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tradition - Page 181

  • 9 mai : colloque sur le thème "Dessine-moi un roi"

    L'Action française organise un colloque samedi 9 mai sur le thème "Dessine-moi un roi". Programme :

    INTRODUCTION : Un royalisme contemporain ou le cadre empirique d'une politique monarchique française aujourd'hui. Par François Marcilhac, Directeur éditorial de L’Action française 2000

    AUX FONDEMENTS DE L’ETAT

    • D'un État de droits à un État de libertés, ou la politique monarchique comme l'anti-Hobbes par Gérard Leclerc, Ecrivain et journaliste
    • Le peuple et sa représentation par Stéphane Blanchonnet, Président du Comité Directeur d’Action française
    • Territoire, nation et régions par Frédéric Rouvillois, Ecrivain et professeur des universités

    LA SOCIETE

    • Réinventer les Biens communs par Pierre de Meuse, Historien et docteur en droit
    • Réintroduire l'homme dans la nature par Jean-Philippe Chauvin, Professeur d’histoire
    • Les religions en Royauté par Hilaire de Crémiers, Directeur de Politique Magazine

    DOMAINES REGALIENS

    • La Justice et l'autorité du droit naturel par Philippe Pichot-Bravard, Ecrivain et maître de conférences
    • L'articulation des fonctions souveraines, législative et judiciaire par Guillaume Bernard, Ecrivain et maître de conférences
    • Diplomatie nationale et village mondial par Elie Hatem, Avocat et enseignant à la Faculté Libre de Droit
    • Indépendance militaire et mondialisation des conflits par Bruno Castanier, Historien

    CONCLUSION : La fécondité de la prospective royaliste par François Bel-Ker, Secrétaire général de l’Action française 

    Le 10 mai, se tiendra la traditionnelle marche en l'honneur de Sainte Jeanne d'Arc à 10h. Rendez-vous à 10h Place de l'Opéra - 75009 Paris pour ce cortège. 

    Michel Janva

  • Privilégier le travail de qualité, une obsession corporative.

    J'étais il y a quelques jours à Troyes, au cœur des anciennes foires médiévales de Champagne, et j'en ai profité pour déposer une gerbe de fleurs de lys, au nom du Groupe d'Action Royaliste et de l'Action Sociale Corporative, au pied de la statue en bois polychrome de saint Crépin et de saint Crépinien, patrons des cordonniers, en l'église Saint Pantaléon : il s'agissait, en fait, de rendre hommage au Travail (en tant que monde et qu'activité), aux travailleurs artisans et producteurs, mais aussi à des Métiers (au double sens du terme, à la fois socio-professionnels et corporatifs) que notre société de consommation oublie, préférant pousser à racheter des chaussures destinées à être « vite usées, vite remplacées » plutôt que de les faire raccommoder ou ressemeler. Or, le travail, et en particulier le travail « bien fait », doit être valorisé et pas seulement le fait de consommer, ou d'acheter pour assouvir un désir qui est, parfois, juste celui... d'acheter !

    Cette obsession de la « belle ouvrage » est une caractéristique de l'esprit des corporations du Moyen-âge et des époques qui le suivent : peut-on dire que cela causera leur perte lorsque le XVIIIe siècle verra l'obsession de l'utilité désormais première du temps comptable et purement économique s'affirmer à travers la formule tristement célèbre de Benjamin Franklin, ce fameux « Time is money » qui allait triompher légalement avec la Révolution française, si fatale aux travailleurs et au Travail, par le décret d'Allarde de mars et la loi Le Chapelier de juin 1791 ? En tout cas, aujourd'hui, c'est « homo consumans » qui domine dans nos sociétés, au moins en nombre et en intentions, même si ces dernières naissent parmi le monde de la Finance, de l'innovation et de la publicité : le triomphe de Ford et de Séguéla, diraient certains... Comprenons-nous bien : il ne s'agit pas de dire que l'argent, la recherche et la réclame sont inutiles ou seulement néfastes, mais de regretter qu'ils ne soient pas à leur juste place, celle de moyens économiques et sociaux, de « facilitateurs » ou d'informateurs. Je ne regrette pas leur existence mais leur règne, tout simplement.

    Préférer la qualité à la quantité, telle devrait être la politique de chacun, et en particulier de ceux qui veulent que la question sociale ne soit pas forcément indexée sur les seules rentabilité et compétitivité : mais cela suffit-il dans notre société mondialisée ? On peut en douter, ne serait-ce que du fait de la tentation permanente faite aux consommateurs qui est le ressort privilégié de cette société de consommation dans laquelle nous vivons. C'est là que l’État peut jouer son rôle d'arbitre social et de garant de la « justice sociale » (cette formule que nous devons à... Louis XVI !), en promouvant « la qualité française » et en aidant les entreprises, les artisans, les travailleurs indépendants de ce pays (en priorité mais pas forcément en exclusivité) par des politiques et des stratégies économiques adaptées à chaque secteur d'activité et sans négliger les débouchés de chacune de ces productions : en somme, un néo-colbertisme pour notre temps qui pourrait motiver un « renouveau corporatif », non pour répéter le passé mais pour en retrouver l'inspiration, celle qui privilégie le travail sans négliger les travailleurs...

    http://nouvelle-chouannerie.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1215:privilegier-le-travail-de-qualite-une-obsession-corporative&catid=49:2015&Itemid=60

  • La figure du Katechon chez Carl Schmitt

    Dans sa Théologie politique (1922), la figure du katechon est celle qui, par son action politique ou par son exemple moral, arrête le flot du déclin, la satanisation totale de ce monde de l’en-deçà. Catholique intransigeant, lecteur attentif du “Nouveau Testament”, Schmitt construit sa propre notion du katechon au départ de la Deuxième Lettre aux Thessaloniciens de Paul de Tarse. 

    Le Katechon est la force (un homme, un Etat, un peuple-hegemon) qui arrêtera la progression de l’Antéchrist. Schmitt valorise cette figure, au contraire de certains théologiens de la haute antiquité qui jugeaient que la figure du katechon était une figure négative parce qu’elle retardait l’avènement du Christ, qui devait survenir immédiatement après la victoire complète de l’Antéchrist. 

    Schmitt fonde justement sa propre théologie civile, après avoir constaté cette différence entre les théologiens qui attendent, impatients, la catastrophe finale comme horizon de l’advenance de la parousie, d’une part, et, ceux qui, par le truchement d’une Theologia Civilis tirée en droite ligne de la pratique impériale romaine, veulent pérenniser le combat contre les forces du déclin à l’œuvre sur la Terre, sans trop se soucier de l’avènement de la parousie. Les sociétés humaines, politiques, perdent progressivement leurs valeurs sous l’effet d’une érosion constante. 

    Le katechon travaille à gommer les effets de cette érosion. Il lutte contre le mal absolu, qui, aux yeux de Schmitt et des schmittiens, est l’anomie. Il restaure les valeurs, les maintient à bout de bras. Le Prof. Fabio Martelli a montré comment la notion de Katachon a varié au fil des réflexions schmittiennnes: il rappelle notamment qu’à l’époque de la “théologie de la libération”, si chère à certaines gauches, où un Dieu libérateur se substituait, ou tentait de se substituer, au Dieu protecteur du statu quo qu’il avait créé, Schmitt sautait au-dessus de ce clivage gauche/droite des années 60-70, et aussi au-dessus des langages à la mode, pour affirmer que les pays non-industrialisés (du tiers-monde) étaient en quelque sorte le katechon qui retenait l’anomie du monde industriel et du duopole USA/URSS. 

    Finalement, Schmitt a été tenté de penser que le katechon n’existait pas encore, alors que l’anomie est bel et bien à l’œuvre dans le monde, mais que des “initiés” sont en train de forger une nouvelle Theologia Civilis, à l’écart des gesticulations des vecteurs du déclin. C’est de ces ateliers que surgira, un jour, le nouveau katechon historique, qui mènera une révolution anti-universaliste, contre ceux qui veulent à tout prix construire l’universalisme, arrêter le temps historique, biffer les valeurs, et sont, en ce sens, les serviteurs démoniaques et pervers de l’Antéchrist.

    (résumé de Robert Steuckers de l’intervention du Prof. Dr. Fabio Martelli – Université d’été de la FACE, 1995 ; ce résumé ne donne qu’un reflet très incomplet de la densité remarquable de la conférence du Prof. Fabio Martelli, désormais Président de Synergies Européennes-Italie).

    http://robertsteuckers.blogspot.fr/2015/04/la-figure-du-katechon-chez-carl-schmitt.html

  • « Civilisation du temps et civilisation de l’espace » par Julius Evola

    Les traces qui subsistent — rien que dans la pierre la plupart du temps — de certaines grandes civilisations des origines renferment souvent un sens rarement compris. Devant ce qui reste du monde gréco-romain le plus archaïque et au-delà, de l’Egypte, de la Perse, de la Chine, jusqu’aux mystérieux et muets monuments mégalithiques épars dans les déserts, les landes et les forêts comme derniers vestiges visibles et immobiles de mondes engloutis et disparus — et, comme limite dans la direction opposée de l’histoire, jusqu’à certaines formes du Moyen Age européen : devant tout cela on en arrive à se demander si la miraculeuse résistance au temps de ces témoignages, outre le concours favorable de circonstances extérieures auquel ils doivent d’être encore là, ne contient pas aussi une signification symbolique.

    Cette impression se renforce si l’on pense au caractère général de la vie des civilisations auxquelles la majorité de ces vestiges appartiennent, c’est-à-dire au caractère général de la vie dite « traditionnelle ». C’est une vie qui demeure identique à travers les siècles et les générations, dans une fidélité essentielle aux mêmes principes, au même type d’institutions, à la même vision du monde ; susceptible de s’adapter et de se modifier extérieurement face à des évènements calamiteux, mais inaltérable en son noyau, dans son principe animateur, dans son esprit. 

    Un tel monde semble nous renvoyer surtout à l’Orient. On pense à ce qu’étaient. Jusqu’à des époques relativement récentes, la Chine et l’Inde, et jusqu’à hier le Japon lui-même. Mais, en général, plus on remonte le temps, plus on ressent la vigueur, l’universalité et la puissance de ce type de civilisation, au point que l’Orient finit par être vu comme la partie du monde où, pour des circonstances fortuites, ce type a pu subsister plus longtemps et se développer mieux qu’ailleurs. Dans ce type de civilisation la loi du temps semble être en partie suspendue. Plus que dans le temps, ces civilisations semblent avoir vécu dans l’espace. Elles ont eu un caractère « achronique ». 

    Selon la formule aujourd’hui en vogue, ces civilisations auraient donc été « stationnaires », « statiques » ou « immobilistes ». En réalité, ce sont les civilisations dont même les vestiges matériels semblent destinés à vivre plus longtemps que toutes les créations ou tous les monuments du monde moderne, lesquels, sans exception, sont impuissants à durer plus d’un demi-siècle et à propos desquels les mots « progrès » et « dynamisme » signifient seulement une soumission à la contingence, au mouvement d’un incessant changement, d’une rapide ascension et d’un déclin tout aussi rapide et vertigineux. Ce sont là des processus qui n’obéissent pas à une vraie loi interne et organique, qu’aucune limite ne contient, qui deviennent autonomes et prennent par ta main ceux par qui ils ont été favorisés : voilà la caractéristique de ce monde différent, dans tous les secteurs qui le composent. Cela n’empêche pas qu’on ait fait de lui une sorte de critère de mesure pour tout ce qui aurait droit, au sens le plus élevé, au mot « civilisation », dans te cadre d’une historiographie qui fart siens des Jugements de valeur arrogants et méprisants du genre de ceux auxquels il a été fait allusion plus haut. 

    A cet égard, typique est l’équivoque de ceux qui prennent pour immobilité ce qui eut, dans les civilisations traditionnelles, un sens très différent : un sens d’immutabilité. Ces civilisations furent des civilisations de l’être. Leur force se manifesta justement dans leur identité, dans la victoire qu’elles obtinrent sur le devenir, sur l’« histoire », sur le changement, sur l’informe fluidité. Ce sont des civilisations qui descendirent dans les profondeurs et qui y établirent de solides racines, au-delà des eaux périlleuses en mouvement. L’opposition entre les civilisations modernes et les civilisations traditionnelles peut s’exprimer comme suit : les civilisations modernes sont dévoratrices de l’espace, les civilisations traditionnelles furent dévoratrices du temps.

    Les premières donnent le vertige par leur fièvre de mouvement et de conquête de l’espace, génératrice d’un arsenal inépuisable de moyens mécaniques capables de réduire toutes les distances, de raccourcir tout intervalle, de contenir dans une sensation d’ubiquité tout ce qui est épars dans la multitude des lieux. Orgasme d’un désir de possession ; angoisse obscure devant tout ce qui est détaché, isolé, profond ou lointain ; impulsion à l’expansion, à la circulation, à l’association, désir de se retrouver en tous lieux — mais jamais en soi-même. La science et la technique, favorisées par cette impulsion existentielle irrationnelle, la renforcent à leur tour, la nourrissent, l’exaspèrent : échanges, communications, vitesses par delà le mur du son, radio, télévision, standardisation, cosmopolitisme, internationalisme, production illimitée, esprit américain, esprit « moderne ». Rapidement le réseau s’étend, se renforce, se perfectionne. L’espace terrestre n’offre pratiquement plus de mystères. Les voies du sol, de l’eau, de l’éther sont ouvertes. Le regard humain a sondé les cieux les plus éloignés, l’infiniment grand et l’infiniment petit. On ne parle déjà plus d’autres terres, mais d’autres planètes. Sur notre ordre, l’action se produit, foudroyante, où nous voulons. Tumulte confus de mille voix qui se fondent peu à peu dans un rythme uniforme, atonal, impersonnel. Ce sont les derniers effets de ce qu’on a appelé la vocation « faustienne » de l’Occident, laquelle n’échappe pas au mythe révolutionnaire sous ses différents aspects, y compris l’aspect technocratique formulé dans le cadre d’un messianisme dégradé.

    A l’inverse, les civilisations traditionnelles donnent le vertige par leur stabilité, leur identité, leur fermeté intangible et immuable au milieu du courant du temps et de l’histoire : si bien qu’elles furent capables d’exprimer jusqu’en des formes sensibles et tangibles comme un symbole de l’éternité. Elles furent des îles, des éclairs dans le temps ; en elles agirent des forces qui consumaient le temps et l’histoire. De par ce caractère qui leur est propre, il est inexact de dire qu’elles « furent » — on devrait dire, plus justement et plus simplement, qu’elles sont. Si elles semblent reculer et s’évanouir dans les lointains d’un passé qui a même parfois des traits mythiques, cela n’est que l’effet du mirage auquel succombe nécessairement celui qui est transporté par un courant irrésistible qui l’éloigné toujours plus des lieux de la stabilité spirituelle. 

    Du reste, cette image correspond exactement à l’image de la « double perspective » donnée par un vieil enseignement traditionnel : les « terres immobiles » fuient et se meuvent pour celui qui est entraîné par les eaux, les eaux remuent et fuient pour celui qui est fermement ancré dans les « terres immobiles ». 

    Comprendre cette image, en la rapportant non au plan physique mais au plan spirituel, veut dire percevoir aussi la Juste hiérarchie des valeurs, dès lors que le regard porte au-delà de l’horizon dans lequel sont enfermés nos contemporains. Ce qui semblait appartenir au passé devient présent, de par la relation essentielle des formes historiques (et comme telles contingentes) à des contenus méta-historiques. Ce qui était jugé « statique » se révèle saturé d’une vie pléthorique. Les vaincus, les décentrés, ce sont les autres. Devenirisme, historicisme, évolutionnisme et ainsi de suite apparaissent comme des ivresses de naufragés, comme les vérités propres à ce qui fuit (où fuyez-vous en avant, imbéciles ? — Bernanos), à ce qui est privé de consistance intérieure et ignore cette consistance, à ce qui ne connaît pas la source de toute élévation véritable et de toute conquête effective — des conquêtes qui ne furent pas seulement des culminations spirituelles intangibles et souvent invisibles, mais qui s’exprimèrent également dans des faits, des épopées, des cycles de civilisation qui, précisément, même dans leurs vestiges de pierre muets et dispersés, semblent refléter quelque chose d’intemporel, d’éternel. A quoi s’ajoutent aussi certaines créations artistiques traditionnelles, monolithiques, rudes et puissantes, étrangères à tout ce qui est subjectif, souvent anonymes, comme des prolongements des forces élémentaires elles-mêmes.

    Il faut enfin rappeler quelle fut, dans les civilisations traditionnelles, la conception du temps : non pas une conception linéaire, irréversible, mais une conception cyclique, à périodes. D’un ensemble de coutumes, de rites et d’institutions propres soit aux civilisations supérieures, soit aux traces de celles-ci chez certains peuples dits « primitifs » (on peut se rapporter à ce sujet aux matériaux recueillis par l’histoire des religions — Hubert, Mauss, Eliade et d’autres), apparaît l’intention constante de ramener le temps aux origines (d’où le cycle), dans le sens d’une destruction de ce qui, en lui, est simple devenir, de le freiner, de lui faire exprimer ou refléter des structures supra-historiques, sacrées ou métaphysiques, souvent liées au mythe. De la sorte, et non comme « histoire », le temps — tel une « image mobile de l’éternité » — acquit valeur et sens. Retourner aux origines voulait dire se rénover, boire à la source de l’éternelle jeunesse, confirmer la stabilité spirituelle, contre la temporalité. Les grands cycles de la nature suggéraient cette attitude. La « conscience historique », inséparable de la situation des civilisations « modernes », ne scelle que la fracture, la chute de l’homme dans la temporalité. Mais elle est présentée comme une conquête de l’homme actuel, c’est-à-dire de l’homme crépusculaire.

    Le cas n’est pas rare que certaines découvertes, à l’origine de conceptions générales destinées à révolutionner une époque, même lorsqu’elles entrent dans le domaine d’une objectivité scientifique présumée, aient le caractère d’un symptôme, si bien que leur apparition à une période donnée, et non à une autre, n’est pas le fruit du hasard. Pour nous référer, par exemple, à la science de la nature, il est plus ou moins connu de tous que selon la dernière théorie en vogue — Einstein et ses continuateurs — c’est chose indifférente d’affirmer que la terre tourne autour du soleil, ou l’inverse : il est seulement question de préférer une plus ou moins grande complication de calculs astrophysiques dans la fixation des systèmes relationnels. Or, il est très significatif que la « découverte copernicienne », avec laquelle le fait que la terre soit le centre fixe et immobile des entités célestes cessa d’être « vrai » — alors que devint « vrai » le contraire, que c’est elle qui se meut, que sa loi est d’errer dans l’espace cosmique comme partie insignifiante d’un système dispersé ou en expansion dans l’indéfini — sort survenue plus ou moins à l’époque de la Renaissance et de l’humanisme, c’est-à-dire à l’époque des bouleversements les plus décisifs pour l’avènement d’une civilisation nouvelle, dans laquelle l’individu devait perdre peu à peu tout rapport avec ce qui « est », devait déchoir de toute centralité spirituelle jusqu’à faire sien le point de vue du devenir, de l’histoire, du changement, du courant incoercible et imprévisible de la « vie » (le plus singulier, c’est qu’au début de ce tournant il y a eu au contraire la prétention — l’illusion — d’avoir finalement découvert l’« homme », de l’affirmer et de le glorifier, d’où le terme d’« humanisme » ; en réalité, ce fut une réduction à ce qui est « seulement humain », avec un appauvrissement de la possibilité d’une ouverture et d’une intégration au « plus qu’humain »). 

    Ce n’est pas là le seul des tournants symboliques que l’on pourrait relever à ce sujet. Sur l’exemple donné à présent — la « révolution copernicienne » — un point doit être précisé : dans le monde traditionnel aucune vérité dite « objective » n’était importante ; des vérités de ce genre pouvaient également être prises en considération, mais accessoirement, et cela à cause de leur relativité effective d’une part, de leur valeur humaine de l’autre, en tenant compte de critères d’opportunité à l’égard du sentiment général. Une théorie traditionnelle de la nature pouvait donc même être « erronée » du point de vue de la science moderne (à un de ses stades) ; mais sa valeur, la raison pour laquelle elle était adoptée tenait à sa capacité de servir de moyen expressif à quelque chose de vrai sur un plan différent et plus intéressant. Par exemple, la théorie géocentrique saisissait dans le monde des apparences sensibles un aspect propre à servir de support à une vérité d’une autre sorte et inattaquable ; la vérité concernant l’« être », la centralité spirituelle, comme principe de l’essence véritable de l’homme.

    Cela suffira pour éclairer morphologiquement l’opposition entre civilisations de l’espace et civilisations du temps. De cette opposition, il serait également aisé de déduire l’antithèse correspondante, typologique et existentielle, entre l’homme du premier type de civilisation et l’homme du second type. Et si l’on devait passer au problème de la crise de l’époque présente, en s’appuyant sur ce qui a été dit, l’inutilité de n’importe quelle critique, de n’importe quelle réaction et de n’importe quelle velléité d’actions rectificatrices apparaîtrait assez clairement, tant que, dans l’homme lui-même ou, du moins, dans un certain nombre d’hommes en mesure d’exercer une influence décisive, ne se produira pas un changement intérieur de polarité — une metanoia, pour reprendre le terme antique : dans le sens d’un déplacement vers la dimension de l’« être », de « ce qui est », dimension qui s’est perdue et dissoute chez l’homme moderne au point que rares sont ceux qui connaissent la stabilité intérieure, la centralité, par conséquent aussi la sécurité calme et supérieure ; alors qu’inversement un sentiment caché d’angoisse, d’inquiétude et de vide se répand toujours plus malgré l’emploi systématique à grande échelle et dans tous les domaines des sédatifs spirituels récemment inventés. Du sens de l’« être », de la stabilité, ne pourrait pas ne pas provenir de façon naturelle le sens de la limite, comme principe, dans un domaine plus extérieur également, pour se réaffirmer sur des forces et des processus devenus plus puissants que ceux qui les ont inconsidérément mis en mouvement dans la temporalité.

    Mais à considérer la situation dans son ensemble, il reste tout à fait problématique de pouvoir trouver de solides points d’appui dans une civilisation qui, comme la civilisation moderne, est en tout et pour tout, dans une mesure sans précédents dans le passé, une civilisation du temps. D’autre part, il est assez évident qu’on aurait dans ce cas, plus qu’une rectification, la fin d’une forme et la naissance d’une nouvelle forme. Ainsi, raisonnablement, en règle générale on ne peut envisager que des orientations différentes dans certains domaines particuliers et, surtout, ce que de rares hommes différenciés, comme s’ils s’éveillaient, peuvent encore se proposer et réaliser invisiblement.

    Julius Evola

    Ce texte constitue le premier chapitre du livre de Julius Evola, L’arc et la massue, Pardès, 1983 (traduit de l’italien par Philippe Baillet). Première édition italienne en 1971.

    SourceLa Dissidence

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/

  • Pour un réveil français

    Sans racines, il n’y a plus de vie, plus de progression, plus d’avenir. Sans affirmation d’un « nous », il n’y même plus de « je ».

    Les tragiques événements qui endeuillent la France par le meurtre d’une jeune femme innocente qui semblait rayonner la joie de vivre, la menace récurrente contre nos églises et tout ce qui est cher à notre patrie commune, doivent nous rappeler, si cela était nécessaire, que nous ne sommes plus en paix depuis bien longtemps déjà. Et cela notamment parce que les Français ont perdu l’habitude de s’aimer.

    Ceux que l’on désigne abusivement comme nos élites travaillent en concertation, avec l’école et les médias, à cet esprit de repentance, à ce désamour, ce dégoût de nous-mêmes, pour faire une société soumise, anomique et culpabilisée.

    Les prophètes de malheur, parmi lesquels Jacques Attali – pour ne citer que lui, qui a eu de l’influence sur tous les gouvernements qui se succèdent depuis 81 -, affirment détester les « racines » et prêchent la notion de « citoyen du monde » en regardant négligemment leur Rolex.

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  • Institut Iliade : « Discerner les continuités qui donnent au monde européen son identité »

    Philippe Conrad, président de l’Institut Iliade, historien et directeur de La Nouvelle Revue d’histoire, répond aux questions de Le Rouge et le Noir.

    « La “vieille Europe ”, celle d’avant le « sombre XXe siècle », nous a laissé en ce domaine un héritage exceptionnel dont nous souhaitons que les générations nouvelles d’aujourd’hui, désemparées par les escroqueries du prétendu “art contemporain”, puissent le redécouvrir ».

    R&N : Philippe Conrad, pouvez-vous présenter l’Institut Iliade ?

    Philippe Conrad : L’institut Iliade a été créé en juin 2014, un an après la mort de Dominique Venner qui avait formulé le souhait de voir une structure de ce type poursuivre l’action qu’il avait engagée en vue de réveiller la conscience française et européenne, endormie dans les temps de chaos que nous connaissons depuis plusieurs décennies. L’Institut a vocation à développer des actions de formation intellectuelle au profit des jeunes générations qui accèdent aujourd’hui aux responsabilités. Il a également pour but l’organisation de manifestations culturelles telles que conférences, colloques ou voyages. Il dispose d’un site qui doit faire connaître ses activités et fournir les munitions intellectuelles nécessaires à tous ceux qui cherchent à comprendre le monde d’aujourd’hui et à agir sur lui.

    R&N : Vous introduirez le colloque de l’Iliade le 25 avril prochain sur l’univers esthétique. Quel est le but du colloque ?

    Philippe Conrad : Après avoir évoqué l’an dernier la figure de Dominique Venner, nous nous attachons cette année à la représentation de la beauté qui a été, dans la longue durée, celle des Européens. Chaque espace de civilisation définit des normes particulières quant à la conception de l’homme ou de la société, et c’est tout autant vrai en matière artistique. Or la « vieille Europe », celle d’avant le « sombre XXe siècle », nous a laissé en ce domaine un héritage exceptionnel dont nous souhaitons que les générations nouvelles d’aujourd’hui, désemparées par les escroqueries du prétendu « art contemporain », puissent le redécouvrir.

    R&N : Qu’est-ce qu’un « univers esthétique » ? Ce qui encadre l’art ? Un ensemble de valeurs ?

    Philippe Conrad : Un « univers esthétique » correspond à une certaine appréhension du monde, à un ensemble de règles et de représentations dans le cadre desquelles peuvent évoluer les artistes et les créateurs qui vont exprimer, au fil du temps, des valeurs ou des sensibilités qui, au-delà des transformations formelles ou des inspirations successives, témoignent de permanences supérieures.

    R&N : De quelle Europe parle-t-on ? Quelles limites chronologiques et géographiques ?

    Philippe Conrad : Notre Europe se constitue déjà, à beaucoup d’égards, avec les sociétés aristocratiques qui se mettent en place à partir de l’Age du Bronze. Elle s’affirme ensuite en Grèce avec les récits fondateurs que nous a laissés Homère, puis à Rome, mais aussi dans les contrées « barbares » des mondes celtique et germanique. L’aventure se poursuit à Byzance et dans le monde slave tout autant que dans l’Occident latin profondément imprégné par le christianisme à partir du IVesiècle. C’est sur cette petite péninsule du continent asiatique qu’évoquait Valéry que s’est développé un espace civilisationnel tout à fait original qui va engager, à partir des XVe-XVIe siècles, le décloisonnement du monde et imposer à la planète une domination remise en cause par l’immense tragédie que fut la guerre civile européenne de 1914-1945.

    R&N : Y a-t-il des univers pré-chrétiens, chrétiens et post-chrétiens ? Quelle continuité entre les univers esthétiques, ancien puis chrétien et enfin moderne ? Quel est l’apport de l’Europe chrétienne selon vous ?

    Philippe Conrad : Il est aisé de discerner les continuités qui, dans la longue durée, donnent au monde européen son identité, de l’Antiquité antérieure au christianisme puis à la modernité qui s’en est progressivement éloignée. L’héritage du christianisme demeure, dans tous les cas, essentiel dans la construction de notre civilisation, quels que soient les dénis de réalité auxquels nous avons été confrontés quand les inspirateurs de la calamiteuse Europe de Bruxelles ont refusé haut et fort de reconnaître les racines chrétiennes pourtant indiscutables de notre civilisation. Le christianisme est devenu, à partir de la fin de l’Antiquité, et pour les quinze siècles qui ont suivi, la religion de l’Europe et a largement déterminé les différents aspects sociaux, politiques, culturels de sa civilisation.

    R&N : Quel est le rôle de la France dans cet univers esthétique européen ?

    Philippe Conrad : Ce rôle est évidemment majeur du fait de l’histoire qui a été celle de notre pays au cœur du continent. Il suffit d’évoquer notre patrimoine médiéval, l’importance de la place occupée par la langue française à partir du XVIIe siècle ou le rôle de premier plan joué par les artistes ou les penseurs français au cours des derniers siècles pour le constater. En cela, la France s’inscrit dans la magnifique symphonie d’une Europe où plusieurs pays ont successivement occupé le premier rang dans le contexte des rivalités de puissance du passé mais où, aujourd’hui, les facteurs d’unité apparaissent, sur le plan culturel, de plus en plus évidents, dans un monde dominé par un matérialisme et un utilitarisme devenus puissamment mortifères.

    Philippe Conrad, 20/04/2015

    « L’univers esthétique des Européens », colloque annuel de l’Institut Iliade, samedi 25 avril de 14h à 18h30 la Maison de la Chimie, 28 rue Saint Dominique, 75007 Paris. Avec les interventions d’Alain de Benoist (« L’art européen, un art de la représentation »), Slobodan Despot (« L’art européen et le sentiment de la Nature »), Christopher Gérard (« La beauté et le sacré »), Jean-François Gautier (« La polyphonie du monde »), Javier Portella (« La dissidence par la beauté ») et des présentations de hauts lieux européens (Duarte Branquinho, Adiano Scianca, Philip Stein, Marie Monvoisin).

    Renseignements et Inscriptions :  http://institut-iliade.com/   (formulaire d’inscription en bas de page)

    Source : Le rouge et le Noir.org

  • Les Sentinelles ne lâchent rien

    A Lyon comme à Paris, en ce funeste 2e anniversaire de la loi Taubira :

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    Michel Janva

  • Les racines de la France sont catholiques depuis le baptême de Clovis

    Extrait de la tribune de Denis Tillinac dans Valeurs Actuelles :

    "(...) L’islam prétend enraciner le multiculturalisme confessionnel dans notre pays. Or, le nombre ne saurait suppléer l’absence de racines historiques. Les confessions sont évidemment égales devant la loi, laïcité oblige ; elles ne le sont pas à l’aune de la mémoire. Quinze siècles d’accointances intimes avec la catholicité ont profilé notre paysage intérieur, façonné notre spiritualité, notre sentimentalité, notre sociabilité, notre esthétique, notre ludisme, notre scansion du temps, notre érotisme même (...)

    La séparation des Églises et de l’État a émancipé le citoyen de la tutelle d’un cléricalisme tantôt gallican, tantôt vaticanesque : c’était opportun et nul ne le conteste. Reste l’héritage d’une architecture mentale bâtie, étayée, enluminée par la catholicité romaine. L’âme de la France plane au-dessus des clochers de Notre-Dame qui a solennisé les hautes heures de son histoire, y compris le Te Deum de la Libération avec de Gaulle et Leclerc. L’“identité” de la France est insaisissable si l’on occulte la symbolique liée à la cathédrale de Reims, à la crypte de Saint-Denis — et à ces monastères bénédictins et cisterciens qui ont transmis le savoir et défriché nos arpents (...)

    J’ai le plus sincère respect pour la piété d’un musulman ou d’un hindouiste : toute invocation d’une transcendance vaut mieux que le culte du fric et de l’egoMais ces confessions n’ont aucun ancrage dans notre inconscient collectif, aucune résonance dans nos coeurs. En accréditant sournoisement l’illusion d’une équivalence, nos dirigeants assèchent les sources de notre patriotisme et humilient les fidèles catholiques (...)

    Il y a beaucoup de musulmans en France, ils ont droit au respect de leur foi et à la possibilité d’exercer dignement leur culte. Mais on ne décrète pas des racines : les nôtres sont catholiques au sens large depuis le baptême de Clovis, point final."

    Philippe Carhon

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • L’Université d’été pour Tous : une tentative de pérennisation et de politisation du mouvement social de 2013

    Sas vers la radicalisation ou la normalisation, LMPT offre aussi la possibilité d’une reconversion pour ceux de ses membres dont l’éternel militantisme, souvent condamné à la marge et à l’ombre, a retrouvé des couleurs à l’occasion des manifestations. Une partie des cadres du mouvement se retrouve ainsi à la fin du mois d’août 2013 pour une Université d’Eté pour Tous dont le programme, publié sur internet, est intitulé, sans grande sobriété, « Nous sommes le peuple » : 
     
    Après le soulèvement populaire et spontané des derniers mois, il est temps de nous former en profondeur afin de répondre aux nouveaux enjeux politiques et sociaux qui s’annoncent. Venez nous rejoindre pour une semaine de formation du dimanche 25 août au dimanche 1er septembre à Lignières dans le Cher (18160). L’Université d’Eté pour Tous est un moment d’amitié, où une jeunesse animée d’une même conviction va se retrouver, échanger et tisser des liens durables. 
     
    Le choix même des intervenants ne va pas sans refléter une certaine sensibilité. Tandis que, du point de vue des organisations, Béatrice Bourges et le Printemps français marquent le terrain, on note la présence de collectifs tels que Ta ville en action, les Mères Veilleuses et le Camping pour tous de Samuel Lafont. Sur le front des portails, le site Nouvelles de France occupe la première place. L’invité-vedette n’est autre que Robert Ménard, ancien secrétaire général de Reporter sans Frontières, alors candidat à la mairie de Béziers et engagé dans un pas de deux avec le Front national. Mais le magistère intellectuel de cette Université pour tous revient sans conteste à Gérard Leclerc dont l’autorité et l’influence sont à l’inverse de son peu de propension à jouer les chefs de bande. 
         La liste des lectures recommandées et des livres disponibles à l’achat, comme il se doit dans ce type de réunion, est en soi éloquente. Outre un excellent ouvrage sur la droitisation de la vie politique (ndlr : l'auteur parle de son livre Voyage au bout de la droite), les animateurs conseillent aux « campeurs » les œuvres classiques et incontournables d’Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France, de Joseph de Maistre, Considérations sur la France. Pour compléter ce corps doctrinal d’un savoir plus historique, ils font valoir les fondamentaux que sont La Révolution française de Pierre Gaxotte, Vendée : du génocide au mémoricide : Mécanique d’un crime légal contre l’humanité, sous la direction de Reynald Secher, et Le livre noir du communisme, sous celle de Stéphane Courtois. Soit le vade-mecum de l’anti-moderne mâtiné d’antitotalitarisme. 
     
    Gaël Brustier, Le mai 68 conservateur

  • De la déesse de l'aurore

    En ce 15 août, il me paraissait intéressant de consacrer un article à une déesse fondamentale au sein des mythologies indo-européennes, déité vierge uniquement lorsqu’elle adopte une dimension guerrière, à l’instar de Pallas Athênê en Grèce.

    A l’origine, les divinités indo-européennes patronnent les éléments de la nature, et en particulier le ciel, la terre et les astres, mais aussi les phénomènes atmosphériques. Jean Haudry a notamment démontré que le système trifonctionnel indo-européen était appliqué aux cieux, ceux-ci se partageant entre le ciel de nuit, correspondant aux forces telluriques et infernales, le ciel de jour, correspondant à la lumière des divinités souveraines, et enfin le ciel intermédiaire, le *regwos (ou « érèbe »), ciel auroral et crépusculaire, lié à la couleur rouge, mais aussi ciel d’orage. Les trois couleurs sont donc le blanc de la souveraineté, le rouge de la guerre et le noir de la fonction de production. Dans ce schéma, le ciel nocturne, domaine du dieu *Werunos (« le vaste »), qui donnera Ouranos en grec et Varuna en sanskrit, peut être remplacé par la terre, domaine de la déesse *Dhghom (« Dêmêter »), épouse du dieu céleste *Dyeus (« Zeus ») et en ce sens surnommée *Diwona (« celle de Dyeus »), qu’on retrouve dans le nom de la divinité romaine Dea Dia, probablement aussi dans celui de Diane, et dans la grecque Dionè, mère d’Aphrodite, respectant ainsi ce code de couleurs.

    Le ciel intermédiaire est patronné par deux divinités fondamentales des panthéons indo-européens, à savoir le dieu de l’orage, *Maworts (génitif *Mawrtos), et la déesse de l’aurore *Ausōs (génitif *Ausosos), l’un et l’autre formant réunis probablement à l’origine un couple divin, couple qui sous la forme de Mars et de Venus inspirera les artistes depuis Homère. *Ausōs portait plusieurs épiclèses importantes, *bherghenti (« celle qui est élevée ») et *Diwos *dhughater (« fille de Zeus »), mais était également liée à la racine *men-, relative à tout ce qui relève de l’intelligence.

    La triple aurore grecque.

    Le déesse grecque de l’aurore est Eôs, une déesse mineure du panthéon hellénique, qu’Homère qualifie d’ « aux doigts de rose », et pour laquelle peu de mythes sont associés, à savoir celui des amours d’Arès et d’Eôs d’une part et celui de Tithon d’autre part, amant troyen dont elle avait demandé à Zeus de lui accorder l’immortalité, mais en oubliant de lui faire accorder également la jeunesse éternelle, ce qui en fit de fait le premier zombie de la mythologie.

    Si Eôs, déesse pourtant fondamentale des panthéons indo-européens, est si mineure, c’est en fait parce que son rôle a été repris par deux nouvelles divinités, qui étaient probablement à l’origine de simples épiclèses de l’Aurore, à savoir Athéna et Aphrodite. Même si leur étymologie est obscure, on peut émettre quelques hypothèses sérieuses. Athéna est formée de la racine *-nos/a qui désigne une divinité (exemple : Neptu-nus à Rome, Ðiro-na chez les Celtes) et de la base athê[- qui pourrait être liée à l’idée de hauteur. Athéna serait ainsi la déesse protectrice des citadelles, comme l’acropole d’Athènes. Elle incarne l’Aurore guerrière, casquée et armée. Quant à Aphrodite, son nom a été rapproché de celui de la déesse ouest-sémitique Ashtoreth (« Astarté »), déesse tout comme elle honorée à Chypre. S’il est probable que les deux déesses ont été associées dans l’esprit des chypriotes grecs, cela ne signifie pas pour autant qu’Aphrodite serait d’origine sémitique. En fait, son étymologie classique de « née de l’écume des mers » pourrait bien être la bonne, car on peut la comparer avec le nom de petites divinités féminines indiennes, les Apsaras, nymphes érotiques peuplant le Svarga (« paradis indien ») du dieu Indra dans la tradition védique, et elles aussi nées sorties des eaux. Elle incarne l’Aurore amoureuse, symbolisée par la rose.

    Enfin, Athéna est la fille de la déesse de la sagesse, Mêtis (p.i.e *Men-tis) dont le nom rappelle très précisément celui de la déesse Minerve, son équivalente latine.

    Cela nous amène à constater l’existence de trois déesses de l’aurore, celle du phénomène atmosphérique (Eôs), celle de la guerre défensive (Athêna) et celle du désir amoureux (Aphrodite), déesses par ailleurs toutes liées au dieu de la guerre Arês. Eôs et Aphrodite ont en effet été l’une et l’autre la maîtresse du dieu, alors qu’Athéna est présentée comme sa rivale sur les champs de bataille par Homère mais était souvent honorée aux côtés du dieu, comme dans le temple d’Arès à Athènes. En outre, même s’il existe par ailleurs un Zeus Areios, une version guerrière du dieu suprême, parmi toutes les déesses, seules Athéna et Aphrodite sont qualifiées d’Areia. Arês joue ici son rôle originel, celui de dieu de l’orage et de la guerre, même si, sous l’influence crétoise, les Grecs ont préféré conférer désormais à Zeus cette fonction de dieu foudroyant, qu’en revanche son homologue germano-scandinave Thor conservera.

    Déesse de l’amour et de la guerre.

    *Ausōs est donc une déesse plutôt complexe, liant deux aspects qui peuvent paraître contradictoires. Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène propre aux divinités indo-européennes, puisque la déesse proto-sémitique *Ațtartu associait ces deux rôles, tout comme la déesse sumérienne Inanna, même si en revanche elle n’était pas aurorale. Par ailleurs, comme dans le cas grec, la déesse de l’aurore sous son nom propre a bien souvent perdu de sa superbe au profit de divinités nouvelles. Ce n’est toutefois pas le cas partout.

    Dans le monde indo-iranien, la déesse Ushas (sanskrit) ou Ushah (vieux-perse) a conservé ses traits originels, même si elle partage désormais son rôle de déesse de l’amour avec la Venus indienne, la déesse Rati, « le Désir », mère du dieu de l’amour Kama comme Aphrodite est celle d’Erôs. Chez les Lituaniens, la déesse lituanienne Aushrinè reste au premier plan, alors que chez les Lettons, pour une raison inexpliquée, elle a changé de sexe et est devenu le dieu Auseklis et personnifie par ailleurs la planète Venus.

    En revanche, chez les Romains, même si Aurora a conservé des éléments de culte plus solides, elle connaîtra une évolution parallèle à celle qu’elle a connue chez les Grecs. Si Aurora est Mater Matuta, « la déesse des matins », attestant de son rôle atmosphérique, elle n’est plus une déesse guerrière, son rôle étant repris par Minerve, et plus non plus déesse de l’amour, car Venus a pris le relai.

    Dans le rôle de déesse aurorale guerrière, on trouve les Zoryas slaves (au nombre de trois), les Valkyries germano-scandinaves, toutes casquées et armées comme Athéna. Dans le rôle de déesse aurorale de l’amour, c’est en revanche Lada chez les Slaves et Freya chez les Germano-scandinaves. Cela explique pourquoi une partie des guerriers morts ne va pas au Valhalla pour rejoindre Odin mais au paradis de la déesse Freya, illustrant à l’état de vestige un rôle guerrier plus ancien. Freya, dont le nom signifie sans doute « chérie » (p.i.e *priya), est la Venus scandinave, alors qu’Ostara, déesse de l’aurore fêtée au moment de la Pâques germanique, est restreinte aux questions de fécondité de la nature.

    La déesse albanaise Premtë, épouse du dieu de l’orage Perëndi, remplace Agim, « l’aurore », de même que la celte Epona, « celle du cheval », car une des représentations les plus anciennes est celle d’une Aurore cavalière. La Brighid celte, déesse vierge comme Athéna, et qui était appelée Brigantia par les Gaulois, patronnait les affaires guerrières, et apparaissait sous son aspect le plus cruel sous les traits de Morrigain.

    Déesse de la planète Venus.

    Indo-européens et Sémites ont, pour une raison mystérieuse, sans doute liée à la couleur de l’astre, associé l’Aurore et la planète Venus. En revanche, les Sumériens avaient lié la planète Venus à la déesse Inanna, aucune déesse spécifique de l’aurore n’apparaissant dans leur mythologie. Si les Akkadiens ont simplement remplacé Inanna par leur Ishtar, les peuples ouest-sémitiques ont en revanche associé l’astre à leur propre dieu de l’aurore, Shahar.

    Une des particularités du dieu Shahar c’est d’avoir engendré deux frères jumeaux, qui sont Helel, dieu de l’étoile du matin, et Shalem, dieu de l’étoile du soir. On retrouve un phénomène comparable chez Aphrodite, Venus et le dieu letton Auseklis. Il est difficile de savoir si c’est un emprunt des Indo-Européens aux Sémites, ou bien des Sémites aux Indo-Européens, et à quelle époque. Chez les Arabes païens également, deux dieux jumeaux patronnent le matin et le soir, à savoir Aziz et Ruda.

    Aphrodite est la mère de Phosphoros, également appelé Eosphoros, « porteur d’aurore », ce qui est significatif, et de son frère Hesperos. De la même façon, probablement par imitation de la déesse grecque, Venus est la mère de Lucifer et de Vesper, l’un et l’autre pouvant s’expliquer par le proto-indo-européen (*leuks-bher, « porteur de lumière » et *wesperos, « soir »). Enfin, les jumeaux divins de la mythologie lettone, fils du dieu du ciel Dievs, à savoir Usins (« Aurore ») et Martins (« Mars ») sont également associés au matin et au soir.

    Si la planète Venus semble associée dès l’époque proto-indo-européenne à la déesse *Ausōs, l’introduction de deux fils patronnant le matin et le soir, un dieu du matin et un dieu du soir, semblent résulter d’une influence extérieure, sumérienne ou sémitique. Ainsi, chez les Celtes, les Germains, les Slaves par exemple, mais aussi en Inde et en Lituanie, on ne retrouve pas de « fils de l’aurore » patronnant le matin et le soir. Ce n’est le cas concrètement qu’en Grèce et à Rome, cette dernière ayant été en outre considérablement influencée par son aînée en Méditerranée. En outre, les jumeaux divins ne sont pas non plus « fils de l’Aurore », mais fils du dieu du ciel (Zeus en Grèce, Dievas en Lituanie, Dyaus en Inde), rôle repris à Rome par le dieu de la guerre (Romulus et Rémus sont fils de Mars et non de Jupiter).

    Le mythe de la déesse-vierge guerrière.

    On a pu constater que lorsqu’une déesse a remplacé l’Aurore dans son rôle guerrier, elle y a pris les traits d’une déesse virginale. C’est notamment le cas d’Athéna et de Minerve, comme si une sexualité accomplie était incompatible avec ce rôle plutôt masculin. Et c’est en raison d’une histoire d’amour que la valkyrie Brynhildr, amoureuse de Siegfried, connaîtra bien des tourments. Cette virginité est aussi l’apanage d’Artémis, déesse de la chasse et de la nature sauvage inviolée.

    La déesse-vierge a été remplacée dans la mythologie européenne par la Vierge Marie, privée pourtant de tout rôle militaire. L’ « amazone » est devenue une sorcière, promise à la mort, et d’ailleurs Diane est considérée au moyen-âge comme la déesse par excellence du sabbat. La femme européenne pouvait apparaître comme une guerrière, ou en tout cas avait un rôle pour galvaniser les guerriers, même si elle ne participait pas directement au combat. Ce mythe se retrouve pleinement dans celui de Jeanne d’Arc, mais aussi dans les différentes incarnations patriotiques de la nation. Britannia est totalement calquée sur la Minerve romaine, et Germania ressemble à une valkyrie. La république française, incapable de rompre totalement avec le christianisme, a préféré une déesse-mère, Marianne, « petite Marie ». Elle a aussi choisi toutefois de se représenter en Cérès, déesse du blé, la fameuse semeuse, et non en divinité guerrière. On notera enfin que les Sans Culottes, et notamment Hébert, préféraient la déesse Raison, qui n’était autre que Minerve elle-même.

    Venus sans Mars, Mars sans Venus.

    De l’Athêna Potnia mycénienne à la déesse Raison, on retrouve une filiation que le christianisme même n’a pas réussi à rompre. Et face au puritanisme, la déesse Aphrodite a vaincu elle aussi. C’est dire si la déesse de l’aurore, en tant qu’Athéna comme en tant qu’Aphrodite, a joué et joue un rôle fondamental dans la psychê européenne. C’est elle qui raisonne Mars lorsqu’il est courroucé et l’occupe aux jeux de l’amour, délaissant alors le champ de bataille. Si Rome connut douze siècles de puissance, c’est parce qu’elle était la cité de Mars et de Venus, l’un et l’autre s’équilibrant, comme le souligna le poète Rutilius Namatianus. Et lorsque le politologue américain Robert Kagan définit l’Europe comme le continent de Venus, il nous rappelle que la puissance résulte de l’union des deux divinités, mais le dieu Mars est mal vu depuis un peu plus d’un demi-siècle en Europe. Lorsque Mars triompha, Venus était encore prisonnière des geôles vaticanes. Lorsque Venus triomphe, aujourd’hui, c’est Mars qui est sous les chaînes. Le déchaîner sauvera l’Europe. Car il n’y a pas de paix sans conflit (Venus sans Mars), et pas de science sans puissance (Minerve sans Mars).

    Thomas Ferrier (LBTF/PSUNE)

    http://thomasferrier.hautetfort.com/  via http://vouloir.hautetfort.com/archive/2015/03/14/de-la-deesse-de-l-aurore-5567281.html