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  • Quand les socialistes honorent certains exilés fiscaux...

    L’inénarrable BelKacem justifie l’exil fiscal de Tsonga et de quelques autres...

    La décoration de sportifs français exilés fait des vagues - Trois joueurs de tennis français résidant en Suisse depuis plusieurs années vont recevoir l’Ordre national du mérite. Une situation paradoxale en pleine affaire Depardieu.

    La traditionnelle promotion de la Légion d’honneur du Nouvel an a salué mardi 681 personnes, parmi lesquelles les 87 sportifs médaillés lors des Jeux olympiques et paralympiques de Londres. Sur proposition du ministère des Sports, les tennismen Jo-Wilfried Tsonga, Richard Gasquet et Julien Benneteau figurent donc dans cette promotion. Si ces trois sportifs se sont distingués pour leurs prouesses sur les terrains, ils ont également le point commun d’être installés en Suisse depuis plusieurs années.

    Trois semaines après que le premier ministre Jean-Marc Ayrault a dénoncé « le comportement peu patriotique des exilés fiscaux » et l’attitude « minable » de Gérard Depardieu après son souhait d’obtenir la nationalité belge et l’acquisition d’une propriété en Belgique, les sportifs en passe d’être décorés font sourire de nombreux internautes.

    • Tweet de l’animateur Julien Courbet :

    « Il parait que tsonga va etre décoré ??? il paie ses impots en suisse tu te rends compte que si il avait choisit la suisse gégé était décoré ».

    • Tweet de la chroniqueuse Sophie de Menthon :

    « On M Tsonga et Gasquet et ils sont exilés fiscaux ,mais la République doit décider si on décore les exilés fiscaux ou si on les insulte ».

    • Tweet de l’internaute Xavier Spanghero

    « Tsonga, déserteur fiscal et décoré de la Légion d’Honneur ou le double discours du pouvoir socialiste #Depardieu ».

    « Pas de comparaison entre Depardieu et Tsonga » La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, fait une différence entre les trois sportifs et le géant du cinéma. À la suite du Conseil des ministres jeudi, un journaliste lui demande si la nomination de Tsonga pour recevoir la décoration n’est pas délicate en pleine affaire Depardieu. Cherchant au début ses mots, elle lui répond qu’il existe « une différence à faire entre les gens qui choisissent d’habiter quelque part, parfois pour mobilité professionnelle - on en connaît tous autour de nous - parfois pour des raisons personnelles (…), et puis les citoyens français qui déclarent haut et fort s’exiler fiscalement pour éviter d’apporter leur contribution au juste effort à fournir en période de crise ».

    Plus tard jeudi et cette fois sur I-télé, Najat Vallaud-Belkacem n’en démord pas : « Monsieur Tsonga n’a jamais écrit une tribune dans la presse pour dire qu’il s’exilait fiscalement. Toute la différence avec le cas de Monsieur Depardieu, c’est que nous ne savons pas la raison pour laquelle Messieurs Tsonga et Gasquet sont installés en Suisse ». Puis de préciser : « Je ne suis pas là pour faire une chasse aux sorcières ».

    Des déclarations que certains internautes n’ont pas tardé à moquer, soulignant la « mauvaise foi » du gouvernement :

    • Tweet de Xavier Alberti :

    « Selon #NVB, « #Tsonga habite en Suisse pour des raisons de mobilité professionnelle » Si la mauvaise fois était imposable, elle paierait l’ISF ».

    • Tweet de Florence Desruol :

    « Belkacem se fiche de nous : « il y a 1différence entre Tsonga qui habite en Suisse pr mobilité professionnelle & Depardieu ».

    • Tweet de Master357 :

    « Tsonga décoré : le gouvernement tente de minimiser la polémique. Il y a les bons et les mauvais exilés fiscaux... ».

    Pour l’heure, les intéressés n’ont pas réagi à la polémique.

    Le Figaro  http://www.actionfrancaise.net/

  • J'accuse François Hollande – par le Général Antoine-Roch Albaladéjo

    J'accuse François Hollande de mensonge. Au poste qu'il occupe aujourd'hui François Hollande a tous les moyens de savoir ce qui s'est réellement passé le 17 Octobre 1961 à Paris.
    Il peut ainsi vérifier que le FLN avait décidé d'organiser une manifestation au cours de laquelle il prévoyait la destruction de quelques installations parisiennes et quelques assassinats ciblés de membres du service d'ordre et du MNA, son adversaire politique.
    Il pourra ainsi vérifier qu'il n'y eut pas 300 morts, mais 7, dont un Français, consécutifs à la violence de quelques meneurs du FLN. Quant aux 2300(!) blessés, on n'en trouve que peu de trace, sinon dans les déclarations mensongères d'anciens FLN.

    Du “VILLAGE CARTON”
    à SAINT-CYR
     
    Antoine-Roch ALBALADEJO est né à Arzew, faubourg “Tourville”, quartier plus connu sous le nom de ”Village Carton” où ses grands-parents familièrement appelés “Tio Antonio” et “Tia Fabiana” exploitaient une épicerie près de l’école. Ses parents demeuraient à Oran (Delmonte) et son père étant employé aux C.F.A. Il fréquenta l’école primaire de ce quartier où excellait un maître du nom de JUAN.
    Après de brillantes études secondaires au collège Ardaillon, il choisit la carrière des armes et entra à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.
    Au sein de la Légion Étrangère il s’imposa pour terminer au grade de Général de Brigade (Promotion du 4.12.1994), ce qui ne l’empêcha pas de s’adonner à l’écriture et d’éditer, entre autres livres, “Vol de pumas sur Caracas”.
    Aujourd’hui à la retraite il se consacre à sa famille et trouve encore le temps de s’engager dans la vie associative puisqu’il préside l’Association des Anciens d’Ardaillon et participe aux réunions annuelles des Delmontois et parfois à celles des Anciens du Cours Complémentaire d’Arzew, en souvenir de sa ville natale.
     
    J'accuse François Hollande de saboter tous les efforts faits par notre pays pour intégrer les immigrés. Comment aimer un pays dont le président fait de telles déclarations ? Chacun peut mesurer le désastre provoqué chez les jeunes maghrébins par de tels mensonges.
    J'accuse François Hollande d'avoir serré dans ses bras des Ben Bella et autre Bouteflika. Des terroristes qui ont provoqué et encouragé les pires atrocités qui n'aient jamais été commises dans le monde. Des gouvernants qui au pire ont encouragé, sinon au moins fermé les yeux sur les crimes et les tortures atroces dont furent victimes des milliers de Harkis. Un individu, Bouteflika, qui s'est acharné à éradiquer notre langue en Algérie et qui aujourd'hui se noie dans ses mensonges sur la présence Française en Algérie, dont il peut mesurer la réussite tous les jours dans son pays (prêt à demander réparations pour les ports, aéroports, hôpitaux, écoles, barrages, pétrole, gaz, etc... qu'on lui a laissés, intacts).
    J'accuse François Hollande de faire semblant d'oublier que 95% des esclaves furent vendus par leurs propres chefs de tribus Africains et que plus de 95% des Français n'avaient rien à voir avec ces crimes au fond de leurs provinces.
    J'accuse François Hollande de toujours donner raison aux ennemis de la France, d'attiser leur haine des Français et d'abaisser ainsi son pays. Ce n'est sûrement pas le rôle d'un Président de la République digne de ce nom.

    Général Antoine-Roch Albaladéjo

    http://www.francepresseinfos.com/

  • les socialistes prennent peur…

    Les ministres socialistes s’inquiètent. Quand Vincent Peillon, le ministre de l’Éducation nationale, tance l’enseignement catholique, c’est la manifestation du 13 janvier prochain qu’il a en ligne de mire, dans son viseur. Et la crainte d’un remake de 1984 et du recul de François Mitterrand devant la mobilisation pour l’école libre.

    Parce qu’il faut le dire, Vincent Peillon fait preuve, dans cette affaire, d’une rare mauvaise foi. Il a beau se targuer de philosophie, il n’en est pas moins un politicien, et parmi les plus démagogues. Expliquer, comme il le fait dans son courrier aux recteurs, qu’il appartient à ces derniers « de veiller à ce que les débats qui traversent la société française ne se traduisent pas, dans les écoles et les établissements, par des phénomènes de rejet et de stigmatisation homophobes », c’est, quoi qu’il s’en défende, insinuer, laisser entendre, accréditer l’idée que l’opposition au mariage gay fait de vous, potentiellement du moins, un homophobe. Ce que ne cessent d’ailleurs de répéter les organisations gays et lesbiennes.

    Quant à la « neutralité » dont les écoles cathos devraient faire preuve… elle ne s’applique manifestement pas à l’enseignement public. Pour preuve le couplet de l’inénarrable ministre des droits de la Femme, Najat Vallaud-Belkacem, tenu dans un collège du Loiret. Ce jour-là, évoquant le projet de loi du gouvernement, elle expliquait : « Ça veut dire que, finalement, pourront se marier des gens qui s’aiment, même s’ils sont de même sexe, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. » Et d’ajouter : « Ça va permettre plus d’épanouissement, plus de liberté, plus d’égalité dans la société. Il faut comprendre ça comme une avancée. » Un propos pas partisan pour deux sous, d’une totale « neutralité »… Il faut dire que notre ministre venait d’interroger les gamins de cette classe de Fleury-lès-Aubrais : « Ça vous choque, le mariage homosexuel ? » La moitié des collégiens avait levé la main…

    Nos ministres sont inquiets. Paniqués, même. Alors, ne reculant devant aucune grosse ficelle, ils tentent, par avance, de réduire les manifestants du 13 janvier prochain à des cathos confits dans la naphtaline, pétris de sentiments homophobes, arcboutés sur des valeurs d’un autre temps. Pas sûr qu’ils arrivent à en convaincre les Français qui sont maintenant 69 % à demander un référendum sur le « mariage pour tous ». Même si nos huiles socialistes ont reçu un soutien de taille. Et oui, Jack Lang – qui, lui, ne sent pas du tout la naphtaline – vient d’apporter son soutien à son successeur de la rue de Grenelle : « L’école doit être une oasis de respect de la neutralité politique et religieuse. » Parole d’expert…

    Robert Ménard dans Boulevard Voltaire

    http://fr.altermedia.info/

  • De la "Révolution guillotinière" à la philanthropie eugéniste

    La Révolution de 1789 ne fut pas une simple révolte contre un ordre ancien ; elle fut la déification de la révolte contre toutes les lois de la nature, contre toute transcendance et toute tradition ; il s'agissait essentiellement de refaire la création à l'image et à la ressemblance de l'Homme. Au service d'un tel "projet", les pires crimes devenaient des actes sublimes et, depuis la publication en janvier dernier du Livre noir de la Révolution française, nul ne peut croire que les atrocités de 1793 aient été de simples "bavures" dans le déroulement d'une entreprise valeureuse.
    Le professeur Xavier Martin, historien des idées politiques, l'un des auteurs du Livre noir, s'est déjà montré iconoclaste au sujet des années révolutionnaires, comme de celles du Consulat et de l'Empire. Son abondante érudition – il a lu et décortiqué tous les auteurs des "Lumières", analysé toutes les correspondances des acteurs de ce temps, tous les débats d'assemblées –, jointe à une grande finesse d'analyse, est déjà à la source d'ouvrages fondamentaux : Nature humaine et Révolution française, Sur les droits de l'homme et la Vendée, L'Homme des droits de l'homme et sa compagne, Mythologie du code Napoléon, Voltaire méconnu... dont nous avons rendu compte en leur temps. Voici qu'il "récidive" en s'en prenant à la volonté révolutionnaire de Régénérer l'espèce humaine*. L'ouvrage, sous-titré Utopie médicale et Lumières (1750-1850) montre déjà combien le matérialisme caractérise la pensée des élites de ces années-là.
    L'homme ? Une boue organisée
    Tout part du postulat nominaliste énoncé tout au long du XVIIIe siècle : il n'y a que des individus dans la nature, donc que des atomes sans volonté relationnelle. Le couple, la famille, la société ne sont pas naturels, ce ne sont que des agrégats d'individus juxtaposés par convention (par contrat, mot alors à la mode), mais cette complexité est une « dérive ». Il va falloir, explique l'auteur, « refaire du simple en tous domaines et notamment, quant au social, en déduisant rationnellement le collectif d'une connaissance mieux approfondie de l'individuel ». Or, qu'est-ce que l'homme-individu, considéré hors de toute transcendance et de toute appartenance affective, sinon « de l'organique pur », un « agencement d'organes », une « organisation », « un peu de boue organisée », comme disait La Mettrie, philosophe et médecin lui-même ? L'on voit à quelle déperdition de densité humaine aboutit une "philosophie" qui fait tout dépendre, comme disait Voltaire, des « organes » : le corporel, l'intellectuel, le sentiment, le goût, les opinions...
    Allons plus loin : tout dans la « machine » humaine n'est que « sensations ». On lit chez d'Holbach : « Toute sensation n'est qu'une secousse propagée jusqu'au cerveau ; toute idée est l'image de l'objet à qui la sensation et la perception sont dues. » Helvétius va plus loin : l'homme lui-même est réductible à ses sensations, donc à son aptitude organique à les éprouver... Il va sans dire que chez un homme ainsi considéré comme ne dépendant que de ses nerfs, le libre arbitre n'existe pas, et d'Alembert a clairement expliqué que « l'existence de la liberté n'est qu'une vérité de sentiment » (sic). Voilà le genre d'inspirateurs que la Révolution allait se donner quelques décennies plus tard pour conquérir la "Liberté"...
    Les « législateurs de l'univers »
    Alors, si tout en l'homme n'est que question d'agencement de fibres, les médecins peuvent prétendre être les mieux placés pour mettre cet homme en état d'être un bon citoyen, donc pour jouer un rôle auprès des hommes d'État réformateurs, puisqu'ils ont selon d'Holbach « la clef universelle de l'esprit humain ». À eux doit revenir aussi le soin de veiller à l'éducation des enfants, cette « matière première » dont Le Peletier de Saint-Fargeau devait dire sous la Révolution qu'elle peut être usinée pour les divers besoins sociaux. Xavier Martin voit poindre ici une « pédagogie totalitaire », avec le concours de médecins se croyant une vocation de conseillers anthropologiques auprès des gouvernants, voire de « législateurs de l'univers », comme devait les appeler un jour Joseph Fiévée. Et voici que la Révolution allait ouvrir à de telles prétentions un champ d'action illimité...
    Xavier Martin observe que la médecine fut très présente dans l'atmosphère mentale de la rhétorique révolutionnaire. Les médecins eux-mêmes n'étaient pas en grand nombre dans les assemblées, mais sont restés sinistrement célèbres. Apparaît tout de suite le prétendu médecin Marat, le « symbole de la haine sanguinaire délirante » ; ce passionné d'expériences physiques disait vouloir que l'anatomiste « dévoil[ât] les ressorts secrets qui meuvent l'âme ».
    Un « supplice d'égalité »
    Puis voici le bon Guillotin, si gentiment préoccupé des conditions d'hygiène de la salle des débats. À ce propos, il nous revient que ce brave homme avait déniché le 17 juin 1789 la clef de la célèbre salle du Jeu de Paume à Versailles où les députés s'érigèrent aussitôt, illégalement d’ailleurs, en assemblée nationale jurant de donner une constitution à la France : c'était déjà dresser la nation en un seul corps face au roi qui en avait toujours été la tête au-dessus des divers ordres. On séparait déjà la nation de sa tête... Tout un symbole !
    Mais revenons à M. Martin qui nous présente Guillotin subtilisant à un autre médecin la renommée de l'invention philanthropique qui permettrait désormais « un supplice d'égalité, d'humanité ». Les débats furent toutefois acharnés tout au long de la Révolution sur les bienfaits de la machine : une tête fraîchement coupée ne continue- t-elle pas de sentir ? Et pourquoi, lorsque Charlotte Corday fut décapitée pour avoir poignardé Marat, sa tête tranchée avait-elle rougi d'indignation quand le bourreau l'eut souffletée ?...
    Discours "médical" encore, celui qui se mit à établir entre l'homme et la femme un rapport d'étrangeté absolue. Dix ans plus tard le Code civil en resterait marqué.
    Discours médical aussi, celui sur la nation elle-même, et cela dès avant les États Généraux avec la brochure de Sieyès Qu'est-ce que le Tiers État ? On y lit : « Jamais l'on ne comprendra le mécanisme social si l'on ne prend pas le parti d'analyser la société comme une machine ordinaire. » Le savant Volney, quant à lui, faisait dépendre de la physique les principes de la morale, ce qui revenait à enlever à celle-ci son identité propre. Le comble du matérialisme...
    Il n'est pas jusqu'au calendrier révolutionnaire qui n'ait eu pour mission « d'harmoniser mécanique humaine, mécanique sociale et mécanique cosmique ». Les discours abondent où la société était assimilée à un corps dont les subdivisions seraient comme des « houppes nerveuses » envoyant les sensations au centre commun. Bien sûr, remarque Xavier Martin, cette idée de corps politique ruinait tous les corps intermédiaires représentant les forces vives de la nation. De là le centralisme jacobin...
    Le grand déblaiement
    Rien n'est innocent dans le langage : assimiler la nation à un organisme revient évidemment à parler de ses imperfections comme de maladies qu'il faut neutraliser, voire extraire, afin de ragaillardir le corps, de le "régénérer". Là est le maître-mot de la décennie. « Le terme est porteur, explique M. Martin, d'une forte charge de radicalité, en connexion avec l'aspect fondamental de table rase, donc de fondation, de refondation simplificatrice d'un donné social vétuste et complexe [...] C'est de façon logique que l'esprit fondateur de la Révolution justifie la violence initiale, laquelle techniquement est nécessitée par un besoin fondamental de "déblaiement". » Apparaît l'ombre des Carrier, Westermann, Turreau et autres massacreurs de la Vendée, ces gens dépourvus de tout état d'âme, convaincus d'accomplir une oeuvre philanthropique, de servir le progrès de l'humanité et de créer « un nouveau peuple », comme disait Le Peletier de Saint-Fargeau avant d'aller rejoindre Louis XVI outre-tombe le soir même du 21 janvier 1793.
    Qui dit régénération ne sous-entend évidemment pas médecine douce. Mais la Révolution alla plus loin : c'est « ontologiquement » qu'elle se fit « guillotinière », selon l'expression du conventionnel (et médecin !) Baudot, lequel se déclarait prêt à faire guillotiner le quart de la population alsacienne, dont un bon contingent de juifs... (Ce fut cela aussi, la Révolution !) Saint-Just exprima la "pensée" des régénérateurs avec une remarquable franchise : « Ce qui constitue une une république, c'est la destruction totale de ce qui lui est opposé. » Exterminer devenait une bonne action, il fallait même oser haïr l'homme lui-même, selon le mot du marquis de Sade, tout à fait dans l'air du temps : « L'extinction totale de la race humaine ne serait qu'un service rendu à la nature. » Ainsi se trouva épurée pour son plus grand bien la terre vendéenne transformée en cimetière... Ne l'oublions jamais : le recours aux "purges", "vomitifs", bains de sang et autres moyens d'extermination comme moyens de gouvernement, c'est la Révolution de 1789 qui en a donné l'exemple aux siècles suivants.
    De la Vendée à Auschwitz
    En fait était-il besoin du renfort "médical" pour que les Droits de l'Homme débouchassent sur de telles orgies ? Il nous semble que la Déclaration, en écrasant les hommes concrets sous le joug d'une entité collective (la « volonté générale ») et en imposant le dogme de l'infaillible souveraineté du peuple, a engendré la progression de la haine comme moteur de la vie publique. De même en ne reconnaissant d'autre distinction que celle des « vertus » et des « talents », tout en niant toute référence transcendante pour juger des "vertus" de tel individu ou groupe d'individus, les Droits de l'Homme ont laissé place aux critères utilitaires ou idéologiques pour entreprendre une "régénération".
    Ainsi chacun se trouva-t-il invité à ne plus reconnaître comme mesure de la vertu que sa propre adéquation à l'idéologie dominante laquelle faisait alors de n'importe quel envieux, ou de n'importe quel raté, une sorte de surhomme. Tous les génocides du XXe siècle ont fonctionné ainsi. Nous avons vu plus haut les juifs déjà visés par le système. L'historienne communiste Lilly Marcou n'a-t-elle pas écrit que l'impérialisme culturel des Lumières avait « contribué à une nouvelle forme d'antijudaïsme encore plus dévastateur ayant ses fondements dans un nationalisme laïc et xénophobe » 1 ? Et l'historien juif Israël Eldad n'a-t-il pas remarqué que « la dernière pierre que l'on arracha à la Bastille servit de première pierre aux chambres à gaz d'Auschwitz » 2 ?
    "Refaire l'homme"
    Revenons à Xavier Martin qui nous apprend encore mille choses sur les raisons de l'urgence de "refaire l'homme" à partir de 1789. Les travaux préparatoires au Code civil montrent bien le parallèle insistant entre médecine et politique législative. C'est d'ailleurs ce qui inspira l'introduction du divorce dans les moeurs françaises : étant donné que toute volonté relationnelle était considérée comme contraire à la nature, était-il normal, demandait Bonaparte, de forcer à vivre ensemble des êtres « organisés à part », tels que l'homme et la femme ? Notre actuel spécialiste en familles recomposées, Nicolas Sarkozy, a, en ce qui le concerne, résolu la question...
    L'idée se fit jour, alors, que les lois pouvaient déterminer les comportements (quid de la liberté ?) ; on allait « perfectionner l'espèce » et créer « un monde sans faute », d'abord en modifiant
    l'homme, entreprise jugée possible puisque, selon le docteur Cabanis – un disciple de Rousseau proche de Bonaparte –, « de tous les animaux, l'homme est le plus susceptible de recevoir toutes les empreintes imaginables ». On commencerait bien sûr par la jeunesse que le jacobin Bourdon voulait rendre « libre et docile », ce que M. Martin traduit par librement modelable, afin qu'elle se prête d'elle-même aux pulsions qu'on lui donnerait et qui, d'après d'Holbach ou Condillac, la rendraient forcément heureuse, puisque conditionnée par une passion abstraite, celle – ne riez pas – de la Liberté !.... Voilà donc l'État promu éducateur de la nation dans sa totalité, avec pour mission de régénérer même l'entendement humain. À cette fin fut créée en 1795 l'École normale (l'école qui normalise...) ; elle ferma ses portes au bout de trois mois, mais on sait depuis deux cents ans que l'idée a fait son chemin...
    Des hommes pour la pensée unique
    Vint ensuite le "médecin philosophe", ce Cabanis déjà cité, lequel allait enfin expliquer ce qu'était la perfectibilité de l'homme... L'hygiène et l'éveil des sens, autant que l'éducation et les techniques de manipulation, fêtes civiques et uniformes, devaient rapprocher toujours plus l'homme d'un « type parfait ». Mais cet homme était appelé à s'épanouir au sein de masses, de collections, d'agglomérats donc d'abstractions, seules pouvant exister dans un monde qui condamnait les communautés naturelles comme non naturelles. N'avait-on pas entendu quelques années plus tôt Allarde, l’un des deux destructeurs des corporations, dire qu'il n'y avait plus que des « collections d'individus » ? Vouloir créer un type parfait d'homme (les « hommes supérieurs » rêvés par Helvétius) et en même temps ne parler que d'hommes en troupeaux, cela peut sembler contradictoire. La solution de Cabanis est éclairante sur les futures réformes de l'enseignement en France jusqu'à nos jours. Il s'agissait en fait, explique M. Martin, d'un « parfait type moyen » réunissant en lui la meilleure « intelligibilité » (savoir en somme exceller dans la moyenne, se comporter, selon Cabanis, « de manière optimale » dans la moyenne...) et la meilleure « gouvernabilité », autrement dit la docilité. Il était bien entendu qu'il n'y aurait nulle place pour la fantaisie dans cet univers de remodelage, tout juste bon pour des « robots supérieurement téléguidables » – les hommes aujourd'hui sans visage de la "pensée unique"...
    Ce que les utopistes de la Révolution et du Consulat n'ont pas su créer parce qu'ils finirent par faire peur, les idéologues de notre temps, capables de la manière soft, ne sont-ils pas en train de le réaliser ?
    Le tri des reproducteurs
    Il est d'autres considérations qu'aborde Xavier Martin et qui font froid dans le dos tant elles sont devenues actuelles deux cents ans après. Régénérer l'espèce humaine, cela pour beaucoup viendrait nécessairement du bienfait même des lois nouvelles, car la pensée juste et le corps sain se confondraient et la "Liberté" ne pouvait qu'embellir le sang, ce sang qu'il importait d'épurer en se débarrassant du « mauvais lait », du sang impur (air connu) de ceux qui ne goûtaient pas la Liberté... Plus grave encore : la conception nominaliste, donc réductrice, de l'homme avait tant contaminé le siècle des Lumières qu'on ne croyait plus guère dans le monde révolutionnaire à la réalité d'une nature humaine. L'avortement, déjà !, était dédramatisé, et, à demi-mots, l'eugénisme également. Tandis que Condorcet souhaitait débarrasser la terre des hommes inutiles et mal faits, d'autres voulaient envoyer dans les guerres napoléoniennes des régiments de borgnes et de boiteux pour conserver les hommes beaux et forts. De là à parler de trier les reproducteurs, il n'y avait qu'un pas que d'ailleurs Voltaire avait naguère déjà franchi. De son côté, dans son Contrat social Rousseau avait dit que la vie devait « devenir un don conditionnel de l'État ».
    Certes, le rendez-vous fut plutôt manqué entre les médecins façon Cabanis et Napoléon, trop prudent pour les écouter, il n'en reste pas moins qu'ils ont laissé en France des traces pendant tout le XIXe siècle (l'auteur en cite des exemples stupéfiants). Léon Poliakov, analysant le Mythe aryen voit en Cabanis « le relais entre le scientisme des Lumières et le racisme scientifique et eugéniste du nazisme ». Xavier Martin a ici le courage de dire ce que l'on ne dit jamais, par exemple que la fondatrice du Planning familial, Margaret Sanger, « admirait l'eugénisme hitlérien ». Et cette généalogie des horreurs n'est pas close à l'ère des manipulations génétiques en tous genres...
    Assurément ce livre nous plonge en plein coeur de l'actualité, mais surtout il dérange, parce qu'il montre tout simplement que la Révolution commencée en 1789 n'a jamais été réellement close et qu'elle sévit en douceur sous nos yeux plus que jamais. On n'en sortira qu'en rejetant les idéologies dominantes et en retrouvant la liberté de voir les hommes comme ils sont.
    MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 20 mars au 2 avril 2008
    * Xavier Martin : Régénérer l'espèce humaine – Utopie médicale et Lumières (1750-1850). Éd. Dominique Martin Morin, 384 pages, 27,50, euros.
    1 Lilly Marcou : Napoléon et les juifs. Éd. Pygmalion, 2006.
    2 Israël Eldad : Essai sur la Révolution juive. Cité par Michel Gurfenkiel dans Le Livre de la mémoire. Éd. Valmonde, 1993.

  • 13 janvier, Porte Maillot, 12h30 !

    La délégation du FN  qui  participera  à « la manifestation pour tous » organisée le 13 janvier partira  Porte Maillot, en bas de l’avenue de la Grande Armée, à 12h30. 

  • Antoine de Rivarol

    Après Bossuet, qui nous a rappelé les principes immuables d'un bon gouvernement, redécouvrons aujourd'hui le journaliste indomptable dont notre journal s'honore déporter le nom et qui dans la tourmente révolutionnaire qui continue, reste un exemple à suivre...

    Antoine de Rivarol naquit le 26 juin 1753 à Bagnols (aujourd'hui Bagnols-sur-Cèze dans le Gard), où son père, dit-on, d'origine piémontaise, était aubergiste à l'enseigne des Trois Pigeons. Aîné de seize enfants, il montra très tôt de bonnes dispositions pour les études et fut reçu au séminaire de Sainte-Garde d'Avignon, mais sans réelle vocation. En 1777 il "monta" à Paris, fréquenta les salons où son esprit brillant et polémiste fit merveille, mais ne lui attira pas que des amitiés. Il connut Voltaire et collabora au Mercure de France. Sainte-Beuve devait plus tard le décrire ainsi : « Une figure aimable, une tournure élégante, un port de tête assuré, soutenu d'une facilité rare d'élocution, d'une originalité fine et d'une urbanité piquante, lui valurent la faveur des salons [...] Rivarol semblait ne mener qu'une vie frivole, et il était au fond sérieux et appliqué. Il se livrait à la société le jour et travaillait la nuit. Sa facilité de parole et d'improvisation ne l'empêchait pas de creuser solitairement sa pensée, il étudiait les langues, il réfléchissait sur les principes et les instruments de nos connaissances, il visait à la gloire du style. »
    DÉFENSEUR DE LA LANGUE FRANÇAISE
    Oui, il avait de l'ambition et son discours De l'universalité de la langue française fut en 1784 l'occasion d'acquérir une grande notoriété qui lui valut le prix de l'Académie de Berlin fondée par le roi de Prusse Frédéric II. Comparant le français aux autres langues et notre histoire à celle de nos voisins, il montrait que la langue française s'était perfectionnée au rythme de la lutte contre le désordre et le mauvais goût dans toute la société : « Enfin le bon goût ne se développa tout entier que dans la perfection même de la société ; la maturité du langage et celle de la nation arrivèrent ensemble. » Ce fut sous Louis XIV : « Le poids de l'autorité fit rentrer chacun à sa place : on connut mieux ses droits et ses plaisirs ; l'oreille, plus exercée, exigea une prononciation plus douce ; une foule d'objets nouveaux demandèrent des expressions nouvelles : la langue française fournit à tout, et l'ordre s'établit dans l'abondance. »
    C'était en fait exposer à quelques siècles de distance le Politique d'abord de Charles Maurras et énoncer une vérité qui se vérifie tous les jours dans la France d'aujourd'hui : quand le pouvoir politique laisse la société s'émietter, les communautés naturelles s'étioler, l'école se clochardiser, les gens venus d'ailleurs importer leurs sabirs, comment s'étonner que le peuple français passe de la maturité à la débilité, que notre langue même s'abâtardise et qu'elle n'inspire plus le moindre respect dans le monde ? « Le goût qu'on a dans l'Europe pour les Français, écrivait encore Rivarol, est inséparable de celui qu'on a pour leur langue et [...] l'estime dont cette langue jouit est fondée sur celle que l'on sent pour la nation. »
    L'auteur en arrive dans une très belle page au génie propre de notre langue : « Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action et enfin l'objet de cette action ; voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations qui nomment le premier l'objet qui frappe le premier. C'est pourquoi tous les hommes, abandonnant l'ordre direct ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l'harmonie des mots l'exigeaient ; et l'inversion a prévalu sur la terre parce que l'homme est plus impérieusement gouverné par ses passions que par la raison. » Façon de dire que l'étude du français est une cure de raisonnement sain.
    On sait bien que là où prédominent les parlers anglo-saxons à la syntaxe souvent bizarre, ou l'allemand mettant l'action avant la pensée, on a peut-être de quoi se livrer efficacement aux affaires commerciales ou aux épanchements sentimentaux, mais il manque de quoi approfondir une réflexion. D'où l'urgence aujourd'hui encore de ne pas laisser notre langue se corrompre par le style de tant de plumitifs qui se prennent pour des écrivains. « Une langue, disait Rivarol, vient à se corrompre lorsque confondant les limites qui séparent le style naturel du figuré, on met de l'affectation à outrer les figures et à rétrécir le naturel pour charger d'ornements superflus l'édifice de l'imagination. C'est ce défaut qui perd les écrivains des nations avancées ; ils veulent être neufs et ne sont que bizarres ; ils tourmentent leur langue pour que l'expression leur donne la pensée et c'est pourtant celle-ci qui doit toujours amener l'autre. »
    LE TACITE DE LA RÉVOLUTION
    Cet homme bien de son temps - d'un temps où, comme devait le dire Pierre Gaxotte, « il existait une Europe et elle était française », parlait français et pensait clair -, avait déjà prouvé par son discours De l'universalité de la langue française, qu'il n'était pas qu'un improvisateur spirituel. Mais c'est la Révolution qui devait opérer en lui un changement remarquable, le critique élégant et caustique du Petit almanach de nos grands hommes (1788) devenant alors le défenseur intransigeant de l'ordre social traditionnel, au point d'être salué par Edmund Burke, lui-même contre-révolutionnaire, mais anglais, comme « le Tacite de la Révolution ».
    Changement soudain ? Moins qu'on ne le croie. Nous entretenant il y a quelques années avec Éric Vatré, celui-ci nous disait très justement : « Je crois que le combat de Rivarol résulte d'une pensée politique mûrie avant la Révolution : il sait trop ce que la civilisation française et, partant, sa langue doivent à nos Rois. Lecteur positif de Montesquieu, il défend vigoureusement le principe de la continuité monarchique, ne cesse d'invoquer les nécessaires réformes de l'institution, adjurera le roi de "faire le Roi", le conseillera pertinemment (création de clubs royalistes, visites aux provinces, etc.) Mais en vain. »
    Rivarol, que Voltaire désignait comme « le Français par excellence », ne pouvait évidemment pas assister sans réagir au meurtre et au suicide de son pays. Il se mit à poursuivre de son ironie vengeresse la sottise et prétention révolutionnaires et notammant ce monstre d'ineptie que fut dès août 1789 la déclaration des Droits de l'Homme, « préface criminelle d'un livre impossible ». Dans un article des Actes des Apôtres, para en 1792, il en publia un pastiche qui, sous la dérision, ne manquait pas d'audace et de colère rentrée : «  Article premier : À compter du 14 juillet prochain, les jours seront égaux aux nuits pour toute la surface de la terre, le jour commençant à cinq heures. Article second : Au moment où le jour finira, la lune commencera à luire et elle sera dans son plein jusqu'au lever du soleil.
    Article troisième : Il régnera constamment d'une extrémité du globe à l'autre une température modérée et toujours égale. » On n'a jamais si justement montré la perfidie des révolutionnaires de vouloir recréer le monde d'après leurs principes... Il entreprit alors d'écrire l'histoire de la Révolution au jour le jour dans son Journal politique national (1792) (1) en des formules si fortes qu'elles sont passées en maximes. « Son génie, dit Jean Dutourd, était fait d'ironie, de gaieté dans l'écriture, de plaisanteries, de blâmes implacables cachés sous des louanges ambiguës, toutes choses qui font mal et qu'on ne pardonne pas. » On se souvient de M. de Launay, gouverneur de la Bastille qui, le 14 juillet 1789, « avait perdu la tête avant qu'on la lui coupât »... Façon de montrer que le pauvre homme croyait trop en la bonté naturelle de l'homme conquérant la liberté. Dans ses écrits Rivarol aimait donner la mesure exacte des prétendus grands philosophes du XVIIIe siècle. Jean-Jaçques Rousseau n'est qu'« un maître sophiste, le paradoxe incarné » Voltaire ne méritait pas d'être mieux traité : « Le dictionnaire philosophique de Voltaire, si fastueusement intitulé la Raison par alphabet est un ouvrage de très mince portée philosophique. » « J'aime mieux Racine que Voltaire par la raison que j'aime mieux le jour et les ombres que l'éclat et les taches. » Pourtant, il sut rendre justice même à Jean-Jacques : « Toutes les fois qu'il n'écrit pas sous l'influence despotique d'un paradoxe et qu'il raconte ses sensations ou dépeint ses propres passions, il est aussi éloquent que vrai. »
    Il dénonçait aussi le dogmatisme intolérant de la Révolution : « La philosophie a ses bulles et le Palais Royal est son Vatican », ainsi que son caractère passionnel : « La philosophie moderne n'est rien autre chose que les passions armées de principes » et sa violence intrinsèque : « La Révolution est sortie tout à coup des lumières comme une doctrine armée. »
    La préface du Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution (1792) (2) résume son interprétation des événements de 1789 : « C'est par un accord parfait entre le rebut de la Cour et le rebut de la fortune que nous sommes parvenus à cette misère générale qui atteste seule notre égalité. Quoi de plus injuste en effet que cette inégale distribution des biens qui forçait le pauvre à travailler pour le riche, ce qui donnait à l'argent une circulation mal entendue et à la terre une fertilité dangereuse ! Grâces au ciel, tout est rétabli dans l'état sauvage où vivaient les premiers hommes. Le parti de plus fort s'est trouvé naturellement le plus juste ; et comme tout le monde s'est mis à gouverner, les cris des mécontents ont été étouffés. »
    Dès 1791, Rivarol prévoyait Napoléon Bonaparte : « Ou le roi aura une armée ou l'armée aura un roi. » Observateur lucide et analyste pénétrant, il décrivit plus tard le processus révolutionnaire commencé dans l'euphorie, mais devant aboutir au drame et à la mise à mort du roi : « L'assemblée constituante tua la royauté et par conséquent le roi : la Convention ne tua que l'homme. La première fut régicide et l'autre parricide ». Le roi... il voulut tant l'avertir et l'aider, d'où ces mots cruels : « La sottise mérite toujours ses malheurs » ou « Autrefois les rois avaient leur couronne sur le front, ils l'ont aujourd'hui sur les yeux. »
    Rivarol, eut, comme il le dit lui-même, l'esprit méchant, mais le cœur bon. Il sut transcender sa douleur pour la faire servir à l'instruction de la postérité, et quand il dut se résoudre à l'émigration en Allemagne, il cria que l'injustice de quelques hommes ne le détacherait jamais de sa patrie. Il écrivit alors De l'homme intellectuel et moral (1797) : « Il est dur sans doute de n'avoir que des fautes ou des crimes à raconter et de transmettre à la postérité ce qu'on ne voudrait que reprocher à ses contemporains ; mais comme dit un Ancien, quand on ne peut faire peur aux hommes il faut leur faire honte. » Cet homme que l'on nous présente trop souvent comme léger, n'a-t-il pas écrit ce mot sublime à l'adresse de ceux qui depuis la Révolution tentent d'établir en France le laïcisme : « Tout État, j'ose le dire, est un vaisseau mystérieux qui a ses ancres dans le Ciel » ? Il devait mourir à Berlin le 4 avril 1801.
    On le voit, les raisons de s'enrichir intellectuellement et spirituellement en relisant Rivarol sont multiples...
    M.F Rivarol du 27 avril 2012
    1) Domaine public. Ed. Flammarion.
    2) Lire aussi Bernard Fay : Rivarol et la Révolution. Perrin 1978.
    Réédité en 1988 aux Ed. Desjonquères.

  • DE L'IMPOSSIBILITE DU SOCIALISME

    Extraits d'un texte important communiqué par François Guillaumat sur Ludwig von Mises

     En 1940,  à Genève,  paraissait le Magnum opus  de Mises :  "Nationalökonomie - Theorie des Handelns und Wirtschaftens" ("Economie politique : théorie de l'action et de la gestion")
    Cependant,  dans le chaos de la guerre,  le marché allemand lui étant presque complètement fermé,  le livre sombra sans laisser de traces,  et l'éditeur suisse fit faillite.
    Cette année même,  Mises quitta la Suisse  à la demande de sa femme  et s'enfuit par des chemins  détournés à travers la France,  l'Espagne et le Portugal,  pour s'embarquer vers New York à partir de Lisbonne.
    Tandis que n'importe quel intellectuel de troisième classe s'y trouvait un poste universitaire appréciable pourvu qu'il fût de gauche,  dans les États-Unis supposés capitalistes  Mises,  à près de 60 ans théoricien du capitalisme de renommée internationale,  se vit traiter par le mépris.
    Pendant quelques années,  il vécut sur ses économies,  et de bourses.  Il finit par obtenir un poste de professeur invité à l'Université de New York ; cependant,  son traitement n'était même pas payé par l'université  mais par le William Volker Fund, une petite fondation privée.
    En 1949  est parue Human Action,  la version américaine de son grand oeuvre :  900 pages  d'une prose claire et serrée,  d'une argumentation implacable,  logiquement rigoureuse,  expliquant étape après  étape.  La réaction des pontes de l'université  fut glaciale :  ou bien  ils condamnaient cet ouvrage  comme "réactionnaire",  ou alors ils faisaient comme s'il n'existait pas.
    Néanmoins,  ce fut pour l'ambition qui était la sienne  un succès unique de librairie,  qui fit de Mises une célébrité aux États-Unis.  Le livre est toujours réédité  depuis 1949,  et à ce jour quelque 500.000 exemplaires en ont été vendus.
    Toujours à New York,  Mises organisa un nouveau  séminaire privé,  attirant pendant près de deux décennies  des intellectuels de renom (notamment Murray Rothbard, fondateur du mouvement libertarien américain).
    En 1969,  à l'âge de 87 ans, Mises se retira  de l'enseignement. Il est mort le 10 octobre 1973 à New York.
    Mises est sans nul doute le plus grand économiste du XX° siècle.
    Nous lui devons des découvertes fondamentales  en théorie de la monnaie et de la conjoncture, sur l'impossibilité du calcul économique dans le socialisme et sur les fondements épistémologiques  de l'économie comme une logique axiomatique-déductive de l'action.
    Presque seul parmi les économistes de son temps,  Mises avait prédit tous les événements majeurs du XX° siècle :  la Grande Dépression,  ainsi que les échecs économiques du fascisme, du socialisme national  et particulièrement du communisme soviétique.
    L'effondrement économique de la dernière variante du socialisme,  celle de la démocratie-sociale,  qu'il a également prédit,  se fait encore attendre, mais il y a des signes sans équivoque que nous nous en rapprochons sans cesse.
     que cela,  et avant tout,  Mises est le bâtisseur d'un système.
    Il a intégré  toutes ses idées particulières  dans une présentation générale et systématiquement organisée  de l'ordre social  et propose,  outre une analyse critique,  un programme libéral positif  et engageant (auprès duquel des libéraux en vue comme Milton Friedman et Friedrich Hayek apparaissent -- et à juste titre –  comme de vrais sociaux-démocrates) :
    La propriété privée et l'échange mutuellement avantageux fondé sur la division du travail comme le fondement de la morale et de la prospérité économique ;  un gouvernement dont la fonction unique est de protéger  et d'imposer les droits de propriété privée,  et de l'économie de marché qui s'ensuit – en particulier,  qui s'abstient de toute intervention  « correctrice »  aussi bien dans la répartition du revenu et des richesses  qui résultent des processus du marché,  que dans le système éducatif ; et qui est confronté  à tout moment au Droit absolu de sécession  des plus petites unités  vis-à-vis des plus grosses ; enfin,  le libre échange et un étalon-or international  (et non une monnaie de papier  des hommes de l'état).
     Par rapport à Mises,  Hayek apparaît comme un démocrate-social.
     Le XXe siècle fut l'ère du socialisme - dans toutes ses variantes.  Celui qui pensait comme Mises à propos du socialisme,  devait y demeurer étranger.
    La grande star parmi les économistes  était John Maynard Keynes,  contemporain de Mises, dont il existe  différents avatars  pro-soviétiques,  pro-nazis  et démocrates sociaux,  de sorte qu'il est toujours et partout  demeuré conforme à l'esprit du temps.
    Aujourd'hui, au début du XXIe  siècle, après qu'on a essayé toutes les variantes du socialisme, le système de Keynes est en lambeaux,  et son étoile passée (pour ne pas parler de Marx).
    En revanche,  les positions prédominantes de Mises,  et du système capitaliste libéral qu'il promouvait,  sont de plus en plus apparentes.
    Il y en a d'autant plus lieu d'admirer la force intérieure de Mises,  que ses adversaires lui reprochaient  comme de l'intransigeance,  de l'entêtement,  de l'intolérance et de l'extrémisme.

  • La théorie du complot

    Chaque individu, chaque collectivité vit sur un système de représentations qui structure son univers mental, donne sa cohérence au groupe et forme la base du destin qu’il se donne ou qu’il subit. L’histoire modèle ces systèmes et donne à chaque culture une forme qui lui est propre, avec une adaptabilité plus ou moins grande. La culture d’un peuple constitue son système de référence, d’évaluation et d’explication. Elle est ce par quoi chacun « arraisonne » le monde et tente d’agir sur lui.
    Ce système d’interprétation est amené à évoluer de deux manières :
    par sa logique propre : l’Europe est passée de ce que Heidegger appelle « l’étonnement » face au monde, sa diversité, son imprévisibilité, à une tentative de reconstitution de la réalité par la Raison, débouchant sur des modèles d’explication globale du monde, en général déterministes et réducteurs. C’est ce processus que Max Weber1, puis Marcel Gauchet2 ont décrit sous le nom de « désenchantement » du monde, par les évolutions du réel qui rendent caduques les explications traditionnelles. On pourrait ainsi citer le passage de sociétés relativement stables, divisées en « états » (stande), en ordres, en corporations, avec des relations de socialité bien définies, à une société plus « anomique ».
    Expliquer sans comprendre
    Le refus de penser le bouleversement, de substituer aux modes de représentation traditionnels de nouveaux codes est le corollaire de la peur de l’historialité. Le recodage du monde sans cesse renouvelé n’est possible que si l’on accepte le changement, l’aléa, l’histoire.
    Tout cela ne va pas de soi. Un basculement social, même s’il est précédé de nombreux signes avant-coureurs, perturbe les représentations traditionnelles. La théorie du complot, ou « vision policière de l’Histoire » (Manes Sperber) constitue la réponse d’un système de représentation qui se veut universel et mécaniste aux secousses de l’histoire. À l’instar de la vision providentialiste développée par un Joseph de Maistre, mais sur un mode pessimiste, elle permet de nier le caractère fondamentalement aléatoire et tragique de l’évolution du monde.
    L’Histoire n’y est plus le champ d’affrontement de forces antagonistes. Il existe au contraire un ordre naturel et son bouleversement n’est que l’aboutissement d’un complot méthodique mené par des forces occultes guidées par une conscience démoniaque. Le chef d’orchestre clandestin peut avoir plusieurs visages, qui ont donné lieu à des mythes qui s’entrecroisent au fil des obsessions individuelles. Suivant les besoins de la cause, le démon sera juif, franc-maçon, capitaliste, synarchiste, aristocrate, papiste ou jésuite.
    Avant d’examiner les fondements de cette mentalité paranoïaque – car c’est aussi de cela qu’il s’agit – il n’est peut-être pas inutile de jeter quelques coups de projecteur sur le plus significatif de ces mythes, celui qui a déclenché les plus vives passions. C’est celui où la démence a probablement atteint le plus grand degré de véhémence et de sophistication : le mythe de la conspiration juive.
    La « conspiration juive »
    Ce n’est qu’après la seconde Guerre Mondiale que l’on s’est interrogé en profondeur sur les causes de l’antisémitisme. Certains y ont vu une manifestation des « mauvais penchants de l’homme » ou le sort malheureux d’un peuple toujours persécuté, ce qui permettait d’esquiver la question.
    En fait, c’est dans les milieux chrétiens que naît la condamnation du Juif comme être malfaisant et démoniaque. Le marcionisme oppose la bonté du Christ à la méchanceté de Iahvé. Le christianisme, qui se présente comme le Verus Israël ressent très tôt son illégitimité vis-à-vis du judaïsme. Pour justifier le « détournement » que constitue la transformation de Jahvé, protecteur d’un peuple qu’il a élu, en Dieu universel, il fallait couper le cordon ombilical. D’où les anathèmes antisémites de Saint Jean Chrysostome et de Saint Augustin. D’où la thématique du peuple déicide. En fait, ce n’est pas le meurtre réel du Christ qui est en jeu, mais son meurtre symbolique. Par leur existence, par leur foi, les Juifs témoignaient de ce que « le Christ ne pouvait être qu’un homme mort et que la foi chrétienne pouvait mourir »3. Le Juif devient l’instrument de la volonté implacable de Satan pour détruire l’ordre chrétien. « La démonisation du Juif, note Norman Cohn4, doit son origine à la propagande du clergé chrétien contre une religion rivale, le judaïsme [...] et lorsque le Juif est “démonisé”, il est inconsciemment ressenti comme une cruelle et tyrannique figure paternelle ». D’où « l’idée que le judaïsme est une organisation conspiratrice, placée au service du Mal, cherchant à déjouer le plan divin, complotant sans trêve à la ruine du genre humain ».
    Au Moyen-Âge, c’est le bas-clergé qui propage ces thèmes : assassinats d’enfants chrétiens, profanations d’hosties, empoisonnement des puits qui serait à l’origine de la Grande Peste de 1347. C’est une Providence inversée. À noter qu’au moment de l’affaire Dreyfus, un tiers des abonnés de La Libre Parole, le journal d’Édouard Drumont, sont des ecclésiastiques.
    Ce providentialisme maléfique connaîtra un fort regain à partir de la Révolution Française. « Le mythe de la conspiration juive est en fait, dit Norman Cohn, une expression profondément dégradée et déformée des tensions sociales qui se manifestèrent lorsque, avec la Révolution Française et l’avènement du XIXe siècle, l’Europe entre dans une ère de changements exceptionnellement rapides et profonds [...] D’après ce mythe, il existe un mouvement secret juif qui, grâce à un réseau d’agences et d’organisations, contrôle les partis politiques et les gouvernements, la presse et l’opinion publique, les banques et la vie économique. Le gouvernement secret est censé poursuivre un plan immémorial, afin de s’assurer de la domination universelle, et il est censé être sur le point d’y parvenir ». La domination mondiale du judaïsme, c’est celle de l’Antéchrist, et elle prélude à la fin des temps.
    De son côté, un jésuite, l’abbé Barruel, dans son Mémoire pour servir l’histoire du Jacobinisme, publié en 17975, développe l’idée que la Révolution Française trouve son origine dans une conspiration maçonnique (il versera lui aussi dans l’antisémitisme par la suite). C’est la revue des jésuites italiens, Civilta Cattolica, qui fait la synthèse de toutes ces obsessions en popularisant le thème du complot judéo-maçonnique.
    La révolution industrielle, qui bouleverse les sociétés rurales de l’Europe au cours du XIXe siècle, donne naissance à un terreau fertile pour les représentations du Juif comme instigateur souterrain et démoniaque d’une modernité destructrice des valeurs traditionnelles. Faute de comprendre le jeu des forces nouvelles et d’accepter l’irruption de l’inconnu (de « s’étonner »), la conception monovalente du monde débouche sur une terreur obsidionale. « La théorie du complot est plus satisfaisante pour l’esprit que toute autre ; dans une vision transcendante, elle semble même inévitable comme mode de lecture des souffrances d’ici-bas »6.
    À cette époque naissent d’ailleurs de nombreux écrits tendant à accréditer l’idée d’un complot juif destiné à dominer le monde après l’avoir réduit à la misère par l’usure. À l’encontre des pamphlets de Toussenel (Les Juifs rois de l’époque) et de Drumont (La France juive), ils se présentent comme des documents provenant de réunions ou de contacts entre comploteurs. Citons le Discours du Rabbin, tiré en réalité du roman d’Hermann Gœdsche, Biarritz, ou encore des textes comme la Lettre des Juifs d’Arles et la Réponse des Juifs de Constantine, toutes deux publiées en 1880 dans la Revue des Études Juives. Un autre écrit va connaître un succès plus grand encore.
    À l’origine, un pamphlet dirigé contre l’empereur Napoléon III, Le Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel, de Maurice Joly, qui paraît en 1864. Dans ce livre7, Machiavel représente le cynisme, l’exaltation de la domination sans scrupules. Un plagiat, reprenant les thèmes développés par le personnage du Florentin, paraît en 1903 dans la revue russe Znamia, proche du groupe réactionnaire et antisémite des Cents-Noirs, sous le titre « Programme Juif de conquête mondiale ». Il comporte des allusions à des événements politiques français aussi bien que russes qui permettent de le dater de 1897 ou 1898, c’est à dire en pleine affaire Dreyfus. Le texte est présenté comme le compte-rendu d’une réunion secrète des chefs du judaïsme mondial qui se serait tenue à Paris. Il avait en fait été fabriqué à l’instigation du chef du bureau parisien de la police politique russe, l’Okhrana. Mais ce n’est qu’en 1905 que commence le succès de l’ouvrage lorsque, remanié par un mystique à demi fou, Sergueï Nilus, il paraît sous le titre de Protocole des Sages de Sion8.
    L’ouvrage se répandra en Europe après la Révolution de 1917 dont les Juifs sont rendus responsables par nombre de Russes blancs. Par ailleurs, les désenchantements de l’après-guerre redonnent vie au mythe du gouvernement clandestin, où le juif-capitaliste est l’alliée du juif-bolchevik : « Juifs de Finance et Juifs de Révolution ont dicté de connivence une paix juive. Les Sémites internationaux ont réglé pas mal de choses au mieux des intérêts de la famille [...] les deux internationales de l’Or et du Sang, la Finance et la Révolution, ont à leur tête une élite de Juifs, l’une et l’autre étendent leurs tentacules à travers le monde entier » écrit G. Batault, chroniqueur au Mercure de France9. Les Juifs sont bien entendu responsables de la Grande Crise : « Maîtres de la vie économique, maîtres de l’argent, maîtres du monde moderne, les Juifs nous ont menés au chaos de la crise mondiale » écrit l’essayiste catholique Léon de Poncins10.
    Ces citations sont révélatrices d’une mentalité : d’une part on nie l’autonomie du monde en expliquant les grands bouleversements par une cause extérieure – c’est le processus de « démonisation » – et d’autre part, il faut qu’à l’instar du Bien, le Mal soit aussi unique. Cela nous mène tout droit aux thèses développées par Adolf Hitler, dont la paranoïa, au terme de cette analyse, semble presque banale, tant on y retrouve des thèmes – des mythèmes devrait-on dire – archi-usés : « [Le Juif] a dans la franc-maçonnerie, qui est complètement tombée entre ses mains, un excellent instrument pour mener une lutte qui lui permette de parvenir astucieusement à ses fins [...] À la franc-maçonnerie s’ajoute la presse comme seconde arme de la juiverie [...] par son intermédiaire, il prend dans ses filets toute la vie publique »11. Et enfin il y a la social-démocratie qui permet de capter le peuple et de parvenir ainsi à la domination. Alors, conclut Hitler, « le Juif démocrate et ami du peuple donne naissance au Juif sanguinaire et tyran des peuples ».
    Un mythe à trois pieds
    Le thème de la conspiration juive constitue ce qu’on pourrait appeler l’« idéal-type » de la théorie du complot. Dans le résumé qu’en donne Léon de Poncins, on trouve pratiquement tous les ingrédients qui composent cette théorie : « Quinze millions d’hommes, hommes intelligents, hommes tenaces, hommes passionnés, unis malgré les divergences intestines, contre le monde des non-juifs par les liens de la race, de la religion et de l’intérêt, mettent au service d’un rêve messianique le plus froid des positivismes et travaillent, consciemment ou inconsciemment, à instaurer une conception du monde antagoniste de celle qui fut pendant deux mille ans l’idéal de la civilisation occidentale ».
    On distingue donc :
    Un centre cohérent, bien désigné, poursuivant un but bien identifié et accepté de tous les « conjurés ». Cette cohésion est accentuée lorsqu’on lui donne un Maître, qui personnifie le Mal. C’est le cas lors des « révélations » de Léo Taxil qui explique, avec l’approbation du pape Léon XIII, que le diable donne ses instructions aux francs-maçons à partir de son antre secrète située sous le rocher de Gibraltar12.
    On a vu Poncins tentant d’expliquer la collusion entre judéo-bolchévisme et judéo-capitalisme. On pourrait pareillement citer le cas de Brasillach lorsque, critiquant l’ouvrage de Beau de Loménie sur Les responsabilités des dynasties bourgeoises, il range dans un même camp les grandes familles juives influentes sous le Second Empire, ignorant les conflits très vifs qui opposèrent par exemple les Pereire, qui soutenaient la politique libre-échangiste de l’Empereur, aux Rothschild, alliés à la bourgeoisie protectionniste. À défaut d’un centre bien identifié, les Juifs sont censés constituer le lien entre les forces du Mal : on parlera alors de judéo-maçonnerie, de judéo-bolchévisme, etc.
    La cohérence suppose en général institutionnalisation, qui se traduit par l’existence de centres de pouvoir et de coordination d’où partent les instructions secrètes : Grand-Orient, Alliance Israélite Universelle, Synarchie. Ces instructions correspondent d’ailleurs à un plan longuement mûri et qu’il s’agit dès lors de révéler : Protocole des Sages de Sion, Monita Secreta des jésuites, Pacte Synarchique, etc. Cette institutionnalisation est bien l’aboutissement de la réduction du Mal à une entité repérable, démarche qui témoigne d’une vision du monde refusant la pluralité.
    Une rationalité implacable : comme l’Esprit hégélien se réalise dans l’Histoire, les forces du Mal réalisent point par point leur programme. Cette force implacable atteint une dimension quasi-inéluctable. Il est d’autant plus facile de tomber dans le déterminisme (qui n’est qu’une version pessimiste de l’idéologie du Progrès) qu’il s’agit en général d’une reconstitution a posteriori, suivant le mécanisme mono-causal du bouc-émissaire : « Elle (la franc-maçonnerie) était derrière la révolution portugaise de 1910 [...] derrière la révolution Jeune turque de 1905. Elle fut mêlée à l’attentat de Sarajevo qui déclencha la guerre mondiale [...] Le grand mouvement révolutionnaire qui balaya l’Europe centrale entre 1918 et 1919 fut dirigé principalement par des Juifs et des francs-maçons » (Léon de Poncins).
    Cette Toute-Puissance, qui tient tant du Dieu-Moteur d’Aristote que de celui de la Bible, se traduit également par un réseau de ramifications omniprésent, puisque le monde d’ici-bas est celui de Satan. C’est l’image de l’araignée qui enserre le globe dans ses pattes, souvent utilisée par la propagande antisémite. On pourrait citer sur le même registre la dénonciation d’imaginaires réseaux jésuites en Angleterre lors de l’hystérie cromwellienne.
    Le mystère constitue la dernière caractéristique de la conjuration maléfique, ce qui est assez logique : sinon, ce ne serait plus une conjuration. D’autant que ce sont toujours implicitement des Puissances de Ténèbres (y compris sous une forme laïcisée) qui constituent « l’invisible gouvernement derrière les gouvernements visibles ». Il faut des images suffisamment impressionnantes pour cacher le flou sur lequel reposent ces thèses, dont la crédibilité ne peut venir que d’un appel à l’irrationnel. Il faut exciter l’imagination et non donner à réfléchir : « Les voies de la révolution dont les masses humaines et les passions qui les soulèvent constituent l’instrument sont moins impénétrables sinon moins ténébreuses que celles de la Finance. Là tout est concentré dans quelques mains insaisissables, tout se trame dans le silence et dans la nuit » (G. Batault).
    Et ce secret est probablement démoniaque : « S’ils ne faisaient pas autant le Mal, ils ne haïraient pas autant la lumière » déclare en 1738 la bulle In Eminenti contre la franc-maçonnerie.
     
    Un essai de généalogie
    On peut dès lors se demander à quel système global une telle théorie renvoie en priorité, si elle n’est que la conséquence d’un système de pensée bien défini ou si elle est un assemblage plus diffus amalgamant autour d’un noyau central des sédiments idéologiques épars. Dans son essai intitulé La causalité diabolique13, Léon Poliakov tente une explication, appuyée sur les travaux de Piaget et de Lévy-Bruhl qui, sans être inintéressante, n’est guère convaincante ; il emprunte à Piaget le concept d’« hypertrophie égocentrique », caractéristique de l’enfant : lorsque l’enfant se blesse, il tend à attribuer à l’objet qui l’a blessé une intention mauvaise. Il en fait un individu doté d’une conscience et d’une intentionnalité, en l’occurrence mauvaise, en se projetant dans l’objet incriminé. Lévy-Bruhl, de son côté, avait tenté une distinction, aujourd’hui fort contestée, entre la mentalité primitive, pré-logique, et la mentalité logique, qui serait le propre du civilisé. Le « primitif » attribue selon lui les aléas de la vie à la volonté des esprits au lieu d’en chercher les causes. En fait, le sacré ne procède pas, comme dans les religions monothéistes, d’une coupure nette (« une radicale altérité » dirait Levinas) entre le monde des Dieux et celui des hommes. Dans les religions païennes d’Europe, les « esprits » (trolls, kobolds, nixes), y compris ceux considérés comme malfaisants, sont intégrés au monde, ils font partie de la nature14 et n’obéissent pas à une volonté unique, toute puissante, qui tirerait les ficelles dans l’ombre, comme c’est le cas dans la théorie du complot. On ne peut donc réduire le complot comme vue-du-monde à une simple vision prélogique ou infantile. Il convient d’en faire la généalogie, d’en dégager les soubassements psychologiques, sociologiques et philosophiques.
    On constate d’abord qu’une idéologie de ce type relève d’une certaine forme de paranoïa. Le sociologue Peter Merkl, dans une enquête réalisée sur le groupe d’Altkämpfer du NSDAP15, a constaté que 70% des membres présentaient des syndromes paranoïdes16. La peur du complot est d’autant plus forte au sein d’un groupe qui se sent assiégé, incapable d’assumer les évolutions du réel et les vicissitudes de l’existence. D’où la tentation de se réfugier dans un arrière-monde plus satisfaisant intellectuellement. C’est une forme de complexe de persécution.
    Mais le succès de théories de ce genre au sein de l’Occident chrétien et leur regain après la Révolution Française (cf. le « complot des aristocrates », obsession des conventionnels), laissent deviner, derrière leurs manifestations psychologiques, une vision du monde relativement structurée dont la théorie du complot ne serait que l’aboutissement, une sorte de vulgate.
    Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’opposition entre les forces du Bien et celles du Mal, les forces de la Lumière et celles des Ténèbres. Léon Poliakov parle d’ailleurs d’une « causalité diabolique », Zinoviev de la « diabolectique », Norman Cohn de « démonisation ». Entre un paganisme pluriel où la lutte et le hasard sont les moteurs de l’Histoire et où l’avenir reste toujours ouvert, et un monothéisme réduisant le devenir humain à la soumission aux commandements du Dieu jaloux ou au pacte avec Satan, l’on devine où se trouve le terrain le plus fertile à cette vision policière. Pour rétablir l’ordre voulu par Dieu et menacé par les forces du Mal dotées d’une toute-puissance démoniaque, il importe de retrouver une « causalité bénéfique ». On évolue dans un univers où se combattent des arrière-mondes, où le tragique et le génie créateur de l’homme n’ont pas leur place.
    Cette vision déterministe trouve son complément dans le rationalisme historique. Déjà, Aristote parlait d’un moteur premier, mouvant les causes secondes, qui fera les beaux jours de la scolastique médiévale. À son tour, Hobbes essayera de penser le politique more geometrico. Son Traité sur les Principes Premiers (Short Tract on First Principles), qui exprime une conception strictement mécanique d’un univers réduit à un enchaînement rigoureux de causalités, prélude au Léviathan, qui jette les fondements de l’État Total, destiné à annihiler toute forme d’aléa, aléa représenté par le libre jeu de la société civile. Il y a bien une logique qui va du refus de l’aléa et du tragique au totalitarisme.
    Cette prétention à enfermer l’Histoire dans la Raison, débouche au XVIIIe siècle sur ce que Talmont appellera la « démocratie totalitaire », dont les Conventionnels de 1793-1794 fournissent le modèle. « La Révolution inaugure un monde où tout changement social est imputable à des forces connues, répertoriées, vivantes », note François Furet17. De son côté, Tocqueville a su montrer que la logique démocratique obéit à un double mouvement de décomposition et de recomposition d’un corps social. Si l’on privilégie ce dernier moment, on aboutit à une conception élitaire de la démocratie, telle qu’elle s’exprime chez Pareto, Michels ou Sartori. La démarche inverse, comme chez Rousseau, se traduit par une exigence égalitaire et une volonté de transparence du corps social. La « démocratie jacobine » repose sur le fantasme d’une société homogène, transparente, où toute différence est suspecte. L’existence ou le surgissement d’un quelconque sous-groupe distinct du Tout entraîne le soupçon de vouloir confisquer à son profit les attributs du Tout. C’est, dit Furet, « un système de croyances [...] selon lequel le “peuple”, pour instaurer la liberté et l’égalité [...] doit briser la résistance de ses ennemis ». C’est ce qui explique le développement de la notion de complot sous la Convention et de « sabotage » en Union Soviétique.
     
    La vie n’est pas un complot, mais un combat
    L’idéologie du complot, c’est l’opium des vaincus. Les vaincus de l’Histoire expliquent pourquoi ils ont perdu, comment l’« Ordre Naturel » a été remplacé par la domination du Mal. C’est une idéologie du ressentiment. C’est aussi ce par quoi les perdants compensent leur amertume : ils sont malgré tout des « initiés » ; ils savent, eux. La formation d’une contre-conspiration d’initiés les valorise. Valorisation illusoire, qui ne change rien à la situation, mais qui leur met du baume au cœur. Que les nostalgiques du stalinisme dénoncent les complots de la Nouvelle Droite, cela ne rétablira pas le Mur de Berlin ni n’effacera les catastrophes et les massacres engendrés par le « socialisme réel ».
    L’idéologie du complot, c’est le refus du tragique, le rêve d’un monde définitivement pacifié, d’une « solution finale » au problème de l’Histoire. À la figure transcendante du Mal, essence intemporelle dont les maçons, les juifs et les sorciers ne sont que les visages contingents, doit s’opposer celle tout aussi transcendante du Bien. Le Bien, ce sera le retour à l’Ordre, la Morale, l’Égalité. Cette eschatologie qui ne dit pas non nom doit s’imposer (pas question de libre choix), sans être trop regardante sur les moyens, qu’il s’agisse des bûchers ou des camps de concentration. Le Mal agit dans l’ombre, de manière déloyale ; le Bien a donc tous les droits : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté ». On ne combat pas l’ennemi, on l’extermine. Si tout conflit est moral, alors il faut terrasser définitivement les suppôts de Satan, ceux qui s’opposent au déploiement de l’ordre naturel comme fin de l’Histoire et triomphe du Bien. Le Mal doit être éliminé pour faire place au Bien (le Reich de Mille Ans, la société communiste, le Nouvel Ordre Mondial). Il ne s’agit rien de moins que de légitimer un « contre-complot » autoritaire.
    L’idéologie du complot repose en Occident sur une vision du monde bien précise, celle véhiculée par un christianisme oublieux de son héritage européen, païen et plurivocal, et fasciné par la tentation d’une transcendance absolue, incarnée par un dieu unique, tout-puissant et hors du monde. Dans cette vision, comme dans la caverne de Platon, le monde n’a pas de consistance. Il n’est que le théâtre de l’affrontement du Bien et du Mal. Dès lors, il ne s’agit pas de s’ouvrir au monde, de le comprendre. Il faut au contraire en déceler le sens caché, qui est donné a priori. On ne cherche jamais ce que l’on sait déjà. Il faut trouver les traces, les indices du complot. Il s’agit bien d’une vision à la fois policière et morale du monde, où la pensée est bel et bien abolie, où les coupables sont désignés par avance. Il n’y a plus qu’à les démasquer. Derrière le monde, il faut dénicher l’arrière-monde, où se tient la vérité. La vie n’est plus une quête, une écoute, un étonnement. L’oubli de l’Être laisse la place aux hallucinés des arrière-mondes. L’idéologie du complot, c’est le degré zéro de l’intelligence.
    À cette tentation de l’Absolu Moral, à cette paranoïa toujours à la recherche des traces de soufre laissées par la présence du Mal, à ce refus de comprendre, il faut opposer un retour au Tragique. Le Tragique, c’est l’approbation du monde, c’est l’idée que la vie est un combat, qu’à la nuit succède l’Aurore, que l’Histoire n’a pas de fin. Il n’y a pas de Main Cachée, ni de chef d’orchestre clandestin. Il y a des volontés qui s’unissent ou qui s’opposent. Il y a la vie. « L’avenir, dit un des personnages de Montherlant18, est dans les volontés, non dans les prophéties ». Il en sera toujours ainsi.
    Un monde sans complot ?
    On a vu que c’est précisément du fantasme d’une société égalitaire et transparente que s’est nourrie à l’époque moderne la théorie du complot. Dès lors se pose la question : l’aspiration, dans les sociétés contemporaines, à une transparence des relations sociales et à l’égalité politique rendrait-elle impossible l’existence de ce type d’organisation occulte ou conspirative ? Pour répondre à cette question, il convient d’abandonner la démarche qui, de Rousseau à Habermas, occulte la question essentielle, à savoir celle du pouvoir.
    Dans une société très hiérarchisée, le pouvoir est bien identifié. Dans une société plus complexe, plus anomique, le pouvoir se donne moins à voir ; sa nature plus informelle le rend moins perceptible. Ses sources peuvent être multiples et passent en grand partie par des réseaux qui s’entrecroisent et jettent ainsi un voile d’opacité qui s’oppose à la lisibilité immédiate des relations sociales.
    Certains réseaux peuvent être très anodins. L’adhésion au Rotary Club permettra au notable de Romorantin ou de Perpignan d’obtenir pour son fils un emploi à la Chambre de Commerce locale ; il serait pourtant abusif de considérer cette association comme une vaste conspiration aspirant à la domination mondiale. La démultiplication des instances de pouvoir favorise l’émergence de groupes d’intérêts ou de pression qui peuvent s’avérer extrêmement efficaces. Aux États-Unis, le poids des « lobbies » et des caucuses au service d’intérêts particuliers constitue une sérieuse remise en cause de la souveraineté du peuple affirmée dans la Constitution. Mais plus on est loin de ces réseaux, plus grande est la tentation de les imaginer comme un tout cohérent, mystérieux et doté d’une force irrésistible. Le problème devient plus aigu encore lorsqu’il ne s’agit plus de faire valoir des intérêts catégoriels, mais de faire main-basse sur le politique. Par son influence sur une grande partie de la classe politique française pendant plus d’un siècle, le Grand-Orient, principale obédience maçonnique française, a fait couler beaucoup d’encre, en particulier dans les milieux catholiques (cf. la fameuse « affaire des fiches »). Plus encore que par sa dimension fermée (le secret des loges), cette société de pensée a dû son influence à sa proximité avec le Parti Radical, partenaire obligé de presque toute configuration ministérielle durant cette période, mais aussi au fait qu’elle personnifiait les aspirations idéologiques d’une petite bourgeoisie que Gustave Flaubert a raillé sous les traits de Monsieur Homais.
    Créée à l’initiative de John Rockfeller, ancien président de la Chase Manhattan, la Commission Trilatérale connut son heure de gloire dans les années 70, surtout après que deux de ses membres, l’américain Jimmy Carter et le français Raymond Barre, fussent propulsés sur le devant de la scène politique, qu’ils quittèrent d’ailleurs quelques années après à la suite de revers électoraux retentissants. Rassemblant hommes politiques et dirigeants des grandes firmes américains, européens et asiatiques, la Trilatérale fit couler beaucoup d’encre chez ses adversaires, qu’il s’agisse de la droite radicale ou de la gauche marxiste. Prônant un saint-simonisme new-look (la fin du politique, l’avènement des gestionnaires), la Trilatérale n’est pas une officine clandestine dont les membres se réunissent dans les caves. La plupart de ses rapports font l’objet de publications officielles. Il est néanmoins vrai que le plus controversé d’entre eux, prudemment intitulé Crisis of Democracy19, contenait des thèses reflétant l’aversion de cette bourgeoisie qui se veut transnationale pour la souveraineté des peuples et donc pour la démocratie. Mais dénoncer les thèses mondialistes20 et leur penchant pour un libéralisme à la Pinochet est une chose, fantasmer sur l’existence d’un gouvernement mondial secret, nouveau pacte synarchique aux ordres du Big Business en est une autre. Pourtant, le démantèlement récent par la justice italienne de la loge P2 et de l’organisation de tête de la mafia (la fameuse « coupole ») a permis de démontrer que la déliquescence des structures politiques peut permettre à des organisations de type conspiratif, fondées sur la manipulation et le secret, de prendre une ampleur considérable, de noyauter massivement et durablement les institutions d’un pays et de lui imposer ses volontés. Il n’est pas exagéré dans ce cas de parler de complot. À l’inverse, le succès – au moins apparent – de l’opération mani pulite (« mains propres ») tendrait à prouver que cette hégémonie peut être combattue victorieusement.
     
    Un vestige du passé ?
    Si l’on fait exception des fantasmes auxquels donnèrent lieu il y a quelques années les réunions de la Commission Trilatérale ou du Groupe de Bilderberg21, ou de la résurgence du « conspirationnisme judéo-maçonnique » à propos de la loge Bnaï-Brith, le discours complotiste semble, à première vue, en nette régression.
    À cela, on peut avancer deux causes :
    Le mouvement de sécularisation de la pensée a touché très fortement le christianisme (et en particulier le catholicisme) qui avait, on l’a vu, constitué le socle principal de cette vision du monde. Régression quantitative d’abord : les valeurs chrétiennes ne sont plus aussi « hégémoniques » (au sens gramscien) qu’elles ont pu l’être dans le passé sur les sociétés européennes. Évolution qualitative également, dans la foulée du concile Vatican II (1959-1962) qui tend à relativiser la dichotomie Bien-Mal et à revaloriser la vie terrestre. Les groupes dits « intégristes »22, héritiers de Pie X et du Syllabus, tels que la Fraternité Pie X (dont nombre d’adeptes se sont ralliés à l’église officielle après le décès de son fondateur Marcel Lefebvre) en Europe, ou le mouvement Tradition-Famille-Propriété (qui subit la concurrence de Causa, émanation de la secte Moon) en Amérique Latine, sont en régression. Il n’est pas certain en revanche qu’il en soit de même aux États-Unis, où l’imprégnation des esprits par la mentalité biblique est encore – et souvent sous des aspects aberrants – très vivace. Au pays des sorcières de Salem et du sénateur McCarthy, le désir de normalisation, exacerbé par le caractère de plus en plus hétérogène de la société, constitue toujours un terrain fertile pour les discours de type conspirationniste. On estime que les sectes satanistes, rendues célèbres par l’affaire Charles Manson23, compteraient environ deux millions d’adeptes, soit environ 1% de la population du pays. Diverses sectes contribuent à la production d’une abondante littérature complotiste, dénonçant bien souvent une secte rivale24. Depuis Docteur Folamour, où Stanley Kubrick met en scène un colonel fou obsédé par un complot communiste visant à empoisonner les réseaux d’eau potable de New York, jusqu’à Coup Double, où Arnold Schwarzenegger incarne un policier soviétique qui, allié à un collègue américain, s’attaque à une conspiration visant à saboter la Détente, le thème du complot est très présent dans le cinéma américain. Plus récemment, une abondante littérature anti-japonaise25 utilise également la thématique du complot. L’ouvrage du colonel Ardant, Le Péril Jaune, paru au début du siècle en France, deviendra-t-il un best seller aux États-Unis ? Un groupuscule dissident du Parti Démocrate, fondé par un certain Lyndon La Rouche diffuse en Europe, sous le nom fallacieux de « Parti Ouvrier Européen », une littérature fortement marquée par la thématique complotiste. Son journal, Nouvelle Solidarité, démontre notamment comment les services secrets britanniques et les écologistes, manipulés dans l’ombre par les jésuites, utilisent le FMI pour imposer un nouveau type de fascisme.
    L’autre facteur explicatif serait une déliquescence du rationalisme classique fonctionnant suivant un enchaînement strict de causalités, au profit d’une vision plus systémique : la société est perçue comme un ensemble de relations complexes et d’interactions où le chef d’orchestre clandestin et tout puissant n’a plus sa place. Cette tendance, amorcée dans les années 50 par la sociologie fonctionnaliste américaine (T. Parsons) s’est vue renforcée récemment par la pensée « post-moderne », incarnée par des auteurs tels que Jean-François Lyotard ou Giovanni Vatimo. Paradoxalement, cette perception que « le monde est compliqué », amplifiée par la surabondance d’informations dont il est difficile de faire la synthèse, peut être l’occasion d’une réapparition, sous des formes renouvelées, de discours faisant appel à une version laïcisée de la « causalité diabolique ».
    Si la théorie du complot a pu dans le passé être considérée, non sans raison, comme une « forme droitière de la paranoïa »26, elle n’a jamais été, tant s’en faut, l’apanage de la droite chrétienne. À la France Juive de Drumont répond Les Juifs, rois de l’époque, du socialiste Toussenel. La Russie soviétique fera également un usage immodéré de la théorie du complot pour justifier les vagues d’épurations successives décidées par Staline : au « complot des ingénieurs » succèderont ceux des droitiers-boukharinistes, des zinovievistes, des militaires, etc. Le thème du complot juif connaîtra un vif regain à l’occasion de l’affaire Slansky ou du « complot des blouses blanches » en 1952. Quelques années plus tard, la Chine maoïste fonctionnera de la même manière. Il faut néanmoins noter que l’optimisme révolutionnaire (ou, pour les plus modérés, la volonté de « changer la vie ») de la gauche européenne, s’appuie sur une culture politique qui se veut analytique et agonale, peu compatible avec la théorie du complot. Mais la chute du communisme en Europe de l’Est et les désillusions consécutives à l’enlisement gestionnaire de la gauche française (où à l’enlisement mafieux de la gauche italienne) laissent un grand vide. L’énergie déployée jusque là dans la lutte des classes va s’investir dans la course à la réussite individuelle ou l’engagement humanitaire. Parallèlement va (res)surgir avec une force renouvelée le mythe de la conspiration fasciste.
    L’antifascisme a longtemps été un thème porteur – et rassembleur – à gauche. En 1934, il permet aux partis communistes européens de se réconcilier avec une social-démocratie jusque là qualifiée de « sociale-fasciste ». Le fascisme français, ce sera pour le Front Populaire les anciens combattants regroupés autour du colonel de la Roque (que la presse collaborationniste appellera quelques années plus tard « Casimir l’enjuivé » et qui mourra en déportation). Pendant les 25 années qui suivirent la fin de la seconde Guerre Mondiale, la gauche (qui se retrouve pour dénoncer le « danger fasciste » incarné par de Gaulle en 1958) est relativement divisée, jusqu’à la signature du Programme Commun en 1972. À l’exception des militants anti-nucléaires qui dénoncent la montée de l’« électro-fascisme », la bête immonde semble définitivement enterrée. Quand Jean Ferrat chante « Ne me dites pas qu’en France nous sommes à l’abri / Des Pinochet en puissance qui travaillent aussi du képi », c’est surtout pour mettre un peu de piquant dans les merguez de la fête de l’Huma. On pense surtout à préparer les lendemains qui chantent. Mais deux ans après l’élection de F. Mitterrand, c’est la douche froide. Entre la défense des grands équilibres à la Bérégovoy, le culte du fric à la Tapie et le moralisme à la Kouchner, les « barbus » se sentent orphelins. Dans le même temps, les revendications identitaires, occultées par des années d’hégémonie marxiste ou progressiste, refont surface tant en Europe que dans le Tiers-Monde. Comme jadis les émigrés de Coblence, les militants déboussolés retrouvent chez les successeurs de l’abbé Barruel des raisons de se battre. Mais cette fois-ci le combat est défensif. Le ventre fécond a donné naissance quasi simultanément à Le Pen, Saddam Hussein et Milosevic. La France ne demanderait qu’à devenir un vaste melting pot, les ex-Yougoslaves ne demandent qu’à s’embrasser et les Arabes se soumettraient volontiers au Nouvel Ordre Mondial si à chaque fois des diablotins nationalistes n’agissaient dans l’ombre pour faire obstacle à l’Ordre Naturel. Peu importe que Le Pen ne soit que modérément arabophile, que les islamistes soutiennent les musulmans bosniaques ou que des nationalistes français ou allemands se battent contre les Serbes sous l’uniforme croate, les « vigilants » vont s’acharner à démontrer la cohérence du Mal, comme hier Léon de Poncins décrivait l’alliance du juif-bolchevik et du juif-capitaliste. Si Drumont tentait de démasquer le « Juif vague », ses successeurs s’inquiètent de la « banalisation du fascisme », qu’il s’agit de traquer partout27.
    Le complot des « rouges-bruns », c’est à dire l’alliance d’une extrême-gauche néo-stalinienne et une extrême-droite fascisante, fit au cours de l’été 1993 la une de certains journaux de gauche français (Le Monde et Le Canard Enchaîné en particulier). Une analyse de ces textes fait ressortir une étrange ressemblance avec ceux de Poncins. On y retrouve la même dialectique acrobatique visant à unifier en un tout cohérent (toujours la cohérence du Mal) des idéologies opposées, mais qui se réconcilient soudain pour mener à bien leurs noirs desseins. Les arguments qui justifiaient le rapprochement des juifs capitalistes et des juifs bolcheviks au sein d’une même conspiration, sont réutilisés presque à l’identique pour « expliquer » le rapprochement de fantomatiques staliniens et fascistes, surgis mystérieusement des décombres de l’Histoire ; là encore, la thématique complotiste sert à justifier l’injustifiable, qualifié cette fois-ci de « vigilance ». Au printemps 1994, un universitaire allemand sera violemment attaqué et roué de coups sur le campus de l’université de Nanterre. Le groupuscule responsable de cette agression tentera de se justifier en affirmant détenir un « dossier » sur la victime. Mais, contrairement à son prédécesseur, ce « protocole » ne sera pas dévoilé.
    On retrouve bien, sous des formes renouvelées, des structures mentales caractéristiques de la paranoïa complotiste, et en premier lieu le refus de comprendre le monde dans lequel on vit.
    Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bêtise immonde.
    Points de vue n°11, 1994  Michel Carlier http://grece-fr.com
    1. Max Weber, Le savant et le politique, UGE 10-18, 1971.
    2. Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Gallimard, 1985.
    3. G. Langmuir, Ni Juif ni Grec.
    4. Norman Cohn, Histoire d’un mythe, 1967.
    5. Augustin Barruel, Mémoire pour servir l’histoire du jacobinisme, Éditions de Chiré, 1973.
    6. Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, t.4.
    7. Le Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel, Paris, 1864.
    8. cf. Les Protocoles des Sages de Sion, (sous la direction de Pierre-André Taguieff) Berg International, 1993.
    9. G. Batault, Le problème juif.
    10. Léon de Poncins, L’internationale du sang et l’internationale de l’or.
    11. Adolf Hitler, Mein Kampf, NEL, 1934.
    12. cf. L’Histoire, avril 1991.
    13. Léon Poliakoff, La causalité diabolique, Calman Levy.
    14. cf. H. Heine, De l’Allemagne, réed. Poche Pluriel.
    15. Peter H. Merkl, Political violence under the Swastika : 581 Early Nazis, Princeton University Press, 1975.
    16. Sur les rapports entre théorie du complot et paranoïa, cf. B. Schiavetta « Conspirationnisme et délire », in « Le complot », Politica Hermetica, n°6, 1992.
    17. François Furet, Penser la Révolution Française, Gallimard.
    18. Montherlant, La guerre civile, NRF, 1938.
    19. M. Crozier, S. Huntington, T Watanuki, Crisis of democracy, New York, 1975.
    20. cf. Charles Levinson, Vodka Cola, Seuil.
    21. Fondé à l’initiative du prince Bernhard des Pays-Bas, le Bilderberg Group a subi le contrecoup de l’implication de son fondateur dans le scandale Lockheed.
    22. Il existe d’ailleurs toute une littérature intégriste sur Vatican II comme aboutissement d’un complot « moderniste ».
    23. À la tête de ses disciples, Charles Manson, leader d’une secte sataniste, avait assassiné l’actrice Sharon Tate, épouse du metteur en scène Roman Polanski.
    24. cf. Masimo Introvigne « Quand le diable se fait Mormon », in « Le complot », Politica Hermetica, n°6, 1992.
    25. cf. notamment Agents of Influence ou The Coming War with Japan.
    26. Xavier Rihoit, « La théorie du complot, forme droitière de la paranoïa », in Le Choc du Mois, n°31, juillet 1990, p. 27.
    27. Y compris au fond de nous-mêmes, comme nous y invitent André Glucksman ou Tzvetan Todorov.