Charles Péguy l’a dit d’une formule dont il avait le secret : « Rien n’est plus vieux que le journal de ce matin, et Homère est toujours jeune ». C’est un rare privilège : ne pas vieillir. Eh bien, ce privilège, c’est celui d’Homère. Voilà bientôt 3 000 ans qu’il défie le temps, imperturbablement, et qu’il rappelle à l’Europe son baptême originel, dans la plaine de Troie, en Asie mineure, là même où les Grecs et les Troyens s’affrontèrent pour les yeux de la belle Hélène, sous le regard de dieux capricieux – humains, trop humains. C’est étonnamment depuis les marches de l’Orient qu’Homère a écrit la première épopée de l’Occident. Notre chanson de geste. Si donc l’Europe commence en Grèce, alors la Grèce commence avec Homère.
Homère, c’est plus qu’un nom. Les Anciens pensaient qu’il contenait tout, il était « le commencement, le milieu et la fin ». C’est la fondation de la maison et même à bien des égards l’équipement de la maison. Il nous livre une conception de l’honneur, du courage, de la compassion, de l’amour, de la patrie, du foyer. Le tout en vingt-quatre chants, autant pour l’Iliade que pour l’Odyssée, 24 chants qui se referment sur eux-mêmes comme les vingt-quatre lettres de l’alphabet grec, comme les vingt-quatre heures du jour. Homère est un monde en soi, une totalité cosmique. Un cercle – la figure parfaite – à l’instar du bouclier d’Achille, forgé des mains mêmes du dieu forgeron Héphaïstos (Vulcain chez les Romains).
Revenir à Homère, c’est donc remonter le grand fleuve de l’Occident jusqu’à sa source. C’est interroger une tradition trois fois millénaire, que rien, ni la suite des générations, ni l’usure du temps, n’a pas suffi à épuiser.
« Chaque peuple porte une tradition, un royaume intérieur, un murmure des temps anciens et du futur. La tradition est ce qui persévère et traverse le temps, ce qui reste immuable et qui toujours peut renaître en dépit des contours mouvants, des signes de reflux et de déclin ». Je ne vous apprends rien en vous disant que cette citation est tirée de l’Histoire et tradition des Européens : 30 000 ans d’identité de Dominique Venner, le plus homérique de ses livres, avec son Samouraï d’Occident : Le bréviaire des insoumis. Dominique Venner va nous accompagner, en filigrane, tout au long de notre relecture d’Homère. Un petit mot sur la traduction : comme Dominique Venner, je ne peux que vous renvoyer vers celle de Leconte de Lisle, le chef de file des Parnassiens. Elle est dite archaïsante ou esthétisante. En vérité, c’est la plus rafraichissante, la plus épique, la plus inspirée des traductions. Elle est disponible en Presses Pocket. Il suffit de moderniser la graphie des noms : Akhilleus en Achille.
Aux racines de la civilisation européenne
Cette tradition, dont faisait été la citation de Dominique Venner, la nôtre donc, puise d’abord dans l’héritage gréco-romain. Athènes, Rome, et pas seulement Jérusalem, que je n’exclus pas, loin de là, même si je sais qu’il y a débat et qu’il y aurait eu débat avec Dominique Venner. Mais là n’est pas mon propos. Le problème, aujourd’hui, c’est qu’on n’assume plus cet héritage, qu’on le détruit-déconstruit, on le tient à distance, du moins officiellement, dans les cercles dirigeants, dans les médias, dans les manuels scolaires, pis : à l’université. Songez à des gens comme l’ineffable Jean-Paul Demoule, dont le dernier forfait est consacré à déseuropéaniser les Indo-Européens, ou l’inénarrable Marcel Detienne, « auteur » de L’identité nationale, une énigme.
On en a eu un aperçu lors de la polémique autour des racines de l’Europe au début des années 2000 avec la Convention sur l’avenir de l’Europe présidé par VGE et qui a débouché sur le second traité de Rome (2004), rédigé dans la novlangue chère à Bruxelles et rejeté par référendum, comme vous le savez. On s’est alors beaucoup focalisé sur l’héritage chrétien, avec la référence ou non aux valeurs chrétiennes, ce qui a été finalement écarté, sous l’inimitable pression de Jacques Chirac, qui a raté une fois de plus l’occasion de se taire.
Mais on n’a pas seulement mis à l’écart les racines chrétiennes, on a d’un même mouvement rejeté l’héritage grec et l’héritage latin.
Pour rappel : dans sa première version, le préambule de la Constitution prévoyait en guise d’épigraphe la célèbre phrase de Thucydide tirée de son Histoire de la guerre du Péloponnèse – c’est le passage qui traite de l’oraison funèbre de Périclès : « Notre Constitution […] est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d’une minorité, mais du plus grand nombre ». Ce n’était déjà pas exactement du Thucydide dans le texte, il ne parle pas de « constitution », mais qu’importe. C’était déjà trop. Exit les Grecs. Au prétexte que c’étaient d’affreux esclavagistes, des sexistes infâmes et de redoutables colonialistes, selon les raccourcis et les anachronismes qu’on affectionne.
Plutôt que de mentionner, car il s’agissait seulement de mentionner, que l’Europe procédait des « civilisations hellénique et romaine », on n’a finalement gardé dans la version définitive que les seuls « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ». C’est neutre, ça ne mange pas de pain et ça laisse la porte entrouverte aux Turcs. Autant dire que nous sommes Des héritiers sans passé, comme l’a dit Françoise Bonardel dans son « essai sur la crise de l’identité culturelle européenne ». Mais si nous sommes réunis ce matin, c’est justement pour corriger cela, pour être des héritiers avec un passé – et un riche passé –, pour renouer avec « l’élan grec ». Ce à quoi nous exhortait la grande helléniste Jacqueline de Romilly. Retrouver « l’élan grec », l’allant grec.
« Le monde naît, Homère chante »
Comme il faut bien assigner un commencement à cet élan, il nous faut remonter jusqu’au VIIIe siècle avant notre ère dans l’archipel grec et sa bordure asiatique, là où Homère a vu le jour, ou aurait vu le jour, mais on y reviendra ; et avec lui, « le miracle grec », qu’il inaugure : 4 siècles d’extraordinaire fécondité intellectuelle, qui s’étalent schématiquement d’Homère à Aristote. « Le monde naît, Homère chante. C’est l’oiseau de cette aurore », dit de lui Victor Hugo dans son William Shakespeare.
Mais qui donc se cache derrière ce drôle d’oiseau ? Que sait-on de lui ?
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