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  • Carlo Michelstaedter

    Carlo Michelstaedter est l'un des auteurs qui ont affirmé, à l'époque moderne, la nécessité pour l'individu de s'élever à l'être, à une valeur absolue en mettant fin à tous les compromis sous lesquels se masque une ἀβίος βίος [abios bios, i.e. une vie non vivable, un vie qui n'est pas une vie pour reprendre Rabelais. M. Canto-Sperber traduit ce jeu de mot grec, au sein du corpus platonicien, par : « une vie pas vraiment vécue, une vie à laquelle manque une dimension fondamentale de l'existence »], une vie qui n'est pas vie, en acceptant ce dont l'homme a plus peur que de toute autre chose : se mettre en face de soi, prendre sa propre mesure en fonction, précisément, de l'“être”. L'état correspondant à l'être est appelé par Michelstaedter l'état de la “persuasion” ; il est défini essentiellement comme une négation des corrélations. Chaque fois que le Moi ne pose pas en soi-même mais dans l'“autre” le principe de sa propre consistance, chaque fois que sa vie est conditionnée par des choses et relations, chaque fois qu'il succombe à des dépendances et au besoin — il n'y a pas “persuasion”, mais privation de valeur. Il n'y a valeur que dans l'existence en soi-même, dans le fait de ne pas demander à l'“autre” le principe ultime et le sens de sa propre vie : dans l'“autarcie”, au sens grec du terme. Aussi bien l'ensemble d'une existence faite de besoins, d'affections, de “socialité”, d'oripeaux intellectualistes et autres, mais aussi l'organisme corporel et le système de la nature (lequel, en tant qu'expérience, est compris comme engendré, dans son développement spatio-temporel indéfini, par la gravitation incessante en quête de l'être, qu'on ne possédera cependant jamais tant qu'on le cherchera hors de soi) (1), rentrent-ils dans la sphère de la non-valeur.

    Le Moi qui pense être en tant qu'il se continue, en tant qu'il ignore la pléntitude d'une possession actuelle et renvoie sa “persuasion” à un moment successif dont il devient par là dépendant ; le Moi qui dans chaque instant présent s'échappe à lui-même, le Moi qui ne se possède pas, mais qui se cherche et se désire, qui ne sera jamais dans un quelconque futur, celui-ci étant le symbole même de sa privation, l'ombre qui court en même temps que celui qui fuit, sur une distance entre le corps et sa réalité qui reste inchangée à chaque instant — tel est, pour Michelstaedter, la sens de la vie quotidienne, mais aussi la “non-valeur”, ce qui “ne-doit-pas-être”. Face à cette situation, le postulat de la “persuasion” est le suivant : l'autoconsistance, le fait de résister de toutes ses forces et à tout moment à la déficience existentielle, ne pas céder à la vie qui déchoit en cherchant hors de soi ou dans l'avenir — ne pas demander, mais tenir dans son poing l'“être” : ne pas “aller”, mais demeurer (2).

    Alors que la déficience existentielle accélère le temps toujours anxieux du futur et remplace un présent vide par un présent successif, la stabilité de l'individu “pré-occupe” un tempf infini dans l'actualité et arrête le temps. Sa fermeté est une traînée vertigineuse pour les autres, qui sont dans le courant. Chacun de ses instants est un siècle de la vie des autres — « jusqu'à ce qu'il se fasse lui-même flamme et parvienne à se tenir dans le présent ultime » (3). Pour éclairer ce point, il est important de comprendre la nature de la corrélation qui est contenue dans les prémisses : étant donné que le monde est compris comme engendré par la direction propre à la déficience, dont il est comme l'incarnation tangible, c'est une illusion de penser que la “persuasion” puisse être réalisée au moyen d'une consistance abstraite et subjective dans une valeur qui, comme dans la stoïcisme, aurait contre elle un être (la nature expérimentée) dont on peut dire que, pourtant sans valeur, il est. Celui qui tend à la persuasion absolue devraint en fait s'élever à une responsabilité cosmique. Ce qui signifie : je ne dois pas fuir ma déficience — que le monde reflète —, mais la prendre sur moi, m'adapter à son poids et la racheter. C'est pourquoi Michelstaedter dit : « Tu ne peux pas te dire persuadé tant qu'il reste une chose qui n'a pas été persuadée ». Il renvoie à la persuasion comme « à l'extrême conscience de celui qui est un avec les choses, qui a en soi toutes les choses : έ ουνεχές [e ounekes] » (4).

    Pour rendre plus intelligible le problème central de Michelstaedter, on peut rattacher le concept d'insuffisance au concept aristotélicien de l'acte imparfait. L'acte imparfait ou “impur” [ou inachevé, ne réalisant pas sa fin. L'être peut être dit en acte, c'est-à-dire accompli, ou en puissance, c'est-à-dire inachevé mais tendant vers l'achèvement], c'est l'acte des puissances qui ne passent pas d'elles-mêmes (καθ' αυτό [kath auto = par elles-mêmes]) à l'acte, mais qui pour cela ont besoin du concours de l'autre. Tel est par ex. le cas de la perception sensorielle : en elle, la puissance de perception n'étant pas autosuffisante, ne produit pas d'elle-même la perception, mais a pour ce faire besoin de la corrélation à l'objet. Or, le point fondamental dont dépend la position de Michelstaedter est le suivant : sur le plan transcendental, l'acte imparfait ne résout qu'en apparance la privation du Moi. En réalité, il la confirme de nouveau. À titre d'exemple, prenons une comparasion. Le Moi a soif ; tant qu'il boira, il confirmera l'état de celui qui ne suffit pas à sa propre vie, mais qui pour vivre a besoin de l'“autre” ; l'eau et le reste ne sont que les symboles de sa déficience (il importe de fixer l'attention sur ce point : on ne désire pas parce qu'il y a privation de l'être, mais il y a privation de l'être parce qu'on désire — en second lieu : il n'y a pas désir, par ex. celui de boire, parce qu'il y a certaines choses, par ex. l'eau, mais parce que les choses désirées, à l'instar de la privation de l'être qui pousse vers elles, sont créés au même moment par le désir qui s'y rapporte, lequel est donc le prius qui pose la corrélation et les deux termes de celle-ci, la privation et l'objet correspondant, dans notre exemple la soif et l'eau). En tant qu'il se nourrit de cette déficience et lui demande la vie, le Moi se repaît seulement de sa propre privation et demeure en elle, s'éloignant de l'“acte pur” ou parfait, de cette eau éternelle au sujet de laquelle on pourrait citer les paroles même du Christ (5), eau pour laquelle toute soif, et toute autre privation, seraient vaincues à jamais. Cette appétence, cette contrainte obscure qui entraîne le Moi vers l'extérieur — vers l'“autre” —, voilá ce qui engendre dans l'expérience le système des réalités finies et contingentes. La persuasion, qui va brûler dans l'état de l'absolue consistance, du pur être-en-soi — cet effort a donc aussi le sens d'une “consommation” du monde qui se révèle à moi.

    Le sens de cette consommation, il faut, pour l'éclairer, aller jusqu'à des conséquences que Michelstaedter n'a pas complètement développées.

    Tout d'abord, dire que je dois pas fuir ma déficience signifie notamment que je dois me reconnaître comme la fonction créatrice du monde expérimenté. De là pourrait suivre une justification de l'Idéalisme transcendental (à savoir du système philosophique selon lequel le monde est posé par le Moi) sur la base d'un impératif moral. Mais on a vu que, selon la prémisse, le monde est considéré comme une négation de la valeur. Du postulat général exigeant que le monde soit racheté, que sa déficience soit assumée, procède donc, toujours comme postulat moral, mais aussi sur le plan pratique, un second point : la négation même de la valeur doit être reconnue, d'une certaine façon, comme une valeur. Cela est important. En effet, si je considère l'impulsion qui a engendré le monde comme une donnée pure, irrationnelle, il est évident que la persuasion, en tant qu'elle est conçue comme la négation de cette impulsion, va en dépendre, donc qu'elle n'est pas absolument autosuffisante mais dépend d'un “autre”, dont la négation lui permet de s'affirmer. Dans ce cas, donc dans le cas où le désir même n'est pas réinséré dans l'ordre de l'affirmation de la valeur, mais reste intégralement une donnée, la persuasion ne serait donc pas du tout persuasion — le mystère initial en réduirait inévitablement la perfection à une illusion.

    Il faut donc admettre comme postulat moral que l'antithèse même participe, d'une certain façon, de la valeur. Mais de quelle façon ? Ce problème amène à inclure dans le concept de persuasion un dynamisme. En effet, il est écident que si la persuasion ne réduit pas à une suffisance pure et autonome — donc à un état —, mais est suffisance en tant que négation d'une insuffisance — donc est un acte, une relation —, l'antithése a certainement une valeur et peut être expliquée ainsi : le Moi doit poser dans un premier moment la privation, la non-valeur, y compris sous la condition où la privation n'est posée que pour être niée, car cet acte de négation, et lui seul, engendre la valeur de la persuasion. Mais que signifie nier l'antithèse — qui en l'occurence revient à dire la nature ? On se rappelle que pour Michelstaedter la nature est non-valeur en tant que symbole et incarnation du renoncement du Moi à la possession actuelle de soi-même, en tant que corrélat d'un acte imparfait ou “impur” au sens défini plus haut. Il ne s'agit donc pas de nier telle ou telle détermination de l'existant, parce qu'on n'atteindrait par là que l'effet, la conséquence, non la racine transcendentale de la non-valeur ; il ne s'agit pas non plus d'éliminer en général toute action, car l'antithèse n'est pas l'action en général, mais l'action en tant que fuite de soi, “écoulement” — et il n'est pas dit que toute action ait nécessairement ce sens. Ce qu'il faut résoudre, c'est plutôt le mode — passif, hétéronome, extraverti — d'action. Or, la négation d'un tel mode est constitutée par le mode de l'action autosuffisante, laquelle est aussi puissance. Vivre chaque acte dans une possesion parfaite et transfigurer par conséquent l'ensemble des formes jusqu'à ce qu'elles n'expriment que le corps même d'une potestas — tel est donc le sens du rachat tout à la fois cosmique et existentiel. De même que la concrétisation de la “rhétorique” est le développement du monde de la dépendance et de la nécessité, ainsi la concrétisation de la persuasion est le développement d'un monde d'autarcie et de domination ; et le moment de la négation pure n'est que le moment neutre entre les deux phases.

    Aussi bien le développement des vues de Michelstaedter dans ce qu'on pourrait appeler un “Idéalisme magique” [*] apparaît-il obéir à une continuité logique. En fait, Michelstaedter s'est d'une certaine façon arrêté à une négation indeterminée, et ce, en grande partie, pour n'avoir pas considéré suffisamment que le fini et l'infini ne doivent pas être rapportés à un objet particulier ou à une action particulière, mais sont deux modes de vivre n'importe quel objet ou n'importe quelle action. En général, le vrai Maître n'a pas besoin de nier (au sens d'annuler) et, sous le prétexte de la rendre absolue, de réduire la vie à une unité indifférenciée, comme, si l'on veut, dans une espèce de fulguration : l'acte de puissance — qui n'est pas acte de désir ou de violence —, loin de détruire la possession parfaite, l'atteste et la confirme. Le fait est que Michelstaedter, à cause de l'intensité même avec laquelle il vécut l'exigence de la valeur absolue, ne sut pas donner à cette exigence un corps concret, donc la développer dans la doctrine de la puissance ; ce qui pourrait avoir quelque relation avec la fin tragique de son existence mortelle.

    Toutefois, c'est Michelstaedter qui a écrit : « Nous ne voulons pas savoir par rapport à quelles choses l'homme s'est déterminé, mais bien comment il s'est déterminé ». Au-delá de l'acte, il s'agit donc de la forme ou valeur sous laquelle cet acte est vecu par l'individu. De fait, toute relation logique est, d'une certaine façon, indéterminée, et la valeur est une dimension supérieure où elle se spécifie. L'un des mérites de Michelstaedter, c'est d'avoir réaffirmé la considération selon la valeur dans l'ordre métaphysique : en effet, la “rhétorique” et la “voie vers la persuasion” peuvent être distinguées non d'un point de vue purement logique, mais du point de vue de la valeur. Dans ce contexte, il est très important que Michelstaedter reconnaisse qu'il y a, d'une certaine manière, deux voies. Cette coexistence est elle-même une valeur : car l'affirmation de la persuasion ne peut valoir comme affirmation d'une liberté que si l'on a conscience de la possibilité de l'affirmation comme valeur de la non-valeur elle-même, selon l'indifférence : seul étant libre et infini le “Seigneur du Oui et du Non” (sur cette problématique, cf. notre Teoria dell'Individuo Assoluto, I, §§ 1-5) (6). L'autre justification de l'antithèse dont il a été question plus haut, a évidemment pour présupposé l'option positive pour la “persuasion”.  http://www.archiveseroe.eu/

    Julius Evola, in : Explorations. Hommes et problèmes, Puiseaux 1989. [tr. fr. : Philippe Baillet]

     • notes :

    • 1) C. Michelstaedter, La Persuasione e la Rettorica, p. 5.
    • 2) C. Michelstaedter, Il dialogo della salute, Gênes, 1912, p. 57-58.
    • 3) La Persuasione e la Rettorica, p. 56.
    • 4) Ibid, p. 91.
    • 5) Jean 4, 14 : « Quiconque boira de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif : l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle ».
    • 6) Edizioni Mediterranee, Rome, 1973.

     • note en sus :

    * : L'idéalisme magique, c'est-à-dire opératoire, désigne pour Novalis « un système qui admet que l'homme peut entrer avec l'univers dans le rapport de sympathie et d'action directe où il se trouve avec son propre corps » (d'apr. Lal. 1968). Quelque peu distinct de la captation surréaliste, ce système pourrait bien plutôt se rapprocher de celui de son ami Schlegel qui « s'intéresse beaucoup aux théories de l'idéalisme allemand et en particulier à celles de Fichte […] puis de Schelling. Pour Fichte, la philosophie est la doctrine de la science et est la base de tout savoir. Il énonce également que le moi (la force créatrice) forge le non-moi (l'environnement) grâce à l'imagination créatrice. Schlegel va essayer de dépasser cette théorie en la rendant plus flexible car Fichte voit tout à travers le spectre de la philosophie. Pour Schlegel, la philosophie n'est pas à dissocier des autres domaines. Tout comme l'énonce Schleiermacher : savoir et foi, science et art, philosophie et religion ne forment qu'un. C'est ce que Schlegel appellera l'Universalpoesie. Vers 1797, Schlegel se tournera vers Schelling pour qui la nature et le moi, donc l'art, ne forment qu'un » (entrée Schlegel sur wikipedia).

    Toutefois ce qu'entend Evola, lors sa période philosophique qui va de 1923 à 1927, par “Idéalisme magique” est de portée différente : « On le sait, le premier terme [idéalisme magique] avait déjà été employé par Novalis. Mais bien que Novalis fût un de mes auteurs préférés et bien que certaines de ses intuitions eussent pris pour moi une valeur essentielle, l’orientation de mon système fut très différente » (Chemin du cinabre). Ce dernier se trouve précisé dans son article L’individu et le devenir du monde (1925), « présentation de l’essence solipsistique d'Essais sur l'idéalisme magique et de Théorie et phénoménologie de l’individu absolu, que l’auteur proposait comme une solution spiritualo-existentialiste audacieuse aux problèmes de l’âme européenne en ces temps de décadence. La ligne radicalement solipsistique de la philosophie évolienne à cette période cherchait un développement pratique et théorique dans la religion, l’initiation et la magie. C’est dans cette optique que doivent être vues ses travaux sur le taoïsme et le tantrisme. Nous savons aujourd’hui comment cet itinéraire se termina avec un Evola arrivant à sa maturité à une position théorique très proche de celle du traditionalisme intégral de René Guénon. [...] Dans un essai intitulé Le chemin de la réalisation du moi selon les mystères de Mithra, Evola distingua clairement son chemin spirituel magique, initiatique, masculin, d’auto-réalisation et de construction individuelle de celui qu’il considérait comme inférieur prôné par les écoles se référant au Védanta qui tendaient essentiellement à réduire l’individu à un non-individu » (Société Julius Evola, « Julius Evola et la Société Théosophique Indépendante de Rome », d'après un article de Marc Rossi).

    Par ailleurs, cet article sur Michelstaedter est autant une étude littéraire qu'une lecture personnelle car non sans résonance avec le parcours d'Evola. En effet, démobilisé après la Grande Guerre, il traverse une crise grave (« le sentiment de l’inconsistante et de la vanité des buts qui engagent normalement les activités humaines »), se livre à diverses expériences (mescaline) augmentant encore son malaise intérieur, au point même de lui faire envisager le suicide. Il a 25 ans. C’est à la lecture d’« un texte du bouddhisme des origines » qu’il comprend que « ce désir d’en finir, de me dissoudre, était un lien, une “ignorance”, opposée à la vraie liberté. À ce moment là doivent s’être produits en moi un retournement et l’apparition d’une fermeté capable de résister à toute crise ».

     ♦ De Carlo Michelstaeder aux éditions de l'Éclat :

      Études sur l'auteur :

    • « Interprétation de Michelstaedter », M. Cacciari, in : Drân : Méridiens de la décision dans la pensée contemporaine, éd de l'Éclat, 1992
    • Une autre mer, Claudio Magris, L'Arpenteur, 1993 : C'est peu de dire que ses amis lui vouaient un culte. Enrico Mreule, son plus proche disciple et le plus dissemblable, alla jusqu'à écrire : “Carlo est le Bouddha de l'Occident. Le grand éveillé”. Carlo Michelstaedter, qui se tira une balle dans la tête à 23 ans (le 16 octobre 1910), après avoir écrit les derniers mots d'un mémoire de philo, La Persuasion et la Rhétorique, où Nietzsche et Schopenhauer flirtent avec Aristote et Platon. C'est l'un des livres mythiques de la culture triestine. La vie d'Enrico, dont Magris réinvente le roman, des plages de l'Istrie à la Pampa et d'une guerre l'autre, est l'incarnation même du concept de persuasion de son maître (“possession au présent de sa propre vie”), l'évangile non écrit d'un apôtre réticent, le silence amoureux, à l'écoute de la nuit où “ses” mots pleuvent comme des étoiles filantes. (L'Express, 10/06/1993)
    • “La guerre aux mots avec les mots” (Une interprétation de Carlo Michelstaedter), (thèse de doctorat), Nathalie Combe, ANRT, 1997 
    • La vie obscure, (biographie romancée), Patrizia Farazzi, éd. de l'Éclat, 1999
    • C. Michelstaedter : Persuasion and Rhetoric, Massimiliano Moschetta, thèse, 2007
    • Le tombeau de Michelstaedter, Jacques Beaudry, Montréal, Liber, 2010.
  • La crise révolutionne-t-elle la pensée économique ?

    L’économie mondiale connait une dépression d’une ampleur au moins équivalente à celle qui a débuté dans les années 1970. Les réponses apportées aujourd’hui se différencient pourtant des solutions proposées il y a trente ans.

    Quatre ans après le début de la Grande Récession, l’économie mondiale ne va pas toujours pas mieux, les électeurs perdent patience et les gouvernements tombent comme des quilles. Selon les données de l’OCDE, le PIB des États-Unis a reculé de 3,9% entre la fin 2007 et la fin 2009. En comparaison, la contraction économique fut plus sévère au Royaume-Uni (5,5%), moins prononcée en France (-2,8%), et à peu près identique en Allemagne (-4,0%).

    Cette situation laisse ainsi de l’espace à une révolution dans la manière de penser, et si ce n’est pas encore en politique, on commence à assister à une modification de la pensée économique.

    Prenons d’abord l’exemple du Fond monétaire international (FMI). Jusqu’alors bastion de l’austérité, l’institution se met depuis quelques mois à se prononcer en faveur de politiques fiscales expansionnistes. La Réserve fédérale américaine (Fed) s’est quant à elle engagée en faisant tourner la planche à billets sans limite, tant que l’emploi ne s’est pas rétabli.

    Et la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé des achats d’obligations illimités avec l’impression de billets, une politique dénoncée comme étant le travail du démon par le président de la Bundesbank allemande.

    Sir Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, a lui choisi de se battre contre un raz-de-marée de soutiens en faveur d’un “dropping money from helicopters”, c’est-à-dire de laisser tourner la planche à billets. King a tenu à distinguer “la bonne et la mauvaise création d’argent“. Selon lui, de telles opérations combineraient des politiques fiscales et monétaires et il n’y a aucun besoin de le faire. Lorsque la Banque a décidé combien d’argent elle devrait créer, c’est au gouvernement seul d’augmenter la dépense ou de réduire les taxes. Il estime cette répartition des responsabilités nécessaire et démocratique.

    Une solution extrême comme celle-ci commence à trouver un certain écho en Angleterre. Le principal rival de King à la tête de la Banque d’Angleterre, Lord Adair Turner, est connu pour trouver des solutions imaginatives dans des situations insolubles et il soutient l’idée d’une grosse création d’argent. Son discours a d’ailleurs été soutenu par pas mal d’éditorialistes.

    Sir King, comme la plupart des banquiers centraux, redoute la perspective de combiner politique fiscale et monétaire. Pourtant, les deux deviennent presque indiscernables du moment où les taux d’intérêt avoisinent les zéro, parce qu’il n’existe quasiment plus aucune différence entre l’argent et les obligations de l’État. Ces dispositifs pourraient ainsi être mis en place sans augmentations fiscales pénibles ou coupes passantes, en restituant aux gouvernements le droit exclusif de créer de l’argent qu’ils ont perdu progressivement aux banques commerciales. Mais si la stagnation économique globale continue, la patience publique pourrait se lasser des réponses habituelles… Les idées qui semblent maintenant révolutionnaires pourraient-elles alors devenir la sagesse conventionnelle ?

    L’avis de Nicolas Goetzmann, gérant de fortune privée:

    Atlantico : La crise économique de 2008 a t-elle débouché sur une refonte idéologique économique ? Est- ce que certains présupposés ont volé en éclat ?

    Nicolas Goetzmann : Ce qui a volé en éclat depuis 2008, c’est la doctrine monétaire des grandes banques centrales, consistant à confondre taux bas et politique monétaire souple. C’est la victoire de Milton Friedman qui évoquait ce problème comme déjà responsable de la grande dépression de 29 et du Japon des années 90. Les États-Unis ont réagi en septembre dernier avec le soutien illimité de la Fed à l’économie. Le Japon va peut être suivre la même voie avec la probable victoire de M. Abe aux élections de décembre. En Europe, nous attendons une prise de conscience.

    Face aux risques de récession, le Fond monétaire international a récemment lancé un appel à soutenir la demande dans les pays en excédent. Face à la difficultés des économies du Sud de l’Europe de sortir de la récession, les politiques d’austérité et de rigueur instaurées ont-elles, sur le plan idéologique, de moins en moins de soutiens ? Que révèle l’assouplissement monétaire accordé par la BCE ?

    La rigueur ne peut fonctionner qu’avec un soutien monétaire. Nous avons actuellement une double austérité en Europe, budgétaire et monétaire. C’est une politique de destruction. Nous pourrions avoir une rigueur budgétaire couplée à une relance monétaire. mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il n’y a pas d’assouplissement monétaire en Europe, rien. Les OMT ne sont pas de la relance monétaire, elles seront “neutralisées” automatiquement comme cela a été annoncé par Mario Draghi. Un soutien de la demande doit se faire au niveau de la BCE.

    Qu’est ce que le “helicopter money” ? Peut-il constituer un bon compromis entre effort budgétaire et la planche à billet ?

    Le helicopter money, la planche à billets, c’est la même chose. C’est une vision populaire de décrire un accroissement de l’offre de monnaie. Le problème est que cette vision provoque la peur de l’inflation, alors qu’il n’en est rien. Une augmentation de l’offre de monnaie provoque tout d’abord un impact positif sur la croissance, puis, dès lors que le croissance revient, sur les prix. C’est un choix entre une stricte stabilité des prix et le plein emploi. La voie la plus efficace serait une rigueur budgétaire menée de concert avec une nouvelle doctrine monétaire, qui consiste à lier emploi et maîtrise des prix qu’est le market monetarism.

    Atlantico via http://fortune.fdesouche.com/

  • À propos des étrangers qui se sont battus pour la France

    Quand j'étais gamin, un petit vieux qui avait fait quatorze - dix-huit m'avait raconté une drôle d'histoire. A l'époque, on écoutait les anciens.
    Alors qu'il revenait du front, il avait pris le train pour revenir chez lui, dans les bons vieux trains aux sièges de bois. Il était entré dans un compartiment où se trouvait un tirailleur sénégalais. Lorsqu'il s'est assis, une odeur pestilentielle lui a pris le nez et la gorge. Cela venait-il du tirailleur sénégalais ? A l'époque, il était encore permis de penser cela. Mais justement non, cela ne venait pas de là, mais de la musette du sénégalais. Dedans se trouvait une tète de «Boche» blond aux yeux bleus grands ouverts que le tirailleur avait emmené chez lui comme un trophée. Il l'avait prélevée avec son coupe-choux sur un cadavre allemand. Il voulait ramener cela en Afrique dans son village natal et susciter ainsi l'admiration de ceux de sa tribu envers le «guerrier».
    L'ancien «poilu» m'avait aussi raconté que pendant leurs heures perdues, ceux des troupes coloniales coupaient les oreilles des «Boches» pour en faire des colliers. C'était leur façon à eux de défendre les valeurs républicaines.
    Dans les films, on montre souvent les troupes allemandes réserver un sort particulier aux troupes coloniales. Il est vrai qu'ils en avaient gardé un souvenir particulier pendant la première guerre mondiale.
    Vérité ici, erreur au-delà. Les Allemands ont toujours trouvé incorrecte l'utilisation des troupes coloniales par les Anglais et les Français. C'était selon la formule consacrée « amener le nègre sur le Rhin ». Quand les Français avaient occupé la Ruhr après la première guerre mondiale, ils avaient trouvé malin, pour humilier un peu plus les Allemands, d'envoyer des troupes coloniales ce qui a d'ailleurs eu comme contrecoup de faire monter l'extrême-droite allemande.
    À l'heure où la république nous parle sans cesse de la dette de la France envers les étrangers qui se sont battus pour elle, il est bon de rappeler la vieille histoire de cette relation et faire son récapitulatif.
    Pendant la révolution française, la populace parisienne avait massacré les Gardes suisses qui s'étaient mis au service de la France et de son roi. Ce ne fut guère glorieux tout comme pour les Harkis que le gouvernement gaulliste a abandonnés et laissé massacrer.
    Pendant la seconde guerre, on a beaucoup parié des républicains espagnols qui sont arrivés les premiers dans leurs blindés à Paris. Serait-il inconvenant de se poser la question de savoir si c'étaient les mêmes qui, quelques années plus tôt en Espagne, violaient les bonnes sœurs, incendiaient les monastères et les églises, égorgeaient les curés.
    La république aime insister avec complaisance sur le rôle des étrangers qui se sont battus à notre place et que l'on doit admirer. Ironie de l'Histoire : cela finit par rejoindre la propagande nazie pour qui la République avait complètement abâtardi les Français, incapables de se battre, poussant dans le dos leurs frères de couleur pour aller au casse-pipe défendre les « valeurs républicaines » (les revoilà, celles-là).
    D'ailleurs, pendant la première guerre mondiale on n'a pas envoyé à l'abattoir que les troupes coloniales (loin de là). Il suffit de lire les listes interminables de noms sur les monuments aux morts pour trouver ridicule la fixation que l'on fait actuellement sur les vingt mille musulmans qui sont morts (1% des pertes).
    Certes la France a encore envoyé en Indochine des troupes coloniales, mais il y a eu beaucoup d'anciens Waffen SS ou tout simplement de la Wehrmacht qui se sont, en fin de compte, jusqu'en Algérie, plus longtemps battus dans l'armée de la république que pour l'Allemagne nazie. Lorsque la république nous dit qu'il faut rendre hommage aux étrangers combattants, on se doute bien que ce n'est pas à ceux-là qu'elle nous demande de penser. A Dien bien Phu Français et Allemands se sont trouvés unis dans le même sacrifice.
    Il ne faut pas non plus oublier que certains étrangers qui ont combattu dans l'armée française ont après tourné casaque et nous ont tiré dessus, comme certains chefs du FLN. La France les avait formés et appris à se faire la main à nos dépens. Beaucoup s'étaient engagés uniquement pour la solde. La France les a donc payés.
    Ceux qui pendant la guerre, s'étaient engagés pour des raisons idéologiques, l'avaient fait pour combattre l'homme blanc représenté alors par l'Allemagne. Faut-il pour cela leur dire merci pour l'éternité ?
    Nous conclurons de tout ceci qu'un peuple guerrier doit avant tout compter sur lui-même. L'apport dans le fond infime qu'ont apporté certains étrangers ne justifie au total aucune dette pour la France, tant sur le plan moral que financier. Nous n'avons à rendre hommage qu'aux vrais guerriers qui se sont battus toute leur vie pour notre pays uniquement.
    De la même façon on aurait pu tout aussi bien étudier les Français ou Gaulois qui se sont battus pour une puissance étrangère, des légions gauloises de l'Empire romain jusqu'à la division Charlemagne, sans oublier tous les mercenaires français qui se sont battus pour des causes diverses
    Patrice Gros-Suaudeau 

  • Repères pour une histoire alternative de l'économie

     

    Seront examinés ci-dessous 3 pionniers des conceptions économiques débarrassées des dogmes libéraux. Joseph Aloy Schumpeter qui déduisit de ses recherches que l'économie ne se comprenait pas qu'au départ de concepts strictement économiques. Werner Sombart qui analysa les fondements religieux des comportements économiques. Ses thèses constituent une réfutation définitive de la fiction libérale de l'homo œconomicus. Sombart a étudié les différentes formes “nationales” du socialisme, l'influence des pratiques protestantes et, dans une moindre mesure, israëlites dans la genèse du capitalisme et a élaboré une méthode “idéaltypique” (la Gestaltidee) pour comprendre les faits socio-économiques. Il se rapproche en cela de Max Weber. Enfin Friedrich List, libéral et progressiste selon les critères en vigueur au XIXe siècle, qui est en réalité le critique le plus rigoureux des a priori libéraux. Pour lui, le protectionnisme est nécessaire pour lancer les industries. Les nations n'ont pas toutes, d'emblée, le même stade de développement. Le libre-échangisme est, selon List, l'alibi de la nation le plus avancée. Il l'était hier pour les Anglais ; il l'est aujourd'hui pour les Américains. Donc, l'Europe n'a aucun intérêt actuellement à chanter les louanges du libre-échangisme. D'ailleurs, malgré les discours officiels, les États-Unis n'appliquent pas le libre-échange. Ils l'imposent à leurs concurrents potentiels.

    La doctrine libérale, première doctrine économique "moderne" sur l'échelle chronologique, naît de la pensée “bourgeoise” de la fin du XVIIIe siècle. C'est Bernard de Mandeville (1670-1733) qui forge le concept central d'homo œconomicus. C'est la naissance de l'anthropologie libérale. Dans l'optique de Mandeville, les vices privés suscitaient les bénéfices publics, en favorisant la consommation. Une idée qui, deux siècles plus tard, trouvera sa concrétisation dans le narcissisme consumériste qui afflige notre époque et dissout tous les liens organiques de la société. Mais, outre cet aspect strictement moral et “religieux-laïcisé”, les idées maîtresses du libéralisme économique sont les suivantes :

    • 1) La société humaine est régie par des lois naturelles, génératrices d'un ordre naturel spontané. L’État doit garantir la liberté économique de façon à ne pas contrarier l'effet des lois naturelles.
    • 2) Le moteur principal de l'activité humaine est l'intérêt personnel, comme chez l'individu mandevillien. L'égoïsme devient ainsi le fondement du bien-être matériel.
    • 3) Défense de la propriété privée et du droit de disposer des fruits de son travail. C'est là le point fort du libéralisme en matière de propagande politique. Les citoyens moyens qui adhèrent au programme politique d'un parti libéral retiennent essentiellement cet aspect du libéralisme théorique.

     

    Ces principes libéraux seront successivement défendus par Adam Smith (1723-1790), Robert Malthus (1766-1834), David Ricardo (1772-1823), John Stuart Mill (1806-1873).

     

     

    Adam Smith

    Adam Smith reprend la théorie mandevillienne de l'homo œconomicus, prône le libre-échange tant au plan national qu'au plan international. On peut voir en lui le père du mondialisme économique même si, dans ses ouvrages, il mentionne quelques restrictions plus réalistes.

     

    Les héritiers de Smith n'auront pas ces scrupules et simplifieront son œuvre à outrance, n'en retiendront que les slogans les plus simples. C'est, en somme, le sort tragique et mérité du libéralisme. Adam Smith était un homme cultivé, qui avait certainement le sens des nuances ; toutefois, son idée d'ordre naturel n'était qu'une théologie laïcisée. Dieu est sorti de sa démonstration pour y revenir subtilement sous le masque d'un “ordre naturel” immuable. Les Smithiens du XIXe et du XXe siècles vont, eux, vouer un culte à cette idole sortie du fond des âges tourmentés par l'inquiétude métaphysique. L'ordre naturel, la main invisible qui régule le marché, n'est-ce pas une projection humaine, un transfert imaginaire qui veut faire accréditer l'idée que les lois du cosmos sont semblables aux lois que se sont données les hommes pour réglementer leur vie quotidienne ?

    À leur insu, les libéraux sont les obscurantistes qu'ils ne veulent pas être. Au bénéfice de leur idole, les économistes héritiers de Smith vont négliger tous les facteurs non-économiques dans l'élaboration de leurs systèmes. L'abstraction régnera en satrape impitoyable. Ipso facto, les liens avec la réalité seront souvent très contestables dans les programmes, les doctrines, les théories du libéralisme. Pourquoi ? Parce que l'idée fixe d'un ordre naturel immuable n'est pas compatible avec la mouvance des réalités politiques, sociales et culturelles. Les orthodoxies marxistes et keynésiennes auront, elles, l'avantage de proposer des corpus doctrinaux élaborés après celui de Smith, c'est-à-dire des corpus doctrinaux mis au diapason des réalités du XIXe siècle et des années 1920. Hélas, ces orthodoxies se sont, elles aussi, figées. Même si elles ont produit de brillantissimes dissidences.

     

    Schumpeter

    En 1883, l'année où Marx mourait, l'économiste austro-hongrois Joseph Aloys Schumpeter naissait en Moravie. Professeur à Harvard dès 1932, ce n'est qu'en 1942 qu'il formulera sa thèse paradoxale. Quelle est-elle ? Le capitalisme, dit Schumpeter, est le meilleur système économique que l'on puisse imaginer; il n'a qu'un défaut : il ne peut pas survivre. Le capitalisme a l'immense mérite de propager efficacement les progrès techniques et d'allouer convenablement les ressources. En outre, il élimine impitoyablement les structures sclérosées et son dynamisme permet une circulation plus rapide des élites techniciennes. Mais, au fur et à mesure que le capitalisme se développe, l'hostilité à son égard grandit ; aristocrates, militaires, clergé, ouvriers salariés, artisans et commerçants de détail sont mis en marge de l'évolution portée par le capitalisme. Les intellectuels renforcent leur position et criblent la société capitaliste de leurs critiques et de leurs sarcasmes. L'homme n'est pas qu'un homo œconomicus.

     

    Schumpeter affirme donc, sans détours, les limites d'une analyse strictement économique, tout en ne niant pas les spécificités de l'économie. Schumpeter nous enseigne à ne pas pratiquer l'économisme pour l'économisme et à ne pas succomber à la tentation anti-économique. Ces 2 types de déraillements font désormais partie du guignol politicien qui nous précipite dans l'abîme de la crise et de la récession. Bien sûr, en sortant des cadres théoriques classique et marxiste, Schumpeter s'enfonce dans “l'hérésie”, ouvre la voie à toutes les spéculations et ne parvient pas à créer, dans son sillage, un instrument politique efficace.

     

    Présenter l'ensemble riche et varié des théories pré- et post-schumpétériennes comporte un risque : la dispersion.

     

     

    Sismondi, List, Carey

     

     

    Les économistes français du CNRS, Jean-Marie Albertini et Ahmed Silem estiment, dans leur ouvrage remarquable et concis, Comprendre les théories économiques (1), que le précurseur de Schumpeter et des hérétiques schumpétériens est le Genevois Jean Charles Léonard Sismonde de Sismondi (1773-1842). Se voulant disciple d'Adam Smith, Sismondi a construit un système économique qui tenait compte du temps, de l'espace et des différences entre les divers producteurs et consommateurs. Voyageur infatigable, Sismondi recense essentiellement des faits précis et échappe au formalisme des classiques et surtout de Ricardo qui allait, lui, influencer considérablement Marx. Sismondi propose l'intervention de l'État pour veiller à ce que les intérêts particuliers n'offensent pas l'intérêt général Par ailleurs, fort de ses observations concrètes, Sismondi nie la vieille idole libérale qu'est l'ordre naturel. Sur la base de ses ouvrages, du matériel empirique qu'il a rassemblé, il sera possible d’échafauder une économie tenant compte des faits réels et non plus d'une formule rescapée des vaticinations scolastiques.

     

     

    Parallèlement à Sismondi, il faut signaler l'immense influence de Friedrich List (1789-1846). Libéral, List ouvre cependant des voies nouvelles. Celle de l'histoire et celle de l'unité européenne, nécessaire à la survie de notre civilisation. List met l'évolution économique en perspective et s'aperçoit que le protectionnisme (celui prôné par le père des théories autarciques, le philosophe combattant Johann Gottlieb Fichte), est nécessaire pour lancer les industries, comme au temps du mercantilisme d'un Colbert, et que le libre-échangisme n'est qu'une étape ultérieure. En relativisant de la sorte le libre-échangisme, List constate que ce qui est valable pour une époque ne l'est pas nécessairement pour l'autre. En cela, il préfigure l'École historique allemande dont nous reparlerons dans la suite de cet article. Son pays, l'Allemagne désunie d'avant 1871, n'avait pas atteint le stade industriel de l'Angleterre. List en déduisait la nécessité d'un protectionnisme initial pour l'Allemagne et dénonçait, dans la défense crispée du libre-échangisme de la part des Anglais, une entreprise impérialiste, un égoïsme national visant à empêcher les autres nations d'accéder à un stade industriel qui aurait pu rivaliser avec Londres. List avait vu juste : c'est le boom industriel allemand qui a poussé l'Angleterre à entrer en guerre en 1914 et à faire alliance avec la nation puissante mais moins industrialisée qu'était la France.

     

     

    Le programme de List est simple : avant de pratiquer le libre-échange, il faut arriver au même stade que l'adversaire et faire alors jouer sportivement les mécanismes de la concurrence. List a vécu longtemps aux États-Unis et a compris l'importance des grands espaces. Il a compris que l'Europe ne pourrait survivre sans s'unifier, sans devenir des “États-Unis” d'Europe. Ses idées, il les a élaborées conjointement avec des économistes américains dont Henri Charles Carey, qui militait pour un libéralisme intérieur et pour un protectionnisme très radical en politique extérieure. C'est la politique américaine actuelle, en dépit des discours libre-échangistes destinés à tromper les Européens, concurrents potentiels. Dans les rapports entre les nations, Carey dénonçait le libre-échange. Pour lui, en 1842, c'était le moyen le plus sûr d'établir pour le monde entier un atelier unique, la Grande-Bretagne, à qui devait être expédiés les produits bruts du globe en subissant les frais de transport les plus coûteux. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont été éliminées, en tant que puissances de premier plan, et ce sont les États-Unis qui sont devenus, au détriment de l'ensemble du continent européen, l'atelier du monde. Les États-Unis cherchent même à éliminer notre industrie sidérurgique. Hier la Lorraine, aujourd'hui la Wallonie et demain la Flandre et la Ruhr. Seul l'acier américain sera vendu dans le monde. Un aspect de la guerre économique que l'on oublie trop souvent, sans doute à cause des clowns syndicalistes et politiciens qui en font une affaire de régionalisme procédurier.

     

    L'Europe devient un ensemble de nations prolétaires face à l'atelier américain dont les 225 millions d'habitants consomment déjà autant d'énergies qu'il serait nécessaire pour 22 milliards d'individus. Le monde ne survivrait pas avec une deuxième sangsue Amérique.

     

     

    L'École historique allemande

     

     

    Outre l'influence de Sismondi et de List, l'École schumpétérienne s'est sagement mise à l'écoute de l'histoire. Albertini et Silem écrivent : « L'histoire a été et demeure encore un moyen privilégié pour empêcher la fermeture de l'économie sur un ensemble théorique abstrait ». C'est d'Allemagne que sont issus la plupart des économistes “historicistes”. Au nom de l'histoire et des legs qu'elle laisse, l'École historique allemande va contester globalement l'idéologie obscurantiste des libéraux anglais.

     

     

    L'Allemagne du début du XIXe siècle ne connaissait pas le libéralisme manchesterien. Le mercantilisme, hérité de Colbert, y survit et s'y nomme le caméralisme. Le caméralisme, praxis propre à l'Ancien Régime, prône un interventionnisme systématique, au profit du Prince, dans des espaces souvent très réduits.

    Mais au départ, ce n'est pas cet interventionnisme qui va retenir l'attention des historicistes. Leur démarche théorique majeure va être de rejeter la méthode déductive des Classiques et Néo-classiques. Ensuite, elle va refuser le fameux homo œconomicus sans sexe, sans âge, sans patrie et mu par l'unique mobile de l'intérêt. Au déductivisme schématique, elle va préférer une méthode inductive partant de l'observation des faits. L'inductivisme va ruiner l'idée de “lois économiques” et révéler des lois relatives à un type de société donnée. Grâce à l'École historique allemande, nous savons qu'il n'y a pas de lois économiques générales. Le mirage de l'universalisme s'évanouit.

    Roscher (1817-1894), Hildebrand (1812-1878) et Knies perfectionnent l'argumentaire et c'est Gustav Schmoller (1838-1917) qui s'avérera le chef de file de ces champions de la clairvoyance. L'économiste britannique Mary Kaldor lui rend d'ailleurs un hommage mérité dans son livre prophétique The Desintegrating West (1978) ; elle rappelle qu'il avait prévu l'assomption de l'Europe au profit de la Russie, des États-Unis et de la Chine. C'est-à-dire au profit des nations dotées de grands espaces.
    L'École historique allemande, à laquelle on peut rattacher le père et le fils Pirenne, va permettre d'approfondir les recherches dans le domaine de l'histoire économique. C'est une innovation véritablement révolutionnaire : elle met fin au désir subjectif de construire des systèmes ex nihilo. Elle rappelle un principe de philosophie critique qu'il est bon de méditer : les pseudo-objectivités (comme par ex. l'idée d'un ordre naturel) sont presque toujours des subjectivismes camouflés. Les faits sont évidemment des résultats tangibles de démarches ou d'actes au départ subjectifs. Mais un recours aux faits reste plus sûr qu'un recours à une pseudo-objectivité, invérifiable, qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations et à tous les arbitraires. Meilleur exemple actuel : la praxis politique de Reagan. L'ordre naturel reste une idée vague qu'on ne peut infirmer. D'où son retour, conjointement aux délires biblistes et obscurantistes de l'actuel Président américain.

    Le libéralisme classique a cru détenir le secret ultime de l'économie ; il a cru défendre les principes d'une économie qui allait durer éternellement. Or, divers régimes économiques se sont succédés dans le temps. Une étude des passages d'un stade à un autre pulvérise l'optimisme messianique libéral. Pourquoi vivrions-nous le dernier stade économico-historique possible ?

     

     

    Dans cette optique, Werner Sombart (1863-1941) a démontré qu'un système économique est un ensemble social caractérisé par un état de la technique. Au seuil d'une époque qui sera révolutionnée par la micro-électronique et la bio-technologie, cela devrait, logiquement, faire douter les libéraux de la validité de leurs dogmes.

     

    Max Weber (1864-1920), pour sa part, a prouvé qu'un système n'est pas l'assemblage de n'importe quelles institutions avec n'importe quels comportements. C'est ainsi que Max Weber voit dans les attitudes des Protestants calvinistes et puritains de Hollande et d'Angleterre au XVIe siècle, les ferments du capitalisme ultérieur. Après Sombart et Weber, il faut signaler les travaux du statisticien allemand Wagemann et de son compatriote Eucken, ceux de l'Américain Rostow et de l'Égyptien Samir Amin. Pour ce dernier, le sous-développement afro-asiatique n'est pas un retard mais le produit d'un choc entre 2 types de sociétés et d'économies.

     

     

    Les héritiers de l'École historique sont nombreux ; les études qu'ils ont fait éclore nous donnent une image variée du monde, soucieuse des différences culturelles, ethniques et sociales. C'est dans ce vaste édifice que réside le vrai pluralisme qui n'est pas, on s'en doute, celui des politiciens libéraux-démocrates et de leurs amis journalistes. Il est vrai que, depuis que le monde existe, une foule d'illusionnistes n'a jamais cessé de sévir. Et ça laisse des traces.

     

    L'institutionnalisme

    L'Amérique n'a pas, derrière elle, les millénaires d'histoire qu'a connu l'Europe. Elle pouvait difficilement se donner, à l'instar de l'Allemagne, une démarche historiciste. L'historicisme allemand s'est mué en institutionnalisme aux États-Unis. Pour les tenants de l'institutionnalisme, il importe de substituer à l'homo œconomicus des Classiques, l'homme, sociologique, c'est-à-dire l'homme situé dans un milieu bien défini. Par institutions, ces théoriciens américains entendent les habitudes de pensée.
    les règles législatives qui déterminent l'agir des individus ou des groupes. Il existe donc des rapports dialectiques, dynamiques entre ces institutions et la vie économique. Cette idée de dynamisme constant heurte bien sûr la notion d'un marché éternellement identique à lui-même. Thorstein Veblen (1857-1929), Américain d'origine norvégienne, montre ainsi que l'homme d'affaire (c'est-à-dire l'homo œconomicus transposé dans le réel) n'est nullement un exemple de rationalité économique : il n'est qu'un vulgaire brigand qui doit heureusement modérer ses bas instincts de lucre et d'accapareur parce que la technique et la machine lui dictent une conduite plus décente. Le monde est une lutte entre le businessman et l'artisan, entre la cupidité et l'intelligence technique.

    Plus près de nous, John Kenneth Galbraith, dans L'ère de l'opulence (1958), dénonce la croissance quantitative des biens marchands au détriment des biens collectifs. C'est pourquoi il prône une fiscalité concentrée, applicable aux États-Unis, en France ou en Angleterre mais inapplicable dans un pays exsangue, ruiné par le parasitisme partitocratique comme la Belgique. La création d'un hôpital universitaire pour la mafia catholique entraîne la création d'un hôpital universitaire pour le gang libéral-socialiste. Moralité : nous avons 2 hôpitaux à moitié vides et, la gué-guerre faisant rage dans tous les autres domaines du social, nous finissons avec la superbe apothéose de 5.000 milliards de dettes !

    Parallèlement à l'histoire et aux institutions, le défi de l'intelligence à l'économisme étroit des libéraux s'est porté dans les domaines de la sociologie et de la bio-cybernétique. Enfin, grâce aux travaux de François Perroux, les intuitions de Schumpeter se sont vues complétées et renforcées.

     

     

    François Perroux

     

     

    Perroux (comme beaucoup d'autres dont Alfred Sauvy et, partiellement, Raymond Barre) prête une très grande attention aux évolutions à long terme, aux évolutions historiques. Il ne s'agit plus d'amasser un maximum d'argent en un minimum de temps, comme le voulaient les fantasmes classiques, mais de prévoir une stratégie de plus longue haleine. Souvent orientée vers l'étude des problèmes du Tiers-Monde et proche des nouvelles recherches que sont la prospective et la futurologie (Bertrand de Jouvenel), cette école socio-économique essentiellement française recherche les lois d'évolution des structures et des contradictions structurelles (et non des lois stables une fois pour toutes). Pour Perroux, l'économiste le plus productif en textes de cette école, le thème central est celui du pouvoir. Enfin, le politique n'est plus houspillé hors des raisonnements économiques. La méthode de Perroux est résolument empirique : on observe, puis on théorise/conceptualise et, ensuite, on élabore, non un dogme ou une doctrine, mais des modèles variés. Perroux rejette l'idée d'un équilibre général (que Keynes recherchait lui aussi) parce que ce n'est qu'une vue de l'esprit née dans le cadre irréel d'une hypothétique concurrence parfaite.

     

    Les hérétiques schumpétériens, dont Perroux, accordent une place importante aux structures (population, techniques, institutions, culture, …), soumises aux vicissitudes historiques. Ainsi, la guerre du Yom Kippour d'octobre 1973 bouleverse l'équilibre géopolitique et géo-économique mondial. De tels bouleversements sont impensables dans le cadre iréniste de l'ordre naturel libéral, de l'harmonie paradisiaque à laquelle les libéraux aspirent, en bons héritiers des croyants médiévaux et en bon confrères des adeptes des sectes américaines. Libéralismes, Témoins de Jéhovah, Scientologistes, Fondamentalistes de tout poil font d'ailleurs très bon ménage dans l'Amérique de Reagan, comme déjà dans celle qu'observaient Tocqueville, Max Weber et Marnix Gijsen (2).

    Les thèses de Perroux ressemblent aux théories des catastrophes. En évoquant les seuils de rupture (ex.: Yom Kippour), elles réintroduisent le tragique dans la pensée économique. Aux équilibres Smithiens se substituent une économie faite d'affrontements, de combats. Aux “mains invisibles”, avatars de la Providence des chrétiens, se substituent des pouvoirs concrètement situés.

     

     

    En guise de conclusion…

     

     

    Marx pensait que les contradictions, en s'accumulant, allaient détruire le capitalisme pour faire place au paradis socialiste. Vain espoir messianique, hérité curieusement, via Ricardo, des expédients libéraux. Il y a plutôt lieu de croire à une accumulation de distorsions qui fera perdre définitivement au système économique toute espèce de cohérence. Le social, avec l'effondrement de la sphère publique dénoncé par Riesman et Habermas, avec le narcissisme galopant décrit par Lasch, Sennett et Gilles Lipovetsky, connaît déjà cette impasse.

     

    Une telle impasse signifie une irrémédiable décadence, semblable à celle de l'Égypte ancienne que Spengler nommait la fellahisation. Les Européens, s'ils ne prennent pas conscience des affrontements réels de ce monde, connaîtront ce sort funeste de la fellahisation. Le consumérisme, le culte du moi, le narcissisme, la culture-spectacle, l'obésité et les stratégies fatales décortiquées par Baudrillard s'accordent parfaitement avec l'a-temporalité du Smithisme, avec le règne des Big Brothers aux masques souriants et publicitaires (3).

    Cette anesthésie est fatale. Ceux qui se réveilleront feront immanquablement appel à l'histoire. Pour créer un nouveau droit, une nouvelle économie, une nouvelle politique. Pour restaurer les espaces publics que les Grecs nommaient agoras (4) : Pour élaguer les branches mortes qui portent leur insidieuse torpeur dans la sève même de l'arbre.

     

     

    L'économie n'est certes pas le destin, mais elle est, indubitablement, un espace de combat, un créneau qu'il faudra défendre âprement, avec un acharnement féroce.

     

     

     

     

    ◊ Notes :

     

    • (1) Jean-Marie Albertini et Ahmed Silem, Comprendre les théories économiques, 2 vol., t. 1 : Clés de Lecture, t. 2 : Petit guide des grands courants, Seuil, coll. Points Économie (E16, E17), 1983.
    • (2) L'écrivain Marnix Gijsen s'est moqué, dans ses souvenirs américains, de la manie de créer des sectes, de devenir “prédicateur”. Il nous décrit les mimiques, la gestuelle, l'emphase d'un gangster, plusieurs fois assassin, devenu prédicateur itinérant, pour sauver les âmes et, de ce fait, encaissant plus d'argent qu'en braquant les banques.
    • (3) Si l'économie n'a plus de cohérence, la société n'en a pas davantage. On ne saurait trop conseiller la lecture des ouvrages récents de sociologie qui stigmatisent cet état de choses ou se bornent à en faire une description méticuleuse. Cf. David Riesman, La foule solitaire, anatomie de la société moderne, Arthaud, 1964 ; Jürgen Habermas, Strukturwandel der Oeffentlichkeit,Luchterhand, Darmstadt und Neuwied, 1962/1980 (11ème éd.). Christopher Lasch, Le complexe de Narcisse, la nouvelle sensibilité américaine, Robert Laffont, Coll. Libertés 2000, 1981 ; sur l’œuvre de Lasch et sur le narcissisme social, on lira le numéro spécial de la revue américaine Telos (n°44, été 1980) consacré à ce sujet. Richard Sennett, Verfall und Ende des öffentlichen Lebens : Die Tyrannei der Intimität, Fischer, Frankfurt am Main, 1983. Gilles Lipovetsky, L'ère du vide : essais sur l'individualisme contemporain, Gallimard, 1983. Jean Chesneaux, De la modernité, Découverte / Maspero, 1983. Jean Baudrillard, Les stratégies fatales, Grasset, 1983.
    • (4) Cf. l'ouvrage de Richard Sennett cité en note (3).
  • Mariage et homosexualité

    Le projet d’ouverture du mariage aux couples homosexuels a déjà fait l’objet d’un grand nombre d’articles sur notre site mais il manquait le point de vue d’un juriste sur la question. Eric Delcroix traite ce sujet sous l’aspect de l’histoire du droit.  

    Le débat sur le projet d’ouverture du mariage aux couples homosexuels justifie, au-delà des passions, quelques réflexions que je crois conformes à ce que l’on appelait jadis, plus que naguère tant les choses vont vite, le sens commun.

    Objet de l’institution

    Historiquement, la finalité du mariage est l’organisation sociale de la procréation. Le mariage a toujours été conçu comme fondateur de la cellule de base de la famille, lieu de la procréation et de l’éducation des enfants. Le projet d’ouverture du mariage aux couples du même sexe perd évidemment de vue ces réalités et ouvre l’institution à deux dérives :

    1°- Celle de l'immixtion inédite de la puissance publique dans le domaine de l’amour, dérive totalitaire redoutable – cet amour que Céline décrivait plaisamment comme « l’infini à la portée des caniches ». Faire des institutions publiques l’arbitre des relations affectives a quelque chose de terrifiant.
    2°- Celle de préparer le terrain à l’adoption par les époux homosexuels, parachevant la dissolution de la famille biologique, ce qui est ressenti comme normal par les esprits antiracistes.

    Qu’était la famille ?

    La famille était traditionnellement en Europe la cellule constitutive de base de la nation (natus, natio, communauté de naissance), mais il est vrai qu’elle n’est plus guère comprise comme telle.

    Les mentalités ont évolué, encouragées par l'Etat, notamment en France, sous l’empire de la droite institutionnelle, essentiellement dans les années soixante-dix, déjà au nom des sentiments, subjectivités affectives si peu adaptées au raisonnement juridique.

    Tout d’abord, ce fut la mise à égalité de l’enfant légitime et de l’enfant adultérin, faisant du point de vue de la progéniture un statut indifférencié qui revient à autoriser de fait la polygamie. Auparavant, seul l’enfant légitime portait le nom de la famille – de façon coutumière (*) celui du père, parfois accolé à celui de la mère – et avait vocation à recueillir l’héritage familial. La loi était dure, mais la famille, comme institution, était, pour la puissance publique, non pas le lieu de l’amour et du Bisounours, mais la matrice d’un peuple, d’une nation et d’une ethnie. Dans ce système, la mère de famille ne risquait pas de voir ses enfants mis en concurrence avec les bâtards d’un mari volage… C’était avant la reconnaissance par l'Etat, ce « monstre froid » (Nietzsche), d’une catégorie juridique chez le sujet de droit, catégorie extravagante jusqu’ici inconcevable, celle de l’énamouré (mais puisqu’il l’aime, mais puisqu’ils s’aiment, etc.).

    Ensuite, ce fut le démantèlement de la souche raciale, au sens premier du terme, de la lignée, par l’apparition d’un véritable « marché » de l’enfant (n’entend-on pas parler d’un « droit à l’enfant » ?). S’inspirant du droit romain, qui privilégiait l’ingenuus (enfant biologique de bonne naissance), Napoléon avait introduit dans le Code civil l’institution de l’adoption, bien éloignée de ce qu’elle est devenue… Pour le Code civil – Code Napoléon – l’adopté ne pouvait être qu’une personne majeure et l’adoptant qu’une personne sans enfant d’au moins cinquante ans. Le procédé visait à éviter, autant que faire se peut, de casser la famille biologique par la mise en concurrence des enfants légitimes avec des pièces rapportées pour le port du nom, des titres et le partage du patrimoine. Il n’était pas possible d’adopter n’importe qui.

    Qu’est devenue la famille aujourd’hui ?

    Selon le Code civil, la condition la plus courante était celle de l’adoptant ou des époux adoptants qui s’étaient occupés « pendant au moins six ans » de l’éducation de l’adopté du temps qu’il était mineur. Ces soins au mineur ne donnaient toutefois pas un droit à l’adoption : encore fallait-il que l’enfant, devenu majeur et donc enfin adoptable, y consente. Il n’était pas question de « droit à l’enfant » en ce temps-là.

    Ce n’est qu’en 1923, en présence de nombreux enfants orphelins de la Grande Guerre, que le législateur a permis l’adoption des mineurs. (Il est vrai que le droit romain admettait déjà l’adoption d’une personne impubère.) Il fallait tout de même, pour adopter, ne pas avoir d’enfant, avoir au moins trente-cinq ans et, pour l’adoption par des époux, que leur mariage ait au moins huit ans : toujours ce souci de protéger la famille ; toujours ce souci de privilégier la lignée. C’était avant les réformes de la Ve République…

    En effet, toutes ces rudes institutions protectrices de la famille ont été démantelées, en conformité avec les droits de l’homme, pervertis depuis une cinquantaine d’années par le principe égalitariste de non discrimination : démantelées sans guère d’opposition, tant cela est en phase avec l’individualisme exacerbé contemporain alors que la famille est un milieu holiste par nature. En tout cas, cette évolution ne s’est heurtée à aucun volontarisme d’opposition de l'Etat – sous Pompidou et Pleven –, bien au contraire, alors que c’était une question sociétale et non de mœurs. Il y a toujours un ministère de la Famille, mais plus de doctrine susceptible d’appuyer une politique familiale. Il est intéressant de voir que, de nos jours, la majorité des enfants naissent hors mariage, dans des proportions qui correspondaient, dans les années soixante, à peu près au taux qui prévalait aux Antilles et chez les Afro-Américains. Autres temps autres mondes…

    Ouvrir le mariage ou... l’abolir?

    Depuis 1972, l’enfant légitime est mis en concurrence parfaite, c’est-à-dire indifférente et égale, avec l’enfant adultérin, et les adoptions peuvent se faire malgré l'existence d’enfants naturels ou légitimes. C’est comme on veut : à la carte, « à ma guise » pour reprendre le slogan publicitaire d’une compagnie d’assurance. Au surplus les principes de l’adoption ont été inversés et l’adoption vise de nos jours d’abord les mineurs. Aussi s’est-il constitué un véritable marché international de l’enfant, avec ses modes, ses coûts et ses races au choix, comme pour les chiots…

    Dans ces conditions de chaos familial, faut-il ouvrir le mariage à tous les énamourés ou, dans une vision plus pragmatique et rigoureuse, ne vaut-il pas mieux le supprimer purement et simplement ? Les couples pourraient bénéficier d’un statut civil volontaire, un peu à la façon du PACS, à convenir par devant un notaire comme régime régissant l’organisation de leur patrimoine. Ce statut permettrait aussi la réversion de la retraite. Et dans ce cas, les enfants leur conféreraient ces avantages fiscaux que le seul amour ne saurait raisonnablement justifier.

    Le mariage légal, profane, avait été institué pour concurrencer le mariage religieux et d’abord catholique. Aussi est-il interdit au ministre d’une religion de célébrer des mariages sans que les fiancés justifient de leur mariage civil préalable (art. 433-21 du Code pénal). L'Eglise, qui est ici dans son rôle avec le refus du mariage homosexuel, serait bien avisée de revendiquer, en cas de vote du projet de loi, l’abrogation de cette mesure.

    Eric Delcroix http://www.polemia.com
    22/11/2012

    (*) Le nom marital relevait d’une coutume multi-séculaire. Ce n’est qu’en 1893 que cette dernière a été reconnue par la loi. Aujourd’hui c’est « à ma guise » (voyez supra), le nom du mari, de la femme ou des deux, ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion dans les lignées (art. 311-21 nouveau du Code civil).

  • Violences faites aux femmes : à qui la faute ?

    L’affaire du multirécidiviste Kamel Bousselat, déjà treize fois condamné, notamment pour  des faits de violence et d’agression sexuelle, kidnappeur de Chloé, 15 ans, et finalement  arrêté  en Allemagne, a soulevé beaucoup d’émotion. Ce fut aussi le cas en  en octobre, avec le procès des tournantes de Fontenay-sous-Bois, dont un des protagonistes, Mahmadou Doucouré, accusé de viols sur Nina et Aurélie, a été également jugé depuis pour  le meurtre avec préméditation de son ancienne compagne. Des « faits divers » qui confirment, s’il en était besoin, que dans l’Age sombre que nous traversons, les personnes les plus fragiles, et notamment les femmes, sont les premières victimes des barbares.  

    Après « Le Manifeste des 343 salopes » en 1971,  dans lequel 343 femmes parlaient de leur avortement, l’IVG n’ayant   pas  encore été  légalisée en France, Le Nouvel Obs estime poursuivre sa mission émancipatrice en publiant cette semaine, sous l’égide de la militante d’extrême gauche Clémentine Autain,  un Manifeste pour briser les tabous du viol.

    « Je déclare avoir été violée », tel est  le nom de la campagne lancée à la manière d’une pétition –signée pour l’instant par 313 femmes-  par ce magazine  pour aider les femmes victimes de violences sexuelles à sortir de leur silence. Selon les  termes mêmes de cette  campagne,   une femme sur 10 aurait été ou sera victime d’un viol. Une affirmation dont le chiffrage ne fait pas l’unanimité.

    Nous pouvons déjà  contester le  caractère judicieux du  parallèle opéré par le Nouvel, Obs   entre cette lutte contre le viol et la promotion de l’IVG, qui est aussi une « violence faite aux femmes »,  psychique et physique, une « atteinte odieuse à l’intégrité d’êtres humains ».

    Une loi Veil rappelons-le,  qui s’est avérée totalement incapable au fil des ans, de réduire le nombre d’avortement (environ 200 000 par an depuis 1975), ce qui était à l’origine l’objectif annoncé.

    Au moment de la discussion autour de la notion de « viol conjugal », Bruno Gollnisch avait publié sur son blog un billet d’humeur pointant  les arrière-pensées idéologiques à l’œuvre, « les modes intellectuelles et (im)morales ».  

    « Haro sur le mâle  surtout s’il est occidental, et, pire encore, tenant de quelque élément de tradition politique, patriotique ou religieuse ! (…) Quiconque ne va pas dans le sens de ce courant dominant s’expose, comme votre serviteur, à se voir coller les pires étiquettes : hétérosexuel, macho, et même : réactionnaire ! Nous ne sommes pas nombreux à affronter fièrement de tels opprobres ! »

    « L’action des lobbies féministes notait-il encore, constitue l’un de ces courants contre lequel il est téméraire de s’inscrire. Un courant pour lequel est bon tout ce qui concourt à discréditer l’image de ce que Mme Lauvergeon, présidente d’AREVA, appelait le mâle blanc. »

    Un violeur est animé d’une irrépressible  pulsion de prédation qui relève soit d’un dérangement d’ordre mental, soit, « plus banalement »,  d’un effacement des repères moraux les plus élémentaires, la femme étant considérée comme un simple objet de plaisir, de consommation. Cette perte de repères est largement due à l’écroulement d’un  ordre ancien auquel les amis politiques de Mme Autain et consorts  ont beaucoup travaillé.

    Cette image dégradée de la femme est aujourd’hui  véhiculée par l’explosion de la pornographie, les clips de rap inspirés du gangsta rap des ghettos américains et même pour une large part,  par la publicité que l’on retrouve… dans les magazines féminin(istes).

    Le choc des cultures engendré  par « les joies » de l’immigration planétaire,  le multiculturalisme de nos sociétés, encouragé lui aussi par tou(te)s les progressistes, n’est pas non plus sans conséquence sur la sécurité des femme; même si bien  entendu les violeurs ou les auteurs de violences se retrouvent dans toutes les couches sociales, tous les groupes ethniques et/ou religieux.

    L’affaire des viols commis par des bandes d’immigrés pakistanais contre des anglaises de souche, notamment dans la ville  de Rochdale,  continue de défrayer  la chronique  en Grande-Bretagne.

    Les victimes étaient le plus souvent de très jeunes adolescentes, avec des parents démissionnaires qui les  laissaient  sortir seules la nuit,  issues de familles pauvres, recomposées, décrites souvent comme « fragiles » … Dans  un article publié sur son site le 19 novembre- « L’affaire de Rochdale et son équation  raciale »-, Le Monde, sous la plume de Benoît Vitkine,  expose assez crûment la réalité.

    « Lors du procès, qui se tient en mai 2012 à Liverpool, cinq victimes témoignent, sur les 47 identifiées par la police. L’une raconte avoir été violée par vingt hommes la même nuit. Une autre décrit une soirée passée à vomir sur un canapé pendant que deux hommes abusent d’elle. »

    « Une autre raconte encore, 13 ans au moment des faits, que les viols ne cessèrent que lorsqu’elle tomba enceinte d’Adil Khan, 42 ans. Neuf hommes sont condamnés, pour les faits de viol, agressions sexuelles ou conspiration commis entre 2007 et 2009, à des peines allant de quatre à dix-neuf ans de prison pour Shabir Ahmed, considéré comme le chef du groupe. »

    Pendant le  procès un accusé dira : «  Vous, les Blancs, vous entraînez vos filles à boire et à faire du sexe. Quand elles nous arrivent, elles sont parfaitement entraînées. »

    « A l’exception d’un demandeur d’asile afghan, tous sont d’origine pakistanaise. Toutes les filles sont blanches. L’équation est aussi froide et simple qu’explosive, dans un Royaume-Uni en proie au doute sur son modèle multiculturel ».

    « Dans les semaines suivant le procès rappelle Benoit Vitkine, les médias égrènent les noms de villes où des gangs similaires à celui de Rochdale sont démantelés : Nelson, Oxford, Telford, High Wycombe… Et, fin octobre, c’est à nouveau à Rochdale qu’un groupe de neuf hommes est appréhendé. Chaque fois, les violeurs sont en grande majorité d’origine pakistanaise. »

    « Les micros se tendent vers les associations ou les chercheurs spécialisés dans la lutte contre les abus sexuels. Selon leurs conclusions, entre 46 % et 83 % des hommes impliqués dans ce type précis d’affaires – des viols commis en bande par des hommes qui amadouent leurs jeunes victimes en milieu ouvert – sont d’origine pakistanaise (les statistiques ethniques sont autorisées en Grande-Bretagne). »

    Cet article relate aussi les conséquences   de la peur des  « blancs », des  acteurs du Système d’être pris à partie par le lobby immigrationniste: « entre 2004 et 2010, 127 alertes ont été émises sur des cas d’abus sexuels sur mineurs, bon nombre concernant le groupe de Shabir Ahmed, sans qu’aucune mesure soit prise. A plusieurs reprises, les deux institutions ont estimé que des jeunes filles âgées de 12 à 17 ans faisaient leurs propres choix de vie. »

    En effet, « pour Ann Cryer, ancienne députée de Keighley, une circonscription voisine, aucun doute n’est permis : police et services sociaux étaient pétrifiés à l’idée d’être accusés de racisme. Le ministre de la famille de l’époque, Tim Loughton, reconnaît que le politiquement correct et les susceptibilités raciales ont constitué un problème (…). »

    « Un employé de la mairie s’interroge. Anonymement. Où est la limite du racisme ? Les agresseurs voyaient ces filles comme du “déchet blanc”, c’est indéniablement raciste. Mais les services sociaux, des gens bien blancs, ne les ont pas mieux considérées. »

    « A quelques rues de là, dans sa permanence, Simon Danczuk, député travailliste de Rochdale qui a été l’un des premiers à parler publiquement d’un facteur racial, juge tout aussi déterminant ce qu’il appelle le facteur social: Les responsables des services sociaux ont pu imaginer que ces filles de même pas 15 ans se prostituaient, alors qu’ils en auraient été incapables à propos de leurs propres enfants… »

    En réalité relève Bruno Gollnisch, Outre-manche comme en France,  qui sont les plus coupables? ses immigrés  là, victimes eux aussi à leur manière du traumatisme du déracinement, de la confrontation brutale avec notre «modèle » de société, de  l’effacement des repères dans lesquels ils ont  été élevés, (devenus ?) plein de haines et de mépris pour nos sociétés occidentales ? Ou un Système décadent, souvent amoral,  qui  favorise cette babélisation, les drames et les violences qu’elle engendre mécaniquement ? Le Front National a répondu depuis longtemps à cette question.

  • 8 avril 217 : la fin d'un fossoyeur

    ❏ En poignardant l'empereur Caracalla, le 8 avril 217, le centurion Martialis espérait sauver cette grandiose construction qu'était l'Empire romain. Il faisait aussi œuvre pie, en vengeant l'honneur outragé des grands ancêtres, ces Romains durs à la tâche, ardents au combat et fidèles à la patrie. Car l'empereur éliminé était un outrage vivant aux traditions des fils de la Louve.
    Ce Caracalla était, en effet, fils de l'empereur Septime Sévère, Africain de souche punique né à Leptis Magna, et d'une Syrienne dont le père était grand-prêtre du Baal d'Emèse. Significativement. Caraccalla avait, à l'imitation de Septime Sévère, peuplé le Sénat romain d'Africains et d'Orientaux. Ainsi, alors même que le Sénat, privé de pouvoirs réels, n'était plus qu'un symbole, il y avait bien volonté hautement symbolique de couper l'Empire de ses racines latines en peuplant la vénérable assemblée d'une foule cosmopolite. Rome, décidément, n'était plus dans Rome.
    Caracalla avait fait du cosmopolitisme le principe directeur de sa politique : en 212, il a promulgué un édit octroyant la citoyenneté à tous les habitants de l'Empire. Ainsi, quelle que fût leur origine, tous étaient désormais placés sur le même pied, censés avoir les mêmes droits. Il n'y avait plus qu'une seule cité, aux dimensions du monde. Cette décision, fruit d'une idéologie égalitaire affirmée avec fanatisme dans les allées du pouvoir, reléguait évidemment le patriotisme romain au rang des vieilles lunes. Quel sens pouvait d'ailleurs avoir un tel patriotisme pour un Afro-Syrien, sinon celui d'un insupportable «racisme », rappelant les heures les plus sombres de l'Histoire où les légionnaires romains pliaient sous le poids de leur glaive les Puniques, Syriens et autres peuples exotiques ?
    Le funeste édit de Caracalla reçut le nom de « Constitution antonine » : Caracalla avait en effet été appelé Marcus Aurelius Antoninus quand son Punique de père s'était proclamé, par adoption. posthume, fils de Marc Aurèle ce qui permettait de porter un nom opportunément romanisé, faisant meilleur effet qu'un patronyme aux consonances peu latines...
    La mort de Caracalla ne sauva pas l'Empire. Un Empire miné par la dénatalité, l'exode rural et la désertification des campagnes, la multiplication des sectes prêchant le déracinement et le mélange des races. Après Caracalla régnèrent ses cousins Elagabal (218/222) et Sévère Alexandre (222/235), dont les mères étaient des princesses syriennes, exerçant une forte influence. Ces empereurs, comme leurs deux prédécesseurs, imposèrent un « despotisme niveleur » (Marcel Bordet), où coexistaient relâchement de la discipline au sein des armées, fiscalisme écrasant, développement d'une bureaucratie omniprésente et inquisitoriale, assistanat généralisé. Devaient s'ensuivre des décennies de sanglante anarchie puis, après une ultime période de rémission, l'agonie de l'Empire romain.
    Pierre VIAL National hebdo du 7 au 13 avril 1994
    Pour approfondir : Marcel Leglay, Yann Le Bohec; Jean-Louis Voisin, Histoire romaine, PUF .

  • 2 novembre 1847 : le camarade Sorel

    Né à Cherbourg le 2 novembre 1847, au sein d'une famille de la bonne bourgeoisie, le Normand Georges Sorel a eu tout d'abord un parcours qui avait tout pour satisfaire sa famille : études brillantes, débouchant sur l'Ecole polytechnique - un cadre hors de pair pour repérer et donner leur envol aux meilleurs esprits. Puis Sorel a exercé jusqu'à quarante-cinq ans les fonctions d'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. Une carrière austère, mais permettant à une intelligence aiguë, inventive, audacieuse de se frotter aux réalités. La chose est précieuse car trop d'hommes de talent se perdent en se coupant du contact avec le réel.
    Ayant ainsi accumulé une féconde expérience, Sorel démissionne pour se consacrer à des études et réflexions. personnelles, qui vont nourrir pendant trente ans un nombre impressionnant d'articles et de livres publiés en français, en allemand ou en italien (ce qui permet à Sorel de toucher l'élite des intellectuels organiques de son temps). Il faudrait pouvoir citer tous les ouvrages de Sorel. Les illusions du progrès, La décomposition du marxisme, De l'utilité du pragmatisme sont, entre autres, des textes qui restent précieux. Mais son ouvrage à juste titre le plus connu est ses Réflexions sur la violence. Ce livre a été lu, médité, annoté tant par Lénine que par Mussolini. A lui seul il justifie l'affirmation de Zeev Sternhell : « Vacher de Lapouge et Sorel ont joué dans l'histoire des idées un rôle plus significatif que celui de Guesde ou de Jaurès. »
    Sorel s'inscrit dans le vaste mouvement de contestation fondamentale de l'individualisme libéral qui anime, à la charnière du XIXe et du XXe siècle, tout un pan de l'intelligence française. Sur cette ligne de front, le "gauchiste" Sorel côtoie sans complexe les nationalistes les plus cohérents, c'est-à-dire ceux qui savent bien que le bourgeoisisme est l'ennemi principal. Aux vétérans communards ou bonapartistes vient se joindre, à l'orée d'un nouveau siècle, une jeune génération révolutionnaire. A tous Sorel apporte un message d'une grande force de conviction, élaboré avec la rigueur et l'efficacité apprises à Polytechnique. Il s'agit d'attaquer et de rompre ce consensus centriste, auquel se sont ralliés les socialistes parlementaires (rien de nouveau sous le soleil... ) et qui engendre immobilisme politique, décadence intellectuelle et morale. Dans la foulée d'un Renan, Sorel affirme la nécessité, pour les âmes fortes, de se libérer du mirage matérialiste qui est le soubassement du capitalisme. Un capitalisme qui sait utiliser à merveille l'illusionnisme égalitariste : « Dans les pays de démocratie avancée, on observe dans la plèbe un profond sentiment du devoir d'obéissance passive, un emploi superstitieux de mots fétiches, une foi aveugle dans les promesses égalitaires. » Pour que la "plèbe" devienne le peuple, affranchi et responsable, il lui faut se libérer tant du capitalisme que du marxisme, cette imposture basée sur « les immenses avantages que procure une exposition obscure à un philosophe qui a réussi à se faire passer pour profond ».
    La libération populaire passe par la violence et il faut des mythes pour, après avoir réalisé la mobilisation collective des esprits, les déterminer à agir. Ces axes de la réflexion sorélienne suscitent encore aujourd'hui la mise au pilori de Sorel, accusé d'être un préfasciste. C'est une bonne raison, pour ceux que les excommunications et les exorcismes laissent impavides, de lire et de relire Sorel.
    P. V National Hebdo du 29 octobre au 5 novembre 1998

  • Heidegger et le principe de raison

    Durant l'hiver 1955-1956, Heidegger professe à l'Université de Fribourg un cours intitulé Le principe de raison. Il se propose d'étudier, dans le cadre d'un tel cours, ce que dit le principe en question, et comment il le dit.
    Rapportant le principe sous sa forme latine : Nihil est sine ratione, et rappelant que, dans l'histoire de la pensée, l'émergence de cette forme est contemporaine du moment leibnizien, Heidegger engage à partir de ce dernier le pas qui rétrocède (Schritt zurück), ou le pas du retour amont. Il s'enquiert, à la faveur d'un tel pas, des résonances plus anciennes que, nonobstant la traduction du grec en romain et l'effet d'oblitération qui suit de cette dernière, les mots du commencement grec réservent chaque fois à qui les écoute attentivement.
    Heidegger montre, dans ce pas, qu'à l'échelle de ce qui nous apparaît comme histoire de l'être, l'aube grecque et le moment leibnizien s'entretiennent, ou ont co-propriation. Car ce que dit le principe de raison, aujourd'hui comme au VIe siècle avant Jésus-Christ, c'est, de façon encore inouïe, la mêmeté et/ou le jeu par où, se déployant à la fois dans deux directions de sens opposées, l'être est, sur le mode de l'Un, fond et/ou raison. Ce dont la résonance nous parvient ici et maintenant à partir du texte d'Héraclite, Heidegger nous invite à l'entendre, à la manière du cri de flûte qui annonce, dans le poème de Parménide, l'approche de la Déesse, comme le signe de ce que le Même que sont l'être et la raison nous invite à entrer dans son Jeu. L'énigme de ce Jeu fait l'objet, ou plutôt, selon le mot de Francis Ponge, l'objeu des dernières pages du cours professé par Heidegger à Fribourg.
    Heidegger, dans les premières pages du Principe de Raison, se saisit d'une question dont il juge qu'elle n'est pas posée assez originairement. Deux mille trois cent ans se sont écoulés avant que la pensée occidentale réussît à découvrir et à poser ce principe simple qu'est le principe de raison : pourquoi cela ? Où le principe de raison a-t-il dormi si longtemps ? Comment a-t-il rêvé d'avance ce qui en lui était encore impensé ?
    Observant de façon mystérieuse que le moment n'est pas encore venu d'y réfléchir, Heidegger se propose, pour commencer, d'écouter attentivement ce que dit le principe de raison et comment il le dit. Questionnant ce qu'il appelle ailleurs la multiplicité congénitale du sens, il s'enquiert de la part d'impensé que recèle la formulation du principe de raison. L'enquête ainsi entreprise montre que l'impensé s'entretient dans le comment de la dite formulation. Le comment désigne ici la série de bifurcations sémantico-logiques à la faveur desquelles, sans laisser derrière lui sa multiplicité congénitale, le sens se décide et par là s'oriente dans la direction historialement déterminée qui est, à partir du commencement grec, celle de la pensée occidentale et/ou celle de la Raison.
    De question en question, approfondissant l'écoute, Heidegger décèle, dans le comment de ce qui est dit, deux accentuations différentes du principe de raison : l'accentuation romaine, qui, via l'emploi leibnizien du mot ratio, tire du côté de la Raison au sens de Vernunft, et l'accentuation grecque, qui, spécialement dans l'emploi héraclitéen du mot logos, signale muettement la co-appartenance de l'être et de la raison dans l'envoi de la destination, et/ou dans le saut qui fait entrer la pensée dans le Jeu suprême : le Jeu que Heidegger nomme superbement la mesure de l'Immense.
    La formule, ainsi frappée, requiert et répète, dans la variation qu'elle comporte, une formule de Protagoras, que Platon rapporte dans le Théétète : de toutes choses l'humain est la mesure... On remarque que dans la variation heideggerienne, la structure de la formule grecque se conserve, et avec elle le statut indécis du complément du nom. S'agit-il d'un complément objectif ou subjectif ? Le sens chaque fois reste en balance , augurant en cela de la proximité qu'être et raison entretiennent, et découvrant par là l'horizon de significativité auquel nous sommes assignés pour penser.
    Sachant que la formulation heideggerienne condense et déplace les schèmes de la philosophie grecque, l'Immense occupe, dans le rapport qu'il entretient avec la mesure, la place que les Grecs assignent traditionnellement à l'apeiron. Mais l'usage heideggerien du mot Immense induit un subtil déplacement dans la façon d'envisager l'horizon sous le rapport duquel il y a quelque chose plutôt que rien, d'où mesure. Les Grecs désignent sous le nom d'apeiron, moins l'infini, que l'inquiétante étrangeté du hors-champ, en quoi se réserve le fonds d'indifférente matérialité dont excipe tout ce qui est. Heidegger quant à lui invoque, lorsqu'il parle de l'Immense, l'horizon sous le rapport duquel la présence se déploie transitairement à partir et en direction de la double absence : la Mort est le don encore impensé de la mesure de l'Immense, ou du Jeu suprême... Plus qu'à l'apeiron anaximandrien, l'Immense dont parle Heidegger s'apparente à l'eskhaton aristotélicien, autrement dit à la fin dont l'existence a besoin pour s'accomplir, car là seulement la réalité, en quoi s'épuise l'entièreté d'un pouvoir-être, se déploie entièrement et par là se laisse mesurer en tant que telle.
    Dans sa propre façon de mobiliser les schèmes grecs, Heidegger montre que, nonobstant la traduction du grec en romain et l'effet d'oblitération qui suit de cette dernière, le secret de la co-appartenance de l'être et de la raison s'entretient par voie de tradition, sous le couvert des résonances mobilisées volens nolens par les effets de déplacement intertextuels. Quêtant amont des résonances identiques, Heidegger constate que, symptomatiquement chez Leibniz, qui parle bien latin, mais non plus à partir de la langue des anciens Romains, quelque chose subsiste de l'éclat dont se pare initialement un tel secret : c'est, dans le comment de la formule : Nihil est sine ratione, et plus précisément dans l'abîme que maintient ouvert la double négation, la proximité sémantico-logique dont, au regard de la pensée sans concept, jouissent là-présentement être et raison. On remarquera que, contrairement à ce qui lui est habituellement reproché, Heidegger n'emprunte rien ici aux tours et détours de l'étymologie. Rétrocédant de cette dernière, l'écoute reconduit au sol de la pensée. Nous introduisons presque de force, concède sereinement Heidegger, les idées du Jeu et de la co-appartenance... De façon implicitement référente à Aristote, Heidegger signale ici qu'il parle avec raison (epi to logou), quoique sous l'effet d'une postulation sans concept (aneu logou), car la force dont il se réclame, est contrainte de la vérité (hôsper uti autês tês alêtheias anagkasthentes).
    Sur le chemin de pensée qu'il poursuit, Heidegger constate de façon insistante que, semblablement à chacun de nous, il est mené, que ce vers quoi il chemine l'oblige à se demander, et que chaque fois la réponse se présente à lui, puisque, en vertu de la multiplicité congénitale du sens, c'est la ratio qui parle dans les mots Grund (raison) et Vernunft (Raison), et que dans la ratio à son tour parle le logos au sens que lui donnaient les Grecs, de telle sorte que akoloutôs, ou immédiatement et à la suite d'Héraclite, nous avons vu clairement que ce mot désignait à la fois l'être et la raison, tous deux pensés à partir de leur appartenance mutuelle. Certes le nous avons vu clairement renvoie dans l'économie générale du cours à ce qui a été montré supra ; mais il indique aussi que l'expérience de la pensée, telle que Heidegger la cultive ici, relève de l'antique theoria, c'est-à-dire de la contemplation du divin (to theion), - dont Aristote dit qu'elle est comble de la jouissance et de l'élévation (to hediston kai ariston), non sans préciser que le divin est le vivant, dans ce qu'il a d'inépuisablement trophique, attendu que la vie, et la durée continue (aiôn), et la permanence sont dévolues, en tant que fonds, au divin ; car c'est cela même qui est divin.
    De façon mystérieuse, le nous avons vu clairement requiert et répète, dans l'expérience de la pensée, telle que la transcrit Heidegger, ce que Héraclite a vu dans l'aiôn : l'Enfant qui joue le Jeu du monde. La réponse qui se présente ici, est vision de l'âme, et en cela, plus originairement encore, fruit de la phantasia qui tient lieu de fonds materialiter à l'activité de cette dernière. A ce titre, elle montre sans le dire en quoi consiste l'abîme (Abgrund) de proximité par où s'entretiennent être et raison. On remarquera qu'en tant que réponse, une telle réponse demeure elle-même sans pourquoi. L'écoute, telle que s'y adonne Heidegger, à l'instar d'Héraclite l'obscur, implique l'entrée dans le cercle herméneutique.
    Considérant le sens qu'à l'aube de la pensée grecque, avait pour Héraclite le logos, Heidegger remarque que ce que Héraclite nomme logos, il lui donne aussi d'autres noms, qui sont les termes directeurs de sa pensée. Heidegger montre ici le comment de l'entrée dans le cercle herméneutique, qui est aussi le comment de la pensée. L'entrée dans le cercle se fait à partir et à l'intérieur du logos, car tout se produit, déclare Héraclite, selon le logos, [...] dires et actes, tels que moi je les énonce [...], déclinant chaque chose selon ce qu'elle est (kata phusin), et indiquant comment elle est (okhôs ekhei). A partir et à l'intérieur du logos, la pensée ménage l'ajointement de ce que Heidegger, à la suite d'Aristote, nomme les différends de l'être, car l'être se dit et/ou se laisse dire en ses multiples façons et/ou de multiples façons (to on legetai polakôs).
    À partir et à l'intérieur du logos et/ou en vertu de la rection qui la détermine dans le secret de l'intime, la pensée fait venir l'être en tant que phusis et, par effet de mouvement tournant, l'installe chaque fois en tant que kosmos. Mesurant de la sorte les forces antagonistes que sont dans l'alêthêia, ou le déploiement de la phusis, l'éclosion et le retrait, et, dans l'éclosion même, l'ordre et l'éclat, elle entretient ce que Heidegger nomme l'harmonia, comme de l'arc et de la lyre. Ce qui se révèle à Héraclite comme logos, c'est, de façon implicitement référente à la dite harmonia, l'insigne constellation du Même, qu'au regard de sa disposition ontologique (die Fügung des Seins), Heidegger nomme ailleurs Quadriparti. Le Même sont l'être et la raison, précise Heidegger, dans la disposition quadripartite de l'être en tant que force (Kraft), ou, en termes aristotéliciens, dans le déploiement de la dunamis en tant que arkhê : logos, phusis, kosmos, aiôn ; ou, dans la formulation heideggerienne, la terre, le ciel, les divins, les mortels - sachant que, dans la mesure où ils se réclament d'Héraclite, les mots de Heidegger, la terre, le ciel, les divins, les mortels, ne traduisent pas les mots grecs, mais se laissent déterminer et comprendre à la lumière de ces derniers, constituant ainsi le visage sous le couvert duquel ce qui résonne dans les mots grecs, aujourd'hui se présente à nous. La comparaison montre per se comment le Même se déploie sur le mode de l'éclosion et du retrait : il se déploie, nonobstant la différence des mots et l'effet de bougé qui s'en suit, dans la relation qu'entretiennent Heidegger et Héraclite, par voie de tradition. Tout ce qui advient à l'homme historique résultant chaque fois d'une décision prise antérieurement et qui n'est jamais le fait de l'homme lui-même, il s'agit ici de la relation qu'entretiennent Heidegger et Héraclite en tant que passeurs, ou, au sens propre, lieu-tenants de la pensée.
     L'harmonia, ou le Même, tel que l'invoque Heidegger, se laisse ainsi déterminer et comprendre comme le moment de la pensée, celui à partir duquel l'envoi de la destination se fait historialement, ou celui à partir duquel l'Immense se laisse mesurer là-présentement ou transitairement. Les forces de sens contraire, remarque Marcel Conche à propos d'Héraclite, n'interviennent pour l'arc que lorsque la corde est tendue. Or elle n'est tendue que par l'archer. C'est dans le laps de temps et/ou dans l'espace de jeu mesuré par la main de l'archer que s'exercent les dites forces. C'est, plus originairement, dans le laps de temps et/ou l'espace de jeu mesuré par la pensée que le Même sont, sur le mode du Quadriparti (logos, phusis, kosmos, aiôn), l'être et la raison.
    Heidegger nomme ailleurs cet espace de jeu, le libre : le moment où chaque fois, - chaque fois étant aussi la première fois -, il y a, par effet de mouvement tournant, quelque chose plutôt que rien, et en cela, de façon doublement sagittale, à la fois éclosion et retrait, ou limitrophicité entre l'être comme raison au sens de Grund (pure trophicité, ou Khaos) et l'être comme Raison au sens de limite. Heidegger aime à rappeler que, comme l'indique l'étymologie, les mortels tiennent de l'humus. C'est par effet de retournement phrénique, en quoi le logos fait proprement chair, que, faisant venir la terre et installant un monde, ils ménagent transitairement l'harmonia, non san prétendre ainsi à leur fin initiale.
    Heidegger invoque ce retournement au titre de l'aiôn, ajoutant que le mot est difficile à traduire, même si l'on dit communément durée cosmique. L'aiôn, c'est, tel que l'entend Heidegger, ce qui fait monde (weltet) et/ou fait temps (zeitigt), par là ce qui dispense, ainsi faisant qu'il y a quelque chose plutôt que rien. D'où la référence à l'Enfant héraclitéen, que l'Innigkeit, l'innéité, ou l'antériorité, de son jeu consacre royal. L'Enfant qui pousse ses pions, c'est, dans sa mystérieuse précédence, le plutôt que du il y a quelque chose plutôt que rien, ou la trophicité qui se déploie, en même temps qu'elle s'y abîme, dans la disposition quadripartite de l'être, partant, dans l'insigne avénement de la constellation dite du Même. Les mots Grecs, mieux que les autres, disent qu'à l'encontre de l'opinion communément admise, la paideia, par où se continue la phusis, tient du pais, l'enfant, et qu'à ce titre, par effet de mouvement tournant, elle oriente dans le sens du logos ce qui se réserve en abîme dans le secret de l'enfance, autrement dit dans le secret de l'intime. On se souviendra que plus tard les Romains désignent sous le nom d'infans celui qui, à l'instar de la terre et/ou de la tombe, ne parle pas.
    L'Enfant royal, qui, eu égard à l'antériorité de son statut, ne parle pas, a ceci de propre à l'enfant qu'il joue (esti paizôn) : il joue (pesseuôn) au jeu des pessoi, des pions, et dans le déplacement qu'il imprime à ces derniers, il libère l'espace de jeu dont le Même que sont l'être et la raison a besoin pour se déployer, comme la lune a ses phases, sous le couvert de différentes époques, de telle sorte qu'il ne laisse pas d'apparaître comme histoire. L'Enfant désigne ici ce que Heidegger dans l'Introduction à la métaphysique nomme le commencement commençant : celui qui, s'emportant sans se laisser lui-même derrière soi, se requiert cependant qu'il se déploie, de telle sorte qu'il demeure l'Un, l'Unique, - Platon dirait l'epekeina, et Aristote l'eskhaton -, l'Un relativement auquel, par effet de conséquence inverse, l'être se dit et/ou se laisse dire de multiples façons. Or vidant l'Un de toute teneur ontologique, Heidegger le reconduit au statut purement fonctionnel du comment dispensateur, - qu'Aristote désigne sous le nom de to poson, le quantum -, mode de la dispensation en quoi s'entretient, de façon par avance et/ou historialement fin-ie, le Même que sont l'être et la raison.
    D'où la dimension tragique et en l'occurrence la portée éthique de la question formulée par Heidegger, en guise d'excipit au Principe de raison : la question demeure de savoir si et de quelle manière, en entendant les thèmes et les motifs de ce jeu, nous entrons dans le jeu et jouons le Jeu.
    La question "si" renvoie au thème, désormais fameux, de l'oubli de l'être et de l'oubli de l'oubli. La réponse est dans la question puisque, comme le montre amplement l'exemplum heideggerien, le Jeu s'entretient dans les mots, de telle sorte qu'il suffit de les écouter avec attention pour entendre ce qu'ils disent silencieusement, à savoir que d'avance nous sommes volens nolens toujours entrés dans le Jeu.
    La question "de quelle manière" a-t-elle, en 1952, une signification au sens large politique ? Heidegger ne dit pas qui se trouve désigné par le nous. Mais constatant qu'il y a donc aussi de grands enfants, il laisse par là entendre que nous sommes nous-mêmes des enfants, de petits enfants. A ce titre, nous sommes le là de l'aiôn, et par là mesurons la place de l'être, même si, dans le même temps, le Même que sont l'être et la raison nous apparaît comme l'une de ces merveilleuses histoires que selon le mot de Platon, l'on souffle à l'oreille des enfants. Entrer résolument, comme le fait Heidegger, dans le jeu partagé de la pensée, c'est se laisser reconduire à ce statut de petit enfant. Le Jeu que Heidegger nous invite à partager, est proprement celui de l'enfance, partant celui de l'autre pensée, laquelle ne laisse pas d'augurer l'avénement d'une possible autre façon de la philosophie. Heidegger nous fournit quelque exemple de la dite façon, dans les dernières pages du Principe de raison.
    Pour l'enfant qui demeure toujours en l'homme, dit ailleurs Heidegger, la nuit demeure la couseuse d'étoiles. Elle assemble sans couture, sans lisière et sans fil. Elle est la faiseuse de proximité parce qu'elle ne travaille, ou ne joue, qu'avec la proximité.
    http://web.archive.org/web

  • Les Femen : des agents provocateurs ?

    Qui n’a pas vu sur place ou en ligne sur les écrans ces jeunes filles, les seins nus, lors de la manifestation contre le mariage pour tous du 18 novembre 2012 à Paris ? Qui sont donc ces « sextrémistes » des Femen ? Qui sont ces provocatrices et perturbatrices ? D’où viennent-elles ? Pour le compte de qui agissent-elles ? Qui les finance ? Alexandre Latsa, correspondant de Polémia résidant à Moscou, donne des réponses à toutes ces questions.
    Polémia

    Depuis quelques mois, nombre de Français ont entendu parler des Femen, ce groupuscule féministe ukrainien composé de jolies jeunes femmes, et dont la méthode de combat et de revendication consiste à exposer leurs seins au grand jour. Les actions des Femen pour l’amélioration de la condition des femmes ou la lutte contre la prostitution en Ukraine ne peuvent au demeurant qu’attirer de la sympathie. Lorsque celles-ci manifestent en petite culotte pour dénoncer le système « sexe contre diplômes » dans les universités ukrainiennes, tous les hommes de la planète les soutiennent, cela va sans dire. On peut tout autant difficilement être contre elles, lors de leur stimulante campagne appelant à « lire plus » et motivée par le slogan : « Si tu ne lis pas plus, je ne couche pas avec toi » (!). Enfin, comment ne pas être d’accord avec elles lors de leurs manifestations contre la prostitution pendant l’euro de football en Ukraine ? Les Femen jouent sur leur somptueuse plastique et une symbolique très identitaire et guerrière qui, une fois n’est pas coutume, ne semble pas déranger les élites globalistes européennes.

    Implication politique

    C’est il y a un an que le mouvement a commencé à prendre de l’ampleur et surtout à se mêler activement de politique internationale. Les jeunes féministes se sont revendiquées de l’héritage de la Révolution orange en Ukraine, ce coup d’état démocratique destiné à vassaliser durablement l’Ukraine dans l’alliance occidentale. Fin 2011, elles ont aussi manifesté en soutien de la Révolution du Lotus en Egypte, contre Moubarak, et pour l’émancipation des femmes égyptiennes. Nul ne peut douter que le bilan des courses ne doit sans doute pas être à la hauteur de leurs espérances, mais leur croisade anti-Moubarak et pour l’émancipation des femmes s’est, depuis, transformée en une croisade contre la chariah et l’islamisme, ainsi que contre la burka. Curieusement, les provocations des Femen en Turquie et en Tunisie n’ont pas abouti à quoi que ce soit. Le fait de se déshabiller devant une mosquée n’a pas visiblement pas eu en Turquie l’effet escompté.

    Plutôt bon accueil en Union européenne

    Au sein de l’Union européenne le mouvement a reçu un accueil beaucoup plus favorable. Les Femen ont organisé depuis un an un réel tour d’Europe, destiné à l’organisation d’actions dans différents pays, mais aussi à la création de structures Femen dans ces pays: Suisse, Hollande, Italie, ou encore France, par exemple, en réaction à l’affaire Strauss-Kahn. A l’international, c’est le Brésil qui, lui, a été cet été contaminé par cette vague féministe-orange. On se demande toujours avec quels moyens et quels soutiens logistiques ces déplacements ont été organisés. La Voix de la Russie a publié un texte à ce sujet, qui met en lumière des faits assez intéressants, notamment le fait que les Femen bénéficient de soutiens plus qu’inattendus à l’ouest comme à l’est, via des stars du show-business ukrainien, des hommes d’affaires allemands et américains ou encore plausiblement la présence française à l’étranger, puisque les Femen étaient notamment invitées à l’ambassade de France à Kiev le 14 juillet 2012. Ces soutiens ne sont pas surprenants lorsqu’on sait que les Femen défendent l’entrée de l’Ukraine dans l’UE et s’opposent également à l’ingérence russe en Ukraine. Il est aussi à noter que, lors de leur dernière visite à Moscou, celles-ci ont été reçues par Sergueï Mironov, leader du parti d’opposition social-démocrate Russie Juste, parti qui a activement participé aux contestations de rues en Russie, contestations que certains ont comparées à une tentative de révolution de couleur en Russie.

    Eté 2012 : la politisation s’accentue

    C’est justement cet été que les choses ont commencé à prendre une autre ampleur. Le message global des Femen s’est politisé, s’affirmant de plus en plus contre le racisme, le sexisme et les valeurs patriarcales qui règnent dans les sociétés industrialisées, valeurs promues selon elles par les religions. Leurs campagnes politiques vont alors de plus en plus se diriger contre les leaders de l’Europe orientale : Vladimir Poutine, Alexandre Loukachenko, Victor Ianoukovitch ou leurs alliés en Europe, Sylvio Berlusconi en tête. En juillet dernier, les Femen tentent d’agresser le patriarche orthodoxe Cyrille lors d’une visite a Kiev, sous le slogan : Tuez Cyrille, la campagne étant accompagnée d’une photo de ce dernier décapité. Charlie Hebdo n’aurait sans doute pas fait plus ignoble. Très logiquement, finalement, cette action a été revendiquée en soutien aux Pussy-Riots, ces 3 anarchistes russes ayant été arrêtées pour avoir organisé un concert punk dans la cathédrale Saint-Sauveur à Moscou, ce qui a valu à deux d’entre elles d’être condamnées pour hooliganisme. En réaction à la condamnation de ces dernières, les Femen ont donc jugé nécessaire d’attaquer l’église et de tronçonner une croix érigée en mémoire des victimes de la répression stalinienne et qui datait de la Révolution de couleur orange. Ce faisant, elles voulaient autant manifester leur déception de l’Ukraine orange que montrer leur détermination face à l’église chrétienne.

    Pas de répression officielle

    La réaction du pouvoir ukrainien a été sans doute moins disproportionnée que celle du mainstream médiatique qui a réagi de façon relativement obsessionnelle à ce non-événement : dans tous les pays du monde les manifestations non organisées sont illégales et la destruction d’édifices publics et religieux également hors-la-loi. De façon surprenante, suite à cela, la coupeuse de croix arrive à s’enfuir d’Ukraine en étant pourtant recherchée en Ukraine et trouve refuge en France où s’installera, peu de temps après, la base arrière et internationale des Femen. L’antenne française est rapidement créée à Paris, composée de militantes françaises et sous la férule de Inna Shevshenko, Loubna Meliane ou encore Safia Lebdi qui à jugé bon de m’écrire.

    En France, les Femen se rapprochent de la gauche

    L’orientation très à gauche de ces cadres français est parfaitement adaptée aux revendications des Femen pour une nouvelle société sans religions, sans différences entre hommes et femmes et en faveur des droits des minorités. La proximité du mouvement avec les groupes libertaires de gauche français tels que « Ni putes ni soumises » ou avec « le Parti socialiste » semble clairement indiquer les raisons d’être de ce groupuscule féministe qui n’a rien trouvé de mieux que d’aller hier en France déranger une manifestation autorisée pour la famille traditionnelle en hurlant « in Gay We trust ». Les Femen, déguisées en bonnes sœurs, ont gazé des poussettes et des enfants avec du faux gaz en hurlant « Voilà le sperme de Dieu », déclenchant vraisemblablement le stress et la colère du service d’ordre de la manifestation. On se demande comment il aurait pu en être autrement. Le mainstream s’est, lui, contenté de parler de coups que les Femen auraient reçus. Evidemment, nul ne saurait cautionner les coups que l’une des activistes a vraisemblablement reçus (ce qui n’est pas la première fois) mais, de la même façon qu’avec les Pussy-Riots, on peut se demander quelles sont les motivations réelles d’une telle action.

    Une femme (théoriquement une future mère) trouve-t-elle normal d’aller hurler et jeter du gaz (aussi faux soit-il) sur des familles avec enfants en poussette ? N’y a-t-il d’autres moyens pour de jolies jeunes femmes, dont des responsables associatives françaises, de se faire entendre ? Comment la société et les journalistes auraient réagi si des manifestants pour le mariage homosexuel avaient été agressés de la même façon par des partisans du mariage traditionnel ?

    Produit marketing importé sans doute à très bas coût, les Femen ont depuis leur arrivée en France dévoilé leur vrai visage, celui d’un groupuscule féministe financé et soutenu par l’Occident, sous contrôle politique et moral d’une gauche française libertaire et sectaire, et dont, à ce jour, les revendications exprimées sont bien loin des préoccupations populaires et nationales, tant françaises qu’ukrainiennes.

    Alexandre Latsa
    La Voix de la Russie
    19/11/2012

    Les intertitres sont de la rédaction

    Correspondance Polémia – 22/11/2012