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géopolitique - Page 861

  • Honni soit qui Mali y pense !

    Un article de Léon Camus.

    Vendredi 11 janvier la Présidence de la République, sans en avoir informé préalablement le Parlement, prenait la responsabilité d’engager la France — seule — dans une intervention militaire au Mali. Opération aussitôt qualifiée de « guerre contre le terrorisme » par les caisses de résonance médiatiques. Dès les premières heures, les bombardements aériens et les combats terrestres autour de l’agglomération de Konna dans le centre du pays faisaient quelque 148 morts chez les rebelles et parmi les forces gouvernementales maliennes. Du côté des Français, un pilote d’hélicoptère de combat Gazelle, le lieutenant Damien Boiteux du 4e régiment d’hélicoptères de combat de Pau, était mortellement atteint « par un tir d’arme légère », dixit le commandement, lors d’un raid aéroporté contre une colonne de véhicules 4X4… Simultanément dans la nuit du vendredi au samedi, en Somalie cette fois, une unité du service Action de la Direction générale de la sécurité extérieure tentait de délivrer l’agent français Denis Allex, otage depuis cinq années après sa capture à Mogadiscio en juillet 2009. Opération désastreuse qui se soldera par la perte de deux hommes dont les corps seront abandonnés sur le terrain aux mains des miliciens d’Al-Shabaad. Cinq jours plus tard, alors que le Premier ministre va enfin consentir à se présenter devant l’Assemblée nationale, les islamistes ont déjà repris l’initiative et lancé une contre-offensive sur la localité de Djabli à 400 km au nord ouest de Bamako. Pendant ce temps, le président Hollande ayant pris brutalement conscience de l’isolement militaire et matériel de la France, se rendait le 15 janvier à Abou Dhabi pour y solliciter des aides et des fonds de la part des Émirats arabes unis, cela tandis que le quotidien 20 Minutes s’interrogeait — déjà — le matin suivant, sur la « stratégie que la France devrait adopter pour éviter le bourbier ». 

    UNE GUERRE LOW COST A LA HAUTEUR DES GLOIRES PRESIDENTIELLES

    Certes le Commandement des Opérations Spéciales basé à Ouagadougou, au Burkina Faso, avait anticipé cette nouvelle « guerre asymétrique » en prépositionnant des forces spéciales au Mali. Combien au départ ? 200 ou 300 biffins du 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine et du 13e Régiment de dragons parachutistes ? Avec pour logistique aérienne les hélicoptères du COS (Gazelle, Cougar, Puma, Tigre), trois Mirage 2000D sur les six du dispositif Épervier basé à N’Djamena et en sus, deux Mirage F-1, trois C135, un C130 Hercule et un C160 Transall !? Outre le recours à un drone Harfang stationné au Niger à Niamey, des missions sont aussi apparemment effectuées à partir de la France par des Rafale ! [meretmarine.com]. En réserve le 2e Régiment étranger parachutistes — 1 200 hommes — basé à Calvi, mais que l’on annonce devoir sauter de façon imminente sur Tombouctou ! De maigres forces qui donnent la dimension d’une opération fabriquée à la petite semaine, et à la mesure d’une France en pleine déconfiture morale, financière et politique… Utile au demeurant à la cuisine sondagière d’une présidence en mal de notoriété : un sondage Harris Interactive ne vient-il pas d’établir qu’une majorité de Français — 63 % — seraient favorables à l’intervention de l’armée au nord du Mali. Des Hexagonaux à la vue courte, ou magistralement désinformés… Les deux mon capitaine !

    À titre de comparaison, Sarkozy qui n’avait pas atteint aussi rapidement l’enfer du désaveu collectif que Hollande — c’est-à-dire en six mois — n’est cependant jamais parvenu à redresser la barre des sondages en revêtant les habits de chef de guerre, encore moins à remonter dans l’estime de ses concitoyens en dépit d’une naissance particulièrement opportune et de sa « sale guerre » libyenne, laquelle, il est vrai, aura été en effet assez sordide pour avoir entre autres péniblement traîné en longueur.  

    Au demeurant l’opération malienne, mal conçue, mal calculée devait en principe et au départ relever de la « guerre éclair ». Or il est maintenant évident, en dépit des communiqués triomphalistes du ministère de la Défense, qu’un vent de panique commence à se propager dans les états majors politiques — notons l’unanimité de la classe politique, Marine Le Pen incluse, pour emboîter le pas à la présidence sur des chemins aussi tortueux qu’hasardeux —lesquels se préparent psychologiquement à un engagement de longue durée.  

    À ce titre, les effectifs français viennent d’être portés à 800 hommes et Paris bat vainement le rappel de ses alliés européens, ceux-ci ne se bousculant pas pour apporter leur contribution à l’aventure. En fait ce sont maintenant environ 1 700 personnels qui participent à l’opération, étiage qui devrait atteindre rapidement le chiffre de 2 500… comme vient de l’annoncer sans ambages Hollande ce mardi 15 janvier. Des blindés d’ailleurs sont d’ailleurs arrivés en renfort de Côte d’Ivoire dans la nuit de lundi à mardi. Une situation par conséquent très loin d’être aussi limpide — et le chemin aussi dégagé — qu’il ne semblait de prime abord. Parce que la contre-offensive islamiste sur Djabali montre que, faute d’avoir subi des pertes sévères, les ennemis désignés de l’État français se sont simplement dispersés. De mauvaises langues vont jusqu’à dire que les pertes hexagonales seraient en fait largement minorées et que ce ne serait pas un hélicoptère mais deux qui auraient été abattus dès le premier jour, non par des armes légères, mais grâce à des missiles portables provenant des arsenaux de feu Kadhafi. Ce qui change la donne et n’avait apparemment pas du tout été prévu. 

    LIBYE-MALI, LE RETOUR DE BATON

    Parce qu’enfin quelle chanson nous chante-t-on ? Les armes aux mains des islamistes maliens ne sont pas tombées du ciel : si Paris n’avait pas, à l’instigation pressante de l’agitateur BH Lévy, livré contre la Jamahiriya libyenne une guerre du fort au faible en compagnie de ses acolytes euratlantistes, les armes aujourd’hui utilisées contre nos troupes seraient sagement restées enfermées dans leurs bunkers. […]

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  • « Géopolitique de la France/ Plaidoyer pour la puissance », de Pascal Gauchon

    Le livre de Pascal Gauchon Géopolitique de la France/ Plaidoyer pour la puissance était indispensable. Face à la morosité nationale et à la grande plainte de la décadence voire de l’effacement de la France il était important de porter un regard et de formuler des constats froids, objectifs et intellectuellement impartiaux sur l’état actuel de notre patrie. Pour ce faire P.Gauchon s’est livré à des recherches historiques, géographiques, économiques, politiques, fouillées et particulièrement brillantes, qui lui ont permis d’établir le bilan géopolitique de la nation française en 2012. Pour le lecteur certaines de ses vérités sont plaisantes et rassurantes à entendre. N.R. 

    Des atouts majeurs

    La position de la France lui permet de jouer un rôle inégalable de carrefour et de passage. Le déséquilibre traditionnel entre Paris et la province a été partiellement pallié par la décentralisation et l’Aménagement du territoire qui a atteint ses objectifs essentiels. Il n’en demeure pas moins que Paris dirige toujours la France et que la région parisienne est une carte maîtresse de la France face aux autres métropoles du continent. P. Gauchon considère également que les DOM TOM représentent une présence mondiale et surtout l’atout de la deuxième zone économique exclusive au monde malgré le coût budgétaire : 12,7 milliards d’euros en 2009.

    La France dispose d’infrastructures de qualité : infrastructures matérielles : transports publics, énergie nucléaire, même si elle est fortement contestée, voiries et bâti de qualité ; infrastructures immatérielles ensuite : système financier relativement prudent et de haute technicité, système éducatif en crise permanente mais dont le classement mondial ne reflète pas la valeur et le niveau réels, une position dans la recherche et le développement qui est loin d’être aussi désastreuse qu’on le dit, hôtellerie et commerce qui ont marqué de gros progrès ; enfin les Français eux-mêmes, qui ne travaillent pas assez mais dont la productivité est l’une des premières au monde. Malgré cela la compétitivité française est menacée et ne tient pas seulement au coût du travail.

    Au plan économique la France est toujours la cinquième puissance économique mondiale, même si cette place est fragile et menacée, avec une large palette d’activités : l’agriculture avec son corollaire l’industrie agroalimentaire, une industrie qui souffre, qui délocalise et dont le solde commercial est déficitaire mais qui a été au rendez-vous de la réussite dans de nombreux domaines : aéronautique, armement, télécommunications, réacteurs nucléaires, pharmacie, matériel ferroviaire. Enfin la France dispose d’un poids réel dans le monde en termes de services et de tourisme. En revanche, P. Gauchon fait ressortir le déficit du commerce extérieur tout en soulignant que le masochisme français néglige les rentrées d’invisibles.

    Elites et musulmans : des tendances sécessionnistes fortes

    Au plan de la politique intérieure la France constitue un modèle très ancien d’Etat nation qui résulte de la volonté de vivre ensemble. P. Gauchon constate que la Constitution de la Ve République résiste au temps, ce qui est capital après des décennies d’instabilité et d’institutions faibles. Il montre la constance des choix géopolitiques fondamentaux, quels que soient les gouvernants successifs. En revanche, le modèle français hérité de l’après-guerre : poids de l’Etat sur l’économie, coexistence d’un secteur public important avec un secteur privé, laïcité, protection sociale, qualité du service de santé, se trouve clairement en crise. La France souffre d’un excès d’Etat et les réformes qui sont réelles sont lentes. Enfin, P. Gauchon souligne que le modèle français souffre de tendances sécessionnistes fortes : celles des élites, celles de la pratique religieuse des musulmans et celles des régions.

    La France, plus que d’autres pays, dispose d’un « soft power », c’est-à-dire une influence, d’une grande puissance. La France demeure le pays de la liberté et des droits de l’homme. La francophonie constitue un atout réel même si l’anglais progresse. La France est aux yeux de beaucoup dans le monde le pays de l’art de vivre et des intellectuels et garde une grande capacité d’exporter des biens culturels.

    Puissance extérieure : l’Etat arbitre

    Enfin P. Gauchon arrive au dur de la puissance : le « hard power » dont la France est loin d’être dépourvue. Elle dispose d’une force militaire et d’une capacité de production d’armements qui en fait une puissance militaire de premier rang. Ce constat doit être fortement tempéré par la baisse continue et drastique des budgets militaires, l’intégration de nos armées dans des structures internationales et le recul de nos ventes d’armes. La France dispose également d’une représentation diplomatique importante, la deuxième du monde, trop importante peut-être. Cependant, l’action diplomatique doit tenir compte du poids des entreprises multinationales, des religions et des ONG. Mais la conclusion de P. Gauchon est plutôt optimiste : finalement c’est l’Etat qui arbitre.

    L’ouvrage situe les relations de la France avec le monde :

    • - à l’ouest les puissances anglo-saxonnes sont des alliés mais veillent à ce que la France ne prétende pas à un rôle trop indépendant et les relations avec les USA sont ambiguës qui laissent la possibilité de deux stratégies : chercher une place privilégiée aux côtés des USA, mais la place est prise, ou accentuer les différences ;
    • - la France a joué un rôle majeur dans la construction européenne pour des raisons plus économiques que politiques. Contesté par un nombre croissant de Français, le choix de l’Europe apparaît comme un substitut à la grandeur passée et par conséquent un aveu de faiblesse. En tout cas sa position en Europe se dégrade ;
    • - l’alliance avec l’Allemagne a été privilégiée. Mais elle est remise en cause du fait du déséquilibre croissant entre l’économie et la situation financière des deux pays, même si le couple franco-allemand demeure le moteur de l’Europe ;
    • - les relations avec l’Afrique constituent un héritage économique, culturel, humain, politique et militaire considérable. Mais cet héritage est contesté par des concurrents puissants : les USA et la Chine. Surtout la Françafrique subit des critiques fortes et handicapantes en France et en Afrique ;
    • - la France s’est employée à retrouver sa place dans le monde méditerranéen depuis les années 1960 mais le bilan est moins positif qu’il ne paraît.

    Reprenons la conclusion de l’ouvrage. Celui-ci n’aura pas été inutile s’il a contribué à battre en brèche les idées reçues et à rappeler certaines vérités. La France possède des atouts exceptionnels. Elle a le droit de défendre ses intérêts avec réalisme et, pour ce faire, elle doit lever les contraintes qui l’entravent. Enfin, tout simplement, il est légitime qu’une puissance aspire à la puissance et la France en a les moyens.

    Voilà un bilan, malgré de fortes zones d’ombre, plutôt encourageant à lire. Mais il s’agit d’un constat à un moment donné ou d’une photo. Alors, au vu des contraintes et des dérives, d’ailleurs pour beaucoup énoncées par l’auteur, quel pourrait être le film ? Car enfin la France ne pourrait aspirer à la puissance que si notre Etat nation en avait encore le pouvoir et la capacité et si les élites qui le mènent croyaient en lui et en son avenir.

    Le rêve des élites ? Appartenir à l’oligarchie mondialiste ?

    Ce qu’il est aisé de constater c’est que ces élites ne veulent plus, pour une large partie d’entre elles, de la France. Elles sont dominées soit par des résidus de pensée marxisante soit par l’idéologie mondialiste et européiste dont les médias importants sont le relais et les chiens de garde. Toutes ces élites, qu’elles soient celles de la politique, des dirigeants des grands groupes privés ou de la haute fonction publique, ne rêvent que d’appartenir à l’oligarchie mondialiste. Le concept même de nation est exclu du débat. Prononcer le nom de la France est incongru et fait ricaner. Ces élites ressentent leur légitimité comme vacillante et elles sont vulnérables aux groupes de pression : SOS Racisme, LICRA, collectifs divers et loges, au communautarisme, aux organisations écologistes, aux comités et aux prés carrés des syndicats. En fait, ces élites ont aujourd’hui un pouvoir très restreint et elles sont complices de cette impuissance et de ce déclin : P. Gauchon souligne bien le masochisme intellectuel français. Certaines de ces élites utilisent leur pouvoir contre l’Etat nation et leur propre patrie. C’est ainsi que l’enseignement de l’Histoire de France est doucement et subrepticement écarté afin d’effacer le sentiment de l’identité nationale. Que l’on pense à l’introduction de la théorie du genre dans les programmes scolaires. L’Etat mené par de telles élites est un Etat qui prône l’oisiveté, favorise les minorités sexuelles, encourage la destruction de la famille. Cet Etat, et la Nation derrière lui, est celui du déclin et de l’impuissance.

    L’Etat français sous contraintes

    P. Gauchon fait bien apparaître les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur l’Etat français. Reprenons-en certaines dont la liste n’est pas exhaustive :

    • - l’oligarchie mondialiste, qui pèse sur les décisions financières de la France ;
    • - l’Europe, dont les directives l’emportent sur la législation française ;
    • - les idéologies tyranniques, qui brident l’action de l’Etat : l’antiracisme, l’anticolonialisme, l’égalitarisme ;
    • - l’idéologie écologiste qui s’oppose à l’atout de l’énergie nucléaire et d’un prix bas de l’électricité ;
    • - l’euro, qui est une des causes majeures de nos déficits ;
    • - l’idéologie libérale, qui nous a conduits à perdre, comme le souligne l’auteur, notre industrie de l’aluminium et notre sidérurgie.

    Dans ces conditions l’Etat ne peut exercer pleinement et dans le respect des règles républicaines sa puissance et imposer son pouvoir.

    Cet Etat a favorisé ce qu’il appelle une immigration qui est en réalité une irruption incontrôlée de masses humaines qui représentent environ 15% de la population française. Ce phénomène menace notre pays de submersion voire de transfert de population et notre civilisation. Les conséquences sur notre Etat Nation sont lourdes et menacent son pouvoir. C’est tout d’abord le communautarisme appuyé sur des religions actives qui menacent le modèle républicain et laïc français. Aujourd’hui l’Etat en est à tolérer de plus en plus des zones de non-droit mais où en réalité la loi d’autres s’applique. Dans ces conditions le pouvoir de l’Etat ne s’exercera prochainement sur notre territoire que dans les limites de la puissance qui lui sera concédée.

    P. Gauchon a de bonnes raisons de souligner les points forts de l’économie française malgré les faiblesses qu’il relève. Mais elles s’effacent devant deux constats :

    • – Les contraintes imposées à notre économie : euro, 35 heures, droit du travail, libre-échange débridé, délocalisations détruisent notre industrie malgré ses points forts et sont à l’origine de déficits du commerce extérieur que n’arrivent plus à combler les soldes des invisibles ;
    • – La gabegie des finances publiques est à l’origine de déficits gigantesques et d’un endettement angoissant. Le taux de prélèvements obligatoires est devenu insupportable, provoquant la fuite de nationaux et la perte de forces vives. Au travers de ces prélèvements, au transfert de population s’ajoute un transfert de richesses. La situation est telle que, ne pouvant émettre de la monnaie et ne pouvant dévaluer, l’Etat français ne dispose que d’une très faible marge de manœuvre pour mener une politique.

    Enfin, les instruments de la puissance régalienne manquent de moyens ou semblent entrer en perdition. C’est le cas de l’armée dont les budgets sont en récession constante. C’est le cas également de la justice, de la police. L’Etat s’efface sensiblement devant les régions et l’Europe de Bruxelles.

    En fait, la France semble ne plus maîtriser son destin. Elle est trop souvent le jouet d’autres puissances plus fortes et organisées.

    Pouvoir et vouloir

    Et pourtant cette dérive n’est pas évidente et ne reflète pas un sens obligatoire de l’histoire. Comme le souligne P. Gauchon, dans le cadre européen la France est sans doute la nation qui dispose du plus beau potentiel. Mais ses élites ne veulent plus entendre parler d’elle et, positionnée comme elle l’est, elle apparaît plus comme une proie que comme une puissance. Cependant la France a connu des situations pires et s’en est relevée. Les atouts présentés par P. Gauchon seront peut-être les instruments non de la puissance mais du relèvement. Dans puissance il y a le verbe pouvoir. C’est le vouloir qui est absent.

    Nicolas Reilhac
    19/01/2013

    Correspondance Polémia – 25/01/2013

    Pascal Gauchon, Géopolitique de la France -/ Plaidoyer pour la puissance, Editeur Presses Universitaires de France – PUF, 2012, 256 pages.

  • Terrorisme islamique: Guerre à l’Occident ! par José Castano

    « Tout au long de l’Histoire, l’immense expansion musulmane s’est effectuée par la guerre sainte, les massacres, l’intolérance, la volonté de conquérir, de diriger, de s’imposer, par la colonisation… » (Jean-Paul Roux, historien français spécialiste du monde turc)
    Malraux a écrit : « Le XXIème siècle sera religieux ou il ne sera pas ». Il serait grand temps que nous nous apercevions -enfin- qu'une nouvelle guerre de religion a éclaté et, cette fois, à l’échelle planétaire. Que ce soit en Asie, au Proche et au Moyen-Orient ou en Afrique, les Islamistes massacrent les chrétiens un peu partout dans l’indifférence générale. Et ces massacres, ce déchaînement sans pitié d'un Islam renaissant voulant dominer le monde ont eu leur source, en Algérie, dès novembre 1954 par l’insurrection armée généralisée et les massacres qui s’en suivirent durant près de huit années… dans une apathie méprisante de l’Occident.
    « Les Français qui n’ont pas voulu de l’Algérie Française auront un jour la France algérienne. »
    Georges Bidault
    « Les Français qui n’ont pas voulu de l’Algérie française auront un jour la France algérienne » a écrit dans son livre, « D’une Résistance à l’autre », Georges Bidault, l’ancien chef du Conseil National de la Résistance. Il reprenait là, en quelque sorte, cette déclaration du redoutable chef du FLN qu’était Larbi ben M’Hidi, déclaration lancée à la face des parachutistes français venus l’arrêter en 1957 lors de la « bataille d’Alger » : « Vous voulez la France de Dunkerque à Tamanrasset ? Je vous prédis, moi, que vous aurez l’Algérie de Tamanrasset à Dunkerque ».
    Un an plus tôt, dans un tract du F.L.N. rédigé en Algérie en 1956, on pouvait lire en substance « Rappelez-vous que, quand nous serons indépendants et dans un minimum de temps, nous combattrons les trois cents kilomètres que nos ancêtres ont envahis en France. Voici les limites, Poitiers, Saint-Etienne, Lyon, les environs des Alpes et les Pyrénées. Toutes ces terres et ces villes sont celles de nos ancêtres. Après la guerre d’Afrique du Nord, nous allons envahir les trois cents kilomètres qui nous appartiennent et les ports de Toulon, Marseille, Bordeaux. Nous sommes les fils de Mohamed, fils de l’Islam.»
    Cinquante-sept ans après la diffusion de ce tract, la prophétie est en voie de se réaliser…
    Aujourd’hui, le monde arabe, sous l’emprise des faux prophètes que sont les religieux, est obsédé par les souvenirs de grandeur, le tumulte des épopées oubliées, les magnificences des siècles révolus. À leurs fidèles, contemplatifs, crédules et soumis, ils annoncent l’arrivée du Mahdi, c’est-à-dire, de l’Envoyé, celui qui plierait les infidèles sous la loi du cimeterre, comme aux siècles de gloire… Ils font de cette effrayante prédiction leur principal thème de combat dénombrant au passage les millions d’hommes entassés dans les deltas des fleuves d’Asie, les fourmilières humaines qui grouillent aux confins du Gange, celles qui piétinent aux marches des déserts d’Arabie. Ils y ajoutent les peuples du Caucase et de l’Oural, ceux du Proche, du Moyen-Orient et du Maghreb, ceux du Soudan, du Sénégal, du Mali, du Niger, de Somalie, de Mauritanie... Et serrant l’Afrique et l’Asie dans leurs doigts, ils expliquent que rien désormais ne pourrait plus résister à l’avalanche, que c’est le nombre –c’est-à-dire eux- qui fera désormais la loi, que l’Histoire est en marche, que nul ne saurait plus jamais l’arrêter, que les signes qui annoncent la victoire sont évidents et que la fin de l’Occident est déjà écrite quelque part sur les livres de l’Éternel. Le monde arabe est ainsi devenu une gigantesque bouilloire où surgissent de toute part les faux prophètes comme des silhouettes d’apocalypse. Ils ne poussent pas, ils ne poussent plus leurs « fidèles » à la bataille… ils les convient à la curée.
    Un goût du meurtre et du sang hérité des âges barbares
     C’est ainsi que ces hommes ont imaginé de mobiliser au profit de leurs calculs, la force de bélier de ces masses en mouvement et, couvrant d’un faux sens les mots qui les fascinent, ils leur ont donné des étendards sur lesquels sont peints les symboles éblouissants, mais qui ne dissimulent, en réalité, que de sauvages appétits de conquête, et un goût du meurtre et du sang hérité des âges barbares.
    On peut se demander comment ces faux prophètes que sont les Oulémas, les Imans et autres Mollahs –des religieux !- peuvent allier les commandements de Dieu et les crimes atroces que perpètrent en son nom de par le monde les terroristes islamiques. Eux s’étonnent que l’on ose compromettre ou ralentir la résurrection de l’Islam avec des scrupules de ce genre. La guerre révolutionnaire que ces fanatiques ont entreprise a des exigences… et la terreur qu’ils font peser sur le monde en a d’autres plus cruelles encore. Et pour mieux inculquer à leurs troupes fanatisées cette nécessaire terreur, ils ont recours au miracle du verbe, sacrifiant des foules, offrant des hommes au moloch dans le creux de leurs paumes ouvertes, brassant des vivants inutiles, balayant des millions de morts du revers de leurs mains, et reconstruisant dans les transes de l’extase, un avenir qui n’a plus de sens puisque ne se levant que sur des charniers et des déserts.
    « La guerre est la base des relations entre les musulmans et leurs adversaires. »

     

    En 1968, Abdallah Ghochach, juge suprême du Royaume hachémite de Jordanie s’exprimait en ces termes : « Le Djihad a été légiféré afin de devenir un moyen de propagation de l’Islam. En conséquence, les non-musulmans doivent venir à l’Islam soit de leur plein gré, soit de force par la lutte et le Djihad… La guerre est la base des relations entre les musulmans et leurs adversaires. »
    Et voilà qu’aujourd’hui, la haine de l’Occident ramène les arabes vers l’Islam, un Islam farouche, fanatique comme aux premiers âges… Tous ces pays ont lancé en leur temps la guerre au nom de la « démocratie » et de la « liberté »… Nous avons connu cela en Algérie… Ils la prolongent dans cette croisade qui s’appellera guerre sainte et que l’Occident aveuglé par l’obstination chrétienne, la conscience humaine et la morale ne perçoit même pas. 
    Mais on ne la livre plus au nom des Évangiles ou des Philosophies, on se bat pour de chimériques recettes de bonheur, des fictions dangereuses, des illusions puériles… quand ce n’est pas pour tirer profit du commerce de la drogue, de la contrebande et des prises d’otages. On bourre la cartouchière des Aqmi, des Shebab et des terroristes en herbe de munitions mais on leur donne aussi une musette gonflée de mensonges qui entretiennent leur colère. On incite les peuples à la haine en indiquant aux uns qu’ils se battent toujours pour les mêmes misères et aux autres que les temps sont venus de recommencer l’épopée. Et du Gange à l’Atlantique, l’Islam renoue des forces irrésistibles… Il faut préparer la grande fête de la guerre pour chasser les infidèles et, fusil au poing et bombes dans les valises, bâtir de nouveaux empires plus étonnants encore que ceux de la légende. Reviennent ainsi les terribles conditions humaines préconisées par la charia –la loi islamique- celles que nous avons déjà connues en Algérie : Les hommes égorgés, émasculés, mutilés, pendus aux arbres des bois, les femmes lapidées et vitriolées. Les exactions récentes des Shebab au Mali, en sont un pâle reflet… Enfin, des stratèges diaboliques ont compris le parti que l’on pouvait tirer des colères allumées par les mensonges dans le cœur des naïfs et des crédules. Ils ont cessé de faire la guerre eux-mêmes. Ils y ont poussé les peuples abusés. Ils payent ces mercenaires d’un nouveau genre avec des mots et pour exciter leur ardeur au suicide, ils leur ont insufflé le pire des poisons : La haine.
    Et pendant ce temps, l’Occident se bat contre lui-même pour une définition puérile de la liberté.
    Partout montent les clameurs de ces peuples qui rêvent de revivre enfin la prodigieuse épopée scandée par le choc des cimeterres et dont les fastes illuminent encore la nuit des temps… Partout ces cris qui menacent l’Occident, l’invectivent et le vouent à la mort. La vieille prédiction de Kipling devient une réalité redoutable : « Voici que montent les multitudes à l’assaut de la passe de Khaybar… » Et pendant ce temps, pendant que s’accélère cette frénésie des peuples acharnés à assassiner l’Occident comme pour se venger d’avoir reçu de lui la vérité qui prête une force gigantesque à leur faiblesse millénaire, l’Occident se bat contre lui-même pour une définition puérile de la liberté.
    Et voilà les barbares qui frappent aux frontières, les peuples loups qui grondent aux lisières des bois. Pressés de courir à leur tour la grande aventure de la civilisation et exaltés par la présomptueuse conviction qu’ils détiennent des recettes miraculeuses, ils négligent les trésors de l’héritage. Ils veulent tout détruire, tout raser pour tout recommencer sur les décombres d’un passé qu’ils haïssent parce qu’ils ne le comprennent pas.
    Et ils tentent d’imposer leur loi par l’assassinat et la terreur à des sociétés qui ont su dissiper ces cauchemars depuis si longtemps qu’elles n’en imaginent plus l’éventuel retour. Voilà qu’enchaînées par les règles qu’elles ont accumulées pour se prémunir contre les excès de leur propre colère, les sociétés stupéfaites s’abandonnent aux coups que leur portent des colères inconnues. Et voilà que s’écroule la civilisation parce que les barbares puisent dans son raffinement, ses complications et son indulgence, la seule force qui rend leurs débordements irrésistibles. Ils retrouvent naturellement le plaisir d’égorger sachant combien timide sera la répression. Jamais les passions déchaînées n’ont fait autant de ravages, semé autant de morts… Jamais on n’a assassiné autant d’hommes au nom du bonheur de l’humanité… Jamais le mot de Malaparte n’a été plus juste : Jamais on n’a couché autant de Christs dans les charniers du monde ! Et nous, pauvres occidentaux… pauvres Européens, timorés, craintifs et désunis (l’intervention esseulée de la France au Mali en est une preuve suffisante), sommes en passe de perdre cette ultime guerre qui nous est imposée parce qu’irrémédiablement condamnés à capituler au nom de la défense de la civilisation qui n’est autre qu’un suicide devant un assaut qui en nie l’essentiel.
    Soljenitsyne a écrit : « Toute notre vie là-bas, nous a appris qu’il existe un seul moyen de résister à la violence : c’est la fermeté ! »
    Dans la lutte contre la subversion et le terrorisme, rien n’est plus important que l’application d’une politique de défense préventive ferme et impitoyable à l’égard des adversaires de la Nation. Celui qui sème le vent doit récolter la tempête.

    Contact E-mail : joseph.castano0508@orange.fr

  • Eurasisme et atlantisme : quelques réflexions intemporelles et impertinentes

    Préface à un ouvrage de Maître Jure Vujic (Zagreb, Croatie)

    Il y a plusieurs façons de parler de l’idéologie eurasiste, aujourd’hui, après l’effondrement du bloc soviétique et la disparition du Rideau de Fer:
    1) en parler comme s’il était un nouvel avatar du soviétisme;
    2) en faisant référence aux idéologues russes de l’eurasisme des années 20 et 30, toutes tendances idéologiques confondues;
    3) en adoptant, par le truchement d’un eurasisme synthétique, les lignes de force d’une stratégie turco-mongole antérieure, qui deviendrait ainsi alliée à la spécificité russe; un tel eurasisme est finalement une variante du pantouranisme ou du panturquisme;
    4) faire de l’idéologie eurasiste le travestissement d’un traditionalisme révolutionnaire, reposant in fine sur la figure mythique du “Prêtre Jean”, évoquée par René Guénon; cet eurasisme-là prendrait appui sur deux pôles religieux: l’orthodoxie russe et certains linéaments de l’islam centre-asiatique, mêlant soufisme et chiisme, voire des éléments islamisés du chamanisme d’Asie centrale.
    Ces quatre interprétations de l’eurasisme sont certes séduisantes sur le plan intellectuel, sont, de fait, des continents à explorer pour les historiens qui focalisent leurs recherches sur l’histoire des idées, mais d’un point de vue realpolitisch européen, elles laissent le géopolitologue, le stratège et le militaire sur leur faim.

    L’eurasisme, dans notre optique, relève bien plutôt d’un concept géographique et stratégique: il tient compte de la leçon de John Halford Mackinder qui, en 1904, constatait que l’espace centre-asiatique, alors dominé par la Russie des Tsars, était inaccessible à la puissance maritime anglaise, constituait, à terme, un môle de puissance hostile aux “rimlands”, donc, du point de vue britannique, une menace permanente sur l’Inde. L’eurasisme des géopolitologues rationnels, s’inscrivant dans le sillage de John Halford Mackinder, n’est pas tant, dans les premières expressions de la pensée géopolitique, l’antipode d’un atlantisme, mais l’antipode d’une puissance maritime centrée sur l’Océan Indien et possédant le sous-continent indien. Si l’Angleterre est, dès l’époque élisabéthaine, une puissance nord-atlantique en passe de conquérir toute l’Amérique du Nord, au faîte de sa gloire victorienne, elle est essentiellement une thalassocratie maîtresse de l’Océan Indien. La clef de voûte de son empire est l’Inde, qui surplombe un “arc” de puissance dont les assises se situent en Afrique australe et en Australie et dont les points d’appui insulaires sont les Seychelles, l’Ile Maurice et Diego Garcia.

    Le premier couple de concepts antagonistes en géopolitique n’est donc pas le dualisme eurasisme/atlantisme mais le dualisme eurasisme/indisme. L’atlantisme ne surviendra qu’ultérieurement avec la guerre hispano-américaine de 1898, avec le développement de la flotte de guerre américaine sous l’impulsion de l’Amiral Alfred Thayer Mahan, avec l’intervention des Etats-Unis dans la première guerre mondiale, avec le ressac graduel de l’Angleterre dans les années 20 et 30 et, enfin, avec l’indépendance indienne et la relative neutralisation de l’Océan Indien. Qui ne durera, finalement, que jusqu’aux trois Guerres du Golfe (1980-1988, 1991, 2003) et à l’intervention occidentale en Afghanistan suite aux “attentats” de New York de septembre  2001.

    Route de la Soie et “Greater Middle East”

    Avec l’indépendance des anciennes républiques musulmanes de l’ex-URSS, la Russie cesse paradoxalement d’être une véritable puissance eurasienne, car elle perd les atouts territoriaux de toutes ses conquêtes du XIX° siècle, tout en redécouvrant le punch de l’idéologie eurasiste. Donc la fameuse “Terre du Milieu”, inaccessible aux marines anglo-saxonnes, comprenant le Kazakhastan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, est théoriquement indépendante de toute grande puissance d’Europe ou d’Asie. Un vide de puissance existe ainsi désormais en cette Asie centrale, que convoitent les Etats-Unis, la Chine, l’Iran et la Turquie, au nom de concepts tour à tour anti-russes, panasiatiques, panislamistes ou pantouraniens. Les Etats-Unis parlent tout à la fois, avec Zbigniew Brzezinski, de “Route de la Soie” (“Silk Road”), et, avec d’autres stratégistes, de “Greater Middle East”, comme nouveau débouché potentiel pour une industrie américaine enrayée dans ses exportations en Europe, avec l’émergence d’une UE à 75% autarcique, et en Amérique ibérique avec l’avènement du Mercosur et d’autres regroupements politico-économiques.

    Vu la population turcophone des anciennes républiques musulmanes d’Asie centrale, cet espace, hautement stratégique, ne partage plus aucune racine, ni culturelle ni linguistique, avec l’Europe ou avec la Russie. Un barrage turcophone et islamisé s’étend de l’Egée à la Muraille de Chine, empêchant le regroupement de puissances à matrice européenne: l’Europe, la Russie, la Perse et l’Inde. La conscience de ce destin raté n’effleure même pas l’immense majorité des Européens, Russes, Perses et Indiens.

    L’idée-force qui doit, tout à la fois, ressouder l’espace jadis dominés par les Tsars, de Catherine II à Nicolas II, et donner une conscience historique aux peuples européens, ou d’origine européenne, ou aux peuples d’aujourd’hui qui se réfèrent à un passé historique et mythologique européen, est celle d’un eurasisme indo-européanisant. Cet eurasisme trouve son origine dans la geste des vagues successives de cavaliers et de charistes, dites “proto-iraniennes”, parties de l’ouest de l’Ukraine actuelle pour se répandre en Asie centrale entre 1800 et 1550 avant J. C. Deux historiens et cartographes nous aident à comprendre cette dynamique spatiale, à l’aurore de notre histoire: le Britannique Colin McEvedy (1) et le Suisse Jacques Bertin (2).

    L’aventure  des cavaliers indo-européens dans la steppe centre-asiatique

    Pour McEvedy, la césure dans le bloc indo-européen initial, dont le foyer primordial se situe en Europe centrale, survient vers 2750 av. J. C. quand le groupe occidental (cultures de Peterborough et de Seine-Oise-Marne) opte pour un mode de vie principalement sédentaire et le groupe oriental, de l’Elbe à la Mer d’Aral, pour un mode de vie semi-nomade, axé sur la domestication du cheval. Bien que la linguistique contemporaine opte pour une classification des langues indo-européennes plus subtile et moins binaire, reposant sur la théorie des ensembles, McEvedy retient, peu ou prou, l’ancienne distinction  entre le groupe “Satem” (oriental: balto-slave, aryen-iranien-avestique, aryen-sanskrit-védique) et le groupe “Centum” (occidental: italique, celtique, germanique), selon le vocable désignant le chiffre “100” dans ces groupes de langues. Pour McEvedy, à cette même époque (-2750), un bloc hittite commence à investir l’Asie Mineure et l’Anatolie; le groupe tokharien, dont la langue est “indo-européenne occidentale”, s’installe en amont du fleuve Syr-Daria, en direction de la “Steppe de la Faim” et à proximité des bassins du Sari-Sou et du Tchou. Récemment, l’archéologie a exhumé des momies appartenant aux ressortissants de ce peuple indo-européen d’Asie centrale et les a baptisées “Momies du Tarim”. A cette époque, les peuples indo-européens orientaux occupent toute l’Ukraine, tout l’espace entre Don et Volga, de même que la “Steppe des Kirghiz”, au nord de la Caspienne et de la Mer d’Aral. De là, ils s’élanceront vers 2250 av. J. C. au delà de l’Aral, tandis que les Tokhariens entrent dans l’actuel Sinkiang chinois et dans le bassin du Tarim, à l’époque assez fertile. La “Terre du Milieu” de John Halford Mackinder a donc été d’abord indo-européenne avant de devenir altaïque et/ou turco-mongole. A partir de 1800 av. J. C., ils font mouvement vers le Sud et pénètrent en Iran, servant d’aristocratie guerrière, cavalière et chariste, à des peuples sémitiques ou élamo-dravidiens. Vers 1575 av. J. C., ils encadrent les Hourrites caucasiens lors de leurs conquêtes au Proche-Orient et en Mésopotamie, pénètrent dans le bassin de l’Indus et dans le Sinkiang et le Gansou.

    Ces peuples domineront les steppes centre-asiatiques, des Carpathes à la Chine jusqu’à l’arrivée des Huns d’Attila, au IV° siècle de l’ère chrétienne. Cependant, les empires sédentaires et urbanisés du “rimland”, pour reprendre l’expression consacrée, forgée en 1904 par Mackinder, absorberont très tôt le trop plein démographique de ces cavaliers de la steppe: ce seront surtout les Perses, Parthes et Sassanides qui les utiliseront, de même que les Grecs qui auront des mercenaires thraces et scythes et, plus tard, les Romains qui aligneront des cavaliers iazyges, roxolans et sarmates. Cette réserve militaire et aristocratique s’épuisera progressivement; pour Jacques Bertin, l’expansion vers l’Océan Pacifique de ces peuples cavaliers sera contrecarrée  par des bouleversements climatiques et un assèchement graduel de la steppe, ne permettant finalement plus aucune forme, même saisonnière, de sédentarité. A l’Est, le premier noyau mongol apparaît entre 800 et 600 av. J. C., notamment sous la forme de la culture dite “des tombes à dalles”.

    Le reflux vers l’ouest

    Les peuples cavaliers refluent alors principalement vers l’Ouest, même si les Yuezhi (on ne connaît plus que leur nom chinois) se heurtent encore aux Mongols et à la Chine des Qin. La pression démographique des Finno-Ougriens (Issédons) et des Arimaspes de l’Altaï et la détérioration générale des conditions climatiques obligent les Scythes à bousculer les Cimmériens d’Ukraine. Quelques éléments, après avoir bousculé les Zhou chinois, se seraient retrouvés en Indochine, à la suite de ce que les archéologues nomment la “migration pontique”. De 600 à 200 av. J.C., la culture mongole-hunnique des “tombes à dalles” va accroître, graduellement et de manière non spectaculaire, son “ager” initial. Vers –210, les tribus mongoles-hunniques forment une première confédération, celle des Xiongnu, qui font pression sur la Chine mais bloquent définitivement l’expansion des cavaliers indo-européens (Saces). C’est là que commence véritablement l’histoire de l’Asie mongole-hunnique. Vers 175 av. J.C., les Xiongnu dirigés par Mao-Touen, véritables prédécesseurs des Huns, s’emparent, de tout le Gansu, chassent les Yuezhi indo-européens et occupent la Dzoungarie. La vaste région steppique entourant le Lac Balkach cesse d’être dominée par des peuples indo-européens. La Chine intervient et bat la Confédération des Xiongnu, donnant aux empires romain et parthe un répit de quelques centaines d’années.

    Le potentiel démographique indo-européen des steppes se fonde dans les empires périphériques, ceux du “rimland”: les Sarmates de l’Ouest, connus sous les noms de Roxolans et de Iazyges s’installent en Pannonie et, après un premier choc avec les Légions de l’Urbs, deviendront des “foederati” et introduiront les techniques de la cavalerie dans l’armée romaine et, partant, dans toutes les régions de l’Empire où ils seront casernés. L’épopée arthurienne découlerait ainsi d’une matrice sarmate. Les Alains, ancêtres des Ossètes, entrent en Arménie. Les Yuezhi envahissent l’Inde et y fondent l’Empire Kusana/Kouchan. De l’an 1 à l’an 100, trois blocs  impériaux de matrice indo-européenne se juxtaposent sur le rimland eurasien, face aux peuples hunniques désorganisés par les coups que lui ont porté les armées chinoises de Ban Chao, qui poussent jusqu’en Transoxiane. Nous avons l’Empire romain qui inclut dans ses armées les “foederati” sarmates. Ensuite, l’Empire perse qui absorbe une partie des peuples indo-européens de la steppe centre-asiatique, dont les Scythes, qu’il fixera dans la province du Sistan. Enfin l’Empire kouchan, sous l’impulsion des tribus yuezhi réorganisées, englobe toutes les terres de l’Aral au cours moyen du Gange, l’Afghanistan et le Pakistan actuels et une vaste portion de l’actuel Kazakhstan.

    Les Huns arrivent dans l’Oural et dans le bassin de la Volga

    Au cours du II° siècle de l’ère chrétienne, les Xianbei, issus des forêts, deviennent le peuple dominant au nord de la Mandchourie, provoquant une bousculade de peuples, disloquant les restes des Xiongnu qui, d’une part, entrent en Chine, et d’autre part, se fixent en Altaï, patrie des futurs peuples turcs (les “Tujue” des chroniques chinoises). Les Huns arrivent dans l’Oural, approchent du bassin de la Volga et entrent ainsi dans les faubourgs immédiats du foyer territorial originel des peuples indo-européens que l’archéologue allemand Lothar Kilian situe du Jutland au Don, les peuples préhistoriques et proto-historiques se mouvant sur de vastes territoires, nomadisme oblige. Thèse qu’adopte également Colin McEvedy.

    En 285, les derniers Tokhariens font allégeance aux empereurs de Chine. Sassanides zoroastriens et Kouchans bouddhistes s’affrontent, ce qui conduit au morcellement de l’ensemble kouchan et, ipso facto, à la fragilisation de la barrière des Empires contre les irruptions hunniques venues de la steppe. Chahpour II, Empereur perse, affronte les Romains et les restes des Kouchans. L’Empereur Julien meurt en Mésopotamie en 373 face aux armées sassanides. Dans la patrie originelle des peuples hunniques-mongols, les Ruan Ruan bousculent les Xianbei qui refluent vers l’ouest, bousculant les Turcs, ce qui oblige les Huns à franchir la steppe sud-ouralienne et à se heurter en 375 aux Alains et aux Goths. Le glas de l’Empire romain va sonner. Les Huns ne seront arrêtés qu’en Champagne en 451 (Bataille des Champs Catalauniques). Les Kouchans, désormais vassaux des Sassanides, doivent céder du terrain aux Hephtalites hunniques. Les Tokhariens se soumettent aux Gupta d’Inde.

    D’Urbain II à l’échec de la huitième Croisade

    La chute de l’Empire romain, les débuts chaotiques de l’ère médiévale signalent un ressac de l’Europe, précisément parce qu’elle a perdu l’Asie centrale, le contact avec la Perse et la Chine. L’émergence de l’islam va accentuer le problème en redonnant vie et virulence à la matrice arabique des peuples sémitiques. L’invasion de l’Anatolie byzantine par les Seldjouks au XI° siècle va provoquer une première réaction et enclencher une guerre de près de 900 ans, brièvement interrompue entre la dernière guerre de libération balkanique en 1913 et l’ère de la décolonisation. Le pape Urbain II, dans son discours de Clermont-Ferrand (1095) destiné à galvaniser la noblesse franque pour qu’elle parte en croisade, évoque nettement “l’irruption d’une race étrangère dans la Romania”, prouvant que l’on raisonnait encore en terme de “Romania”, c’est-à-dire d’impérialité romaine, cinq ou six cents ans après la chute de l’Empire romain d’Occident. En 1125, Guillaume de Malmesbury, dans sa “Gesta Regum”, déplore que la “chrétienté”, donc l’Europe, ait été chassée d’Asie et d’Afrique et que, petite en ses dimensions, elle est constamment harcelée par les Sarazins et les Turcs, qui veulent l’avaler toute entière. Les propos de Guillaume de Malmesbury expriment fort bien le sentiment d’encerclement que ressentaient les Européens de son époque, un sentiment qui devrait réémerger aujourd’hui, où les peuples de la périphérie ne cachent pas leur désir de grignoter notre territoire et/ou de l’occuper de l’intérieur par vagues migratoires ininterrompues, en imaginant que notre ressac démographique est définitif et inéluctable.

    L’épopée des Croisades ne s’achève pas par l’échec total de la huitième croisade, prêchée par Urbain IV en 1263 et où meurt Saint Louis (1270). La chute d’Acre en 1291 met fin aux Etats latins d’Orient: seul ultime sursaut, la prise de Rhodes en 1310, confiée ensuite aux Hospitaliers. Détail intéressant: en 1274, Grégoire X, successeur d’Urbain IV, tentera en vain d’unir les empires du rimland en un front unique: les Mongols de Perse, les Byzantins et les Européens catholiques (3). Les guerres contre les Ottomans à partir du XIV° siècle et le fiasco de Nicopolis en 1396, à la suite de la défaite serbe du Champs des Merles en 1389, sont des guerres assimilables à des croisades. Le XV° siècle ne connaît pas de répit, avec la défaite européenne de Varna en 1444, prélude immédiat de la chute de Constantinople en 1453. Les XVI° et XVII° siècles verront l’affrontement entre l’Espagne d’abord, l’Autriche-Hongrie ensuite, et les Ottomans. La défaite des Turcs devant Vienne en 1683, puis la Paix de Karlowitz en 1699, scellent la fin de l’aventure ottomane et le début de l’expansion européenne. Ou, plus exactement, le début d’une riposte européenne, enfin victorieuse depuis les premiers revers des Saces.

    Les Portugais contournent l’Afrique et arrivent dans l’Océan Indien

    Deux réactions ont cependant été déterminantes: d’abord, l’avancée des Russes sur terre, séparant les Tatars de Crimée du gros de la Horde d’Or et du Khanat de Sibir par la conquête du cours de la Volga jusqu’à la Caspienne. Le réveil de la Russie indique le retour d’un peuple indo-européen dans l’espace steppique au sud de l’Oural et un reflux des peuples hunniques et mongols. La Russie poursuivra la conquête jusqu’au Pacifique en deux siècles. Puis reprendra toute l’Asie centrale. Nous avons affaire là au même eurasisme que celui des Proto-Iraniens à l’aurore de notre histoire. Ensuite, deuxième réaction, la conquête portugaise des eaux de l’Atlantique sud et de l’Océan Indien. Elle commence par une maîtrise et une neutralisation du Maroc, d’où disparaissent les Mérinides, remplacés par les Wattasides qui n’ont pas eu les moyens d’empêcher les Portugais de contrôler le littoral marocain. A partir de cette côte, les Portugais exploreront tout le littoral atlantique de l’Afrique avec Cabral et franchiront le Cap de Bonne Espérance avec Vasco de Gama (1498). Les Européens reviennent dans l’Océan Indien et battent la flotte des Mamelouks d’Egypte au large du Goujarat indien. La  dialectique géopolitique de l’époque consiste, peut-on dire, en une alliance de l’eurasisme européanisant des Russes et de l’indisme thalassocratique des Portugais qui prennent un Empire musulman du rimland en tenaille, une empire à cheval sur trois continents: l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Le tandem Ottomans-Mamelouks disposait effectivement de fenêtres sur l’Océan Indien, via la Mer Rouge et le Golfe Persique et était en quelque sorte “hybride”, à la fois tellurique, avec ses armées de janissaires dans les Balkans, et thalassocratique par son alliance avec les pirates barbaresques de la côte septentrionale de l’Afrique et avec les flottes arabe et mamelouk de la Mer Rouge. Les Portugais ont donc réussi, à partir de Vasco de Gama à parfaire une manoeuvre d’encerclement maritime du bloc islamique ottoman et mamelouk, puisque les entreprises terrestres que furent les croisades et les expéditions malheureuses de Nicopolis et de Varna avaient échoué face à l’excellence de l’organisation militaire ottomane. Les héritiers d’Henri le Navigateur, génial précurseur du retour des Européens sur les mers du monde, ont réduit à néant, par leur audace, le sentiment d’angoisse des Européens devant l’encerclement dont ils étaient les victimes depuis l’irruption des Seldjouks dans cette partie de la Romania, qui était alors byzantine.

    L’indisme thalassocratique et l’eurasisme tellurique/continental sont alors alliés, en dépit du fait que les Portugais sont catholiques et honorent le Pape de Rome et que les Russes se proclament les héritiers de Byzance, en tant que “Troisième Rome”, depuis la chute de Constantinople en 1453. Après les succès flamboyants d’Albuquerque entre 1503 et 1515 et la pénétration du Pacifique, les Portugais s’épuiseront, ne bénéficieront plus de l’apport de marins hollandais après le passage des Provinces-Unies des Pays-Bas au calvinisme ou au luthérisme; les Hollandais feront brillamment cavaliers seuls avec leur “Compagnie des Indes Orientales” fondée en 1602, s’empareront de l’Insulinde, deviendront pendant les deux tiers du XVII° une puissance à la fois “indiste” et atlantiste, et même partiellement pacifique vu ses comptoirs au Japon, mais ne disposant que d’une base métropolitaine bien trop exigüe, ils cèderont graduellement le gros de leurs prérogatives aux Anglais dans l’Océan Indien et autour de l’Australie.

    Le premier “atlantisme” ibérique: un auxiliaire du dessein “alexandrin”

    L’atlantisme naît évidemment de la découverte des Amériques par Christophe Colomb en 1492. Mais l’objectif premier des puissances européennes, surtout ibériques, sera d’exploiter les richesses du Nouveau Monde pour parfaire un grand dessein romain et “alexandrin”, revenir en Méditerranée orientale, reprendre pied en Afrique du Nord, libérer Constantinople et ramener l’Anatolie actuelle dans le giron de la “Romania”. Le premier atlantisme ibérique n’est donc que l’auxiliaire d’un eurasisme “croisé” ibérique et catholique, allié à la première offensive de l’eurasisme russe, et portée par un dessein “alexandrin”, qui espère une alliance euro-perse. Une telle alliance aurait reconstitué le barrage des empires contre la steppe turco-hunnique, alors que les empires antérieurs, ceux de l’antiquité, se nourrissaient de l’énergie des cavaliers de la steppe quand ceux-ci étaient indo-européens.

    L’atlantisme proprement dit, détaché dans un premier temps de tout projet continentaliste eurasien, nait avec l’avènement de la Reine Elisabeth I d’Angleterre. Elle était la fille d’Anne Boleyn, deuxième épouse d’Henri VIII et pion du parti prostestant qui avait réussi  à évincer la Reine Catherine, catholique et espagnole. Après la décollation d’Anne Boleyn, la jeune Elisabeth ne devait pas monter directement sur le trône à la mort de son père: son demi-frère Edouard VI succède à Henri VIII, puis, à la mort prématurée du jeune roi, sa demi-soeur Marie Tudor, fille de Catherine d’Espagne, qui déclenche une virulente réaction catholique, ramenant l’Angleterre, pendant cinq ans dans le giron catholique et l’alliance espagnole (1553-1558). Le décès prématuré de Marie Tudor amène Elisabeth I sur le trône en 1558; elle y restera jusqu’en 1603: motivée partiellement par l’ardent désir de venger sa mère, la nouvelle reine enclenche une réaction anti-catholique extrêmement violente, entraînant une cassure avec le continent qui ne peut être compensée que par une orientation nouvelle, anglicane et protestante, et par une maîtrise de l’Atlantique-Nord, avec la colonisation progressive de la côte atlantique, prenant appui sur la réhabilitation de la piraterie anglaise, hissée au rang de nouvelle noblesse après la disparition de l’ancienne aristocratie et chevalerie anglo-normandes suite à la Guerre des Deux Roses, à la fin du XV° siècle (4).

    L’expansion anglaise en Amérique du Nord

    C’est donc une vendetta familiale, un schisme religieux et une réhabilitation de la piraterie qui créeront l’atlantisme, assorti d’une volonté de créer une culture ésotérique différente de l’humanisme continental et catholique. Elle influence toujours, dans la continuité, les linéaments ésotériques de la pensée des élites anglo-saxonnes (5), notamment ceux qui, en sus du puritanisme proprement dit, sous-tendent la théologie politique américaine. Sous le successeur faible d’Elisabeth commence la colonisation de l’Amérique du Nord, par la fondation d’un premier établissement en 1607 à Jamestown. Elle sera complétée par l’annexion des comptoirs hollandais en 1664, dont “Nieuw Amsterdam” qui deviendra New York. L’inclusion du Delaware et des deux Carolines permet l’occupation de tout le littoral atlantique des futurs Etats-Unis. En 1670, l’Angleterre patronne la fondation de l’Hudson  Bay Company qui lui permet de coincer la “Nouvelle-France”, qui s’étend autour de Montréal, entre les Treize colonies et cette portion importante de l’hinterland du futur territoire canadien. Les liens avec l’Angleterre et l’immigration homogène et massive de Nord-Européens font de l’Atlantique-Nord un lac britannique et le socle d’une future puissance pleinement atlantique.

    L’Angleterre en s’emparant de la totalité du Canada par le Traité de Paris en 1763 consolide sa puissance atlantique. Mais les jeux ne sont pas encore faits: lors de la révolte des “Treize colonies” en 1776, les flottes alliées de la France, de l’Espagne et de la Hollande volent au secours des insurgés américains et délogent les Anglais qui, dans les décennies suivantes, redeviendront une puissance principalement indienne, c’est-à-dire axée sur la maîtrise de l’Océan Indien. A partir du développement de la flotte russe sous Catherine la Grande, la Russie devient une menace pour l’Inde et surtout pour la route maritime qui y mène. Quand le Tsar Paul I propose à Napoléon Bonaparte de marcher de conserve, à travers la steppe, vers l’Inde, source de la puissance anglaise, en bousculant la Perse, Londres focalise toute son attention sur le maintien de son hégémonie sur le sous-continent indien et met en sourdine son ancienne vocation atlantique. C’est le “Grand Jeu”, le “Great Game” disent les historiens anglo-saxons, qui oppose, d’une part, une thalassocratie maîtresse de l’Océan Indien et de la Méditerranée, avec un appendice atlantique, comprenant le Canada comme réserve de matières premières et quelques comptoirs africains sur la route des Indes avant le creusement du Canal de Suez, et, d’autre part, une puissance continentale, tellurique, qui avance lentement vers le Sud et reconquiert la steppe d’Asie centrale sur les peuples turcs qui l’avaient enlevée aux Yuezhi, Saces, Tokhariens et Sarmates. Du coup, la Russie des Tsars devient l’héritière et la vengeresse de ces grands peuples laminés par les invasions hunniques, turques et mongoles. La Russie des Tsars développe donc un eurasisme indo-européanisant et se heurte à une thalassocratie qui a hérité de la stratégie de contournement des Portugais de la fin du XV° et du début du XVI° siècle. Mais cette stratégie de contournement est nouvelle, n’a pas de précédent dans l’histoire, ne s’identifie ni à l’Europe continentale ni à une Romania, disparue mais hissée au rang d’idéal indépassable, ni à un catholicisme qui en exprimerait l’identité sous des oripeaux chrétiens (comme dans le discours d’Urbain II ou le texte de Guillaume de Malmesbury). Le choc de cette thalassocratie et du continentalisme russe va freiner, enrayer et empêcher le parachèvement plein et entier d’un eurasisme indo-européanisant.

    L’affrontement entre l’Empire continental des Tsars et l’Empire maritime des Britanniques

    L’affrontement entre la thalassocratie anglaise et le continentalisme russe débute dès les premières conquêtes de Nicolas I, qui règna de 1825 à 1855 et consolida les conquêtes d’Alexandre I dans le Caucase, tout en avançant profondément dans les steppes du Kazakhstan, entre 1846 et 1853. Nicolas I désenclave également la Mer Noire, en fait un lac russe: alarmée, l’Angleterre fait signer une convention internationale en 1841, interdisant le franchissement des détroits pour tout navire de guerre non turc. Elle avait soutenu le Sultan contre le Pacha d’Egypte, Mehmet Ali, appuyé par la France. En 1838, elle s’installe à Aden, position stratégique clef dans l’Océan Indien et à la sortie de la Mer Rouge. C’est le début d’une série de conquêtes territoriales, en réponse aux avancées russes dans le Kazakhstan actuel: sont ainsi absorbés dans l’Empire thalassocratique anglais, le Baloutchistan en 1876 et la Birmanie intérieure en 1886. Pour contrer les Russes au nord de l’Himalaya, une expédition est même lancée en direction du Tibet en 1903.

    Dans ce contexte, la Guerre de Crimée (1853-1855), suivie du Traité de Paris (1856), revêt une importance toute particulière. L’Angleterre entraîne la France de Napoléon III et le Piémont-Sardaigne dans une guerre en Mer Noire pour soutenir l’Empire ottoman moribond que la Russie s’apprête à absorber. Les intellectuels russes, à la suite de cette guerre perdue, vont cultiver systématiquement une méfiance à l’égard de l’Occident, posé comme libéral, “dégénéré” et “sénescent”, sans pour autant abandonner, dans les cinq dernières décennies du XIX° leur eurasisme indo-européanisant: l’obsession du danger “mongol”, qualifié de “panmongoliste”, demeure intacte (6). L’Orient de ces intellectuels orthodoxes et slavophiles est russe et byzantin, les référents demeurent donc de matrice grecque-chrétienne et européenne. Dans ce contexte, Vladimir Soloviev prophétise une future nouvelle invasion “mongole” en 1894, à laquelle la Russie devra faire face sans pouvoir compter sur un Occident décadent, prêt à trahir son européanité. Neuf ans plus tard, la défaite russe de Tchouchima laisse entrevoir que cette prophétie était juste, du moins partiellement.

    La thématique du “péril panmongol” dans la littérature russe

    Gogol, dans deux récits fantastiques, “Le portrait” et “Une terrible vengeance”, aligne des personnages de traîtres, dont l’anti-héros Petromihali, qui infusent dans l’âme russe des  perversités asiatiques et les préparent ainsi à la soumission. Dostoïevski, dans “La légende de l’Antéchrist”, faire dire à son “Grand Inquisiteur” que le Christ, auquel la Russie doit s’identifier jusqu’à accepter le martyre, a eu tort de refuser une “monarchie universelle” à la Gengis Khan ou à la Tamerlan. Satan l’a proposée au Christ, et le “Grand Inquisiteur” qui est une incarnation du Malin sous le déguisement d’un dignitaire de l’Eglise du Fils de Dieu, reproche au Christ, revenu sur Terre et qu’il va juger, d’avoir refusé ce pouvoir absolu, séculier et non spirituel. La Russie doit donc refuser un pouvoir de type asiatique, rester fidèle à ses racines européennes et chrétiennes, c’est-à-dire à une liberté de l’âme, à une liberté intérieure qui se passe de l’Etat ou, du moins, ne le hisse pas au rang d’idole absolue car, sinon, l’humanité entière connaîtra le sort peu enviable de la “fourmilière rassassiée”. La liberté scythe et cosaque, en lutte contre les ténèbres asiatiques, doit prévaloir, se maintenir envers et contre tout, même si elle n’est plus qu’une petite flamme ténue. Plus tard, le “totalitarisme” communiste et les dangers impitoyables du “panmongolisme”, annoncés par Soloviev, fusionneront dans l’esprit de la dissidence, jusqu’à l’oeuvre de Soljénitsyne. Dimitri Merejkovski ira même plus loin: le monde “s’enchinoisera”, l’Europe sombrera dans la veulerie et la léthargie et le monde entier basculera dans un bourbier insondable de médiocrité. “L’enchinoisement”, craint par Merejkovski, peut certes s’interpéréter de multiples manières mais une chose est certaine: il implique un oubli dramatique de l’identité même de l’homme de qualité, en l’occurrence de l’homme russe et européen, oubli qui condamne l’humanité entière à une sortie hors de l’histoire et donc à une plongée dans l’insignifiance et la répétition stérile de modes de comportement figés et stéréotypés. En ce sens, la figure du “Chinois” est métaphorique, tout aussi métaphorique qu’elle le sera chez un Louis-Ferdinand Céline après 1945.

    Jusqu’à la révolution bolchevique, l’eurasisme russe demeure indo-européanisant: il reste dans la logique de la reconquête de l’espace scythique-sarmate, “proto-iranien” dirait-on de nos jours. La Russie est revenue dans les immensités sibériennes et centre-asiatiques: ce n’est pas pour en être délogée comme en furent délogés les peuples cavaliers, à partir du déploiement de la puissance de la Confédération des Xiongnu. Toutefois cet anti-asiatisme, réel ou métaphorique, et cette volonté d’être européen sur un mode non plus repu, comme les Occidentaux, mais sur un mode énergique et héroïque, ne touche pas l’ensemble de la pensée stratégique russe: au lendemain de la Guerre de Crimée, où le Tsar Nicolas I avait délibérément voulu passer sur le corps de l’Empire Ottoman pour obtenir une “fenêtre” sur la Méditerranée, Konstantin Leontiev suggère une autre stratégie. Il vise une alliance anti-moderne des chrétiens orthodoxes et des musulmans contre le libéralisme et le démocratisme modernes, diffusés par les puissances occidentales. On ne déboulera pas sur les rives de  l’Egée par la violence, en allant soutenir des nationalismes balkaniques ou helléniques  entachés de modernisme occidental, mais en soutenant plutôt la Sublime Porte contre les subversions intérieures qui la minent, de façon à apaiser toutes les tensions  qui  pourraient survenir dans le vaste espace musulman et turcophone fraîchement conquis en Asie centrale et à obtenir des concessions portuaires et navales en Egée et en Méditerranée orientale, tout en annulant les contraintes des traîtés fomentés par l’Angleterre pour bloquer le passage des Détroits. Leontiev suggère dès lors une alliance entre Russes et Ottomans, qui constituerait un bloc de Tradition contre le modernisme occidental. Cette idée, conservatrice, est reprise aujourd’hui par les néo-eurasistes russes.

    L’idée de Leontiev peut bien sûr se conjuguer à certaines visions de l’anti-mongolisme littéraire, surtout si elle vise, comme ennemi premier, le libéralisme et le positivisme occidentaux, pendants néo-kantiens de l’immobilisme “jaune”, qui engourdissent les âmes. Avec la révolution bolchevique et la rupture avec l’Occident qui s’ensuivit, l’anti-asiatisme va s’estomper et, comme la nouvelle URSS est de facto une synthèse d’Europe et d’Asie, on élaborera, dans un premier temps, “l’idée scythe”. Les “Scythes”, dans cette optique, sont les “Barbares de l’Ouest” dans l’espace russo-sibérien, tandis que les “Barbares de l’Est” sont les cavaliers turco-mongols. On ne spécule plus sur les différences raciales, posées comme fondamentales dans l’eurasisme indo-européanisant, mais sur les points communs de cette civilisation non urbanisée et non bourgeoise, qui abhorre la quiétude et portera l’incendie révolutionnaire dans le monde entier, en balayant toutes les sociétés vermoulues. Du “scythisme”, dont le référent est encore un peuple indo-européen, on passe rapidement à un idéal fusionniste slavo-turc voire slavo-mongol, qui unit dans une même idéologie fantasmagorique tous les peuples de l’URSS, qu’ils soient slaves-scythes ou turco-mongols.

    Du scythisme des années 20 au néo-eurasisme actuel

    Jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique, l’élément slave et scythe reste implicitement dominant. Quand les républiques musulmanes centre-asiatiques de l’éphémère CEI obtiennent une indépendance pleine et entière, la Russie perd tous les glacis conquis par les Tsars de Catherine la Grande à Nicolas II. Le néo-eurasisme est une réaction face à la dislocation d’un bloc qui fut puissant: il cherche à rallier tous ceux qui en ont fait partie au nom d’une nouvelle idéologie partagée et à constituer ainsi un ersatz à l’internationalisme communiste défunt.

    D’un point de vue eurasiste indo-européanisant, cette position peut se comprendre et s’accepter. Le néo-eurasisme refuse de voir se reconstituer, dans les steppes centre-asiatiques, un môle anti-russe, porté par un nouveau panmongolisme, un pantouranisme, un panislamisme ou une idéologie occidentaliste. L’eurasisme indo-européanisant, le “scythisme” des premières années du bolchevisme et le néo-eurasisme actuel, dont la version propagée par Alexandre Douguine (7) ont pour point commun essentiel de vouloir garder en une seule unité stratégique l’aire maximale d’expansion des peuples indo-européens, en dépit du fait qu’une portion majeure, stratégiquement primordiale, de cette aire soit occupée désormais par des peuples turcophones islamisés, dont le foyer originel se trouve sur le territoire de l’ancienne culture dite des “tombes à dalles” ou dans l’Altaï et dont la direction migratoire traditionnelle, et donc la cible de leurs attaques, porte dans l’autre sens, non plus d’ouest en est, mais d’est en ouest.

    L’idéologie néo-eurasienne, avec sa volonté de consolider un bloc russo-asiatique, s’exprime essentiellement dans les stratégies élaborées par le Groupe de Changhaï et dans les réponses que celui-ci apporte aux actions américaines sur la masse continentale eurasienne.

    L’expansion “bi-océanique” des Etats-Unis au XIX° siècle

    Face à cet eurasisme, qui se conjugue en trois modes (indo-européanisant, scythique et russo-turco-mongol), qu’en est-il exactement de l’atlantisme, posé comme son adversaire essentiel sinon métaphysique? A l’aube du XIX° siècle, les “Treize colonies” américaines, qui ont fraîchement acquis leur indépendance face à l’Angleterre, ne possèdent pas encore un poids suffisant pour s’opposer  aux puissances européennes. Leur premier accroissement territorial vient de l’acquisition de la Louisiane, qui leur donne une plus grande profondeur territoriale sur le continent nord-américain. En Europe, l’effondrement du système napoléonien fait éclore, avec le Traité de Vienne de 1815, qui ménage la France redevenue royale, une “Sainte-Alliance” ou une “Pentarchie” qui est, ipso facto, eurasienne. La “Pentarchie”  s’étend, de fait, de l’Atlantique au Pacifique, puisque la Russie du Tsar Alexandre I en fait partie, en constitue même la masse territoriale la plus importante. On oublie trop souvent que l’Europe a été eurasienne et que l’eurasisme n’est pas une lubie nouvelle, imaginée par des intellectuels en mal d’innovation à la suite de la chute du Mur de Berlin et de la disparition du système soviétique. La Pentarchie, système unifiant l’Europe, n’a pas duré longtemps mais elle a existé et rendu notre sous-continent et la Russie-Sibérie inviolables et invincibles. Elle est par conséquent un modèle à imiter, une situation idéale à restaurer.

    Face à ce bloc euro-pentarchique, en apparence inexpugnable, les Etats-Unis se sentent minorisés, craignent pour leur subsistance et, par une audace inouïe, leur Président, James Monroe proclame sa célèbre Doctrine en 1823 en imaginant, dans un premier temps, que le monde sera divisé en un “ancien monde” et un “nouveau monde”, dont il s’agira d’interdire l’accès à toutes les puissances de la Pentarchie et à l’Espagne, où elle était intervenue pour rétablir l’ordre (8). La proclamation de la Doctrine de Monroe est un premier grand défi au bloc pentarchique eurasiatique, avant même que les Etats-Unis ne soient devenus une puissance bi-océanique, à la fois atlantique et pacifique. Ils ne possèdent pas encore, en 1823, le Texas, le Nouveau-Mexique, la Californie et l’Alaska. En 1848, suite à la défaite du Mexique, ils deviennent bi-océaniques, ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas exclusivement “atlantistes” mais constituent aussi une puissance intervenante dans les immensités du plus grand océan de la planète. Déjà, certains sénateurs envisagent de réorganiser la Chine pour qu’elle devienne le premier débouché des Etats-Unis et de leur industrie naissante. Le Commodore Matthew C. Perry, dès 1853-54, force, sous la menace, le Japon à s’ouvrir au commerce américain: première manifestation musclée d’une volonté claire et nette de dominer le Pacifique, contre les pays riverains du littoral asiatique de ce grand océan. Il faudra attendre la guerre hispano-américaine de 1898 pour que les Etats-Unis s’emparent d’un territoire insulaire face à l’Asie, en l’occurrence les Philippines, pour donner du poids à leurs revendications. Sous la présidence de Théodore (Teddy) Roosevelt, les Etats-Unis jettent les bases, non d’un atlantisme, mais d’un mondialisme offensif. L’instrument de cette politique mondialiste sera la flotte que l’Amiral Alfred Thayer Mahan appelle à constituer pour que les Etats-Unis puissent faire face, avec succès, au reste du monde. En 1912, Homer Lea, officier américain formé à Westpoint mais démis de ses fonctions pour raisons de santé, théorisera, immédiatement après John Halford Mackinder, les règles de l’endiguement de l’Allemagne et de la Russie, avant même que l’alliance anglo-américaine ne soit devenue une réalité.

    Une thalassocratie pluri-océanique

    Avec Teddy Roosevelt et avec Mackinder, nous avons affaire, dans la première décennie du XX° siècle à un mondialisme thalassocratique américain, maître depuis 1898 des Caraïbes et de la “Méditerranée américaine”, mais sans aucune présence dans l’Océan Indien, et à une thalassocratie britannique, présente dans l’Atlantique Nord, dans l’Atlantique Sud (où l’Argentine est un de ses débouchés), dans l’Océan Indien et dans le Pacifique Sud. La puissance découle des capacités des marines de guerre et des fameux “dreadnoughts”, mais elle est toujours au moins bi-océanique, sinon pluri-océanique. Les Centraux en 1918 et l’Axe en 1945 perdent la guerre parce qu’ils ne maîtrisent aucune mer, même pas la Méditerranée, la Mer du Nord et les zones chevauchant l’Atlantique Nord et l’Océan Glacial Arctique, puisque Malte, Gibraltar, Chypre et l’Egypte (avec Suez) resteront toujours aux mains des Britanniques et que le trafic maritime des “liberty ships”, en dépit des pertes infligées par les sous-marins allemands, ne sera jamais interrompu entre l’Amérique du Nord et le port soviétique de Mourmansk. La seconde guerre mondiale est une lutte entre, d’une part, les thalassocraties anglo-saxonnes maîtresses des océans et alliées à la puissance eurasiatique soviétique, et, d’autre part, une péninsule européenne riche mais dépourvue d’une réelle puissance navale, alliée à un archipel du Pacifique, surpeuplé et dépourvu de matières premières.

    Le terme d’atlantisme apparaît lors des accords entre Churchill et Roosevelt, scellés au beau milieu de l’Océan en 1941. En 1945, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale forment un ensemble, qui deviendra l’OTAN, une alliance centrée sur l’Atlantique-Nord, que l’on qualifiera rapidement, dans les écrits polémiques, d’ “atlantisme”. Mais l’Atlantique, en tant qu’espace océanique, est-il si déterminant que cela dans les atouts, multiples et variés, qui confèrent aujourd’hui la puissance aux Etats-Unis? Non. Car, si la puissance de la Russie, des Tsars à la perestroïka, repose, comme l’avait constaté Mackinder en 1904, sur la possession de la “Terre du Milieu”, celle de l’Empire britannique reposait sur la maîtrise complète de l’ “Océan du  Milieu”, l’Océan Indien. En 1947, quand l’Inde accède à l’indépendance mais subit simultanément une partition dramatique, opposant une Inde nouvelle majoritairement hindoue à un Pakistan presque totalement musulman, l’Océan Indien, débarrassé de ses maîtres britanniques épuisés par deux guerres mondiales, entre dans une phase de neutralisation provisoire. Il est alors l’espace du non-alignement. L’Inde de Nehru, clef de voûte géographique de l’ancien arc de puissance britannique (du Cap à Perth), propage une logique politique détachée des blocs issus de la bipolarisation de la Guerre Froide. Dès les années 60, Mohammed Reza Pahlavi, Shah d’Iran, théorise l’idéal d’une “Grande Civilisation” dans l’Océan Indien, tout en multipliant les démarches diplomatiques pacifiantes avec ses voisins, y compris soviétiques. A Washington, on comprend rapidement que la Guerre Froide ne se gagnera pas en Europe, sur un front qui correspond au Rideau de Fer, mais qu’il faut endiguer l’URSS, en renouant avec la Chine, comme le fit le tandem Nixon-Kissinger au début des années 70; en tablant sur les peuples installés le long de la Route de la Soie et en éveillant les forces centrifuges au sein même de l’Union Soviétique, comme l’envisageait Zbigniew Brzezinski; en entraînant l’URSS dans le bourbier afghan; en tablant sur le fanatisme musulman pour lutter contre l’athéisme communiste et pour briser l’alternative locale proposée par le Shah d’Iran, car, en dépit des affrontements irano-américains largement médiatisés depuis la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran au début de l’ère khomeyniste, il ne faut pas oublier que la “révolution islamiste” d’Iran a d’abord été une création des services américains, pour briser la politique énergétique du Shah, casser les relations qu’il entretenait avec l’Europe et mettre l’Iran et ses potentialités au “frigo”, le plus longtemps possible. Ces stratégies avaient toutes pour but de revenir dans l’Océan Indien et dans le Golfe Persique. Elles ont contribué à la reconquête de l’Océan Indien et fait des Etats-Unis une puissance désormais tri-océanique.

    La maîtrise de l’Océan Indien reste la clef de la puissance mondiale

    La dialectique atlantisme/eurasisme, dont les néo-eurasiens russes actuels font usage dans leurs polémiques anti-américaines, oublie que l’Amérique ne tient pas sa puissance aujourd’hui de sa maîtrise de l’Atlantique, océan pacifié où ne se joue pas l’histoire qui est en train de se faire, mais de son retour offensif dans l’Océan du Milieu. L’abus du vocable “atlantiste” risque de provoquer une sorte d’illusion d’optique et de faire oublier que ce n’est pas la maîtrise des Açores, petit archipel portugais au centre de l’Atlantique, qui a provoqué la désagrégation de l’URSS, puissance eurasienne, mais la maîtrise de Diego Garcia, île au centre de l’Océan Indien, d’où partaient les forteresses volantes qui bombardaient l’Afghanistan et l’Irak. C’est au départ des forces aéronavales massées à Diego Garcia qu’adviendra peut-être le “Greater Middle East”. Si c’est le cas, l’Europe et la Russie seront condamnées à l’isolement, à n’avoir aucune fenêtre sur les espaces où s’est toujours joué, et se joue encore, le destin du monde. 

    Certes, l’atlantisme est, pour les Européens, une idéologie engourdissante, aussi engourdissante, sinon plus, que “l’enchinoisement”, réel ou métaphorique, dénoncé par Soloviev ou Merejkovski: Danilevski, lui, parlait de l’Occident comme d’un cimetière pour les plus sublimes vertus spirituelles humaines et l’écrivain russe provocateur et contemporain, Edouard Limonov, parle, lui, d’un “Grand Hospice occidental”. Mais ce n’est pas là un problème géopolitique, c’est un problème théologique, métaphysique, philosophique et éthique. Qu’il convient d’aborder avec force et élan. Pour dégager l’humanité des torpeurs et des enlisements du consumérisme.

    Robert STEUCKERS.
    (fait à Forest-Flotzenberg, du 11 au 15 février 2009).

    Notes:
    Cf. Colin McEVEDY, “The New Penguin Atlas of Ancient History”, Penguin, London, 2nd ed., 2002.
    Cf. Jacques BERTIN, “Atlas historique universel – Panorama de l’histoire du monde”, Minerva, Genève, 1997.
    Robert DELORT (Éd.), “Les croisades”, Seuil, coll. “Points”, 1988.
    Vicente FERNANDEZ & Dionisio A. CUETO, “Los perros de la Reina – Piratas ingleses contra España (s. XVI)”, Almena Ed., Madrid, 2003.
    Frances A. YATES, “Cabbala e occultismo nell’età elisabettiana”, Einaudi, Torino, 1982.
    Cf. Georges NIVAT, “Vers la fin du mythe russe – Essais sur la culture russe de Gogol à nos jours”, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988.
    Cf. Mark J. SEDGWICK, “Contre le monde moderne – Le traditionalisme et l’histoire intellectuelle secrète du XX° siècle”, Ed. Dervy, Paris, 2008.
    Dexter PERKINS, “Storia della Dottrina di Monroe”, Societa Editrice Il Mulino, Bologne, 1960.

  • ETHNIES ET DEMOCRATIES EN AFRIQUE

    En France, le fait ethnique a longtemps été banni des études africaines car le postulat qui sous-tendit les travaux des africanistes de la seconde moitié du XX° siècle, fut que ces dernières avaient été créées par la colonisation.
    Poussons à son terme ce postulat aberrant énoncé par Jean-Pierre Chrétien, Jean Loup Amselle ou encore Catherine Coquery-Vidrovitch : si l’Afrique pré coloniale ignorait les ethnies, le continent n’avait donc pas d’histoire et il n’était qu’un conglomérat d’individus indifférenciés ultérieurement structuré par la colonisation... Cette vision est parfaitement stupide, mais revenons néanmoins au cœur de la théorie de Jean-Pierre Chrétien et consorts.
    La réponse à leur thèse tient en une question : les ethnies existaient-elles au moment où se fit la colonisation ? La réponse est oui, évidemment oui car, en Afrique comme dans le reste du monde, l’Histoire s’écrit autour des peuples, des ethnies. En Afrique, l’actualité le montre quotidiennement, et, hélas, de manière régulièrement dramatique de la Côte d’Ivoire au Soudan, du Tchad au Rwanda et du Kenya à la RDC, etc. Nier une telle évidence ne relève pas de la controverse scientifique, mais de la pathologie.
    Dans ce numéro de l’Afrique Réelle, nous montrons que cette réalité ethnique est également la clé de la situation en Afrique du Sud et en Guinée.
    Tout est-il pour autant ethnique ? La question africaine se résume t-elle à une addition de problèmes ethniques ? Evidemment non, mais si l’ethnie n’explique pas tout, elle est cependant à la base de tout, même quand l’apparence des crises est économique.
    Trois exemples le démontreront :
    1) Ce n’est pas le pétrole qui est à l’origine de la guerre du Sud Soudan, mais l’opposition entre populations nordistes arabo-musulmanes et sudistes négro-africaines. Cette guerre, résurgence de conflits multi séculaires a éclaté en 1956 alors que le pétrole n’est produit que depuis une décennie à peine.
    2) Le trafic du coltan n’explique pas les guerres du Kivu, même si aujourd’hui il les alimente en partie. Elles ont en effet éclaté dans les années 1990 quand les Tutsi congolais (les Banyamulenge) furent instrumentalisés par le Rwanda pour déstabiliser le régime Mobutu.
    3) Les diamants n’ont pas provoqué la guerre civile de Sierra Leone puisque sa cause en est la contagion découlant de la guerre ethnique du Liberia et des évènements ethno politiques de Guinée. Ce ne fut que dans un second temps que le conflit s’est nourri du commerce des diamants.
    Depuis les années 1990, le problème ethnique africain a été amplifié par la démocratie. Le placage de la démocratie fondée sur le « one man one vote » aboutit en effet à l’ethno mathématique puisqu’il débouche sur la victoire automatique des plus nombreux.
    Le problème n’est d’ailleurs pas tant la démocratie en elle-même que la manière dont elle a été transposée en Afrique sans qu’auparavant il ait été réfléchi au mode de représentation et d’association au pouvoir des ethnies minoritaires. C’est pourquoi il est impératif de définir des voies constitutionnelles permettant la cohabitation ethnique sur des bases consensuelles et cela, afin d’éviter que les plus nombreux soient automatiquement détenteurs d’un pouvoir issu de l’addition des suffrages.
    La solution pourrait être un système dans lequel la représentation irait d’abord aux groupes et non plus aux individus. Mais il s’agirait là d’une véritable révolution culturelle car, en définitive, ce sont les fondements philosophiques des sociétés démocratiques « occidentales » fondées sur l’individualisme qui seraient alors remis en cause. Avec l’universalisme destructeur qui les supportent.
    Bernard LUGAN http://www.libeco.net

  • Le massacre sanglant d'Algérie était complètement prévisible

    La prise d’otages à l’usine gazière de In Amenas a provoqué de nombreux commentaires, visant soit à approuver le gouvernement algérien et son armée soit au contraire à condamner la brutalité des forces de l’ordre qui aurait entrainer le massacre notamment d’un grand nombre d’otages.
    Le journaliste britannique bien connu Robert Fisk, grand connaisseur du Proche–Orient et du monde arabe, grand reporter et correspondant quotidien du journal londonien, The Independent, basé à Beyrouth depuis plus de trente ans a donné à son journal un article qui peut paraître choquant, tant l’explication qu’il donne des horribles événements survenus pourrait dans sa brutalité heurter certains lecteurs.
    Il faut avoir présent à l’esprit que la presse anglo-saxonne est beaucoup moins bridée que la nôtre et qu’elle est peu soumise aux barrières du politiquement correct à la française.
    Enfin, cet article n’engage que la seule responsabilité de son auteur et même si nous ne partageons pas nécessairement toutes les idées exprimées, nous estimons utile de présenter ici à nos lecteurs un éclairage inconnu des médias français.
    Polémia

    Les véritables dirigeants de ce pays sont des militaires qui ont
 « pris le goût du sang » dans une guerre civile qui leur a enseigné à 
prendre aussi peu de soin des innocents que des coupables.

    L'armée algérienne, nous ont dit, hier après-midi, les narrateurs habituels - à la télévision française, de même qu'en Amérique - « ne sont pas tendres avec les terroristes » et sont des « experts » dans la « lutte contre le terrorisme ». C'est bien vrai - mais ce n'est que la moitié de la vérité. Parce qu'ils ne sont pas « tendres » non plus avec les otages. Ils sont aussi impitoyables avec les captifs qu'ils le sont avec les ravisseurs.

    Le massacre des bons et des méchants à l'usine gazière de In Amenas était complètement prévisible, parce que les militaires algériens - les véritables dirigeants du pays - ont « pris le goût du sang » dans une guerre civile qui leur a enseigné à prendre aussi peu de soin pour les innocents que pour les coupables.

    

Ce furent les militaires algériens qui ont envoyé des agents des services secrets à Damas en 1993 pour apprendre comment Hafez el-Assad avait détruit les Islamistes de Hama (*), 11 ans plus tôt - et qui ont ensuite utilisé les mêmes tactiques pour liquider la propre insurrection islamiste de l'Algérie. On dit que des officiers algériens se sont rendus en Syrie l'année dernière pour retourner le compliment : en enseignant aux militaires syriens - qui combattent à présent un soulèvement beaucoup plus dangereux - comment les Algériens ont remporté leur « sale » guerre contre le Groupe Islamique Armé (GIA) et les groupes d'al-Qaïda qui lui étaient affiliés. Les Algériens ont prêté leur « expertise » au Tunisien Ben Ali juste avant son renversement et ont offert la même chose aux hommes de main de Moubarak en Egypte. Aussi opaque que les militaires algériens puissent paraître aux yeux des étrangers, leur mythe fondateur - une brutalité absolue envers leurs ennemis, quel qu'en soit le coût - a plu au Pentagone et aux Français, qui ont tous maintenu leur coopération avec l'élite militaire à Cherchell, dans les environs d'Alger, dans les années 1990 - alors qu'ils savaient fort bien que les soldats et les forces paramilitaires de ce pays se livraient à une orgie de tortures contre les insurgés et les civils.

    Il y a trois choses qui sont devenues certaines la nuit dernière à propos du massacre algérien :

    • – que les Algériens feront porter l'entière responsabilité du massacre des otages aux kidnappeurs inspirés par al-Qaïda ;
    • – que les gouvernements occidentaux dont les ressortissants sont morts seront d'accord sur ce point - et ne prononceront pas un mot de condamnation contre les militaires algériens ;
    • – que d'ici midi, aujourd'hui, toute cette histoire changera jusqu'à en être méconnaissable. Premiers ministres, ministres des Affaires étrangères et salles de rédaction, prenez garde !



    L'ignorance totale de David Cameron quant à la cruauté inhérente du gouvernement algérien a conduit Downing Street, aujourd'hui, à marmonner quelques remarques vraiment stupides. Les Algériens, ont-ils dit, « semblaient déterminés à prendre les devants ».

Tu parles qu'ils l'ont fait ! Parler aux preneurs d'otages est un anathème pour eux, au mieux un moyen d'user les ravisseurs avant de les anéantir. Le Premier ministre du pays, Abdelmalek Sellal, est un homme brillant et intelligent qui plait à des gens comme Cameron et François Hollande : il est décontracté, bien élevé et est un doyen du service civil algérien. Il est donc facile d'oublier que Sellal était ministre de l'Intérieur de 1998 à 1999 lorsque le soulèvement islamiste a été soi-disant détruit. L'un de ses prédécesseurs, Abderrahmane Meziane-Chérif, m'a parlé autrefois de ses principes pour traiter avec les « terroristes ». « Un agriculteur peut être un éliminateur lorsqu'il enlève les mauvaises herbes de son champ », avait-il dit. « Et parfois, un homme doit purifier l'eau et nettoyer les choses des insectes et des parasites. » Meziane-Chérif était surnommé « l'éradicateur ». 

Et bien sûr que les Islamistes qui ont pris autant d'otages en Algérie devaient porter au bout du compte la responsabilité du massacre. Aucun des deux camps ne fait de quartier ; ainsi, les otages, les passants, les civils sont des « dommages collatéraux » - eh oui ! Encore ce vocable odieux - pour les deux camps. Ce n'est pas non plus surprenant. Car le véritable mariage entre al-Qaïda et l'armée algérienne a commencé après l'occupation russe de l'Afghanistan.

    C'est une histoire très largement secrète qui n'a jamais été révélée entièrement, même à ce jour. Prêts à tout pour enrayer leurs pertes, le gouvernement soviétique avait demandé à leurs alliés socialistes algériens de les aider en matière de renseignements ; et les services secrets algériens ont envoyé leurs propres hommes en Afghanistan pour se faire passer pour des « moudjahidin » aux côtés de véritables islamistes algériens combattant pour Oussama ben Laden. Les informations en provenance de ces espions militaires algériens permirent aux forces soviétiques de riposter. Mais lorsque les Russes partirent et que les Algériens rentrèrent chez eux, l'armée donna l'ordre à ses propres hommes de rester sous couverture avec les groupes islamistes.

    Alors, quand la terrible guerre civile débuta, pour maintenir leur couverture, certains agents ont participé aux massacres de civils. Et ils ont donc été contaminés par les atrocités. Ce n'est pas un récit que reconnaît le gouvernement algérien. Et l'Ouest n'examinera pas non plus cette histoire effroyable. Mais la réalité est que les véritables Cobras du monde des renseignements vivent au sein du « pouvoir » militaire algérien. En comparaison, le Cobra de Downing Street - la célèbre « commission » de sécurité de David Cameron - n'est qu'une humble couleuvre assoupie.

    Robert Fisk
    The Independent
    18 janvier 2013 


    Titre original : Algeria's bloody slaughter was utterly predictable

    Traduction : JFG-QuestionsCritiques

    Note de la rédaction :

    (*) Le massacre de Hama résulte de la répression, par le pouvoir syrien d'Hafez el-Assad, des insurgés de la ville de Hama en février 1982. On estime entre 7.000 et 35.000 le nombre de victimes1 lors de la répression de cette insurrection.

    Correspondance Polémia – 24/01/2013

  • Entre l’empire et le royaume, il faut choisir !

    La France, et c’est son génie profond, a hérité des Grecs cette méfiance de l’Hybris, la démesure. Au grand, il est toujours possible d’ajouter une quantité supplémentaire, indéfiniment... Face à la démesure des monuments barbares ou des empires asiatiques aux limites jamais indépassables, les Grecs opposaient un idéal d’harmonie issu de justes proportions. C’est au moment « où elle ne fut qu’elle-même, qu’Athènes fut le genre humain » remarquait Charles Maurras ; ce fut sa fin lorsque les Macédoniens de Philippe et Alexandre l’entraînèrent à se répandre dans le monde, de l’Indus au Nil.
    La France s’est volontiers (et peut-être un peu abusivement) attribué le rôle ambigu d’institutrice du monde ; mais cette prétention n’est possible qu’au prix d’une renonciation à l’empire du monde. Dans les sociétés indo-européennes, comme en Chrétienté, l’autorité spirituelle doit toujours être distincte du pouvoir politique... On le sent : rien n’est plus contradictoire au génie territorial de la France que cette Europe sans frontières, à six, à douze ou à trente-six, avec ou sans la Turquie, l’Angleterre ou le Kamtchadka...
    La singularité de la France
    Les Flamands n’ont pas grand chose à perdre avec l’Europe, les Polonais peuvent espérer mieux subsister dans un vaste conglomérat que partagés entre la Prusse, la Russie et l’Autriche.
    L’identité des Sardes, des Grecs, des Hongrois ou des Irlandais s’est maintenue sous la domination piémontaise, turque, autrichienne ou anglaise, pourquoi ne parviendrait-elle pas à se maintenir au sein de l’empire européen ? Et tant mieux si l’on profite un peu de la manne bruxelloise accordée aux contrées sous-développées... La réalité ethnique est dotée d’une force organique qui lui permet de tolérer les formes d’organisation politique les plus diverses.
    La “Germanie”, tant est évidente la fraternité (les germains c’est-à-dire les frères), les liens de sang et de langue, s’est maintenue 1870. Jusqu’à ce que la France, au XIXe siècle, veuille dans sa passion idéologique exporter le principe de l’État-nation qui lui avait si bien réussi.
    Les grandes cités peuvent même trouver quelque intérêt à ne dépendre que d’un État assez lointain pour ne pas trop les contraindre : un Milanais restera Milanais, qu’il soit rattaché à l’Italie, à la Padanie, ou à quelque empire européen.
    Italiens ou Allemands n’ont pas grand-chose à sacrifier en acceptant de voir transférer à un État supranational une souveraineté qui ne date au fond que de quelques dizaines d’années. Ne parlons même pas des Tchèques, des Maltais ou des Biélorusses... L’État belge a été créé par un compromis entre l’Angleterre et la France, il ne trouve sa légitimité que dans l’utilité des services qu’il peut rendre à ses habitants, et n’importe quelle autre puissance publique ne sera-t-elle pas aussi légitime si elle parvient à rendre des services équivalents ?
    La France n’est pas une
    Mais au milieu de ces États fonctionnels et de ces ethnies, la France apparaît comme une communauté non ethnique, un État nation paradoxal. La nation française, à l’évidence, n’est pas une ethnie ; et plutôt que de parler du peuple français, ne devrait-on pas parler des peuples de France : celtes, gallo-romains, germaniques, catalans, basques, corses, arvernes, ligures ou flamands... ?
    La France n’est même pas une langue ; même si le français est le bien commun des Français. D’abord parce que ce bien commun, les Français le partagent avec bien d’autres peuples plus ou moins partiellement francophones.
    Par ailleurs, l’unification linguistique n’est qu’une réalisation tardive due en grande partie au jacobinisme de la République qui s’acharna méthodiquement contre les langues provinciales qu’elle jugeait menaçantes pour l’unité d’une nation qui avait perdu son fédérateur historique. Or ces langues provinciales, breton, occitan, flamand, basque, corse ou catalan c’est aussi le patrimoine de la France...
    La France n’est pas une unité ethnolinguistique ; elle ressemble par ce trait à la Suisse, fédération de peuples et de cultures. Dans ces deux cas, il s’agit d’un rassemblement politique dont la cause réside dans un fédérateur. Fédérateur externe pour la Suisse - il s’agit d’échapper à l’emprise des Habsbourg -, fédérateur interne pour la France : l’État capétien. Si le jardin de France est l’oeuvre d’art de la dynastie capétienne, il n’y a pas de raison de penser que la diversité des essences puisse nuire à ce jardin.
    Creuset des identités réelles
    Cependant la France n’est pas qu’un État, c’est aussi une nation ; non une ethnie, mais un ensemble de peuples que des siècles d’histoire commune, un héritage plutôt heureux, ont progressivement transformé en une communauté de destin originale.
    La France est le type même de l’État-nation : État coïncidant avec une communauté humaine, communauté rassemblée et modelée par cet État, comme un jardin longuement amendé devient différent des terres qui l’environnent.
    L’illusion, d’abord celle des Français facilement portés à théoriser et à universaliser leur propre situation, puis celle de ceux qui ont voulu à toute force les imiter, a été de vouloir normaliser et exporter l’exception française : on sait les ravages provoqués par le principe des nationalités au XIXe siècle, le démantèlement de l’Empire austro-hongrois au début du XXe, et l’on peut douter de la pertinence d’États souverains comme la République centrafricaine ou celle de Bosnie... Mais on a réussi à faire croire que la dignité des peuples ne pouvait se passer de ces fantômes de souveraineté et de ces apparences d’États...
    Certes, il y a au composé français une base que je me garderais bien de mépriser et dont l’identité ethno-culturelle doit être, elle aussi, respectée : pour caricaturer celle des franchouillards à béret basque et à baguette de pain sous le bras qui peuvent dire : nos ancêtres les Gaulois. Dans cet ensemble peuvent s’insérer, parfois dans la douleur, des minorités que les hasards de l’histoire ont amenées sur notre sol : Arméniens, Juifs, habitants des territoires d’Outre-mer, immigrants de anciennes colonies ou d’ailleurs. L’assimilation de ces minorités dépend de nombreux facteurs dont les moindres ne sont pas la santé des communautés préexistantes qui forment la société française et l’existence d’une identité française nette qui ne saurait se maintenir en l’absence d’un État souverain.
    Faute de vraies communautés historiques de référence, et pour nous Français de notre État-nation, il y a fort à parier que dans un magma “européen”, les plus démunis ne chercheront leur salut que dans les identifications les plus frustes. Faute d’être béarnais ou même français, on se retrouvera, comme aux États-Unis : blacks, beurs, juifs, chinois ou comme on dit là-bas caucasiens.
    Une Europe artificielle
    Une Europe sans histoires (et donc sans l’histoire) ; une Europe sans passion, sans souffrance, sans tragique, mais sans lyrisme : aucun désir ne vient perturber la grisaille institutionnelle de cet O.P.N.I. (Objet Politique Non Identifié). On comprend la bourde des Américains d’avoir nommé Eurodisney le parc des petits Mickeys.
    Le concept est mauvais et il vaut mieux payer très cher pour tout rebaptiser Disneyland Paris. Paris, c’est au moins quelque part.
    Pour la première fois dans l’Histoire, on allait voir se construire un ensemble politique entièrement fondé sur ce que Max Weber appelait « la légitimité rationnelle légale ». Jamais une construction politique n’a tant ressemblé au modèle du contrat social, celui auquel rêvaient tous les “bons sauvages” et autres “Hurons” des salons français du XVIIIe siècle.
    Enfin, des individus, débarrassés des préjugés et autres aliénations liées aux conditionnements historiques, parviennent à accéder à la rationalité, à la volonté générale, c’est-à-dire à la volonté du général ! Les jacobins avaient dû mener de violents combats pour interdire toutes les particularités historiques communautaires, parlements provinciaux, corporations, jurandes, congrégations ou autres langues provinciales. L’Europe se bâtit directement sur les abstractions de la philosophie des “Lumières”. Aussi n’est-ce que par antiphrase que les institutions européennes ont pu pour un temps, être nommées “communauté”.
    Bien sûr, on peut s’interroger sur la stabilité et la continuité de ce zombie de la politique fondée sur une utopie aussi décharnée. On comprend que l’on puisse mourir pour sa foi, pour son roi, sa patrie, sa famille ou son honneur ; on a même pu mourir pour un drapeau. Mais qui accepterait de se sacrifier pour le traité de Maëstricht ou pour la défense des institutions bruxelloises ? Tant que ça n’est pas éprouvé, ça va, mais à la première tempête, que restera-t-il du château de cartes laborieusement laborieusement construit par tant d’érudits constitutionnalistes ?
    Il en est de cette Europe comme du volapuck, de l’espéranto et des deux-cents langues artificielles inventées depuis le XVIIIe siècle “pour que les hommes se comprennent enfin”... Pour que la langue qui abolira la malédiction de Babel soit la langue de tous, il importe qu’elle soit d’abord la langue de personne. D’où le caractère arbitraire, sous couvert de rationalité, de la fixation des racines du lexique ou des règles de la syntaxe. Mais on constate que, très vite, les disciples entrent dans une relation oedipienne avec le fondateur. À un usage arbitraire, on peut toujours substituer un autre usage que la faiblesse humaine trouvera toujours meilleur puisqu’il est susceptible d’illustrer celui qui le propose. C’est ainsi qu’au volapuck succède un volapuckbis et un volapuckter et que la langue qui était faite pour communiquer avec tout le monde a pour destin de ne communiquer avec personne.
    Quel mythe fondateur ?
    Pourtant il serait possible de sortir le projet européen de ces utopies fantomatiques de la philosophie française des Lumières. L’histoire de l’Europe ne manque pas d’événements qui pourraient servir de mythe fondateur. Mais ils présentent de sérieux inconvénients,  surtout pour nous autres Français, et sont susceptibles de diviser autant que d’unir. On pourrait par exemple s’appuyer sur le thème de la vieille culture indo-européenne (au risque de chagriner les Basques, Étrusques, Hongrois et autres Finnois), mais au-delà de quelques érudits comme Dumézil, l’idée a trop été marquée par les nazis.
    L’Empire romain ? Cela ravirait les héritiers des Gibelins, en Italie ou ailleurs. Mais cela concerne tout le monde méditerranéen et en rien l’Europe du Nord.
    Politique capétienne
    Il y aurait bien des raisons d’enraciner l’Europe dans la Chrétienté : la structure épiscopale a maintenu un semblant d’administration lors de l’effondrement de l’Empire romain, les ordres monastiques, les bénédictins au premier rang, ont établi une certaine unité spirituelle et intellectuelle dans l’anarchie et les replis locaux du haut Moyen-Âge, les pélerinages (Saint-Jacques-de-Compostelle, Jérusalem) ont relancé la circulation des personnes, et la papauté a longtemps joué un rôle d’autorité spirituelle commune. L’aventure des Croisades, celles du Proche-Orient, celles de la Reconquiesta fondatrice de l’Espagne et du Portugal, celles des chevaliers teutoniques au Nord, pourraient donner ce supplément d’héroïsme qui manque tant à notre construction marchande sans État spécifique jusqu’en et technocratique. Mais la Chrétienté s’est brisée lors de la Réforme, et dans nos sociétés “séculières”, on voit mal comment ce thème pourrait servir de mythe fondateur ; sans compter l’opposition résolue de tous les adeptes d’une laïcité de combat. La politique capétienne s’est toujours exercée contre les tentatives d’instauration d’empire européen que ce soit celle du Saint- Empire othonien ou celles de la Maison de Habsbourg .
    Qui en France connaît la date où les Turcs furent repoussés de Vienne ? Comment fêter avec les autres peuples d’Europe la grande victoire de Lépante ? L’histoire scolaire ne nous a pas transmis ces références pour la bonne raison qu’à l’époque Charles IX était l’allié des Turcs, comme plus tard Richelieu fut l’allié des princes protestants contre la Maison d’Autriche.
    Toute l’existence de la France suppose un travail systématique de lutte sourde ou ouverte contre la mise en place d’une hégémonie impériale en Europe. C’est pourquoi l’Europe que prétendent promouvoir les gouvernements français est si ectoplasmique. Le contraire amènerait à révéler la contradiction entre deux traditions antagonistes en Europe, celle de l’empire et celle du royaume.
    On peut vouloir la constitution d’une Europe supranationale, on peut vouloir persévérer dans l’identité française, mais on ne peut vouloir les deux. Entre l’empire et le royaume, il faut choisir.
    Michel MICHEL L’Action Française 2000 du 20 septembre au 3 octobre 2007
    Sociologue Université de Grenoble II

  • Mali-Algérie Comment éviter un nouvel Afghanistan ?

    Bernard Lugan*
    le 21/01/2013
    modifié le 21/01/2013 à 16:49h

    L’intervention française au Mali conduit à quatre grandes réflexions :
    1.Compte tenu des réalités frontalières, l’action de la France ne peut réussir que si l’Algérie la soutient. Or, la prise d’otages d’In Amenas, site stratégique hautement protégé, montre soit qu’Alger ne contrôle pas son territoire, soit que les islamistes ont des complicités au plus haut niveau de l’appareil sécuritaire d’Etat. Dans les deux cas, les conséquences pour l’opération Serval sont de la plus haute importance.
     
     
    2.Nous payons aujourd’hui au prix fort la politique de désengagement initiée sous Jacques Chirac puis amplifiée sous Nicolas Sarkozy à savoir, fermeture de bases et abandon de ces irremplaçables implantations qui étaient nos yeux et nos oreilles.
    3.La place laissée libre par la France fut prise par les Etats-Unis qui investirent de gros moyens, notamment au Mali. Ignorant la tectonique ethno-raciale sahélienne, ils y formèrent des cadres qui désertèrent au mois de janvier 2012 et contre lesquels nos soldats sont aujourd’hui engagés.
    4.Ceux qui ont lancé la guerre contre le colonel Kadhafi étaient des irresponsables et je n’ai cessé de le dire depuis le premier jour. Outre qu’ils ont provoqué une réaction déstabilisatrice en chaîne, ils ont armé les jihadistes. Il faut en effet savoir que certaines des armes aujourd’hui utilisées contre nos soldats proviennent de nos propres arsenaux et qu’elles furent généreusement parachutées aux « démocrates » libyens chers à BHL.
     
    Ceci étant, quelle est la réalité de la situation ?

    Concernant l’Algérie, il est difficile de croire que les islamistes qui ont investi une station gazière saharienne dans un secteur hautement surveillé proche de deux frontières sensibles n’ont pas bénéficié de complicités au plus haut niveau de l’État. D’autant plus que les centaines de véhicules utilisés par les jihadistes sont ravitaillés en carburant depuis l’Algérie. Tout le monde sait également que la sécurité algérienne a des contacts avec les groupes islamistes les plus radicaux puisque c’est elle qui les créa jadis dans le contexte de la guerre civile, afin de discréditer et diviser ses adversaires.
     
     
    Comme je l’ai exposé dans un précédent numéro de l’Afrique Réelle consacré à l’Algérie, une sourde lutte de clans se déroule actuellement en coulisses à Alger dans le contexte de la succession du président Bouteflika. Or, contre toute attente, ce dernier semblant vouloir s’engager dans la course pour un quatrième mandat, bien des appétits se retrouvent frustrés ; tout ce qui pourrait affaiblir le président potentiellement candidat peut donc leur être utile, à commencer par un dérapage de la situation sécuritaire.
  • Le Qatar financerait les groupes islamistes du Nord Mali !

    Le Qatar, c’est ce petit pays qui rachète la France morceau par morceau, comme nous avons déjà eu l’occasion de le manifester sur ce site.

    En juin dernier, l’hebdomadaire satirique français “Le Canard Enchaîné”, citait une source de la Direction du renseignement militaire français (DRM) selon laquelle le riche émirat gazier du Qatar,  le prince al-Thani, financerait les groupes islamistes qui avaient pris le contrôle de l’Azawad, dans le Nord-Mali.

    Selon cette source, « les insurgés du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA indépendantiste et laïc), les mouvements Ansar Eddine, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (Mujao) ont reçu une aide en dollars du Qatar ».

    Au début de l’année, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) aurait transmis plusieurs notes à l’Élysée, informant la présidence des « activités internationales » du Qatar. Apparemment sans grand effet, le prince al-Thani étant un grand allié de l’ancien président français Nicolas Sarkozy.

    Cette hypothèse paraît aujourd’hui confirmée par le Figaro. Le 20 janvier dernier, celui-ci évoquait l’équipement des djihadistes, auteurs de l’attaque du site gazier d’In Amenas : «On a trouvé parmi leurs kalachnikovs un modèle typiquement ­libyen, l’AK104, confie une source proche des militaires. Mais aussi des roquettes F5, petits modèles apparus pendant la guerre en Libye.» Leurs tenues aussi venaient de Libye : «Il s’agit de celles données par le Qatar aux rebelles du CNT (Conseil national de transition), reconnaissables à leur couleur ».

    Nous admettons donc nous être trompés en constatant que le Qatar rachetait la France morceau par morceau : manifestement, avec son argent et ses jeux d’alliances, il semble vouloir acheter la terre entière et y asseoir sa domination…

    http://www.contre-info.com/

  • « Du djihad aux larmes d'Allah : Afghanistan, les sept piliers de la bêtise » du Colonel Cagnat

    Lorsque François Hollande s’est adressé aux Français, en novembre dernier, pour les assurer de son engagement à ne pas intervenir militairement au Mali en y envoyant des troupes au sol, on aurait pu penser qu’il avait lu le livre du colonel Cagnat, publié peu de temps avant. Avec une plume de révolté, cet ancien officier supérieur d’infanterie cherche à faire réfléchir son lecteur à travers son expérience de terrain en Asie centrale et sa riche carrière militaire sur les enseignements à tirer de plus de dix ans d’intervention occidentale en Afghanistan. Cet ouvrage, dont Polémia présente ici une recension à ses lecteurs de Bertrand Renouvin, est à verser au dossier de la guerre du Mali. L’auteur redoute, après le départ de Kaboul de l’OTAN, une contagion de la déstabilisation dans les pays voisins. En Afrique, après avoir constaté, suite à la chute de Kadhafi, les désordres survenus au Mali frontalier, ne peut-on pas craindre dans cette ancienne Afrique occidentale française les mêmes phénomènes ?
    Polémia
     

    Colonel d’infanterie, docteur en sciences politiques, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, René Cagnat s’est établi au Kirghizstan après avoir été attaché militaire dans plusieurs pays de l’Est et en Asie centrale.

     

    L’ouvrage qu’il vient de publier (1) dénonce les erreurs tragiques commises par les Américains en Afghanistan, analyse les conséquences de leur échec et ouvre le débat sur les moyens d’y remédier.

     

    René Cagnat fait partie de ceux qu’on n’écoute pas. Ils sont nombreux dans cette confrérie formée d’hommes et de femmes riches d’expériences et de savoirs toujours généreusement offerts pour le service de la France. En haut lieu, on refuse de les connaître, au mieux on lit leurs notes sans rien en retirer parce qu’elles sortent du cadre assigné. De droite ou de gauche, les dirigeants tiennent un anti-discours de la méthode : ils prennent au sérieux les experts qui sont de leur avis et de leur monde mais récusent sans les discuter les analyses dérangeantes et novatrices. Le coup à jouer, le plan de communication efficace, le respect de la Pensée correcte nationale et mondialisée sont les critères d’une réussite attestée par les éditoriaux du Monde et de Libération.

     

    C’est ainsi que Jacques Chirac et Lionel Jospin et surtout un Nicolas Sarkozy qui a longtemps bénéficié de la complicité du Parti socialiste, ont jeté la France et ses soldats dans le piège afghan. Décisions insensées, qui marquent cruellement la dérive occidentaliste de nos oligarques. Décisions jamais soumises au débat dans notre pays car je sais de source sûre que l’Elysée a pris soin, entre 2007 et 2012, de contrôler étroitement tout ce qui était écrit dans la grande presse sur l’Afghanistan. Bien entendu, les spécialistes pouvaient librement publier des livres et des articles – y compris dans la revue Défense nationale – mais l’audience de Jean-Dominique Merchet (2), de René Cagnat, de Gérard Chaliand (3) restait limitée.

     

    Pourtant, ceux qui ont averti que l’affaire afghane était mal engagée, puis expliqué pourquoi les Américains perdaient cette guerre, étaient dans le vrai. René Cagnat présente et reproduit dans son livre les articles qu’il a publiés depuis 2001. Ce ne sont pas ceux d’un anti-américain : il a espéré que les Etats-Unis joueraient un rôle positif en Asie centrale puis montré comment l’OTAN pourrait se redéployer utilement dans cette région du monde. Ce ne sont pas ceux d’un prophète de malheur : il propose une politique permettant d’éviter que le Très Grand Jeu ne se fasse au détriment de la France et de la grande Europe. C’est pour préparer l’avenir que René Cagnat fustige les sept piliers de la bêtise américaine dont il a pu constater les effets désastreux depuis Bichkek et sur place, à Kaboul :

     

    1/ Le bombardement de l’Afghanistan à partir du 7 octobre 2001 est un acte de vengeance qui consiste à faire payer à des Afghans innocents – surtout des Pachtouns – l’attentat qui a tué les Américains innocents du World Trade Center. « C’est une victoire pour Ben Laden, car les bombes rassemblent les Pachtouns derrière les Talibans dressés contre les infidèles et tenants du devoir d’hospitalité ». Contre Al-Qaïda, c’est une guerre de renseignement qu’il aurait fallu mener.
    2/ Les Américains n’ont pas tenu compte des leçons de leur échec au Vietnam et de l’échec soviétique en Afghanistan : ils ont mené une guerre classique mais la maîtrise du ciel, les systèmes d’armes hautement performants et le contrôle des grandes villes n’ont pas pu détruire les Talibans qui, au contraire, se sont renforcés après avoir abandonné Kaboul.
    3/ Bénéficiant du soutien plus ou moins actif d’une partie de la population afghane, les Talibans ont pu mener leurs opérations à partir de leurs bases au Pakistan, pays allié des Etats-Unis mais qui a mené un double jeu afin d’assurer à terme son influence prépondérante à Kaboul et sur les territoires pachtouns.
    4/ Parce qu’ils ignoraient délibérément les réalités afghanes, les Etats-Unis ont voulu démocratiser à l’américaine un pays musulman composé de peuples différents, dominé par des seigneurs de la guerre et résolument hostile aux agressions étrangères. « Au lieu d’installer un fantoche de plus à Kaboul [le douteux Hamid Karzaï], il fallait recourir à la famille royale autour de Zaher Shah. Avec une restauration véritable de la royauté, il y aurait eu à Kaboul, grâce à l’immense prestige de Zaher Shah, une autorité respectée en mesure de rétablir les subtils équilibres ménageant une paix relative entre les ethnies ».
    5/ Trop faible et mal répartie, l’aide financière n’a pas permis de reconstruire l’Afghanistan selon un plan méthodique de développement. L’aide étrangère est la source d’une immense corruption, qui touche les dirigeants afghans mais aussi les milieux occidentaux.
    6/ L’islamisme a été sous-estimé. Dans les zones tribales, les Talibans ont pu former des fanatiques toujours prêts au sacrifice suprême. « La conception stratégique aussi bien que l’action tactique sur le terrain ont incombé le plus souvent à des responsables et officiers totalement ignorants de l’histoire, de la sociologie, des spécificités de l’Afghanistan et même de l’islam ». Le sursaut d’intelligence incarné par le général Petraeus n’a été qu’une parenthèse sans incidence positive sur le déroulement de la guerre. Au lieu de freiner l’insurrection, les campagnes d’élimination des cadres talibans en Afghanistan et, au moyen de drones, au Pakistan, n’ont fait qu’ajouter la haine à la haine.
    7/ La lutte contre la drogue n’a pas été engagée. Pourtant, les Talibans l’avaient interdite et les contrevenants étaient exécutés. Mais les Américains n’ont pas voulu déplaire à leurs alliés de l’Alliance du Nord, grands producteurs de pavot. Au contraire, à Kaboul en 2003, les milieux bien informés m’avaient affirmé que la CIA encourageait la culture du pavot afin de s’attirer les bonnes grâces des seigneurs locaux. Le résultat de cette brillante politique ? Tout simplement ceci qui est à tous égards accablant : « les narcotiques ont rapporté en 2007 plus de 80 milliards de dollars aux trafiquants afghans qui s’efforcent de « commercialiser » un tonnage d’opium qui est équivalent à 92% de la production mondiale ». En Asie centrale, en Russie, en Europe de l’Ouest, nous constatons les effroyables dégâts engendrés par ce commerce.

     

    Ce que je présente comme un bilan des erreurs, des fautes et des crimes américains a été dénoncé tout au long de la décennie par ceux, civils et militaires, qui avaient appris à connaître et à aimer l’Afghanistan. Décidé par Nicolas Sarkozy pour plaire aux Américains et marquer le retour complet de la France dans l’OTAN, l’envoi en 2009 de soldats français dans des zones très dangereuses fut une aberration couverte, il faut le répéter, par le Parti socialiste : la guerre était manifestement perdue dès 2007 et l’engagement français n’a été précédé d’aucune discussion sur les buts de la guerre, sur la stratégie, sur la tactique, sur la présence de mercenaires, sur le gouvernement du pays. On s’est contenté, à l’Elysée, de reprendre les slogans de la guerre contre le terrorisme alors que nul n’ignore que le terrorisme se combat par les actions de renseignement et les opérations spéciales. L’armée française, qui s’est comportée avec courage et intelligence, sans se livrer aux actes insultants et criminels des Américains, a durement payé les rodomontades qui cachaient l’alignement sarkozyste : au mois d’août 2012, nous déplorions 88 tués et 700 blessés.

     

    Maintenant amorcé, le départ de nos soldats ne doit pas détourner la France de l’Asie centrale. Tels que les présente René Cagnat, les scénarios pour l’Afghanistan sont d’une plus ou moins grande noirceur : constitution d’un narco-Etat par improbable consensus entre Afghans, guerre civile, parachèvement de la domination talibane sur une partie du pays. Il est donc urgent de concevoir une action politique et militaire pour la défense de l’Asie centrale, qui est en continuité territoriale avec l’Europe continentale et qui la pénètre – par exemple au Tatarstan (4).

     

    Quant à cette défense de l’avant, nous avons déjà fait écho aux analyses et aux propositions de René Cagnat, dans l’espoir de susciter un débat public qui n’a pas eu lieu (5). Nous continuons à le demander, car les dirigeants socialistes risquent fort de mettre un terme à notre présence militaire en Asie centrale sous prétexte d’économies budgétaires, en laissant les Etats-Unis faire n’importe quoi.

     

    Les échecs des Américains au Vietnam, en Irak, en Afghanistan, prouvent leur incompréhension totale des guerres non-conventionnelles et leur manque d’intérêt pour les nations et les peuples au sein desquels ils déploient leurs troupes. Leur doctrine de la guerre d’anéantissement (6) est à l’opposé de la nôtre, toujours inspirée par le souci politique. Cette opposition radicale des conceptions et des méthodes devrait nous conduire à quitter définitivement l’OTAN et à nous garder de toute action militaire aux côtés des Etats-Unis.

     

    Les affrontements violents qui se sont déroulés en juillet à Khorog , principale ville du Pamir, soulignent le risque de déstabilisation, au Tadjikistan et au Kirghizstan, des zones proches de l’Afghanistan. Notre présence militaire à Douchanbe et nos relations cordiales avec les gouvernements nationaux et avec les troupes russes basées au Tadjikistan et au Kirghizstan devraient permettre des actions communes contre les infiltrations islamistes et les trafiquants de drogue.

     

    Plus généralement, il nous faudrait tracer avec la Fédération de Russie et avec les nations ouest-européennes qui le souhaitent les lignes de défense de l’Europe continentale et une doctrine d’intervention qui, loin de tout occidentalisme, permettrait de protéger et de promouvoir les intérêts communs.

     

    Bertrand Renouvin, http://www.polemia.com/
    Le blog de Bertrand Renouvin
    31/12/2012

     

    Notes

     

    (1) René Cagnat, Du djihad aux larmes d’Allah, Afghanistan, les sept piliers de la bêtise, Editions du Rocher, 2012. Toutes les citations sont tirées de ce livre.
    (2) Jean-Dominique Merchet, Mourir pour l’Afghanistan, Jacob-Duvernet, 2008.
    (3) Gérard Chaliand, L’impasse afghane, L’aube, 2011.
    (4) Cf. ma Lettre de Kazan sur mon blog
    (5) Cf. Entretien avec René Cagnat, Royaliste n° … ainsi que mon éditorial du numéro 1010 « Défendre l’Asie centrale ».
    (6) Cf. mon compte-rendu de l’ouvrage du Général Vincent Desportes : Le piège américain dans Royaliste n° 997, et notre entretien avec Thomas Rabino, pour son ouvrage De la guerre en Amérique, dans Royaliste n° 1017.

     

    Article publié dans le numéro 1020 de Royaliste - 2012

     

    René Cagnat, Du djihad aux larmes d’Allah : Afghanistan, les sept piliers de la bêtise, Editeur : Editions du Rocher, Collection : Documents, Septembre 2012 148 pages