Maintes fois massacrés au cours de leur histoire récente, les chrétiens d'Orient ont longtemps trouvé protection auprès de l'armée française. Ce temps a passé.
Partant pour la Syrie est une chanson d'Hortense de Beauharnais, relancée vers 1860 pour encourager les soldats de l'armée française envoyés par Napoléon III secourir les chrétiens du Levant, massacrés une fois de plus. À l'époque, la politique étrangère française n'avait à recevoir aucune directive d'une quelconque alliance dominée par des puissances lointaines... Cette intervention de 1860 eut des répercussions politiques et culturelles favorables à la France et à la langue française, qui supplanta alors l'italien au Proche-Orient. Cette hégémonie linguistique a aujourd'hui disparu au bénéfice de l'anglais, puisque la France n'est plus considérée comme un pays ami, ni protecteur. Même les Maronites du Liban parlent de moins en moins français.
La Grande Syrie d'antan s'étendait au Nord jusqu'au Taurus et englobait le Liban et la Palestine. Damas et Antioche abritèrent saint Paul et saint Pierre avant qu'Antioche ne devint la référence de nombreux patriarcats chrétiens. Mais l'Empire ottoman a occupé la Syrie à partir du XVIe siècle et le sort des chrétiens du Levant est difficilement dissociable de celui des chrétiens d'Asie mineure, la fin de l'Empire ottoman ayant été marquée par d'innombrables massacres de chrétiens qui ont provoqué des exodes massifs, notamment vers la Syrie. En raison de l'implantation récente de ces chrétiens dans des pays arabophones, on les a qualifiés en anglais d'« Arab Christians », expression qu'il faut traduire par « chrétiens arabisés », car ils sont très rarement de souche arabe, même s'ils parlent et célèbrent leurs liturgies en arabe.
Les massacres de chrétiens relèvent à la fois d'un antagonisme religieux généralisé et d'une rivalité pour l'exploitation d'un même territoire. Comme les Kurdes, musulmans sunnites intransigeants, volontiers polygames et donc très prolifiques, sont en perpétuelle expansion, ils sont impliqués dans toutes les tueries et en profitent pour annexer les terres et villages des chrétiens.
Ainsi, en 1843, l'émir Bader Khan de Bohtan fait massacrer, par ses fidèles kurdes, dix mille Assyriens et Chaldéens. À la fin du XIXe siècle, les massacres s'intensifient dans le Sud-Est de l'Asie mineure, notamment à Mardin et à Adana. En novembre 1914, l'Empereur Resad, qui vient de déclarer la guerre aux cotés des empires centraux, émet un firman aux termes duquel tous les chrétiens de l'empire doivent être exterminés. L'armée russe pénètre alors très profondément en Asie mineure, soit jusqu'à Bitlis et à son arrivée, les chrétiens manifestent leur allégresse. Mais le 25 avril 1915, la lettre à Talat Pacha ordonne le massacre de tous les Arméniens. D'autres chrétiens sont tués, notamment des Grecs, des Syriaques orthodoxes et catholiques, des Assyriens, des Chaldéens, des Roums(Grecs) orthodoxes et catholiques, des Maronites, les Kurdes s'emparant de leurs terres et de leurs maisons.
Enfants et jeunes femmes vendus comme esclaves
Les Assyriens (ex-Nestoriens) sont animés par un sentiment nationaliste, comme les Kurdes avec lesquels ils se trouvent en rivalité de territoire à l'Est du Tigre. Et c'est encore un carnage à partir de 1915. Les Assyriens fuient. Vers le Sud-Est (territoire actuel de l'Iraq), ils sont massacrés - évêques, prêtres, vieillards, femmes, enfants -, par des Kurdes qui les guettent sur la route de leur exil. Vers le Nord-Est (Transcaucasie, Iran, région d'Urumiye-Ormia), ils jouissent de la protection de l'armée russe, mais la révolution bolchevique entraîne le départ de cette armée. Et c'est à nouveau la destruction des églises et les massacres perpétrés par des irréguliers turcs, azéris et kurdes, ces derniers s'emparant une fois encore des villages chrétiens. Le patriarche assyrien Benyamin Mar Shimun, attiré dans un guet-apens à Koneshor, est assassiné par le Kurde Simko, le 3 mars 1918. Et l'intervention de l'armée ottomane aggrave le malheur des chrétiens.
En 1918, l'Empire ottoman capitule et le traité de Sèvres organise en 1920 l'occupation de l'Asie mineure. Les Grecs sont en Thrace et à l'Ouest égéen, les Italiens au Sud, les Russes au Nord-Est, et les Français au Sud-Est. La région de la Marmara et l'extrême Sud-Est sont occupés par les Britanniques installés en Iraq. Il est prévu que le Nord-Est sera arménien et le Sud-Est, kurde.
Mais en 1921, les Russes quittent le Nord-Est, où ils auraient pu protéger les chrétiens arméniens. La même année, les Français sont battus à Mara par les insurgés musulmans kémalistes turcs et kurdes, avec lesquels ils doivent signer la paix. Ils évacuent alors le Sud-Est, où ils protégeaient les chrétiens. Ce départ à la cloche de bois m'a été narré par le colonel Pierre Chavane et par de vieux Arméniens qui reprochaient aux Français d'être partis sans prévenir, dans la nuit, en emballant les sabots des chevaux dans de la paille pour ne pas réveiller les chrétiens qu'ils allaient abandonner à la merci des insurgés musulmans.
Pire ! La France vend des armes aux musulmans kémalistes, qui les utilisent contre les occupants grecs, chrétiens orthodoxes. En conséquence, les Grecs sont battus et chassés d'Asie mineure en 1922. La seule frontière encore floue est celle de l'extrême Sud-Est avec l'Iraq.
En 1923, le traité de Lausanne transforme la capitulation de l'Empire ottoman en une victoire des Turcs kémalistes, qui récupèrent la Thrace, les détroits, les zones arménienne et kurde. Ils contrôlent donc de nouveau toutes les minorités d'Asie mineure (dont les chrétiens) et noient dans le sang une révolte islamiste kurde en 1924.
En cette même année 1924, les Assyriens tentent de revenir dans leurs villages de l'extrême Sud-Est de la Turquie. Ils y sont encouragés par les Britanniques, qui leur ont promis le Nord de l'Iraq, qui est contigu. (Ce Nord de l'Iraq sera donné aux Kurdes par les Américains en 2003). Mais, l'armée turque du nouveau régime de Mustafa Kemal réagit avec la même cruauté que celle qui avait été appliquée aux Arméniens lors du génocide. Les Turcs massacrent, déportent, achèvent les traînards. Le soir venu, les soldats turcs vendent aux Kurdes, comme esclaves, les jeunes femmes et les enfants assyriens.
Lorsque d'autres Assyriens essaieront, en 1933, de regagner les villages assyriens de l'Iraq, ils seront massacrés, à Semmel, par des Kurdes commandés par le général Bashir Sidki. Ainsi, en 2012, les Assyriens ont-ils perdu tous leurs villages de Turquie, d'Iraq et d'Iran, annexés par les Kurdes. Es ne subsistent que dans les grandes villes de ces pays et en Amérique.
Antioche cédée aux Turcs
Dès 1916, par les accords secrets « Sykes-Picot », Français et Britanniques se sont partagé l'Orient arabe. En 1918, Damas est libérée par les Britanniques, mais, en 1919, ceux-ci cèdent le contrôle de la Syrie aux Français. En 1920, le Congrès national syrien proclame l'indépendance, mais la conférence de San Remo accorde aux Français le mandat sur la Syrie et le Liban. Et les troupes du Général Gouraud entrent à Damas.
Le mandat français prépare un Grand Levant réparti en plusieurs États : Damas, Alep, L'État des Alaouites, plus le Djebel druze et le Sandjak d'Alexandrette (Antioche). (Notons que cet éclatement de la Syrie, plus un État Kurde au Nord-Est, a été envisagé par les médias français en 2011-2012). En 1926 est créée la République libanaise. Et de 1925 à 1927, le général Sarrail, haut commissaire de la République française et commandant en chef de l'Armée du Levant, combat la révolte des Druzes en Syrie.
Depuis 1921, la France, qui a rendu le Sud-Est de l'Asie mineure aux Turcs, se trouve confrontée au problème des chrétiens du territoire désormais turc. Les officiers de l'armée française, qui sont, à cette époque, majoritairement catholiques, vont laisser, par « charité chrétienne », entrer sur le territoire du Mandat français sur la Syrie des dizaines de milliers de chrétiens. Ils les installent souvent dans le Nord, à Antioche et Alep et dans des villes nouvelles créées par l'administration française sur la frontière Nord de la Syrie : Ras el-Ain, Haseke, Qamishli, Malkiye. Ces villes se remplissent ainsi de chrétiens qui ne sont pas de souche arabe et parlent arménien, suryoyo, turoyo, sureth, etc. Les Assyriens s'installent sur les rives du Habur-Ouest et y font fleurir le désert.
Mais les Kurdes, toujours aussi expansionnistes, se précipitent vers ces villes et finissent par constituer la majorité de leur population. C'est ainsi qu'en 2012, ils revendiquent le Nord-Est de la Syrie qu'ils ont progressivement envahi. Ici aussi, les chrétiens vont passer du joug musulman arabe au joug musulman kurde.
En 1939, la France, espérant qu'à la prochaine guerre, la Turquie sera aux côtés des alliés, cède Antioche, berceau de la chrétienté et fleuron de la Syrie, aux Turcs par un référendum contesté. C'est à nouveau l'exode pour les chrétiens qui s'y trouvaient installés et qui se réfugient principalement à Alep. De nos jours, Antioche est complètement turquifiée, au plan institutionnel, mais on entend encore parler arabe dans les rues et l'on peut visiter la grotte de Saint-Pierre et la cathédrale grecque orthodoxe.
En juillet 1940, l'armée française de Syrie, commandée par le général Dentz, passe sous le contrôle du gouvernement de Vichy. Les officiers incitent les chrétiens à faire valoir leurs droits fonciers, ce qui suscite la reconnaissance durable de ces derniers. Mais en 1941, les troupes fidèles au maréchal Pétain sont attaquées par les armées française libre et britannique, qui chassent le Général Dentz. Le Général Catroux, gaulliste, reconnaît alors l'indépendance de la Syrie, sans s'en retirer. Et en 1945, le Général de Gaulle envoie les tirailleurs sénégalais mater la rébellion et fait bombarder Damas, détruisant le Palais Azzem, un joyau reconstruit depuis lors.
L'Alliance atlantique en appui des islamistes
En 1946, les indépendances du Liban et de la Syrie sont cependant reconnues. Beaucoup de chrétiens qui s'étaient engagés dans l'armée française et aiment la France sont alors démobilisés. Mais il n'y a ni épuration, ni propagande revancharde anti-française.
En 2005, l'on voyait encore, plaquée sur la porte de la caserne de Haseke, l'inscription en français : « Premier régiment de marche du Levant ».
Libre, la Syrie est présidée en 1946 par Shukri al-Kuwaitli, qui obtient le départ des Français. Puis, des coups d’État réguliers provoquent une certaine instabilité. De 1958 à 1961, la Syrie s'allie avec l’Égypte. Les médias français la fustigent à l'occasion de la guerre des Six jours en 1967 et de la guerre du Kippur-Ramadan en 1973. En 1971, le général Hafez al-Asad devient président et accorde une constitution. Le parti Baath va assurer au pays une stabilité autoritaire et la fermeté face à Israël.
L'Occident cherche alors des prétextes pour attaquer la Syrie : la guerre civile libanaise en 1975 (l’armée syrienne a pourtant libéré les chrétiens de Zahle encerclés par les musulmans), l'amitié avec l'Union soviétique en 1980, la répression de la révolte des frères musulmans en 1982, la tutelle sur le Liban en 1989, etc. En 1994, le fils aîné de Hafez se tue. Bashar, fils cadet, médecin ophtalmologiste à Londres, devient président en 2000. On accuse la Syrie de l'assassinat du président libanais Hariri en 2005 et les Syriens. doivent évacuer le Liban. Bashar, qui apprécie les chrétiens, reçoit chaleureusement le pape Jean Paul II avant la messe pontificale au Stade des Abbassides.
Mais l'Alliance atlantique est prête à l'agression. Des pays non-atlantiques comme Israël, l'Arabie Saoudite, le Qatar ou la Turquie sont aussi agacés par la stabilité laïque de la Syrie. La Turquie, qui a des nostalgies ottomanes, a envahi Chypre en 1974 et y reste. Elle a participé aux guerres de l'Alliance atlantique, occupant ainsi le Kosovo, la Tripolitaine, etc. Elle mène des incursions régulières en Iraq du Nord et souhaite en faire aussi en Syrie. La campagne médiatique élaborée par l'Occident est comparable à celles qui ont abattu Milosevi et Saddam Husayn. Les « guerres contre les tyrans » sont en fait des guerres d'islamisation
Pr. Jean-Claude Chabrier monde & vie 10 novembre 2012
géopolitique - Page 971
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L'Armée française et les chrétiens de Syrie
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La Serbie, dernière proie des proxénètes du nouvel ordre mondial !... (arch 2009)
Lundi dernier, le 5 octobre, la Serbie célébra le 9ème anniversaire de la « révolution » ayant mis un terme au « régime » de Slobodan Milosevic. En cette même soirée d’automne de l’an 2000, après avoir été lâché par la police et l’armée, ce dernier finit par reconnaître la victoire de son rival Vojislav Kostunica à l’élection à la présidence de la République fédérale de Yougoslavie tenue le 24 septembre, qu’il avait d’abord tenté de nier en voulant imposer la tenue d’un deuxième tour. Ceci déclencha un mouvement de protestation de l’opposition qui culmina dans la journée du 5 octobre par une manifestation monstre à Belgrade au cours de laquelle la foule prit d’assaut le parlement fédéral et la télévision nationale qu’elle pilla et incendia.
Vingt jours plus tard, un gouvernement serbe provisoire mêlant les 18 partis constituant la DOS (Opposition démocratique de Serbie), le SPO (Mouvement serbe du renouveau, également d’opposition) et le SPS (Parti socialiste serbe) de Milosevic, fut constitué et mené par Milomir Minic, lui-même membre du SPS. Ceci en prélude au gouvernement de Zoran Djindjic, le président du DS (Parti démocrate, l’un des principaux partis de la DOS) composé le 25 janvier 2001, suite à la tenue d’élections parlementaires extraordinaires le 23 décembre 2000. Djindjic sera assassiné le 12 mars 2003 et remplacé par Zoran Zivkovic, également du DS. Vinrent ensuite deux cabinets dirigés par Vojislav Kostunica, le chef du DSS (Parti démocratique de Serbie, lui-même une émanation du DS), et enfin celui actuellement mené par Mirko Cvetkovic. Ce dernier n’appartient officiellement à aucun parti mais est proche du DS, qui constitue l’ossature de son cabinet, dont fait désormais également partie le SPS dirigé par l’actuel vice Premier ministre et Ministre de l’intérieur Ivica Dacic.
Cet anniversaire ne fut cependant le prétexte d’aucune réjouissance ostentatoire, ce que l’on ne saurait attribuer au seul souci des gouvernants serbes d’épargner les deniers du peuple en cette période de crise économique mondiale ou par égard envers leurs collègues issus des rangs du SPS qu’ils combattirent tant d’années avant de parvenir au pouvoir. La raison de cet absence de triomphalisme trompetant est peut-être à chercher aussi dans l’atmosphère lourde et pesante régnant actuellement en Serbie et rappelant étrangement celle de cet automne 2000…
La situation économique et sociale n’est certes pas des plus brillantes. Après des années de croissance dynamique affichant des taux supérieurs à 5 % l’an jusqu’à l’amorce de la crise financière mondiale à l’automne dernier, l’année en cours se caractérise par une décélération brutale qui, selon les dernières données communiquées par le gouvernement, n’a toujours pas été enrayée mais ne saurait tarder à l’être. La crise, qui se traduit essentiellement en Serbie par un tarissement des investissements étrangers et du crédit, s’accompagne comme partout de l’inévitable lot de sociétés faisant faillite ou dont les comptes sont bloqués et poussant des milliers de salariés à la rue.
Ceci affecte particulièrement une population vieillissante et en constante réduction pour la 18ème année consécutive. La Serbie compte désormais quelques 7.3 millions d’habitants, hors Kosovo, 1.6 millions d’entre eux étant retraités, quelques 700.000 autres officiellement au chômage et au moins encore autant vivant sous le seuil de pauvreté. Ce ne sont naturellement pas les quelque 1.8 millions de salariés, dont beaucoup travaillent pour une administration pléthorique et à l’efficacité souvent discutable ou des entreprises publiques déficitaires, qui suffisent à faire vivre tout ce beau monde et les emprunts visant à combler un déficit budgétaire chronique se multiplient. L’endettement extérieur du pays s’envole et la poursuite des réformes se fait désormais à nouveau sous la tutelle du FMI.
Outre les effets prévisibles de la récession mondiale sur la Serbie, la crise met brutalement en exergue tous les excès et dérives qui, bien qu’ayant débuté sous Milosevic pour certains, furent démultipliés après sa chute et que l’on tend généralement à présenter comme le mal nécessaire accompagnant les sociétés dans leur phase de transition d’une économie planifiée vers le libéralisme et l’économie de marché, désormais érigées en véritables tables de la loi. Au delà des difficultés inhérentes à tout processus de transformation d’un système régissant une société en un autre, celles-ci se trouvent d’autant plus amplifiées quand menées par des individus peu scrupuleux qui, en s’engageant dans la carrière politique, semblent, pour la majorité d’entre eux, n’avoir que leur enrichissement personnel dans les plus brefs délais pour unique ambition.
Cette attitude s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans le processus d’imposition de ce nouvel ordre mondial d’après lequel l’argent et les moyens de l’acquérir sont devenus l’alpha et l’oméga du système de valeurs, le mérite de tels personnages ne se mesurant plus à l’aune de leur intelligence ou dévotion pour la cause commune mais bien à celle de leur cupidité et appât d’un gain facile et rapide. Pour cela point ne faut un excédent de neurones dont l’activité est mise au profit de la communauté mais une certaine aptitude à tendre la main pour recevoir des prébendes et les instructions qui vont généralement avec.
La Serbie regorge désormais de générations spontanées de ces croupiers d’un capitalisme débridé et conquérant dont l’apparition se trouva grandement facilitée par la constitution du gouvernement actuel, lui-même concocté dans la cuisine des ambassadeurs des USA et de Grande-Bretagne en poste à Belgrade en étroite collaboration avec une poignée des fameux tycoons, ces incontournables « hommes d’affaires » locaux ayant entamé leur essor sous Milosevic et ayant désormais un doigt dans tous les engrenages économiques du pays. Mêlant tout et son contraire, à savoir ennemis politiques héréditaires et idéologies aux antipodes les unes des autres, ce regroupement disparate de onze partis politiques faisant office de gouvernement s’est officiellement constitué dans le but d’ancrer la Serbie dans la zone d’influence occidentale via son intégration dans l’Union européenne et accessoirement l’Otan. Tirant à hue et à dia bien que ne disposant que d’une majorité toute relative au parlement, ce qui l’oblige parfois à soudoyer un parti de l’opposition pour y faire passer des lois non consensuelles, le véritable liant de la clique au pouvoir réside dans la corruption débridée et les abus en tous genres que ses tuteurs occidentaux feignent d’ignorer ou critiquent du bout des lèvres, comme quand ils réclament que l’agence de lutte contre la corruption nouvellement créée soit dotée de véritables moyens d’agir.
Parallèlement aux mesures d’ordre économique visant à aligner la Serbie sur le modèle occidental et lui faire prendre la place qui lui a été assignée dans la répartition internationale du travail par les oligarques tirant les ficelles dans les coulisses de nos démocraties, ces derniers attendent d’elle qu’elle n’entrave pas l’émancipation de sa province méridionale du Kosovo dont ils l’amputèrent en février 2008. Contrairement à Vojislav Kostunica, qui s’efforça de mener les réformes tout en défendant la souveraineté et l’intégralité du pays coûte que coûte, le gouvernement du Premier ministre Mirko Cvetkovic, qui n’est de fait que l’homme de paille du Président serbe Boris Tadic, lui-même devenu la force motrice du pays en violation flagrante du rôle attribué à sa fonction par la Constitution, s’est empressé de botter la question du Kosovo en touche.
Le sort de la province ne faisant désormais plus la une de l’actualité, cela permit d’ouvrir la porte à toutes sortes de concessions requises par Bruxelles dans le processus de rapprochement de la Serbie vers l’Union européenne, les dernières en date étant liées à l’inscription prochaine du pays sur la liste blanche Schengen, grâce à laquelle ses citoyens devraient pouvoir voyager dans cette zone sans visas à partir du 1er janvier prochain. En l’occurrence Belgrade fut contrainte d’accepter que les habitants résidant au Kosovo continuent d’être soumis au régime de visas et de signer un accord de coopération entre le Ministère de l’intérieur et EULEX, la Mission (dite) de droit et de justice de l’UE au Kosovo, en vue d’un contrôle commun de la « frontière » entre le Kosovo et la Serbie proprement dite, ce qui revient à impliquer Belgrade dans la mise au pas des Serbes vivant au nord de la province et persistant à en nier l’indépendance autoproclamée. La capitale serbe ayant avalé ces deux couleuvres sans broncher, les fonctionnaires de Bruxelles ne manqueront pas de continuer à en assaisonner la soupe à la grimace du rapprochement de la Serbie vers l’UE qu’ils ont conditionné à l’établissement des relations de bon voisinage avec leur petit protégé « kosovar ».
En Serbie même l’Occident continue de jouer sur les trois autres points de pression sur Belgrade que sont la province de Vojvodine, comportant une multitude de minorités dont de nombreux Hongrois, au nord, le Sandzak (ou Racka), riche en slaves musulmans, et les trois bourgades que les Albanais appellent la vallée de Presevo au sud, où il s’arroge le droit d’intervenir sous le prétexte de la défense des droits de ces minorités. La question du Statut de la Vojvodine, adopté à l’automne dernier par les autorités provinciales mais toujours pas entériné par le parlement serbe, malgré le dépassement des délais prescrits par la Constitution, car conférant des éléments de souveraineté à la province, est d’ailleurs en phase de réactivation dans le débat politique serbe et le Président Tadic vient de mettre en garde les alliés provinciaux du gouvernement contre toute tentative de l’internationaliser. Belgrade doit également sans cesse veiller à contrer les velléités d’autonomie aux relents sécessionnistes régulièrement exprimées au Sandzak et à Presevo.
Dans un autre registre, mais toujours dans le domaine des pressions exercées sur la Serbie, cette dernière se voit encore et toujours soumise au chantage du progrès vers l’UE au prix de l’appréhension et de la remise du général Ratko Mladic, l’ancien commandant des forces serbes en Bosnie pendant la guerre, et de Goran Hadzic, un temps le leader des Serbes de Krajina en Croatie, tous deux inculpés de crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Rappelons que les Serbes, ayant été délibérément et systématiquement désignés comme les grands responsables des conflits ayant ensanglanté ce pays à la fin du siècle passé, alors qu’il apparaît chaque jour plus clairement qu’ils échouèrent à s’opposer à un plan de démembrement de la Yougoslavie concocté à l’avance, constituèrent en toute logique le gros du bataillon d’inculpés par le Tribunal qui les harcèle depuis plus de quinze ans déjà et dont la fermeture, maintes fois repoussée, ne semblera manifestement acquise qu’une fois la Serbie définitivement mise au pas.
Poursuivant cette logique de culpabilisation de la Serbie jusqu’au bout, cette dernière est également soumise à des pressions occidentales croissantes visant à la forcer, en tant que co-signataire des accords de paix de Dayton ayant mis un terme à la guerre en Bosnie fin 1995, de « rappeler à la raison » le Premier ministre de l’entité serbe Milorad Dodik, lui-même un temps chouchou de l’Ouest quand il l’aida à démanteler l’appareil politique hérité de l’ancien leader politique des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic, et qui refuse désormais farouchement de cautionner les mesures visant à parachever l’élimination de la Republika Srpska qu’il dirige en la vidant de toute substance. Ajoutez à cela la relance insidieuse du prétendu débat sur la nécessité pour la Serbie d’intégrer l’Otan comme condition préalable à son acceptation dans l’UE, la simple évocation de cette idée provoquant instantanément une crise d’urticaire chez tout Serbe normalement constitué se souvenant alors de la frustration de n’avoir pu dire deux mots à ces pilotes de l’Alliance semant la terreur en appuyant sur des boutons à partir de confortables distances de sécurité de leurs cibles. Dans le registre des précédents historiques, dont les Serbes sont friands et férus, toute évocation d’intégration dans l’Otan leur rappelle aussi immanquablement le triste souvenir des Janissaires, ces unités d’élite de l’armée de l’Empire ottoman constitués à partir d’enfants, serbes pour beaucoup, arrachés à leur parents pour être formés à l’art de la guerre, y compris contre leur propre peuple. Cette crainte de voir l’histoire se répéter n’est certes pas sans fondement face aux besoins croissants en chair à canon de l’Alliance atlantique.
Cette marche forcée vers le modèle libéral prôné par l’Ouest s’accompagne d’un vaste travail de ramollissement et d’endoctrinement des cerveaux opéré par les médias, rares étant ceux pouvant encore se targuer d’adopter une ligne éditoriale « indépendante », et ce particulièrement depuis la toute récente adoption d’une nouvelle loi sur l’information liberticide calquée sur celle introduite en 1998 par Milosevic devant alors faire face à la montée de la propagande de l’Occident menée en prélude aux bombardements de la Yougoslavie par l’Otan. Les jeunes générations sont la cible privilégiée de cette véritable œuvre de sape des valeurs morales et intellectuelles et les télévisions déversent à profusion la bouillie pour chats faisant désormais office de culture en Occident. Ce ne sont plus qu’éloge de la vulgarité, de l’artificiel et du fric avec moult programmes de voyeurisme à la sauce « big brother », talk-shows de « matuvus » insipides, chanteuses pétasses aux seins siliconés, ou encore émissions vous proposant de gagner une bagnole en envoyant un texto, sans oublier l’incontournable et désormais omniprésente violence sous toutes ses formes avec l’inculcation insidieuse de l’état policier en sous-main.
Quoique n’ayant pas choisi un ancien Ministre de l’intérieur pour Président, la Serbie n’échappe pas à la dérive autoritaire caractérisant aujourd’hui nos bonnes vieilles démocraties occidentales. A l’image de ce qui se passe en France, le Président Tadic, qui prit la tête du DS à la mort de Zoran Djindjic, est de tous les combats et sur tous les fronts, mais il se distingue de son homologue français dans la mesure ou le système politique en Serbie n’est pas celui d’un régime présidentiel fort et c’est le Premier ministre qui est censé mener la politique de l’état. Cette pratique avait également été le fait de Slobodan Milosevic et l’arrivée de Djindjic au poste de Premier ministre y avait mis un terme. Elu Président lors du premier mandat de Vojislav Kostunica, Tadic parvint cependant à la rétablir et à s’imposer comme acteur politique principal après avoir réussi à évincer ce dernier avec l’aide de Londres et Washington.
S’étant débarrassé de l’encombrant Kostunica car trop insoumis, ce même trio informel forma le cabinet du docile Mirko Cvetkovic et s’attaqua ensuite au Parlement, où la majorité ténue dont dispose le gouvernement était sans cesse battue en brèche par l’opposition, et tout particulièrement par le Parti radical serbe (SRS) de Vojislav Seselj, alors la principale formation politique du pays menée par son vice-président Tomislav Nikolic du fait de la détention de Seselj à La Haye par le TPIY. Le Parlement fut muselé par l’introduction de nouvelles règles de procédure limitant drastiquement le droit de parole des partis politiques et fonctionne désormais comme simple chambre d’entérinement des lois adoptées par le gouvernement. Ceci permit alors à Tadic et ses acolytes anglo-saxons de procéder au démantèlement du parti de Seselj en poussant Nikolic, que Tadic parvint tout juste à battre au deuxième tour de la présidentielle qui vit sa réélection le 3 février 2008, à former son propre parti, le Parti serbe du progrès (SNS), dans lequel il entraîna bon nombre de cadres du SRS, dont l’ancien secrétaire général et numéro 3 du parti Aleksandar Vucic, désormais son bras droit.
Avec la création du SNS, dont la côte de popularité s’envole dans les sondages et flirte désormais avec celle du DS, qu’il bâtit même récemment dans l’un de ses fiefs belgradois à l’occasion d’élections municipales anticipées, l’Ouest a tenté de faire d’une pierre deux coups, à savoir canaliser les sentiments patriotiques de la population, étiquetés comme nationalistes donc néfastes, au travers d’un parti à la rhétorique aseptisée et acceptant de collaborer, comme ce fut le cas du HDZ en Croatie avec l’arrivée d’Ivo Sanader à sa tête, et se doter d’une bride sur laquelle pouvoir tirer chaque fois que le sentiment d’omnipotence monte à la tête du Président Tadic. Il semble avoir ainsi établi tous les pare fous nécessaires pour contenir tout débordement d’une Serbie soumise à une véritable thérapie de choc n’étant pas sans rappeler l’ignoble sort réservé à ces pauvres jeunes filles qui, rêvant d’un avenir meilleur et attirées par les miroirs aux alouettes contemporains promus par les médias, tombent dans le premier piège tendu par des proxénètes sans vergogne. En l’occurrence ceux-ci travaillent pour le compte des maîtres du nouvel ordre mondial et font actuellement passer la Serbie par les fourches Caudines de leur « dressage » en vue de la lâcher sur le boulevard de la globalisation.
La petite s’avère pourtant coriace et, telle certains détenus de Guantanamo que la CIA désespère de rééduquer par noyades simulées et autres mauvais traitements interposés, le sentiment de « serbitude », que les Turcs ne parvinrent jamais à vaincre en cinq siècles d’occupation malgré l’imposition de toutes sortes de turpitudes qu’illustrent les pyramides de crânes vues par Lamartine à l’entrée de la ville de Nis, perdure envers et contre toutes les humiliations subies dans lesquelles l’obstination caractéristique des Serbes, le fameux « inat », puisa d’ailleurs régulièrement les forces nécessaires à l’affranchissement du joug que diverses puissances tentèrent de lui imposer de par le passé. Pour beaucoup d’entre eux la coupe de la lie que l’on s’efforce de les faire boire est pleine depuis trop longtemps déjà et la récente campagne menée en faveur de la tenue d’une « gay pride » à Belgrade, ou « parade de la honte » selon le haut dignitaire de l’Eglise serbe orthodoxe Amfilohije, qui traduisit en cela le sentiment généralement partagé par la population, a bien failli être la goutte faisant déborder le vase. Celle-ci fut annulée in extremis à l’aune du risque bien réel de la voir subir un sort digne de celui de la nuit de la Saint Barthélemy.
Le paroxysme des tensions traversant actuellement la société serbe fut cependant atteint quelques jours à peine après la date prévue pour la tenue de la gay pride quand une bande de hooligans attaqua sauvagement et sans raison apparente l’infortuné supporter de l’équipe de football de Toulouse Brice Taton, qu’elle laissa pour mort sur le pavé. Le choc provoqué par cet incident, qui prend la proverbiale tradition serbe d’accueil de l’étranger totalement à contre-pied et stupéfia la population, dressée comme un seul homme pour le condamner, semble vouloir être exploité par les autorités à la façon dont Georges Bush junior et sa bande mirent à profit les retombées des évènements du 11 septembre 2001 pour imposer leur folle politique meurtrière ayant précipité la planète au bord du gouffre.
Ceci se traduit par une véritable campagne visant à faire endosser les tensions actuelles à des organisations regroupant des jeunes patriotes se voulant les défenseurs des valeurs traditionnelles d’une société pliant sous les coups de boutoir de la décadence occidentale galopante, et à les discréditer aux yeux de l’opinion en les assimilant à certains groupuscules informels de supporters de foot casseurs et autres skinheads à l’idéologie plus ou moins fascisante afin de l’amener à supporter leur dissolution. Ce besoin soudainement impérieux de faire place nette et éliminer des éléments contestataires ayant fait la preuve de leur capacité d’organisation pour manifester leur opposition au port de tutu rose en public, semble préfigurer l’annonce d’un évènement d’importance tel que l’arrestation du général Mladic ou la remise en liberté du chef du SRS Vojislav Seselj, que le TPIY ne saurait garder éternellement dans son cul-de-basse-fosse, à moins qu’ils n’en ressorte les pieds devant comme Milosevic…
Alors, face à l’approche de nouveaux défis de taille attendant la Serbie dans un avenir proche, la question est désormais de savoir si les maquereaux du nouvel ordre mondial sont parvenus à en faire la pute soumise de leurs rêves !…
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Nigeria : églises brûlées et chrétiens égorgés par les islamistes
Des attaques menées par des islamistes du groupe nigérian Boko Haram ont une nouvelle fois violemment visé samedi et dimanche des chrétiens et des églises dans le nord du Nigeria, selon des témoins et des responsables locaux.Dix personnes ont été égorgées par des islamistes qui sont passés de maison en maison samedi soir dans le quartier chrétien de la ville de Chibok, dans le nord du pays, a-t-on appris dimanche auprès de responsables locaux.« Les assaillants sont arrivés vers 21h en scandant Alahu Akbar (Dieu est grand) (...) ils se sont rendus dans des maisons qu'ils avaient identifiées dans un quartier à dominante chrétienne de la ville pour massacrer 10 personnes comme des moutons», a déclaré un responsable local qui a requis l'anonymat.« Qui d'autre que des membres du (groupe islamiste) Boko Haram pourrait entrer dans les maisons et trancher la gorge de dix personnes», a déclaré un autre responsable local.Chibok se trouve à 170 km de Maiduguri, le fief de Boko Haram.« Les hommes sont arrivés en grand nombre et ils sont entrés dans des maisons qui avaient été choisies avec précision et ils ont massacré 10 personnes en criant Allahu Akbar», a rapporté Ezekiel Damina, un habitant du quartier de Myan, en périphérie de Chibok.Dans le nord-est, au moins deux policiers ont été tués dimanche dans une attaque lancée par des islamistes présumés qui ont incendié trois églises et des postes-frontières dans la localité de Gamboru Ngala, selon des témoins.« Des hommes armés, on pense qu'ils sont de Boko Haram, sont arrivés à cinquante en voiture et en moto, vers 8h30, et ils ont attaqué et brulé des postes de sécurité à la frontière» avec le Cameroun, a déclaré à l'AFP, Modugana Ibrahim, un habitant.« J'ai vu le cadavre de deux policiers en sortant de la ville, près du commissariat» incendié, a ajouté M. Ibrahim. L'information a été confirmée par un autre habitant, Sani Kani, qui a précisé qu'un des corps gisait sur le bas-côté de la route alors que l'autre était assis dans un fourgon de police.Parmi les postes de sécurité brulés, il y avait un commissariat, des locaux de l'immigration, des douanes et de la police secrète (SSS), ainsi qu'un poste de quarantaine, selon les habitants.Les hommes armés « scandaient Allahu Akbar (Dieu est grand), ils ont brûlé le poste de police et trois églises », a déclaré Hamidu Ahmad, un autre habitant.Selon les habitants, des échanges de tirs ont eu lieu à la mi-journée entre les assaillants et des renforts de police arrivés de Maiduguri, le fief de Boko Haram, à 140 km de là.Les tirs ont cessé dans l'après-midi, mais la police avait quadrillé les rues de la ville, déserte. Les habitants étaient enfermés chez eux et beaucoup d'hommes avaient quitté la ville vers des villages voisins ou en direction du Cameroun, de peur de représailles des forces armées contre les civils.Il y a deux semaines, des habitants disent avoir vu circuler des tracts islamistes, qui imposaient aux femmes de porter le hijab (voile islamique) et interdisaient la vente de cigarettes et l'ouverture de lieux de rencontre comme des cafés.Boko Haram - dont le nom en langue Haoussa signifie «l'éducation occidentale est un péché» - a revendiqué de nombreuses attaques, notamment dans des lieux de culte chrétiens au moment du service du dimanche, dans le nord et le centre du Nigeria.Les locaux et les effectifs de la police et de l'armée sont aussi souvent visés par le groupe islamiste.Dimanche dernier, un double attentat suicide a fait onze morts et une trentaine de blessés dans une église protestante située dans l'enceinte d'une caserne dans la ville de Jaji (Etat de Kaduna), dans le nord.Les violences attribuées à la secte et leur répression sanglante par les forces de l'ordre ont fait, selon les estimations, plus de 3000 morts depuis 2009.Le Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique, avec 160 millions d'habitants, et premier producteur de pétrole du continent, est divisé entre un Nord, majoritairement musulman, et un Sud à dominante chrétienne.Avec AFP http://www.francepresseinfos.com/
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Géopolitique : Interview de Yves Bataille
Yves Bataille est une des figures marquantes de la mouvance Pan-européenne et Eurasienne. Géopolitologue, spécialiste des Balkans et notamment de la Serbie. Pour lire quelques articles de Yves Bataille :
L’Ukraine sur le grand échiquier (2004)
France : le syndrome Serbe ? (2005)
La Chine et la prochaine guerre (2006)
La guerre commence au Kosovo (2008)
Yves Bataille a accepté de répondre a quelques questions pour DISSONANCE.Yves BATAILLE, bonjour, pouvez vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Mon profil : Fils de magistrat et petit-fils d’officier ayant traîné le sabre du Tonkin à la Cilicie et de Madagascar à la Guyane en passant par le Sénégal et le Bénin, je tiens peut-être de ce dernier l’attrait des grands espaces. Descendants d ’ artisans catalans qui sous Louis XIV construisirent les défenses de Vauban sur la frontière espagnole au temps du rattachement du Roussillon à la France, les Bataille ont aussi un lien avec les Cardi de Sansonnetti, noblesse corse ralliée à la France avant même que la Corse ne devienne française. Par la famille de mon père, magistrat en Algérie puis en « Métropole », je suis un descendant du Général Mouton Duvernay, député royaliste de la Haute Loire rallié à Napoléon pendant les « Cent Jours » et fusillé sous Louis XVIII, et du Général La Fayette qui fut à l’origine de la création des Etats-Unis. Je suis un Français qui a passé sa prime enfance en Grande Kabylie et a fréquenté un temps le Collège de Jésuites de Notre-Dame d’Afrique d’ Alger. Un Français du dehors donc - ce qui explique le nationalisme - qui a toujours gardé le lien avec la Mère Patrie même lorsque celle-ci le décevait profondément. Nationaliste du Limes et internationaliste radical à la fois, j’ai épousé une serbe et la Cause serbe au début de la guerre contre la République fédérale de Yougoslavie, une guerre vue de très près. J’ai fait serment sur son lit de mort à Paris au Colonel Tranié, fils du général Tranié héros du Front de Salonique, de me battre toujours du côté des Serbes attaqués par Moloch. Formé aux Universités françaises à l’Histoire, à la Géopolitique et à la Communication, je me définis comme un nationaliste-révolutionnaire de profession, partisan d’une France libre dans une Europe indépendante intégrant la Russie et d’un Franc-Canada (Québec et Acadie) lui aussi libre et indépendant. Je suis en définitive un « nationaliste sans frontières » entretenant des relations de combat avec tous ceux qui, dans l’espace européen et américain poursuivent le même but. Dans ce cadre j’ai eu la chance de rencontrer Philippe Rossillon, compagnon secret du Général de Gaulle, qui fut l’organisateur de l’Opération « Vive le Québec libre ! », de m’entretenir dans les Balkans avec les héros serbes Radovan Karadzic et Vojislav Seselj, de trinquer en Transnistie avec le président Igor Smirnov, de partager le pain dans le Caucase avec le général Vardan Balayan, libérateur du Haut-Karabakh. Mon objectif, avec tous ceux qui vont dans la même direction, est clair, c’est la libération nationale et sociale des peuples et des nations de la domination états-unienne et l’unification géopolitique du Grand continent eurasiatique, autrement dit de la Grande Europe de l’Atlantique au Pacifique. Il faudra faire aussi la jonction avec la « Presqu’Amérique »... Vous m’avez posé une question et j’y ai répondu.
Vous êtes un expert de la Serbie, après l’intervalle "démembrement de la Yougoslavie" (1990-1996), l’intervalle "démembrement de la Serbie" (1999-2008), quelle est selon vous la prochaine "étape" ?
Il existe des plans pour poursuivre le morcellement de la Serbie jusqu’à l’absurde. Dans le chef lieu du Sandjak de Novi Pazar que les Serbes appellent « Raska » (la Rascie) où Serbes et Musulmans sont en nombre égal, les Etats-Unis ont installé un « centre culturel américain » qui rappelle celui qu’ils avaient créé au Kossovo en 1998. Or Novi Pazar n’a pas besoin de centre culturel américain. Il n’y en a pas à Belgrade. Donc ce centre culturel, comme hier à Pristina, est là pour autre chose. En Rascie les Américains poursuivent leur jeu qui consiste à pousser les Musulmans contre les Orthodoxes en soutenant une revendication séparatiste de rattachement territorial à la Bosnie.
En Vojvodine la matrice de toutes les « révolutions de couleur », National Endowment for Democracy (NED) alimente un mouvement autonomiste. Dans ce grenier à blé du nord où les Serbes sont majoritaires (65% de Serbes, 14% de Hongrois, 3% de Slovaques et d’autres ethnies en petite quantité) les Américains appuient les minorités et spéculent sur la tendance de certains Serbes à se croire « supérieurs » à leurs frères du Sud n’ayant pas vécu jadis sous la coupe de l’Empire Austro-Hongrois. Ce mouvement peut être comparé au mouvement de la « Padanie » dans le nord de l’Italie. En excitant des tendances centrifuges les Américains visent à réduire encore la Serbie et à la ramener à la dimension de l’ancien Pachalik de Belgrade.
Pensez vous que l’arrestation de Radovan Karadzic, et sans doute demain de Ratko Mladic, ait un effet bénéfique pour la Serbie ? (limite de la casse au Kossovo ou intégration plus rapide dans l’UE ?) . Quelle est la probabilité que la Serbie intègre l’UE d’après vous ?
Les représentants de Bruxelles et de Washington qui prétendent dire ce qui est bon pour la Serbie et lui imposer leur loi sont très arrogants. Non seulement ils l’ont bombardée sans raison mais encore ils prétendent lui donner des ordres et lui faire la morale. En 1999 ils disaient que cette guerre était une « guerre du droit » et présentaient les bombardements comme des « bombardements humanitaires ». L’ opinion en Europe a lâchement laissé faire ça. Pourtant la Serbie n’appartient ni aux Etats-Unis d’Amérique ni à l’Union Européenne et il revient aux Serbes de défendre les intérêts de la Serbie et non à leurs agresseurs. Ces arrogants continuent les menaces et les pressions au nom de la démocratie et des droits de l’homme pour contraindre toujours plus un pouvoir pourtant installé par eux. C’est ainsi que même l’équipe pro-occidentale au pouvoir à Belgrade refuse le vol du Kossovo. La période dite de « transition démocratique », qui a commencé en 2000 avec le renversement de Slobodan Milosevic, a été une période d’intensif pillage économique. Avec les privatisations à outrance l’Occident a fait main basse sur tout ce qui avait quelque valeur (grandes entreprises, sidérurgie, matières premières, systèmes de télécommunications). Aidé dans cette mise à sac par les ultralibéraux des partis fabriqués dans les ambassades occidentales comme le G17Plus.
Dans l’esprit du peuple serbe les Etats-Unis et l’Union Européenne, c’est la même chose, c’est « l’Ouest » (Zapad). Cet Occident historiquement coupable de la Chute de Constantinople et qui veut imposer aujourd’hui « l’intégration euro-atlantique ». Cet Occident et ses nouvelles Croisades. Car la « diplomatie coercitive » de Madeleine Albright, le « devoir d’ingérence » de Bernard Kouchner, les embargos commerciaux de l’Union Européenne, les crimes des séparatistes, les mercenaires étrangers, les sanglants bombardements de l’OTAN sont encore en mémoire. Par tradition depuis la geste épique du haut moyen âge les Serbes sont le peuple qui a la mémoire la plus longue. Le Tribunal de La Haye, le TPIY, est assimilé à une Nouvelle Inquisition chargée de continuer la guerre par d’ autres moyens. Les Serbes pensent que cela ne s’arrêtera jamais, à moins que la Russie... Le dit tribunal n’a condamné que des Serbes, plusieurs chefs serbes sont mort dans la prison de Scheveningen et le passage à La Haye de Bosniaques musulmans et d’ Albanais du Kossovo s’est révélé n’être que du cinéma. Qu’il s’agisse du terroriste albanais Ramuz Haradinaj ou de son collègue bosniaque Naser Oric, ces individus n’ ont fait que de la figuration pour que l’on puisse donner le change avant de les relaxer. Haradinaj a fait tuer tous ses témoins et en conséquence le tribunal a estimé qu’il ne pouvait plus le juger. Le TPIY n’a rien d’une juridicion indépendante comme il a essayé de le faire croire. C’est un tribunal de circonstance, financé en ses débuts par George Soros et des sociétés commerciales, un pseudo tribunal qui a fait et continue de faire un procès politique de rituel anglo-saxon à des Serbes qui n’ont commis qu’un seul « crime », celui de résister à Moloch.
Vous m’avez posé la question sur Radovan Karadzic. Je l’ai rencontré en Bosnie. Il m’a reçu à Pale en 1995 et m’a même donné une médaille. J’ai pu parler longuement avec lui. C’est un personnage intègre, un pur. Il n’a jamais voulu le pouvoir pour le pouvoir comme la plupart des politiciens mais le pouvoir pour défendre son peuple agressé et menacé. Avoir osé défendre les siens et avoir résisté à ceux qui ont détruit la Yougoslavie et attaqué la Serbie, c’est ce que « nos démocraties » lui reprochent. Radovan Karadzic a été et demeure l’objet d’une diabolisation à l’anglo-saxonne, comme le général Mladic qui n’a fait que son devoir d’officier qui était de défendre son territoire et son peuple contre l’ agression étrangère. En se faisant livrer Karadzic par des traîtres et des kollabos, le Sanhédrin de La Haye n’a non seulement pas entammé sa popularité mais encore il en a fait une icône. La partie vaillante du peuple serbe pense qu’ il faudra l’arracher des griffes de l’Ogre. Je salue au passage les militants du Mouvement Populaire 1389 qui manifestent chaque jour à Belgrade depuis l’annonce de son arrestation, des manifestations quotidiennes complètement passées sous silence par la presse occidentale.
Il est évident que l’arrestation et la livraison de Radovan Karadzic à La Haye ne changeront rien aux convictions des Serbes à son égard et que cela n’aura non plus pas d’ effet sur l’adhésion à l’Union européenne. Cette adhésion, c’est Bruxelles qui la veut et de moins en moins de Serbes y sont favorables, d’autant plus que ceux que la Serbie profonde voit comme un club de malhonnêtes - pour ne pas dire de bandits - ont le culôt d’émettre sans cesse des exigences insupportables. Pour imposer par la force leur mission EULEX après l’octroi illégal de l’indépendance à la minorité albanaise du Kossovo, Bruxelles s’est appuyée sur un document falsifié auquel il manquait les dix lignes les plus importantes de la résolution 1244, celles qui stipulent que le Kossovo autonome est et restera partie intégrante de la Serbie. Par cette mission l’Union Européenne entend succéder à la MINUK des Nations Unies qui est pour les Serbes un moindre mal car la mission de l’ ONU repose sur la résolution 1244 non expurgée. EULEX vise à fournir les cadres administratifs qui manquent à la Mafia albanaise. Mon avis est que la Serbie doit attendre qu’une autre Europe reposant sur d’autres valeurs et une autre politique se dessine et que la Russie devienne de plus en plus active. Cela n’empêche pas de continuer la Résistance, bien au contraire. Le dynamitage des deux barrages de la ligne de démarcation et les manifestations de Kosovska Mitrovica après la proclamation d’indépendance ont impressionné l’occupant et c’est ce qu’il fallait faire.
L’unilatéralisme totalitaire décrété en 1991 par l’Amérique semble être arrivé à son terme (perte générale d’influence de l’empire, renaissance de grands espaces tels que l’Asie, l’Orient, l’Eurasie, l’Amérique latine ..), pensez vous que l’on doive s’en réjouir ?
L’unilatéralisme états-unien a été stimulé par l’implosion de l’Union Soviétique. Au début des années 1990 les Américains ont cru qu’ils pouvaient tout se permettre et que le monde leur appartenait. En 2003, dans Le Grand Echiquier, Zbigniew Brzezinski a établi le progamme : établir un cordon sanitaire autour de la Russie, la couper en trois morceaux et empêcher que ne se crée un bloc géopolique européen contrebalançant la puissance états-unienne. Les deux pays utilisés pour éviter ce cauchemar étaient la Pologne et l’Ukraine. Spéculant sur un abaissement irréversible de la Russie, les Américains se sont lancés dans les opérations de conquête que l’on sait, attaque de l’Irak en 1991 et 2003, démantèlement de la Yougoslavie et tentatives de prise de contrôle politique des anciennes républiques de l’Union Soviétique. Ils combattaient des musulmans au Proche Orient tout en en soutenant d’autres dans les Balkans et le Caucase. Leur but était d’encercler la Russie et d’ essayer de faire oublier leur soutien à Israël. Le 11 septembre 2001 et la « guerre à la terreur » contre l’épouvantail Ben Laden devaient faciliter la projection militaire en Afghanistan et en Irak. Mais les expéditions militaires ont provoqué des réactions et stimulé des résistances. La croisade des démocraties derrière la bannière étoilée s’est avérée être un fiasco. Des alliés ont jetté l’éponde en Irak, la guerre en Afghanistan s’est enlisée et la politique du « nation building » en Bosnie et au Kossovo a été un fiasco. Mieux, elle a permis à la Russie de damer le pion aux Américain en Géorgie et de rendre la monnaie de la pièce du Kossovo en reconnaissant l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. La conséquence c’est que « l’ordre juridique international » sur lequel prétendaient se fonder les démocraties occidentales a été ruiné par ces mêmes démocraties. C’est tout à fait moral puisqu’elles l’interprétaient à leur façon. Le monde retourne donc à une affirmation bainvillienne des nations et des sphères d’influence.
Avec la dépréciation du dollar, l’implosion de la bulle financière, les syncopes d’une place boursière aussi emblématiques que Wall Sreet, se profile la fin du rêve de Projet pour le Nouveau Siècle Américain, le fameux « PNAC » des « néocons » . La perte de confiance chez les alliés va de pair avec l’affirmation de nouvelles puissances émergeantes comme le Brésil, l’Inde, la Chine qui ont leur mot à dire. En Amérique latine, chasse gardée de l’oncle Sam, Washington a une épine dans le pied au Venezuela, plantée par la « révolution bolivarienne » d’un Chavez qui parle au nom de tout le Cône sud et y provoque la contagion. Riche de son pétrole, Chavez peut défier le maître yankee et les peuples l’Amérique latine applaudissent.
La crise du capitalisme financier et de l’économie virtuelle détruit le mythe du progrès et de l’invincibilité de l’Occident américain au moins autant sinon plus que les échecs militaires en Irak et en Afghanistan. « L’empire est au bord de sa fin » explique Emmanuel Todd. Il n’est pas le seul. Aux Etats-Unis les analystes Charles Kupchan, Thomas Fingar, Jim Lobe, Michael Lind et maints autres commentateurs pensent que c’est le début de la fin. Le modèle américaniste est discrédité, l’économie est en récession, le moral est atteint. Un certain Andrew Bacevich a sorti un bestseller intitulé « The limits of Power. The End of American Exceptionalism » L’influence des Etats-Unis est en baisse. L’Amérique n’est plus l’avenir de l’Humanité. On le savait mais maintenant de plus en plus de learders d’opinion le disent. Bref ce « colosse aux pieds d’argile », malgré ses 761 bases militaires à travers le monde et un budget défense dépassant ceux de tous les autres pays réunis semble devoir s’écrouler.
Donc peu importe qui gagne les présidentielles. En s’excitant sur cette mascarade comme si c’était l’acte fondateur du futur la presse française montre où est sa Mecque. Que ce soit le Démocrate Obama ou le Républicain MacCain, cela n’a aucune importance et ne change rien à la suite des évènements. C’est le système global - « global » ce mot maniaque des think tank états-uniens - qui est brutalement remis en cause. Comme les tours de Manhattan la Nouvelle Carthage arrogante et belliciste est sur le point de s’écrouler. Que l’on ne compte pas sur la communication ou le marketing des sociétés de relations publiques pour inverser la tendance, un monde multipolaire est en train de surgir. Que l’on pense à tous les changements que cet ordre nouveau et l’affirmation d’un pôle géopolitique eurasiatique vont entraîner.
Comment situez vous l’Europe dans cette logique de grands espaces et quelle devrait être son rôle au sein d’un monde multipolaire ?
Les têtes officielles de l’ Europe, comme José Manuel Barroso ou Javier Solana, sont des agents américains. Venant souvent de la gauche, ils ont été lavés et reçyclés par les services compétents pour devenir les petits toutous aboyants de l’oncle Sam. Avec la crise, l’Europe de Bruxelles apparaît comme ce qu’elle est, un géant économique et un nain politique ligoté aux Etats-Unis. Depuis 1945 cette Europe, qui s’est élargie et est devenue l’Union Européenne, a été volontairement maintenue dans un état de dépendance politique et militaire que dénonçait il y a quarante deux ans déjà le Général de Gaulle. Ne voulant pas subir la loi des Anglo-Saxons ce conservateur révolutionnaire avait sorti la France du commandement militaire intégré de l’OTAN et démantelé les bases américaines. Les atlantistes prétendent que c’est le passé mais la sortie de l’OTAN et le démantèlement des bases militaires US sont au contraire l’avenir de l’Europe. Nos amis serbes pourront ainsi assister au démontage des bases américaines des entités fantoches, à la fin de Camp Bondsteel et de tous les Camp Monteith et autres Able Sentry. L’industrie d’armements européenne y gagnera. Les Etats européens qui auront le moins collaboré y gagneront. Le zèle des marionnettes de l’Amérique, de ces entités qui ont donné des boulevards à Clinton et à Bush sera sanctionné. Les juges d’aujourd’hui seront les accusés de demain. Pour avoir une idée de ce que sera cette Europe il faut lire les écrits de Jean Thiriart en les replaçant dans le contexte de notre temps.
La Russie semble sortir d’une longue hibernation et se préparer a être un acteur de premier plan. Pensez vous que ce pays a les moyens de surmonter les défis en cours ? (démographie, santé, provocations militaires occidentales, immigration chinoise très forte en Sibérie...) ? Comment jugez vous globalement la nouvelle administration Russe depuis 1999 ?
Il y a une grande différence avec la période Eltsine. Un pouvoir fort apte à la décision, une économie qui se porte mieux, une armée qui se reconstruit. Au dedans le tandem Poutine-Medvedev fonctionne bien et a gagné en popularité, au dehors la Russie est non seulement crainte et respectée mais encore elle est devenue un espoir pour tous ceux qui ne supportent plus l’hégémonie des Etats-Unis. La Russie est perçue comme la puissance susceptible de briser le monopole de Washington. Idéologiquement critiquable, le libéralisme étatique russe est un moyen pour développer une économie viable. La solution à terme étant un nouveau socialisme national de champ continental.
On peut espérer que les perspectives démographiques s’améliorent. Les mesures natalistes prises par Vladimir Poutine vont dans le bon sens. Elles devraient être renforcées. L’immigration chinoise en Sibérie correspond à un flux de main d’oeuvre difficile à éviter. Il faut le contrôler. Les Occidentaux qui font mine de s’inquiéter d’un « péril jaune » en Sibérie feraient bien de balayer devant leur porte, eux qui se sont montrés incapables de résoudre la question de l’immigration chez eux. La crise systémique où nous sommes peut faciliter la résolution de ce problème et tarir les flux migratoires, ne serait-ce que si les « pays d’accueil » deviennent moins attractifs pour des raisons économiques.
L’agressivité de l’OTAN qui depuis la fin de l’Union Soviétique cherche à encercler la Russie de la Baltique aux « Balkans d’Eurasie » en passant par les rives de la Mer Noire, aura été finalement « un mal qui entraine un bien ». Elle aura fait prendre conscience au Kremlin de la nécessité de se doter de moyens de défense à la hauteur des nouveaux défis et de nouer de nouvelles alliances. Les associations comme l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) ou Brésil Russie Inde Chine (BRIC) s’inscrivent dans cette perspective. Il était temps de contre-attaquer à ce niveau car la Russie a perdu du temps et des opportunités en particulier dans les Balkans avec la Serbie trahie sous Eltsine et mal soutenue sous Poutine jusqu’à l’affaire récente du Kossovo. Le Kossovo semble avoir été l’ électrochoc d’une Russie restée trop longtemps passive et qui commettait l’erreur de se cantonner à la diplomatie. Les Occidentaux ont longtemps pris cela pour de la faiblesse jusqu’au réveil estival de l’ « Ours Russe » en Géorgie. Une réaction liée à l’affaire du Kossovo. « Quand je dis « Kossovo » je pense « Caucase » » déclarait Poutine le 31 janvier 2006.
La grand bouleversement du prochain siècle sera probablement double : leadership mondial, économique asiatique (Chinois ?) et explosion démographique du monde musulman. Comment estimez vous compatible / incompatible ces deux éléments ?
La Chine est un monde et se considère comme le centre de la planète. Cela a toujours été ainsi et c’est la signification du terme « Empire du Milieu ». A Pékin j’ai demandé à des dirigeants chinois des instances suprêmes du Parti et de l’Etat ce qu’ils voulaient. La réponse a été claire. Nous voulons, m’ont-ils répondu, dépasser le Japon et devenir la puissance prépondérante en Asie. Ils veulent récupérer Taïwan. Ils m’ont dit aussi souhaiter une Europe plus forte et moins dépendante des Etats-Unis. Ils ont une certaine fascination pour l’Allemagne qui travaille fort et est disciplinée. Les Français sont sympathiques mais peu efficaces. Les Arabes ne sont jamais à l’heure (...). Les Anglo-américains sont les continuateurs des Guerres de l’Opium. On peut s’entendre avec les Russes. L’Organisation de Coopération de Shangaï est une sécurité pour les deux. Voilà, en résumé, comment ils voient le monde.
On a beaucoup glausé sur le nombre de Chinois, prétendu qu’ils allaient se répandre dans l’univers. La Chine n’est pas un long fleuve tranquille. Sa population d’un milliard trois cent millions d’hommes à ce que l’on dit - personne n’a vérifié mais ce qui est sûr c’est qu’ils sont nombreux... - lui pose de gros problèmes. Démographes et prévisionnistes estiment que le nombre de Chinois devrait chuter aux alentours de 2030. Ses 53 ethnies – il n’y a pas que le groupe majoritaire Han , la superficie des régions séparatistes ethniques et religieuses convoitées comme le Tibet, le Xinkiang et la Mandchourie, le fait que la majorité des Chinois soient concentrés dans la partie est du pays, tout cela nécessite le maintien d’une direction politique forte, une augmentation quantitative et qualitative du budget de la Défense et une industrialisation qui ne soit pas limitée aux seules régions côtières du Pacifique. Avec tous ces problèmes, dont un développement trop rapide et polluant n’est pas l’un des moindres, la Chine a d’autres chats à fouetter que de se lancer dans une aventure extérieure. La question la plus importante pour elle étant maintenant d’avoir accès aux énormes sources d’énergie nécessaires à son développement. Ces dernières se trouvent au Proche Orient et en Afrique.
Pour ce qui est de l’expansion démographique du monde musulman, elle est là aussi d’abord un problème pour ce monde musulman qui est, par ailleurs, loin d’être homogène. Les musulmans se tournent tous vers La Mecque pour prier et se soumettent aux règles du Coran, mais ces musulmans sont très différents. Il faut tenir compte des oppositions entre Sunnites et Schiites, ne pas confondre l’Islam avec l’intégrisme wahabbite qui vient d’Arabie Séoudite, savoir que les Arabes, qui contrôlent les principaux lieux saints de l’Islam, sont minoritaires dans l’Oumma. La majorité est faite d’autres ethnies, d’Indonésiens, de Pakistanais, de Malais, de Perses, de Turcs. Même s’ils se tournent vers La Mecque les musulmans de Russie ont aussi leurs particularités et l’on trouve chez beaucoup de musulmans une compréhension et une sympathie envers un monde orthodoxe qui n’est pas sans points de ressemblance avec l’Islam. Donc il ne faut pas se faire d’ennemis dans le monde musulman sous prétexte que certains s’y comportent mal. La direction russe l’a compris, qui a fait entrer la Fédération dans l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), collabore avec les musulmans du dedans et tend la main aux musulmans du dehors, entretenant de bonnes relations avec les pays les plus importants de l’Islam, la Turquie, l’ Iran, l’ Indonésie, le Pakistan et même l’ Arabie Séoudite.
La France (aux commandes de l’UE), et son tandem Sarkozy-Fillon, semble jouer sur un rapprochement très fort et avec la Russie et avec l’Amérique. Jugez vous cette double orientation crédible, et quel est d’après vous son sens profond ?
« Sarközy l’Américain », comme il s’est qualifié avant son élection, incarne une France amnésique, déboussolée, affaiblie par le capitalisme financier, la démocratie libérale, l’ingérence étrangère et une immigration colonisation de peuplement porteuse de conflits. A la fiche des ministres le gouvernement Sarközy-Fillon n’est pas le gouvernement de la France mais un gouvernement de l’étranger. Comme Iouchtchenko en Ukraine, Sarközy a été élu avec l’aide des Américains. La sous secrétaire d’Etat US, Karen Huyghes, l’a publiquement reconnu il y a un an avant d’être licenciée, comme l’anglais Gordon Brown et le turc Erdogan, Sarközy a fait partie d’un « programme ». On sait que sa campagne électorale a été élaborée par Boston Consulting Group, les sondages favorables étaient distillés dans la presse par OpinionWay et les résultats du ministère de l’intérieur, avant publication officielle, étaient filtrés par Level 3 Communications, une société basée à Denver, Colorado. Il faut se souvenir de ce qu’avait dit la Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice au début 2003 après le refus du précédent gouvernement Chirac-de Villepin de participer à la guerre américaine contre l’Irak : « Nous allons punir la France, ignorer l’Allemagne et pardonner à la Russie ». Le pardon à la Russie était hypocrite. Dans cette période de l’après 11 septembre 2001 les Etats-Unis faisaient semblant de croire à la participation de la Russie à la « guerre à la terreur ». Et avaient besoin de Moscou pour alimenter via la Russie leur corps expéditionnaire à Kaboul. En revanche ils en voulaient vivement à la France jusqu’à faire vider les bouteilles de vin français dans les canivaux et à rebaptiser leurs French fries « Freedom fries ». C’était l’époque où l’on évoquait la possibilité d’un axe Paris-Berlin-Moscou, un axe que Washington voulait à tout prix empêcher de voir naître pour les raisons décrites par Zbigniew Brzezinski.
Toujours est-il que Sarközy, aussi mauvais soit-il, est autant conduit par la France qu’il la conduit. Malgré ses allégeances atlantistes, malgré l’influence négative des lobbies, Sarközy dispose d’un véhicule soumis à une réalité géographique, à une constante historique et à des pesanteurs sociologiques, qui s’appelle la Nation française. Superficiel mais doué pour la communication, l’individu est opportuniste et peut très bien, s’il le juge conforme à son intérêt, changer de discours politique. On l’a vu dans l’affaire géorgienne où, à l’opposé de l’activisme forcené d’un Kouchner (aussi russophobe qu’il est serbophobe et sans doute aussi francophobe) en faveur de Saakachvili, le président de la France, président en exercice de l’Union Européenne, a arrondi les angles avec la Russie au grand dam de la Grande Bretagne, de la Pologne et des Pays Baltes. Sans doute les considérations énergétiques jouent-elles un rôle dans ce comportement mais elles n’expliquent pas tout. Malgré son penchant américaniste, Sarközy se rend bien compte, lui aussi, du déclin états-unien, il connait l’impopularité de Washington dans le monde et, sur un plan psychologique, c’est quelqu’un qui est impressionné par la force. Or aujourd’hui la force déclinante ce sont les Etats-Unis et la force montante, encore plus visible depuis la contre-attaque russe en Géorgie, c’est la Russie. L’Europe est entre les deux, géographiquement plus proche de la Russie que des Etats-Unis, et la France n’a pas fini de subir l’héritage des idées-force gaulliennes. Sarközy, malgré sa fascination pour Bush, n’a pas été très bien traîté par la presse anglo-saxonne qui le caricaturise en petit Napoléon à talonnettes et se moque de lui. En revanche il a été correctement accueilli par les dirigeants et la presse russes. Tout cela explique la déclaration de Sarközy au World Policy Center de l’IFRI à Evian début octobre en présence de Dmitri Medvedev, à savoir la désignation publique de la Géorgie de Saakachvili comme l’agresseur.
Le Pentagone semble vouloir aspirer l’Ukraine dans l’OTAN (après l’échec géorgien) et installer sa flotte dans la mer noire. Ajouté aux remous politiques en cours et aux échéances électorales proches en Ukraine, peut on imaginer un "conflit" dans ce pays et une scission en deux ou trois entités, à la manière yougoslave ?
L’ Ukraine me fait penser au Liban et à la Yougoslavie à la veille de leurs guerres civiles. On présentait ces deux derniers pays comme des modèles de cohabitation et de fraternité entre ethnies et religions et puis on sait ce qui s’est passé. On ne peut donc pas exclure un morcellement de l’Ukraine à la faveur d’une crise plus grave que les autres. Mais l’intérêt de la Russie n’est pas de faire éclater ce pays mais de voir accéder au pouvoir une direction politique qui ne soit pas hostile, c’est-à-dire qui ne fasse pas adhérer l’Ukraine à l’OTAN. Car plus que pour la Géorgie une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN serait un casus belli pour la Russie et pour s’en convaincre il suffit de regarder une carte. La Mer Noire deviendrait un lac de l’OTAN.
L’Ukraine dans l’OTAN, ce serait le départ obligatoire de la Flotte russe de Crimée. A ce moment là nous aurions les mouvements suivants : sécession immédiate de la Crimée majoritairement russe et qui a manifesté massivement contre l’OTAN ces derniers mois. Sécession de l’Est de l’Ukraine, des régions de Karkhov et dе Donetsk. Sécession de la côte autour du port d’Odessa. La jonction serait établie avec le Pridnestrovie, cette bande de territoire « russophone » appartenant aux « conflits gelés », qui longe le Dniestr sur 400 kilomètres et qui, sous le nom connu de Transnistrie, trace la frontière avec les pays roumains. Kiev pourrait se trouver dans la situation de Belgrade avec un territoire réduit et des entités qui lui échappent. On peut même imaginer que la région de Lvov (Lviv) se tourne vers la Pologne. Ce serait tout le plan des Brzezinski qui volerait en éclat. Ce plan soutenu par Soros et les fondations pour la « révolution orange » ne visait pas simplement à installer un pouvoir antirusse à Kiev, il visait aussi à souder l’Ukraine à la Pologne pour en faire un puissant cheval de Troie occidental contre la Russie. Et contrebalancer le « couple franco-allemand » jugé peu sûr et en permanence suspecté de loucher sur la Russie.
Pourriez vous conseiller aux lecteurs cinq ouvrages clefs à lire, cinq sites / blogs a consulter ?
Les livres que j’apporterais sur une île déserte ?
Le Fil de l’Epée de Charles de Gaulle, le Traité de Sociologie Générale de Vilfredo Pareto, Le Viol des Foules par la Propagande Politique de Serge Tchakotine, les Réflexions sur la Violence de Georges Sorel et Les Conséquences Politiques de la Paix de Jacques Bainville.
Pour les sites français, je consulte fréquemment :
dedefensa
réseau voltaire
zebrastationpolaire
toutsaufsarkozy
Dissonance
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Allons plus loin et parlons de la Révolution Européenne. Dans une seconde phase il faudra songer à donner consistance à cet Axe Paris-Berlin-Moscou déjà évoqué. Avant d’en arriver là, il apparaît absolument nécessaire que se constitue avec la Russie une Centrale internationale destinée à populariser dans les cercles influents l’idée d’un Bloc Géopolitique paneuropéen et à impulser dans tous les pays un mouvement d’avant-garde pour la libération nationale et l’unification de l’Europe. Il est évident que je ne parle pas ici de la petite Europe institutionnelle de l’Atlantique à la Mer Noire, qui n’est qu’une colonie américaine, mais de cette Grande Europe dont le coeur se trouve, au propre comme au figuré, en Russie et qui s’étend géographiquement de l’Atlantique au Pacifique, ou pour reprendre la formule de Jean Thiriart, de Vladivostok à Reykjavik. Dans cette attente, dans toute l’Europe résistante, nos camarades et amis suivent avec le plus grand intérêt le développement des forces qui ont déjà à leur actif le fait d’avoir fourni un cadre géopolitique conceptuel à la direction de la Russie. Ces forces doivent aller plus loin et mettre sur pied avec d’autres les structures d’un nouveau Komintern adapté aux défis des temps actuels.
Merci Yves Bataille d’avoir accepté de répondre aux questions d’Alexandre Latsa.
par -
Sur la personnalité de Jean Thiriart

Brève conférence prononcée à Milan, mai 1995
L'éclatement de la seconde guerre mondiale survient quand Jean Thiriart à 18 ans et qu'il a derrière lui une adolescence militante à l'extrême-gauche. Il vivra la toute première phase de sa vie d'adulte pendant la grande guerre civile européenne. Comme tous les hommes de sa génération, de sa tranche d'âge, il sera, par la force des choses, marqué en profondeur par la propagande européiste de l'Axe, et, plus précisément, par celle que distillait dans l'Europe occupée, la revue berlinoise Signal, éditée par le catholique européiste Giselher Wirsing, qui fera une très grande carrière dans la presse démocrate-chrétienne conservatrice après 1945. Comment cette propagande a-t-elle pu avoir de l'effet sur un garçon venu de l'“autre bord”, du camp anti-fasciste, du camp qui avait défendu les Républicains espagnols pendant la guerre civile de 36-39? Tout simplement parce que le mythe européen des nationaux-socialistes avait remplacé le mythe de l'Internationale prolétarienne, la solidarité entre Européens, prônée par Signal, ne différait pas fondamentalement, à première vue, de la solidarité entre prolétaires marxistes, car le monde extra-européen, à cet époque, ne comptait pas beaucoup dans l'imaginaire politique. Il faudra attendre la guerre du Vietnam, la décolonisation, la fin tragique de Che Guevara et l'idéologie de 68 pour hisser le tiers-mondisme au rang de mythe de la jeunesse. A cette époque, l'appel à une solidarité internationale en vaut un autre, qu'il soit national-socialiste européen ou marxiste internationaliste.
A la différence de l'internationalisme prolétarien de l'extrême-gauche belge d'avant 1940, l'“internationalisme” européiste de Signal replace la solidarité entre les nations dans un cadre plus réduit, un cadre continental, qui, du coup, apparaît plus rapidement réalisable, plus réaliste, plus compatible avec les impératifs de la Realpolitik. Plus tard, en lisant les textes de Pierre Drieu La Rochelle, ou en entendant force commentaires sur son option européiste, le jeune Thiriart acquiert la conviction que, désormais, plus aucune nation européenne ne peut prétendre s'isoler du continent et du monde sans sombrer dans un déclin misérable. Face aux puissances détentrices de grands espaces, telles les Etats-Unis ou l'URSS de Staline, les vieilles nations européennes, pauvres en terres, risquent très vite de devenir de véritables “nations prolétaires” face aux “nations riches”, clivage bien mis en exergue, dès les années 20, par Moeller van den Bruck, Karl Haushofer, et le fasciste italien Bartollotto.
En 1945, cette vision s'effondre avec le IIIième Reich et le partage de Yalta, qui se concrétise rapidement et culmine avec le blocus de Berlin et le coup de Prague en 1948. Thiriart connaît la prison pour collaboration. En 1947, il en sort et travaille dans l'entreprise d'optique de son père.
En 1952, la lecture d'un ouvrage du journaliste économique Anton Zischka frappe son imagination. Il s'intitule Afrique, complément de l'Europe et propose une fusion des potentiels européens et africains pour faire pièce aux deux grands, alors que les empires coloniaux sont encore intacts. Au même moment, Adenauer, Schumann et De Gasperi jettent les premiers fondements de l'Europe économique en forgeant un instrument, la CECA, la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier. A la suite des accords “Benelux”, les premières frontières sont supprimées entre les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Pour les anciens fidèles de l'Axe, du moins ceux dont l'engagement était essentiellement dicté par un européisme inconditionnel, ces ouvertures constituent une vengeance discrète mais réelle de leur idéologie. Mais Dien-Bien-Phu tombe en 1954, au moment où se déclenche la Guerre d'Algérie qui durera jusqu'en 1962, et avant que les premiers troubles du processus d'Indépendance du Congo n'éclatent en 1959. Cette effervescences et cette succession de tragédies jettent les européistes, toutes tendances confondues, dans le désarroi et surtout dans un contexte politique nouveau.
Thiriart croit pouvoir exploiter le mécontentement des rapatriés et des déçus de l'aventure coloniale, en se servant d'eux comme d'un levier pour mettre à bas le régime en place, accusé d'avoir été réimporté en Europe par les armées américaines et de ne pas se conformer aux intérêts réels de notre continent. Deux structures seront mises sur pied pour encadrer ce mécontentement: le MAC (Mouvement d'Action Civique) et le CADBA (Comité d'Action et de Défense des Belges d'Afrique). Après le reclassement des anciens colons belges dans de petits boulots en métropole, Thiriart perd une base mais conserve suffisamment d'éléments dynamiques pour lancer son mouvement «Jeune Europe», qui ne dissimule plus ses objectifs: œuvrer sans relâche à l'avènement d'un bloc européen, débarrassé des tutelles américaine et soviétique. Pour atteindre cet objectif, Jeune Europe suggère essentiellement une géopolitique et un “physique politique”. Avec ces deux batteries d'instruments, l'organisation compte former une élite politique insensible aux engouements idéologiques circonstantiels, affirmatrice du politique pur.
Sur le plan géopolitique, Jeune Europe, surtout Thiriart lui-même, élaborera des scénarii alternatifs, visant à long terme à dégager l'Europe de ses assujettissements. C'est ainsi que l'on a vu Thiriart proposer une alliance entre l'Europe et le monde arabe, afin de chasser la 6ième Flotte américaine de la Méditerranée, à donner aux industries européennes de nouveaux débouchés et à la forteresse Europe une profondeur stratégique afro-méditerranéenne. Ensuite, Thiriart envisage une alliance entre l'Europe et la Chine, afin d'obliger l'URSS à ouvrir un second front et à lâcher du lest en Europe de l'Est. Mais cette idée d'alliance euro-chinoise sera reprise rapidement par les Etats-Unis: en 1971, Kissinger s'en va négocier à Pékin; en 1972, Richard Nixon est dans la capitale chinoise pour normaliser les rapports sino-américains et faire pression sur l'URSS. Surtout parce que les Etats-Unis cherchaient à mieux contrôler à leur profit les mines du Katanga (le Shaba actuel), même contre leurs alliés belges, Thiriart avait sans cesse dénoncé Washington comme l'ennemi principal dans le duopole de Yalta; il ne pouvait admettre le nouveau tandem sino-américain. Dès 1972, Thiriart préconise une alliance URSS/Europe, qui, malgré le duopole de Yalta, était perceptible en filigrane dans ces textes des années 60. Thiriart avait notamment critiqué la formule de Charles De Gaulle («L'Europe jusqu'à l'Oural»), estimant que l'ensemble russo-soviétique ne pouvait pas être morcelé, devait être pensé dans sa totalité, et que, finalement, dans l'histoire, le tracé des Monts Ourals n'avait jamais constitué un obstacle aux invasions hunniques, mongoles, tatars, etc. L'idée d'une «Europe jusqu'à l'Oural» était un bricolage irréaliste. Si l'Europe devait se réconcilier avec l'URSS, elle devait porter ses frontières sur le fleuve Amour, le Détroit de Béring et les rives du Pacifique.
Mais durant toute la décennie 70, Thiriart s'est consacré à l'optique, s'est retiré complètement de l'arène politique. Il n'a pu peaufiner sa pensée géopolitique que très lentement. En 1987, cependant, une équipe de journalistes américains de la revue et de la télévision “Plain Truth” (Californie), débarque à Bruxelles et interroge Thiriart sur sa vision de l'Europe. Il développe, au cours de cet interview, une vision très mûre et très claire de l'état géopolitique de notre planète, à la veille de la disparition du Rideau de Fer, du Mur de Berlin et de l'effondrement soviétique. Les Etats-Unis restent l'ennemi principal, mais Thiriart leur suggère un projet viable: abandon de la manie de diaboliser puérilement leurs adversaires, deal en Amérique latine, abandon de la démesure, efforts pour avoir des balances commerciales équilibrées, etc. Thiriart parle un langage très lucide, jette les bases d'une pratique diplomatique raisonnable et éclairée, mais ferme et résolue.Robert Steuckers http://www.voxnr.com -
Erdogan, perdu corps et bien…
28 novembre 2012 – Il ne faut pas craindre les acronymes… Zbigniew Brzezinski ayant décidé de parler du «The Role of the West in the Complex Post-Hegemonic World», il nous a paru bienvenu et bureaucratiquement de bon aloi de comprimer l’essentiel de son intervention à l’acronyme CPHW (« Complex Post-Hegemonic World). Avec cette expression, Brzezinski nous dit exactement ce dont il s’agit : les USA ne peuvent plus assurer une hégémonie sur le monde, le bloc BAO pas davantage, et d’ailleurs personne non plus en-dehors de cela, – ni la Chine, ni la Russie, etc. Nous sommes donc passés, depuis la fin de la guerre froide, de l’“hyperpuissance” seule au monde multipolaire, au G2 (USA + Chine), à la Chine seule, à rien du tout sinon le désordre… Car c’est bien cela que nous dit Brzezinski. Complémentairement mais non accessoirement, il nous dit que la révolte des peuples, ou l’“insurrection du monde”, est en marche et que cela marche bien.
C’est Paul Joseph Watson, de Infowars.com, qui nous informe de l'intervention du vieux guerrier devenu sage, le 26 novembre 2012. Ce que nous dit Brzezinski est sans aucun doute très intéressant.
«During a recent speech in Poland, former US National Security Advisor Zbigniew Brzezinski warned fellow elitists that a worldwide “resistance” movement to “external control” driven by “populist activism” is threatening to derail the move towards a new world order. Calling the notion that the 21st century is the American century a “shared delusion,” Brzezinski stated that American domination was no longer possible because of an accelerating social change driven by “instant mass communications such as radio, television and the Internet,” which have been cumulatively stimulating “a universal awakening of mass political consciousness.”
»The former US National Security Advisor added that this “rise in worldwide populist activism is proving inimical to external domination of the kind that prevailed in the age of colonialism and imperialism.” Brzezinski concluded that “persistent and highly motivated populist resistance of politically awakened and historically resentful peoples to external control has proven to be increasingly difficult to suppress.”»
Brzezinski est une “vieille crapule” du temps de la guerre froide mais bon observateur, à peu près aussi finaud à cet égard que l’autre “vieille crapule” Kissinger, bien que les deux hommes se détestent comme s’entendent à le faire deux assolute prime donne. On observera que Brzezinski donne une leçon de lucidité à tous les pseudo-penseurs et simili-experts de nos diplomaties du bloc BAO de la génération actuellement opérationnelle, tous ces pseudos-similis enfermées dans la politique-Système et leur affectivité de midinette perdue dans les couloirs de l’ONU, sans savoir qu’ils s’y trouvent (enfermés dans le Système et perdus dans les couloirs). Lui, Brzezinski, semble bien se douter de quelque chose, à propos de cet enfermement et de ce vagabondage sentimentalo-hystérique…
Il est intéressant de noter qu’il introduit le terme de “post-hégémonique”, signifiant que plus personne ne peut exercer sérieusement une hégémonie en tant que telle, d’un poids et d’une ambitions significatifs, impliquant le contrôle géopolitique d’une région, d’une alliance, d’un empire, – “du monde” enfin, pour faire bref, à la manière d’un neocon du bon vieux temps virtualiste de GW à l’ombre de 9/11. Nous ne sommes pas, nous à dedefensa.org, étonnés ni surpris par la nouvelle
En fait, nous dit Brzezinski, le monde est devenu trop compliqué (le “monde complexe post-hégémonique”), et cette situation dans le désordre le plus complet, pour encore répondre aux lois de la géopolitique ; en cela, nous signifiant, lui, Brzezinski, le géopoliticien glacé et implacable, que l’ère de la géopolitique est close et que lui succède, ou lui a déjà succédé, quelque chose comme l’ère de la communication. En l’occurrence, nous ne sommes pas plus étonnés ni surpris, et nous avons déjà pris la résolution, depuis un certain temps, de proposer de nommer l’ère succédant à l’ère géopolitique, du nom d’“ère psychopolitique”. Brzezinski s’empresse de s’expliquer dans ce sens, en citant des forces en action, en vrac mais se référant toutes au système de la communication et, implicitement, à l’action de ce système sur la psychologie, – «an accelerating social change driven by “instant mass communications such as radio, television and the Internet,” which have been cumulatively stimulating “a universal awakening of mass political consciousness”».
Essayez de décompter le nombre de divisions que représentent les “réseaux sociaux” ou le “réveil d’une conscience politique de masse” ; aucune possibilité de traduire cela en termes géopolitiques, en espace à conquérir ou à contrôler, grâce à l’influence dominée par la quincaillerie ; par conséquent, fin de l’ère géopolitique, développement de l’ère psychopolitique, déclin accéléré du système du technologisme, affirmation générale du système de la communication… Ce pourquoi, constate Brzezinski, dans la première phrase de son raisonnement politique, – ridiculisant presque ceux (les neocons) qui avaient lancé le slogan d’un New American Century, – ce pourquoi l’idée d’une nouveau “siècle américain” avec le XXIème siècle est au mieux une “désillusion”, ou, de façon plus réaliste, une complète et trompeuse illusion devenue une erreur fatale dans la façon que cette illusion conduit encore certaines politiques et certaines conceptions.
… D’où le salut de reconnaissance, contraint et sans la moindre complaisance, de Brzezinski à ces nouvelles forces qui s’affirment partout avec fracas, cette pression populaire (le populisme) s’affirmant non par des révolutions, des émeutes, des grèves insurrectionnelles, etc., mais des “événements de communication”, c’est-à-dire des masses révolutionnaires sans révolution, des émeutes sans renversement de gouvernement, des grèves insurrectionnelles sans insurrection. L’important est l’écho de communication qu’on crée, qui paralyse les pouvoirs comme le “regard” du crotale fascine sa proie, qui pousse un vieux dictateur à la démission, qui conduit à infléchir la politique courante jusqu’à faire une autre politique, qui bouleverse les relations stratégiques les mieux établies par la seule crainte que cet écho introduit dans les esprits de dirigeants dont la psychologie reste sans réaction. Bien entendu, tout cela devient un obstacle énorme sur la voie de “la gouvernance mondiale”, expression sans aucune substance désignant, comme mille autres, le Système en action, et citée implicitement par Brzezinski devant son auditoire complice comme la référence de ses propres préoccupations.
Brzezinski a donc bien compris que les nouvelles forces du système de la communication sont fondamentalement antiSystème, par “effet-Janus” en mode turbo. L’on notera certes qu’il s’adresse à ses amis en vrai “globaliste”, c’est-à-dire ayant intégré que l’ensemble US et d’influence US s’est quelque peu transformé en un “bloc” où nul, là non plus, n’assure vraiment une hégémonie. Il s’agit bien sûr de “notre” bloc américaniste-occidentaliste (bloc BAO), et Brzezinski a compris que ce n’est plus un faux nez pour les USA, que ce temps-là a passé, mais qu’il s’agit bien du cœur du regroupement général auquel les “globalistes” voudraient nous confier… Il semble que ce soit de plus en plus, selon Zbig, le grondement des populations en fureur qui se charge de répondre à cette proposition globalisante.
Et puis, à ce point, changement complet… (De notre commentaire et de son orientation.)
De BHL à Alex Jones
Watson présentait son texte en “précisant” (drôle de précision) «During a recent speech in Poland […] The remarks were made at an event for the European Forum For New Ideas (EFNI), an organization that advocates the transformation of the European Union into an anti-democratic federal superstate, the very type of bureaucratic “external control” Brzezinski stressed was in jeopardy in his lecture…»
L’on découvre que le discours a été donné le 27 septembre, à Sopot, en Pologne, pour ce qui semble être la deuxième grande fiesta européaniste et transatlantique de ce riche institut polonais qu’est donc cet EFNI (European Forum for New Ideas, – vaste programme) ; rassemblant des pipole du calibre habituel du très haut de gamme (BHL était invité, c’est dire tout à ce propos), mais aussi des représentants du corporate power, présents nominalement et avec le portefeuille bien garni, et même des groupements d’ONG… (Par exemple, extrait du “carton d’invitation”… «Lech Walesa Institute’s Civic Academy, Intel Business Challenge Europe, a technology business plan competition for young entrepreneurs and Konkordia, the European cooperation forum of non-governmental organizations.») Dès le 27 septembre 2012 en fin de soirée, le journal Gazeta Swietojanska mettait sur YouTube un DVD de l’intervention de Brzezinski. Ensuite, rien de remarquable à signaler, le texte rendu public ne retient guère l’attention et reste limité à la Pologne. En fait, l’événement serait plutôt marqué par une occurrence de type mondain bien identifié, probablement de nature à impressionner fortement BHL : la présentation d’un documentaire sur la vie de Brzezinski présenté lors du même séminaire de Sopot.
Deux mois plus tard, le discours resurgit. Comment, par quel canal ? On peut tout imaginer, d'autant que le document n'est pas secret, et il nous semble que les circonstances les plus banales et les plus simples sont les plus probables, jusqu’au moment où un œil intéressé “découvre” la possibilité d’exploitation du discours. Cette fois, le document est arrivé dans de bonnes mains, celles d’un polémiste anti-globalisation, qui voit dans Brzezinski un des inspirateurs de la globalisation et qui l’entend pourtant annoncer que les obstacles sur la voie de la globalisation, et notamment le “populisme” et les réactions populaires, semblent de plus en plus insurmontables (c’est cela qui intéresse Watson). Le site Infowars.com a une très forte popularité et le texte est repris sur de nombreux autres sites. Le 26 novembre 2012 un DVD est mis en ligne comme une nouveauté alors qu’il s’agit du même document que celui qui fut mis en ligne le 27 septembre. Les déclarations de Brzezinski sont jugées tellement intéressantes qu’elles sont même reprises… en Pologne, – où elles étaient pourtant d’accès direct depuis deux mois, – notamment par des sites activistes (voir le site AC24, le 26 novembre 2012). Le 27 novembre 2012, Infowars.com en tant que tel (c’est-à-dire essentiellement Alex Jones, le directeur et l’inspirateur de l’organisation) lance à partir de ce texte de citation de Brzezinski un véritable appel aux armes et à la mobilisation, relayé par Planet Infowars, par Prometheus enchained, etc. :
«Resist! Hold The Line! (…) We are winning. The elemental force that is the Freedom Movement is winning the war. It may not seem it at first glance, with the expansion of the police and surveillance states and the slew of federal schemes and plots being announced and implemented, but we are winning. How can I justify a statement like this? I have taken if from the horse’s mouth…Zbigniew Brzezinski…»
Désormais, les déclarations de Brzezinski sont un événement dans l'information concernant l’évolution des relations internationales, dans le monde de l’information et du commentaire alternatifs, alors qu’elles sont disponibles depuis deux mois. Au reste, elles sont assez intéressantes pour être de toutes les façons un événement, le 27 septembre ou le 26 novembre (pourvu, disons, qu’on reste dans le même semestre, la chose tient la route). Ce qui importe en l’occurrence, c’est le moment que choisit le système de la communication pour s’emparer de la déclaration et l’exploiter à mesure… Nous parlons sans hésitation ni ambiguïté d’un “système” (celui de la communication) qui choisit, selon la circonstance bien plus que selon des manigances humaines. Cela, pour dire également notre conviction que c’est effectivement ce qu’on nomme “un concours de circonstances” qui a d’abord animé le voyage de la déclaration semi-publique mais effectivement rendue publique de Brezinski, de Sopot, en Pologne, jusque vers le Texas, dans les bureaux de Watson et d’Alex Jones, avant d’être perçu par des relayeurs sur sa valeur effective de communication politique, et relayé finalement vers sa destination finale dans le but désormais explicite de l’exploiter comme on voit faire actuellement.
Le cas est intéressant parce que nous sommes au départ dans un domaine fortement réglementé et soumis à des processus très précis, aussi bien du côté de l’“émetteur” (le conférencier Brzezinski) que de l’utilisateur (l’auditoire “globalisant”-complice, la presse-Système, le monde politique), et que l’on voit ainsi in vivo l’intervention semeuse de désordre du système de la communication. Des éléments comme l’influence dans les milieux de la communication et alternatifs antiSystème, la capacité de jugement pour l’utilisation subversive, la perception de l’effet de communication, l’opportunité de l’utilisation, le point de vue “engagé”, etc., ont joué un rôle primordial. Ce n’est pas l’“émetteur”, le producteur d’action (ou d’information, dans ce cas) qui mène le jeu, mais l’utilisateur, et un utilisateur par effraction, qui s'impose. Cet utilisateur imposteur (dans le meilleur sens, plutôt celui de Thomas l'imposteur) agit en fonction de critères qui lui sont propres, hors de toute considération factuelle habituelle, selon l'appréciation rationnelle dont le Système fait son mie, – le fait que, dès qu’elle est dite, cette déclaration devrait être exploitée et commentée ou bien qu’elle ne le serait jamais, ni exploitée, ni commentée comme on voit aujourd'hui. (Et cela vaut quel que soit l’avis ou le sentiment de l’“émetteur”… Peut-être Brzezinski, s’il l’apprend, sera très satisfait qu’on fasse un tel écho à ses déclarations, même s’il est en désaccord avec les commentaires, disons par simple satisfaction personnelle et un peu vaniteuse, et goût de la notoriété… Ce point n’a pas de rapport de cause à effet direct avec le cas de l’exploitation par le système de la communication qu’on expose.)
C’est bien là qu’on voit la fin de l’ère géopolitique : la puissance (celle de la géopolitique) ne disposant plus de tous les atouts, elle ne peut plus s’imposer en rien parce que les règles qui lui permettaient de faire valoir sa force sont changées. Dans le cas exposé ici, la puissance brute, c’est Brzezinski et son prestige, le statut et l’influence des réseaux où s’inscrit l’EFNI, avec BHL et tout son cirque. Du point de vue de la disposition des circonstances originelles, de l’utilisation des “concours de circonstances”, c’est pourtant le système de la communication (représenté par les Alex Jones et consort) qui règne… C’est le système de la communication, lui qui est d’habitude plutôt “au service” ou “à l’affut” des informations et de ceux qui les émettent, qui est dans ce cas maître du jeu. Quoi qu’il en soit des intentions des uns et des autres, et des circonstances également, l’impulsion de la déstabilisation et de la déstructuration du Système, la marche de la dissolution du même, sont au rendez-vous.
Une présentation plus appuyée mais conformes des déclarations de Brzezinski le 27 septembre auraient eu beaucoup moins d’effets antiSystème que dans le cas présent, où elles sont tombées dans le domaine d’un “complotiste”, d’un spécialiste de la sensation, d’un anti-globalisation et ainsi de suite. L’écho n’est pas important dans la presse-Système, mais la presse-Système n’a plus aucune importance pour nous, du point de vue du crédit, de sa capacité d’influence, de sa substance même, devenue aussi décisive dans le vent de la crise que le papier qui la porte. Bien plus intéressante est la voie actuelle, parce que les déclarations de Brzezinski, d’un poids réel, ont un très fort pouvoir de polémique lorsqu’elles sont bien utilisées… Zbig comme nous l’avons compris, ou interprété, a raison : nous sommes dans l’ère de la communication, ou ère psychopolitique, et cela depuis un certain temps déjà. Comme nous l’avons souvent dit, dans cette nouvelle “ère”, la fonction antiSystème est variable, diverse et multiple, et peut s’emparer de médias et de messagers inattendus lorsque les circonstances s’y prêtent. En l’occurrence, Brzezinski joue un rôle antiSystème, aussi bien qu’un Alex Jones appelant aux armes. On ne demande son avis, ni à l’un, ni à l’autre, car ainsi en a décidé le système de la communication dans l’ère psychopolitique. Cela ne veut pas dire que la révolution est pour demain, cela veut dire que l’évolution vers la déstructuration et la dissolution du Système progresse toujours plus et accélère encore, plus que jamais.
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“Je pense que la Russie aurait toute sa place dans une Europe des Nations” (B.Gollnisch)
Le site francophone La voix de la Russie a publié en deux temps, les 28 et 30 novembre, l’entretien que leur a accordé Bruno Gollnisch le mois dernier. Nous le reproduisons ici in extenso. Coïncidence des dates, l’édition anglaise du célèbre quotidien de l’ère soviétique, La Pravda, mettait en ligne sur son site le 27 novembre un entretien avec Jean-Marie Le Pen, dont la traduction française est disponible sur le site NPI - http://www.nationspresse.info/?p=194604. Une occasion de constater une nouvelle fois la convergence de vue entre le président d’honneur du FN et Bruno sur les questions géopolitiques notamment : les révolutions arabes, le rôle et le poids des Etats-Unis, la Russie et l’UE…
« Militairement affirme ainsi Jean-Marie Le Pen dans La Pravda, les Etats-Unis cherchent à nuire au positionnement des autres puissances régionales telles que la Russie. On le voit aujourd’hui en Syrie où s’affrontent à l’ONU les conceptions russes et chinoises du respect des pouvoirs établis et le soutien américain et occidental des insurrections aux motivations le plus souvent extrémistes et dangereuses. Ces insurrections ont conduit au pouvoir en Tunisie, en Égypte et en Libye des islamistes et amené en Irak l’anarchie et un éclatement ethnique complet (…). »
« Comme un des slogans des rebelles syriens l’illustre : les chrétiens au Liban et les alaouites au cimetière . Mais les soutiens occidentaux de la subversion préfèrent alors se boucher les oreilles…La politique russe en la matière est bien plus censée : elle respecte la souveraineté et l’intégrité des Etats tout en étant réaliste puisque préférant la stabilité au chaos. »
Le président d’honneur du FN souligne également qu’il « milite pour la réalisation d’un ensemble harmonieux et animé par la volonté d’un destin commun sur l’ensemble de l’espace boréal, allant de Brest à Vladivostok. La Russie et les Europes centrale et occidentale ont de nombreux points communs et de nombreuses convergences d’intérêts. »
« Face à un monde de plus en plus instable poursuit-il, en pleine explosion démographique alors que nous connaissons pour notre part un hiver démographique sans précédent et suicidaire, il est certain que notre civilisation européenne y trouverait un outil de salut. Mais il n’en va pas de l’intérêt de ce qui reste la première puissance mondiale, les Etats-Unis, ni des firmes internationales, il est donc évident que les castes aux pouvoir s’y opposeront de toutes leurs forces… »
Vous lirez ci-dessous, le contenu de l’entretien réalisé par La voix de la Russie avec « l’un des cadres parmi les plus importants » du FN, Bruno Gollnisch
Laurent Brayard, La Voix de la Russie : Bonjour Monsieur Bruno Gollnisch, vous êtes député européen et Conseiller régional de Rhône-Alpes, vous avez été député du Rhône et vous êtes l’un des personnages politiques parmi les plus influents au Front National dirigé par Madame Marine le Pen. Votre parcours d’études et universitaire est très brillant et vous êtes titulaires de nombreux diplômes, en plus d’être un spécialiste avéré et reconnu de l’Extrême-Orient. Ai-je bien résumé ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous-mêmes ?
Bruno Gollnisch :Voilà un résumé flatteur, et j’aimerais avoir la notoriété et l’influence que vous me prêtez !
Disons, pour préciser votre présentation, que j’étais d’abord un juriste, spécialisé en droit public, international et comparé. Et, en particulier, dans le droit des pays. J’ai exercé un temps la profession d’avocat. L’essentiel de ma carrière est cependant universitaire, en droit international et comparé et surtout en relation avec l’Extrême-Orient, et notamment le Japon.
Mon engagement politique a commencé à travers le drame de l’Algérie française. Etudiant à Nanterre en 1968, j’ai été secrétaire général de la Fédération nationale des Etudiants de France, opposée aux mouvements gauchistes qui faisaient rage à l’époque dans l’université française. Ce n’est qu’en 1984, alors doyen de la faculté de langues de Lyon, que j’ai officiellement rejoint Jean-Marie Le Pen et le Front National. Sans cesser d’enseigner, j’ai par la suite exercé diverses fonctions dans le mouvement (secrétaire général, délégué général, vice-président…) ainsi que les mandats que vous mentionnez.
Je suis également officier de réserve dans la marine nationale.
La Voix de la Russie : C’est au député européen que je m’adresse, vous occupez un siège dans le parlement européen depuis 1989 et votre expérience est donc très importante. Vous n’êtes pas sans savoir les événements qui secouent l’Europe notamment la crise monétaire dans la zone euro, que pensez-vous de cette situation ? L’Europe peut poursuivre et surmonter cette lame de fond ?
Bruno Gollnisch :Nous avons dès 1992 (traité de Maastricht), été hostiles au projet de monnaie unique. D’abord, bien évidemment, parce qu’elle prive les nations d’un de leurs principaux attributs de souveraineté : le droit de battre monnaie. Ensuite pour son irrationalité économique : l’euro a été conçu comme un outil idéologique supposé mener mécaniquement à une union politique, et qui n’a au bout du compte profité qu’à l’Allemagne.
Ce qui devait arriver est arrivé : un choc extérieur ayant des effets asymétriques sur les Etats membres de la zone euro a encore amplifié les divergences et mené à la catastrophe.
Aujourd’hui, la crise sert de prétexte à la mise sous tutelle des souverainetés budgétaires et fiscales nationales, au nom d’une prétendue « gouvernance économique », à travers pas moins de huit textes, un Pacte et un nouveau traité.
L’euro monnaie unique ne peut pas fonctionner sans la création d’un super-Etat européen doté d’un budget important, ce que les peuples européens refusent, ou du moins refuseraient massivement si on leur demandait leur avis. C’est pourquoi nous proposons d’organiser une sortie concertée de l’euro et un retour aux monnaies nationales. Afin d’éviter le pire.
La Voix de la Russie : L’Europe semble déjà à la limite de l’implosion, d’autres candidats restent toutefois sur les rangs, malgré que certains pays renoncent à une entrée dans la zone monétaire européenne, pour le moment. Dans les Balkans, nous pensons aux candidats potentiels qui voudraient sans doute pousser les portes de l’Europe, et nous connaissons la dualité qui existe en Ukraine, et en Moldavie sur la tentation européenne. De votre avis, où l’Europe dite des Nations doit-elle s’arrêter ?
Bruno Gollnisch : Une véritable Europe des Nations souveraines, fondée sur des coopérations ciblées, concrètes et mutuellement profitables, au choix et selon les intérêts de chaque Etat, et sans institutions bureaucratique supranationale, a vocation à s’étendre à l’ensemble des pays d’Europe. J’entends par Europe une aire géographique définie, et pour paraphraser De Gaulle, de peuplement majoritairement blanc, de culture gréco-latine et de religion chrétienne. La Russie y aurait sa place, mais pas la Turquie.
En revanche, l’Union européenne telle qu’elle est conçue et qu’elle évolue est une prison des peuples et des nations. Je comprends bien que pour certains Etats, l’appartenance à l’Union est un mirage financier et économique et reste un gage d’ancrage définitif à l’Europe occidentale et aux Etats-Unis. Mais je ne saurais trop mettre en garde ces pays sur la perte d’indépendance et d’identité que cela représente. Les coûts sont énormes pour des avantages très temporaires. Les Grecs, les Irlandais, les Portugais en ont fait l’amère expérience.
La Voix de la Russie :Il y a peu nous avons vu le cas difficile des Roms, les expulsions, mais aussi les émeutes à Amiens qui montrent une fois encore que les migrants sont mal intégrés à la société française ou tout simplement ce qui est moins dit, n’ont pas l’intention avérée de se fondre dans la civilisation française, pensez-vous que la France et l’Europe d’ailleurs, sont en mesure de régler ce problème de fond ?
Bruno Gollnisch :C’est effectivement un grave problème : les nouveaux immigrants, et même les enfants des vagues d’immigration non-européenne précédentes, revendiquent désormais haut et fort leur non intégration, la pratique du mode de vie de leur pays d’origine, voire le respect de ces pratiques par les populations autochtones. Certains vont jusqu’à exprimer leur haine de leur pays d’accueil par la violence terroriste.
La résolution de ce problème passe d’abord par un arrêt de l’immigration ; ensuite par une réforme de notre code de la nationalité que l’on doit fonder sur la filiation, ce que l’on appelle le « droit du sang » ou la manifestation expresse d’une volonté de naturalisation étayée par des preuves concrètes d’assimilation. Et enfin, il faudra bien songer à mettre certains immigrés devant leur contradiction : si le pays qui les a accueillis est cet enfer raciste et discriminatoire qu’ils se plaisent à décrire, qu’ils n’hésitent pas à rentrer chez eux, nous ne les retenons pas !
La Voix de la Russie : Avec les printemps arabe, nous avons vu dans l’actualité une recrudescence de naufrages de coques de noix, les nouveaux « Boat-peoples », ainsi que l’arrivée massive de migrants dans les îles italiennes de Méditerranée, Lampedusa est souvent citée, pensez-vous que la France pourrait être en mesure de refonder la protection de ses frontières ?
Bruno Gollnisch : Rétablir les contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne est une priorité et ce n’est qu’une question de volonté politique. Cela a été fait, sous couvert des clauses de sauvegarde « Schengen », au moment des débarquements massifs à Lampedusa que vous évoquez. Ce rétablissement des contrôles aurait d’abord un effet dissuasif : tout candidat à l’immigration illégale sait aujourd’hui qu’une fois entré en n’importe quel point de l’Union européenne, il peut facilement « se fondre » dans la nature et arriver dans le pays qu’il souhaite. Expulsé, le cas échéant, il est d’abord renvoyé dans le pays d’entrée, c’est-à-dire toujours dans l’Union européenne. C’est un système absurde.
La Voix de la Russie :Il existe un problème de visa actuellement entre la France, l’Europe et la Fédération de Russie, je suis moi-même « victime » de cette situation, les citoyens russes ayant de la peine à obtenir les fameux visas, notamment de tourisme, et les citoyens français au moins autant à obtenir les sésames pour venir dans la Fédération de Russie. Il a été souvent question des négociations entre l’Europe et cette dernière quant à l’abolition du régime des visas, j’entends bien sûr de tourisme, mais les choses trainent en longueur depuis des années, que pensez-vous de ce problème ?
Bruno Gollnisch : Il est en effet absurde qu’une libéralisation des visas de court séjour ait été obtenue par des pays comme l’Albanie et n’avance pas plus vite avec la Russie. Ceci posé, je crois que pour le bien de chacun, des visas devraient rester requis pour des séjours plus longs et d’autres raisons de voyage : la prise en compte des convenances personnelles part sans doute d’un bon sentiment, mais je ne fais pas partie de ceux qui croient que la liberté totale et sans contrôle de circuler et de s’installer où bon lui semble fasse partie des droits imprescriptibles de l’homme. Question de cohérence. Chaque Etat souverain doit pouvoir décider qui et à quelles conditions peut entrer et séjourner sur son territoire.
La Voix de la Russie : Je ne sais pas si vous connaissez la Russie ou certains pays de l’espace ancien de l’Union Soviétique, mais en tant qu’habitant de la Russie et de Moscou, j’ai souvent l’impression que la France prend à la légère la Russie et qu’une incompréhension regrettable est présente entre les deux mondes. De votre avis personnel, les relations franco-russes ne devraient-elles pas faire l’objet de plus d’attention de la part de la France ? Quelle est l’opinion générale au Front National, sur le thème de la Russie ? Ne devrait-elle pas se trouver un partenaire plus étroit de la France ?
Bruno Gollnisch : Vous prêchez un convaincu ! Ma sympathie pour la Russie est sans doute un héritage de famille : mon arrière-grand-père, ministre des affaires étrangères à la fin du XIXème siècle, a été l’initiateur de l’alliance franco-russe !
Je pense que la Russie aurait toute sa place dans une Europe des Nations. Nous avons besoin d’elle pour équilibrer la prépondérance excessive de Washington, lutter contre le Mondialisme, concevoir ensemble des projets de développement scientifiques, culturels, énergétiques, industriels.
Je reste effaré de l’hostilité manifestée au Parlement européen à la Russie qui semble être devenue un adversaire au moment où elle cessait d’être l’Union soviétique, et surtout depuis l’accession de Vladimir Poutine au pouvoir. Trop patriote sans doute aux yeux de gens qui ne jurent que par la mondialisation heureuse et l’indifférenciation des peuples.
La Voix de la Russie : Ma dernière question portera sur les événements syriens et des printemps arabes, vous n’êtes pas sans ignorer non plus la divergence de position entre la France et la Russie sur ce point. J’aimerais que vous nous donniez personnellement votre sentiment à vous, sur la crise terrible qui secoue la Syrie et sur la politique qui a été menée et qui est menée par les gouvernements français, notamment de Messieurs Sarkozy et Hollande ?
Bruno Gollnisch : Sur ces questions, nous avons encore été ceux qui ont alerté sur les conséquences prévisibles de ces printemps arabes, déjà devenus quasi-hivers islamistes. Nous pensons que le gouvernement français joue avec le feu dans cette tentative de déstabilisation de la région. Je remarque au passage la schizophrénie dudit gouvernement, qui prétend combattre avec la plus grande fermeté l’islamisme radical en France mais soutien, directement ou indirectement, les djihadistes à l’étranger, y compris des « Français » venus en Syrie faire la guerre sainte et instaurer un régime fondé sur la Charia.
Certes, le régime de Bachar el-Assad n’est pas un exemple de démocratie parlementaire, mais il me semble qu’il est perfectible. Il n’était pas hostile à « l’Occident », il a assuré jusqu’à récemment la stabilité des communautés vivant sur son territoire et notamment garanti aux communautés chrétiennes, parce qu’il est laïc, une tranquillité sans équivalent aujourd’hui en Orient. C’est une problématique à laquelle je suis particulièrement sensible.
Tout n’est pas noir ou blanc, comme on voudrait nous le faire croire, et l’attitude mesurée des Etats-Unis et d’Israël sur ce dossier devrait alerter même les plus obtus de nos politiciens.
Laurent Brayard, La Voix de la Russie : Monsieur Bruno Gollnisch, il ne me reste plus qu’à vous remercier d’avoir bien voulu répondre à nos questions pour La Voix de la Russie et d’avoir donné à nos lecteurs un peu de votre temps, nous vous en remercions chaleureusement et nous espérons parfois vous retrouver parmi nos lecteurs ! Merci à vous.
Bruno Gollnisch : C’est moi qui vous remercie.
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Où vont la Syrie et le Moyen-Orient ?, par Aymeric CHAUPRADE
Comprendre la géopolitique du Moyen-Orient c’est comprendre la combinaison de multiples forces. Nous allons voir qu’il faut faut envisager au moins la combinaison de 3 logiques :
- les forces intérieures qui s’affrontent à l’intérieur d’un même État, comme la Syrie, l’Irak ou la Libye. Des conflits ethniques (Kurdes et Arabes), ou confessionnels anciens (chiites, sunnites, Alaouites, chrétiens…).
- les logiques d’influence des grands acteurs de puissance régionaux (l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Qatar, Israël, la Turquie, l’Égypte…) et la façon dont ces acteurs utilisent les logiques communautaires dans les États où ils essaient d’imposer leur influence (Liban, Syrie, Irak)
- le jeu des grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, France, UK…) et en particulier la géopolitique du pétrole et du gaz.
À cette analyse géopolitique, il faut être capable de marier une analyse de science politique, et de comprendre en particulier ce qui se passe sur le plan des nouveaux courants idéologiques du monde arabe ou bien sur le plan de la légitimité des régimes politiques qui tremblent.
Par ailleurs il ne faut surtout pas avoir l’idée que les dynamiques qui secouent le Moyen-Orient sont très récentes. Il n’y a jamais eu de stabilité au Moyen-Orient dans les frontières que nous connaissons aujourd’hui. Si les Anciens parlaient à propos des colonisations et protectorats de pacification ce n’est pas pour rien. Seules les structures impériales, que ce soit l’Empire ottoman ou les Empires occidentaux, ou même dans une certaine mesure la Guerre froide entre l’Ouest et l’Est, ont en réalité gelé momentanément les affrontements claniques, tribaux, ethniques et confessionnels du Sahara jusqu’aux déserts d’Arabie en passant par le Croissant Fertile.
En réalité, il y a là une constante à peu près universelle. Là de véritables États-nation homogènes n’ont pu se former, la guerre civile est devenu une sorte d’état instable permanent.
Pour comprendre ce qui se passe en Syrie et les perspectives, je vais commencer par inscrire notre réflexion dans une trame globale.
Les États-Unis et leurs alliés sont sortis vainqueurs de l’affrontement bipolaire en 1990 et l’effondrement de l’URSS a rendu possible, à la fois l’extension de la mondialisation libérale à de nombreux pays du monde, et des transformations géopolitiques majeures comme la réunification de l’Allemagne et l’explosion de la Yougoslavie.
Les États-Unis ont tenté alors, portés par cette dynamique, d’accélérer le plus possible ce phénomène et d’imposer l’unipolarité, c’est-à-dire un monde centré sur leur domination géopolitique, économique, culturelle (softpower).
Ils se sont appuyés sur le droit d’ingérence face aux purifications ethniques ou aux dictatures, comme sur la lutte contre l’islamisme radical (depuis le 11 septembre 2001 en particulier) pour accélérer leur projection géopolitique mondiale.
Mais c’était sans compter sur une logique contradictoire : la logique multipolaire qui a été d’une certaine manière l’effet boomerang de l’expansion capitalistique soutenue par les Américains après la chute de l’URSS. Dopées par la croissance, ce que les Américains voyaient comme des marchés émergents, sont devenues des nations émergentes, soucieuses de compter de nouveau dans l’histoire, de restaurer leur puissance et de reprendre le contrôle de leurs ressources énergétiques ou minières. De la Russie à la Chine, en passant par l’Inde, le Brésil, la Turquie, jusqu’au Qatar, partout des États nation forts de leur cohésion identitaire et de leurs aspirations géopolitiques, s’emploient à jouer un rôle géopolitique croissant.
Washington a compris très tôt que la Chine marchait vers la place de première puissance mondiale et qu’elle ne se contenterait pas de la puissance économique mais s’emploierait à la devenir aussi la première puissance géopolitique. Perspective incompatible avec la projection géopolitique mondiale des États-Unis, qui dominent encore l’Europe avec l’OTAN, contrôlent l’essentiel des réserves de pétrole du Moyen-Orient et tiennent les océans grâce à leur formidable outil naval.
Dans cette compétition entre les États-Unis et la Chine, qui déjà dans le Pacifique fait penser aux années qui précédèrent l’affrontement entre les Américains et les Japonais dans la première partie du XXème siècle, le Moyen-Orient tient toute sa place.
Le Moyen-Orient représente 48,1% des réserves prouvées de pétrole en 2012 (contre 64% en 1991) et 38,4% des réserves de gaz (2012, BP Statistical Review ; contre 32,4% en 1991).
Pour les États-Unis, contrôler le Moyen-Orient, c’est contrôler largement la dépendance de l’Asie et en particulier celle de la Chine. L’AIE dans son dernier rapport prédit en effet que l’Asie absorbera 90% des exportations en provenance du Moyen-Orient, en 2035.
Comme l’Agence Internationale de l’Énergie nous l’annonçait début novembre 2012, la production de pétrole brut des États-Unis dépassera celle de l’Arabie Saoudite vers 2020, grâce au pétrole de schiste. Les États-Unis qui importent aujourd’hui 20% de leurs besoins énergétiques deviendraient presque autosuffisants d’ici 2035.
Rappelons qu’en 1911 quand le gouvernement américain morcela la gigantesque Standard Oil (de laquelle naîtront Exxon, Mobil, Chevron, Conoco et d’autres encore), cette compagnie assumait alors 80% de la production mondiale. Si les États-Unis redeviennent premiers producteurs mondiaux, nous ne ferons que revenir à la situation qui prévalait au début du XXème siècle.
Entre 1945 et maintenant, l’un des grands problème des Américains a été le nationalisme pétrolier, qui du Moyen-Orient à l’Amérique Latine, n’a cessé de grignoter son contrôle des réserves et de la production.
Il se passe donc exactement ce que j’écrivais il y a déjà presque dix ans (ce qui ne me rajeunit pas!), au moment de la Deuxième guerre d’Irak. Les États-Unis ne cherchent pas à contrôler le Moyen-Orient pour leur propres approvisionnements puisqu’ils s’approvisionneront de moins en moins au Moyen-Orient (aujourd’hui déjà le continent africain pèse plus dans leurs importations), mais ils chercheront à contrôler ce Moyen-orient pour contrôler la dépendance de leurs compétiteurs principaux, européens et asiatiques.
Si les Américains contrôlent encore le Moyen-Orient dans 20 ans (et je ne parle même pas de l’Afrique qui ne maîtrisera certainement pas son destin et sera sans doute partagée entre des influences occidentales et chinoise), cela signifie qu’ils auront une emprise énergétique considérable sur le monde et donc que la valeur stratégique de pays comme la Russie, le Venezuela (premier pays du monde devant l’Arabie Saoudite en réserves prouvées de pétrole : 17,9% contre 16,1% soit 296,5 milliards de barils de réserves sur le 1,65 trilliard du monde : BP 2012) ou le Brésil (grâce à son off-shore profond) aura alors fortement augmenté puisqu’ils seront des réservoirs alternatifs précieux l’un pour l’Europe et l’Asie, l’autre pour l’Amérique Latine.
Je fais partie de ceux qui ne croient pas à la raréfaction du pétrole. Non seulement parce que dans les faits, et contrairement à tous ceux qui n’ont cessé d’annoncer un peak oil qui ne s’est jamais produit, les réserves prouvées n’ont jamais cessé d’augmenter et que les perspectives avec le off-shore profond et le pétrole de schiste sont gigantesques, mais, au-delà, parce que je suis très convaincu par la thèse dite abiotique de l’origine du pétrole, c’est-à-dire que le pétrole n’a pas pour origine la décomposition des dinosaures dans les fosses sédimentaires mais qu’il est un liquide abondant qui coule sous le manteau de la terre, qu’il est fabriqué à des températures et des pressions gigantesques à des profondeurs incroyables, et que par conséquent ce que nous extrayons est ce qui est remonté des profondeurs de la terre par fracturation du manteau.
Nous n’avons pas le temps d’entrer dans ce débat scientifique mais selon l’explication biotique ou abiotique les conséquences dans le domaine de la géopolitique sont radicalement différentes. Si le pétrole a une origine biotique la question est bien celle de l’épuisement et des conséquences géopolitiques de la raréfaction puis de l’épuisement. Si le pétrole a une origine abiotique, l’enjeu est bien le off-shore profond et toutes les techniques de fracturation permettant de faire remonter le liquide précieux des profondeurs du manteau.
Mais revenons au pétrole du Moyen-Orient et souvenons-nous de quelques faits essentiels.
En brisant le régime de Saddam Hussein, les Américains ont tué dans l’œuf deux logiques qu’ils combattaient depuis toujours :
- le nationalisme pétrolier en Irak. Ils visent désormais le nationalisme pétrolier iranien.
- le risque de sortie du pétro-dollar : le fait d’accepter de se faire payer son pétrole en euro ou dans une autre devise que le dollar : ce que Saddam Hussein avait annoncé vouloir faire en 2002 et que les Iraniens font aujourd’hui et qui explique largement pourquoi les Américains imposent un embargo drastique sur les hydrocarbures iraniens.
Le lien entre pétrole et dollar est l’une des composantes essentielles de la puissance du dollar. Il justifie que les pays disposent de réserves en dollar considérables pour pouvoir payer leur pétrole, et par conséquent que le dollar soit une monnaie de réserve principale. Par voie de conséquence, ce lien pétrole/dollar est bien ce qui permet aux États-Unis de financer leur formidable déficit budgétaire et de se permettre une dette fédérale de plus de 15 000 milliards de dollars. Aujourd’hui tout le monde parle des dettes et crises européennes, mais les États-Unis sont, sur le plan de l’endettement (endettement fédéral, endettement des États, endettement des ménages) dans une bien pire situation que les Européens. Cependant leur bouclier s’appelle “dollar” et on peut penser qu’ils ont utilisé le talon d’Achille grec des Européens pour affaiblir l’Union européenne et fragiliser l’euro. Imaginez que la crise de la Grèce n’ait pas éclaté, et alors vous aurez ce qui se passait avant son éclatement : les banques centrales des émergents continueraient à accumuler de l’euro et à diminuer leur réserves de dollars… On comprend mieux pourquoi la Grèce a été conseillée par Goldman Sachs et JP. Morgan…
En imposant un embargo drastique sur l’Iran (9,1% des réserves prouvées selon BP 2012, soit le 3e rang mondial ; 15,9% des réserves prouvées de gaz soit le 2ème rang derrière la Russie avec 21,4% et devant le Qatar avec 12%) les Américains tentent aussi de briser l’un des derniers pays à vouloir contrôler son système de production pétrolier et gazier.
Quel est donc le lien avec la Syrie ? On en parle peu, mais la Syrie joue un rôle stratégique dans les logiques pétrolières et gazières au Moyen-Orient.
Or en 2009 et 2010, peu avant que n’éclate la guerre, la Syrie a fait des choix qui ont fortement déplu à l’Occident.
Quelles sont les données du problème?
Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis essaient de casser la dépendance de l’Union européenne au gaz et au pétrole russe. Pour cela, ils ont favorisé des oléoducs et gazoducs qui s’alimentent aux réserves d’Asie centrale et du Caucase mais qui évitent soigneusement de traverser l’espace d’influence russe.
Ils ont notamment encouragé le projet Nabucco, lequel part d’Asie centrale, passe par la Turquie (pour les infrastructures de stockage) visant ainsi à rendre l’Union européenne dépendante de la Turquie (rappelons que les Américains soutiennent ardemment l’inclusion de la Turquie dans l’UE tout simplement parce qu’ils ne veulent pas d’une Europe-puissance), puis la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche, la Tchéquie, la Croatie, la Slovénie et l’Italie.
Nabucco a clairement été lancé pour concurrencer deux projets russes qui fonctionnent aujourd’hui :
- Northstream qui relie directement la Russie à l’Allemagne sans passer par l’Ukraine et la Biélorussie.
- Southstream qui relie la Russie à l’Europe du Sud (Italie, Grèce) et à l’Europe centrale (Autriche-Hongrie).
Mais Nabucco manque d’approvisionnements et pour concurrencer les projets russes, il lui faudrait pouvoir accéder :
1/ au gaz iranien qui rejoindrait le point de groupage de Erzurum en Turquie
2/ au gaz de la Méditerranée orientale : Syrie, Liban, Israël.
À propos du gaz de la Méditerranée orientale, il est essentiel de savoir que depuis 2009 des bouleversements considérables se sont produits dans la région.
Des découvertes spectaculaires de gaz et de pétrole ont eu lieu en Méditerranée orientale, dans le bassin du Levant d’une part, en mer Égée d’autre part.
Ces découvertes exacerbent fortement les contentieux entre Turquie, Grèce, Chypre, Israël, Liban et Syrie.
En 2009, la compagnie américaine Noble Energy, partenaire d’Israël pour la prospection, a découvert le gisement de Tamar à 80 km d’Haïfa. C’était la plus grande découverte mondiale de gaz de 2009 (283 milliards de m3 de gaz naturel) et en 2009 donc, le statut énergétique d’Israël a radicalement changé, passant d’une situation presque critique (plus que 3 ans de réserves et une très forte dépendance vis-à-vis de l’Égypte) à des perspectives excellentes. Puis en octobre 2010, une découverte encore plus considérable a brutalement donné à Israël plus de 100 ans d’autosuffisance en matière gazière! Israël a trouvé un méga-gisement offshore de gaz naturel qu’il estime être dans sa ZEE : le gisement Léviathan.
Léviathan est situé à 135 km à l’ouest du port d’Haïfa, on le fore à 5000 m de profondeur, avec 3 compagnies israéliennes plus cette fameuse compagnie américaine, Noble Energy. Ses réserves sont estimées à 450 milliards de m3 (pour avoir un ordre de grandeur, les réserves mondiales prouvées de gaz en 2011 sont de 208,4 trilliards de m3, soit 208 400 milliards de m3 et un pays comme la Russie possède 44,6 trilliards). Quoiqu’il en soit, en 2010, Léviathan fut la plus importante découverte de gaz en eau profonde de ces 10 dernières années.
Je ne donne pas de détail ici sur les découvertes faites parallèlement en mer Égée, mais elles sont considérables et je vous demande simplement de garder en tête que la Grèce est désormais un pays extrêmement potentiel sur le plan gazier ce qui participe peut-être aussi du déclenchement d’une crise européenne qui aboutira bientôt… à la privatisation totale du système énergétique grec…
Voici ce que le US Geological Survey estime à propos de la Méditerranée orientale (formée en l’espère de de 3 bassins : bassin égéen au large des côtes grecques, turques et chypriotes ; bassin du Levant au large des côtes du Liban, d’Israël et de Syrie ; bassin du Nil au large des côtes égyptiennes).
“Les ressources pétrolières et gazières du bassin du Levant sont estimées à 1,68 milliards de barils de pétrole et 3450 milliards de m3 de gaz” “les ressources non découvertes de pétrole et gaz de la province du bassin du Nil sont estimées à environ 1,76 milliards de barils de pétrole et 6850 milliards de m3 de gaz naturel”.
L’USGS estime que le bassin de Sibérie occidentale (le plus grand bassin de gaz connu) recèle 18 200 milliards de m3 de gaz. En clair, s’agissant du seul gaz, le bassin du Levant c’est plus de la moitié du bassin de Sibérie occidentale.
Bien évidemment ces découvertes ont attisé les rivalités entre États voisins. Israël et le Liban revendiquent chacun la souveraineté sur ces réserves et l’un des différends profonds entre le président Obama et Benjamin Netanyahu est que les États-Unis, en juillet 2011, ont appuyé la position libanaise contre Israël (car Beyrouth estime que le gisement s’étend aussi sous ses eaux territoriales). Il semblerait que la position américaine vise d’une part à entretenir la division pour jouer un rôle de médiation, d’autre part à empêcher Israël de devenir un acteur autosuffisant.
Or notre Syrie se trouve au cœur de ces problématiques !
D’abord concernant Nabucco.
En novembre 2010, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont demandé à Bachar el Assad de pouvoir ouvrir des oléoducs et gazoducs d’exportation vers la Méditerranée orientale. Ces oléoducs leur permettrait en effet de desserrer la contrainte du transport maritime via le détroit d’Ormuz puis le Canal de Suez et d’envoyer plus de gaz vers l’Europe (notamment le Qatar, géant gazier du Moyen-Orient). La Syrie a refusé, avec le soutien marqué de la Russie qui voit dans ces plans la volonté américaine, française, saoudienne et qatarie de diminuer la dépendance européenne au gaz russe.
On comprend donc la compétition qui se joue entre, d’une part les Occidentaux, la Turquie et les monarchies du Golfe, d’autre part, la Russie, l’Iran et la Syrie, auxquels s’est ajouté l’Irak dirigé par le chiite Maliki et qui s’est fortement rapproché de Téhéran et Damas au détriment des Américains.
En février 2011 les premiers troubles éclataient en Syrie, troubles qui n’ont cessé de s’amplifier avec l’ingérence, d’une part de combattants islamistes financés par le Qatar et l’Arabie Saoudite, d’autre part de l’action secrète des Occidentaux (Américains, Britanniques et Français).
Le 25 juillet 2011, l’Iran a signé des accords concernant le transport de son gaz via la Syrie et l’Irak. Cet accord fait de la Syrie le principal centre de stockage et de production, en liaison avec le Liban et l’idée de Téhéran est de desserrer ainsi la contrainte de l’embargo. Gelé par la guerre, le chantier aurait étrangement repris le 19 novembre 2012, après l’élection d’Obama donc et la reprise de négociations secrètes entre les États-Unis et l’Iran.
Du fait même de sa position centrale entre les gisements de production de l’Est (Irak, monarchies pétrolières) et la Méditerranée orientale, via le port de Tartous, qui ouvre la voie des exportations vers l’Europe, la Syrie est un enjeu stratégique de premier plan.
Ajoutons à cela la question de l’évacuation du pétrole kurde.
Il existe un oléoduc qui aujourd’hui achemine le pétrole de Kirkuk (Kurdistan irakien) à travers l’Irak puis la Jordanie et enfin Israël. Mais Israël pourrait aussi voir réhabilité l’ancien oléoduc Mossoul Haïfa (que les Britanniques utilisèrent de 1935 à 1948).
Ajoutons à cela que la Syrie dispose de réserves dans son sol et probablement en off-shore. Le 16 août 2011, le ministère syrien du pétrole a annoncé la découverte d’un gisement de gaz à Qara, près de Homs, avec une capacité de production de 400 000 m3/j. S’agissant du off-shore, nous avons parlé tout à l’heure des estimations de l’USGS concernant le bassin du Levant, il faut ajouter cette prédiction du Washington Institute for Near East Policy qui pense que la Syrie disposerait des réserves de gaz les plus importantes de tout le bassin méditerranéen oriental, bien supérieures encore à celle d’Israël. Vous voyez là encore, mon leitmotiv et ce que j’ai souvent dit ici : l’avenir c’est le off-shore profond et cela va donner à la mer une dimension géopolitique considérable. Délaisser la mer et son espace maritime est donc, pour n’importe quel pays du monde, une erreur stratégique tragique.
Il est évident donc que si un changement politique favorable aux Occidentaux, aux Turcs, Saoudiens et Qataris intervenait en Syrie, et que celle-ci se coupait de la Russie (les navires de guerre russes mouillent dans le port stratégique de Tartous, un port qui peut bien sûr accueillir des tankers approvisionnés à partir des oléoducs qui y arriveraient), alors toute la géopolitique pétrolière et gazière de la région serait bouleversée à leur avantage. N’oublions pas l’Égypte, exportatrice de gaz naturel, et qui elle aussi aimerait voir son gaz raccordé à la Turquie via la Syrie.
Cette simple donnée pétrolière et gazière doit nous faire comprendre la raison pour laquelle la Syrie est attaquée par les Turcs, les Occidentaux et les monarchies du Golfe, et inversement pourquoi elle n’est lâchée ni par les Russes, ni par les Iraniens, ni par les Irakiens.
Il nous faut maintenant comprendre les dynamiques géopolitiques internes de la Syrie.
La Syrie c’est un peu plus de 20 millions d’habitants : 80% d’Arabes sunnites, 10% d’Alaouites une forme d’islam rattachée au chiisme, mais pas celui d’Iran) et 10% de chrétiens.
Bachar el-Assad a à ses côtés 2 millions d’Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ne veulent pas d’une mainmise sunnite sur le pouvoir.
Il faut comprendre qui sont ces Alaouites. Il s’agit d’une communauté issue, au Xème siècle, aux frontières de l’Empire arabe et de l’Empire byzantin, d’une lointaine scission du chiisme, et qui pratique un syncrétisme comprenant des éléments de chiisme, de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de christianisme byzantin. Il est très important pour notre analyse de savoir que les Alaouites sont considérés par l’islam sunnite comme les pires des hérétiques. Au XIVème siècle, le jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, ancêtre du wahhabisme actuel et référence de poids pour les islamistes du monde entier, a émis une fatwa demandant leur persécution systématique et leur génocide.
Cette fatwa est toujours d’actualité chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans, c’est-à-dire tous ceux que le pouvoir alaouite affronte en ce moment !
Avant le coup d’État d’Hafez el-Assad en 1970, les Alaouites n’ont connu que la persécution de la part de l’islam dominant, le sunnisme.
Il faut quand même savoir que jusqu’en 1970, les bourgeois sunnites achetaient encore, par contrat notarié, de jeunes esclaves alaouites.
Les choses se sont arrangées avec l’installation de l’idéologie nationaliste baathiste en 1963, laquelle fait primer l’arabité sur toute autre considération, et surtout de 1970.
En résumé, la guerre d’aujourd’hui n’est que le nouvel épisode sanglant de la guerre des partisans d’Ibn Taymiyya contre les hérétiques alaouites, une guerre qui dure depuis le XIVème siècle ! Cette fatwa est à mon avis la source d’un nouveau génocide potentiel (semblable à celui du Rwanda) si le régime vient à tomber. Voilà une donnée essentielle que les Occidentaux font mine pourtant d’ignorer.
Pourchassés et persécutés durant des siècles, les Alaouites ont dû se réfugier dans les montagnes côtières arides entre le Liban et l’actuelle Turquie tout en donnant à leur croyance un côté hermétique et ésotérique, s’autorisant même le mensonge et la dissimulation (la fameuse Taqqiya) pour échapper à leurs tortionnaires.
Mais alors vous vous demandez, comment ces Alaouites ont-ils fait pour arriver au pouvoir ?
Soumise aux occupations militaires étrangères depuis des siècles, la bourgeoisie sunnite de Syrie (un processus similaire s’est produit au Liban) a commis l’erreur habituelle des riches au moment de l’indépendance du pays, en 1943. Le métier des armes à été relégué aux pauvres et non aux fils de “bonne famille”. L’armée a donc été constituée par des minorités : une majorité d’Alaouites mais aussi des chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites.
Hafez el-Assad venait de l’une de ces familles modestes de la communauté alaouite. Il est d’abord devenu chef de l’armée de l’air puis ministre de la défense avant de s’emparer du pouvoir par la force afin de donner à sa communauté sa revanche sur l’Histoire (avec ses alliés Druzes et chrétiens).
Vous comprenez donc tout de suite que le régime, soutenu par 2 millions d’Alaouites, sans doute 2 à 3 millions d’autres minorités, mais aussi une partie de la bourgeoisie sunnite notamment de Damas, dont les intérêts économiques sont désormais très liés à la dictature, n’a pas d’autre choix que de lutter à mort.
Quand je dis lutter à mort, je parle du régime que je distingue de Bachar el-Assad. Le régime est plus puissant que Bachar et peut s’en débarrasser s’il estime qu’il en va de sa survie. Mais s’en débarrasser éventuellement ne signifie pas mettre une démocratie qui aboutirait inéluctablement (mathématiquement) au triomphe des islamistes, comme en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Yémen…
Les Chrétiens de Syrie ont vu ce qui s’est passé pour les Chrétiens d’Irak après la chute de Saddam Hussein. Ils voient ce qui se passe en Égypte pour les Coptes, après la victoire des islamistes. Les Druzes savent aussi qu’ils sont, comme les Alaouites, considérés comme des hérétiques à détruire par les combattants salafistes et les Frères musulmans.
Il est absolument illusoire de penser, comme on le pense en Occident, que les Alaouites accepteront des réformes démocratiques qui amèneraient mécaniquement les salafistes au pouvoir.
Je le répète : l’erreur consiste à penser que le pays est entré en guerre civile en 2011. Il l’était déjà en 1980 quand un commando de Frères musulmans s’est introduit dans l’école des cadets de l’armée de l’air d’Alep, a mis de côté des élèves officiers sunnites et des alaouites et a massacré 80 cadets alaouites en application de la fatwa d’Ibn Taymiyya. Les Frères musulmans l’ont payé cher en 1982 à Hama, fief de la confrérie, que l’oncle de l’actuel président a rasée en y faisant peut-être 20 000 morts. Les violences intercommunautaires n’ont en réalité jamais cessé mais cela n’intéressait pas l’Occident car il n’y avait à ce moment aucun agenda pétrolier et gazier concernant la Syrie, ni aucun agenda contre l’Iran.
On dit que le régime est brutal et il est évidemment d’une brutalité incroyable, mais ce n’est pas le régime en soi qui est brutal. La Syrie est passée de l’occupation ottomane et ses méthodes d’écorchage vif, au mandat français de 1920 à 1943, aux anciens nazis réfugiés à partir de 1945 qui sont devenus des conseillers techniques, et ensuite aux conseillers du KGB. C’est évident qu’il n’y a rien à attendre de ce régime en matière de droits de l’homme, de réformes démocratiques… Mais il n’y a rien à attendre non plus des rebelles islamistes qui veulent prendre le pouvoir, et qui disposent d’une fatwa fondamentale pour organiser un véritable génocide des Alaouites. Et d’ailleurs attend-on quelque chose de l’Arabie Saoudite en matière de droits de l’Homme ?
Nous avons un vrai problème de traitement de l’information à propos de la Syrie, comme nous l’avions hier s’agissant de l’Irak, de la Yougoslavie, de la Libye. Une fois de plus le manichéisme médiatique occidental est à l’œuvre, la machine à fabriquer les Bons et les Méchants, en réalité en fonction surtout des intérêts occidentaux. La source unique, je dis bien unique, des médias occidentaux est l’OSDH (Observatoire syrien des Droits de l’Homme) lequel donne par exemple à l’Agence France Presse l’état de la situation en Syrie, le nombre de morts, de blessés, les exactions etc…
Or qu’est-ce que l’OSDH ? Il s’agit d’une émanation des Frères musulmans qui est dirigée par des militants islamistes et dont le fondateur, Ryadh el-Maleh, a été condamné pour violences. Basé à Londres depuis la fin des années 1980, il est sous la protection des services britanniques et américains et reçoit des fonds du Qatar et de l’Arabie Saoudite.
Outre l’OSDH comme référence médiatique, la référence politique des médias occidentaux c’est le Conseil National Syrien, créé en 2011, à Istanbul, sur le modèle du CNT libyen et à l’initiative du parti islamiste turc, l’AKP.
Financé par le Qatar, le CNS a été coulé dans sa forme initiale à la conférence de Doha, début novembre 2012 par Washington. Les États-Unis considéraient en effet depuis des mois qu’il n’était pas assez représentatif et ont suscité à la place la Coalition nationale des Forces de l’opposition et de la révolution. La réalité est que les Américains trouvaient que la France avait trop d’influence sur ce Conseil où elle avait placé l’opposant syrien sunnite Burhan Ghalioun, professeur de sociologie à la Sorbonne. On retrouve là une compétition franco-américaine semblable à celle qui s’était produite en Libye, où petit à petit l’influence française sur les rebelles anti-Kadhafi a été annulée par l’action souterraine des Américains. Il faut dire que si la France compte sur des professeurs de sociologie pour défendre ses intérêts au Moyen-Orient, elle s’expose à bien des déconvenues…
À la manœuvre en coulisse, le redoutable et très intelligent ambassadeur américain Robert S. Ford, considéré comme le principal spécialiste du Moyen-Orient au département d’État ; il fut l’assistant de John Negroponte de 2004 à 2006 en Irak où il appliqua la même méthode qu’au Honduras : l’usage intensif d’escadrons de la mort. Peu avant les évènements de Syrie, il fut nommé par Obama ambassadeur à Damas et prit ses fonctions malgré l’opposition du Sénat.
Cet ambassadeur a fait mettre à la tête de la Coalition nationale des Forces de l’opposition et de la révolutionune personne dont la presse ne parle pas : le cheikh Ahmad Moaz Al-Khatib.
Son parcours est intéressant et vous allez assez vite comprendre pour quelle raison je m’y attarde.
Il est un ingénieur en géophysique qui a travaillé 6 ans pour la al-Furat Petroleum Company (1985-1991), une joint-venture entre la compagnie nationale syrienne et des compagnies étrangères, dont l’anglo-hollandaiseShell. En 1992, il hérite de son père la prestigieuse charge de prêcheur de la Mosquée des Ommeyyades à Damas. Il est rapidement relevé de ses fonctions par le régime baathiste et interdit de prêche dans toute la Syrie. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque la Syrie soutient l’opération américaine Tempête du Désert pour libérer le Koweït et le cheikh, lui, y est opposé pour les mêmes motifs religieux qu’Oussama Ben Laden : il ne veut pas de présence occidentale sur la terre d’Arabie. Ce sheikh se fixe ensuite au Qatar puis, en 2003-2004, revient en Syrie comme lobbyiste du groupe Shell. Il revient à nouveau en Syrie début 2012 où il enflamme le quartier de Douma (banlieue de Damas). Arrêté puis amnistié il quitte le pays en juillet et s’installe au Caire.
Sa famille est bien de tradition soufie, donc normalement modérée, mais contrairement à ce que dit l’AFP, il est membre de la confrérie des Frères musulmans et l’a montré lors de son discours d’investiture à Doha. Bref, comme Hamid Karzai en Afghanistan, les Américains nous ont sorti de leur chapeau un lobbyiste pétrolier !
Maintenant que nous avons donné des éléments d’analyse sur les forces internes à la Syrie, regardons le jeu des forces régionales externes.
Je l’ai dit, la crise syrienne a éclaté à cause de l’ingérence saoudienne et qatarie (soutenue par les ingérences française, britannique et américaine). L’Arabie Saoudite et le Qatar, avec chacun leurs clientèles, défendent un projet islamiste sunnite pour le Moyen-Orient. De la Libye jusqu’à la Tunisie et l’Égypte, ils ont soutenu le printemps arabe, l’ont peut-être même dire suscité, amenant au pouvoir les Frères musulmans et les salafistes, eux-mêmes en concurrence pour l’établissement d’une société arabe islamique réunifiée dans un seul et même État islamique. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la symétrie étrange entre les Révolutions colorées soutenues par les Américains dans la périphérie de la Russie au début des années 2000, et les révolutions arabes soutenues par le Qatar, l’Arabie Saoudite et sans doute aussi discrètement Washington, au début des années 2010.
En revanche, Ryad et Doha ont bloqué l’éclosion d’un printemps chiite à Bahreïn, et sont intervenus militairement pour sauver la monarchie sunnite bahreïnie confrontée au soulèvement chiite (rappelons que les chiites représentent 70% de la population de Bahraïn, et n’ont rien de négligeable au Koweït ou aux Émirats). Ce fut, en 2011, la deuxième fois après la guerre du Koweït que l’accord mutuel de protection du Conseil de Coopération du Golfe, dit Bouclier du désert, fut mis en action.
Le printemps arabe, dont certains soulignent, à juste titre, qu’il s’est en fait transformé en hiver islamiste, a profité aussi fortement aux pays sunnites du Golfe sur le plan économique. Après la crise de 2008 qui avait notamment touché les Émirats Arabes unis, les monarchies sunnites du Golfe ont vu affluer les fortunes amassées sous les dictatures tunisienne, libyenne, égyptienne. Cet argent amassé sous les régimes effondrés ou en voie d’effondrement ne peut plus aller en Europe, ni même en Suisse, car les règles bancaires (compliance) ne le permettent vraiment plus. Il va donc à Dubaï essentiellement.
Par ailleurs, la chute des exportations de pétrole et de gaz libyen, due à la guerre de 2011 en Libye, a été compensée par une hausse sensible de la production et des exportations de l’Arabie Saoudite, du Qatar, des Émirats Arabes Unis, ce qui a dopé l’économie de ces pays en 2011 et 2012.
Face au jeu sunnite des monarchies du Golfe, l’Irak dominé par les chiites, l’Iran bien sûr et la Syrie, ont formé un axe que l’on peut qualifier de chiite puisque les Alaouites sont une branche particulière du chiisme et qui essaie de résister à la terrible alliance Occident/Turquie/monarchies sunnites du Golfe.
Dans ce jeu complexe, se pose alors la question du jeu d’Israël. Paradoxalement, c’est peut-être le moins simple et l’erreur consisterait à vouloir attribuer à Israël, par facilité, “la main cachée qui dirige”.
Israël, en effet, a longtemps eu comme ennemi principal le nationalisme arabe. L’idéologie baathiste a combattu l’existence d’Israël et soutenu le droit des Palestiniens à récupérer leur terre. Le projet d’un monde arabe unifié, développé et modernisé économiquement grâce aux ressources pétrolières, et avançant vers l’arme atomique (Irak) a longtemps été le cauchemar prioritaire de Tel Aviv.
Mais le nassérisme est mort, puis le baathisme irakien après lui. Reste aujourd’hui le baathisme syrien, mais il est affaibli, et le rêve de Grande Syrie nourri par Damas est contradictoire depuis bien longtemps avec le nationalisme palestinien.
Le problème principal d’Israël maintenant, ce sont ces Frères musulmans qui triomphent partout. Ils ont commencé à s’installer via le Hamas à Gaza (en concurrence avec l’OLP qui tient la Cisjordanie et cette division chez les Palestiniens est conforme aux intérêts israéliens) ; ils sont au pouvoir en Turquie alors que l’armée turque a longtemps été un allié fiable d’Israël ; maintenant l’AKP constitue un problème pour les Israéliens (souvenez-vous de l’affaire de la flotte de Gaza) ; les Frères musulmans sont aussi au pouvoir en Égypte depuis la chute de Moubarak (Égypte avec laquelle, depuis 1978, les Israéliens ont un accord de paix), ils sont forts en Jordanie (accord de paix depuis 1995), ils sont en Tunisie, en Libye, ils sont majoritaires en Syrie et essaient de prendre le pouvoir… Bref Israël assiste à une marée montante de Frères musulmans et de salafistes qui envahit tout le Moyen-Orient et menace ses portes, et ces gens-là ne sont pas particulièrement favorables à la reconnaissance du droit d’Israël à vivre en paix. Leur projet d’État islamique unifié regarde Israël comme les États latins croisés du Moyen-âge.
Il est donc loin d’être certain que la politique américaine de soutien aux islamistes fasse l’unanimité chez les Israéliens. Ceux-ci se sentent de plus en plus seuls. Cette politique pro-islamique de l’Occident pourrait même pousser Israël à trouver des parrains plus fiables que les Américains, la Russie, la Chine ou l’Inde (qui coopère déjà militairement fortement avec Israël face au Pakistan)…
Israël se prépare sans doute, dans un Moyen-Orient où les États d’aujourd’hui cèderaient de plus en plus la place à des États ou régions autonomes homogènes sur le plan confessionnel (sunnites, chiites, Alaouites…) ou ethniques (Kurdes face aux Arabes), à de nouvelles alliances afin de contrer le danger islamiste sunnite.
On ne peut pas exclure ainsi un retournement de l’histoire où Israël serait à nouveau proche de l’Iran, s’entendrait avec un Irak dominé par les chiites, ce qui lui permettrait d’éteindre le problème du Hezbollah libanais, soutiendrait un petit réduit alaouite en Syrie, un État kurde également… N’oublions pas en effet que le problème principal qui détermine tout pour les Israéliens c’est le problème palestinien. Si les Palestiniens du Hamas se mettent dans les bras du Qatar et de l’Arabie Saoudite (rappelons la visite historique du l’émir du Qatar début novembre à Gaza), alors l’hypothèse de l’alliance chiite n’est pas à exclure.
Comme je l’ai dit, une donnée essentielle est que sur le plan énergétique Israël dispose de l’autosuffisance pour le gaz, et que sur le plan pétrolier rien n’empêche demain, si retournement stratégique il y avait, que le pétrole vienne du Kurdistan irakien ou des chiites d’Irak ou d’Iran.
Le nucléaire iranien dans tout cela ? La réponse à la perspective du nucléaire iranien est-elle à votre avis dans une guerre suicidaire contre l’Iran ou dans une entente avec un futur Iran nucléaire contre l’islam sunnite ? La réponse me semble être dans la question.
Je crois personnellement que la relation États-Unis/Israël va se distendre tout simplement parce que les Américains sont de moins en moins gouvernés par des WASP (White anglo-saxons protestants) qui pour beaucoup étaient convaincus de la dimension sacrée d’Israël (chrétiens sionistes) et que pour des raisons identitaires (changement ethnique de la population des États-Unis) ce phénomène est quasi-irréversible. Je crois que le même problème se pose en Europe. Le changement de population en Europe de l’ouest, l’islamisation d’une partie de la population disons les choses, va contribuer à installer durablement des gouvernements de gauche ou socio-démocrates qui seront de moins en moins favorables à Israël et de plus en plus tenus par des minorités musulmanes agissantes. Un indicateur de cette tendance de fond est que la plupart des extrêmes droites européennes qui avaient une tradition antisémite deviennent au contraire anti-musulmanes et pro-israéliennes.
En conclusion, essayons de tracer quelques perspectives, même s’il est très difficile de prédire l’avenir au Moyen-Orient.
Premièrement, même s’il a en face de lui une majorité de sa population, je pense que le régime syrien peut tenir longtemps car il n’est pas isolé. Deuxièmement, sa cohésion interne est forte pour les raisons que j’évoquais (une guerre de survie pour les minorités confessionnelles au pouvoir) ; troisièmement, le soutien de la Russie est ferme. Et le régime enfin n’est pas enclavé puisqu’il est lié à ses voisins irakien et iranien qui le soutiennent.
Donc la situation actuelle peut perdurer, le conflit pourrir. 37 000 morts selon l’ODSH (source rébellion) au 10 novembre 2012 et 400 000 réfugiés syriens (Turquie, Liban, Jordanie, Irak) ? Certes c’est énorme, mais nombreuses aussi sont les guerres civiles qui ont dépassé les 100 000 morts et qui se sont traduites par le retour aux équilibres initiaux. Ce n’est pas le nombre de morts ou même la majorité qui déterminent l’issue : ce sont les rapports de force réels, internes, régionaux et mondiaux.
Si le régime venait cependant à s’effondrer, je n’envisage pas une seconde que les minorités puissent accepter de rester dans le cadre national actuel sans l’obtention de garanties occidentales extrêmement fortes quant à leur sécurité physique. Et même avec ces garanties j’en doute. Elles signeraient leur arrêt de mort d’autant qu’étrangement les Français et les Américains qui soutiennent et arment la rébellion n’ont demandé aucun engagement “anti-génocidaire” après la chute éventuelle de Bachar. On peut imaginer alors l’Iran et l’Irak soit accueillir ces minorités, soit favoriser, avec l’appui de la Russie, la formation d’un réduit alaouite avec notamment un couloir stratégique jusqu’à Tartous. Mais le problème resterait entier car ce que veulent les Occidentaux c’est l’accès syrien à la Méditerranée et le transit pétrolier et gazier par le territoire de la Syrie.
Mais au risque de vous surprendre, je pense que la baisse de la médiatisation par l’Occident du conflit syrien est le symptôme d’une réalité : l’Occident est en train de perdre la guerre en Syrie. Il peut soutenir le terrorisme à Damas et contre les forces de sécurité, lesquelles opposent une répression cruelle, mais il ne dispose pas de la capacité d’abattre l’appareil sécuritaire syrien. L’armée syrienne dispose de la maîtrise de l’espace aérien et ce n’est pas demain la veille que la France et les États-Unis prendront la responsabilité d’une guerre mondiale avec la Russie. Donc je crois que le régime va tenir. On est arrivé à la situation étrange où la France doit régler le problème d’Al Qaïda au Mali et soutient indirectement Al-Qaïda en Syrie. Le monde est décidément fou.
Une fois de plus, tout ramène à la question iranienne. L’Iran est la clé du futur Moyen-Orient. Si l’Iran revient à son alliance stratégique avec les États-Unis d’avant la Révolution chiite islamique de 1979, alors on peut penser que les États-Unis et Israël s’appuieront sur le chiisme pour faire contrepoids à un islam sunnite globalement hostile à l’Occident. Mais une autre hypothèse est possible : que les États-Unis, la France (n’oublions pas que les priorités de Paris sont aujourd’hui Doha et Ryad) et la Grande-Bretagne, proches de la Turquie (membre de l’OTAN) restent fortement alliées aux monarchies sunnites et entretiennent de bonnes relations avec les républiques dominées par les Frères musulmans (Tunisie, Égypte, mais quid de l’Algérie demain ?) et alors on ne peut pas exclure qu’Israël se découple de l’Occident pour se rapprocher d’un axe Russie/monde chiite hostile à la Turquie et aux monarchies pétrolières.
Reste en suspens aussi l’éternelle question kurde avec le jeu de la Turquie.
Enfin il ne faudrait pas oublier les inquiétantes évolutions dans certains pays d’Europe de l’Ouest comme la France, le Royaume-Uni, la Belgique, pays ou des minorités musulmanes sunnites de plus en plus structurées sur le plan identitaire, de plus en plus revendicatives sur le plan de l’islam, de plus en plus financées par les monarchies sunnites (voir les investissements du Qatar en France), vont sans doute jouer un rôle croissant dans la définition des politiques étrangères de ces pays. Comme vous le savez, en matière de politique étrangère (on l’a vu longtemps s’agissant du lobby juif aux États-Unis), ce ne sont pas les majorités dormantes qui pèsent sur la décision, ce sont au contraire les minorités agissantes organisées. Or dans l’Ouest de l’Europe, ce que l’on a longtemps appelé le lobby juif est de plus en plus faible, concurrencé par le poids du lobby pro-musulman ou pro-arabe dans les partis de gauche notamment.
Une chose finalement est certaine : avant que nous n’aboutissions à de nouveaux équilibres au Moyen-Orient, le chemin sera pavé de nombreuses souffrances…
Aymeric Chauprade http://www.theatrum-belli.com
Conférence donnée à Funglode, Saint Domingue, le 27 novembre 2012.
Professeur de géopolitique à l'École de Guerre de 1999 à 2009, professeur invité dans de nombreuses universités étrangères et conseiller géopolitique de plusieurs chefs d'État, Aymeric Chauprade a puissamment contribué à la renaissance de la géopolitique en France. Il dirige une collection aux Editions Ellipse. Auteur d'un monumental ouvrage "Géopolitique - Constantes et changements dans l'histoire" (qui en est à sa troisième édition), et d'un ouvrage de vulgarisation "Chronique du choc des civilisations" (qui est est a sa deuxième édition).
Source du texte : REALPOLITIK.TV
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Ils croyaient en Marx, ils adulent Bush : Ces types-là sont vraiment à l'ouest (arch 2006)
En passant du col Mao au Rotary, les anciens gauchistes, trotskistes et autres maoïstes français ont changé d'idoles. Marx, Lénine, Trotski étaient leurs héros, les voilà qui boivent les paroles de George Bush sur Fox News. Les gauchistes constituent l'essentiel des troupes des néoconservateurs français. Ils nient être passés à droite, ils ont raison : ils sont seulement passés a l'Ouest.
De Romain Goupil, cofondateur des JCR (Jeunesses communistes révolutionnaires) à Yves Roucaute, qui fut vice-président de l'Unef, patron de l'Union des étudiants communistes et de l'Institut Gramsci, en passant par Alexandre Adler, encarté au PCF, André Glucksmann et Olivier Rolin, tous deux venus de la Gauche prolétarienne (maoïste), mais aussi Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut Pierre-André Taguieff, etc... on assiste à une véritable fuite des cerveaux sur fond de fatwas, de crise de nerfs et de listes noires, Le Nouvel Observateur pleure ses intellos perdus et vitupère quasiment toutes les semaines contre « la vague droitière », « la droitisation dure de la France », « les nouveaux réacs » Diable ! Le Monde s'interroge doctement sur les néo-conservateurs à la française qui roulent pour Bush.
Avec une bonne dizaine d'années de retard sur l'Amérique, la greffe néo-conservatrice commence à prendre. Mais qui sont les néo-conservateurs ? Irving Kristol, un des pères de ce mouvement, à qui l'on demandait s'il était de droite, y a répondu par une boutade : « Nous sommes des hommes de gauche qui se sont fait casser la gueule par la réalité. » Faut-il donc croire qu'une bonne partie de l'élite médiatique française s'est fait rouer de coups ? Toujours est-il que les nouveaux convertis se sont regroupés autour d'une nouvelle publication, Le Meilleur des mondes, qu'ils auraient mieux fait d'appeler Défense de l'Occident !
Joseph de Maistre contre les néo-cons !
Un petit détour par les Etats-Unis s'impose pour tenter de comprendre les soubassements idéologiques qui ne manqueront pas de traverser la prochaine élection présidentielle française. Grâce à un génial coup de bonneteau sémantique qui eut lieu au début des années quatre-vingt, un quatuor d'ex-trotskistes juifs de la côte Est - Irving Kristol, Norman Podhoretz, Allan Bloom et Paul Wolfowitz - retourne les caciques du Parti républicain à leur cause en plaidant la supériorité morale de l'Amérique à propager et imposer son modèle démocratique partout dans le monde, ainsi que, naturellement, l'absolue nécessité de défendre Israël. L'ingérence militaire au nom de la liberté et de la démocratie : il fallait y penser.
Bill Kristol (fils d'Irving), le patron du Weekly Standard, bible des «néo-cons» trace à grands traits le corpus idéologique de ces mutants : « Conservateurs sur le plan moral, sceptiques vis-à-vis des utopies et de la gauche mais aussi de la droite réactionnaire incarnée par des gens comme Joseph de Maistre ou Carl Schmitt. » La droite américaine ne serait-elle donc pas de droite ? Au terme d'une guerre des idées tous azimuts qui a duré presque vingt ans, les néo-cons ont vaincu par K.O. Contre la gauche, l'essayiste David Brooks invente le concept destructeur des «bobos» les fameux bourgeois-bohèmes forcément de gauche donc forcément déconnectés des aspirations du peuple. Imparable. Au sein de la droite, les néo-cons balaient les «réalistes» incarnés par Henry Kissinger, le conseiller du président Richard Nixon, ou les «isolationnistes» comme Pat Buchanan. Résultat : ils bouleversent la politique étrangère de la droite américaine.
C'est finalement le très conservateur philosophe britannique John Grey qui définit le mieux qui ils sont : « Les intellectuels néo-conservateurs qui décident de la politique américaine à la Maison Blanche croient que la terreur est indispensable, mais pensent - tout comme leurs prédécesseurs jacobins - qu'il s'agit d'une terreur juste et compassionnelle : un bref moment de douleur et voilà le nouveau monde qui advient. Les guerriers intellectuels comme Richard Perle se considèrent réalistes, mais la persistance avec laquelle ils appellent à la guerre rappelle plus un Robespierre qu'un Metternich. » Et le même d'appeler Joseph de Maistre à la rescousse pour dénoncer la bêtise de ceux qui pensent qu'on peut « fonder des nations avec de l'encre » !
George W. Bush en petit père des intellos
Inutile de préciser que le débat en France est loin d'atteindre le même niveau. Les élites françaises ont la phobie des idées et de la confrontation. À l'image de l'ex-mao (tendance Gauche prolétarienne) Denis Kessler, ex-vice-président du Medef et p-dg de Scor, les nouveaux convertis se contentent de défendre les stocks-options dans les colonnes du Figaro. Cyniques, ils ont simplement pris acte de l'échec de l'économie socialiste. La mondialisation est leur nouveau dogme,
Reste malgré tout une différence de taille entre ces ex-gauchistes camouflés en penseurs «néo-libéraux» et leurs homologues américains : les élites françaises ont fait vœu de haine... anti-française. Ils portent en eux la haine viscérale de la France. Entre les néo-Iibéraux et la gauche internationaliste, les structures mentales sont les mêmes. Le discours libéral de détestation de soi de Claude Lamirand, président d'Action Libérale, diffère peu de celui d'un militant d'extrême gauche : « L'Europe ne peut pas être la paix. La paix, c'est l'Otan. [...] L'Europe n'a que des héros de sang de puissance et d'autorité à se remémorer. Quand on voit en France le prestige de Napoléon, franchement, nous avons toutes les inquiétudes possibles, car aucune leçon de la tyrannie n'a été totalement tirée. » Hystérie contre une histoire de France pourtant singulière, c'est-à-dire belle et tragique, qui plonge bien au-delà de 1789. Et l'on songe au mot magnifique de March Bloch, historien patriote exemplaire qui déclarait : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération. Peu importe l'orientation de leurs préférences. Leur imperméabilité aux plus beaux jaillissements de l'enthousiasme collectif suffit à les condamner. »
En 2006, le chef de file des néo-conservateurs français, Yves Roucaute, arrive encore à écrire que les États-Unis sont le « navire amiral des Républiques justes ». Auteur d'un livre mémorable intitulé Le néo-conservatisme est un humanisme (PUF, 2005), il prévient avec ces mots d'un autre temps qu'on aurait voulu croire à jamais fanés : « Souvenons-nous que les États-Unis sont notre seul espoir pour que l'emporte l'esprit de liberté, qui est celui de l'Humanité. » Il suffit de remplacer «États-Unis» par «Union soviétique» pour qu'éclate le ridicule d'une telle phrase, surtout quand on sait que le dit penseur publie régulièrement sa prose dans les colonnes de la plupart des journaux dits de droite !
Qui ne fait pas allégeance à Washington est un traître à l'Occident. Pour eux, l'Europe ne doit pas exister, mais expier à jamais. Sans complexe ni contradicteur, le même auteur assène sur l'air des lampions « Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la liberté a trouvé une puissance, les États-Uni, d'Amérique, en mesure d'imposer l'organisation du monde. » L'écrivain Pascal Bruckner, lui aussi passé par la Gauche prolétarienne, va encore plus loin : « Ce n'est pas le leadership américain qui est inquiétant, c'est plutôt sa discrétion » ! Internationaliste hier, mondialiste aujourd'hui, Les mots ont changé : le mal demeure. Ils sont restés les mêmes : bêtement manichéens, idéologiquement serviles, admirateurs des grands de ce monde.
C'est aussi l'Europe qu'ils assassinent
Passées les bornes, il n'y a plus de limites... C'est donc l'ancien maoïste François Ewald (encore un !) qui les franchit. Lui est devenu idéologue à la Fédération française des sociétés d'assurances et au Medef ! Sarkozyste de choc bien sûr et patron de la Fondation pour l'innovation politique (officine pensante de l'UMP), il affirme, péremptoire « L'Europe n'a pas d'identité, elle est une promesse. Elle est destinée à s'ouvrir : à l'Ukraine demain et, pourquoi pas, après-demain, aux pays du Maghreb. » L'ancien assistant de Michel Foucault au Collège de France n'a bien sûr jamais été de droite, aujourd'hui encore moins qu'hier quand il défend une Europe comme « un ensemble politique affranchi de toutes les formes d'identités raciales, ethniques, religieuses ou civilisationnelles ». Vive l'Europe hors-sol ! Et l'on dira après que les anciens gauchistes ne sont pas restés fidèles à leurs principes de jeunesse.
Il faut toute la clairvoyance du théoricien américain John C. Hulsman de l'Heritage Foundation pour poser les vrais enjeux « Seule une Europe qui s'élargit plutôt qu'elle ne s'approfondit, une Europe à la carte où les efforts pour la centralisation et l'homogénéisation restent minimaux, convient à la foi, aux intérêts nationaux américains et aux intérêts individuels des citoyens du continent. » Pour les malentendants, il a ce post-scriptum qui fait froid dans le dos : « Les États-Unis ne veulent ni que l'Europe réussisse trop, ni qu'elle échoue. À ce titre, l'Europe actuelle convient aux intérêts stratégiques à long terme de l'Amérique. » On ne saurait mieux dire.
Lucien Valdès Le Choc du Mois Juillet/Août 2006 -
Dalaal Diam : première Pépinière de Ré-enracinement en Afrique – Par Arnaud Calion
Situé sous le soleil du Sénégal, Dalaal Diam n’est pas un village africain comme les autres : il s’agit de la première pépinière de ré-enracinement créée en Afrique. Fondé sur un domaine de 8 hectares pour sa première phase de développement, le village a pour ambition de rapatrier la « diaspora Africaine », c’est-à-dire les “Afro-descendants” vivant hors d’Afrique et souhaitant se ré-enraciner sur le continent noir, conformément au vieux rêve de « Retour en Afrique ». Parmi les premiers habitants de Dalaal Diam, des Afro-descendants de France, de Martinique, de Guyane et de Belgique ont franchit le pas.
Ce projet collectif de retour volontaire et définitif en terre Africaine a été lancé par Afrikan Mosaïque, une société anonyme (S.A.) de droit sénégalais. Il est intéressant de noter que l’entreprise a pris comme porte-parole Kemi Seba, bien connu pour son activité sulfureuse quand il était en France, et qui est retourné en Afrique (au Sénégal) depuis février 2011 conformément à ses idées. L’objectif principal d’Afrikan Mosaïque est de proposer un choix de société alternatif au Mondialisme nomade en construisant des pépinières de Ré-enracinement pour les Afro-descendants.
Identité, Social et Ecologie
Même si Dalaal Diam n’en est pour le moment qu’au stade de laboratoire, les ingrédients semblent réunis pour qu’il puisse devenir un village modèle.
Le Sénégal a été choisi pour l’implantation car ce pays est une terre historique sur laquelle plusieurs anciens grands royaumes africains ont prospérés, tel que le Royaume du Cayor. Il fallait bien cela pour allier Tradition et Modernité, et bâtir les fondations d’une société conforme à la culture civilisationnelle Africaine et à son propre Art de vivre.
Avant de fonder le village, les responsables du projet indiquent avoir pris le temps de dialoguer avec la population locale afin de réaliser la réconciliation entre les Africains du continent et les Africains de la diaspora (Afro-descendants). Cette réconciliation c’est faite de la meilleure façon qu’il soit : par le travail. Invité sur plusieurs chaînes de télévisions africaines, le porte-parole d’Afrikan Mosaïque explique ainsi que sa société emploie de la main-d’œuvre locale sénégalaise qu’elle rémunère à des prix supérieurs à ceux pratiqués dans la région.
Le jeune village se paye même le luxe de mener une politique écologique. Un centre commercial et des maisons “bioclimatiques” ont été construits. Dans la recherche d’une totale autonomie, un élevage et un maraîchage en adéquations avec l’environnement mettent en valeur le travail des agriculteurs locaux.
Dans la bonne voie
Durant des décennies, l’Afrique a été le champ d’essais « des modes intellectuelles occidentales qui lui furent tour à tour imposées : marxisme, socialisme, libéralisme, tiers-mondisme », telles que les énumère Bernard Lugan, historien spécialiste de l’Afrique dans son livre « Décolonisez l’Afrique ! » ; avec à chaque fois des résultats catastrophiques.
Et si la solution de l’Afrique était, simplement, le développement de l’Afrique par les Africains eux-mêmes ? Ce continent regorge de richesses : or, diamants, bois, pétrole, uranium, etc. Ne vaut-il pas mieux pour un Afro-descendant de mettre en valeur ces ressources naturelles, plutôt que de survivre difficilement en Europe ? La question mérite d’être posée. « Si nous réussissons ici au Sénégal, c’est quelque chose que nous dupliquerons à l’échelle du continent », explique le porte-parole d’Afrikan Mosaïque. Celui-ci évoque le Congo, le Bénin et le Cameroun comme pays où pourront potentiellement éclore de prochaines Pépinières de Ré-enracinement. Une telle initiative mériterait d’être accompagnée par une vaste politique européenne de Re-migration afin que fleurissent des milliers de Dalaal Diam. En ce début de XXIèmesiècle, contrairement à ce qu’annonçait l’agronome René Dumont en 1962, l’Afrique noire est peut-être bien partie.
Arnaud Calion, pour Novopress France
Crédit photos : DR.
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