen, n° 6, printemps-été 2001. http://www.europemaxima

  • Mali, c'est quoi demain ?

    Kidal est tombé, le croissant rouge qatari est déconsidéré, les drones-tueurs américains vont décoller du Niger. Il faut passer à autre chose.
    Bambara
    On a pu un temps considérer le Mali comme le solde de répartition des espaces décolonisés. On attela deux régions antagonistes qui traînaient à la découpe, le désert au nord du fleuve tenu plus ou moins par les Touaregs, le fleuve des Songhaï et les terres à jardins du sud peuplées de Bambara. A tel enseigne qu'il exista au départ une Fédération du Mali groupant le Sénégal actuel et le Soudan français, Mali d'aujourd'hui. Cette géographie des restes, qui apparaît en Afrique et au Moyen-Orient au reflux des empires français et anglais, est de tout temps calamiteuse car une aimantation des ethnies aux pays voisins subsiste, et la devise du Mali « un Peuple - un But - une Foi » fait sourire puisque ce fut dès le départ tout l'inverse, à l'exception de l'islam soufi. L'histoire du pays est correctement résumée par la Wikipedia. La déposition du président Amadou Toumani Touré le 21 mars 2012 tient justement à ce qu'on ne voyait aucun but à sa politique autruchienne.

    Le problème de toujours est la fracture entre Touaregs et Noirs. Les premiers ont besoin des seconds pour subvenir au quotidien dans la variété alimentaire, l'artisanat, le négoce de comptoir, toutes activités qui exigent la sédentarité pour se développer ; quand les seconds peuvent facilement substituer les produits d'élevage touaregs par les leurs. Ces élevages décimés par la sècheresse ont agglutiné beaucoup de nomades sans qualifications dans les villes au sud du Sahara. Les programmes de développement pilotés par Bamako ou par les agences étrangères les ont particulièrement évités. D'où l'ambiance de rezzou persistante dans les zones désertiques qu'ils patrouillent plus qu'ils ne les contrôlent. Les tribus sont assimilées aux trafics en tout genre jusqu'au juteux narcotiques qu'ils partagent avec les hordes arabes prétendument islamistes. Peu instruits, ils ont en revanche une haute considération d'eux-mêmes et un mental fort qui leur évite de tomber dans le piège du suicide bruyant pour la Cause et les 72 vierges-aux-yeux-noirs. Aussi est-il peu à craindre qu'un Touareg se fasse sauter en plein marché. C'est plutôt une occupation d'Arabe des villes. En ce sens, le concours des autochtones est utile à détecter le freux malade dans la foule.

    Songhai
    ATT, le président renversé, était un ancien parachutiste et il est surprenant qu'il ait laissé se liquéfier l'armée malienne jusqu'au point qu'elle déserte ses postes avancés dans le nord à la première annonce d'une colonne de rebelles assoiffés de sang. Il est vrai que le massacre par le MNLA de la garnison d'Aguel'hok (cercle de Kidal) rendue à court de munitions le 18 janvier 2012, qui avait été démembrée ensuite pour faire des vidéos sur Internet, avait cassé le moral et enflammé les familles des "sacrifiés". Mais de réactions offensives, point ! On peut dater ce lâche abandon de 2005 : Lors de la fête du Maouloud (naissance du Prophète), le colonel Kadhafi convoque à Tombouctou tous les chefs de tribus touaregues du quartier afin de signer ensemble la Charte pour la Fédération du Grand Sahara au nez et à la barbe du pouvoir de Bamako. Les "unités" étaient sa marotte. Après avoir humilié convenablement ATT, il rentre à Tripoli avec des groupes touaregs qu'il place en position de garde rapprochée du pouvoir. Ce sont ces groupes qui devront se débander à la chute du raïs libyen et retourner au nord du Mali, armés jusqu'aux dents. Ils y seront reçus avec les honneurs par les officiels !!! L'armée malienne doutait de la pertinence de cet accueil aimable mais maintint sa confiance à l'ancien général jusqu'à "Aguel'hok". ATT était devenu un président playmobil dans le déni perpétuel des réalités, fustigeant l'amalgame terrorisme-islamisme-azawad (c'était sa marotte à lui). Mal équipée, démotivée, ses cadres corrompus, une fraction de l'armée le renversera, à deux mois du scrutin présidentiel !

    Kel Tamasheq
    On sait bien que résoudre la question touarègue est essentiel à la pacification et au développement du Mali. Mais elle convoque deux préalables : que les quatre Etats impliqués au Sahara agissent de concert et ne jouent pas du vieil antagonisme ethnique ; que les Touaregs non sédentarisés s'inscrivent dans un schéma économique moderne - ce qui n'est pas tout de leur responsabilité, faut-il qu'ils y soient acceptés aussi. Le maillon faible du raisonnement est l'Algérie. Il y a un blocage mental du pouvoir algérien sur l'amélioration de conditions de vie au sud-Sahara. Ces territoires qu'ils ne se sont jamais vraiment appropriés n'ont d'intérêt pour eux que minier, et le plus fort affaiblissement des voisins sahéliens est recherché dans un but dont il est difficile de trouver la logique, quand on sait le déséquilibre des forces en présence ; la prospérité de la sous-région serait quand même préférable pour tous, y compris les nomades. Pourquoi dès lors traiter en sous-main avec tel groupe djihadiste contre tel autre ? Ce brassage de fange est caractéristique d'une intention de déstabilisation de la sous-région, mais pour quel profit ? C'est à la limite de la pathologie. L'attaque d'In Amenas les a-t-elle fait changer d'avis ? Ils ont tous les moyens de fermer la frontière (pas nécessairement sur le tracé point-trait) et s'ils avaient besoin d'un soutien dans le renseignement, l'Africom américain y pourvoierait de bonne humeur. Mais le soutien est un gros-mot. Le pouvoir en place qui vit sur la trajectoire d'une victoire militaire historique contre un empire européen - on a les contrefaçons qu'on peut, nous avons les nôtres - n'a besoin du soutien de personne. Qu'on se le dise ! Aussi, coincé entre l'insurrection rampante de la Kabylie misérable au nord, l'insatisfaction populaire partout ailleurs, et l'insécurité grandissante au désert, le gouvernement risque fort de cultiver son autisme face à l'imbrication des difficultés de tous ordres, un peu comme le faisait ATT dans ses derniers mois, la tête dans le sable à compter son or, laissant à la police le comptage des mécontents.

    femme Dogon
    ATT a-t-il perçu ces empêchements d'une politique de croissance comme il l'avait promise, et attendait-il "à la Chirac" la fin de son mandat ? C'est probable. Un homme politique, même un général parachutiste peut être dépassé par la fonction, les contingences, ses humeurs, sa résilience voire l'étendue de la corruption qu'il organise. Même sans cette gangrène, la meilleure bonne volonté des présidents¹ qui s'y sont succédés en libéralisant les codes socialistes pour inciter les entrepreneurs à créer n'a pu vaincre une chose : le manque de capitaux pour mettre en valeur les fondamentaux du pays qui ne sont pas nuls. C'est pourquoi la corruption d'Etat, qui a détourné les fonds de développement destinés à le pallier, est criminelle.
    Le secteur minier produit de l'or, du fer, de la bauxite, des phosphates et du marbre. L'agriculture vivrière (blé, riz) ne peut suivre la démographie et l'agriculture commerciale (coton, maïs) n'est pas transformée sur place, faute d'investisseurs - il y a de vrais opportunités à créer des filières agro-alimentaires. Le cheptel laitier est important et le pays ne manque pas de protéines (viande, laitages) mais les filières de conservation insuffisantes obligent à importer du lait sec. La production avicole est de bon niveau ; la pêche est ridiculement faible par rapport à la ressource. Du fait des ruptures saisonnières et du climat sahélien dégradé, il manque des conserveries de fruits et légumes. Le reste de l'économie tient aux services, transport et commerce principalement. Les comptes du pays ne sont pas "horribles", et avec le retour d'un Etat compétent et honnête, et grâce à la jeunesse de sa population et à ses ressources, le Mali est un pays certes pauvre mais d'avenir. Avis aux capitalistes courageux.
    J'amortis ce billet en présentant une ONG qui mérite le détour et qui oeuvre en pays dogon. J'ai travaillé pour ces gens, efficaces et désintéressés. Une courte vidéo en dira plus long. Si vous avez six sous de reste, c'est là qu'il faut les jeter sans hésitation !

    (1) Un article de MaliJet passe en revue les grands chefs du Mali depuis l'indépendance et l'influence de la fonction sur leur comportement ; nous résumons :
    - Modibo Keïta (Bamako 1915- Djikoroni 1977), intègre jusqu'à l'os mais socialiste buté, ne laissera à sa famille qu'une ferme à Moribabougou et nul compte bancaire en Suisse. Déposé par le suivant.
    - Moussa Traoré (Sébétou 1936- ), général putschiste préférant le pouvoir à l'argent, laissera ses affidés faire fortune sur fonds internationaux quand lui ni sa famille ne furent ensuite remarqués par leur train de vie. Déposé par ATT qui fera la transition démocratique.
    - Alpha Oumar Konaré (Kayes 1946- ), viendra à bout des revendications touarègues mais pas de la corruption désormais endémique de son entourage. Terminera ses deux mandats constitutionnels propre sur lui et s'est retiré à l'OIF.
    - Amadou Toumani Touré dit ATT (Mopti 1948- ), revêtira la peau du mouton jusqu'à recevoir l'adoubement des grandes démocraties pour l'équité politique qu'il met en scène. Une gestion des pénuries à la Ben Ali, sa famille captera le plus de richesses possibles tant sur fonds internationaux que nationaux. La corruption gangrènera l'état-major. Déposé par un capitaine de rencontre, prof d'anglais au prytanée militaire, il va subir une procédure d'extradition au Sénégal pour répondre du trésor amassé par le clan.