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Une économie de proximité, réplique à une mondialisation vouée à l'échec ?
Le mode de développement actuel recherche l’amélioration du bien-être par l’augmentation des quantités produites, l’élargissement de marchés solvables, l’accroissement des échanges et des transports. L’extension sans limite des échanges marchands et monétaires entraîne l’augmentation de la consommation de biens non durables, l’énergie pétrolière au premier chef, et cela sans considération des effets négatifs provoqués dans le domaine social ou celui de l’environnement. C’est ce processus que l’on désigne aujourd’hui sous le vocable de mondialisation.
La mondialisation repose sur les transports. Sans transports, pas de mondialisation. Or la mondialisation, comme on va le voir, s’engage dans une voie sans issue. Comment s’en sortir ? L’économie de proximité est-elle susceptible de fournir une réponse ? Voyons d’abord quelques chiffres.– I – La mondialisation dans l’impasse
• A. Un modèle de croissance à caractère explosif
– La méthode mise au point par le Suisse Mathis Wackermagel voici quelques années a l’avantage de permettre des comparaisons internationales, grâce à un étalon commun. La consommation de ressources par les hommes (chauffage, carburant, eau ou denrées alimentaires) n’est pas exprimée en kilos, litres ou kilowatts comme il est de tradition mais en mètres carrés : la surface nécessaire pour produire des ressources. La planète nous fournit une surface biologique productive (terres et espaces marins) de 1,9 ha par habitant. Or depuis les années 70, notre empreinte écologique, à savoir la pression que nous exerçons en consommant des ressources et en produisant des déchets, est aujourd’hui de 2,9 ha en moyenne. En d’autres termes, nous vivons sur les réserves de la planète que nous sommes en train d’épuiser.– Une autre façon d’illustrer ce problème consiste à évaluer, pour chaque pays, ce que la planète peut globalement offrir en termes de ressources non renouvelables. La moyenne mondiale est aujourd’hui d’environ 1,35 planète. En Chine, la moyenne est de 0,9 planète (0,3 au Bangladesh). Mais aux Etats-Unis, la consommation de ressources atteint 6 planètes ! Nous vivons manifestement au-dessus de nos moyens.
– C’est à dessein que j’ai cité la Chine et les Etats-Unis. Car en 2050, selon les Nations unies, la population de la Chine et de l’Inde atteindra 3 milliards, le tiers de la population mondiale. Or depuis les années 80 la Chine se développe à un train d’enfer, 8 à 10 % l’an, et l’Inde n’est pas loin derrière, avec des taux de croissance 6 à 8 % l’an. A ce rythme-là, la consommation de ressources du monde pourrait atteindre, voire dépasser 6 à 10 planètes, une perspective clairement insoutenable.
• B. Les transports, fondement de la mondialisation, sont clairement les principaux responsables (mais nullement les seuls, bien sûr).
Sans transports, pas de mondialisation. Depuis le XVIe siècle, le libre-échangisme a encouragé, grâce à des coûts de transport constamment réduits, le développement des échanges commerciaux sur toute la surface de la planète. Au cours des 50 dernières années le commerce international a littéralement explosé. Il a certes été porteur de progrès, mais aussi d’innombrables « désaménités ».
Les vecteurs techniques des transports sont naturellement les véhicules routiers et les transports aériens, à parts égales. On transporte aujourd’hui par avion non seulement les chevaux de course mais aussi les fraises du Chili. Ce qui est bien commode. Mais il faut savoir :1/ qu’à côté des coûts visibles, un coût monétaire, en carburant notamment, il faut tenir compte des coûts invisibles, bien plus importants, en termes de pollution et de consommation de ressources non renouvelables. Ainsi les transports aériens sont extraordinairement bon marché. Mais l’avion produit des émissions de dioxyde d’azote et consomme 30 à 40 fois plus d’oxygène que de kérosène. Sans parler du CO2 de nos chères voitures, de la destruction de la couche d’ozone, etc., etc. Tout cela est malheureusement bien connu ;
2/ que les ressources fossiles sont en voie d’épuisement : l’on aurait entre 30 et 40 ans de réserves de pétrole ; 100 ans de charbon, mais au prix d’une pollution colossale. L’hydrogène n’est pas au point et nullement adapté aux transports ; pas plus que l’énergie nucléaire. La Chine et l’Inde importent d’ores et déjà autant de pétrole que les Etats-Unis. Elles représentent 20 % d’une demande mondiale de 83 millions de barils/jour et 35 % de la demande supplémentaire de pétrole en 2003. Or, en Inde, la consommation de pétrole par habitant n’est que de 0,7 baril/jour contre 26,6 aux Etats-Unis. Je me répète à dessein : nous sommes clairement engagés dans un modèle de croissance à caractère explosif ;
3/ que, bien plus, la facture économique de la destruction des écosystèmes devient de plus en plus écrasante. Un récent rapport des Nations unies nous apprend qu’en 2003 les pertes économiques annuelles imputables à la pollution atteignaient 84 milliards de dollars. Pour la seule Chine, il faudrait dépenser 157 milliards de dollars pour lutter contre la pollution. Pour les 5 prochaines années ce pays devrait consacrer 3 % de son PIB pour mener une politique efficace dans ce domaine : il n’en consacrera au mieux que 1,5 %. Or d’ici 30 ans la production d’énergie augmentera de plus de 50 % et les émissions de gaz carbonique à peu près autant.
La conclusion s’impose d’elle-même : puisque notre modèle de croissance fondé sur la mondialisation va « dans le mur », il faut changer de modèle. L’économie de proximité offre-t-elle une voie de sortie ?
– II – L’économie de proximité
Rappelons brièvement quelques notions bien connues.
De quoi s’agit-il au juste ?
Depuis le début des années 90, l’approche de proximité s’est affirmée avec force dans la réflexion économique en déclinant ses différentes catégories conceptuelles : proximité géographique, proximité organisationnelle, proximité conceptuelle.
Elle a trouvé un champ d’application naturel dans le cadre du territoire considéré comme l’espace par excellence de mise en œuvre de localisations, de stratégies de coopération territoriale, de constitution de réseaux circonscrits dans le territoire, d’ancrages territoriaux et de déploiement d’innovation à dimension locale.
L’économie de proximité s’est ainsi déployée à la confluence de trois préoccupations d’inégale importance :– le maintien ou le développement de l’emploi local ;
– l’économie sociale ou solidaire du tiers secteur ;
– le développement durable.• A. Sur le plan théorique, on soutiendra l’hypothèse qu’un territoire peut être source de développement selon la façon dont il fonctionne et il s’organise. Sous cette optique, l’approche du développement territorial va s’attacher à intégrer la dimension historique – le facteur temps – et la dimension spatiale – l’espace géographique – que la vision classique avait tendance à ignorer superbement ou à négliger. Elle va par ailleurs se préoccuper des caractéristiques territoriales spécifiques qui seraient susceptibles de dynamiser ou, à l’inverse, de contrarier le développement. On perçoit donc que la mise en évidence des facteurs qui peuvent être à l’origine d’un processus de développement ne se ramènent pas à la dotation initiale en facteurs de production mais à la capacité des territoires de s’inscrire dans un processus volontariste de valorisation ou de création de ressources.
L’identification de ces facteurs spécifiques propres au territoire conduit dès lors à privilégier les dynamiques sociales comme vecteurs d’évolution des territoires, sans oublier de mentionner au passage l’importance des relations hors marché et des institutions.
C’est donc la qualité des partenariats locaux, les interactions entre agents qui déterminent en premier lieu leur capacité de se concerter et de s’organiser en vue d’accéder à des objectifs de long terme déterminés en commun. Les travaux de Greffe, entre autres, ont ainsi permis de mettre l’accent sur l’importance des expériences d’apprentissage collectif et de coopération dans le cadre du territoire.
Car c’est précisément l’existence de relations de solidarité, de confiance et de proximité entre les agents qui joue un rôle capital dans le processus de développement, comme le montrent bien d’autres travaux ; on pourrait citer ceux de Coleman et Putman sur le concept de capital social, cependant que les contributions de Bellet, Krisha, Zimmermann, parmi bien d’autres, ont permis de mieux cerner le jeu des dynamiques de proximité dans le développement local.
Sur le plan opérationnel, cet effort conceptuel se traduira par des politiques visant à octroyer un appui renforcé aux stratégies de développement économique local, à la promotion du commerce interrégional entre entités économiques régionales, à encourager les partenariats économiques et à aider les micro-entreprises innovantes. Ce qui est un des thèmes porteurs du présent colloque.• B. Sur le plan de l’emploi, il y a, de mon point de vue, peu de choses à dire. Les emplois Verts de proximité ne vont guère, pour l’instant, au-delà d’occupations sans qualification et axées essentiellement sur des tâches de maintenance et d’entretien. Gestion des déchets, énergie, transport auraient ainsi un fort potentiel de création d’emplois locaux destinés à répondre à des besoins locaux. Mais tout cela ne va pas très loin. Dont acte.
• C. Reste un troisième volet, guère plus prometteur à mes yeux, celui de l’économie sociale. Face à la montée continue de l’économie précaire, de l’exclusion et des inégalités sociales, l’imagination revient au galop et nous invite à dépasser la société salariale traditionnelle pour modifier les modes de distribution des biens et des services. Il s’agit donc de mettre en place, entre le marché et le secteur public, une économie solidaire relevant d’une logique économique fondamentalement différente ou, si l’on préfère, alternative. On évoquera ainsi pêle-mêle la mise en place d’un commerce équitable, d’une consommation responsable, de finances solidaires, de monnaies plurielles et, pourquoi pas, d’économie citoyenne, le tout enrobé dans l’invocation rituelle du non marchand, du non monétaire et la fabrication de biens relationnels comme le propose le sociologue Roger Sue. Ne manquent à l’appel ici que l’élevage des chèvres en Ariège et la fabrication de fromages bio. Tout cela ne dépasse guère la bonne vieille rhétorique écologique post-soixante-huitarde améliorée et mise au goût du jour.
Que faut-il en penser ?
– On peut parfois se demander si ce concept de proximité ne sert pas de gadget ou de mot valise où l’on s’efforce de loger tout et n’importe quoi. Cette notion est mise à toutes les sauces et à tous les usages : on parlera ainsi de banque de proximité, de commerce de proximité, de tourisme de proximité et Dieu sait quoi encore. Je ne peux m’empêcher de penser ici à Roger Nifle qui parle d’une économie de l’immatériel, ou résiduelle, laquelle vise à redonner aux territoires la possibilité d’un nouvel avenir par la mise en œuvre d’un patrimoine culturellement significatif autour d’une vocation originale. Comment ne pas évoquer ici le baron de Crac qui voulait s’envoler dans les airs en tirant sur ses lacets de chaussures ?
– Mais au-delà de ce flou artistique conceptuel qui commence d’ailleurs à être déploré ici et là, une lacune autrement plus grave serait l’absence totale de référence à la dimension démographique dans les problématiques du territoire. On parle d’abondance de dynamiques, de redynamiser des projets territoriaux, d’entreprises territoriales innovantes, etc., etc. Tout cela est bel et bon. Mais comment faire redémarrer autrement que sur le papier un territoire, un pays, une région où il ne reste que des vieillards ? Au mieux, on ne pourrait faire mieux que les y enterrer.
Ce foisonnement d’idées relève parfois de l’utopie créatrice comme on en a connu à toutes les époques. Mais s’il donne parfois l’impression de désordre ou de confusion, ce fourmillement intellectuel aura eu un mérite qui n’est pas mince : c’est de préparer le terrain à l’élargissement de la notion de territoire et de ce qui s’y rattache aux dimensions de la planète terre.
Dès lors, est-on autorisé, comme le fait Serge Latouche, à dénoncer la raison économique, une rationalité économique mortifère, le délire de l’efficacité, jeter allégrement aux orties l’optimisation de Pareto, pour se réfugier commodément dans un obscurantisme digne du Moyen Age de la pensée économique ?C’est exactement l’inverse que je me propose de faire en faisant appel à une rationalité économique supérieure, un surplus de rationalité, pour parodier Bergson. Prôner la décroissance, comme veulent le faire aujourd’hui certains écologistes et naguère le Club de Rome avec les « zégistes » et le bon M. Mansholt, est une démarche stérile. Elle comporte un risque évident : celui de déboucher sur un néo-malthusianisme. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il ne faut pas moins de croissance mais plus de croissance, d’une autre nature, en renouant ici avec les analyses néo-shumpeteriennes en termes d’innovation de Rosenberg et de Frichtak. Ma critique de la mondialisation tient essentiellement à ce qu’elle va dans le mur. Il faut donc trouver autre chose. Ce n’est pas avec de bonnes idées utopiques que l’on sauvera la planète mais avec de bons calculs. Et voici peut-être comment on pourrait s’y prendre.
– III – Pour une nouvelle économie de la proximité
Il s’agit de rendre la croissance dans le monde compatible avec les ressources disponibles de la planète qui sont en voie rapide d’épuisement. Ce n’est pas une mince affaire. Or il y a urgence : si aujourd’hui nous consommons un peu moins d’une planète et demie, dans 30 ans, avec l’Inde et la Chine proches du niveau de vie américain d’aujourd’hui, nous avons toutes les chances de consommer de 6 à 10 planètes. En d’autres termes, nous serons cuits et nos descendants aussi. Pour éviter cela, il est impératif de réduire les coûts de transport à un niveau compatible avec une sage gestion des ressources de la planète.
Certes, cela ne sera pas suffisant. Il faudra aller au-delà et consentir à une modification des modes de production et de consommation, une inflexion plus marquée de la croissance démographique. Autrement dit, pas moins de croissance, mais une autre croissance. Au fond, ce dont il est question ici est tendre vers une nouvelle version de l’équilibre walrasien, au sens où l’entend Léon Dupriez, c’est-à-dire une situation tendancielle d’équilibre entre les forces naturelles qui s’exercent sur l’économie.
Il n’est donc pas question de supprimer les coûts de transport mais de les minimiser, de les apprivoiser, de les rendre compatibles avec le développement d’une nouvelle économie fondée précisément sur la proximité. Il faut donc pour cela établir une nouvelle grille de lecture des coûts de production, des coûts de transport, des prix au consommateur qui fasse ressortir clairement les conditions de l’échange et de la concurrence. Il importe de mettre en place une véritable économie de substitution fondée sur la proximité dont le lointain ancêtre pourrait être recherché dans le structuralisme de Raoul Prebisch et Celso Furtado. Qu’ils reposent en paix : une idée ne naît jamais de père inconnu.On pourrait utilement s’inspirer dans cette démarche de la remarquable intervention d’Ismaël Serageldin à notre dernier colloque d’Alexandrie pour le calcul des Green Accounts, les comptes Verts. Vous vous souviendrez que l’épargne Verte, les Green Savings, était calculée, au niveau d’un pays ou d’une région, en déduisant du PIB, non seulement les consommations publiques et privées et les amortissements, mais aussi la consommation de ressources non reproductibles et la dégradation de l’environnement pour parvenir à l’épargne réelle, les Genuine Savings.
Ici notre propos serait de réintégrer les coûts invisibles dans le calcul des coûts de transport pour arriver à une nouvelle notion que l’on pourrait appeler : les coûts réels ou les coûts écologiques de transport, qu’il serait ainsi possible de mettre en parallèle avec les coûts de proximité.
Il deviendrait ainsi possible de reconstruire de fond en comble notre système de comptabilité. Au niveau de l’entreprise, celle-ci devrait prendre en compte pour le calcul du prix de revient les coûts écologiques de transport (additionnés des coûts invisibles). La comptabilisation des flux commerciaux et des échanges internationaux devrait faire l’objet d’un redressement identique. On devrait pouvoir ainsi faire apparaître au niveau du consommateur, à côté des prix marchands, ceux qui apparaissent sur le marché, que l’on connaît, des prix écologiques réels, incluant les coûts invisibles de transport. Le consommateur serait ainsi à même de savoir ce que coûte réellement un yogourt aux fraises produit à 4 500 km de son lieu de consommation ou le kilo de cerises cueilli au Chili et consommé à Londres. Cette comparaison ferait clairement apparaître l’avantage comparatif éclatant de la production de proximité, celle qui fait l’économie des frais invisibles de transport.Voilà ce que pourrait être le véritable enjeu de cette démarche destinée à établir des coûts Verts et des prix Verts tenant compte des coûts invisibles de transport. L’établissement d’une comptabilité de ce type aurait naturellement pour résultat de faire voler en éclats le système de prix relatif en usage sur nos marchés. Mais il aurait également pour conséquence de mettre en évidence les avantages comparatifs d’une nouvelle économie de proximité qui aurait pour objectif de rapprocher le producteur du consommateur pour faire l’économie des coûts invisibles de transport.
Mais il faudra aller au-delà. Au niveau international, il faudra, en tenant compte de ce nouveau système de prix, envisager une réorganisation des courants d’échanges internationaux autour de quatre ou cinq régions ou pôles de proximité où les échanges commerciaux seraient ordonnés sur la base de coûts de transport analogues ou proches. Même si cela n’empêcherait nullement Shanghai de crouler sous la pollution et le barrage des Trois-Gorges de ravager la vallée du Yang Tsé Kiang, cela permettrait peut-être au textile européen de ne pas être écrasé sous l’avalanche des T-shirts chinois.
En second lieu, il conviendrait de procéder au redécoupage de l’aire de compétence de l’OMC sur une base décentralisée correspondant à ces quatre ou cinq pôles de proximité. Une refonte de la doctrine du FMI et de la Banque mondiale enfin, excessivement axée sur le libre-échangisme et la promotion de l’exportation à tout prix devrait aussi être recherchée afin de réorienter l’action de ces deux institutions en faveur d’une nouvelle économie de la proximité fondée sur la doctrine des échanges écologiques à coûts de transport faibles ou réduits.Réintroduire là où il le faut et quand il le faut des barrières tarifaires pour prévenir le dumping écologique. Il faut faire rentrer dans la bouteille le Génie de la mondialisation qui risque de dévorer sa propre créature. Ce ne sera pas une mince affaire. Mais elle est clairement incontournable. Autant s’y attaquer dès maintenant
Yves-Marie Laulan
Président
Institut de Géopolitique des Populations
<http://www.laulan.org/economieproximitemondialisation.htm>
Communication pour le colloque de Turin (Mai 2005)Polémia
21/04/06 -
Carl Schmitt, Leo Strauss et le concept du politique
Avec ses rééditions successives1, le Begriff des Politischen occupe une place exceptionnelle dans l‟oeuvre de Carl Schmitt (1888-1985). D‟abord, il accompagne2 toute cette oeuvre, de 1927 à 1971. Ensuite, il s‟agit du livre le plus célèbre du juriste allemand et de l‟un de ceux qui lui ont valu le plus d‟hostilité. D‟après Heinrich Meier, cette hostilité ressortait de l‟intention de Schmitt. « À une époque où “rien n‟est plus moderne que la lutte contre le politique”, il lui importe de faire ressortir l‟„irréductibilité‟ du politique et l‟„inéluctabilité‟ de l‟hostilité, quitte à être lui-même l‟ennemi de tous ceux qui ne veulent plus se reconnaître d‟ennemis »3. Mais loin de se contenter de cet « examen », il refuse l‟abolition du politique et de l‟hostilité. Il justifie implicitement ce refus éthique par un credo religieux, et explicitement par la dénonciation des effets pervers de la criminalisation de la guerre ou de l‟ennemi. Il n‟est pas possible de se cantonner à l‟interprétation4 qui confine le Begriff des Politischen à la recherche « modeste »5 d‟un critère permettant de délimiter ce qui est politique, le fameux critère ami-ennemi en l‟occurrence. Carl Schmitt veut refonder théologiquement le politique, le dogme du péché originel lui servant de credo anthropologique. Enfin, le Begriff des Politischen est le seul ouvrage à travers lequel l‟auteur mène avec un commentateur : Leo Strauss, un dialogue mi-avoué, mi-caché, qui l‟entraîne à réviser son argumentation. Dans sa discussion avec Schmitt, Strauss se place sur le terrain de la philosophie politique en faisant abstraction de la théologie politique schmittienne, mais sa critique obtient que le juriste se révèle davantage « théologien politique », tant les réponses qu‟il donne font apparaître la foi orientant sa doctrine. Le Commentaire de Strauss, seul auteur contemporain dont Schmitt ait dit qu‟il était un « philosophe important », est donc exceptionnel parmi les études qui ont été consacrées au Begriff6, car de l‟aveu de Schmitt, personne n‟a mieux compris que lui son intention en rédigeant l‟essai7.
I. Le politique, l’hostilité, la guerre et l’Etat
L‟approche schmittienne obéit à la problématique fameuse de la décision et de l‟exception. La guerre est l‟épreuve décisive et l‟exception est « révélatrice du fond des choses », puisque Bellone manifeste la logique ultime de la configuration ami-ennemi. Politique et Etat sont en relation dialectique. Le noyau de l‟Etat, c‟est la relation de protection et d‟obéissance, puisqu‟il a pour fonction d‟assurer la sécurité des personnes et des biens (Etat = sécurité). Le noyau du politique, c‟est la relation ami-ennemi, puisque c‟est dans les situations d‟exception que se manifeste l‟essence du politique (politique = hostilité). Etat et politique n‟en sont pas moins liés, car l‟Etat, en tant qu‟unité politique, doit conserver le monopole de la désignation de l‟ennemi8 s‟il veut continuer d‟assurer la protection et d‟imposer l‟obéissance. C‟est en ce sens qu‟il est souverain, c‟est-à-dire capable de maintenir l‟ordre public. Or, les situations exceptionnelles que sont la révolution ou la guerre civile montrent que le monopole étatique peut être remis en question, en cas de dissensus extrême quant à la légitimité du pouvoir. De même qu‟il définit le politique par la relation d‟hostilité, Schmitt définit l‟Etat à travers son antonyme : la guerre civile. Tout antagonisme n‟est jamais complètement supprimé au sein de l‟Etat. Le rapport ami-ennemi demeurant latent au sein de l‟unité politique, celle-ci peut être brisée lorsque les oppositions internes atteignent une certaine intensité, dont le degré extrême est la guerre civile. Celle-ci voit la relation d‟hostilité (la relation politique) s‟exacerber entre l‟Etat et les partis révolutionnaires ou entre les différents partis ennemis, jusqu‟à la victoire de l‟un des protagonistes, ou l‟établissement d‟un compromis entre eux, ou leur épuisement mutuel.
En tant que duel, la guerre suppose la désignation de l‟ennemi, c‟est-à-dire l‟autre, l‟étranger, l‟antagoniste, dont l‟existence représente concrètement la négation de notre propre forme d‟existence, sans que le conflit puisse être réglé pacifiquement. L‟ennemi n‟est ni le concurrent ni l‟adversaire, car « les concepts d‟ami, d‟ennemi, de combat tirent leur signification objective de leur relation permanente à… la possibilité de provoquer la mort physique »9. L‟ennemi n‟est pas non plus l‟inimicus, c‟est l‟hostis, l‟ennemi public, non l‟ennemi privé. Carl Schmitt repousse l‟accusation selon laquelle le christianisme n‟aurait point le sens du polemos. Le commandement : « aimez vos ennemis », concerne l‟inimicus, non l‟hostis. Visant la paix des coeurs, non la paix politique, la doctrine évangélique « ne signifie surtout pas que l‟on aimera les ennemis de son peuple et qu‟on les soutiendra contre son propre peuple ». L‟ennemi au sens public n‟impliquant aucune haine personnelle à son encontre, ce n‟est que dans la sphère privée que cela a un sens d‟« aimer son ennemi ». Il est essentiel pour notre auteur catholique de dissocier christianisme et pacifisme. Mais, observe Löwith, Schmitt est obligé, pour montrer que l‟exigence chrétienne n‟affecte pas sa distinction politique, de ramener d‟une façon libérale l‟éthique de l‟Evangile à une affaire privée et non publique, de faire de la guerre (de la mort physique), à la place du Jugement dernier (du salut de l‟âme), le « cas extrême » déterminant10 !
II. Affirmation du politique et critique de la « philosophie de la culture » (« dialogue I »)
L‟idée que la guerre, non la paix, constitue l‟horizon de la politique, d‟où la primauté du concept d‟ennemi par rapport à celui d‟ami, peut conduire à deux positions. On verra dans l‟Etat l‟instance qui permet de dépasser la crainte de la mort violente. Le libéralisme a ainsi une conception instrumentale de l‟État, mis au service de la vie, de la liberté et de la propriété des individus. Ou bien, l‟hostilité ne pouvant jamais être entièrement éliminée, on continuera de voir dans le risque du conflit mortel l‟essence de la relation politique. Qu‟on insiste sur le droit à la sécurité ou sur l‟inéluctabilité du conflit, les conséquences de la définition du politique par les situations extrêmes, de Machiavel et Hobbes à Max Weber et Carl Schmitt, changent donc profondément. D‟un côté, il s‟agira, au nom du « progrès de la civilisation », de dépasser l‟existence politique en la résorbant dans des activités économiques, sociales, culturelles… De l‟autre, il s‟agira, au nom des « valeurs héroïques », de préserver l‟existence politique en affirmant son irréductibilité à l‟économie, à la société, à la culture… Telle est la problématique de Schmitt. Tel est aussi le premier « dialogue » entre Schmitt et Strauss.
La « vérité » du politique bat en brèche l‟autonomie du sujet, car elle le soumet à une obligation supra-personnelle. Avant Hegel, Pufendorf avait déjà observé que l‟état politique est tout autre que l‟état social, parce qu‟il implique pour l‟homme un changement radical de condition, à savoir « l‟assujettissement à une autorité disposant du droit de vie et de mort sur lui-même »11. L‟individu peut être libre dans les sphères de l‟économie, de la société, de la culture ; il ne l‟est plus face au politique. Il « peut, observe Strauss, donner sa vie volontairement pour la cause qu‟il voudra ; c‟est là, comme tout ce qui est essentiel à l‟homme dans une société… libérale, une affaire tout à fait privée, c‟est-à-dire relevant d‟une décision libre »12. Mais la guerre le place dans une situation qui le contraint existentiellement. La « liberté pour la mort » de la décision individuelle cède la place au « sacrifice de la vie » que l‟État est en droit d‟exiger (Karl Löwith). « La guerre n‟est pas seulement „le moyen politique ultime‟, c‟est l‟épreuve décisive, et pas seulement dans un domaine „autonome‟ -celui du politique- mais tout simplement pour l‟homme parce qu‟elle a une relation permanente à la possibilité réelle de provoquer la mort physique ; cette relation, constitutive du politique, montre que le politique est fondamental et non pas un „domaine relativement autonome‟ parmi d‟autres. Le politique est le facteur décisif »13.
C‟est ce passage du Commentaire de Strauss de 1932 que Carl Schmitt développe en 1933 pour souligner son opposition à cette philosophie et à ses « domaines autonomes ». On ne pourra continuer à parler de « l‟autonomie » de la morale, de l‟art, de l‟économie…, dit-il, qu‟aussi longtemps que l‟on méconnaîtra la nature du politique. Du point de vue du libéralisme, « la culture », c‟est la totalité « de la pensée et de l‟action des hommes » qui se distribue en « domaines divers et relativement autonomes ». Or, en affirmant la spécificité du politique, « non au sens où il correspondrait à un domaine nouveau qui lui serait propre », Schmitt conteste cette théorie des « domaines autonomes ». Cette contestation implique « une critique fondamentale du concept dominant de culture »14. Cette critique passe d‟abord par celle de l‟autonomie de l‟art, axe central de la « philosophie de la culture » libérale. Précisément, du Politische Romantik de 1919 au Hamlet oder Hekuba de 195615, en passant par la conférence sur « L‟ère des neutralisations et des dépolitisations » et les versions du Begriff des Politischen, Schmitt récuse continûment l‟autonomie de l‟art. « L‟évolution qui part de la métaphysique et de la morale pour aboutir à l‟économie passe par l‟esthétique, déclare-t-il en 1929, et la consommation et la jouissance esthétiques, si raffinées soient-elles, représentent la voie (directe) vers une emprise totale de l‟économie sur la vie intellectuelle et vers une mentalité qui voit dans la production et dans la consommation les catégories centrales de l‟existence humaine ». Après 1932, les remarques de Strauss poussent Schmitt à souligner encore davantage son opposition à la conception libérale de l‟art et à supprimer carrément l‟idée des « domaines relativement autonomes »16.
Par son commentaire, le philosophe protège le juriste, qui le lit attentivement, du malentendu consistant à dire qu‟« après que le libéralisme a fait reconnaître l‟autonomie de l‟esthétique, de la morale, de la science, de l‟économie, etc., (Carl Schmitt) veut quant à lui faire reconnaître l‟autonomie du politique, contre le libéralisme mais en restant dans l‟esprit des aspirations libérales à l‟autonomie »17. Un tel projet n‟est pas celui de Schmitt. Soulignant son opposition à ladite « philosophie de la culture », il écrit en 1933, après les observations straussiennes : « l‟unité politique est toujours, tant qu‟elle existe, l‟unité décisive, totale et souveraine. Elle est „totale‟ parce que, d‟une part, toute occasion qui se présente peut devenir politique, et de ce fait, être concernée par la décision politique, et que, d‟autre part, l‟homme est saisi tout entier et existentiellement dans la participation politique. La politique est le destin »18. C‟est pourquoi il ne saurait y avoir de « société » politique, mais seulement une « communauté » politique. Du point de vue de l‟individualisme libéral, rien ne permet d‟exiger le sacrifice de l‟individu. Au contraire, le jus vitae ac necis montre à la fois combien l‟unité politique -l‟Etat- est au-dessus de toute espèce d‟association et combien sont précaires les « droits de l‟homme », puisqu‟en cas extrême -en cas de guerre, « vérité » du politique- l‟Etat a la faculté d‟ordonner à ses nationaux d‟infliger la mort et de risquer leur vie19.
III. L’appréciation de Hobbes (« dialogue II »)
Le mouvement essentiel de la modernité, dont le libéralisme est le moteur, est caractérisé par la négation du politique (au sens schmittien). Par conséquent, la première récusation du libéralisme, comme l‟a vu Strauss, c‟est l‟affirmation du politique. Le libéralisme a « déformé et dénaturé l‟ensemble des notions politiques »20. Mais il n‟a pu échapper au politique. Il « a fait de la politique en parlant un langage antipolitique »21. Ressaisir la « vérité » du politique implique donc d‟affirmer le politique contre le libéralisme. Jusqu‟en 1933, Schmitt est conscient que le « systématisme de la pensée libérale » n‟a pas été remplacé en Europe, « en dépit de ses revers ». Il signale par là même la difficulté de son entreprise puisqu‟il se trouve contraint d‟utiliser des éléments de cette pensée. Aussi la mise en place de ses idées n‟est-elle que provisoire. Comme il le dit lui-même, il veut simplement « fournir un cadre théorique à un problème non délimitable », « un point de départ »22. Strauss renforce ses intentions en interprétant sa position théorique comme une tentative de négation rigoureuse du libéralisme : c‟est une « critique radicale du libéralisme qu‟il ambitionne ». Mais le juriste, poursuit-il, ne mène pas cette critique à son terme car, telle qu‟elle est menée, elle reste « contenue (dans) le „systématisme de la pensée libérale‟ toujours vainqueur à ce jour ». Ce qui l‟intéresse donc, « c‟est la critique du libéralisme faisant signe vers son accomplissement ». Or, celle-ci « n‟est possible que si elle s‟appuie sur une compréhension adéquate de Hobbes », le fondateur du libéralisme d‟après Strauss23. Mais Schmitt n‟a pas compris Hobbes. Tel est le noyau du commentaire straussien, qui voit une contradiction centrale dans le fait que le juriste allemand se place sous le patronage du philosophe anglais.
Strauss montre que Schmitt a remis en vigueur le concept hobbesien d‟« état de nature », car sa notion du politique n‟est pas autre chose que le status naturalis rejeté dans l‟oubli par la « philosophie de la culture ». Celle-ci, arguant de l‟autonomie de la « culture » dans sa totalité, a oublié que cette « culture » est « culture de la nature » et que son fondement ultime, c‟est la nature humaine. Cette nature humaine, Hobbes la pense à partir de la situation-limite qu‟est la lutte à mort. Il définit le status naturalis comme un status belli, lequel « ne consiste pas dans un combat effectif, mais dans une disposition avérée allant dans ce sens ». Or, pour Schmitt aussi, le politique ne réside pas « dans la lutte elle-même », mais « dans un comportement commandé par l‟éventualité effective de celle-ci ». De ce point de vue, le politique est donc « le status „naturel‟, fondamental et extrême de l‟homme ». Strauss est conscient que « l‟état de nature » de l‟Allemand est toutefois très différent de celui de l‟Anglais. Chez celui-ci, il s‟agit d‟un état de guerre abstrait entre individus, où chacun est l‟ennemi de chacun. Chez celui-là, il s‟agit d‟un état de guerre concret entre groupes, la relation politique étant orienté par l‟ennemi et l‟ami. Surtout, Hobbes conçoit le status naturalis comme un état qui doit être dépassé et aboli dans le status civilis, la disparition de la peur de l‟autre ne faisant qu‟un avec l‟institution de l‟Etat, dont la fonction est de délivrer les hommes du bellum omnium contra omnes. « A cette négation de l‟état de nature ou du politique, Schmitt oppose l‟affirmation du politique ». Cette opposition est masquée par le fait que, chez le philosophe de Malmesbury, « l‟état de nature » subsiste entre les nations et qu‟il n‟y a donc pas une « négation totale du politique ». Plus généralement, l‟enracinement anthropologique du conflit implique que l‟artifice ne pourra jamais se substituer entièrement à la nature. La paix reste menacée, à l‟intérieur comme à l‟extérieur, car il n‟y a pas parmi les hommes une raison universelle qui ferait l‟accord de tous les peuples24.
Mais la différence avec le juriste devient manifeste lorsque le politique est perçu comme une « réquisition existentielle par une force investie d‟autorité »25. Pour Schmitt, l‟Etat peut exiger des citoyens qu‟ils soient prêts à tuer et à mourir. Pour Hobbes, l‟Etat est déterminé par une revendication de l‟individu (la sécurité) s‟appuyant sur un droit naturel (le droit d‟autoconservation) antérieur et supérieur à l‟Etat. En ce sens, l‟Etat ne peut exiger de l‟individu qu‟une obéissance conditionnelle, qui n‟entre pas en contradiction avec la préservation de la vie, dont la protection est la raison dernière de l‟Etat. S‟il affirme qu‟un citoyen ne peut refuser de risquer sa vie dans la guerre, lorsque le salut de l‟Etat l‟exige, c‟est seulement parce qu‟il est rationnel que le citoyen protège dans la guerre l‟institution qui assure sa protection dans la paix. Tous les devoirs civiques dérivent du droit à la vie, seul droit inconditionnel. L‟individu est terminus a quo et terminus ad quem de la construction hobbésienne. Par conséquent, si l‟on entend la politique au sens schmittien, il faut dire que l‟auteur du Léviathan voulait affranchir les hommes de cette politique-là et qu‟il est le penseur « antipolitique » par excellence (P. Manent). S‟il souligne le caractère dangereux de l‟homme pour l‟homme, c‟est dans l‟intention de domestiquer ce caractère, tout comme il essaie de surmonter le status naturalis. Plus encore, il considère comme innocente la « méchanceté » de l‟homme, puisqu‟il nie le péché. Et il nie le péché parce qu‟en relativiste, il ne reconnaît aucune obligation supérieure qui restreindrait la liberté humaine. « Avec un tel point de départ, on ne peut élever des objections de principes contre la proclamation des droits de l‟homme considérés comme des revendications adressées par l‟individu à l‟Etat et contre l‟Etat »26. Leo Strauss développe et précise son propos en 1954 : « s‟il nous est permis d‟appeler libéralisme la doctrine politique pour laquelle le fait fondamental réside dans les droits naturels de l‟homme et pour laquelle la mission de l‟Etat consiste à protéger (ces) droits, il nous faut dire que le fondateur du libéralisme fut Hobbes »27.
L‟opposition entre Hobbes et Schmitt porte encore sur le conflit entre « l‟affirmation du politique » et « l‟affirmation de la civilisation ». Strauss montre que les principes individualistes qui poussent l‟Anglais à « nier » le politique sont les principes à l‟origine du projet visant à « l‟unité du monde » dépolitisé et pacifié. C‟est précisément contre ce projet, on le verra, que l‟Allemand défend l‟idée de « l‟inéluctabilité » du politique. Hobbes est l‟initiateur de l‟idéal bourgeois de la civilisation, l‟idéal de la sécurité et de la prospérité, qui est à la base de la théorie des droits subjectifs développée par le libéralisme. Si sa doctrine individualiste est adossée à une doctrine autoritaire, c‟est parce qu‟« il sait et voit contre quoi il faut imposer l‟idéal libéral de la civilisation : contre la méchanceté naturelle de l‟homme ; dans un monde qui n‟est pas libéral, il installe les fondements du libéralisme contre la nature non libérale de l‟homme, tandis que ses successeurs, ignorants de leurs présupposés et de leurs fins, font confiance en la bonté originelle de la nature humaine ou nourrissent l‟espoir, sur la base d‟une neutralité censément scientifique, d‟améliorer la nature, alors que rien dans l‟expérience que l‟homme fait de lui-même ne permet de l‟espérer ». L‟idéal hobbésien : paix, sécurité, prospérité, corrobore parfaitement la définition polémique du bourgeois de Hegel, reprise par Schmitt. L‟affirmation du politique équivaut au refus de l‟existence « bourgeoise » dont l‟Anglais fait l‟éloge, puisqu‟il remplace l‟ethos de l‟honneur par l‟ethos de la crainte, passion rationnelle à l‟origine du status civilis. In fine, l‟auteur du Léviathan, dans un monde non libéral, jette les fondations du libéralisme, tandis que l‟auteur du Begriff, dans un monde libéral, entreprend la critique du libéralisme, dont il voit la racine dans la négation hobbesienne de « l‟état de nature »28.
De 1927 à 1933 et au-delà, Carl Schmitt a modifié sensiblement son avis sur Hobbes, de manière extrêmement significative après le Commentaire de Leo Strauss. En 1927, il est « de loin le plus grand et peut-être le seul penseur politique vraiment systématique ». En 1932, il devient un « grand et vraiment systématique penseur ». En 1933, il n‟est plus qu‟« un grand et vraiment systématique penseur », chez qui, « malgré son individualisme extrême, la conception „pessimiste‟ de l‟homme est si forte qu‟elle maintient le sens politique ». La caractérisation de la doctrine hobbésienne se transforme parallèlement. En 1927, Schmitt parle de « son système de pensée spécifiquement politique » ; en 1932, d‟« un système de pensée spécifiquement politique » ; en 1933, d‟« un système de pensée qui sait encore poser des questions spécifiquement politiques et y répondre ». De 193429 à 193830, la critique de la philosophie du droit et de la philosophie de l‟Etat de Hobbes se précisera. Les modifications apportées au Begriff en 1933 montrent que l‟auteur suit son commentateur, même s‟il ne cite pas ce « savant juif ». Hobbes n‟est pas un penseur « politique » au sens où Schmitt entend ce terme. Ses principes individualistes, en particulier sa désignation de la mort violente comme « le plus grand des maux », contredisent l‟affirmation schmittienne du politique. Malgré son idéal bourgeois de la civilisation, son pessimisme anthropologique maintient chez lui le sens du concept. C‟est pourquoi Schmitt ne peut être totalement considéré comme un « anti-Hobbes ». Fait significatif : à partir de 1938, il identifie son destin à celui du solitaire de Malmesbury31.
IV. Affirmation du politique, éthique et critique du relativisme (« dialogue III »)
L‟affirmation schmittienne du politique est une affirmation de l‟éthique, au sens hégélien. Comment cela s‟accorde-t-il avec la polémique contre la morale qui traverse le Begriff ? L‟explication, c‟est que « morale » signifie ici une morale particulière, qui est en totale contradiction avec le politique, à savoir la morale humanitaire et pacifiste. Comme Max Weber32, Carl Schmitt identifie morale et morale humanitaire. En ne se détachant pas de la conception de ses adversaires, il ne remettrait donc pas en cause la prétention de cette morale-là à être la morale. C‟est pourquoi, selon Leo Strauss, « il reste prisonnier de la thèse qu‟il combat »33. Cela ne l‟empêche pourtant pas de porter un jugement éthique sur la morale au sens libéral. L‟affirmation du politique requiert ainsi une conception éthique, même si la compréhension du politique tend à infirmer tout jugement normatif sur le politique. L‟affirmation de l‟éthique consubstantielle à l‟affirmation du politique équivaut au double refus de « l‟existence du bourgeois » et de « l‟idéal de la civilisation », qui entend faire de ce type d‟existence un destin universel, en prétendant construire une société sans politique ni Etat.
Cette double affirmation correspond à la récusation de l‟individualisme au nom de la vertu civique. Si Hegel, selon le juriste, est un « penseur politique », c‟est aussi parce qu‟il a contre-distingué le bourgeois du citoyen : la condition bourgeoise, inscrite dans le droit privé et l‟économie marchande, est la négation de l‟éthique de l‟Etat. Se référant à cette « première définition polémique et politique », Schmitt caractérise le bourgeois comme « l‟homme qui refuse de quitter sa sphère privée non politique, protégée du risque, et qui, établi dans la propriété privée et dans la justice qui régit la propriété privée, se comporte en individu face au tout, qui trouve une compensation à sa nullité politique dans les fruits de la paix et du négoce, qui la trouve surtout dans la sécurité totale de cette jouissance, qui prétend par conséquent demeurer dispensé de courage et exempt du danger de mort violente »34. Mais l‟individu n‟a d‟existence « authentique » qu‟au sein d‟une communauté pour laquelle il est prêt au sacrifice. Lorsque le citoyen s‟expose au risque de la mort violente pour son peuple, dit Hegel, le courage prend « la figure la plus haute » : c‟est un courage personnel « qui n‟est plus personnel »35. Clausewitz, de son côté, célèbre dans la guerre, le « courage d‟endosser des responsabilités », le « courage face au danger moral » et le triomphe sur « l‟indécision » grâce à « l‟acuité d‟un esprit devinant toute vérité »36. Quant à Max Weber, il souligne que l‟Etat peut exiger « de l‟individu qu‟il affronte le sérieux de la mort pour les intérêts de la communauté »37. Au contraire, l‟idéal libéral d‟un monde pacifié est l‟idéal d‟« un monde sans politique ». « Ce monde-là pourrait présenter une diversité d‟oppositions et de contrastes peut-être intéressants, toutes sortes de concurrences et d‟intrigues, mais il ne présenterait logiquement aucun antagonisme au nom duquel on pourrait demander à des êtres humains de faire le sacrifice de leur vie »38.
Cet idéal d‟un « état idyllique de paix universelle où la dépolitisation est totale et définitive », Schmitt ne le rejette nullement comme « utopique ». Ne déclare-t-il pas qu‟il ignore s‟il ne pourrait se réaliser ? Il l‟a en horreur. Un monde sans distinction ami-ennemi est un monde où « il n‟y aura plus que des faits sociaux purs de toute politique : idéologie, culture, civilisation, économie, morale, droit, arts, divertissements, etc., mais il n‟y aura plus ni politique ni Etat »39. Strauss insiste sur le mot « divertissements » car il est le finis ultimus de l‟énumération. Ce que Schmitt cherche à faire comprendre, dit-il, c‟est que le politique et l‟Etat sont la seule garantie qui préserve le monde de devenir un monde de « divertissements ». En 1963, l‟auteur du Begriff note que son commentateur a souligné à juste titre ce mot. A cette date, il mettrait « jeu » (Spiel) pour faire ressortir l‟opposition à « sérieux » (Ernst)40. Ce n‟est pas par hasard s‟il utilise en 1932 ledit mot, qui a une longue histoire. Pascal appelait « divertissements » ce par quoi les hommes se fuient eux-mêmes. Hegel parlait des « divertissements » auxquels se livrent ceux qui renoncent au risque politique41. Quant à Clausewitz, il voyait dans la guerre « un moyen sérieux au service d‟une cause sérieuse », la guerre étant le « côté sérieux » de la vie ; l‟homme y est placé devant le risque de son trépas ; c‟est l‟homme nu qui apparaît alors42. Le « sérieux » de la guerre rend ainsi contingent et relatif ce qui est, par nature, contingent et relatif : la vie, la liberté, la propriété privées, tout ce à quoi l‟état de paix semble conférer aux individus une valeur suprême. Un monde sans politique, si « intéressant » et « divertissant » fût-il, n‟a rien qui puisse exiger des hommes qu‟ils risquent leur vie. Dans un monde politique, par contre, il peut y avoir quelque chose qui justifie ce risque. Schmitt exprime son effroi et son mépris pour l‟idéal d‟un monde dépolitisé. Cet idéal ne saurait être celui d‟un homme digne de ce nom. Il n‟est possible qu‟en raison de l‟oubli des enjeux véritables. L‟affirmation du politique contre un idéal qui réduirait l‟humanité à « une société coopérative de consommation et de production »43, est décidément une affirmation de l‟éthique. « Le sérieux de la vie humaine est menacé quand le politique est menacé », écrit Strauss en écho44. En augustinien, Schmitt récuse la « paix de Sardanapale », le régime de lâche tolérance et de jouissance qui ne veut pas que l‟ennemi -celui qui n‟admet pas cette forme de bonheur- porte atteinte à sa félicité. Un chrétien ne saurait tolérer ni cette « paix » ni cette « félicité »45.
Leo Strauss observe qu‟affirmer le politique en tant que tel revient à affirmer le combat sans souci de la cause pour laquelle il est mené, donc avoir un comportement « neutre » à l‟égard de tous les regroupements ami-ennemi. Carl Schmitt respecterait tous ceux qui sont prêts à se battre et à périr, quel que soit le contenu de leur décision et le sens de leur action. Il serait aussi tolérant que les libéraux, bien que pour des raisons opposées. « Alors que le libéral tolère et respecte toutes les convictions „honnêtes‟ à condition que l‟ordre légal et la paix soient pour elles sacro-saints, celui qui affirme le politique comme tel tolère et respecte toutes les convictions „sérieuses‟, c‟est-à-dire toutes les décisions qui sont orientées vers la possibilité de la guerre. L‟affirmation du politique comme tel se révèle être un libéralisme inversé »46. Ainsi se vérifierait le constat straussien que le « systématisme de la pensée libérale » reste vainqueur et n‟a pas été remplacé. Ce constat recoupe la critique de Löwith sur « l‟occasionnalisme » de la pensée schmittienne. L‟indifférence radicale à l‟égard des contenus politiques caractériserait le concept « formel » et « nihiliste » du juriste, qui voit l‟essence du politique non plus dans la polis (l‟ordre des choses humaines) mais dans le jus belli (le cas extrême existentiel). La guerre, id est le fait d‟être disposé à tuer et à mourir, serait « l‟instant suprême », sans qu‟importe la cause47. Le critique de « l‟occasionnalisme » aurait pu citer Jurieu, l‟adversaire de Bossuet : c‟est par « occasion que les rois ont des ennemis à vaincre, c‟est par institution qu‟ils ont des sujets à gouverner ». Th. Heuss, qui deviendra Président de la République fédérale d‟Allemagne, reproche lui aussi au juriste la réduction de « l‟essence du politique au formalisme indigent de la relation ami-ennemi, la banalisation des différences spécifiques entre engagements politiques, dont les valeurs respectives qui en font la substance sont évacuées au profit de la forme anonyme du conflit comme tel »48. Mais l‟affirmation du combat comme tel n‟est pas le « dernier mot » de Schmitt. Srauss lui-même l‟a reconnu. « Son dernier mot, c‟est „l‟ordre des choses humaines‟ ».
Carl Schmitt n‟est pas un relativiste à la Max Weber, comme le confirmera sa critique de la philosophie des valeurs49. Le sociologue allemand a posé le double principe de la neutralité axiologique des sciences et de la liberté individuelle des choix valoriels. Ce double principe signifie que les valeurs sont des préférences subjectives non rationalisables, séparées de l‟analyse scientifique et ne pouvant faire l‟objet d‟une science. Il ne saurait y avoir une « science des valeurs » car le Beau, le Bien, le Vrai sont affaires d‟opinion subjective et relative. La séparation des faits et des valeurs implique que la science soit éthiquement neutre, qu‟elle réponde à des problèmes de « fait » et de causalité, qu‟elle soit incompétente devant des problèmes de « valeur » et de finalité, donc impuissante à résoudre les antagonismes valoriels décisifs. Puisqu‟il ne peut y avoir de connaissance authentique du devoir-être et que les valeurs sont irréductiblement plurielles, la solution wébérienne, à la fois agnostique et agonale, est de laisser la décision libre, non rationnelle, à chaque individu. Plus que Schmitt, c‟est Strauss qui a examiné la dialectique de la raison et de la valeur chez Max Weber. Cet examen permet de montrer l‟opposition entre le juriste et le sociologue. L‟homme est libre, dit Weber, dans la mesure où il est guidé par un examen rationnel des fins et des moyens. Les moyens sont déterminés par la rationalité instrumentale, qui met la raison au service des passions. Les fins sont déterminées par le choix des valeurs, qui transfigurent les passions. La dignité humaine est de définir ces valeurs et d‟obéir à la maxime : « deviens ce que tu es » ou « choisis ton destin ». Un impératif catégorique est apparemment conservé : « tu auras des idéaux ». Mais cet impératif n‟est que formel, car il ne détermine pas le contenu des idéaux. « Ecoute Dieu ou diable », mais lutte résolument pour une cause, tel devient l‟idéalisme wébérien. Max Weber en arrive à mettre sur un même plan la raison et les valeurs irrationnelles : « tu auras un idéal » se transforme en « tu vivras passionnément ». Dès lors, qu‟est-ce qui autorise à mépriser la médiocrité au nom des valeurs, si l‟on rejette les obligations éthiques au nom du relativisme de ces mêmes valeurs ? Le sociologue admet que c‟est seulement par un jugement de valeur que l‟on tient les « spécialistes sans âme et les sybarites sans coeur » pour des êtres humains avilis. L‟énoncé final est donc : « tu auras des préférences ». Pour Schmitt comme pour Strauss, c‟est ce relativisme qui est la source du nihilisme50.
En 1933, le juriste, désireux d‟éviter le malentendu selon lequel il affirmerait le combat sans se soucier de la causa, explicite l‟ancrage et l‟orientation théologiques de son affirmation du politique. Il souligne la « distinction métaphysique entre la pensée agonale et la pensée politique », qui « apparaît dans toute analyse approfondie de la guerre ». Elle est notamment apparue dans la confrontation entre Ernst Jünger et Paul Adams. Le premier représente le principe agonal : « l‟homme n‟est pas fait pour la paix », tandis que le second voit le sens de la guerre dans l‟avènement de l‟autorité, de l‟ordre et de la paix. Dans cette controverse, Schmitt ne se trouve pas du côté du nationaliste « belliciste », mais du catholique « autoritaire ». Pas plus que l‟art, le combat ne contient son but en lui-même. Politique et guerre ne sont pas des éléments d‟une « vision esthétique du monde ». Des formules du type : « la résolution pour la résolution » ou « décider pour décider » ne caractérisent pas leur véritable substance. A cet égard, le juriste ne se situe pas dans la lignée de Nietzsche ou de Max Weber. Il est dans une « opposition métaphysique » avec Jünger, qui retire de la guerre la leçon de « l‟agonalité ». Il réaffirme cette opposition en 1936. Le différend sur l‟essence du politique ne porte pas sur la question : la politique peut-elle ou non renoncer au combat ? Elle ne le pourrait pas sans cesser d‟être la politique. Elle porte sur une autre question : où le combat trouve-t-il son sens ? Dans la conception « agonale », celle de Jünger, la guerre trouve en elle-même son sens, son droit et son héroïsme. Elle est ainsi « mère de toutes choses » (Héraclite). Dans la conception « politique », celle d‟Adams ou de Schmitt, la guerre est un moyen de la politique et son sens est d‟être menée « pour faire advenir la paix »51. L‟affirmation du politique est ainsi bien autre chose que l‟affirmation pure et simple du combat. La théorie schmittienne n‟est donc pas un « occasionnalisme » ni un « libéralisme inversé ». La morale humanitaire et pacifiste n‟est pas inversé en « son autre », la morale guerrière. C‟est dans la perspective « théologico-politique » qui est la sienne qu‟il « précise » sa pensée au sujet des guerres saintes et des croisades de l‟Eglise. En 1927, la rhétorique de la politique « pure » ne leur laisse aucune place. En 1932, ce sont des « entreprises » qui « comme d‟autres guerres reposent sur une décision d‟hostilité ». En 1933, elles reposent « sur une décision d‟hostilité particulièrement authentique et profonde »52.
V. De l’anthropologie à la théologie politique (« dialogue IV »)
Carl Schmitt prétend fonder théologiquement le politique : le politique se déploie entre ces deux extrêmes que sont le péché ou la « méchanceté » humaine et le miracle ou « l‟exception ». Parallèlement, la modernité libérale est appréhendée comme une « chute », d‟où l‟attente d‟une « rédemption » (M. Revault d‟Allonnes). Leo Strauss a renforcé la position de l‟auteur tout en faisant abstraction de sa théologie politique, mais les questions qu‟il soulève et les contradictions qu‟il révèle poussent ce dernier « à donner des réponses qui font d‟autant mieux ressortir la foi sous-tendant sa doctrine »53. Le « dialogue » entre le juriste et le philosophe est particulièrement manifeste quand il porte sur les arguments qu‟avance le premier et que récuse le second pour prouver « l‟inéluctabilité » du politique, à savoir : l‟affirmation du « caractère dangereux » de l‟homme, credo anthropologique dont le pivot est la foi dans le péché originel.
Le Begriff des Politischen s‟appuie sur une anthropologie pessimiste. Considérer l‟homme comme un être « dangereux », pas simplement « mauvais », est le postulat spécifique du politique au sens schmittien, non le postulat de la théologie chrétienne. En effet, le problème de la nature humaine n‟a pas été tranché par la doctrine catholique, à la différence de la doctrine protestante qui voit l‟humanité radicalement corrompue. Elle ne parle pas, à l‟instar des penseurs contre-révolutionnaires du XIXème siècle, d‟une déchéance humaine absolue. Elle parle seulement de « blessure » en laissant subsister la possibilité d‟aller vers le bien. D‟un point de vue religieux, Jacques Maritain, par exemple, a donc raison de critiquer Carl Schmitt et ceux qui exagèrent la malignité de l‟homme. Mais le juriste n‟entend pas suivre un dogme ; il entend récuser l‟axiome de l‟homme bon, à travers une décision « théologico-politique », id est une prise de position sur la nature humaine. De son point de vue, toute doctrine politique prend d‟une manière ou d‟une autre position sur cette question et toute doctrine politique « véritable » se fonde sur une conception négative de la nature humaine54. On pourrait ainsi classer « toutes les théories de l‟Etat et toutes les doctrines politiques en fonction de leur anthropologie sous-jacente », selon qu‟elles posent en hypothèse un homme mauvais ou un homme bon de nature55.
Cette distinction « sommaire » peut revêtir de multiples formes. Mais elle est déterminante, car on ne saurait échapper au présupposé anthropologique, souligne Schmitt. Les théories qui postulent un homme bon de nature sont, d‟une part, les théories libérales, d‟autre part, les théories anarchistes. Pour les premières, la bonté de l‟homme est un argument pour mettre l‟Etat au service d‟une société qui « trouve son ordre en elle-même ». Pour les secondes, la bonté de l‟homme sert à la négation de l‟Etat, « le radicalisme ennemi de l‟Etat (croissant) en fonction de la foi en la bonté radicale de la nature humaine », car l‟un est lié à l‟autre. Le libéralisme ne va pas si loin, car il « n‟a jamais été radical au sens politique du terme ». Rationaliste, il croit avant tout, avec Condorcet, que l‟homme est perfectible et que la pédagogie finira par rendre superflu l‟Etat. Il s‟est donc borné à soumettre le politique à la morale et à l‟économie, à créer un système de freins et de contrepoids à la puissance publique. Si le radicalisme révolutionnaire est plus profond et conséquent que le modérantisme libéral, et si ce radicalisme s‟accentue aussi, en sens inverse, dans la philosophie de la contre-révolution, cela est dû « à l‟importance accrue des thèses axiomatiques sur la nature de l‟homme ». Pour les anarchistes athées, l‟homme est décidément bon ; tout mal est la conséquence de la pensée théologique et des représentations de l‟autorité qui en dérivent ; seuls sont méchants les hommes qui tiennent l‟homme pour tel. A l‟inverse, les contre-révolutionnaires catholiques radicalisent le dogme du péché originel « pour en faire une doctrine du caractère pécheur et de la dépravation absolus de la nature humaine ». Le marxisme, lui, tient pour superflue la question anthropologique, car il croit pouvoir changer les hommes grâce à la transformation des conditions économiques et sociales. Mais cette question ne saurait être évacuée, parce que « toutes les théories politiques véritables postulent un homme corrompu, c‟est-à-dire un être dangereux et dynamique, parfaitement problématique »56.
Les présupposés anthropologiques varient selon les secteurs d‟activités. Le pédagogue doit nécessairement tenir l‟homme pour un être éducable et perfectible. Le moraliste postule une liberté de choix entre le bien et le mal. Le théologien pense que les hommes sont pécheurs et qu‟il leur faut une rédemption. L‟homme politique « véritable » suppose que les hommes sont dangereux par nature. Schmitt voit une affinité spécifique entre dogmes théologiques et théories politiques. Tandis que la politique suppose l‟existence de l‟ennemi, la théologie présuppose le caractère pécheur de l‟homme. Hostilité et péché du monde rendent impossible l‟optimisme indifférencié propre aux conceptions, libérales ou libertaires, de l‟homme naturellement bon. Dans un monde d‟hommes bons, règnent la paix et la sécurité. Prêtres, hommes politiques et militaires y sont superflus. « La corrélation de méthode entre postulats théologiques et postulats politiques est (donc) évidente ». Le politique trouve ainsi dans le péché originel sa justification la plus profonde, puisque la négation du péché ne signifie rien d‟autre que l‟anarchie. C‟est précisément dans le chapitre consacré aux « fondements anthropologiques des théories politiques » que le juriste met en évidence l‟ancrage théologique de son concept57.
La nécessité du politique a pour « présupposé ultime », observe Strauss, la thèse de la dangerosité humaine. Or, ce caractère dangereux est-il indéracinable ? Schmitt ne parle que d‟« hypothèse » ou de « credo anthropologique ». Si ledit caractère n‟est que supposé ou cru et pas su réellement, on peut penser que le contraire est également possible et tenter d‟éliminer ce caractère. « Si le caractère dangereux de l‟homme n‟est que cru, alors il est, et le politique avec lui, menacé dans son principe »58. Que signifie « caractère dangereux » ? Essentiellement « besoin d‟être gouverné ». La vraie confrontation n‟a pas lieu entre pacifisme et bellicisme ou entre internationalisme et nationalisme59, mais entre les « théories anarchistes et autoritaires »60. L‟auteur de Politische Romantik citait de Maistre : « l‟homme en sa qualité d‟être à la fois moral et corrompu, juste dans son intelligence et pervers dans sa volonté, doit nécessairement être gouverné »61. La dangerosité de l‟homme ne peut être comprise que comme corruption morale. « Pour lancer la critique radicale du libéralisme qu‟il ambitionne, Schmitt doit renoncer à l‟idée que l‟homme est méchant comme l‟est l‟animal et par conséquent innocent, pour revenir à la conception de la méchanceté humaine comme bassesse morale »62. En effet, l‟opposition entre bonté et méchanceté perd son sens quand la « méchanceté » est considérée comme « innocente » ou « animale ». Après que Strauss lui ait reproché de mettre en relation la nature humaine et la formule : « animalité, instincts, passions », Schmitt efface en 1933 une série de passages pouvant donner l‟impression d‟une telle équivoque. De même que l‟homme est au-dessus de l‟animal, la distinction ami-ennemi est au-dessus des conflits du règne animal. L‟hostilité entre les hommes contient une tension qui transcende de beaucoup le naturel, écrit-il en 1959. Ce n‟est pas la nature qui est en cause, mais quelque chose de spécifique à l‟homme, de plus que naturel, qui provoque la tension politique63. L‟anthropologie du juriste s‟enracine dans la tradition catholique révisée par les contre-révolutionnaires, pas dans la biologie ou l‟éthologie. Il aurait pourtant pu trouver dans les notions d‟agressivité ou de territorialité, un appui « scientifique » pour sa démonstration. Mais si le mal n‟est qu‟un prétendu « mal » parce qu‟il est biologiquement déterminé, donc sans dimension « morale », le risque, inacceptable pour un catholique, serait de nier le libre arbitre et le péché.
L‟enjeu véritable du chapitre consacré à « l‟anthropologie » est « l‟ancrage du politique dans le théologique »64. D‟après Strauss, Schmitt ne parvient pas à prouver « l‟inéluctabilité » du politique, dès lors que celle-ci repose sur une dangerosité humaine qui n‟est que supposée ou crue, pas sue. Aussi le philosophe insiste-t-il sur l‟insuffisance de la foi et oppose-t-il le savoir à la foi. Mais le juriste ne se place pas sur le terrain de « l‟irréfutabilité » ; il se place sur le terrain de la « vérité », la vérité de la foi. La Révélation est une source si absolue de « savoir intègre », au sens de la gnose et non de la science, que face à la vérité du péché originel, tout ce que l‟anthropologie pourrait expliquer reste secondaire. La politique a besoin de la théologie, car celle-ci en est la condition sine qua non. Peut-elle disparaître ? On ne peut que la nier, pas l‟éliminer, car elle ne peut être que « sécularisée » sous la forme de l‟idéologie. Théologie et politique sont donc « inéluctables ». Ainsi, au lieu d‟écrire comme en 1932, que dans un monde d‟hommes bons, théologiens et politiques sont « superflus », Schmitt écrit en 1933 : théologiens et politiques « dérangent », ils ne dépérissent pas d‟eux-mêmes, il faut les combattre ou les exclure, donc renouveler la relation d‟hostilité. L‟essence du politique a un substrat théologique, parce que le politique a une destination théologique. Au caractère impérieux du choix entre le Christ et l‟Antéchrist dans la sphère de la théologie, correspond l‟impossibilité d‟échapper à la distinction ami-ennemi dans la sphère de la politique. « J‟ignore si la Terre et l‟humanité connaîtront jamais » un état dépolitisé « et quand cela se produira », déclare le juriste65. Mais Strauss fait remarquer qu‟il ne peut se contenter de dire qu‟« en attendant », cet état « n‟existe pas ». Compte tenu de l‟existence d‟un mouvement puissant qui veut éliminer la guerre, donc abolir le politique au sens schmittien, et même s‟il est admis que son éventualité subsiste « aujourd‟hui », on peut se demander si sa possibilité réelle subsistera demain ou après-demain. En 1932, Schmitt écrit : la dimension polémique est inscrite dans la nature humaine, c‟est pourquoi l‟homme cesse d‟être homme dès qu‟il cesse d‟être politique. En 1933, il n‟écrit plus « aujourd‟hui », mais « à une époque qui masque sous des prétextes moraux ou économiques ses oppositions métaphysiques »66.
VI. Philosophie politique versus théologie politique (« dialogue V »)
Pour Strauss comme pour Schmitt, le problème essentiel de la politique moderne est celui de la perte des valeurs, due au relativisme : l‟homme moderne ne croit plus possible la distinction objective du bien et du mal. Il se borne à rechercher la paix. Mais la recherche de la paix à tout prix n‟est possible que si l‟homme renonce à se demander ce qui est juste. « C‟est dans le sérieux de la question de la justice que le politique trouve sa justification »77. A cette question, deux réponses opposées s‟affrontent. Chez Schmitt, la réponse est apportée par la théologie politique ; chez Strauss, par la philosophie politique. Leur refus commun de l‟idéal libéral ne s‟effectue donc pas du tout sur le même terrain.
Chez l‟un, la question ultime est adressée à l‟homme, car le juste est un objet de foi. La foi elle-même est le « bastion inexpugnable » du politique et son « noyau indestructible »78. Chez l‟autre, la question ultime est posée par l‟homme, car le juste est un objet de raison. Telle est « l‟alternative fondamentale » entre la théologie et la philosophie. « Il est impossible, souligne H. Meier, de combler le gouffre qui sépare la théologie politique de la philosophie politique ; il sépare Carl Schmitt et Léo Strauss même là où l‟un et l‟autre paraissent avoir les mêmes positions politiques, même là où ils sont effectivement d‟accord dans la critique politique d‟un adversaire commun »79. Pour le juriste, toute réponse à la sommation de l‟histoire est un acte de soumission à Dieu. Du fait de la foi qui est au centre de sa pensée politique, il se croit lié à une « obligation », la politique n‟étant pas « libre décision », mais « destin ». De son point de vue, la seule façon d‟être sauvé du relativisme, c‟est la vérité pleine d‟autorité de la Révélation et de la Providence. La critique du libéralisme et le Commentaire straussien font émerger les présupposés théologiques qui permettent à Schmitt d‟affirmer « l‟inéluctabilité » du politique. Pourquoi s‟efforce-t-il de dissimuler ces présupposés ? D‟une part, parce que la vérité de la foi est inaccessible à une discussion avec les incroyants. D‟autre part, parce que le libéralisme « aimerait dissoudre la vérité métaphysique elle-même dans la discussion »80. Il refuse donc d‟exposer au débat le noyau théologique de sa pensée, pour ne pas le relativiser. Au contraire, « il décide d‟obéir à la stratégie suivante : faire de la „métaphysique‟ du libéralisme l‟objet de la critique, tirer au clair „la logique de son système métaphysique global‟ en l‟examinant dans la perspective de la théologie politique et attaquer „la croyance en la discussion‟ sans exposer à la discussion la substance intime de sa propre politique, sans la livrer à la „conversation éternelle‟ ou laisser s‟en emparer „l‟affrontement éternel des opinions‟ qui la relativiserait »81. Strauss, lui, ne pense pas à l‟horizon de la foi quand il écrit que la critique du libéralisme « ne peut être menée à son terme qu‟à la condition de conquérir un horizon au-delà du libéralisme »82.
Pour lui, cette critique est un commencement nécessaire pour parvenir à une connaissance authentique, c‟est-à-dire, selon le sens originel de la philosophie, pour sortir de la « caverne » de l‟existence historique et accéder à la lumière d‟un « savoir intègre ». Dans cette quête de ce qui est vrai et juste, qui passe nécessairement par la remise en question des opinions dominantes, l‟auteur de Maïmonide rencontre d‟abord le défi lancé par la conviction de l‟époque présente, à savoir que toute pensée et toute action sont historiques et valent hic et nunc. Ensuite, il entreprend d‟examiner à fond le conflit entre les Lumières et l‟orthodoxie. A l‟issue de ce conflit, on s‟aperçoit que les affirmations de la tradition n‟ont pas été réfutées, car elles reposent sur le présupposé irréfutable que Dieu est insondable et omnipotent. Les Lumières n‟ont pu démontrer l‟impossibilité des miracles ou de la Révélation. Elles ont simplement montré que les présupposés de l‟orthodoxie ne sont pas des objets de savoir mais de foi, qu‟ils n‟ont pas à proprement parler la force de ce qui est su. Enfin, dans son « retour à l‟origine », Strauss ne s‟arrête pas au fondateur du libéralisme, à Hobbes, mais c‟est vers Socrate, le fondateur de la philosophie politique, qu‟il se tourne. La question socratienne de l‟Unique nécessaire l‟a ainsi obligé à reprendre sans cesse la confrontation avec le théologique et le politique, le « problème théologico-politique » ayant été le thème de ses investigations, menées d‟un point de vue philosophique. Politique et religion requièrent son attention parce qu‟il recherche la discussion sur ce qui est juste. Mais si la politique a une importance centrale chez lui, la question de l‟ennemi lui importe peu, car un « savoir intègre » ne peut émerger d‟une intention polémique ni d‟une confrontation83.
VII. La récusation de la philosophie de « l’unité du monde » et de la « philosophie de l’histoire »
La grande traduction de la notion schmittienne du politique en philosophie des relations internationales, plus précisément, sur le plan des idéaux de la philosophie des relations internationales, est la récusation de la philosophie de « l‟unité du monde » et de la « philosophie de l‟histoire » propre au libéralisme comme au marxisme. Avant comme après la Seconde Guerre mondiale, Carl Schmitt rejette l‟idéal du One World par le marché et la technologie. Il affirme l‟irréductible pluralité politique du monde. Il récuse les conceptions supranationales et universalistes du droit international public. Il leur oppose sa doctrine des « grands espaces » (Grossräume).
L‟humanité est une biologiquement et moralement, mais plurielle culturellement et politiquement. C‟est ainsi qu‟il y a plusieurs unités politiques dans le monde, et non pas une unité politique du monde. Il ne saurait y avoir d‟unité politique, ni d‟Etat, ni de fédération « universels », car l‟unité politique implique d‟autres unités politiques, l‟Etat, d‟autres Etats, la fédération, d‟autres fédérations. La Société des Nations ou l‟Organisation des Nations Unies favorise-t-elle l‟unification ou la pacification du monde ? Non. Les organisations internationales ne suppriment ni les Etats ni les guerres. Elles ne sont que des organisations interétatiques créées par des traités interétatiques, où siègent des représentants des Etats, dont les résolutions résultent de coalitions d‟Etats qui se nouent ou se dénouent. Elles ne font que distinguer les guerres licites ou illicites, en suivant les décisions des grandes puissances (des membres permanents du Conseil de la SDN ou de l‟ONU). Le projet du One World reste fondamentalement utopique. Il ne fait que masquer un impérialisme arrivé au stade suprême de l‟universalisme.
De Campanella à McLuhan, toutes les « utopies planétaires » ont un ressort technologique : le progrès technique serait la matrice de l‟unification de l‟humanité84. Le monde se rapproche de son unité au fur et à mesure que croissent les moyens de transports et de communications d‟une part, les moyens de production et de destruction d‟autre part, autrement dit, au fur et à mesure que la puissance humaine domine la Terre et que l‟humanité se rassemble dans une même organisation techno-économique. De ce point de vue déterminé par le progrès technique, la réalisation de « l‟unité du monde » devient inéluctable. En réalité, pour Schmitt, l‟idée du One World n‟est pas une « fatalité technique ». Elle relève d‟une conception téléologique de l‟histoire humaine, selon laquelle le mouvement de l‟histoire s‟identifie à la marche d‟un progrès techniquement déterminé. Cette vision d‟un univers unifié par la technique est partagée par les élites des deux superpuissances (« partagée » au double sens du terme : elle est commune à l‟Est et à l‟Ouest, mais l‟Est et l‟Ouest en ont une conception concurrente). L‟industrialisation est le destin de l‟humanité, reconnaît le juriste. Mais « l‟unité du monde » n‟est pas une question technique, c‟est une question politique : celle de l‟amitié entre les peuples, les classes, les cultures, les religions, les races. Or, loin de l‟unité, le monde politique d‟après 1946 donne l‟image de la dualité, l‟image de la division politique entre le capitalisme et le socialisme.
Comment penser cette dualité ? Schmitt donne sa vision philosophique du conflit Est-Ouest. Ce conflit a l‟apparence d‟une confrontation entre deux types opposés de systèmes politiques, économiques, sociaux. En vérité, « la tension inhérente au dualisme suppose dialectiquement l‟existence d‟une affinité réciproque. Cette affinité réside dans la vision du monde et de l‟histoire propre aux deux acteurs du duopole mondial. La lutte mondiale entre le catholicisme et le protestantisme aux XVIème et XVIIème siècles supposait un fond commun chrétien. De même, c‟est une interprétation philosophico-historique commune qui sous-tend aujourd‟hui la dualité du monde »85. La foi dans le progrès technique (dans l‟industrialisation) comme matrice de l‟unification du genre humain est la « philosophie de l‟histoire » de l‟Est comme de l‟Ouest. Le conflit Est-Ouest ne fait qu‟opposer deux méthodes visant l‟industrialisation la plus efficace, mené par deux Puissances se réclamant de la démocratie. Ce conflit se déroule dans le cadre d‟un programme idéologique commun, dont le noyau est une interprétation téléologique de l‟histoire. D‟après celle-ci, le progrès industriel -grâce au plan ou grâce au marché- doit mener à la « fin de l‟histoire », c‟est-à-dire à un état final de l‟humanité -le communisme ou la démocratie libérale86.
L‟existence d‟une même « philosophie de l‟histoire » de part et d‟autre du Rideau de Fer implique-t-elle l‟unification du monde ? Ceux qui répondent oui à cette question croient que le dualisme n‟est qu‟une transition vers l‟unité87. Le conflit Est-Ouest se terminera par une victoire de l‟une des superpuissances et la défaite de l‟autre. S‟ensuivra un monde unipolaire, dominé par une superpuissance unique qui entreprendra, en vertu de la dynamique historique, l‟unification du monde selon ses conceptions et ses objectifs : le socialisme mondial ou le le capitalisme mondial. D‟après Schmitt, au contraire, le « dualisme du monde » n‟annonce pas « l‟unité du monde », car « l‟histoire » -la division politique de l‟humanité- l‟emportera sur la « philosophie de l‟histoire » -sur la croyance en l‟unification de l‟humanité comme sens de l‟histoire. Le monde n‟est pas inclus tout entier dans la dualité Est-Ouest. Il existe des tierces forces et des troisièmes voies, notamment dans le tiers monde : les pays « non alignés » qui refusent la bipolarité comme l‟unipolarité. Le dualisme tendra à la pluralité plutôt qu‟à l‟unité. Le développement industriel ne mène pas au One World mais aux Grossräume88, c‟est-à-dire à des regroupements régionaux ou à des Unions d‟Etats. Au-delà du conflit Est-Ouest, la grande antithèse de la politique mondiale est celle de l‟universalisme du monde unipolaire d‟un côté, de la multipolarité des « grands espaces » de l‟autre. C‟est la dialectique de « l‟occidentalisation » qui tranchera cette antithèse : il y aura soit homogénéisation culturelle de l‟humanité, soit maintien de la pluralité des civilisations89.
On l‟aura compris, si Schmitt estime qu‟il n‟y aura pas d‟« unité du monde », c‟est aussi parce qu‟il ne veut pas d‟« unité du monde » ! L‟avènement du One World, parce qu‟il signifierait la « centralisation » et la « dépolitisation », entraînerait la fin des indépendances nationales et le règne du Bourgeois universel. Surtout, un tel avènement serait sacrilège : l‟épisode biblique de la Tour de Babel indique le refus divin de l‟unité politique du genre humain. Là encore, la comparaison Schmitt/Strauss est significative. Le philosophe critique l‟idée (hégéliano-kojévienne) selon laquelle l‟histoire du monde est « un mouvement vers l‟Etat universel et homogène ». Mais c‟est parce que l‟avènement d‟un tel Etat « marquerait la fin de la philosophie sur terre ». Lui aussi méprise un monde, celui du « dernier homme », qui n‟est qu‟« intéressant » et « divertissant ». Mais c‟est assurément sur le terrain de la philosophie politique qu‟il se place. Une vie confortable ne s‟exposant pas au danger de l‟interrogation radicale sur soi ne lui paraît pas digne d‟être vécue. Avec « l‟unité du monde », « l‟histoire est terminée, il n‟y a plus rien à faire ». Mais « il y aura toujours des hommes qui se révolteront ». La négation nihiliste de « l‟Etat universel » deviendra peut-être le dernier acte noble possible lorsque cet Etat sera devenu inévitable. Comme l‟écrit Kojève, la « fin de l‟histoire » signifie la fin des grands conflits, donc celle de la philosophie. L‟homme ne changeant plus, il n‟y a plus de raison de changer les principes à la base de sa connaissance du monde. « Mais tout le reste peut se maintenir indéfiniment : l‟art, l‟amour, le jeu, etc., bref, tout ce qui rend l‟homme heureux »90.
David Cumin - Klesis – Revue philosophique – 2011 : 19 – Autour de Leo Strauss
* David Cumin est Maître de conférences (HDR) à l‟Université Jean Moulin Lyon III (CLESID).
1 Piet Tommissen (« Contributions de Carl Schmitt à la polémologie », Revue européenne des sciences sociales. Cahiers Vilfredo Pareto, n°44, 1978, pp.141-170, pp.142-145) a exposé les « variantes du texte ».
2 Avec les écrits qui lui sont liés, sur l‟Etat, « l‟Etat total », la guerre ou « l‟unité du monde ».
3 Heinrich Meier, Carl Schmitt, Leo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, Paris, Julliard, 1990, p. 16.
4 D‟après Julien Freund, le Begriff est « uniquement un essai destiné à fournir un cadre théorique à l‟immense problème du politique » ; son objectif « précis » est de « discerner ce qui est purement politique indépendamment de toute autre relation » (préf. à La notion de politique, op. cit., pp. 22, 23).
5 Cet adjectif revient à plusieurs reprises sous la plume de Schmitt en 1963 et sous celle de Freund dans sa préface de 1972 à La notion de politique, ibid., pp. 22, 53, 56, 211.
6 Le commentaire de Leo Strauss : « Anmerkungen zu Carl Schmitt, Der Begriff des Politischen », est paru d‟abord dans l‟Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik en août-septembre 1932. Il a été republié en appendice à Hobbes‟ politische Wissenschaft en 1965 et, la même année, en appendice à l‟édition américaine de Spinoza‟s Critique of Religion. Dans le recueil Parlementarisme et démocratie (Paris, Seuil, 1988, pp. 187-214), Jean-Louis Schlegel a traduit en français ce commentaire. Trad. à comparer avec celle de Françoise Manent dans l‟ouvrage de Heinrich Meier (pp.129-162). Schmitt a conservé les lettres de Strauss dans un dossier à part : « au sujet de La notion de politique, trois correspondances importantes : 1. Leo Strauss (1929), 1932-1934, 2. Alexandre Kojève (1955), 3. Joachim Schikel (1970), 1968-1970 » (H. Meier, op. cit., p.174).
7 H. Meier a retracé l‟évolution de cet essai, ibid., pp. 15–25, 35-42, 48–50).
8 Version schmittienne du monopole wébérien de la violence légitime.
9 La notion de politique, p. 73.
10 K. Löwith, « Le décisionnisme (occasionnel) de Carl Schmitt », in Les Temps modernes, 1991 (1935, sous le pseudonyme d‟Hugo Fiala), pp. 15–50, pp. 47–49.
11 A. Dufour : « Jusnaturalisme et conscience historique. La pensée politique de Pufendorff », in Cahiers de philosophie politique et juridique, Des théories du droit naturel, Caen, Centre de Publications de l‟Université de Caen, 1988, pp. 101–125, p. 108.
12 La notion de politique, p. 93.
13 L. Strauss, « Commentaire sur „La notion de politique‟ », in H. Meier, op. cit., p.136.
14 Ibid., p. 133.
15 Trad. française Romantisme politique, Paris, Librairie Valois-Nouvelle Librairie nationale, 1928, partiellement reprise in Du politique… (recueil), Puiseaux, Pardès, 1990, « Romantisme politique », pp. 1–17 ; trad. française Hamlet ou Hécube. L‟irruption du temps dans le jeu, Paris, L‟Arche, 1992.
16 « L‟ère des neutralisations et des dépolitisations », in La notion de politique, p.138, cité par L. Strauss, op. cit., p. 134 et par H. Meier, op. cit., p. 30. H. Meier indique que dans la conférence de 1929 telle qu‟est ajoutée à l‟édition de 1932, Schmitt a biffé et remplacé les mots « culture » et « culturel » pas moins de 31 fois sur 54 occurrences.
17 L. Strauss, op. cit., p. 134.
18 Cité par H. Meier, op. cit., p. 32.
19 La notion de politique, pp.90, 117. La guerre fait comprendre que tout pouvoir est absolu, disait Alain.
20 Ibid., p. 116.
21 L. Strauss, op. cit., p. 131.
22 La notion de politique, pp.118, 155, cité par L. Strauss, op. cit., p. 132.
23 L. Strauss, op. cit., pp. 150, 160.
24 Ibid., pp. 138–139.
25 H. Meier, op. cit., p .56.
26 L. Strauss, op. cit., pp. 139, 149.
27 Droit naturel et histoire, Paris, Flammarion, 1986 (1953), pp. 165–166.
28 L. Strauss, « Commentaire sur “La notion de politique” », pp. 140–141.
29 Cf. Ueber die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens, trad. française Les trois types de pensée juridique, Paris, PUF, 1995, préf. D. Seglard.
30 Cf. Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes. Sinn und Fehlschlag eines politischen Symbols, trad. française Le Léviathan dans la doctrine de l‟Etat de Thomas Hobbes. Sens et échec d‟un symbole politique, Paris, Seuil, 2002, préf. E. Balibar, postf. W. Palaver. Cf. aussi « Der Staats als Mechanismus bei Hobbes und Descartes » (1937), trad. française « L‟Etat comme mécanisme chez Hobbes et Descartes », in Les Temps modernes, 1991, pp. 1-14. Tous les écrits de Schmitt sur Hobbes ont été réunis in Scritti su Thomas Hobbes (recueil), Milan, Giuffré, 1986, préf. C. Galli.
31 H. Meier, op. cit., pp. 58–59, 77.
32 Sur la primauté du conflit chez Max Weber, son ethos guerrier par opposition à la morale pacifiste, sa volonté, via le nationalisme et la Machtpolitik, de préserver, contre la bureaucratisation, les chances d‟une existence « authentique » c‟est-à-dire « tragique », cf. L. Strauss, Droit naturel et histoire, pp. 69–73.
33 L. Strauss : « Commentaire sur „La notion de politique‟ », p. 156.
34 La notion de politique, p. 108, cf. aussi pp. 95, 205, et la Théorie de la Constitution, Paris, PUF, 1993 (1928), préf. O. Beaud, p. 388.
35 G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Vrin, 1982 (1821), pp. 324-333 ; A. Philonenko, Essais sur la philosophie de la guerre, Paris, Vrin, 1976, « Éthique et guerre dans la pensée de Hegel », pp. 55–66.
36 C. von Clausewitz : De la guerre, Paris, Minuit, 1955 (1832-1837), pp. 51-69.
37 Cité par C. Colliot-Thélène, Le désenchantement de l‟Etat. De Hegel à Max Weber, Paris, Minuit, 1992, p. 214.
38 La notion de politique, p. 75.
39 Ibid., pp. 97–98.
40 Préf. à La notion de politique, p. 190.
41 G. W. F. Hegel, op. cit., p.69.
42 A. Philonenko, « Clausewitz ou l‟oeuvre inachevée : l‟esprit de la guerre », in Revue de métaphysique et de morale, n°4, 1990, pp. 471-512, pp. 473–474.
43 La notion de politique, p. 102.
44 Ibid., p. 153.
45 G. de Plinval : La pensée de saint Augustin, Paris, Bordas, 1954, pp. 164-174.
46 L. Strauss, op. cit., p. 153.
47 K. Löwith, art. cit., pp. 25–31.
48 Cité par A. Dorémus, « Introduction à la pensée de Carl Schmitt », in Archives de philosophie, XLV, 4, 1982, pp. 585–665, p. 658.
49 Cf. Die Tyrannei der Werte. Ueberlegungen eines Juristen zur Wert-Philosophie, Stuttgart, W. Kohlhammer, 1960 (2ème éd. aug. in Säkularisation und Utopie. Erbracher Studien, Ernst Forsthoff zum 65. Geburtstag, 1967, pp.37-62), ainsi que : « Le contraste entre communauté et société en tant qu‟exemple d‟une distinction dualiste. Réflexions à propos de la structure et du sort de ce type d‟antithèses » (1960), in Res Publica, XVII, 1, 1975, pp. 100–119, pp. 105-119 ; Théorie du partisan, pp. 317, 325 ; Théologie politique II, Paris, NRF Gallimard, 1988, préf. J.-L. Schlegel, pp. 104, 167–182.
50 L. Strauss, Droit naturel et histoire, « Le droit naturel et la distinction entre faits et valeurs », pp .44–82.
51 H. Meier, op. cit.., pp.95-97, citations extraites de « Politik », in H. Franke (Hrsg.), Handbuch der neuzeitlichen Wehrwissenschaften, Bd. I, Wehrpolitik und Kriegsführung, Berlin-Leipzig, W. de Gruyter, 1936, pp. 547–549.
52 H. Meier, op. cit., pp. 97–98.
53 Ibid., p. 81.
54 Théologie politique I, pp. 64–67.
55 La notion de politique, p. 103.
56 Théologie politique I, p. 65 ; La notion de politique, pp. 103, 106–107.
57 La notion de politique, pp. 103, 111.
58 L. Strauss, « Commentaire sur “La notion de politique” », pp. 145–146.
59 Leo Strauss a analysé la convergence empirique de l‟antagonisme : internationalisme pacifiste/ nationalisme belliciste et de l‟antagonisme : anarchie/autorité. Le lien autorité/nationalisme s‟explique de la manière suivante. L‟homme étant méchant de nature, il a besoin d‟être gouverné. L‟instauration d‟un gouvernement, c‟est-à-dire le rassemblement des hommes en une unité, ne s‟effectue que contre d‟autres hommes. Il y a ainsi une tendance primaire de la nature humaine à former des groupes exclusifs. Cette tendance à l‟exclusion, et le regroupement ami-ennemi, sont donnés avec la nature de l‟homme. Ils sont donc en ce sens « destin ». La réalité de l‟hostilité, de l‟alliance et de la neutralité entre groupes, « c‟est ce que démontre l‟histoire de l‟humanité jusqu‟à nos jours » (ibid., pp. 147–148, 168–169).
60 La notion de politique, p. 105.
61 In Romanticismo politico, Milan, Giuffré, 1981, préf. C. Galli, p.205, trad. italienne de Politische Romantik.
62 L. Strauss, op. cit., p. 150.
63 « Die planetarische Spannung zwischen Ost und West und der Gegensatz von Land und Meer » (1959), in Schmittiana III, Bruxelles, 1991, pp.19-44, p. 26.
64 H. Meier, op. cit., p. 82.
65 La notion de politique, p. 98.
66 H. Meier, op. cit., pp. 94–95.
67 L. Strauss, op. cit., p. 155.
68 H. Meier, op. cit., p. 86.
69 Ibid., p. 71.
70 Théologie politique I, p. 71, cité par H. Meier, op. cit., p. 99.
71 H. Meier, op. cit., p. 99.
72 L. Strauss, op. cit., p. 160.
73 L. Strauss, Maïmonide, Paris, PUF, 1988 (1935), pp. 17–23.
74 Sur l‟histoire de la philosophie de l‟unité du genre humain, cf. A. Mattelart, Histoire de l‟utopie planétaire. De la cité prophétique à la société globale, Paris, La Découverte, 1999.
75 Cf. « L‟unité du monde II », in Du politique…, pp. 237–249, p. 240.
76 Schmitt expose le credo Est-Ouest : le développement industriel conduit à l‟abondance généralisée ; celle-ci, en mettant fin à la rareté des ressources, rend sans objet les luttes tournant autour de leur appropriation ou de leur répartition ; elle abolit donc le risque de guerre et permet la réconciliation de l‟humanité. Mais ce credo suppose que les conflits sont économiquement déterminés, ce qui n‟est pas nécessairement le cas. Même dans cette hypothèse, la croissance démographique et la croissance économique, par conséquent la croissance de la consommation de ressources naturelles limitées, renouvellent les problèmes d‟appropriation et de répartition, donc les oppositions politiques. Sera-t-il possible que la technologie émancipe l‟humanité de la nature ? Sera-t-il possible de réguler mondialement la démographie et l‟économie ? Cf. « À partir du “nomos” : prendre, pâturer, partager. La question de l‟ordre économique et social » (1953), in Commentaire, n°87, automne 1999, pp. 549–556.
77 Selon Pierre Lévy, la guerre froide a été menée pour la domination « d‟un globe suffisamment rétréci pour que la notion d‟empire mondial ne soit pas vide de sens » (World Philosophie. Le marché, le cyberespace, la conscience, Paris, O. Jacob, 2000, p. 25).
78 Cf. « Grand espace contre universalisme. Le conflit sur la doctrine de Monroe en droit international » (1939), in Du politique…, pp.127-136 ; Völkerrechtliche Grossraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte. Ein Beitrag zum Reichsbegriff im Völkerrecht, Berlin-Leipzig-Vienne, Deutscher Rechtsverlag, 1942, 4ème et dernière éd. aug. (les trois premières se sont succédées en 1939, 1940 et 1941) ; Le Nomos de la Terre dans le droit des gens du jus publicum europaeum, Paris, PUF, 2001 (1950), préf. P. Haggenmacher.
79 Sur cette partie, cf. La notion de politique, pp.97-103 ; « Drei Möglichkeiten eines christlichen Geschichtsbildes », art. cit., p.297 ; « Historiographie existentielle : Alexis de Tocqueville », « L‟unité du monde » I et II, in Du politique…, pp.211-214, 225-249 ; « Die Ordung der Welt nach zweiten Weltkrieg » (1962), in Schmittiana II, 1990, pp. 11–30, pp. 12–27 ; « The Legal World Revolution » (1978), Telos, n°72, pp. 73–89 (trad. en langue anglaise de « Die legale Weltrevolution. Politischer Mehwert als Prämie auf juristiche Legalität und Superlegalität »), pp. 79, 86.
80 L. Strauss, De la tyrannie, Paris, NRF Gallimard, 1954 (1948), « Mise au point », pp. 282–344, pp. 309–342. -
La France nouvelle terre promise pour l’islam
Cet article a été publié sur « La Voix de la Russie », le 15 décembre dernier. Il nous éclaire sur la vision qu’ont les Russes sur ce qui se passe en France, en termes d’islam et d’immigration. Un point de vue sur la réalité que nous ne sommes pas près de voir développé dans les médias occidentaux.Il s’appelle Imran Firasat et il serait l’auteur du film « The Innocent Prophet ». C’est-à-dire « Le Prophète Innocent » tourné sur YouTube et annoncé à paraître aujourd’hui le 14 décembre. Comme on peut le lire dans l’internet, le film « compte révéler « la vérité sur la vie de Mahomet. »Vérité ou pas mais la police belge et française est en état d’alerte rouge la menace d’explosion sociale étant jugée comme « extrêmement aigüe ». Par cette réaction même à un film-amateur tourné en clandestinité et même pas encore rendu public, on peut juger de l’ampleur des dégâts.Les Français ont peurLes Français ont peur. Ils se font agresser dans leur vie courante comme le chef Michel del Burgo de Carcassonne qui s’est fait traiter de « sale Français » par des énergumènes qui l’ont attaqué à coups de pierres lorsqu’il était dans sa camionnette garée sagement à côté d’un bureau de tabac ; ou encore ces commerçants du Marché de Nîmes maltraités et menacés par les musulmans en colère qui les accusent de vendre des produits non-conformes à leur vision du monde à savoir boissons alcoolisées ou encore des vêtements féminins jugés par trop légers ; ou les immigrés délinquants de Saint-Denis qui ont tabassé un flic qui s’est retrouvé au service des urgences d’un hôpital dans un état jugé très grave…La vie en France n’a plus rien d’un pays européenMême sans ce film craint par certains, attendu par d’autres la vie en France n’a plus rien d’un pays européen. Je dirais qu’elle ressemble plutôt à celle d’Israël où les touristes se promènent en ville mais chacun est prêt à dégainer à tout moment. L’ennui pour la France est que les Israéliens, eux, sont farouchement décidés de vendre très cher leur peau « au cas où». Ils sont craints par leurs adversaires. Les Israéliens vivent d’un côté de la palissade et peuvent se défendre. Leurs ennemis vivent de l’autre côté et savent ce que c’est que la loi du talion appliquée méthodiquement en cas d’attaque contre Israël. Cela veut dire « œil pour œil » sans que je cherche à savoir ce qu’on peut précisément faire dans ce cas-là.La France est Israël maintenant. Mais les Français sont privés du droit à l’autodéfense et au droit d’exercer leur religion en toute liberté et de vivre selon leurs propres coutumes. En Israël si un civil réserviste est attaqué, il peut ouvrir le feu pour se défendre. En France une telle réaction serait impensable.Les Français sont privés du droit à l’autodéfensePour comprendre mieux l’état d’horreur dans lequel vivent de nombreux citoyens français nous tenons à donner la parole à un homme sincère, un politologue français qui n’a pas voulu dévoiler son nom parce qu’il a fait l’objet d’une véritable curée de la part de la presse vendue aux envahisseurs. Écoutons-le, Chers amis !LVDLR.Monsieur Archer, je suis très ami avec Alexandre Latsa qui est un confrère bien connu à travers les différents masses média. Il s’est marié avec une Franco-Russe et s’est vu quasiment obligé, selon ses propres paroles, de partir en Russie. Il dit de ne pas reconnaître sa ville natale, Bordeaux, défigurée par l’immigration. Selon son point de vue que je partage, il est difficile d’envoyer une femme même mariée, faire ses courses dans la soirée sans qu’elle coure le risque de se faire agresser par les gueux d’origine étrangère. Vous qui connaissez bien la région de Bordeaux, qu’est-ce que vous en dites ?La presse vendue aux envahisseursEmmanuel Archer.Je dirais que dans l’ensemble que ce soit à Bordeaux, à Paris ou dans les autres villes de France, il y a un réel, un très réel problème de sécurité. C’est un mensonge que de dire le contraire. Les chiffres se trafiquent. Mais malgré tout, à chaque fois qu’on sort les nouvelles statistiques concernant les plaintes pour viol, pour vol aggravé, pour meurtres et autres délits, on voit bien que ces chiffres-là augmentent sans arrêt. Et maintenant je sais qu’il y a quelque chose d’autre qui est très incorrect en France mais ce n’est pas moi qui l’invente, c’est des choses qui se savent aujourd’hui, la plupart de personnes qui sont en prison en France, ce sont des étrangers extra-européens.LVDLR. Donc la majorité de loubards qui volent, qui violent et tabassent les gens dans les rues, il s’agit des immigrés ?Emmanuel Archer.Il faut faire attention bien évidemment et ne pas stigmatiser mais oui, il y a une très forte proportion et une majorité même de prisonniers qui viennent de ces populations-là ! Des extra-européens ! C’est un fait !Un très réel problème de sécuritéFrançoise Compoint.C’est exactement pareil quand j’étais au lycée. Parce que les filles se faisaient violer par les garçons musulmans qui, pour toute punition, étaient juste mutés dans le lycée à côté. C’est pour cela que la majeure partie de mes copines et copains fréquentaient des écoles catholiques alors qu’ils n’étaient pas du tout catholiques ! Ils étaient plutôt athées !LVDLR.Lorsque j’étais au Janson de Sailly le contexte était un peu moins fragile mais ça commence à dater : j’ai 44 ans tout de même ! Encore une question qui a trait à ce qu’on vient de se dire : vendredi prochain, il va y avoir un film vidéo qui sort en France. Ce film pose déjà beaucoup de problèmes : j’ai lu beaucoup de commentaires. En même temps, il faut dire que sur Youtube, il y a eu un Français qui s’est prononcé de façon désobligeante sur le compte du prophète Mahomet. La personne en question a accusé le Prophète des sévices sexuels commis dans sa vie privée. Je ne cherche pas à porter mon jugement personnel sur le Prophète : on respecte toutes les religions ! – mais voir la police nationale en train de se mobiliser à cause d’un film, d’un pauvre film de rien tourné par un amateur ! Cela ne fait que démontrer qu’il y a anguille sous roche ! Est-ce qu’on peut dire que le contexte religieux a été une fois de plus fragilisé par l’afflux des nouveaux venus qui finalement changent les coutumes aussi bien à Bruxelles comme l’a dit Boris qu’en France où maintenant un pauvre film vidéo peut provoquer presqu’une révolution? Ou je suis complètement à côté de la plaque ?Une majorité de prisonniers sont des extra-européensEmmanuel Archer.Non-non ! Je crois que ce nouveau film fait ressortir deux problèmes : le premier et j’y pense en amont, c’est déjà qu’en n’importe quelle démocratie il serait juste de respecter toutes les croyances et d’éviter de blesser des centaines de milliers, voire des Millions de croyants bêtement ! Ca c’est le premier point. Et là je m’adresse effectivement à toutes les caricatures qui ont pu être faites que ce soit sur le prophète Mahomet qu’aussi sur Jésus Christ mais aussi sur toutes les religions. Je pense que c’est de l’humour à bas coût. Et puis c’est un manque de respect et je pense qu’en démocratie il est important d’avoir du respect.Mais effectivement le problème est que l’on voit bien qu’en France lorsqu’il y a des caricatures sur Jésus Christ, les Catholiques ne descendent pas dans la rue pour aller casser la gueule. Ils descendent dans la rue pour manifester mais on voit bien que la culture n’est pas celle d’aller au contact. On peut dire qu’effectivement la communauté musulmane réagit souvent de façon violente. À mon avis, je trouve ces causes parce que justement ils ne peuvent plus s’intégrer en France de par leur nombre beaucoup trop important ils vivent en communautés. Et je pense que le communautarisme dans ce cas-là, il n’y a rien de pire ! Parce qu’on aurait tendance, passez-moi l’expression, à se monter un peu le bourrichon les uns les autres, à vivre un petit peu en vase clos avec son imam, sa salle de prières… Et au final quand on discute les uns avec les autres et que l’on est dispersé dans toute la France bien intégrée, je suis sûr que ce problème ne se poserait pas ! »La France deviendrait la nouvelle terre promise de l’islamEn mes vertes années, je connaissais une personnalité du monde musulman qui prenait parfois un café avec moi dans le Scossa, place Victor Hugo à Paris. À l’époque, moi, jeune journaliste, je ne le croyais pas. Lui, milliardaire libanais, il me promettait la main sur le cœur qu’au bout de 20 ou 30 ans la France deviendrait musulmane. Il s’est même abaissé à m’expliquer que les délinquants importés en France « comme du bétail » doivent servir de bélier pour défoncer les portes d’un « pays dénaturé ». Mais ensuite ces « sauvages » seraient massacrés à leur tour par l’élite des élites du monde musulman qui viendrait pour occuper et se partager le gâteau français. Alors, selon mon ancienne connaissance, la France deviendrait La nouvelle Terre Promise de l’islam, son nouveau Croissant d’or. Et cela, disait-il, ne serait que justice en réponse à toutes les croisades et colonisation de « dar al islam » par les Occidentaux. C’était en 1987.La voix de la Russie http://www.francepresseinfos.com/Lien permanent Catégories : actualité, immigration, lobby, magouille et compagnie, religion 0 commentaire -
La folie des grandeurs des “euro-mandarins”
On défilait hier dans l’Europe entière contre l’austérité, à l’appel de syndicats bien souvent complices de l’idéologie l’euromondialiste . Celle là même qui broie littéralement actuellement la Grèce. Un peuple grec qui certes, n’est pas totalement pour rien dans ses malheurs en donnant les clés de sa destinée aux politiciens qu‘ils ont jusqu’alors constamment réélu. Mais ce constat s’applique aussi à notre pays et à bien d’autres au sein de l’Union européenne…Une austérité que les nababs de l’hyper-classe bruxelloise réservent aux autres, mais certainement pas à eux!
Les projets architecturaux pharaoniques, -souvent propres aux Etats totalitaires soit dit en passant…- des institutions européennes en sont une nouvelle illustration, dans une course au gigantisme budgétivore particulièrement indécent.
Du passé faisons table rase : pour l’édification du futur siège du Conseil européen et Centre de presse international, nos grands architectes ne vont pas hésiter à massacrer Le Résidence Palace, un joyau de l’Art déco. Tout en prenant bien soin de conserver la piscine existante pour leur propre confort. D’ores et déjà le devis initial a été dépassé de 40%. Pourquoi se gêner, ce sont les contribuables européens qui payent !
Un constat clairement exposé dans l’article paru à ce sujet sur le site mailonline le 5 novembre et dans le Irish Daily Mail. Son auteur relève justement que « Les euro-mandarins veulent non seulement de l’argent pour leurs augmentations de salaire, leurs retraites mirobolantes, financés par le contribuable, et pour l’éducation d’élite de leurs enfants, mais aussi pour leurs nouveaux projets (architecturaux) impériaux.»
« Une frénésie de construction » qui est comparée ici avec le goût du faste d’un « Louis XIV à Versailles », lequel à sa décharge, était tout de même d’une toute autre envergure, sur le plan esthétique comme politique, que les velléités architecturales et les ambitions des petits marquis qui président actuellement au fonctionnement des institutions de l’UE.
Cet article cite pour décrire cette frénésie, « un ancien mandarin européen de premier plan, Derk-Jan Eppink. M. Eppink, un Néerlandais , est maintenant un membre du Parlement européen, mais avant cela, il a travaillé pendant sept ans comme haut fonctionnaire à la Commission européenne.»
M. Eppink évoque cette fièvre ultra-dépensière dans une vidéo qu’il a posté sur YouTube (http://www.buildingsagency.be/realisatieberichten_fr.cfm?key=146). Ainsi il rapporte que 240 millions d’euros ont été dépensés afin que président de l’UE Herman Van Rompuy dispose « d’ un nouveau bureau pour accueillir les réunions du Conseil européen ». Un bâtiment boursouflé de « vanité », en forme d’œuf, vitré (photo), actuellement en cours de construction « juste à côté du siège du Conseil déjà vaste et moderne.»
Mais ce n’est pas tout. M Eppink relève que «la construction la plus grotesque est en cours à Francfort. Il s’agit de la construction de la Banque centrale européenne, la BCE.. (Son coût) a été estimé à 800 Millions d’euros ». Un budget lui aussi allégrement dépassé puisqu’il est maintenant de 1,2 Milliard d’euros ( !!!) et il reste encore deux ans de travaux. »
Une BCE qui préche « l’austérité en Grèce, en Espagne, au Portugal , en Italie, en Irlande» et qui, pour elle-même, jette l’argent par les fenêtres (…). Le siège de la BCE reflète le pompeux, le goût du prestige et du pouvoir, comme l’aime les dirigeants européens», poursuit le parlementaire néerlandais.
Et d’évoquer encore le projet de construction d’un « immeuble de prestige, la Maison de l’histoire européenne » pour un budget prévu d’environ 60 millions d’euros. Mais il ya un problème. Sous la fondation coule une rivière souterraine. Maintenant, les fondations doivent être renforcées, sinon, le bâtiment s’effondrerait». Selon un architecte, cette opération « doublerait le coût de construction qui s’élèverait finalement à plus de 120 Millions d’euros»!
Une entité bruxelloise constate M. Eppink, comme avant lui Bruno Gollnisch qui l’a dénoncé dés ses premiers pas de parlementaire européen, totalement dominée par « l’hubris ». Cette démesure dans laquelle les Grecs anciens voyaient un des plus grands dangers pour l’individu comme pour la société.
Oui, mille fois oui, il est vraiment temps de mettre au rencart cette Europe là, insulte vivante non seulement aux Européens frappés par la crise, mais au vrai génie de notre civilisation.
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Ernst Jünger : Sang
Le genre humain est une forêt vierge, un entrelacs mystérieux dont les couronnes parcourues des souffles de mers ouvertes ne cessent de s'arracher aux vapeurs, moiteurs et touffeurs pour se tendre majestueuses à la rencontre du soleil. Si les sommets se nimbent de parfums et d'efflorescences colorées, dans les fonds prolifère un fouillis de plantes étranges. Si l'on voit, lorsque le soleil se consume, tomber dans les calices de palmiers ondulants une compagnie de perroquets rouges telle une escadre de songes royaux, des bas-fonds déjà plongés dans la nuit monte le pêle-mêle répugnant des bêtes qui rampent et rôdent, les cris stridents des victimes que l'agression sournoise de dents et de griffes rompues au meurtre a tiré du sommeil, du terrier, de la chaleur du nid pour leur donner la mort.
Tout comme la forêt vierge s'efforce de dresser vers les hauteurs une masse toujours plus imposante, tirant les énergies de sa croissance de son propre affaissement, des parties d'elle-même qui pourrissent et se corrompent au sein des sols fangeux, chaque génération nouvelle d'humanité est issue du fond qu'accumule la décomposition des lignées innombrables qui reposent ici des rondes de la vie. Certes les corps de ces défunts, après qu'ils ont fini leur tour de danse, sont réduits à néant, balayés aux sables fugaces, ou pourrissent au fond des mers. Mais leurs parties, leurs atomes sont traînés à nouveau, par la vie éternellement jeune et victorieuse, à des mutations sans trêve, exaltés en agents éternels de la force vitale.
De sorte que le contenu même de l'existence, toute pensée, tout acte et tout sentiment, tout ce qui propulsa cette interminable théorie de devanciers par les champs de la vie, garde valeur éternelle. De même que l'homme s'édifie sur l'animal et ses contingences, de même il s'enracine dans tout ce que ses pères ont créé au cours des temps avec leurs poings, leur coeur et leur cerveau. Ses générations ressemblent aux strates d'un état corallien ; pas le moindre fragment n'est pensable sans d'autres en nombre infini, depuis longtemps éteints, sur lesquels il se fonde. L'homme est le porteur, le vaisseau sans cesse métamorphosé de tout ce qui avant lui fut fait, pensé et ressenti. Il est aussi l'héritier de tout le désir qui avant lui en a poussé d'autres, avec une force irrésistible, vers des buts au loin drapés dans les brumes.
Les hommes continuent d'œuvrer à l'érection d'une tour d'incommensurable hauteur, faite de leurs générations, des états de leur être entassés l'un sur l'autre, dans le sang, le désir et l'agonie.
Certes, la tour s'élance à toujours plus abruptes hauteurs, ses merlons haussent l'homme au pavois du vainqueur suprême, le regard se repaît de terres chaque fois plus grandes et plus riches, mais l'édification n'en est pas pour autant régulière et tranquille. Souvent l'ouvrage est menacé, des murs s'écroulent ou sont abattus par les sots, les découragés, les désespérés. Les contrecoups d'états de choses qu'on a cru depuis longtemps surmontés, les éruptions des forces élémentaires qui bouillonnaient à gros remous sous la croûte raidie révèlent la puissante vitalité des énergies immémoriales.
L'individu se construit, pareillement, de pierres innombrables. Il traîne derrière lui sur le sol la chaîne sans fin des aïeux ; il est ligoté et cousu par mille liens et fils invisibles aux racines entrelacées de la paludéenne et primordiale forêt dont la fermentation torride a couvé son germe premier. Certes la sauvagerie, la brutalité, la couleur crue propre à l'instinct se sont lissées, polies, estompées au fil des millénaires où la société brida la pulsion des appétits et des désirs. Certes un raffinement croissant l'a décanté et ennobli, mais le bestial n'en dort pas moins toujours au fond de son être. Toujours il est en lui beaucoup de la bête, sommeillante sur les tapis confortables et bien tissés d'une civilisation lisse, dégrossie, dont les rouages s'engrènent sans heurts, drapée dans l'habitude et les formes plaisantes ; mais la sinusoïde de la ment retour à la ligne rouge du primitif, alors les masques tombent : nu comme il l'a toujours été, le voilà qui surgit, l'homme premier, l'homme des cavernes, totalement effréné dans le déchaînement des instincts. L'atavisme surgit en lui, sempiternel retour de flamme dès lors que la vie se rappelle à ses fonctions primitives. Le sang, qui dans le cycle machinal des villes, ses nids de pierre, irriguait froid et régulier les veines, bouillonne écumant, et la roche primitive, longtemps froide et roide couchée dans des profondeurs enfouies, fond à nouveau chauffée à blanc. Elle lui siffle à la face, jet de flamme dardée qui le dévore par surprise, s'il se risque à descendre au labyrinthe des puits. Déchiré par la faim, dans la mêlée haletante des sexes, dans le choc du combat à mort, il reste tel qu'il fut toujours.
Au combat, qui dépouille l'homme de toute convention comme des loques rapiécées d'un mendiant, la bête se fait jour, monstre mystérieux resurgi des tréfonds de l'âme. Elle jaillit en dévorant geyser de flamme, irrésistible griserie qui enivre les masses, divinité trônant au-dessus des armées. Lorsque toute pensée, lorsque tout acte se ramènent à une formule, il faut que les sentiments eux-mêmes régressent et se confondent, se conforment à l'effrayante simplicité du but : anéantir l'adversaire. Il n'en sera pas autrement, tant qu'il y aura des hommes.
Les formes extérieures n'entrent pas en ligne de compte. Qu'à l'instant de s'affronter on déploie les griffes et montre les dents, qu'on brandisse des haches grossièrement taillées, qu'on bande des arcs de bois, ou qu'une technique subtile élève la destruction à la hauteur d'un art suprême, toujours arrive l'instant où l'on voit flamboyer, au blanc des yeux de l'adversaire, la rouge ivresse du sang. Toujours la charge haletante, l'approche ultime et désespérée suscite la même somme d'émotions, que le poing brandisse la massue taillée dans le bois ou la grenade chargée d'explosif. Et toujours, dans l'arène où l'humanité porte sa cause afin de trancher dans le sang, qu'elle soit étroit défilé entre deux petits peuples montagnards, qu'elle soit le vaste front incurvé des batailles modernes, toute l'atrocité, tous les raffinements accumulés d'épouvante ne peuvent égaler l'horreur dont l'homme est submergé par l'apparition, l'espace de quelques secondes, de sa propre image surgie devant lui, tous les feux de la préhistoire sur son visage grimaçant. Car toute technique n'est que machine, que hasard, le projectile est aveugle et sans volonté ; l'homme, lui, c'est la volonté de tuer qui le pousse à travers les orages d'explosif, de fer et d'acier, et lorsque deux hommes s'écrasent l'un sur l'autre dans le vertige de la lutte, c'est la collision de deux êtres dont un seul restera debout. Car ces deux êtres se sont placés l'un l'autre dans une relation première, celle de la lutte pour l'existence dans toute sa nudité. Dans cette lutte, le plus faible va mordre la poussière, tandis que le vainqueur, l'arme raffermie dans ses poings, passe sur le corps qu'il vient d'abattre pour foncer plus avant dans la vie, plus avant dans la lutte. Et la clameur qu'un tel choc mêle à celle de l'ennemi est cri arraché à des cœurs qui voient luire devant eux les confins de l'éternité ; un cri depuis bien longtemps oublié dans le cours paisible de la culture, un cri fait de réminiscence, d'épouvante et de soif de sang.
De soif de sang, entre autres. C'est, outre l'épouvante, l'autre flot qui noie le combattant de son écume, dans un mascaret de vagues rouges : l'ivresse, la soif du sang, lorsque les tressaillantes nuées de la destruction pèsent sur les champs de la fureur. Si étrange que cela soit à entendre pour qui ne s'est jamais battu pour rester en vie : la vision de l'adversaire procure, outre un comble d'horreur, la délivrance d'une pression pesante et insupportable. C'est la volupté du sang, flottant au-dessus de la guerre comme la rouge voile des tempêtes au mât de la galère noire, et dont l'élan illimité n'est comparable qu'à l'amour. Elle attaque déjà les nerfs lorsqu’ au centre des villes fouettées à blanc les colonnes s'ébranlent vers les gares, sous une pluie de roses embrasées, en cortège des morituri. Elle couve dans les masses en frénésie qui les cernent de leur liesse bruyante et de leurs cris stridents, elle est l'une des émotions déversées sur les hécatombes en marche vers la mort. Accumulée dans les veilles des batailles, dans la douloureuse tension du soir d'avant, dans la marche vers les vagues de feu, en pleine zone des terreurs juste avant la lutte au couteau, elle s'embrase en fureur grimaçante lorsque l'averse des projectiles disloque les rangs. Elle crispe en boule tous élans, autour d'un désir et un seul : se ruer sur l'adversaire, l'empoigner, comme l'exige le sang, sans le vertige, à la griffe sauvage du poing. C'est ainsi, et depuis toujours.
Tel est le cercle d'émotions, la lutte qui fait rage dans la poitrine du combattant, lorsqu'il erre par le désert de flammes des gigantesques batailles : l'horreur, l'angoisse, l'anéantissement pressenti, la soif d'un déchaînement intégral dans la lutte. Une fois que ce petit monde en soi, bolide fonçant par le monstrueux, a déchargé son plein de sauvagerie bourrée jusqu'à la gueule en brusque explosion d'instants perdus à jamais pour la mémoire claire, une fois que le sang a coulé à flots de sa propre blessure ou de celle de l'autre, les brouillards tombent devant ses yeux. Il promène autour de lui des yeux fixes, somnambule éveillé de rêves oppressants. Le rêve monstrueux que l'animalité a rêvé en lui, au souvenir des temps où l'homme, parmi des hordes toujours menacées, frayait en guerrier son chemin dans le désert des steppes, se dissipe et le laisse à lui-même, effaré, ébloui par l'insoupçonné dans sa propre poitrine, épuisé par la gigantesque dissipation de vouloir et de force brutale.
C'est alors seulement qu'il prend conscience du lieu où l'a jeté la course de l'assaut, des périls en foule auxquels il vient d'échapper, et blêmit. Une fois cette limite franchie, et là seulement, commence la bravoure.
Ernst JÜNGER
In La guerre comme expérience intérieure
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Ce que Marx négligeait
Quand Marx eut recueilli le peu qu’il était capable de comprendre du système de Hegel et de sa méthode d’analyse, il crut avoir fait la plus grande trouvaille de sa vie.
Hegel avait fait de cette méthode un moyen de pénétrer plus avant dans le domaine des idées. Marx, fils de rabbin, ne pouvait en faire que le moyen de pénétrer plus avant dans le domaine matériel, une méthode d’analyse de l’économie et, peut-être, de l’histoire. Le manque d’imagination et d’esprit créateur contraignait Marx à demeurer dans le domaine de l’immédiat et lui interdisait toute incursion dans le domaine du raisonnement proprement dit.
Voulant analyser avec une méthode qui n’était pas sienne le développement du capitalisme, il ne pouvait encore en analyser que la forme la plus immédiate, c’est-à-dire la forme anglaise, la seule qui fût alors accessible.
C’est de cela qu’aucun marxiste ne s’est avisé, en exceptant Sorel qu’on peut à peine appeler marxiste.
Enfin, voulant analyser, au moyen de cette même méthode, le développement de l’histoire, il ne le fit encore que comme le pouvait un homme de sa race, sans imagination. Ne pouvant admettre qu’il pût exister à un acte un mobile désintéressé, niant tout sursaut idéaliste ou religieux, il devait ne faire que ramener le développement de l’histoire à une série de luttes d’intérêts. Il franchit enfin le dernier pas. Considérant que tout n’est que lutte d’intérêts, il était prêt à admettre que les intérêts individuels se groupent pour aider au développement de l’histoire. Il appela classe ce groupement d’intérêts.
Le but de Marx, en ce faisant, était de définir les lois fondamentales du devenir humain et, par leur examen scientifique, d’en définir, pour l’avenir, les constantes d’évolution.
Or, après un examen que ses disciples considèrent comme minutieux de l’histoire et des doctrines économiques, il affirma que le facteur essentiel, sinon unique, de l’évolution humaine, est l’opposition constante des intérêts économiques.
Si l’on veut schématiser au maximum son point de vue, l’humanité, hiérarchie de classes économiques, oscille éternellement entre un communisme pur et la dictature d’une minorité, allant en se rétrécissant, de riches sur les pauvres. C’est ainsi que, du communisme dans la misère de la tribu primitive, on est passé progressivement à l’appropriation des ‘‘moyens de production’’ par le chef de la tribu, puis à la redistribution des biens dans la cité, puis à une nouvelle prolétarisation et ainsi de suite.
À travers de multiples convulsions, la société humaine parvient à un stade de développement où le pouvoir est à nouveau sur le point de changer de mains à une redistribution des biens est devenue inévitable. Nous allons tendre à nouveau vers une société communiste et il est nécessaire d’aider à cet ‘‘accouchement’’ pour hâter le progrès humain. Je veux comprimer encore plus son point de vue : La société humaine étant en perpétuel devenir, son évolution suit à peu près cette courbe : Une société communiste puis, partant de là, une différenciation de plus en plus poussée par appropriation des ‘‘moyens de production’’ entre groupes et classes : La domination progressive des classes riches sur les classes pauvres. Par contre, l’importance des classes riches en nombre est d’autant plus réduite que leur richesse s’accroît par, la centralisation. Il arrive, par suite, que la classe la plus pauvre représente à quelque moment un tel surnombre que l’équilibre est bientôt rompu. On retourne à une société où les biens sont redistribués. Ainsi règne une sorte de communisme, puis, tout recommence. Il s’agit, en somme, de quelque gigantesque sablier social se retournant dès que le haut, - à peu près vide d’hommes -, est plein de richesses.
Comme, de plus, la minorité dirigeante doit, de plus en plus, pour ses propres besoins, faire appel à un grand nombre d’auxiliaires puisés dans les classes inférieures, elle constitue elle-même les cadres qui la renversent et le personnel qui la remplacera. Ainsi le cycle se trouve être complet.
Il est certain que si l’homme n’est qu’un sac à besoins, une abstraction économique, le système est apparemment cohérent, et il est de plus terriblement séduisant. Qu’il est donc facile avec cela de se conduire, non seulement dans la politique mais encore dans tous les domaines de la vie. On analyse ‘‘le rapport des forces entre classes’’, pour employer la terminologie marxiste, puis, quel que soit le domaine en cause, on peut décréter que telle attitude est ou non progressive et que telle catégorie sociale l’est également ou non.
On pourrait dire encore que ces culbutes successives du sablier social sont apparemment bien observées et que les causes qu’en donne Marx sont exactes. C’est ce qui fait d’ailleurs qu’un premier examen superficiel fait autant de victimes et tant d’adhérents au marxisme.
Pourtant, si l’on reprend à la base même, l’étude du système, si l’on adopte aussi pour ce faire un point de vue matérialiste, si l’on utilise la méthode dialectique de Hegel, on peut arriver, et l’on arrive en effet, à des conclusions radicalement différentes. De plus, on explique dans ce cas, au passage, toute sorte de phénomènes historiques et sociaux que Marx et ses disciples ont laissés inexpliqués ou dans l’ombre. On constate enfin que ce ne sont pas vraiment des classes qui se sont succédé au pouvoir dans le cours de l’histoire, mais bien des races.
Les différenciations sociales n’ont été que la conséquence de différences raciales et ce n’est que comme telles qu’elles ont pu paraître influencer le déroulement de l’histoire.
La chute d’une minorité au pouvoir n’a été que le résultat de son affaiblissement racial et non la suite de la centralisation trop grande de la richesse en peu de mains.
Gobineau a eu le mérite de mettre le premier en lumière, par une analyse matérialiste de l’histoire, le rôle des luttes raciales, au cours du développement de l’humanité. Cependant, son examen plus poétique que scientifique, en même temps qu’il fait état de faits soigneusement contrôlés, fait une place trop grande à l’intuition. Il paraît, dans ce cas, dépassé par l’ampleur du sujet et le manque de moyens scientifiques de son époque. Le mythe de l’aryen pur n’est qu’un mythe, puisque, dès l’époque préhistorique, on trouve trace de mélanges raciaux, et de tous les types intermédiaires d’une race à l’autre.
Parler de race pure au sens primitif du mot serait donc un véritable non-sens. Houston Steward Chamberlain s’en est parfaitement rendu compte et, établissant qu’il n’existe pas de race pure au sens mythique du mot, il abandonna la conception gobinienne pour une notion déjà beaucoup plus scientifique : Il peut y avoir stabilisation et, dans ce cas, création véritable d’une ‘‘race’’ qui sera, par la suite, tenue pour pure. C’est là la race qu’on trouve chez le cheval, le chien, et chez beaucoup d’animaux sélectionnés. On peut naturellement arriver au même résultat pour la race humaine. Le produit trouvé le plus favorable et véritablement supérieur devant être sélectionné, puis stabilisé. Cela, naturellement, fit frémir les esprits religieux, chrétiens et autres.
Sorel, dans ‘‘Les matériaux d’une théorie du prolétariat’’ a paru, à quelque moment, deviner le problème mais ne l’a pas résolu. Après l’avoir frôlé, il s’en détourne puis n’en parle plus. Il souligna à de certains moments le caractère ‘‘anglais’’ du capitalisme analysé par Marx, il insiste sur le fait que chaque pays a connu une forme qui lui est propre du capitalisme, puis du socialisme. Il pouvait alors pousser plus loin l’étude et constater que les différences notables qu’il découvrait avaient une cause précise. Chaque pays a un socialisme qui lui est particulier non par suite de différence ‘‘nationale’’ ou géographique mais bien ethnique. Il n’est pas allé jusque-là et l’illusion nationale anti-scientifique l’a sans doute égaré. Elle égara plus encore beaucoup de ses disciples, notamment Mussolini et Lagardelle. C’est celle qui trompa péguy, tant influencé par Sorel.
Enfin, on peut ajouter que ce fut l’erreur du nazisme allemand et d’Hitler en particulier d’avoir fait aussi un racisme national au lieu de regrouper les quatre grandes races fondamentales de l’Europe sur une base nouvelle. Au moment où l’allemagne passagèrement victorieuse pouvait disposer de l’Europe, l’application de la discrimination raciale sur une base rigoureuse eût permis la création immédiate d’un équilibre, d’une série d’États racialement unis à travers le continent.
Sans doute l’entité germanique aurait alors disparu en tant que telle mais tous les problèmes qui divisent à l’heure présente le continent n’auraient sans doute pas la même acuité. Ils eussent été résolus en grande partie et de la manière la plus scientifique qui fût. Le problème si ardu des minorités lui-même ne se poserait pas de la même façon car il eût été apaisé par l’établissement d’un ‘‘droit nouveau’’. La hantise de l’’’allemagne’’ eût disparu ou se fût atténuée car elle ne serait plus apparue comme devant ou voulant dominer l’Europe. Enfin, elle eût éveillé une meilleure conscience des impératifs de défense en face des deux impérialismes rivaux, celui de l’Est et celui de l’Ouest. La vie du ‘‘troisième bloc’’ était là.
Le racisme allemand, pour n’avoir pas voulu se surmonter lui-même et se plier aux lois les plus naturelles des enseignements bio-raciaux, s’est trouvé vaincu. ainsi, de gobineau à Hitler, l’analyse historique en tenant compte des lois ethniques, n’a jamais été menée jusqu’au bout et de manière totalement scientifique. Personne n’en a tiré les conséquences utiles dans les domaines politiques et militaires.
Mais, revenons à notre point de départ : Nous avons remarqué que Marx n’a jamais tenu compte des données bio-raciales et que, s’il en a tenu compte, ce ne fut qu’en raison du racisme hébreu.
C’est pourquoi, dans l’application du système marxiste, ceux qui paraissaient le plus complètement l’accepter, s’en retournaient peu à peu quand ce ne fût qu’involontairement. Utilisant les bases du système qu’ils acceptaient, ils devaient bien vite s’opposer à Marx. Ils étaient amenés à faire intervenir des facteurs que ni Marx ni ceux qui lui étaient apparentés ne soupçonnaient.
Dès le départ, le socialisme allemand s’opposa à Marx, puis le socialisme russe avec bakounine, enfin le socialisme ‘‘jurassien’’ puis l’espagnol, se dressèrent contre des méthodes qui leur paraissaient étrangères et qui étaient celles de l’Internationale. Pour finir, on peut, avec quelque raison, admettre que le léninisme est assez éloigné du marxisme initial pour représenter une forme sociale particulière. Mais ‘‘la gauche ouvrière’’ elle-même devait se dresser contre l’état-major marxiste de la révolution d’octobre. Telles sont les manifestations les plus visibles de l’opposition fondamentale du socialisme que nous pourrions appeler ‘‘européen’’ face au ‘‘socialisme’’ levantin de Marx.
En étudiant l’homme non seulement comme valeur économique mais comme unité biologique, nous restons sur le terrain du fait concret, scientifiquement contrôlé et nous élargissons considérablement l’horizon de la recherche. Ainsi, on ne néglige naturellement aucune des données économiques qui appartiennent au développement biologique de l’homme et y contribuent, mais on commence de faire intervenir, en examinant le procès de son développement, les qualités intellectuelles et morales qui sont fournies par son origine ethnique et son hérédité.
Le développement historique cesse d’être le résultat d’une lutte pour ses seuls besoins économiques, pour devenir le résultat de la lutte pour ces derniers et pour ses revendications morales intellectuelles et autres.
Nous ne pouvons pas, pour nous, sous-estimer, dans l’analyse d’un fait historique donné, l’intervention d’un facteur moral ou religieux comme facteur secondaire et parfois comme facteur principal.
Prenons l’exemple de la conquête des colonies, nous y verrons sans doute l’intervention d’un facteur économique comme mobile principal mais nous n’entendrons pas nier que les croisades, premières des entreprises coloniales par exemple, n’aient eu d’abord pour origine une réaction morale ou religieuse. Nous n’en sommes plus comme les marxistes à opposer des ‘‘causes réelles’’ et des ‘‘prétextes’’. Nous établissons au contraire, dans chaque cas, un rapport des causes principales et des causes secondaires, les causes morales pouvant, au contraire de ce que considèrent les marxistes, être déterminantes dans une action militaire ou politique.
Enfin la lutte de classes elle-même cessera à nos yeux d’être seulement cela pour devenir un combat de sélection de deux groupes biologiques rivaux et de valeurs différentes.
Nous avons parlé ailleurs de la révolte de Spartacus et de notre façon de la comprendre. Nous ne parlerons donc ici que de la révolution russe prise comme une manifestation de la lutte des races.
Nous essaierons ainsi d’attaquer les marxistes sur leur propre terrain : Ils ont peint leur révolution russe comme une conséquence de la lutte des classes en Russie. Or, après que trente années sont passées depuis la révolution d’octobre, beaucoup de marxistes sont en peine d’expliquer comment le marxisme a pu conduire à une constitution nationaliste et impérialiste, au stalinisme pour tout dire, par le canal de la lutte de classes.
Si les marxistes purs se perdent dans des subtilités dialectiques, les staliniens du moins ne se fatiguent pas à le démontrer.
Staline a raison : Le génial Staline et c’est tout. Évitez seulement de le combattre et de le contredire. Admettez ou n’admettez pas l’infaillibilité de Staline, cela importe peu, eux l’ont admise et cela suffit largement.
Les marxistes, au contraire, qui suivent ou tentent de suivre les directives d’un Trotzky ou de marxistes encore plus ‘‘purs’’, et qui, comme Spinoza, ne veulent ‘‘ni rire ni pleurer mais comprendre’’, ceux-là se torturent le cerveau mais n’expliquent ni ne comprennent rien.
Ils ont trouvé un ‘‘Deus ex Machina’’ qui s’appelle ‘‘la bureaucratie’’ mais, selon eux, la bureaucratie n’est pas une classe. pourtant, comme depuis trente ans, elle se renouvelle ailleurs que dans le prolétariat ; Qu’elle établit ses privilèges qui deviennent pratiquement héréditaires, ils ne savent plus où donner de la tête. Les voilà devant un groupe social qui a tous les caractères d’une classe et qu’ils ne veulent pas considérer comme telle parce que le ‘‘système’’ ne la définit ni ne prévoit son avènement au pouvoir. Pauvres marxistes purs, pauvres trotzkystes réduits, au fond de leur impasse, à un onanisme politique, épuisant et stérile.
Or, la révolution russe est à nos yeux une lutte raciale comme les autres. Le malheur des torturés du marxisme est de vouloir en faire autre chose que ce qu’elle est. Ils n’en font finalement qu’un phénomène isolé, se développant à un moment exceptionnel de l’histoire russe.
Il faut, au contraire, comme nous le faisons nous-mêmes, la replacer dans le cadre de l’histoire des invasions qui, peu à peu, ont recouvert le territoire qu’on appelle aujourd’hui l’U R S S, encore que, dans les débuts de la révolution, il ne puisse être tenu compte que de la Russie d’Europe.
Il n’entre pas dans nos intentions de détailler ce développements historique encore que, pour beaucoup, ce fût utile. Nous affirmons qu’il suffit toutefois de prendre en gros l’histoire des grandes migrations qui recouvrirent l’Europe et la Russie pour mieux comprendre la Révolution d’Octobre.
Sur les quatre grands groupes raciaux qui, à l’époque historique, occupent l’Europe, ont déferlé une multitude de vagues d’invasions venues de l’Orient asiatique.
Nous admettrons, sans peine aucune, que la race pure y soit introuvable. Pourtant, ce sont deux races fondamentales qui se sont installées dans la Russie : Les turco-mongols, les finno-ougriens. Que, là-dessus, aient déferlé ensuite tous les peuples, nordiques ou asiates, ne fait rien à la chose.
Il reste que, dans un pays immense et sans communications, des couches multiples de peuples très différents, se sont superposées sans se mêler, empêchées qu’elles en étaient par le climat, et qu’une masse mongoloïde énorme a, peu à peu, recouvert le tout mais dans des proportions variables.
Il y a donc, sur tout le territoire de la Russie d’Europe, des taches raciales qui sont peut-être unies depuis longtemps sous un seul pouvoir mais qui n’en sont pas moins différentes et opposées souvent. De même que les Soviets y ont découvert une foule de langues différentes, ils eussent pu y découvrir une multitude de groupes ethniques s’ils avaient voulu admettre ou accepter leur existence et comprendre leurs oppositions.
La théorie marxiste, une fois de plus, s’opposait à la réalité vivante. Gogol eût compris la révolution russe mieux que les marxistes et que les Occidentaux. La révolution russe n’est que la continuation, de nos jours, de la lutte de Tarass-boulba contre l’Occident.
‘‘Le’’ socialisme russe n’existe pas. Les luttes sociales ne sont que des reflets de la lutte millénaire des races qui peuplent la Russie. Nous n’en voudrons pour preuve que ce fait : Chaque région, chaque tache raciale, y a eu ‘‘son’’ socialisme particulier : populisme communisant des peuples jaunes, socialisme anarchisant des Ukrainiens, marxisme des juifs, socialisme démocratique des Nordiques et des Occidentaux. Seule, la dictature brutale de la poignée de marxistes a pu maintenir jusqu’à ce jour une unité apparente, relative, du pays.
Ce n’est pas sans révoltes d’une part, sans concessions et reculs profonds d’autre part. Depuis la révolte de Kronstadt, jusqu’à la dissolution récente de la République de Crimée qui collabora tout entière avec les allemands en 1942, en passant par les épurations massives en Ukraine et aux constitutions successives, il n’y a qu’une suite infinie de luttes particulières ethniquement caractérisées.
Qu’on se rappelle encore quelques aveux de Lénine lui-même. Donnant les chiffres d’effectifs du parti en 1917, il reconnaissait qu’il n’y avait que 6.000 révolutionnaires ‘‘professionnels’’ en février. Plus tard, au moment de la NEp, il écrivait : ‘‘Nous disons toujours que nous nous engageons à toute vapeur sur la route du socialisme, mais nous oublions de dire qui est ce ‘‘nous’’. Nous, c’est la petite couche des révolutionnaires professionnels, et nous ne voyons pas que le gouffre est de plus en plus large qui se creuse entre nous et le peuple’’.
Staline est revenu à une notion plus vivante et a fait corps avec son peuple. La vie a vaincu le marxiste et le marxisme lui-même.
Staline a fait corps avec la plus large masse du peuple, c’est-à-dire que, se détachant du marxisme pur, il a fait siens les mots d’ordre et les attitudes du nationalisme conquérant de la masse mongoloïde qui l’entoure. Ceux qui n’étaient pas de même origine raciale ont été peu à peu éliminés dans les luttes ‘‘de fractions’’.
Nous voulions seulement en retrouver le mécanisme réel et voilà qui est fait.
René Binet Socialisme national contre marxisme -
Les Germains contre Rome : cinq siècles de lutte ininterrompue
Les sources écrites majeures du monde antique sont romaines, rédigées en latin. Les textes nous livrent donc une vision romaine des 5 siècles de lutte qui ont opposé le long du Rhin, des limes et du Danube, les tribus germaniques à Rome. Konrad Höfinger, archéologue de l'école de Kossina, interroge les vestiges archéologiques pour tenter de voir l'histoire avec l’œil de ces Germains, qui ont fini par vaincre. Ses conclusions : les tribus germaniques connaissaient une forme d'unité confédérale et ont toutes participé à la lutte, en fournissant hommes ou matériel. La stratégie de guérilla, de guerre d'usure, le long des frontières était planifiée en bonne et due forme, au départ d'un centre, située au milieu de la partie septentrionale de la Germanie libre. Nous reproduisons ci-dessus une première traduction française des conclusions que tire Konrad Höfinger après son enquête minutieuse.
Si nous résumons tous les faits et gestes du temps des Völkerwanderungen (migrations des peuples), nous constatons l'existence, sous des formes spécifiques, d'un État germanique, d'une culture germanique, renforcée par une conscience populaire cohérente.
• 1. Dès l'époque de César, c'est-à-dire dès leur première manifestation dans l'histoire, les Germains ont représenté une unité cohérente, opposée aux Romains ; ceux-ci connaissaient les frontières germaniques non seulement celles de l'Ouest, le long du Rhin, mais aussi celles de l'Est.
• 2. La défense organisée par les Germains contre les attaques romaines au temps d'Auguste s'est déployée selon des plans cohérents, demeurés identiques pendant 2 générations.
• 3. Après avoir repoussé les attaques romaines, les Germains ont fortifié la rive droite du Rhin et la rive gauche du Danube selon une stratégie cohérente et une tactique identique en tous points. Les appuis logistiques pour les troupes appelées à défendre cette ligne provenaient de toutes les régions de la Germanie antique.
• 4. Quand les Daces, sous la conduite de Decebalus, attaquent les Romains en l'an 100 de notre ère, les Quades passent à l'offensive sur le cours moyen du Danube et les Chattes attaquent le long du Rhin.
• 5. L'assaut lancé par les Quades et la Marcomans vers 160 a été entrepris simultanément aux tentatives des Alamans sur les bords du Rhin et des Goths sur le cours inférieur du Danube. Les troupes qui ont participé à ses manœuvres venaient de l'ensemble des pays germaniques.
• 6. À l'époque où se déclenche l'invasion gothique dans la région du Danube inférieur vers 250, les Alamans passent également à l'attaque et s'emparent des bastions romains entre Rhin et Danube.
• 7. À partir des premières années du IVe siècle, Rome s'arme de l'intérieur en vue d'emporter la décision finale contre les Germains. À partir de 350, les fortifications le long du Rhin et du Danube sont remises à neuf et des troupes, venues de tout l'Empire, y sont installées. Simultanément, sur le front germanique, on renforce aussi ses fortifications en tous points : ravitaillement, appuis, matériel et troupes proviennent, une nouvelle fois, de toute la Germanie, ce qu'attestent les sources historiques.
• 8. Sur aucun point du front, on ne trouve qu'une et une seule «tribu» (Stamm) ou un et un seul peuple (Volk), mais partout des représentants de toutes les régions germaniques.
• 9. Les attaques lancées par les Germains en 375 et 376 ne se sont pas seulement déclenchées avec une parfaite synchronisation, mais constituaient un ensemble de manœuvres militaires tactiquement justifiées, qui se complétaient les unes les autres, en chaque point du front. Le succès des Alamans en Alsace a ainsi conditionné la victoire gothique en Bessarabie.
• 10. La grande attaque, le long d'un front de plusieurs milliers de kilomètres, ne s'est pas effectuée en un coup mais à la suite de combats rudes et constants, qui ont parfois duré des années, ce qui implique une logistique et un apport en hommes rigoureusement planifiés.
• 11. Les combats isolés n'étaient pas engagés sans plan préalable, mais étaient mené avec une grande précision stratégique et avec clairvoyance, tant en ce qui concerne l'avance des troupes, la sécurisation des points enlevés et la chronométrie des manœuvres. Les sources romaines confirment ces faits par ailleurs.
• 12. Les événements qui se sont déroulés après la bataille d'Andrinople, entre 378 et 400, ont obligé l'Empereur Théodose à accepter un compromis avec l'ensemble des Germains. Ce compromis permettait à toutes les tribus germaniques, et non pas à une seule de ces tribus, d'occuper des territoires ayant été soumis à Rome.
• 13. La campagne menée par le Roi Alaric en Italie et la prise de Rome en 410, contrairement à l'acception encore courante, ne sont pas pensables comme des entreprises de pillage, perpétrées au gré des circonstances par une horde de barbares, mais bien plutôt comme un mouvement planifié de l'armée d'une grande puissance en territoire ennemi.
• 14. Ce ne sont pas seulement des Wisigoths qui ont marché sur Rome, mais, sous les ordres du «Général» Alaric, des représentants de toutes les régions de la Germanie.
• 15. L'occupation de l'Empire d'Occident s'est déroulée selon un plan d'ensemble unitaire; les diverses armées se sont mutuellement aidées au cours de l'opération.
• 16. L'armement et les manières de combattre de tous les Germains, le long du Rhin à l'Ouest, sur les rives de la Mer Noire à l'extrémité orientale du front, en Bretagne au Nord, ont été similaires et sont demeurées quasi identiques pendant tous les siècles qu'a duré cette longue guerre. Ils sont d'ailleurs restés les mêmes au cours des siècles suivants.
• 17. Enfin, la guerre qui a opposé Rome aux Germains a duré pendant 4 siècles complets, ce qui ne peut être possible qu'entre deux grandes unités politiques, égales en puissance. Cette longue guerre n'a pas été une suite d'escarmouches fortuites mais a provoqué, lentement, de façon constante, un renversement du jeu des forces : un accroissement de la puissance germanique et un déclin de la puissance romaine. Cette constance n'a été possible que parce qu'il existait une ferme volonté d'emporter la victoire chez les Germains ; et cette volonté indique la présence implicite d'une forme d'unité et de conscience politiques.
Après la victoire germanique, à la fin du IVe siècle, se créent partout en Europe et en Afrique des États germaniques, qui, tous, furent édifiés selon les mêmes principes. Que ce soit en Bretagne avec les Angles, en Espagne avec les Alains, en Afrique avec les Vandales, en Gaule avec les Francs, en Italie avec les Goths ou les Lombards, toutes ces constructions étaient, sur les plans politique, économique et militaire, avec leurs avantages et leurs faiblesses, leur destin heureux ou malheureux, le produit d'une identité qu'on ne saurait méconnaître. Il saute aux yeux qu'il existait une spécificité propre à tous les Germains, comme on en rencontre que chez les peuples qui ont reçu une éducation solide au sein d'une culture bien typée, aux assises fermes et homogènes, si bien que leurs formes d'éducation politique et éthique accèdent à l'état de conscience selon un même mode, ciselé par les siècles. Nous avons toujours admiré, à juste titre d'ailleurs, l'homogénéité intérieure de la spécificité romaine, laquelle, en l'espace d'un millénaire, en tous les points du monde connu de l'époque et malgré les vicissitudes politiques mouvantes, est demeurée inchangée et, même, est restée inébranlable dans le déclin. Le monde germanique n'est pas moins admirable pour ce qui concerne l'unité, l'homogénéité et le caractère inébranlable de sa constance: dès qu'il est apparu sur la scène de l'histoire romaine, au Ier siècle avant notre ère, il est resté fidèle à lui-même et constant jusqu'à la fin de la «longue guerre».
► Konrad Höfinger, Vouloir n°52/53, 1989. http://www.archiveseroe.eu
(Konrad Höfinger, Germanen gegen Rom : Ein europäischer Schicksalskampf, Grabert-Verlag, Tübingen, 1986, 352 S., 32 Abb.)
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Documentaire - Les Celtes - fr
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Sociétés multiculturelles, sociétés liberticides ?
Dans le prolongement de la Renaissance, les XVIIe et XVIIIe siècles ont refondé les libertés européennes : liberté de la personne avec l'habeas corpus, liberté de conscience, liberté d'opinion, d'expression et de recherche.
C'est dans ce prolongement que les révolutions, anglaise, américaine et française, ont posé les principes de liberté aujourd'hui encore en vigueur dans les grandes démocraties occidentales.
Or la transformation des sociétés européennes et américaines en sociétés multiculturelles et multiraciales change la donne. En Angleterre, la fin de l'habeas corpus est programmée. En France, la liberté d'expression est mise sous surveillance. Aux Etats-Unis, la communautarisation des relations du travail est judiciarisée.
Explications :
1. Angleterre : la fin de l'habeas corpus
Dans la suite des sanglants attentats de Londres, l'affaire de l'innocent Brésilien tué à bout portant par la police a révélé que Scotland Yard avait reçu des instructions autorisant le tir « préventif » sur les suspects de terrorisme. Et le gouvernement de Tony Blair a préparé une loi sur le terrorisme suscitant, il est vrai débat portant le délai de garde à vue à 3 mois. Il est lourd de sens que ces deux faits soient survenus au pays de l'habeas corpus !
Ils sont d'autant plus surprenants que le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau en Grande-Bretagne : depuis près de 40 ans le terrorisme irlandais y est présent. Tout comme l'Espagne a dû faire face au terrorisme basque, la France au séparatisme corse sans parler du terrorisme d'extrême gauche, des Brigades rouges (Italie), de la Fraction Armée rouge (Allemagne) ou d'Action directe (France).
Certes ces terrorismes classiques à finalités politiques (construire un Etat nouveau ou changer de société) ont été combattus et dans certains cas ont suscité des adaptations législatives mais sans que globalement les principes fondamentaux concernant les libertés de la personne soient remis en cause. Il en va différemment avec le terrorisme islamique qui présente la double caractéristique d'être à la fois domestique (ceux qui le pratiquent habitent le pays qu'ils frappent et en ont parfois la nationalité) et étranger (par la mentalité qu'il véhicule et les techniques qu'il utilise).
Il y a en effet trois différences majeures entre le terrorisme classique et le terrorisme islamique :
a) le terrorisme classique a des objectifs politiques et inscrit son action dans la rationalité occidentale ; il peut donc faire l'objet d'analyses rationnelles voire permettre l'existence d'un espace de négociation ; il en va différemment du terrorisme islamique qui est un cri de douleur de masses délocalisées et déracinées dont le centre est partout et la circonférence nulle part ; il n'ouvre pas d'espace à la négociation.
b) le terrorisme islamique ne réserve pas ses attaques à des objectifs « politiques » ou « militaires », il choisit principalement des cibles civiles. c) le terrorisme islamique utilise une arme particulière, le kamikaze, dont le mode opératoire rend évidemment plus difficile les actions de prévention et de neutralisation.
Ces trois différences majeures du terrorisme islamique avec le terrorisme classique expliquent que, pour le combattre, les Etats démocratiques sont portés à s'écarter de leurs lois traditionnelles et à se rapprocher des règles de l'état d'urgence pour faire face à des situations d'exception, perçues comme des situations de guerre. La notion de « guerre au terrorisme » porte en elle-même le germe d'un abandon de l'Etat de droit classique. Abandon d'autant plus grave qu'il est mis en uvre à l'intérieur du territoire des démocraties et que par souci de non-discrimination il s'applique à toutes les populations, y compris celles qui par leur culture ne peuvent pas être les vecteurs du terrorisme islamique.
2. France : la liberté d'expression sous surveillance
Que penser d'un pays qui défère devant ses tribunaux pour délit d'opinion des écrivains, des professeurs d'université ou de collège, des sociologues, des parlementaires, des journalistes, des humoristes, des chanteurs, des maires ? Que penser de ce pays où les condamnations pour délit d'opinion peuvent être symboliques mais déboucher aussi sur des amendes importantes ou des interdictions civiques ou professionnelles voire la prison ?
Ce pays auquel nous pensons ici ce n'est pas la Corée du Nord ou Cuba, la Chine ou la Russie, c'est la France. Au cours des derniers mois la liste des personnalités déférées devant des tribunaux ou jugées pour leurs propos est impressionnante. Il s'agit du sociologue Edgar Morin, de l'essayiste et ancien député européen Samir Naïr, de l'universitaire Danièle Sallenave, de l'écrivain italien Oriana Fallaci, de Michel Houellebecq, du rappeur « Monsieur R », du professeur d'histoire Louis Chagnon, des députés Philippe de Villiers et Christian Vanneste, de l'écrivain Jean Raspail, du journaliste Daniel Mermet, de l'animateur de télévision Marc Olivier Fogiel, de l'ancien patron de France 2 Marc Tessier, du maire UMP d'Emerainville Alain Kelyor et de l'humoriste Dieudonné. Cette liste est incomplète, elle n'en est pas moins impressionnante. Cet ensemble de personnalités de gauche, de droite ou du centre, intellectuels ou artistes, politiques ou universitaires a pour point commun d'avoir été poursuivi au titre de la loi Pleven/Gayssot/Perben) pour incitation « à la haine ou au racisme ». Nul, bien sûr, n'est obligé de partager leur propos : on peut trouver bien lourdes les provocations de Dieudonné, excessives les analyses d'Oriana Fallaci sur l'Islam, injustes pour l'Etat d'Israël les points de vue de Daniel Mermet ou d'Edgar Morin et grossières les strophes de « Monsieur R » pour qui « la FranSSe est une garce, n'oublie pas de la baiser jusqu'à l'épuiser comme une salope ». Il n'en reste pas moins que l'encombrement des bancs des tribunaux correctionnels par des personnalités aussi diverses à qui le seul reproche fait concerne leurs propos ne manque pas de mettre mal à l'aise. Car ce qui est demandé ici aux tribunaux c'est de juger des délits d'intention, des délits de mauvaise pensée. Le plus grave sans doute étant que la loi Perben II a abandonné, pour ce type d'affaires, les règles procédurales protectrices de la grande loi sur la presse de 1881 : bref, un bond en arrière, en matière de liberté, d'un siècle et demi !
Tout ceci est inspiré par une bien-pensance faite de bons sentiments : prévenir tout ce qui pourrait passer pour « des incitations à la discrimination, à la haine, à la violence, envers des personnes à raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ».
Or dans une société où les difficultés de coexistence entre communautés différentes s'accroissent, la tendance est d'incriminer de plus en plus de propos, de plus en plus d'écrits, de plus en plus de personnes, ce qui débouche sur une nouvelle pudibonderie défendue par la loi, comme en d'autres temps les lois protégeaient les croyances religieuses du blasphème.
Or cette évolution s'est faite grâce à des lois multiples généralement votées à l'unanimité ou à la quasi-unanimité.
Ce qui est plus grave encore c'est que cette volonté de contrôler les expressions semble acceptée par l'opinion publique. C'est ainsi qu'un sondage TNS/Figaro du 24/25 août 2005 affirme que 77 % des Français (contre 20 %) jugeaient « inacceptables » de « critiquer une religion ».
Si ce sondage reflète la réalité, il révèle que l'opinion a intégré l'idéologie dominante visant à gommer les oppositions de culture, de religion, de civilisation, de crainte de voir de légitimes critiques déboucher sur des conflits. Cette forme d'autocensure n'en est pas moins préoccupante.
Renoncer à toute critique des religions n'est-ce pas la négation de la vitalité dans la double mesure où l'arborescence religieuse s'est construite par la critique ou la révision des religions préalablement existantes et où le monde moderne s'est édifié à partir de la libre critique des dogmes religieux ?
Là encore le nouveau conformisme, s'il est la marque du succès du formatage de l'opinion, n'en représente pas moins une formidable régression des libertés de l'esprit.
3. Aux Etats-Unis : des relations du travail communautarisées et judiciarisées
Aux Etats-Unis, la politique dite de discrimination positive, en fait, de discrimination forcée en faveur des minorités, conduite notamment dans les universités et pour l'accès à l'emploi, est mise en uvre depuis près de 40 ans. Contestée dans certains Etats, elle n'en est pas moins appliquée avec une sévérité de plus en plus grande. On assiste ainsi à une communautarisation des relations du travail : une certaine proportion des divers emplois devant être attribuée selon des critères collectifs et non individuels aux représentants des différentes minorités raciales, et plus particulièrement aux Afro-Américains.
Cette communautarisation, qui consiste à juger en bloc la légalité de la politique d'emploi des firmes, est de plus en plus soumise au contrôle des juges : chaque année la commission pour l'égalité d'accès à l'emploi défère en effet plus de 400 cas devant les tribunaux. Ceci ne représente d'ailleurs qu'une partie de la réalité puisque beaucoup d'entreprises préfèrent négocier préventivement avec les représentants des minorités pour éviter des procès. C'est ainsi que la SODEXHO vient d'accepter de verser près de 80 millions de $ de dommages et intérêts à ses 4 000 employés noirs pour éviter un procès aussi spectaculaire que coûteux.
4. Angleterre, France, Etats-Unis : un recul massif des libertés
Ainsi dans les trois grandes démocraties modernes le recul des libertés est manifeste. Certes, il ne porte pas partout sur les mêmes sujets. La liberté d'expression reste quasiment intacte en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis (où elle est protégée par le Premier Amendement de la Constitution). L'habeas corpus n'est pas remis en cause en France. Et la judiciarisation de la communautarisation des relations du travail n'est encore qu'embryonnaire en France et en Grande-Bretagne.
Il n'empêche que si on cumule les évolutions majeures observées aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne on aboutit à la mise en uvre de pratiques liberticides : au nom de la défense de l'harmonie des sociétés multiculturelles, ce sont des politiques multitotalitaires qui se mettent en place.
Andrea Massari © Polemia 6/10/2005