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géopolitique - Page 972

  • Pourquoi une nouvelle guerre contre Gaza ?

    À nouveau Israël attaque Gaza et les médias internationaux relaient des images de désolation. Cependant la sidération que provoque l’horreur quotidienne de cette nouvelle guerre ne doit pas nous empêcher de l’analyser et d’en comprendre les objectifs. Thierry Meyssan répond à cette question.

    Le 14 novembre 2012, les Forces armées israéliennes ont lancé l’opération « Colonne de Nuées » contre les installations administratives et militaires du Hamas dans la Bande de Gaza. Dès le premier jour, elles ont assassiné Ahmed Jaabari, numéro 2 de la branche armée de l’organisation palestinienne. Elles auraient également détruit des rampes de lancement souterraines de missiles sol-sol Fajr 5.

    « Colonnes de Nuées » a rapidement pris une grande ampleur, l’aviation israélienne multipliant les bombardements. L’état-major israélien a procédé au rappel de 30 000 réservistes, rapidement étendu à 75 000 hommes au risque de désorganiser l’économie. De la sorte, Israël se met en capacité d’envahir la Bande de Gaza avec des troupes au sol.

    Cette situation appelle plusieurs explications.

    Pourquoi maintenant ?

    Tel-Aviv prend l’initiative alors que le pouvoir à Washington est partiellement vacant. On attend la nomination de nouveaux secrétaires d’État et à la Défense. Possiblement, il s’agirait de l’ambassadrice Susan Rice et du sénateur John Kerry. Cependant, une âpre lutte, par presse interposée, tente de disqualifier Mme Rice. Quoi qu’il en soit, les secrétaires d’État et à la Défense sortants sont affaiblis et leurs successeurs ne sont pas encore nommés.

    Identiquement Tel-Aviv avait pris une initiative similaire, l’opération « Plomb durci », lors de la période de transition entre les présidents Bush Jr. et Obama.

    Certains commentateurs évoquent aussi la proximité des élections législatives israéliennes et laissent entendre que Benjamin Netanyahu et Avigdor Lieberman cherchent à parfaire leur image de faucons intransigeants.

    C’est peu probable. En effet, ils lancent cette attaque sans en connaître à l’avance le résultat. Or, en 2008-2009, l’échec de « Plomb durci » fut fatal au gouvernement d’Ehud Olmert.

    Dans quel but ?

    Traditionnellement les Forces armées israéliennes adaptent leurs objectifs de guerre aux occasions qui se présentent.

    Au minimum, il s’agit d’affaiblir la Résistance palestinienne en détruisant infrastructures et administrations dans la Bande de Gaza, comme cela est fait à intervalles plus ou moins réguliers. Cependant, l’affaiblissement du Hamas sera automatiquement profitable au Fatah en Cisjordanie ; et ce dernier ne manquera pas de pousser un peu plus loin sa revendication de reconnaissance d’un État palestinien par les Nations Unies.

    Au maximum, « Colonne de Nuées » peut ouvrir la voie à un vieux plan sioniste : la proclamation de la Jordanie comme État palestinien, le transfert de la population de Gaza (voire aussi de Cisjordanie) en Jordanie, et l’annexion des territoires vidés. Dans ce cas, l’opération militaire ne doit pas viser indistinctement tous les responsables du Hamas, mais uniquement ceux qui sont opposés à l’ancien chef politique de l’organisation, Khaled Mechaal. Ce dernier étant appelé à devenir le premier président d’un État palestinien de Jordanie.

    Les troubles en Jordanie sont-ils liés ?

    La guerre de Syrie a étouffé l’économie jordanienne. Le Royaume s’est rapidement endetté. Le gouvernement a annoncé le 13 novembre (c’est-à-dire la veille du déclenchement de « Colonne de Nuées ») une hausse des prix de l’énergie allant jusqu’à 11 % pour les transports publics et 53 % pour le gaz domestique. Cette nouvelle a alimenté un mouvement de contestation qui existe à l’état rampant depuis le début de l’année. Immédiatement, environ la moitié des 120 000 professeurs des écoles publiques ont fait grève.

    Vendredi 16, plus de 10 000 personnes ont manifesté au cœur d’Amman aux cris de : « La liberté vient de Dieu ! », « Abdallah ton temps est révolu ! », «  Le peuple veut la chute du régime ! ». Le cortège est parti de la mosquée Husseini et était encadré par les Frères musulmans.

    Les Frères musulmans, qui ont conclu un accord avec le département d’État US et avec le Conseil de coopération du Golfe, sont déjà au pouvoir au Maroc, en Tunisie, en Libye, en Égypte, et à Gaza. En outre, ils contrôlent la toute nouvelle Coalition nationale syrienne. Ils ambitionnent de gouverner la Jordanie avec ou sans le roi Abdallah II.

    Le plus célèbre des Frères musulmans jordanien est Khaled Mechaal, ancien chef de la branche politique du Hamas. Mechaal a vécu en exil de 2001 à 2012 à Damas, sous la protection de l’État syrien. En février 2012, il a soudain accusé le gouvernement de Bachar el-Assad de réprimer son propre peuple et a choisi de déménager au Qatar où l’émir Hamad al-Thani s’est montré particulièrement généreux avec lui.

    Les troubles en Syrie sont-ils liés ?

    En juin dernier, un accord de paix a été conclu à Genève par les grandes puissances. Toutefois, il a été immédiatement saboté par une faction US qui a organisé des fuites dans la presse à propos de l’implication occidentale dans les événements, forçant ainsi le médiateur Kofi Annan à démissionner. Cette même faction a alors par deux fois tenté d’en finir militairement en organisant deux attaques massives de Damas, le 18 juillet et le 26 septembre. Au vu de ces échecs, l’administration Obama est revenue à l’accord initial et s’est engagée à le mettre en œuvre après l’élection présidentielle et le changement de cabinet.

    L’accord prévoit le déploiement d’une Force de paix des Nations Unies, principalement composée de contingents de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). Cette force aurait pour mission de séparer les belligérants et d’arrêter les jihadistes étrangers introduits en Syrie. En laissant la Russie se réinstaller au Proche-Orient, Washington espère se soulager du fardeau de la sécurité d’Israël. La Russie veillerait à ce que l’État sioniste ne soit plus attaqué et à ce qu’il n’attaque plus personne. Le retrait militaire US du Proche-Orient pourrait donc se poursuivre et Washington retrouverait une marge de manœuvre qu’il a perdue du fait de son tête-à-tête permanent avec Tel-Aviv.

    Dans cette perspective, les partisans de l’expansionnisme israélien doivent agir à Gaza, et éventuellement en Jordanie, avant le déploiement russe.

    Quels sont les premières conclusions de la guerre en cours ?

    La guerre a mis à l’épreuve la défense anti-aérienne israélienne. L’État sioniste a investi plusieurs centaines de millions de dollars dans la création du « Dôme de fer », un système capable d’intercepter toutes les roquettes et missiles tirés depuis Gaza ou le Sud du Liban.

    Ce dispositif est apparu inopérant lorsque le Hezbollah a envoyé un drone survoler la centrale de Dimona ou lorsqu’il a testé des missiles sol-sol Fajr-5.

    Durant les trois premiers jours de « Colonne de Nuées », le Hamas et le Jihad islamique ont riposté aux bombardements israéliens par des salves de roquettes et missiles. Le « Dôme de fer » serait parvenu à intercepter 210 tirs sur un peu plus de 800. Cependant cette statistique ne signifie pas grand chose : le dispositif ne semble capable d’intercepter que des roquettes assez primitives, comme les Qassam, et être inadapté à tout armement un tant soit peu sophistiqué.

  • Libye, Syrie… la France, agent de la CIA et du Qatar — Maître Marcel Ceccaldi


    Libye, Syrie… la France, agent de la CIA et du... par Agence2Presse

  • Au Sahara, le feu couve dans la poudrière

    Les frontières territoriales dans le Sahara entre le Mali, le Niger, l’Algérie et la Libye ont toujours été ouvertes, et les Touareg les ont utilisées pour leur stratégie de commerce de contrebande et de migration. Mais depuis la guerre en Libye, beaucoup de choses ont changé. De plus, de nouveaux acteurs sont apparus sur ce terrain de jeu du Sahara, intéressés par les ressources de la région.

    «Agence de Voyage: Arlit–Djanet, Arlit–Libya», c’est ce qu’on peut lire sur un panneau écrit soigneusement à la main devant la petite cabane en terre glaise au centre d’Arlit, ville d’Uranium dans le Niger du Nord. Dans la cabane se trouve un vieux bureau avec des listes de noms des passagers. Sur la paroi, revêtue de tissu rouge foncé, des photos sont accrochées qui – à la manière d’une publicité touristique – montrent comme l’agence transporte ses passagers vers l’Algérie ou vers la Libye: 30 personnes sont assises bien serrées sur un pick-up Toyota et roulent à travers le désert; chacun tient un bidon d’eau de 5 litres dans la main.
    Dans la cabane se trouve Osman, bien habillé d’un Bazin orange avec un Chèche noir autour de la tête. Osman travaille ici comme responsable, lorsque le chef de l’agence, appelé Murtala, visite la dépendance de l’agence à Tahoua. En plus, il est Kamosho, c’est-à-dire celui qui «déniche des passagers», et le guide qui montre aux passagers à pied le chemin de l’Algérie à la Libye.
    Autrefois, avant la guerre en Libye, m’explique Osman, les automobiles venaient jusqu’à Djanet et déposaient les passagers dans les jardins de l’oasis. Mais lorsqu’au cours de la guerre des militaires touareg et des mercenaires ont commencé à sortir la moitié de l’arsenal de Kadhafi du pays, les contrôles des forces de sécurité algériennes et nigériennes ont été renforcés. Depuis, plus aucun chauffeur n’ose transporter son chargement illégal jusqu’à Djanet, mais il congédie ses passagers à quelque 70 kilomètres de ce lieu, en plein milieu du Sahara. Ce qui a fait naître une nouvelle branche de profession, celle du guide, un guide qui connaît la région, qui amène directement les passagers jusqu’en Libye en passant par la frontière verte.

    Les intentions de l’UE et les stratégies locales

    Cependant, ce commerce avec la frontière n’est pas forcément illégal, car ici au Niger, un membre de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, fondée en 1975), il est tout à fait légal de charger une Toyota de «sans-papiers» et de les amener jusqu’à la frontière de l’Algérie ou de la Libye. La Gendarmerie nationale en donne la permission contre une petite rémunération. Jusqu’à la frontière nigérienne, les convois de Toyota sont donc tout à fait légaux. Une fois passée la frontière, cela change d’un coup: le transport légal devient migration illégale.

    L’Union européenne instrumentalise les Etats nord-africains comme avant-poste de la forteresse Europe, pour qu’ils interviennent contre les migrants potentiels vers l’Europe. Pendant que la Libye sous Kadhafi ne prenait pas de vraies mesures pour protéger ses frontières sud et que le pays dépendait en plus de la main-d’œuvre des migrants illégaux, l’Algérie poursuit avec dureté les acteurs transnationaux et essaye en même temps de contrôler la contrebande de benzine. Les Touareg1, qui exercent la contrebande de benzine ainsi que le trafic d’êtres humains depuis des années avec succès, et qui sont eux-mêmes des transfrontaliers par excellence, retrouvent cependant toujours de nouvelles stratégies pour détourner ces obstacles étatiques. (Kohl 2007, 2009, 2010).
    «Que pouvons-nous faire d’autre?» m’explique un des chauffeurs. «Nous avons tous des familles, nos enfants ont faim, de quoi pouvons-nous vivre? De l’air? Au Niger, il n’y a pas de travail. L’Etat ne fait rien pour nous aider. Ou bien nous devenons tous des rebelles ou des bandits, ou bien nous chargeons nos Toyota de passagers et de benzine. Iban ­eshughl – pas de travail, c’est ça notre problème!»
    Pendant la guerre de Libye, le trafic entre le Niger, l’Algérie et la Libye s’est arrêté complètement. Maintenant les premiers Haoussa commencent à retourner en Libye en espérant trouver du travail. Les Touareg hésitent encore à y retourner, la peur de la nouvelle Libye étant encore trop grande.

    Arlit, centre du commerce, de la contrebande et de la migration

    Arlit est un centre du commerce et de la contrebande à l’intérieur du Sahara, entre le Niger, le Mali, l’Algérie et la Libye. En même temps, la ville est le point de départ de la migration illégale de personnes subsahariennes en route vers la Libye pour y trouver du travail ou pour aller plus loin, vers l’Europe.
    L’Etat du Niger sait que l’on ne peut pas faire cesser les stratégies du «human trafficking». Ainsi on a trouvé une solution réciproque entre les acteurs, les Touareg et l’Etat: les chauffeurs doivent enregistrer leurs passagers. Cela est utile pour les passagers qui, en cas d’accident ou d’une panne automobile, peuvent être recherchés et trouvés, et cela les protège contre des chauffeurs sans scrupules qui ne sont intéressés que par l’argent et abandonnent les passagers en plein Sahara, c’est-à-dire à la mort. Cela est utile aussi pour les chauffeurs qui peuvent, en cas de contrôle militaire, présenter un laissez-passer et se distinguer ainsi des bandits, des rebelles ou des trafiquants de drogues, et ne seront pas poursuivis et sanctionnés.
    Osman peut raconter beaucoup d’histoires de commerce avec la frontière. Jusqu’à la guerre en Libye, il a travaillé comme guide entre Djanet en Algérie et Ghat en Libye, et il a amené, moyennant une marche à pied de trois jours, de nombreux migrants potentiels vers l’UE, des Touareg et, en Libye, des chercheurs de travail. Avec le début des combats en Libye, il a quitté précipitamment le pays comme beaucoup de Touareg. De retour à Arlit, les chances de trouver un travail sont minimes. Avant tout pour ceux qui n’ont jamais fréquenté une école. Toutefois, même ceux qui peuvent présenter des diplômes peinent à trouver du travail.

    L’uranium – bénédiction ou malédiction ?

    Cependant, Arlit est la ville dans laquelle la société française pour l’énergie nucléaire Areva exploite depuis la fin des années 1960 les plus grandes mines d’uranium du monde, Somaïr (exploitation depuis 1971) et Cominak (depuis 1978). Areva, pour la plus grande partie propriété de l’Etat français, est le leader mondial de technique nucléaire. En même temps, le Niger se classe sur le Human Developement Index de 20112 à l’avant-dernière place. Deux tiers du pays sont composé de désert et de demi-désert. La base économique est l’agriculture et l’élevage de bétail, fortement menacés par les sécheresses qui reviennent avec quelques années d’intervalles et de manque de pluies, ou bien, ces derniers temps, des pluies torrentielles. Un approvisionnement social par l’Etat n’existe pas, il n’y a pas de travail, et malgré un système scolaire de l’Etat, le taux d’analphabètes est très élevé, surtout parmi les femmes et les nomades (plus de 80%). Ibrahima, douze ans, fréquente une des écoles étatiques à Arlit. Il est en cinquième (CM1) et me décrit la situation de son école: «Nous sommes 93 élèves, garçons et filles. Nous avons deux enseignants, et par table il y a cinq élèves.» Le niveau de formation bas en est la conséquence.
    Une grande partie de la population du Niger vit sous la menace de la faim, espère des aumônes et dépend de l’aide de l’Europe et de projets de développement. C’est le Nord, habité par les Touareg, qui est surtout concerné par la marginalisation et la mauvaise gestion économique. C’est bizarre, puisque le plus grand employeur du pays y est domicilié. Les travailleurs dans les mines d’uranium viennent presque tous des parties sud du pays, alors que les Touareg qui y vivent ne sont presque jamais embauchés.
    Depuis quelques années, Areva s’est fait connaître par de gros titres dans les journaux. Greenpeace a pu prouver que lors de l’exploitation de l’uranium, ce n’est pas seulement la santé des travailleurs qui est menacée, mais que tout l’environnement de la mine est contaminé par des rayons radioactifs.3 Tout autour de la ville d’Arlit se sont formées des montagnes artificielles de déchets de la roche dont on a délavé l’uranium, et chaque année, des tonnes de roches s’ajoutent. Au marché d’Arlit, on vend du métal contaminé de la mine, et le sable dans beaucoup de maisons est partiellement radioactif jusqu’à 550 fois la valeur normale, raconte Moussa, un collaborateur de l’ONG locale, Aghirin Man4. Cette petite ONG a réussi à faire remplacer le sable contaminé dans des parties de la ville par du sable qui ne représente pas de risque.
    Moussa lui-même a travaillé pendant des années en Libye comme traducteur dans le tourisme et, au courant des combats, il est retourné au Niger en espérant trouver du travail dans la nouvelle mine d’Imouraren planifiée par Areva, à 80 kilomètres au sud d’Arlit. Le dossier de Moussa avec des certificats et des diplômes est déjà déposé depuis un an à l’office de la commune. Jusqu’à présent sans réponse. «Sans relations ou corruption», dit-il de façon résignée, «aucun Touareg n’a une chance d’y parvenir.»

    Une nouvelle mine d’uranium évoque des différences tribales, mais aussi de l’espoir

    Pour les travaux préparatoires à la mine d’Imouraren, qui devrait commencer en 20135 avec l’exploitation de l’uranium, on embauche expressément des Touareg de la région. Avec ça, Areva espère contenter la population indigène et empêcher de cette façon une autre rébellion et une augmentation du banditisme.
    Les exigences des deux dernières rébellions (1990–1997 et 2007–2009) contiennent entre autre une participation explicite aux recettes de la mine.
    Mais l’intégration principalement bienvenue de la population locale dans la nouvelle mine a déclenché un renforcement partiel des différences tribales. Ces dernières décennies, les différences tribales ont de plus en plus été poussées à l’arrière-plan par les forces locales, et les inégalités sociales et polito-économiques entre la «classe supérieure» dominante précoloniale (imajeren/imujar/imuhar), les anciens descendants d’esclaves (iklan) et les groupes anciennement tributaires (imrad) se sont peu à peu effacées au quotidien. Les mariages de préférence endogames ont été, surtout par la jeune génération (ishumar), dégagés de leur importance traditionnelle. A l’heure de l’économie du marché capitaliste, on trouve aussi des descendants d’anciens esclaves qui ont dépassé les anciens seigneurs concernant le capital économique. Mais, vu la possibilité de pouvoir travailler chez Areva, les différences tribales ont commencé à être instrumentalisées. Depuis, les tribus (tawsit) vivant autour d’Imouraren, en premier lieu les Ikazkazen et les Kel Aharus, sont en concurrence pour la position de porte-parole pour toute la région. En plus, depuis la rébellion de 2007 à 2009, les tribus vivant sur le même territoire sont empêtrées dans une querelle, déclenchée par l’enlèvement d’un des anciens des Ikazkazen par les Kel Agharus et renforcée au cours de la concurrence. Au niveau juste supérieur par contre, les deux groupes essaient d’empêcher l’embauche d’autres groupes venant des montagnes Air à l’est, en les dénonçant comme rebelles et bandits potentiels. Ainsi ils essaient avec véhémence de caser leurs gens, même s’ils ne disposent pas de diplômes appropriés.
    Mais Imouraren représente le nouvel espoir pour tous les Touareg du Niger. Beaucoup de Touareg qui se sont enfuis de la Libye ne veulent pas y retourner, car ils craignent que la situation dans la Libye après Kadhafi soit loin de se stabiliser. Même plus de huit mois après la mort de Kadhafi, son esprit plane encore sur le pays. Avant tout ceux qui n’ont jamais été en Libye pensent que la Libye sans Kadhafi ne pourrait exister, ou bien, comme un sceptique l’a exprimé: «La Libye aura besoin de 42 ans pour que ça aille à nouveau bien.»

    Le chaos dans la Libye libre

    Au fait cela ne va pas bien dans le sud du pays. Bien que là il n’y ait pas de querelles intertribales et toutes les oasis – sauf le petit al-Barkat, proche de la frontière algérienne qui, même après la mort de Kadhafi, a encore hissé le drapeau vert – se sont vite libérés des restes du vieux régime: toutes les administrations et offices publics, mais aussi les écoles, ont été détruits et pillés. Des meubles et le matériel de bureau se retrouvent soit dans des ménages privés ou bien ont été amenés hors du pays par les Touareg et mis en vente en Algérie, au Mali et au Niger. Moktar, par exemple, s’est emparé de cinq copieuses et les a ramenées à pied jusqu’à Djanet où elles attendent toujours un acheteur. A Agadez au Niger, sur des parkings immenses, se trouvent des véhicules volés de la Libye: des Land-Cruiser et des Pick-up Toyota flambants neufs, différentes marques de voitures de tourisme et une grande partie des ornements des sociétés chinoises de construction.
    Dans les appartements vides des sociétés des chinois à Ghat, des Libyens et des migrants se sont tout simplement installés. Ajebu, une Targia nigérienne qui vit avec ces cinq enfants et son mari depuis des années en Libye, dans une construction en terre glaise délabrée, et qui n’a jamais rien vu des allocations sociales de Kadhafi, a tout simplement occupé un appartement vide de l’immeuble d’une société de construction chinoise. Toute joyeuse elle m’a raconté au téléphone: «Tu te rends compte! On a même de l’eau courante et de l’électricité, une vraie cuisine avec un plancher en dalles!»
    Peu après la mort de Kadhafi et avec le vacuum de pouvoir en Libye, chacun a essayé de s’approprier de beaucoup de choses. C’est avant tout le Bureau pour la sécurité intérieure (maktab hars ad-dachiliy), craint par tout le monde et qui, aux temps de Kadhafi, avait pour objectif de tenir la population sous contrôle avec un système élaboré d’espionnage, qui a été complètement pillé et détruit à Ghat. – Ils ont avancé la justification que cette administration aurait été créée uniquement par Kadhafi et n’aurait (enfin) plus de légitimation. Les objets accaparés, des kalachnikovs neufs dans leur emballage original et des pistolets ont été distribués parmi les pilleurs ou vendus. On peut acheter la munition correspondante chez le marchand de cigarettes au coin de la rue: les balles de kalachnikov pour 50 gersh, celles pour les pistolets pour 25 gersh: la munition coûte autant qu’un chewing-gum. Et la violence est très élevée dans la Libye du Sud. Les jeunes garçons règlent maintenant leurs conflits pubertaires l’arme à la main. Zeinaba, une Targia vivant depuis 15 ans en Libye est bouleversée: «Nos enfants deviennent des bandits! Hier, ils ont de nouveau abattu un homme dans notre voisinage. Pour l’argent. Ça arrive maintenant tous les jours! J’ose à peine sortir dans la rue.» Son fils Elias l’approuve et ajoute: «Et l’alcool s’y ajoute en grandes quantités. Les gens boivent dans la rue, sont souls, tirent des salves dans l’air et braillent: ‹La Libye est libre!›»

    Les conséquences de la guerre en Libye

    La liberté de la Libye a un prix énorme et ce ne sont pas seulement les Libyennes et les Libyens qui le paient, mais il est partagé dans toute la région du Sahara et du Sahel. Les armes passées clandestinement à travers la frontière de la Libye ont changé tout le Sahara en une poudrière prête à exploser. La majeure partie de l’immense arsenal d’armes de Kadhafi a été transportée hors du pays et sert maintenant différents rebelles au Mali, au Tchad ou au Soudan. Mais aussi des groupes terroristes, comme par exemple l’AQMI (Al-Qaïda du Maghreb islamique), en profitent.
    Au Niger, presque chaque nomade est maintenant armé. A l’époque, les nomades Touareg portaient également des épées et des couteaux: comme aide au travail et comme protection contre les chacals. Mais aujourd’hui ce sont les kalachnikovs qui viennent de Libye, et servent pour l’autoprotection et des règlements de comptes, comme l’explique Bala, car la police et l’armée n’entreprennent que peu de choses contre les nombreux bandits qui attaquent leurs propres gens. «Depuis la guerre en Libye», ajoute-t-il, «on peut acheter autant d’armes qu’on veut au marché des animaux. Et même pas cher. Depuis, nous avons tous une kalachnikov à la maison pour nous protéger contre les bandits.» Le problème des bandits est une conséquence directe de la dernière rébellion. Au cours des pourparlers de paix, dirigés par Kadhafi, on a promis aux anciens rebelles l’intégration dans l’armée et des paiements de dédommagement, mais cette promesse n’a pas été tenue par l’Etat du Niger. Ces anciens rebelles mal payés ou bien pas payés du tout, et pour la plus grande partie toujours armés, se sont formés ces dernières années en un banditisme incontrôlé et ont déstabilisé aussi le Sahara.

    Insécurité fabriquée dans le Sahara et dans le Sahel

    Cette phase croissante de déstabilisation et d’insécurité dans toute la région n’est cependant pas faite maison, mais initiée par des étrangers, et cela depuis qu’en 2001/2002, les USA sous George Bush ont déclaré la guerre au terrorisme et ont stigmatisé le Sahara et le Sahel comme zone potentielle de terrorisme et défini comme zone de retraite pour les militants extrémistes de l’Afghanistan. Les premiers enlèvements de touristes en Algérie en 2003 ont corroboré cette rumeur du Sahara comme zone terroriste. En 2004, George Bush a créé pour cette raison l’initiative Pan-Sahel (PSI) pour combattre avec le soutien des gouvernements locaux le soi-disant terrorisme. D’après Jeremy Keenan, il est clair que ces enlèvements ont bien été effectués par les extrémistes islamiques du GSPC (Groupe salafiste pour le combat), mais ont été planifiés par les services secrets algériens et américains pour corroborer le soupçon du Sahara comme zone terroriste. Pourquoi?
    D’après Keenan, l’objectif des USA est de créer une base idéologique pour la militarisation de l’Afrique, afin d’avoir un accès primaire aux ressources.6 La motivation de l’Algérie de participer à cette mise en scène de combats est fondée dans son désir du rétablissement politique dans l’UE et dans l’Otan. En plus, l’Algérie avait besoin de soutien militaire des USA pour atteindre des objectifs politiques et d’hégémonie en Afrique de l’Ouest, et pour pouvoir tenir tête à la Libye. Les USA de leur côté avaient besoin d’un allié en Afrique pour pouvoir imposer leur militarisation. (Keenan 2006, 2009) Depuis 2005, on aperçoit un recul du bourrage de crâne des USA, mais des enlèvements ont toujours lieu dans le Sahara et dans le Sahel qui sont maintenant attribués au groupe désormais appelé l’AQMI.
    Depuis l’enlèvement de collaborateurs et collaboratrices de la société Areva à Arlit en septembre 2010, on soupçonne aussi les Touareg nigériens d’avoir des contacts avec l’AQMI. La plus grande partie de la population locale refuse catégoriquement ces liens et accuse l’Etat nigérien de pratiquer un tel amalgame pour recevoir de l’argent de l’UE pour le combat contre le terrorisme. Quelques-uns croient cependant qu’il pourrait y avoir des Touareg qui, pour de l’argent, coopéreraient avec l’AQMI. Mais si de tels contacts existent, ils sont surtout de nature économique et non idéelle.
    A toute une génération de jeunes Touareg, la base de vie a été retirée avec cette mise en scène du combat contre le terrorisme. Le tourisme dans le désert s’est effondré, des passages de frontières sont devenus plus difficiles et les stratégies de commerce et de contrebande criminalisées. La guerre en Libye a aggravé la situation et a laissé un grand nombre de réfugiés sub-sahariens sans travail. A une grande partie de jeunes gens les bases de vie ont été retirées. Il ne leur reste peu de stratégies pour se sortir de leur situation économique et sociale critique.

    Issue de la crise: Rébellion ou séparation?

    Au Mali, où, le 17 janvier 2012, a éclaté une toute nouvelle rébellion, la coopération entre la fraction des Touareg et de l’AQMI est incontestable. Le chef d’Ansar Din, Iyad ag Aghali, coopère avec une fraction de l’AQMI.7
    Mais la plus grande partie des rebelles Touareg au Mali, qui se sont formés dans le MNLA8 (Mouvement national de libération de l’Azawad), se distancient explicitement des contacts avec ces groupements extrémistes. L’Islam traditionnellement pratiqué de manière libérale par les Touareg n’est pas conforme aux idées salafistes.
    Pour les rebelles maliens, il ne s’agit cependant plus de décentralisation, participation économique et soutien social comme lors des rébellions auparavant. Comme leurs exigences ultérieures à l’adresse de l’Etat national sont toujours restées sans succès, ils combattent maintenant pour l’autonomie et la séparation de l’Etat malien. Ils ont beaucoup de succès dans leur rébellion actuelle, pas en dernier lieu parce qu’ils ont un bon réseau et sont bien organisés et avant tout très bien équipés avec des armes en provenance de la Libye.

    La néo-colonisation du Sahara

    Pendant que les Touareg maliens s’efforcent d’obtenir la reconnaissance de leur nouvel Etat, que les Touareg nigériens espèrent toujours avoir du travail dans la nouvelle mine d’uranium et que beaucoup d’Africains de l’Ouest veulent retourner en Libye pour trouver du travail, le Sahel est ravagé par une nouvelle famine. A l’époque, la Libye était l’un des premiers Etats à fournir de l’aide et du soutien aux nomades appauvris. Aujourd’hui, ce partenaire agissant vite manque. Pour les acteurs dans le Sahara et dans le Sahel, avant tout la France, les USA, et la Chine, mais aussi l’Inde, la Corée, le Canada et autres, il ne s’agit ni d’aide humanitaire, ni de soutien à la démocratisation, mais uniquement de ressources. Le pétrole, le gaz, l’uranium et le phosphate ont appelé de nouveaux acteurs sur scène, et ce sont avant tout les Touareg qui se retrouvent sur le terrain de jeu d’intérêts économiques et politiques globaux. La re-colonisation ou bien néo-colonisation (Claudot-Hawad 2012) du Sahara et du Sahel n’apportera ni la paix ni des concessions aux droits des minorités, mais une nouvelle matière inflammable à cette poudrière où déjà couve le feu.    http://www.mecanopolis.org

    Source: Die Zeitschrift für internationale Politik

    Traduction : Horizons & Débats

    1    Touareg est une spécification étrangère, qui est cependant entrée dans l’usage européen. Les termes émis varient selon la région et le dialecte: Imuhagh en Algérie et en Libye, Imushgh au Mali et Imajeghen au Niger. Le gh usuel dans beaucoup de transcriptions est prononcé comme un r parlé dans la gorge. A cause du lectorat étendu de ce magazine, j’utilise pour une meilleure compréhension la notion européisée de Touareg (pl.), singulier fém.: Targia, singulier masc.: Targui. Il est important de remarquer que Touareg est déjà une forme plurielle. Il n’y a pas de TouaregS!
    2    Le Niger est rangé à la place 186 avant la République démocratique du Congo. http://hdr.undp.org/en/statistics/
    3    Greenpeace International (6 mai 2010)
    Areva’s dirty little secret, www.greenpeace.org/international/en/news/features/ArevaS-dirty-little-secrets060510/
    Greenpeace International (2010) Left in the dust: Areva’s radioactive legacy in the desert town of Niger, www.greenpeace.org/international/Global/international/publications/nuclear/2010/Areva_Niger_report.pdf
    4    www.ciirad.org/actualites/dossiers%202007/uranium-afriq//photos-niger.pdf
    5    www.areva.com/EN/operations-623/a-topranked-deposit-ftir-longterm-minmg.htm
    6    Jusqu’en 2015, 25% de la consommation en pétrole et en gaz des USA doivent être livrés par l’Afrique de l’Ouest (surtout depuis le Golfe de la Guinée) (Keenan 2009: 125 nach CIA Global Trends 2015).
    7    Depuis sa fondation, le mouvement salafiste terroriste s’est fendu en divers groupes avec des stratégies et objectifs différents. Actuellement, il existe trois fractions dirigées par Abdul-Hamid Abu Said, Moktar bei Moktar et Yahya Abu-Hammam, appelé aussi Yahya Juani. (Interview de Jermy Kennan sur France 24, le 4 avril 2012; www.youtube.com/watch?v=BseudITb6U)
    8    www.mnlamov.net/
    Bibliographie
    Claudot-Hawad, Hélène (2012). Business, profits Souterrains et Strategie de la terreur. La recolonisation du Sahara, www.temoust.org/business-profits-souterrains-et,15758
    Keenan, Jeremy (2006). Security and Inseamty in North Africa, in: Review of African Political Economy, Nummer 108, 269–296, www.gees.org/documentos/Documen-01279.pdf
    Keenan, Jeremy (2009). The Dark Sahara: America’s War on Terror in Africa, Pluto Press, New York
    Kohl, Ines (2007). Tuareg in Libyen: Identitäten zwischen Grenzen. Reimer, Berlin
    Kohl, Ines (2009). Beautiful Modern Nomads:
    Bordercrossing Tuareg between Niger, Algeria and Libya. Reimer, Berlin
    Kohl Ines (2010). Saharan «Borderline»-Strategies: Tuareg Transnational Mobility, in: Tilo Grätz (Hg.). Mobility, Transnationalism and Contemporary African Societies. Cambridge Scholars, Newcastle upon Tyne, 92–105

    *Ines Kohl est chercheur à l’Institut d’anthropologie sociale (ISA) de l’Académie des sciences autrichienne (ÖAW). Elle fait des recherches sur les Touareg, la culture des jeunes, la mobilité et la transnationalité en Libye, en Algérie et au Niger.
    Courriel: ines.kohl(at)oeaw.ac.at; www.kohlspross.org

  • Good morning Kaboul !

    L'ISAF pliant les gaules, c'est une nouvelle ère qui se lève en Afghanistan. Les chaînes d'information comme France24 ou France2 nous ont proposé des reportages sur le retrait, plutôt bien faits. Trois mille soldats français seront rentrés à la Noël. Trente mille soldats américains seront rentrés à la Noël. Ceci dit pour ne pas jeter la pierre injustement à notre gouvernement qui ne peut être plus royaliste que le roi. C'est après la déclaration fracassante de Nicolas Sarkozy de retirer ses billes du bac à sable que Barack Obama, un instant surpris, prit la même décision. François Hollande a accéléré le mouvement et l'a sans doute rendu plus cher.

    En apprenant la décision de l'ISAF de terminer sa mission en 2014, le secrétaire général de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), Nikolaï Bordiouja, a déclaré : « A l'heure actuelle, le facteur afghan détermine un large éventail de menaces dans la région eurasienne, l'Afghanistan constitue une source de prolifération de stupéfiants, d'armes et d'idées islamistes dans la région. Nous estimons que le retrait envisagé de la Force internationale d'assistance à la sécurité ne tardera pas à aggraver la situation: les structures radicales et nationalistes intensifieront leurs activités visant à encourager les tendances contestataires et à accentuer les contradictions inter-ethniques et inter-confessionnelles dans les pays membres de l'OTSC (Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan) ». L'Ouzbekistan s'est retiré de l'OTSC pour l'orgueil de son président autocrate Nazarbaïev, et a bloqué la voie d'issue septentrionale par pur caprice, nous obligeant à louer des Antonov à l'Ukraine ou à la Russie.

    L'affaire afghane est un échec si on s'en tient à la feuille de route des néocons du Pentagone de jadis qui avaient prévu d'établir une démocratie du modèle de Westminster dans un pays tribal ou tripal (pareil). Si l'on s'en tient à celle de Barack Obama, dévoilée en son temps par Joe Biden, c'est un demi-succès : «Clear-Hold-Build-Transfer» tel était l'ordre du jour. La protection des Afghans priorisée par le général Stanley McChrystal a plutôt bien réussi, malgré les kamikazes qui signalent le pessimisme accru de donneurs d'ordres pareils. Malgré la mauvaise volonté des unités de l'ANA à faire leur part du job - les engagements sont majoritairement alimentaires - la Coalition a fait la démonstration que les Talibans n'étaient pas invincibles sauf à se faire sauter comme des bombes humaines, vocation somme toute peu fréquente. Les troupes afghanes tiendront tant que la solde tombera. Les cadres militaires afghans déplorent un transfert de responsabilités sans appui aérien ni artillerie lourde ; faudrait-il encore qu'ils soient capables d'articuler ces appuis avec le combat d'infanterie qui apparemment se limite encore à des patrouilles de reconnaissance, au mieux à la manoeuvre de niveau section avec ses appuis organiques. C'est d'ailleurs le format de leurs adversaires. Nul doute que si la nouvelle infanterie afghane avait montré plus de mordant dans les OMLT (Equipe de liaison et de tutorat opérationnel = compagnie d'instruction), l'ISAF aurait détaché des moyens tactiques de niveau bataillon pour surclasser définitivement ses adversaires. Toutefois l'affaire n'est pas finie, les Américains observent la transition car ils y ont intérêts au sens pluriel.

    Les nôtres ont fait une campagne impeccable, hormis la triste embuscade d'Uzbin qui relève de la faute de commandement (défaut d'éclairage). Les résultats obtenus sur nos zones d'effort sont là. Les insurgés n'y sont pas tranquilles puisque la tactique de base fut de les harceler sans cesse et de ne pas les attendre (comme le faisaient les Italiens qui nous y avaient précédés). C'est le chasseur inlassable qui peut gagner une guerre asymétrique de basse intensité, pas la sentinelle du désert des Tartares. Nos tactiques de chasse sont éprouvées, elles datent de la guerre d'Indochine. Si l'ANA se convertit à l'offensive permanente, avec un peu de renseignement électronique, quels que soient les moyens alignés, elle finira par pulvériser les réseaux de commandement talibans qui débanderont leurs effectifs ou les expatrieront chez les voisins, comme l'armée française y était parvenue à la fin des opérations d'Algérie sur les deux frontières.

    Nous retirons de cette expédition une mise à niveau du règlement de combat et un aguerrissement certain de nos troupes, trop longtemps confinées dans la gendarmerie coloniale où elles avaient perdu pugnacité et coordination réflexe interarmes ; et parfois la morale du combat. Le raid aérien ivoirien à l'heure de l'anisette sur la position française de Bouaké (6.11.04) nous avait convaincu d'une certaine indolence du corps expéditionnaire Licorne. Le travail en Afghanistan a été intense, complexe, continu en 7/24 et stressant dès qu'il s'est avéré que l'ennemi avait infiltré les rangs de l'ANA. Mené en coalition, il ne souffrait pas d'excuses ou le camouflage des insuffisances car il n'y avait rien à "expliquer" à quelque supérieur hiérarchique ayant la main sur la carrière. Tout se sait, immédiatement, à haut niveau, se corrige immédiatement (en théorie). Le résultat obtenu est un réhaussement qualitatif sensible des aptitudes au combat, et parallèlement une remise en question d'une idéologie de sophistication de nos armes, finalement moins adaptées à la guerre de longue haleine que ne le promettaient les démonstrations au camp de Satory. La réduction du format de nos armées que l'impéritie de la République exige maintenant doit prendre en compte les leçons de cette guerre à tous points de vue utile. On y reviendra au prochain "livre blanc" de la Rue Saint-Dominique.

    Reste le peuple afghan. Usé, abusé par des décennies de guerre, il n'aspire qu'à la tranquillité. Se nourrir de sa besogne, élever ses enfants, vivre en paix et sécurité. Mais le socle tribal, la vendetta d'honneur, la prégnance d'un islam rustique, la coutume virilisée à outrance, sont des défis qu'aucune armée occidentale peut relever avec succès. Quoique ! A l'est, la prise de conscience du peuple pakistanais qu'il réchauffait en son sein des monstres au prétexte du fondamentalisme islamique, change la donne. La sauvagerie intégriste à l'endroit de la jeune Malala Yousufzai, une petite Jeanne d'Arc de la vallée de Swat, n'est plus excusée. Les pithécanthropes lubriques se réclamant d'Allah auront de moins en moins leur place dans les villes pakistanaises. Il faut souhaiter que cette répulsion gagne les villes afghanes, même si la religion comme partout est un ferment de disputes sérieuses, ainsi que l'a montré la dernière rixe sanglante sunno-chiite à l'université de Kaboul. Mais le meilleur succès est côté filles.
    Les femmes et jeunes filles afghanes des villes ont eu le courage de prendre le progrès à bras le corps et d'investir des métiers ou occupations "non conformes aux rites". Des reportages édifiants sur leurs accomplissements - il y a même des écoles de boxe pour les filles - se sont succédés, qui rassurent sur le genre humain, et toujours serrent le coeur au chaos annoncé par les oiseaux de malheur auquel nous ne voulons pas croire. Il faut que le pouvoir afghan protège cette libération des moeurs féminines par tous moyens, car elle est sa vraie richesse.

    Hommage aujourd'hui à nos soldats qui furent à la peine pour avoir permis ces avancées décisives pour le peuple afghan. Le stress de l'insécurité retombé, ils verront bientôt les fruits de leur travail.

    http://royalartillerie.blogspot.fr/

  • Géopolitique : Les otages français dans le monde

     

     
    L’Hexagone dans le viseur des Islamistes ? Alors que les prises d’otages de ressortissants français se multiplient à travers le monde, les intérêts de la France à l’étranger semblent être devenus la cible des terroristes.
    Carte des zones à risques (Le Figaro)

    - SOMALIE
    Depuis le 14 juillet 2009,
    plus de trois ans, Denis Allex, un agent de la DGSE (services du renseignement), est détenu en Somalie par des insurgés islamistes.
    Il avait été enlevé avec un autre agent qui a lui recouvré la liberté en août 2009. Denis Allex apparaît en juin 2010 dans une vidéo sur des sites islamistes où il presse la France de cesser tout soutien au gouvernement somalien. Le 13 juillet 2012, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, assure qu’il est en vie. Le 4 octobre, Denis Allex apparaît, pâle et les yeux cernés, dans une vidéo où il lance un “message de secours” au président Hollande, qu’il presse
    d’oeuvrer à sa libération.
    DENIS ALLEX, AGENT DE LA DGSE OTAGE EN SOMALIE ! NE L’OUBLIONS PAS !
    - NIGER
    Le 16 septembre 2010, au Niger,
    cinq Français, un Togolais et un Malgache collaborateurs du groupe nucléaire public Areva et de son sous-traitant Satom, sont enlevés à Arlit (nord), un site d’extraction d’uranium. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) revendique le rapt le 21 septembre.
    La Française Françoise Larribe, malade, et les otages malgache et togolais sont relâchés le 24 février 2011.
    En avril 2011, Aqmi diffuse une vidéo où les quatre otages restant “supplient” le président Sarkozy de retirer les troupes françaises d’Afghanistan. Le 25 mars 2012, le ministre à la Coopération Henri de Raincourt assure que les otages “sont en vie”. Le 8 septembre, un site privé mauritanien publie une vidéo tournée le 29 août dans laquelle les otages appellent à négocier pour leur libération.
    - MALI
    Dans la nuit du 24 novembre 2011,
    deux Français, Serge Lazarevic et Philippe Verdon, en voyages d’affaires selon leurs proches, sont enlevés dans leur hôtel à Hombori, dans le nord-est du Mali. Le 9 décembre, Aqmi, qui a revendiqué l’enlèvement, publie leurs photos.
    Dans une vidéo tournée en février 2012, les deux otages demandent au président Sarkozy de tout faire pour dénouer leur situation. Le 10 août 2012, le site mauritanien Sahara Medias publie une vidéo dans laquelle Philippe Verdon parle de ses “conditions de vie difficiles“.
    Le 13 octobre, un jihadiste accuse le président français de mettre “en danger” la vie des otages français au Sahel en soutenant la préparation d’une opération contre les islamistes armés dans le nord du Mali. François Hollande se dit déterminé à tenir la “ligne” fixée par la France contre le terrorisme. Le 13 novembre le président Hollande affirme qu’il fait tout pour que les ravisseurs des six otages français détenus au Sahel “comprennent que c’est le moment de les libérer“.
    Le groupe islamiste armé Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un de ceux qui occupent le nord du Mali, est l’auteur du rapt de Jules Berto Rodriguez Léal survenu le mardi 19 novembre 2012, un Français de 61 ans mardi soir dans l’ouest du Mali.
    C’est son porte-parole qui l’a annoncé, ajoutant que le Mujao allait “prochainement publier une vidéo de l’otage”. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour “enlèvement et séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste”, confiée à la DCRI.
    - MEXIQUE
    Chef d’orchestre de profession, Rodolfo Cazares a été enlevé (par un cartel mafieux) le 9 juillet 2011 à 4h30 du matin à Matamoros au Mexique, à la frontière du Texas. A l’époque, dix-huit personnes avaient été enlevées. Deux jours plus tard, femmes (dont Ludivine, l’épouse de Rodolfo) et enfants avaient été libérés. Une rançon de 100.000 dollars a été versée en quatre jours mais aucune autre libération n’a eu lieu.
    Ludivine a saisi le quai d’Orsay. Mais on lui a conseillé de ne pas médiatiser l’affaire, car la France a déjà des relations difficiles avec le Mexique, à cause de l’affaire Florence Cassez.
    Sur RTL, elle lance un appel au Président de la République pour qu’il la reçoive et qu’il s’occupe du dossier, et surtout qu’il en parle au nouveau président mexicain que François Hollande recevra mercredi à l’Élysée.
    Sur RTL, Ludivine lance un appel à François Hollande pour qu’il intervienne en faveur de son mari
    DOCUMENT RTL – Ludivine : “je n’ai pas le sentiment d’être entendue par les autorités française et mexicaine”
    (Merci à Tonton Christobal)
    RTLTF1Otages du monde – Alakhbar.info  via
    http://fortune.fdesouche.com

  • De l’extension du conflit malien

    La communauté d’Etats africains ECOWAS envoie des soldats

    Le conflit qui frappe le Mali, où des éléments islamistes ont pris le contrôle de la moitié septentrionale du pays depuis le printemps dernier, menace de s’internationaliser. En effet, la communauté d’Etats d’Afrique occidentale ECOWAS, dont le Mali est membre, a décidé très récemment d’envoyer une troupe d’intervention de 3300 hommes dans ce pays secoué par une crise apparemment sans solution, s’il n’y a pas intervention étrangère. L’intervention est provisoirement limitée à une seule année: “Nous prévoyons 3300 soldats pour la durée d’un an” a déclaré le Président du Groupe ECOWAS, Alassane Ouattara.

    Cette communauté économique ouest-africaine a été contrainte par les Etats-Unis et par l’UE de procéder à cette démarche interventionniste car il s’agit, au Mali, de combattre l’AQMI, soit “Al-Qaeda pour un Maghreb Islamique”. Comme le pensait en octobre dernier le ministre allemand des affaires étrangères Guido Westerwelle, le “Mali ne peut devenir le refuge de terroristes”, car un tel havre de repli dans le nord du pays constituerait une menace pour la sécurité mondiale”, non seulement pour le Mali lui-même mais pour l’Europe. En octobre également, l’UE a décidé d’envoyer des instructeurs militaires dans ce pays africain déstabilisé. De même, on spécule de plus en plus quant à la mise en oeuvre de drones américains.

    Il s’agit certes de combattre des islamistes mais ce n’est pas tout, loin s’en faut : le conflit qui s’est abattu sur le malheureux Mali sert de prétexte aux Etats-Unis pour s’ancrer de plus en plus profondément en Afrique occidentale et, simultanément, pour enrayer l’influence chinoise sur le continent noir, où Beijing est perpétuellement en quête de matières premières.

    (source: “zur Zeit”, Vienne, n°46/2012; http://www.zurzeit.at/ ).

  • L'Afrique sous la botte américaine : Carnages sur ordonnance

    Si Pierre Péan était américain, il aurait eu le prix Pulitzer, en France, il a droit au silence. Qui a entendu parler de son dernier livre, Carnages? C'est pourtant une analyse implacable de l'offensive américaine en Afrique, avec en toile de fond le recul de la France, chassée une seconde fois.
    Un ouvrage massif, énorme, tonitruant, exceptionnel, salutaire, effarant, vient de paraître en France dans un silence presque unanime de la presse officielle et assermentée. Seul l'hebdomadaire Marianne a consenti à en publier les meilleures feuilles. On le doit à Pierre Péan. Son titre, Carnages, plante assez bien le décor, celui de l'Afrique de la fin du siècle précédent et d'aujourd'hui, ainsi que de ses innombrables et sidérants charniers, accumulés la plupart du temps dans l'indifférence et surtout l'incompréhension totales au sein du septentrion du monde.
    Pour la plupart des téléspectateurs occidentaux, le titre du livre sera d'abord justifié par le génocide tutsi du Rwanda, par celui imputé à l'encontre des habitants du Darfour à l’État soudanais, ou encore en raison de telle ou telle famine abondamment médiatisée sur fond de repentance post-coloniale et de charité spectaculaire.
    La réalité est un peu différente, et nettement plus sordide. Surtout, elle offre une illustration saisissante, et jusqu'à l'écœurement, de ce que l'instrumentalisation de la bonne conscience et de l'arrogance morale peut autoriser en matière de massacres de masse. Notamment en dissimulant par la surmédiatisation d'un génocide la réalité et l'impunité d'un autre, comme pour les trains du célèbre dicton. Or, s'il y a une véritable nouveauté dans le monde qui est le nôtre depuis vingt ans, c'est sans doute là qu'elle se trouve et nulle part ailleurs, nous interdisant de pavoiser avec toutes nos âneries vertueuses et humanitaires: les remugles collectifs du cœur ont remplacé l'épaisseur du secret pour occulter la fabrique étatique des grands cimetières sous le soleil. La mort, la mort massive et toujours recommencée, celle des hommes, femmes et enfants d'Afrique, essentiellement...
    Péan, dans ce livre-somme qui aurait dû faire la une de toutes les grandes émissions françaises, décrit avec la rigueur d'un historien positiviste et d'un limier méticuleux la connexion entre deux réalités géopolitiques que l'on croyait relativement distinctes l'une de l'autre et qui se trouvent à l'origine des plus grandes hécatombes que le continent noir ait connues depuis l'époque des traites négrières :
    d'une part, la volonté des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne d'éradiquer, au lendemain de la chute de l'Union soviétique, toute forme d'influence ou de présence françaises en Afrique ; de l'autre, la stratégie de domination impériale de Washington dans l'ensemble du vaste monde musulman qui l'a amené à resserrer considérablement ses liens diplomatiques et militaires avec Israël afin de lui permettre un investissement accru, discret, mais meurtrier, dans la quasi-totalité du continent noir.
    Les grands prédateurs jouent toujours aux enfants de chœur
    Le début et l'essentiel de ces grandes manœuvres aura lieu dans la fameuse région des Grands Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi, Congo-Zaïre, Congo-Brazzaville, Angola), qui en paiera et en paie encore le prix du sang - cinq à six millions de morts depuis le début de la décennie 1990 -, mais c'est le Soudan, riche et gigantesque pays à la fois arabe et musulman issu de l'empire britannique, qui en sera la clé de voûte et le cœur stratégique jamais révélé. C'est là du reste que le livre de Péan propose une véritable élucidation de la complexe et sanglante réalité géopolitique de ces dernières années en Afrique : il permet de comprendre clairement, même si persistent encore certaines zones d'ombre, en quoi et pourquoi tous les chemins africains mènent à Khartoum depuis la fin de la Guerre froide.
    Au départ, on le savait, émerge donc la décision prise par l'Administration Clinton de se débarrasser de tous les alliés politiques de la France dans son ancien pré carré colonial pour leur substituer les leurs propres : sont surtout visés le vieux maréchal Mobutu au Zaïre et le président hutu Juvénal Habyarimana au Rwanda, ainsi qu'Omar Bongo au Gabon, son beau-père Denis Sassou-Nguesso au Congo.
    L'idée, en réalité, remonte à Roosevelt, qui, avant son décès, en 1945, voulait empêcher au terme de la guerre la reconstitution des empires français et britannique en Afrique et en Asie. De Gaulle s'était interposé, et le Président américain était mort avant la fin des hostilités. Par la suite, l'équilibre rigoureux de la Guerre froide avait plus ou moins contraint Washington à composer avec une France, alliée de plus en plus indocile, mais néanmoins occidentale, qui contribuait, faute de mieux, à empêcher l'extension du communisme en Afrique francophone et en Indochine. Le rattachement des anciennes colonies belges à lex-pré carré colonial, lorsque le Général résolut de dissoudre l'Empire devenu Union française, avait été validé dans ce contexte, mais la France de Pompidou et de Giscard d'Estaing eut bien tort ensuite de croire éternel ce qui, pour les Américains, n'était que nécessité provisoire.
    En 1991, naturellement, l'heure de l'hallali a enfin sonné : la politique africaine - et arabe - de la France n'offre plus aucune justification stratégique aux yeux de Washington, qui entend profiter de sa nouvelle « hyperpuissance » pour refaçonner à sa guise la carte du monde. La destruction de l'Afrique des Grands Lacs va être conçue au sein d'une entreprise impérialiste de grande échelle, en même temps que l'éclatement de la Yougoslavie et l'investissement progressif du monde arabe via les deux guerres d'Irak.
    Silence, on tue les « méchants »
    Il faut au moins, nonobstant la démesure prédatrice du projet, en admirer la cohérence géopolitique. Zbigniew Brzezinski et Madeleine Albright ne se trompent pas : la pérennité de la domination américaine passe, face à une Chine devenue incontournable et avide de matières premières, par la liquidation définitive de l'héritage des quatre anciens empires russe, serbo-orthodoxe, panarabe et français. Quarté gagnant, qui sera un quarté sanglant. D'autant que l'Afrique détient un sous-sol dont l'accès va devenir vital en même temps que l'extinction des ressources pétrolifères du monde arabe.
    Pour mener à bien ces ambitieux projets, les Etats-Unis vont se servir de deux illuminés cyniques, résolus et mégalomanes, que les perspectives d'extermination à grande échelle n'émeuvent pas : Yoweri Museveni, ancien opposant (à la fois marxiste, protestant évangélique et hitlérien, cela ne s'invente pas) d'Amin Dada, devenu président de l'Ouganda après la chute de Milton Obote en 1986, et Paul Kagamé, son fidèle vassal tutsi, qui concoctent l'un et l'autre depuis longtemps des projets de domination véritablement napoléoniens dans la région.
    Péan explique minutieusement comment, avec l'aide constante et active de Washington et du Mossad, les deux hommes vont organiser l'assassinat du président Habyarimana, le 6 avril 1994, après avoir au préalable planifié l'invasion du Rwanda par les forces armées du FPR de Kagamé, sonnant le déclenchement du génocide des Tutsis demeurés au Rwanda que Kagamé avait parfaitement prévu - et évidemment souhaité car nécessaire à la réussite de son plan.
    La suite consistera, grâce à des média complices, à faire passer l'invasion du pays par les Tutsis ougandais, puis surtout celle du Kivu congolais, qui entraînera la chute de Mobutu, puis l'assassinat (peut-être orchestré avec l'aide de son propre fils) de Laurent-Désiré Kabila, comme une légitime croisade entreprise contre les «génocidaires » hutus du Rwanda. Bilan: plus de quatre millions de morts, essentiellement des civils, femmes et enfants hutus (quatre fois plus que les victimes tutsis du génocide rwandais), dont les cadavres seront entassés dans les profondeurs des forêts congolaises au vu et au su de tous, sous la surveillance des drones israéliens. Jacques Chirac, sous la pression des Américains, renoncera in extremis à une intervention militaire de la dernière chance.
    Mais l'essentiel, encore une fois, pour les Etats-Unis et surtout pour Israël, demeure le succès du même scénario concernant le Soudan d'Omar el Béchir, qui, lui, résiste à l'offensive - grâce à l'appui de la Chine. Péan nous le confirme : c'est vers Khartoum, désormais, que tous les regards, long temps détournés, doivent se porter attentivement dans les années qui viennent.
    Pierre-Paul Bartoli LE CHOC DU MOIS février 2011
    Il Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Fayard, 562 p., 24,50 €.

  • Palestiniens massacrés là-bas, Palestiniens manipulés ici

    Pendant qu’Israel écrasait les Palestiniens sous les bombes à Gaza, certains groupes mènaient une lutte idéologique à Paris et en Cisjordanie.

    Diverses organisations pro-palestiniennes appelaient à manifester le 18 novembre à l’Opéra, contre l’agression sur Gaza. Une fois sur place, on pouvait remarquer quelques jeunes agitant des pancartes à la gloire de la Syrie "libre", celle des mercenaires ; sur les marches de l’Opéra, bien au centre, et sous la grande banderole de l’UJFP (Union des Juifs français pour la paix), qui occupait la moitié de la largeur de l’Opéra, flottait le drapeau syrien des mercenaires, à 3 étoiles. A partir de 16H, les drapeaux mercenaires se sont multipliés, il y en avait autant que de drapeaux palestiniens ! Pourquoi n’y a-t-il pas de drapeaux loyalistes ? me disais-je. La réponse ne s’est pas fait attendre : 2 jeunes gens ont déroulé, depuis un des balcons, une pancarte avec la photo de Bachar el Assad ; aussitôt, ils se sont fait copieusement huer, et la pancarte a disparu. Je n’ai pas vu comment cela s’est fait : je faisais face aux porteurs de drapeaux mercenaires, essayant de faire entendre mon indignation, j’ai seulement vu tomber des fragments de papier. Les mercenaires syriens ont clairement pris le pouvoir à Paris, et se comportent déjà de façon terroriste (comme en Libye, moins, pour l’instant, les armes). Il est vrai qu’ils peuvent s’appuyer maintenant sur un ambassadeur officiel, reconnu par la France et les monarchies et émirats arabes (regroupement logique, uni par les valeurs démocratiques).
    Quand j’interrogeais quelqu’un dans la foule, il me répondait qu’il était là pour Gaza et qu’il ne fallait pas s’occuper des provocateurs. Il était clair que les manifestants se partageaient entre spontanés de bonne volonté venus exprimer leur soutien à la Palestine, et activistes de diverses associations qui ont détourné et récupéré la manifestation pour Gaza pour en faire une action de propagande en faveur des mercenaires syriens. Les organisateurs de la manifestation, s’ils n’ont pas organisé ce détournement, l’ont cautionné, car le service d’ordre ne voulait rien voir, se contentant de répondre : "pas de divisions entre Arabes" - curieux discours, en temps de guerres entre arabes, en Syrie et ailleurs.
    Je ne veux pas critiquer les militants sincèrement pro-palestiniens, et cette manifestation nous a permis d’entendre le Docteur Abdelaish exprimer avec une grande dignité (après la mort, dans l’opération israelienne de 2008, Plomb durci, de trois de ses filles) son espoir dans la victoire de la Palestine. Mais cette manifestation était encadrée par des mouvements dont la Palestine n’est pas la priorité, ou qui définissent, à la place des Palestiniens, quelles doivent être leurs priorités, et dans quelles limites doivent se situer leur action et leurs revendications.
    Et cette manifestation n’est pas un cas isolé.
    J’ai déjà eu l’impression gênante d’un exercice de ventriloque en regardant le film Cinq caméras brisées. Présenté comme un film palestinien d’Emad Burnat, il a reçu diverses récompenses et est passé à la télévision sur la 5, avant d’être diffusé dans une salle du Quartier Latin qui accueillait une organisation pro-palestinienne (à qui elle abandonnait la recette de la soirée).
    Ce film est présenté comme réalisé par un paysan palestinien (Emad Burnat) qui décide, à partir de 2005, de filmer les actions de protestation des Palestiniens de Bil’in contre le Mur israelien et les confiscations de terres et les arrachages d’oliviers qu’il entraîne. Ces actions sont admirables de courage et de ténacité, là n’est pas le problème, mais dans l’orchestration dont elles font l’objet dans le film : même un spectateur bien intentionné y perçoit des fausses notes : un Palestinien se comportant, dans les manifestations, de façon histrionesque, des dialogues artificiels entre le héros et sa femme (née au Brésil), qui ont évidemment été scénarisés, l’insistance sur le fait que le héros, gravement blessé, est soigné à Tel Aviv, et, surtout, l’affirmation répétitive que toutes les actions sont strictement pacifiques.
    L’explication des discordances apparaissait dans le débat qui suivait le film : le spectateur, pris par l’empathie à l’égard des Palestiniens, n’y faisait pas attention, mais le paysan-cinéaste était lui-même filmé par d’autres cameramen, israéliens ou occidentaux, dont la présence modifiait le comportement des policiers israéliens, étonnamment calmes. Ce dispositif jette la suspicion sur tout le film : est-ce vraiment la vision d’un Palestinien, que nous voyons, ou celle des organisations qui l’ont parrainé (et ont sans doute payé ces 5 caméras, successivement cassées par les policiers israéliens) ? Qu’importe, dira-t-on, si ce film contribue à populariser la résistance des Palestiniens de Bil’in ?
    Cela importe beaucoup, car le sens et les buts réels de la résistance palestinienne en sont dénaturés : le porte-parole, dans le débat, de l’organisation marraine, a insisté sur "l’idéal pacifiste " qui animerait les Palestiniens. Mais depuis quand les Palestiniens ont-ils un idéal pacifiste ? On peut comprendre, du fait de la tragique disproportion des forces en présence, que les Palestiniens adoptent des stratégies pacifiques : mais quel peut être le sens d’un "idéal" pacifiste face à la brutalité d’Israel ? Le seul idéal des Palestiniens n’est-il pas de pouvoir de nouveau vivre sur leurs terres ancestrales, qui leur ont été confisquées par des actions de guerre ? Leïla Shahid reconnaissait récemment que 20 ans de négociations n’avaient mené les Palestiniens nulle part, - si ce n’est à une terrible détérioration de leur situation.
    Cette tutelle des organisations françaises me navre quand je pense qu’étant étudiante j’ai pu entendre un représentant du FPLP* de Georges Habache, à l’époque (chantée par Jean Genet**) où la Palestine avait son armée de Libération, dissoute à la suite des accords de 1982, immédiatement suivis par les massacres de Sabra et Chatila, dans les camps de réfugiés vidés de leurs défenseurs, en route (conformément aux accords et avec la garantie de Mitterrand) pour Tunis.
    notes
    * Front Populaire de Libération de la Palestine créé dans les années 70 par Habache, un leader charismatique, chrétien, sans doute beaucoup plus à gauche qu’Arafat.
    ** Dans Le captif amoureux, où Genet décrit la vie dans les campements de l’armée palestinienne, en Jordanie, près d’Irbid.
    source
    Le Grand Soir :: lien