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Le PCF & les intellectuels (1920-1937)
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Que fait le Secours catholique aujourd'hui ?
Worou-Kenou est un vétéran de l'action humanitaire. Tourné davantage aujourd'hui vers le domaine africain, il a accepté de nous parler du Secours catholique dont il est un ancien membre.
Que pensez-vous de l'histoire de Cécile Duflot, ministre du Logement, qui prétend exercer son droit de réquisition sur des bâtiments religieux inoccupés pour loger les SDF pendant l'hiver ?
Je crois que l’Église n'a aucune leçon à recevoir dans le domaine de la charité collective. L’Église de Paris, depuis plusieurs années, sans aucune aide de l’État, a lancé l'opération Hiver solidaire, dans des salles paroissiales ouvertes pour la mauvaise saison, et cela d'ailleurs en partenariat avec des bénévoles du Secours catholique et de l'Ordre de Malte. On peut citer, mais ce n'est pas exhaustif, des églises comme Saint-Léon ou Notre Dame de l'Assomption, qui pratiquent l'accueil des sans-logis. C'est un véritable mouvement de fond dans le diocèse. Je ne compte pas les nombreux vestiaires, les associations paroissiales et les initiatives chrétiennes qui fleurissent un peu partout.
Que fait le Secours catholique pour l'hébergement des sans-logis ?
Le Secours catholique ne gère pas d'hébergement. Il s'en est remis pour cela à une filiale, l'association des Cités, son antenne professionnelle. J'insiste sur le fait que l'association des Cités est purement laïque, elle n'a plus aucun lien avec l'Église de France. C'est ainsi qu'elle peut soutenir des opérations du Planning familial ou distribuer des préservatifs. Le Secours, lui, a des bénévoles qui font de l'accueil de jour, en proposant des permanences juridiques (utilisées par les « sans-papiers » mais pas seulement) et surtout une atmosphère de convivialité avec les personnes en détresse, que l'on cherche à accompagner pour les aider à s'en sortir. Typiquement chrétien en cela, le Secours entend proposer autre chose que la logique de l'assistanat et de la « co-construction de la réinsertion ». Il cherche à accueillir la personne, à voir son projet, à la responsabiliser et à développer son potentiel. Par exemple, cette année, à ce que je sais, c'est un SDF, cuisinier, qui s'occupe d'un repas de Noël comportant 130 personnes. Le SDF prend tout en charge, des commandes à l'assiette. Et il y a ainsi dans Paris cinq accueils de jour pour les SDF, recevant de 20 à 100 personnes chaque jour : ils sont animés uniquement par des bénévoles (les professionnels sont en amont dans l'organisation générale).
Il n'y a pas de crise pour vous ?
Détrompez-vous ! Je crois que l'on commence à voir une crise du bénévolat, qui est un écho de la crise qui secoue l'Église. La génération 68, là comme ailleurs, n'a pas transmis et les effectifs vieillissent. Certes, il y a une nouvelle génération. Mais elle est souvent beaucoup plus exigeante au niveau de l'engagement spirituel et crée d'autres mouvements.
Je pense à l'APA (Amitié Partage Appartements) de Martin Choutet, ou à Aux Captifs la libération, une association, c'est vrai, qui a du mal à vivre sa professionnalisation : quand on reçoit des subventions de l'État, on est obligé d'être beaucoup plus neutre ! Mais au départ, elle s'était fondée sur un dynamisme spirituel très important. De cette jeune génération de bénévoles, qui travaillent avec L'Emmanuel ou l'APA, on peut dire qu'ils n'ont pas peur d'être catholiques, ils mettent le Saint-Sacrement au cœur de leur engagement et en même temps, ils se sont affranchis de tout ce qui est sclérosant chez les catholiques « de gauche » et de ce qu'il y a de communautariste chez les catholiques « de droite ».
Comment le Secours a-t-il vécu l'élection de François Hollande ?
Pour le Secours catholique, cela a été un grand soulagement, comme la réponse à une longue attente.
Très critique vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, et aussi de Christine Boutin, auxquels il reprochait une « stigmatisation des pauvres » et une politique inégalitaire, le Secours est aujourd'hui très constructif avec le nouveau gouvernement, dont on cherche toujours à excuser les carences avec des formules comme : « Malgré une évidente bonne volonté... »
Au siège du Secours, j'ai moi-même pu voir de petites affiches anti-UMP. L'actuel président du Secours catholique, François Soulage, rocardien de toujours, vient d'ailleurs de publier avec Guy Aurenche, président du CCFD, un ouvrage qui s'intitule Le pari de la Fraternité, dans lequel il exhorte l’Église à « sortir de l'ornière du conservatisme ».
Quand vous pensez que le président du Secours est statutairement nommé par les évêques de France, vous comprenez que l'engagement politique des laïcs reste un problème dans notre Église.
Que penser du Motu proprio signé le 1er décembre dernier par Benoît XVI sur Le service de la charité ?
C'est le reflet d'une politique de reprise en main des organisations internationales par le pape. Je pense à Caritas internationale, dirigé par le cardinal Maradiaga et dont la secrétaire générale Lesley-Anne Knight a été éconduite par le Vatican, en 1991, au motif que, malgré ses grandes compétences techniques, elle ne mettait pas en valeur l'aspect évangélique de Caritas. Ces nouvelles mesures romaines suscitent une profonde incompréhension de la part d'un François Soulage. Pourtant, le Secours catholique est l’antenne française de Caritas internationale.
Quel est l'enjeu de cette reprise en main ?
Je citerai un Africain, le président du Conseil pontifical Cor unum, le cardinal Robert Sara, déclarant récemment sans prendre de gants « L'homme ne vit pas seulement de pain. La charité n'est pas que de la philanthropie mais un authentique don de soi ». Les catholiques blanc de gauche, qui n'arrêtent pas de parler de l’Autre, ne comprennent plus ce langage si foncièrement chrétien de l'ancien archevêque de Conakry…
Propos recueilli par Alain Hasso monde & vie 26 décembre 2012Lien permanent Catégories : actualité, France et politique française, lobby, religion, social 0 commentaire -
Damas : banlieue éloignée de Moscou…
Le 13 février, le fondateur du « Réseau Voltaire », Thierry Meyssan, intervenait sur la première chaîne de télévision russe pour révéler que la Syrie aurait fait prisonniers une douzaine de militaires français. Le 26 février, le chiffre "confirmé" était de 18 captifs. Fait avéré ou désinformation ? Malheureusement, ceux qui dénigrent Meyssan - chez lequel l'on trouve certes à boire et à manger - se croient toujours obligés de rappeler ses doutes et interrogations relatifs à la percussion, le 11 septembre 2001, du Pentagone par un avion de ligne. Cela pour discréditer ses propos actuels en le faisant passer pour un affabulateur patenté.
Or, si ces gens étaient mieux informés, et s'ils avaient consenti l'effort minimum de s'intéresser quelque peu à la question, ils seraient à l'évidence moins péremptoires. Aussi, lorsque l'on veut mettre en doute les faits et chiffres produits aujourd'hui par Meyssan, la meilleure façon de procéder ne paraît pas de disqualifier a priori Meyssan en prenant pour référence l'affaire du "Pentagate" (1), thème sur lequel les professionnels encartés et soi-disant qualifiés feraient mieux d'adopter un profil bas sachant que 58,4 % des Français ne croient pas - et pour cause - à la thèse officielle relative aux attentats du 11/9 [sondage juin 2011] ! En Allemagne ce sont 89,5 % de sceptiques et aux États-Unis, un gros tiers des Américains. Si donc les gens de presse tenaient compte de ce type de données, peut-être se montreraient-ils plus circonspects et par conséquent se garderaient-ils d'utiliser ledit Meyssan comme repoussoir pour discréditer les nouvelles dérangeantes... car le résultat final se situe plutôt à l'opposé du but recherché, à savoir discréditer la source et l'information.
LA FRANCE, OUI OU NON, EST-ELLE EN GUERRE CONTRE DAMAS ?
Alors de deux choses l'une, si des agents et officiers français ont bien été arrêtés par les autorités syriennes, Paris devra, pour obtenir de Damas qu'ils jouissent de la protection des Conventions internationales (relatives par exemple au statut de prisonniers de guerre), reconnaître être en conflit armé avec la Syrie. Faute de quoi, entré illégalement sur le territoire syrien, combattants sans uniformes, des mercenaires en quelque sorte, nos hommes s'exposent à se voir traîner devant un peloton d'exécution comme de simples bandits ou terroristes. Car chacun sait que les « lois et coutumes de guerre » ne sont pas tendres avec les francs-tireurs et partisans... D'ailleurs nos grands amis de la Démocratie universelle, le Secrétaire du Département de la Défense, Donald Rumsfeld en tête, n'avaient-ils pas refusé, en octobre et novembre 2001, le statut de prisonniers de guerre aux combattants afghans ? M. Rumsfeld n'avait-il d'ailleurs pas déclaré [Archives du Monde] que « les États-Unis n'ont pas les moyens de faire des prisonniers du champ de bataille », avouant implicitement que la destruction massive des aborigènes résistant à l'invasion américaine constituait une consigne générale, voire un "ordre" non écrit, applicable à tous les théâtres d'opération afghans ? Et après cela l'on regarde de travers les Hutus massacreurs extensifs de Tutsi ! À ce seul titre de gloire, si la justice internationale n'était pas une sinistre fiction, M. Rumsfeld, speaker assermenté de la radio des « Mille collines » [d'où furent émis au Rwanda les appels au massacre d'avril à juillet 1994] devrait être traduit en justice et lourdement condamné pour crimes de guerres. Las !
Grâce à Dieu les Syriens sont mieux élevés que les séides du Pentagone et, s'ils ont effectivement pris la main dans le sac une poignée de Français qui n'avaient au demeurant rien à faire dans cette galère, ils ne les expédieront nullement et prestement ad patres. Selon des sources militaires russes, la France négocierait à l'heure actuelle par le truchement de la Fédération de Russie, des Émirats arabes unis et du Sultanat d'Oman. L'ambassadeur de France, Éric Chevallier, qui avait été rappelé à Paris, a regagné dans l'urgence son poste à Damas le 23 février. L'ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, aurait été de son côté sollicité pour assurer une médiation... le feuilleton de l'évacuation de la journaliste française blessée, Edith Bouvier, et du photographe anglais Paul Conroy, ainsi que de deux autres reporters, tous entrés illégalement en territoire syrien, servant d'écran à une réalité de terrain sans doute moins favorable aux forces subversives (et terroristes) à l'œuvre dans le secteur "rebelle" (2).
Tout cela reste cependant passablement gênant, surtout parce que les média n'accomplissent pas leur travail et s'emploient (assez misérablement) à maquiller la réalité pour accréditer et ancrer dans l'opinion publique l'idée - préalable indispensable à toute action musclée : corridors humanitaires, approvisionnement en armes de la dissidence et des forces infiltrées, et cœtera - d'un peuple tout entier en lutte pour « la liberté et la démocratie » !
UN GRAVE REVERS POUR PARIS ET UN SÉRIEUX CONTRETEMPS POUR WASHINGTON
À Paris, dans la mesure où la capture de nos agents n'est pas démentie (ce qui confirme par contrecoup l'information : « qui ne dit mot consent » !), si un candidat digne de ce nom avait l'astuce de s'emparer de la chose et demandait des éclaircissements au gouvernement, nous pourrions, au moins en principe, assister à une intéressante crise de régime. Ce qui dans le contexte actuel, à six semaines du premier tour des élections présidentielles, ne manquerait à l'évidence pas de sel ! Mais gageons que rien n'arrivera tant le consensus est puissant pour le respect des règles implicites de la bienséance démocratique. Même les plus contestataires ne sont pas suffisamment désinhibés, assez intellectuellement audacieux et désaliénés pour franchir le plus petit Rubicon politique serpentant devant leurs pieds. Et ne parlons pas des bateleurs, révolutionnaires en peau de lapin genre Mélenchon, qui sont des hommes du système faisant campagne sur le mode Tapie, à l'emporte-gueule.
On ne peut pas non plus compter sur les Syriens pour manger le morceau, ceux-ci ayant tout intérêt à garder la chose confidentielle pour ne pas mettre leurs interlocuteurs le dos au mur. Dans ce cas de figure, les prisonniers d'Homs sont un atout et une précieuse monnaie d'échange à ne pas dilapider à mauvais escient. Toute la subtilité du jeu diplomatique reprend là ses droits, avec aussi - à notre sens - toute sa faiblesse... à trop ménager l'adversaire, à ne pas le déstabiliser quand l'occasion s'en présente, c'est lui donner la faculté de prendre tôt ou tard sa revanche. Dans un monde de brute, la politesse, ici l'intelligence politique, peut s'avérer être un vice rédhibitoire.
Parce qu'enfin si nous avons eu des hommes au cœur du brasier d'Homs, précisément dans le quartier de Baba Amr (3), cela signifie que nous sommes en guerre ouverte avec la Syrie. Or, aux termes de la Constitution de la Ve République [art. 35] « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision défaire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis ». Or notre Parlement a-t-il jamais été "informé" d'une telle occurrence ? Nous n'avons pas "déclaré" la guerre à la Syrie, les relations ne sont pas rompues avec Damas : nous avons donc ici un magnifique cas de "forfaiture" (la qualification a disparu du droit public français ce qui est cocasse en cette époque de toutes les corruptions), ou même de trahison, ce qui devrait valoir, si tout n'était pas aussi pourri au royaume de France, la Haute Cour de justice et la destitution immédiate de notre "ominiprésident" [art.68].
GUERRE SECRÈTE : FORFAITURE, TRAHISON, DESTITUTION
La France sarkoziste, si elle a mené jusqu'à ces derniers jours ou si elle persévère à conduire une guerre secrète contre la Syrie (se faisant par conséquent coresponsable de la mort de quelque 3 000 militaires syriens et de 3 500 civils, à laquelle s'ajoutent de multiples destructions et sabotages pour un montant estimés au bas mot à 3 milliards d'euros), devra-t-elle in fine payer de considérables dommages de guerre à Damas ? Rien n'est moins sûr parce que, chassés par la porte, les occidentalistes reviennent par la fenêtre et font donner de la voix aux « Amis du peuple syrien » réunis en conférence ce dimanche 26 à Tunis. Là une soixantaine de pays (en l'absence évidemment de la Russie et de la Chine, lesquelles se battent pour le maintien contre vents et marées du principe de souveraineté, l'un des fondements de la légalité internationale), demandaient assez piteusement - le déploiement d'une « force de maintien de la paix » associant les Arabes aux Nations Unies. Là encore, un fiasco et une déconvenue supplémentaire pour Washington, Londres et Paris...
Cependant, la loi du silence et les accords tacites (et tenaces dans la volonté de conquête et de destruction) devraient finir par l'emporter comme toujours, et les Syriens devraient (normalement) se faire avoir à l'usure comme l'a si bien souligné le Secrétaire d'État américain, Mme Hillary Clinton : « Cela a pris plus d'un an au Yémen, mais finalement un nouveau président a prêté serment [avec 99,8 % de suffrages en sa faveur]. Des gens ont continué à être tués durant tout ce temps... bien sûr ce sont des situations très douloureuses ». Traduit en clair, cela donne : « on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, cela prend du temps - une décennie pour briser en deux le Soudan national-islamiste - mais finalement nous parvenons à nos buts... Nous sommes les gagnants » !
LE VOTE D'UNE NOUVELLE CONSTITUTION SYRIENNE
Dimanche 26 février 2012, dans un consternant et effrayant silence médiatique occidental, 14 millions de Syriens étaient appelés à se prononcer sur le texte d'une nouvelle Constitution, laquelle doit instaurer un véritable « pluralisme politique » mettant fin au quasi-monopole politique du parti Baas au pouvoir sans discontinuer depuis 1963. Ce sont ainsi 89,4 % des 8,37 millions de personnes ayant participé au vote - soit 57,4 % des inscrits - qui ont approuvé la nouvelle Constitution... il y eut en effet « une grande affluence dans les bureaux de vote, à l'exception de certaines régions » comme le signale ingénument l'AFP, cela en dépit des appels répétés de Mme Clinton au boycott du référendum (4).
Au demeurant Mme Clinton commence à avoir des états-d'âme et cherche visiblement à trouver un faux-fuyant en vu d'amorcer un prudent (même si temporaire) retrait de la scène syrienne : plus question de fournir des armes à la résistance : « Soutenons-nous Al-Qaïda en Syrie ?...Le Hamas soutient maintenant l'opposition. Soutenons-nous le Hamas en Syrie ? ». Entretemps Al Qaïda est entré dans la danse [Cf. note 2] et Tel-Aviv s'est rendu compte que les choses allaient peut-être trop loin, que la fenêtre de tir pour "allumer" Bachar el-Assad était en train de se refermer et que le coup du renversement du régime syrien pourrait avoir des conséquences fâcheuses... À trop manier le feu, l'on se brûle!
« Il y a beaucoup de mauvais scénarios que nous essayons d'anticiper, en même temps nous gardons l'œil sur les besoins en aide humanitaire, nous essayons défaire tout ce que nous pouvons pour soutenir l'opposition syrienne [...] et nous essayons d'encourager une transition démocratique »... Bref, tout en exhortant dimanche l'armée syrienne « à placer l'intérêt du pays avant la défense du régime de Damas » (autrement (lit une incitation à trahir), la secrétaire d'État s'est vue contrainte d'admettre qu'une « intervention étrangère en Syrie risquerait de précipiter le pays dans une guerre civile ».
LA PRESSE S'INSURGE PARCE QUE LES CITOYENS CROIENT DE MOINS EN MOINS À SES MENSONGES
Comme beaucoup d'autres « professionnels de l'information » qui râlent et dénigrent la concurrence déloyale de la Toile (qui ne devrait pas vraiment avoir le droit de savoir et de dire), le Monde.fr du 24 février (5) pleurniche abondamment sur les méchants commentaires (qualifiés de vile propagande) qui s'amoncellent sur les forums et viennent contredire la version dominante de la "révolution" sans révolutionnaires, qui s'efforce cependant de mettre la Syrie à feu et à sang. À la décharge de nos chers publicistes-désinformateurs, gageons que la plupart d'entre eux sont de graves auto-intoxiqués, persuadés de la véracité et de l'objectivité de leurs récits fictionnels. Sans beaucoup de culture générale pour le plus grand nombre, et par conséquent sans aucune profondeur de champ historique (mais fort imbus d'eux-mêmes), ils croient dur comme fer que la surface des choses - les apparences - sont la réalité ultime... Sans doute ne sont-ils pas même capables de distinguer le vrai du faux ou de saisir l'idée pourtant élémentaire qu'il puisse exister une réalité derrière la réalité des mots - ce verbiage répétitif dont ils se gargarisent - c'est-à-dire au-delà de la vision consensuelle, dogmatique hors de laquelle il n'existe, pour eux, aucun salut professionnel ?
Remercions quand même Le Monde pour sa sincérité involontaire : « La volonté de rendre compte fait que des informations remontent malgré tout, indépendamment des communiqués et des nouvelles transmises par les personnes directement impliquées dans le conflit. Pour Le Monde, Jonathan Littell et le photographe Mani sont restés plusieurs semaines à Homs, où ils décrivent des combats et une situation impitoyable ». Quel aveu !
La rédaction du Monde s'est en effet convaincue qu'un romancier, grand collecteur de déjections diverses et variées agglutinées dans les 900 pages des Bienveillantes (une imposture littéraire selon Blanrue et même selon Lanzmann) - un roman écrit finalement par on ne sait qui, mais awardisé et oscarsisé jusqu'aux narines et qui n'en demeure pas moins un « monument d'illisibilité »), était l'homme idoine pour "couvrir" la bataille d'Homs. Nous avions déjà eu M. Lévy dont la plume trempé dans l'acide de la haine a parfois le mérite de crisser sur la carte des territoires perdus pour mieux nous rappeler à l'ordre, si cela était possible. Maintenant les grandes plumes du journalisme se recrutent parmi les mythomanes orwelliens dignes de ces « Inglorious Basterds » que les générations futures sont certainement appelées, au train où vont les choses, à regarder comme un morceau d'Histoire vraie.
Que le monde ait choisi un auteur schizophrénique pour parler de la Syrie en proie à la guerre subversive, au fond quoi de plus naturel ? C'est à l'image d'un candidat-président démarrant sa campagne par une fromagerie... Finalement, Freud devait avoir raison, l'inconscient parle, et il nous lance des avertissements dont il serait éminemment sage de tenir le plus grand compte.
L- C. Rivarol du 3 février 2012
1) Thierry Meyssan. L'Effroyable Imposture et Le Pentagate 2002. Nouvelle édition actualisée éditions Demi-Lune 2007 et L'Effroyable Imposture 2 - Manipulations et désinformation Editions Alphée 2007.
2) AFP 16 février 2012. James Clapper, Directeur national du renseignement américain, affirme que les récents attentats en Syrie ont vraisemblablement été perpétrés par la branche irakienne d'Al-Qaïda : à Damas les 23 décembre et 6 janvier, puis double attentat à la voiture piégée le 10 février contre le siège du renseignement militaire syrien et le QG des forces de l'ordre, toutes action qui possèdent « toutes les caractéristiques des attentats commis par Al-Qaïda »... Précisant : « Il n'y a pas de mouvement national de résistance... L'armée syrienne libre n'est qu 'un nom générique pour désigner les opposants au régime, et n 'est pas même unie. Elle est le théâtre de puissantes querelles internes pour déterminer qui va la diriger » ! Donc l'armée rebelle dont on nous rebat les oreilles n'existe pas, n'en déplaise à nos médiamenteurs... et la politique géniale de la France acoquinée à Londres, Berlin et Ankara consiste à servir de tremplin à Al Qaïda, laquelle vient de se déclarer ouvertement en faveur de la soi-disant "révolution" syrienne par la voix de son chef Ayman al-Zawahiri.
3) La ville d'Homs n'étant pas « sous les bombes » comme les folliculaires se complaisent à le prétendre, mais seulement un quartier spécifique où se sont retranchés djihadistes sunnites et autres mercenaires libyens et qataris, lesquels ont pu être au départ, le cas échéant, encadrés par des « conseillers étrangers ». Un cas de figure similaire que la presse amnésique se garde bien d'évoquer est la prise par l'armée libanaise le 2 septembre 2007, après trois mois de durs combats, du camp de Nahr-El-Bared situé au nord du pays et jusque-là aux mains des salafistes du « Fatah al Islam ». Non seulement personne ne broncha au sein de la Communauté internationale, mais depuis l'État libanais se prévaut d'avoir été « la première armée du monde à avoir combattu avec succès l'islamisme combattant ». Ce qui est évidemment une contrevérité !
4) Selon les résultats officiels 753 208 votants ont dit "non" à la nouvelle Constitution, soit 9 %, et : 132 920 bulletins nuls ont été décomptés. Deux référendums ont été organisés depuis la disparition du fondateur de la "dynastie" des Assad : en 2000 et en 2007. Le taux de participation avait les deux fois dépassé 97 % (ce qui est un étiage habituel dans la région, voir le score "démocratique" de 99,8 % obtenu par le nouveau président... à titre de comparaison, Chirac en 2002 faisait 82,21 % des suffrages exprimés), pour 57 % ce dimanche 26 février.
5) http://rezonances.blog.lemonde.fr/2012/02/24/sur-la-syrie-la-propagande-a-longueur-de- commentaires -
D'un humanisme à l'autre
Au nom de l'humanisme furent promus l'étude des auteurs classiques, mais aussi l'existentialisme, le pédagogisme, les utopies et leurs germes totalitaires. Décryptage d'un courant protéiforme.
La redécouverte de l'Antiquité, à la Renaissance, est un mouvement que le XIXe siècle a nommé l'humanisme. Celui-ci relève aujourd'hui d'une catégorie historiographique autant que d'une manière d'appréhender la réalité. Préconisant une fréquentation assidue des auteurs classiques, il a perduré, de Voltaire, Diderot ou Kant jusqu'à Marc Fumaroli, Pierre Bourdieu ou Albert Jacquard, en passant par Auguste Comte, Karl Marx ou Pierre-Joseph Proudhon.
Un caméléon maléable
L'idée de dignité humaine est primordiale dans l'humanisme de la Renaissance. À la fin du XVe siècle, elle fut énoncée, notamment, par Jean Pic de la Mirandole. Plaçant l'homme au centre de la Création, il en faisait un être à la nature indéterminée, capable de prendre n'importe quelle forme au cours de son existence : « Qui n'admirerait ce caméléon que nous sommes ? » Les traités fleurirent pour déterminer la forme que tout homme devrait prendre. « On ne naît pas homme, on le devient », clamait Érasme. En 1960, Philippe Ariès a souligné que l'enfant était une figure centrale de la Renaissance. Il était appelé à se former aussi bien dans son âme que dans son corps, comme le décrivit Rabelais dans Gargantua. On décèle les germes des théories pédagogistes du XXe siècle : opposition à l'apprentissage par coeur, à la copie, adaptation du maître à l'enfant et non de l'enfant au maître. L'idéal restait néanmoins celui d'une humanisation de l'enfant passant par l'acquisition du langage, la fréquentation des autres, l'amitié et surtout la lecture des auteurs classiques et la méditation de leurs leçons.
Mais la conception d'un homme sans forme s'avère dangereuse. Diverses utopies se proposèrent, à la Renaissance, d'éduquer un « homme nouveau ». Les dystopies, la Révolution française et les totalitarismes du XXe siècle nous ont montré les apories de cette idéologie, exagérant la pédagogie humaniste en faisant table rase des traditions. Postulant la radicale liberté de l'homme et sa capacité à se créer et à se faire (« l'existence précède l'essence »), l'existentialisme sartrien s'est référé lui aussi à l'humanisme.
Celui-ci subit un infléchissement majeur au XIXe siècle, devenant exclusif et excessif : ce qui est humain n'a besoin que de lui-même. L'humanisme de la Renaissance prenait sa source dans le christianisme et Dieu restait un principe d'explication et d'organisation essentiel. Mais des penseurs comme Ludwig Feuerbach conçurent l'humanisme comme une négation de la théologie : « L'homme est un dieu pour l'homme. » Proudhon définit l'humanisme comme un athéisme et Prométhée devint pour Marx le premier saint du calendrier philosophique. Pour Ernest Renan et Auguste Comte, l'humanisme apparut comme la philosophie de l'avenir, celle d'un monde sans dieu témoignant de la toute-puissance des hommes. La révolution industrielle réalisait le rêve cartésien d'un homme « maître et possesseur de la nature ». L'hubris s'accentua avec Julian Huxley dans les années 1850. Le frère d'Aldous Huxley pensait que l'homme pouvait se transcender par ses propres moyens : ce fut la naissance du transhumanisme, donnant un pouvoir illimité à la science, garante du progrès dans une vision téléologique de l'histoire.
Crise de confiance
Il fallut attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu'une réelle opposition à ce courant s'accentue. Une crise de confiance surgit vis-à-vis de la raison, du progrès et de l'homme. Martin Heidegger, par exemple, décentra l'homme par rapport à la position dominante qu'il occupait auparavant. Il s'agissait pour lui d'écouter le monde, et non plus de lui faire violence. Le biologiste Jacques Monos participa également à la critique de l'humanisme : si l'homme est né d'une série de hasards, comment lui donner une dignité ? Dans un article publié en 2004, Francis Fukuyama dénonça quant à lui l'humanisme exclusif comme un spécisme et l'idée la plus dangereuse qui soit. Quel humanisme défendre aujourd'hui ? Faut-il d'ailleurs encore se revendiquer de l'humanisme ? La question qui devrait être posée est celle du rapport au temps. L'humanisme, rappelons-le, est avant tout un mouvement de retour à l'Antiquité et aux textes classiques. Il conviendrait de redécouvrir ce premier humanisme et de s'opposer à celui du XIXe siècle. Rémi Brague, dans une conférence de 2008, propose de substituer à l'homme cartésien un homme plénipotentiaire, responsable devant une instance à laquelle il doit rendre compte. Il réaffirme la piété virgilienne d'Enée envers son père, une admiration devant ce qui précède mêlée de gratitude : l'homme, se sachant dépendant, peut enterrer ses ancêtres sans oublier qu'ils survivent en lui.
Dans un livre publié en 1992, Europe, la voie romaine, il rappelait la spécificité de l'Europe de la Renaissance, capable de trouver ses systèmes de pensée dans ce qui lui était étranger, dans un rapport d'inclusion ; cela explique le retour aux sources, l'attention donnée aux textes non traduits, les éditions bilingues, la comparaison des documents – ce dont Bernard de Chartres avait rendu compte au XIIe siècle en affirmant que « nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants ». Rémi Brague oppose ce modèle d'induction au modèle de digestion des civilisations arabes, traduisant immédiatement les textes et ne gardant des oeuvres que le contenu. La culture européenne est donc « ex-centrique », telle la culture romaine qui s'appropria la culture grecque ; c'est ce qu'il appelle la « romanité », véritable aqueduc, essence de la pensée et de la civilisation occidentales. Charles Maurras ne disait pas autre chose en 1906 dans Le Dilemme de Marc Sangnier : « Je suis Romain dès que j'abonde en mon être historique, intellectuel et moral. Je suis Romain parce que si je ne l'étais pas je n'aurais à peu près plus rien de français. » Grand humaniste, défenseur des Humanités classiques, il préconisait déjà ce retour à l'humanisme originel contre le transhumanisme moderne. Fervent critique de la modernité sans pour autant être passéiste, il propose une alternative véritablement moderne aux questions de son temps : le nationalisme intégral.
La tradition critique
"Moderne", il faut le comprendre ici au sens d'"actuel", car si l'humanisme maurrassien s'appuie sur les oeuvres du passé, c'est bien pour interpréter et penser le présent, dans un mouvement consultatif de va-et-vient avec nos ancêtres. C'est en ce sens qu'il souligna que « la vraie tradition est critique » (Mes Idées politiques), ajoutant très justement que « la tradition n'est pas l'inertie ». Ce que nous apprend Maurras, c'est qu'il y a donc une véritable capacité de résistance de l'oeuvre classique, qui est non seulement actuelle mais surtout intemporelle. C'est cette recomposition du dialogue avec le passé qu'il nous faut entreprendre, afin de « renouer avec la chaîne des temps » qui n'a toujours pas été ressoudée depuis la Révolution française. Cet humanisme est le seul qui soit viable. Thierry Ménissier, dans sa conférence donnée à l'université de tous les savoirs en 2008 sur Hannah Arendt et Léo Strauss, évoquait « les humanités réactionnaires ». À bien des égards, Charles Maurras intègre cette famille à travers sa pensée politique, mais également à travers ses oeuvres poétiques, et c'est celle-ci qu'il nous faudrait rejoindre à notre tour, prônant ce que le Martégal appelait lui-même « une antiquité très vivante » (article paru dans Candide le 3 novembre 1943).
Dimitri Julien L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 2 au 15 juin 2011 -
Doriot, du communisme à la collaboration
Aux éditions Pardès, Jean-Claude Valla nous propose une remarquable biographie de Doriot qui n'est ni une réhabilitation totale du « Grand Jacques » ni un pamphlet haineux et systématique (1). L'auteur s'appuie sur sa profonde connaissance de la période 1940-45 dont ont témoigné ses Cahiers Libres d'Histoire - sur la Milice, Touvier, la Cagoule, la Résistance d'extrême droite, les socialistes dans la Collaboration (2) Sa documentation est sérieuse, constituée de documents personnels avec une utilisation judicieuse de la presse de l'époque. La vie et les activités de Jacques Doriot sont suivies tout au long de sept chapitres que l'on peut classer en trois parties.
UN COMMUNISTE CRITIQUE
Né en 1898 à Bresles (Oise) d'un père forgeron, Jacques Maurice Doriot est d'abord ajusteur à Saint-Denis où il se fixe en 1916. Mobilisé en 1917, il se bat en 1918, notamment sur le dur Chemin des Dames puis dans l'armée d'Orient. Il en revient avec deux citations mais marqué, d'où son pacifisme. Comme beaucoup de jeunes anciens combattants, il a cru à la « grande lumière à l'Est » et adhère aux Jeunesses communistes en 1920 après le congrès de Tours. Sa carrière dans le Parti est rapide. Sélectionné , il est envoyé plusieurs fois à Moscou et même, sur ordre de Staline, en Chine en 1927 pour une mission. Il y est témoin de l'écrasement du PC chinois, compromis par Staline puis abandonné. De là son jugement (en privé) sur « cette canaille de Géorgien » ! Ce qui ne l'a pas empêché en France de se distinguer par ses activités de communiste "révolutionnaire".
Elu député (secteur de Saint-Denis ) en 1924, il se distingue par son antimilitarisme et son anticolonialisme lors de la guerre franco-espagnole dans le Rif contre Abd el Krim. Mais, même s'il a été cosignataire du fameux télégramme envoyé au chef rebelle marocain, il n'en est pas l'auteur. Cela lui vaudra procès et plusieurs séjours en prison. Les ministres de l'Intérieur ne badinent pas alors avec le bolchevisme, de plus compromis par des activités d'espionnage au profit de l'URSS. « Le communisme voilà l'ennemi», avait déclaré à Constantine en 1926 Albert Sarraut, ministre de l'Intérieur.
En 1929 existe déjà une fêlure entre Doriot et son parti. Ayant préconisé une alliance électorale avec les socialistes, il dut faire son autocritique, ce qui l'a humilié. C'est l'époque où le Komintern a ordonné la tactique « classe contre classe ». Les socialistes qualifiés de « sociaux traîtres » sont l'ennemi numéro un. Ce qui a facilité en Allemagne le succès de Hitler.
Aux élections de 1932, Doriot est réélu, toujours à Saint-Denis, mais le PC en sort laminé. Raison de plus pour le député de vouloir convaincre Moscou de changer de stratégie.
1934. Après les événements de février, le 9, Doriot s'est battu dans la rue entre la République et la Gare du nord. Il y eut dans ses troupes plusieurs morts. Dans la biographie (très critique) que Philippe Robrieux lui a consacrée (Tome 4 de l'Histoire intérieure du Parti Communiste, Fayard 1987), il reconnaît que le courage physique de Doriot ne peut être contesté, ce qui n'est pas le cas de son grand rival Maurice Thorez.
Convoqué à Moscou comme Thorez (mais celui-ci est soutenu par Eugen Fried, agent du Komintern en France), Doriot refuse de s'y rendre (par orgueil ou par prudence ?) et, fin juin 1934, il est exclu du PC. Un peu plus tard, sur ordre de Staline, les PC sont lancés dans la politique dite des fronts communs ou fronts populaires (alliance avec les socialistes et même les partis bourgeois) contre les "fascistes" - en France, les très modérés mais démonstratifs Croix de feu du colonel de La Rocque.
Doriot a connu « une immense peine » après son éviction alors qu'il avait longtemps cru ou rêvé d'être « le dirigeant le plus qualifié du parti ». À noter qu'il a une base solide. Elu maire de Saint Denis en 1931, puis réélu en 1935 contre Jacques Duclos. Il peut s'appuyer sur le « Rayon majoritaire de Saint-Denis » dont l'hymne contient une strophe pour « l'unité d'action » et une autre « contre le fascisme qui menace »... Doriot participa d'ailleurs au grand défilé Front populaire du 14 juillet 1935 et, en 1936, il vota la dissolution des Ligues.
LA DÉRIVE DROITIÈRE
Mais dans le même temps, celui qui se considère comme un « communiste indépendant » a vigoureusement critiqué le pacte franco-soviétique de 1935, le dénonçant comme « un pacte contre-nature » monté par Staline pour entraîner la France dans une guerre. Si ce pacte a poussé au virage "tricolore" des communistes et à leur premier grand succès électoral en 1936, il a révolté des militants endurcis qui y virent une trahison de leurs luttes pacifistes des années 1930. Et qui vont rejoindre Doriot. Pour le Parti, il est devenu plus que jamais « l'homme à abattre ».
Ces communistes désenchantés, et d'autres dissidents de gauche, ne sont pas les seuls. Ils sont rejoints par des « dissidents de droite », surtout des déçus des Ligues après l'échec du 6 février 1934. Tous s'intéressent à Doriot qui, de plus, « attire la sympathie des "non-conformistes" des années 1930 » et même de radicaux de droite comme Emile Roche (très anticommuniste directeur du quotidien La République dont le rédacteur en chef Pierre Dominique, futur collaborateur puis directeur de RIVAROL de 1970 à 1973). Sympathisants aussi, des intellectuels éminents comme Fabre-Luce (futur rédacteur en chef de RIVAROL, de 1954 à 1955), Bertrand de Jouvenel - dont on annonce une biographie. Doriot a même des contacts avec Déat et ses néo-socialistes et Gaston Bergery, un curieux « électron libre » dont fut très proches un autre des directeurs de RIVAROL (1973-1983), Maurice Gaït. Mais en raison de divergences, cela n'a pas été jusqu'à une alliance qui aurait été une troisième voie entre les Gauches et la droite modérée.
C'est après le succès du Front Populaire et les grèves de mai-juin 1936, soutenues par Doriot à Saint-Denis, que celui-ci se décide à lancer le Parti du Peuple Français (PPF) le 28 juin 1936. C'est le fameux « rendez-vous de Saint-Denis » exalté par Drieu La Rochelle qui devient un allié de poids et collabore au journal de Doriot, L'Emancipation devenue Nationale. Le départ est « foudroyant », « avec la création de sections à Lyon, Marseille, Nice et en Algérie, un "bastion" ». Le talent d'orateur de Doriot est pour beaucoup puisque adhérents et sympathisants seront bientôt des dizaines de milliers. Ce sont en priorité des communistes qui pour la plupart resteront fidèles au "Chef jusqu'au bout. Les autres proviennent de l'extrême droite.
Dans son ascension, J.-Cl. Valla ne le cache pas, Doriot eut besoin d'argent, qui provint d'un patronat épouvanté par la poussée communiste et peut-être de la banque protestante Worms. En 1937, Doriot s'est cru assez fort pour proposer aux partis nationaux de constituer un « Front de la liberté » anticommuniste. Il recueillera des sympathies mais se heurtera au colonel de La Rocque qui a dissous la Ligue des "Croix de Feu" mais fondé le Parti Social Français (PSF) dont les effectifs entre 1936 et 1939 ont atteint, voire dépassé, le million d'adhérents... ce qui fait rêver aujourd'hui ! Pour La Rocque, Doriot reste un douteux bolchevik mal blanchi alors même qu'il est l'objet de campagnes hystériques du Parti Communiste, surtout lorsqu'il prend position contre les Brigades Internationales et l'engagement de la France dans la guerre d'Espagne.
Doriot commet aussi des imprudences. Maire de Saint-Denis, il avait été révoqué en 1937, sous un prétexte spécieux (le Conseil d'Etat l'a réhabilité plus tard). Il donna alors sa démission de conseiller municipal et voulut se représenter à des élections partielles où il fut battu par le PC qui avait profondément investi la ville, aidé par l'abstention (sur ordre ?) des électeurs PSF. Par honnêteté ou provocation, Doriot donna alors sa démission de député. Mais son candidat fut évincé par celui du PCF. Nouvelle défaite. Ce qui n'a pas pas empêché le PPF de se structurer et de progresser.
Jean-Claude Valla ouvre un débat récurrent pour savoir si le PPF doit être considéré comme "fasciste" et conclut par la négative même s'il y a quelques signes dans son organisation, avec les drapeaux, les défilés, le serment de "fidélité", le chant « France libère-toi », le salut (qui n'est pas une copie mussolinienne ou hitlérienne). Mais cela n'est pas une singularité dans les mouvements de droite et de gauche des années 1930... J.-Cl. Valla parle plutôt de « dérive droitière » qui se caractérisera aussi par des outrances de vocabulaire contre les "métèques" et les juifs qui, d'Allemagne et d'Europe centrale, affluaient en France.
En 1938, le PPF connaîtra une autre épreuve. Au moment de Munich, Doriot, très partagé, approuve les fameux accords. Il est lâché par les antimunichois, notamment Pierre Pucheu lié au Comité des Forges et qui lui vouera une haine tenace.
Dans ses discours, Doriot se défend d'être "fasciste". Il veut un « parti de style nouveau, au-dessus des classes ». Ce qui lui vaut des critiques de ceux qui lui reprochent justement de ne pas l'être assez. Et Drieu le quitte sous le même prétexte. En 1939, à propos de la Pologne, Doriot juge qu'il faut la défendre contre l'Allemagne. Il critique Déat qui ne voulait pas « mourir pour Dantzig » et se résigne à une guerre possible. Mais quand il apprend l'existence du pacte germano-soviétique, il y voit la confirmation de la stratégie cynique de Staline qu'il avait tant dénoncée. Et dans un discours à ses militants mobilisés, il déclare : « Je n'ai jamais eu autant de peine d'avoir eu raison et de n'avoir pas été compris. »
Sur le Doriot des années 1934 à 1939, il faut savoir gré à Jean-Claude Valla de n'avoir pas simplifié ni caricaturé une évolution, où les "ruptures" brutales sont parfois tempérées par un certain opportunisme.
LA COLLABORATION TOTALE
Jacques Doriot a 41 ans en 1939. Mobilisé comme sergent, il se bat sur la Loire en juin 1940, ce qui lui vaudra la Croix de Guerre avec palme. Démobilisé, il retourne à la politique, reprenant en main son Parti Populaire Français (PPF) qui s'était dispersé. S'il est à Vichy en juillet 1940, ce ne sont pas ses "bandes" comme l'a prétendu Léon Blum qui ont contraint les parlementaires de la IIIe République à céder leurs pouvoirs à Philippe Pétain. Ils étaient bien trop heureux de laisser l'ardoise au Vieux Chef.
Doriot se veut « un homme du Maréchal » qu'il a rencontré plusieurs fois. Il est en 1941 nommé membre du Conseil national de l’État français et a même bénéficié des fonds de Vichy pour créer en zone nord un nouveau journal, Le Cri du peuple (animé par Henri Lèbre qu'on retrouvera dans RIVAROL spécialiste de la politique étrangère après son long exil argentin), L'Emancipation étant repliée à Marseille.
Convaincu de la victoire de l'Allemagne, il a pris des contacts, parfois difficiles à cause du pacte germano-soviétique qu'il ne cesse de critiquer, avec Otto Abetz et certains services allemands. En zone nord où il s'est installé, il rencontre la concurrence de Marcel Déat qu'il déteste (c'est réciproque) et du RNP.
Le grand moment pour lui c'est quand, le 21 juin 1941, l'Allemagne attaque l'Union soviétique. Cette « guerre est notre guerre », proclame-t-il, et c'est lui qui prône la création de la Légion des Volontaires français contre le Bolchevisme (LVF). Donnant l'exemple, il rejoint le premier contingent qui sera engagé dans les conditions les plus dures devant Moscou en décembre 1941. Il revient ensuite en France pour participer en zone occupée à une tournée de propagande pour la LVF. Il retrouvera à plusieurs reprises le front de l'Est pendant l'année 1943 et sera décoré de la Croix de fer en décembre 1943.
En France, de plus en plus engagé dans une collaboration totale, Doriot intrigue contre Vichy. Mais les Allemands ne le soutiennent pas. Début novembre 1942, au moment du débarquement américain en Afrique du Nord, le PPF, devenu la formation politique la plus sérieuse en zone Nord, tient son congrès à Paris, au Gaumont Palace. Doriot n'hésite plus à annoncer que le PPF sera désormais « un parti totalitaire et fasciste ». C'est le moment où Drieu y revient, mais sans illusions. Doriot envisage même, sur la suggestion de Benoist-Méchin, un coup de force contre Vichy !
Mais il n'en a pas les moyens. Et les autorités allemandes ne sont pas d'accord. Les relations avec elles ont parfois tourné au « bras de fer ». En 1943, Doriot autorise la création d'une force paramilitaire, les Gardes Françaises, qui défile sur les Champs-Élysées en août. Mais en France, dès 1941, les militants du PPF étaient devenus les cibles privilégiées de l'Organisation Spéciale du PC, surtout les ex-communistes ayant quitté le Parti en 1939 et rejoint Doriot. Comme Marcel Gitton abattu en septembre 1941, premier d'une longue série. Contre ce terrorisme qui fera des centaines de victimes, Doriot sera alors débordé par les durs du Parti qui vont passer au contre-terrorisme avec l'appui des services répressifs allemands, le SD entre autres. Comme l'a raconté Saint-Paulien dans son Histoire de la Collaboration (l'Esprit Nouveau, 1964), Doriot les a désapprouvés (« le contre-terrorisme c'est la guerre civile totale ») mais il autorisa la création de « Groupes d'action » en principe chargés de protéger les militants du parti et de faire la chasse aux réfractaires du STO. Le PPF sera durablement compromis dans cette « impitoyable guerre civile » (cf. Henri Amouroux). La position de Doriot devient de plus en plus difficile, vis-à-vis des Allemands comme de Vichy. C'est Déat et non lui qui entre dans le dernier gouvernement de l'Etat français en mars 1944.
Après le débarquement en Normandie (juin 1944), les événements se précipitent. A la mi-août 1944, Doriot organisa le départ de Paris de militants et de leurs familles. Ceux qui n'ont pu le faire et sont restés sur place seront, avec les miliciens, impitoyablement traqués, arrêtés, liquidés souvent après tortures.
En Allemagne, les personnalités de la Collaboration la plus engagée (Darnand, Déat, Brinon, Doriot) se lanceront dans cette aventure invraisemblable d'un pseudo gouvernement français, d'ailleurs désavoué par Laval et le Maréchal. Envisageant même une intervention en France pour la "libérer" du communisme et de l'occupation américaine ! Doriot devait en prendre la tête mais il trouva la mort près de Mengen, le véhicule qui le transportait ayant été mitraillé par des avions alliés. Il n'a pas été la victime du SD (un bruit qui s'était répandu après 1945) et il ne s'apprêtait pas à prendre contact avec des généraux français (Giraud, de Lattre ?) pour lutter contre les communistes en France. Sa tombe est toujours à Mengen (voir la photo du livre) où elle fut après 1945 souillée... et pas entretenue.
Tel fut Doriot, dont le destin fut au fond une suite d'occasions manquées. Mais que l'on doit, comme J.-C. Valla, replacer dans sa totalité. Et que chacun jugera comme il le veut. Après 1945, nombreux sont les ex-PPF rescapés de l'épuration, qui lui ont témoigné une fidélité inébranlable.
Quant au Parti Communiste, au temps de la guerre froide et ensuite, il lança contre ses militants qui le quittaient, surtout quand il s'agissait de personnalités, l'accusation toujours efficace, de suivre le mauvais exemple de l'ancien maire et député de Saint-Denis, ville que le PC domine encore. Même si la ville est largement passée du Rouge au Vert (islamo plus qu'écolo) et au noir d'ébène. À sa manière, le Parti a conservé et entretenu « le fantôme de Doriot ».
Jean-Paul ANGELELLI. Écrits de Paris avril 2008
1-Doriot. Collection « Qui suis-je ? »,128 pages avec bibliographie et photos. 12 euros (franco de port). Editions Pardès, 44 rue Wilson, F-77880 Grez-sur-Loing.
2-Editions de La Librairie Nationale, 12 rue de la Sourdière, 75001 Paris. Tél. : 01-42-86-02-92. -
CRITIQUE DE LA GÉOPOLITIQUE
La géopolitique est une science controversée. Même s’il est trop tôt pour parler d’une renaissance durable, même si l’institutionnalisation universitaire se fait toujours attendre (en dehors de quelques chaires ou centres de recherches isolés), nous sommes en présence d’un véritable mouvement de fond.
L’incertitude épistémologique et théorique demeure. On ne sait pas très bien ce qu’est la géopolitique. En tout cas, ses multiples définitions sont, soit vagues ou équivoques, soit contradictoires. Au-delà cette incertitude, reste le besoin, confusément ressenti, d’une explication globale. Le progrès des sciences sociales a pour contrepartie inévitable leur spécialisation, leur atomisation : chaque spécialiste en sait de plus en plus, mais sur un domaine de plus en plus restreint. La géopolitique peut être comprise comme une tentative de suggérer des grands cadres d’explication qui, à défaut d’être d’une grande solidité théorique, ont le mérite de rendre intelligible la masse des phénomènes contemporains et de définir des orientations, positives ou négatives. Elle reprend, en somme, le programme qui fut celui de la sociologie à ses débuts. Aucune objection ne pourra jamais prévaloir contre cette volonté d’ordre et de compréhension globale des phénomènes sociaux.
Le XIXe siècle a été celui du scientisme : la science triomphante prétendait pouvoir tout expliquer. On a alors vu proliférer des systèmes d’explication tous aussi dogmatiques et déterministes les uns que les autres. Parmi ces déterminismes, trois ont connu, au XXe siècle, une fortune particulière : le déterminisme racial, théorisé par des auteurs comme Vacher de Lapouge, Chamberlain … et repris à son compte par le national-socialisme allemand ; le déterminisme économique, porté à son point de perfection par Marx et ses innombrables successeurs ; le déterminisme physique ou environnemental, théorisé par de multiples penseurs réunis sous l’appellation globale de géopolitique.
A priori, ces différents déterminismes sont exclusifs l’un de l’autre, puisque chacun prétend détenir la clef du comportement des acteurs internationaux. Dans la pratique, ils ont souvent trouvé des accommodements. Le déterminisme racial s’est ainsi combiné avec le déterminisme physique, sinon dans les travaux de Haushofer, du moins dans la vulgate que le régime nazi en a tirée : le peuple les plus doué par la nature a vocation à occuper tout l’espace désigné par la géographie. Les passerelles entre le déterminisme économique et le déterminisme physique sont plus difficiles à établir. À première vue, les deux systèmes d’explication semblent incompatibles et ils ont eu tendance à se définir comme ennemis : la géopolitique allemande a été une réaction contre le danger bolchevique et la géopolitique a été officiellement condamnée dans la Russie soviétique, pour des raisons à la fois théoriques (le rejet de tout déterminisme autre qu’économique) et historiques (la confrontation entre les deux totalitarismes communiste et national-socialiste).
Néanmoins, il est possible de déceler une matrice de raisonnement semblable : sans nier la multiplicité des facteurs intervenant dans la vie sociale, tant le marxisme que la géopolitique prétendent placer au cœur de l’analyse un facteur déterminant. Et de la même manière qu’il y a un marxisme primaire, dogmatique, et un marxisme “évolué”, qui ne fait plus intervenir le déterminisme économique qu'« en dernière instance », la géopolitique se décline sur une gamme extrêmement diversifiée, qui va de l’explication par les strictes données géographiques à la prise en compte de toutes les données de l’environnement physique ou humain. D’ailleurs, quelques auteurs marxistes célèbres se sont dangereusement approchés des eaux troubles de la géopolitique, il suffit de songer aux thèses célèbres de Karl Wittfogel sur le despotisme hydraulique (1).
Cette vision sera jugée simpliste par les géopoliticiens contemporains, qui s’efforcent de promouvoir une géopolitique complexe, éloignée de tout déterminisme, s’attachant à rendre compte de la globalité d’un système. Cette tendance a notamment été illustrée en France, de manière différente, par Yves Lacoste et l’école d’Herodote, qui a ressuscité la discipline après une longue éclipse, et par François Thual dont l’œuvre abondante sur les constructions identitaires et le désir de territoire a suscité un écho certain. Mais on se heurte alors à l’objection centrale qui était déjà celle que Fernand Braudel adressait à la géographie : « S’il n'y a plus de déterminisme, il n'y a plus de géographie » (2). Propos excessifs, inspirés par le souvenir de disputes corporatistes datant, sinon du déluge, du moins des passes d’armes feutrées entre Lucien Febvre et l’école de géographie humaine de Vidal de la Blache et d’Emmanuel de Martonne (3). Mais il n’est pas abusif de transposer l’objection à la fille naturelle, ou adultérine, de la géographie : s’il n’y a plus de déterminisme, il n’y a plus de géopolitique. En quoi, en effet, se distinguerait-elle de la géographie intelligemment pratiquée ? Et si elle prend en compte la globalité des facteurs, pourquoi faut-il lui donner un intitulé commençant par géo, donc renvoyant à un ordre précis de facteurs ? Autant de questions qui renvoient á l’indétermination du champ et du statut de la géopolitique.
Une géopolitique mal connue
Le fondement géographique de la politique et de la stratégie est connu de toute éternité, il était déjà affirmé par Sun Zi au IVe s. avant notre ère et on retrouve le thème tant chez les théoriciens politiques, avec la justification des guerres de conquête, que chez les géographes militaires (4). Mais c’est au XXe siècle que la géopolitique se constitue véritablement : Le Suédois Kjellen lui donne son nom en 1916 et plusieurs géographes lui donnent, par des voies indépendantes, mais à peu près simultanément, ses textes fondateurs : Mackinder (5), avec sa célèbre conférence de 1904 sur le pivot géographique de l’histoire (6) ; Ratzel, avec sa Politische Geographie (7), en attendant les développements de l’entre-deux-guerres qui culmineront en Allemagne avec l’école du général-docteur Karl Haushofer (8), et dans le monde anglo-saxon, avec Mackinder toujours, qui fait le bilan de la Première Guerre mondiale dans Democratic Ideals and Reality (1922), puis esquisse les perspectives de l’après Deuxième Guerre mondiale avec son non moins célèbre article « The round world and the winning of the peace » (1943) (9). Les États-Unis prennent le relais de la Grande-Bretagne déclinante (tant sur un plan pratique que théorique) avec le plus grand des successeurs de Mackinder, Nicholas J. Spykman, professeur à Yale, qui pose le programme d’action globale des États-Unis face à l’axe germano-japonais dans America’s Strategy in World Politics (1942) avant d’esquisser l’équivalent face à l’Union soviétique dans l’ouvrage posthume et inachevé, The Geography of the Peace (1943) (10).
Suivra ensuite une longue période de discrédit de la géopolitique, tant du fait de sa collusion avec l’expansionnisme hitlérien ou japonais que du surclassement du facteur territorial par le facteur économique durant les Trente Glorieuses. La riche école américaine s’interrompt brutalement à la fin des années 40 (11). En France, le Que sais-je ? du contre-amiral Pierre Célérier, Géopolitique et géostratégie (1955, 3e éd. 1969) va longtemps rester la référence unique. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que s’amorcera un retour de faveur, grâce notamment à l’action de géographes venus de l’extrême-gauche qui laveront ainsi la géopolitique de sa souillure originelle : Peter Taylor et sa revue Political Geography en Grande Bretagne, Yves Lacoste et sa revue Hérodote en France.
Telles sont les grandes lignes d’un tableau largement accepté, mais sommaire et, pour tout dire, caricatural. En fait, le bilan de la géopolitique n’est pas seulement celui du passif des géopoliticiens, il est d’abord le constat de nos ignorances qui sont immenses, tant d’un point de vue historique qu’épistémologique.
Pour une histoire de la géopolitique
Sur un plan historique, les présentations habituelles de la géopolitique tombent dans le travers fréquent qui consiste à réduire un courant de pensée à quelques grands noms qui ont réussi et, plus encore, à réduire des pensées complexes à quelques formules sonores, mais mal comprises et vite transformées en caricatures : le Heartland de Mackinder, les panrégions de Haushofer, le Rimland de Spykman…
Il n'y a pas lieu de s’en étonner, car le géopolitique se veut opératoire : elle n’est pas une science pure, elle doit déboucher sur des programmes d’action.
On pourrait lui appliquer la formule de Raymond Aron relative au marxisme : « la doctrine contient une théorie et fonde une propagande ». Bien évidemment, ce sont les aspects simplifiés de la doctrine ou même la caricature de la propagande qui retiennent l’attention. Mackinder n’a-t-il pas donné un encouragement à cette dérive avec sa célèbre formule : « celui qui domine le Heartland contrôle la World Island, celui qui domine la World Island contrôle le monde » ? Formule inepte et viciée dans son énoncé même, avec le glissement pervers entre to rule et to control, mais qui a connu une éclatante fortune. Ratzel n’est-il pas à l’origine des pires excès hitlériens, avec son fameux Lebensraum que l’on traduit généralement par espace vital ? Pourtant, André-Louis Sanguin a bien montré, mais sans beaucoup d’échos, que Ratzel pensait plutôt à un espace de vie sans la connotation raciste et agressive que lui donneront ses successeurs. C’est le devoir de l’historien d’aller au delà des clichés pour rétablir le contexte historique et la diversité d’un courant de pensée. La géopolitique ne fut pas unitaire : le seul affrontement théorique entre l’école anglo-saxonne et l’école allemande suffit à le montrer et même à l’intérieur de ces écoles, on pouvait trouver plus que des nuances (Mackinder vs Fairgrieve et Amery ; Haushofer vs Niedermayer…). Elle ne l’est pas davantage aujourd’hui : la géopolitique française contemporaine offre une palette idéologique complète, d’Aymeric Chauprade à Yves Lacoste, en passant par François Thual et le général Gallois.
D’où la nécessité de dépasser les figures emblématiques pour retrouver quantité d’auteurs, de revues, d’écoles nationales tombés dans l’oubli ou marginalisés par l’obstacle linguistique. Malgré la surabondance de la littérature sur la géopolitique, on ne dispose d’aucune histoire sérieuse qui permette d’avoir une idée de son développement réel. Le travail de recensement des auteurs et des écoles est à faire entièrement. Il est le préalable indispensable à une “pesée globale” de la géopolitique. On ne peut ici donner que quelques pistes (12).
La France, traditionnellement réticente à l’égard du déterminisme géographique (elle préfère le possibilisme théorisé par Vidal de La Blache) (13), n’a pas fourni une contribution de première grandeur à la géopolitique. Elle s’est plutôt inscrite en contrepoint de la pensée allemande, avec La France de l’Est de Vidal de La Blache (1917), publié en pleine guerre pour justifier la revendication du retour de l’Alsace-Lorraine, ou avec la Géopolitique (1936) de Jacques Ancel, qui est une réaction face à la montée du péril nazi. Mais elle a aussi fourni quelques essais géopolitiques de valeur, par ex. celui de l’amiral Castex qui, dans le tome V de ses Théories Stratégiques – « la Terre contre la Mer » dans De Gengis Khan à Staline (1935) (14), a proposé une vision dialectique de l’affrontement entre puissance maritime et puissance continentale, bien plus riche que l’unilatéralisme anglo-saxon hérité de Seeley (historien britannique aujourd’hui trop oublié) et de Mahan. Mais on trouve aussi de véritables écoles géopolitiques en Italie, autour de la problématique méditerranéenne, du début du XXe siècle jusqu’à l’intéressant petit livre de l’amiral di Giamberardino, Mediterraneo centro strategico del mondo (1942) (15) ; au Japon avec la Chiseigaku, restée à peu près inconnue à cause de la langue alors qu’elle a connu un fort développement dans les années 30 (16) ; en Amérique latine, avec une littérature d’une profusion étourdissante, dominée par quelques auteurs de grande valeur, trop peu connus : le Brésilien Mario Travassos, maréchal de son état, dont le livre Projecao continental do Brasil (1931, 1938) a été directement à l’origine des politiques ultérieures de colonisation de l’Amazonie. Il a ouvert une voie qui a été poursuivie par les généraux Golbery (Geopolitica do Brasil, 1952, 1967) et Meira Mattos (Projeçao mundial do Brasil, 1960) et par le professeur Theresinha de Castro. L’école argentine a été fondée par l’amiral Segundo Storni, avec son livre Intereses Argentinos en el mar (1916) et elle s’est poursuivie, avec des aléas, jusqu’à nos jours, par ex. à travers la revue Estrategia du géneral Guglialmelli (17). Le Chili, lui aussi, a développé sa propre école : le général Augusto Pinochet Ugarte est l’auteur d’un estimable manuel de géopolitique (Geopolitica, 1964), même s’il est connu pour d’autres raisons. Il n’est aucun pays d’Amérique latine qui ait échappé à cet engouement, y compris la Bolivie enclavée qui a développé une production indigène dominée par Alipio Valencia Vega (18). On pourrait multiplier les exemples. Tout cet immense corpus devra être au moins survolé avant de prétendre porter un jugement un tant soit peu argumenté.
Une géopolitique mal définie
Mais le travail de recensement des auteurs, d’identification de leurs discours, n’est qu’un aspect du problème. Pas d’histoire sans théorie dit-on souvent. Combien plus encore cette maxime trouve-t-elle à s’appliquer à la géopolitique ! En effet, la question centrale est de savoir de quoi on parle : toute géographie politique est-elle géopolitique ? Ou, à l’inverse, faut-il limiter l’étiquette aux seuls auteurs qui s’en sont réclamés, ce qui réduit singulièrement (et abusivement) le champ d’investigation ? Comme toujours, la vérité se situe probablement dans un juste milieu, mais où situer celui-ci ? La géopolitique n’a pratiquement jamais reçu de consécration universitaire, de sorte qu’elle n’est qu’un rejeton plus ou moins bâtard de la géographie. En tout cas, elle n’est pas une discipline institutionnalisée.
Serait-elle alors un champ d’investigation ? Il semble difficile de ranger sous sa bannière tous les géographes (ou autres) qui se sont intéressés aux rapports entre l’espace et la puissance, et dont certains ont catégoriquement récusé le concept même de géopolitique.
Une méthode peut-être ? Saül B. Cohen, l’un des rares géopoliticiens américains des années 60, n'a pas recensé moins de six méthodes géopolitiques (19), confirmant par là la conviction de Haushofer, lequel s'était toujours refusé à écrire un traité de géopolitique : il n'y a pas de la méthode géopolitique en soi (20). La géopolitique fait usage de diverses méthodes qu’utilisent les sciences sociales et notamment la géographie.
La solution la plus expédiente ne serait-elle point alors de dire que la géopolitique ne fut qu’un moment, peu glorieux, de la géographie qui se serait compromise avec le fascisme ? Mackinder et Spykman n’ont jamais revendiqué l’appellation et ce serait par un abus de langage qu'on les qualifierait de géopoliticiens. Malheureusement, l’obstination d’Yves Lacoste à revendiquer aujourd'hui l’appellation géopolitique (et il n’est pas le seul) suffit à ruiner cette solution trop simple. La géopolitique est toujours là, son retour en force depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays est un fait incontestable et elle a même suscité une discipline sœur (ou filiale) avec la géostratégie qui connaît un certain développement aux États-Unis, avec, entre autres, Colin Gray (maintenant installé en Grande-Bretagne) (21), Zbigniew Brzezinski (qui s'inscrit beaucoup plus, tant par son approche globale que par son dogmatisme, dans la tradition géopolitique que dans celle de la géostratégie dont il se réclame) (22).
Au passage, on notera que si le développement de la géostratégie est récent depuis son lancement par le géographe américain John B. Cressey en 1944, celui-ci a repris sans le savoir une concept qui préexistait à celui de géopolitique : le mot de géostratégie a, en effet, été forgé par un auteur italien, le général Giacomo Durando (23), dès 1846 et il a survécu, modestement, sur le pourtour méditerranéen : ou le retrouve en espagnol dans les années 1890 chez le colonel Castaňos y Montijanos, puis en 1932 en portugais chez un géographe militaire de première ordre, le colonel Miranda Cabral. Le constat est identique pour la géoéconomie, récemment mise à la mode par Edward Luttwak aux États-Unis, Pascal Lorot (24) en France ; tout le monde ignore qu’ils ne font que reprendre un concept forgé dès 1930 par un auteur grec, Konstantin Sfyris (Geoikonomia tai ikonomia). Simples exemples du travail qui reste à faire pour établir les généalogies intellectuelles, préalable indispensable à toute définition compréhensive, comme dirait Max Weber.
Autant dire que toute tentative de définition de la géopolitique serait, pour l’instant, prématurée. Le mot se rapproche davantage des pré-notions chères à la sociologie durkheimienne que des concepts hérités de la philosophie, enfermés dans un entrelacs rigoureux de définitions, de relations et de dérivés.
Science globale ou science partielle ?
L’inventeur du mot, le Suédois Rudolf Kjellén, plaidait pour une science totale de l’État organique dont la géopolitique ne devait être qu’une composante. À côté de la géopolitique, il envisageait une science sur la composante démographique : la démopolitique, une science centrée sur la structure sociale : la sociopolitique, une science centrée sur les structures économiques : l’écopolitique, et enfin une science politique au sens strict, qu’il avait d’abord curieusement appelée politique de régiment et que ses successeurs ont plus élégamment rebaptisée kratopolitique (25). La géopolitique n'était donc qu’un élément d’une science beaucoup plus vaste.
Pourquoi donc la partie s’est-elle substituée au tout ? C’est l'un des grands problèmes de l’histoire des idées contemporaines et l'on ne peut encore, en l’absence de biographies et de monographies nationales ou catégorielles en nombre suffisant, que hasarder des hypothèses bien incertaines. Le projet d’une science totale de l’État était bien trop ambitieux, surtout lorsque Kjellén écrivait, et il n’avait aucune chance d’aboutir. Par la suite, lorsque les progrès de l’épistémologie et de la recherche auraient pu le rendre plus crédible, la conception organiciste qui le sous-tendait était passée de mode et l’État n’était plus nécessairement le pivot de l’analyse globale : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, priorité était plutôt donnée aux facteurs économiques dorénavant perçus comme centraux, l’interrogation des sociologues portait plutôt sur l’éventuel déclin des idéologies (question posée par Edward Shils dès 1956) (26) et, plus généralement, de la politique. Le problème d’une science totale ne se posait donc plus dans les mêmes termes.
Géopolitique et géographie
En laissant de côté la question d’une science globale, on retrouve la question initiale : pourquoi la géopolitique plutôt que la démopolitique ou l’écopolitique ? La réponse semble liée à l’orientation et à l’institutionnalisation de la science géographique au sein du monde universitaire. L’université ne crée pas nécessairement les grands courants de pensée dans le monde contemporain, mais elle leur donne une légitimité scientifique et les ancre dans la longue durée (27).
La géographie, à la fin du XIXe siècle, était une discipline en plein essor, bien enracinée dans l’Université et les grands fondateurs de la géopolitique (qu’ils aient ou non revendiqué l’appellation) étaient souvent des géographes (Ratzel en Allemagne, Mackinder en Grande-Bretagne, Kjellèn en Suède). Ils ont fourni une contribution majeure parce que leur discipline les préparait, mieux que les autres, à cette compréhension des grands problèmes mondiaux. L’économie, également en plein essor et tout à fait institutionnalisée au sein de l’enseignement supérieur, était plutôt centrée sur l’entreprise (avec l’analyse marginaliste d’Alfred Marshall), donc moins sensible à ce que nous appelons aujourd’hui la théorie macroéconomique. La science historique, alors dominée par l’école positiviste, était surtout soucieuse d’objectivé des sources et répugnait aux synthèses trop englobantes, qu’elle jugeait non scientifiques. Quant à la démographie ou à la science politique, leur institutionnalisation était encore embryonnaire et la deuxième était plutôt tournée vers les problèmes internes aux États. Elle ne s’intéressait guère aux relations internationales, qui resteront sous la coupe des juristes jusqu’aux années 1930-1940 (28).
Mais cette avance relative de la géographie, si elle a permis l’essor initial de la géopolitique dans les premières décennies du XXe siècle, s’est retournée contre celle-ci lorsqu’elle a prétendu acquérir une légitimité académique. Les géographes n’ont pas accepté de se voir supplantés par des géopoliticiens plus proches du pouvoir politique, mais moins sensibles aux enjeux d’objectivité et d’indépendance de l’analyse. Pour la corporation des géographes universitaires, la géopolitique était une doctrine au service d’une visée politique, plus qu’une théorie susceptible de fonder un champ académique du savoir. Cette résistance corporatiste a été couronnée de succès : la géopolitique n’a jamais acquis de véritable statut académique. Même dans l’Allemagne nazie, Haushofer a obtenu des moyens substantiels, une grande notoriété, mais la corporation des géographes ne s’est pas rangée sous sa bannière. Les chaires de géopolitique ont plutôt été créées, quant il y en a eu (particulièrement en Amérique latine), dans le cadre des écoles de guerre, c’est-à-dire de l’enseignement militaire supérieur.
Géopolitique et politique
Cette ambiguïté n’a pas seulement joué contre la géopolitique dans ses relations avec l'université. Trop peu scientifique aux yeux des universitaires, elle l’était encore trop aux yeux du pouvoir politique, qui ne s’en est jamais servi que lorsque cela correspondait à ses propres conceptions. On sait aujourd’hui que Haushofer n’a jamais été l’inspirateur du programme hitlérien et que ses relations avec la hiérarchie nazie ont été pour le moins compliquées : comblé d’honneurs et de subsides d’un côté, il était marginalisé de l’autre, quand sa revendication du Tyrol peuplé de germanophones allait à l’encontre de l’alliance avec l’Italie fasciste ou quand son plaidoyer pour un bloc continental germano-soviétique heurtait l’obsession anti-bolchévique de Hitler (29).
On retrouve cette ambiguïté dans toutes les écoles de géopolitique. La Chiseigaku (mot japonais pour géopolitique) a théorisé l’idée de sphère de co-prospérité, mais celle-ci avait d’abord été conçue dans les milieux militaires et la Chiseigaku n'est intervenue qu’après coup. En outre, si elle a bien mis en lumière les conséquences diplomatiques et stratégiques de cette politique, rejoignant le point de vue de la marine, elle n’a jamais réussi à les faire admettre par l’armée de terre, qui est restée jusqu’au bout dominante dans l’appareil militaire japonais. Il en a résulté une sous-estimation du risque de guerre et, une fois celle-ci déclenchée, une sous-estimation du théâtre Pacifique (ce que les Occidentaux appellent guerre du Pacifique était pour les Japonais la guerre de la grande Asie) qui s’est révélée fatale (30).
On ne peut guère citer qu’un seul cas véritablement probant de vision géopolitique ayant fondé une politique suivie : c’est celui de la colonisation de l’Amazonie, directement issue des travaux de l’école du général Travassos et de ses successeurs mais, il faut le souligner, cette école était presque exclusivement militaire et les géographes civils, à quelques exceptions près (le professeur Therezhina de Castro), sont restés très en retrait.
Cet exemple brésilien est d’autant plus significatif que ses auteurs ont tenté un réel effort théorique, le général Golbery do Couto e Silva a vraiment essayé de définir la géopolitique et la géostratégie (31). Mais ils n’ont guère eu d’écho hors d’Amérique latine et, avec le temps, il est permis de se demander s’ils n’ont pas développé ce que l’on pourrait appeler une stratégie de substitution : faute de disposer des moyens modernes de la puissance (la technique, l’économie), ils se sont rabattus sur le seul facteur dont leur pays disposaient en abondance : l’espace. Ils n’étaient pas les seuls à procéder ainsi. On pourrait citer quantité de géopolitiques « du pauvre » : les théories sur le triangle stratégique portugais à la charnière des mondes européen, atlantique et méditerranéen ou point de liaison entre les espaces nord-atlantique, sud-américain, européen et africain procèdent de la même démarche (32).
Ici la question devient plus globale et aucun discours géopolitique ne peut y échapper : peut-on fixer la puissance, notion par essence dynamique, sur un centre statique ? C’était déjà la difficulté à laquelle se heurtait Mackinder avec sa zone pivot, son heartland qu’il prétendait fixer, en 1904, dans les marches eurasiatiques, dans les zones de contact entre le monde des nomades et le monde sédentaire. Le problème est qu’il s’agissait d’une zone désertique et glacée, à peu près inhabitable et d’un intérêt stratégique discutable, sauf à appeler à la rescousse le souvenir des invasions mongoles ou timourides. Il en avait d’ailleurs bien conscience et, dans son dernier grand texte, le célèbre article de 1943, il a déplacé le Heartland vers l’ouest, pour le faire coïncider avec les frontières de la Russie soviétique. Ce léger décalage signifiait qu’à la logique géographique de 1904, il substituait une autre logique stratégique, plus mouvante. Le problème s’accentue encore avec ses successeurs, lorsqu’ils prétendent concilier l’analyse géopolitique et l’analyse culturaliste, alors que les deux sont sinon inconciliables, du moins largement opposées. La première prétend définir des constantes alors que la seconde souligne la variabilité des comportements et des situations. La rationalité géopolitique s’avère problématique.
Il faut incriminer l’héritage du fixisme géographique que reprendra encore Spykman durant la Deuxième Guerre mondiale lorsqu’il esquissera la perspective d’un changement d’alliances pour faire face à un éventuel hégémonisme soviétique après la guerre : « les régimes changent, les dictateurs passent mais les montagnes sont toujours à la même place ». Conception réductrice qui ne tient pas compte du fait que le rapport à l’espace se modifie en fonction des moyens disponibles, comme l’avait déjà pressenti le géographe militaire russe Yazikov dans les années 1830, intuition développée un siècle plus tard par l’amiral Castex.
Géopolitique et déterminisme
Cela ne veut pas dire que la géopolitique ne soit qu’une rationalisation de l’esprit de conquête et condamnée au dogmatisme : si les pères fondateurs ont conçu une géopolitique quelque peu olympienne, raisonnant à l’échelle des continents, des océans et finalement du monde, sans beaucoup d’égards pour la complexité du réel, les tendances actuelles se montrent plus sensibles au détail du terrain, aux relations entre territoire et culture, aux différences d’échelle... Surtout, alors que l’on raisonnait auparavant d’abord en vue de l’accroissement de l’espace, la leçon principale du XXe siècle a été qu’il fallait penser en termes d’organisation plutôt que d’extension.
Tout au plus est-il permis de penser que la géopolitique est, même si Yves Lacoste récuse fortement cette idée, une pensée déterministe. Elle établit une relation privilégiée entre l’espace et la politique. De par son intitulé même, la géopolitique place nécessairement au centre de son analyse le facteur spatial et lui confère une influence privilégiée, certes multiforme, concurrencée ou partiellement annihilée par d’autres facteurs, mais engendrant tout de même, « en dernière instance » si l’on ose dire, sinon des relations mécaniques, au moins des constantes. C’est d’ailleurs le sous-titre du traité d’Aymeric Chauprade, Géopolitique (2001) dans lequel on trouve une allusion aux « lois d’airain de la geopolitique ». Refuser ce lien revient à vider la géopolitique de tout contenu spécifique pour en faire une science globale, à l’instar de Marcel Mauss qui disait : « J’appelle sociologie toute science bien faite ». Les appellations sont ainsi relativisées et réduites à une simple marque que chacun peut choisir à sa guise, solution un peu trop simple.
La géopolitique aujourd’hui
La géopolitique est revenue en force aux États-Unis après un effacement complet depuis la fin des années 40. Elle sert, chez Zbigniew Brzezinski, à affirmer le bien-fondé de la suprématie mondiale des États-Unis, ou chez Samuel Huntington, à accréditer l’idée d’un « choc des civilisations », discours aujourd’hui dominant même si la globalisation suscite des thèses antagonistes. En Europe occidentale, parti de France et de Grande-Bretagne, le mouvement a gagné les autres pays européens dans les années 1990 : on trouve une revue Geopolitika en Grèce (33), des travaux de géopolitique variés en Italie (de la revue Limes aux ouvrages du général Carlo Jean) (34). Sur les ruines de la défunte Union soviétique, la Russie cherche une nouvelle voie : l’eurasisme d’Alexandre Douguine lui en suggère une, qui reprend les thèmes géopolitiques les plus traditionnels. Même s’il est trop tôt pour parler d’une renaissance durable, même si l’institutionnalisation universitaire se fait toujours attendre (en dehors de quelques chaires ou centres de recherches isolés), nous sommes en présence d’un véritable mouvement de fond.
L’appréciation que l’on peut porter sur ledit mouvement varie en fonction des inclinations idéologiques et scientifiques. Certains déploreront le retour des vieux démons ou au moins le retour à des explications monocausales qui ne devraient plus avoir cours, alors que toutes les sciences tentent à démontrer la complexité du réel. D’autres soulignent la mutation de cette nouvelle géopolitique, qui est à l’ancienne ce que l’école des Annales était à l’histoire positiviste. Les paradigmes ont changé, la vision olympienne des grands fondateurs a cédé la place à des approches plus subtiles, moins centrées sur les seuls aspects physiques pour prendre en compte la globalité de la position structurelle des acteurs ; au risque de retomber sur l’écueil précédemment signalé : pourquoi qualifier de géopolitique une explication globale ? La référence au cadre mondial suffirait-elle à justifier l’appellation ? Paul Kennedy est-il historien ou géopoliticien quand il analyse le déclin inévitable des grandes puissances ? Samuel Huntington a-t-il abandonné la science politique pour rallier le camp de la géopolitique pour parler du choc des civilisations ?
L’incertitude épistémologique et théorique demeure. On ne sait pas très bien ce qu’est la géopolitique. En tout cas, ses multiples définitions sont, soit vagues ou équivoques, soit contradictoires. Yves Lacoste, qui est celui qui a poussé le plus loin la réflexion géopolitique en France depuis son célèbre essai La géographie ça sert d’abord à faire la guerre (1976), semble avoir renoncé à l’idée d’un traité de géopolitique qui essaierait de fixer une matière décidément insaisissable.
Au-delà cette incertitude, reste le besoin, confusément ressenti, d’une explication globale. Le progrès des sciences sociales a pour contrepartie inévitable leur spécialisation, leur atomisation : chaque spécialiste en sait de plus en plus, mais sur un domaine de plus en plus restreint. La géopolitique peut être comprise comme une tentative de se soustraire à la loi d’airain de l’éclatement du savoir, pour suggérer des grands cadres d’explication qui, à défaut d’être d’une grande solidité théorique, ont le mérite de rendre intelligible la masse des phénomènes contemporains et de définir des orientations, positives ou négatives. Elle reprend, en somme, le programme qui fut celui de la sociologie à ses débuts. Aucune objection ne pourra jamais prévaloir contre cette volonté d’ordre et de compréhension globale des phénomènes sociaux.
► Dr. Hervé COUTAU-BÉGARIE, Strategic Impact n°2, 2006. Vouloir
• Cet article est issu de deux études préliminaires, « Bilan de la géopolitique » dans Géopolitique et conflits au XXe siècle, actes du 27e Colloque international d’histoire militaire, Athènes, 2001, et « L’aventure de la géopolitique », Relations internationales n°109, juin 2002, en attendant une très improbable synthèse.
Notes :
1 Karl WITTFOGEL, Le despotisme oriental, Minuit, 1960.2 Fernand BRAUDEL, Une leçon d’histoire, Arthaud, 1985.
3 Cf. H. COUTAU-BÉGARIE, Le phénomène Nouvelle histoire : Grandeur et décadence de l’École des Annales, Économica, 2e éd., 1989.
4 Cf. H. COUTAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, ISC-Économica, 4e éd., 2003.
5 Sur MACKINDER, W.H.PARKER, Mackinder : Geography as an aid to statecraft, Oxford, Clarendon Press, 1982 et Brian W. BLOUET, Halford Mackinder : A Biography, College Station (Texas), A & M Univ. Press, 1987.
6 Halford J. MACKINDER , « Le pivot géographique de l’histoire », Stratégique n°55, 1992-3, pp. 11-29.
7 Friedrich RATZEL, Géographie politique, Genève, Éd. régionales européennes, 1988 (traduction abrégée ; manque not. le texte sur « la mer comme source de grandeur des peuples »).
8 Cf. les travaux de Michel KORINMAN, Continents perdus : Les précurseurs de la géopolitique allemande, Économica, 1991 et Quand l’Allemagne pensait le monde : Grandeur et décadence d’une géopolitique, Fayard, 1989.
9 Halford J. MACKINDER, « Une vision globale du monde pour le conquête de la paix », Stratégique n°57, 1995‑1, pp. 7-20.
10 Il n’existe pas encore de biographie intellectuelle de Nicholas Spykman.
11 En français, la référence la plus sûre et la plus complète sur le geopolitique aux États-Unis est l’article d’un chercheur italien, Marco ANTONSICH, « De la Geopolitik à la Geopolitics : Transformation historique d’une doctrine de puissance », Stratégique n°60, 1995-4, pp.53-87.
12 Signalons tout de même deux articles fondamentaux : Ladis K.D. KRISTOF, « The Origins and Evolution of Geopolitics », Journal of Conflict Resolution, 1960 et Marco ANTONSICH, « Itinerari di geopolitica contemporanea », Quaderni del dottorato di riserca in geografia politica, 1995. Ces deux articles seront prochainement traduits dans Hervé COUTAU-BÉGARIE et Martin MOTTE, Aspects de la pensée géopolitique, ISC-Économica, 2006.
13 Réédité avec une riche préface de Béatrice GIBLIN, La Découverte, 198…
14 Amiral CASTEX, Théories Stratégiques, édition complète, ISC-Économica, 1997, 7 volumes.
15 Ezio FERRANTE, « Domenico Bonamico et la naissance de la pensée géopolitique navale italienne » et Marco ANTONSICH, « La géopolitique méditeranéenne de l’Italie fasciste » dans H. COUTAU-BÉGARIE, La pensée géopolitique navale : L’évolution de la pensée navale V, ISC-Économica, 1995, pp.151-162 et 163-190.
16 Kyoichi TASHIKAWA, « La politique de la sphère de co-prospérité de la grande Asie orientale au Japon », Stratégique n°81, 2001-1, pp. 155-165.
17 H. COUTAU-BÉGARIE, « Géopolitique théorique et géopolitique appliquée en Amérique latine », Hérodote n°57, avril-juin 1990, pp. 160-179.
18 Panorama bibliographique très complet dans John CHILD, « Geopolitical Thinking in Latin America », Latin American Research Review, 1976, pp.84-111.
19 Saül B. COHEN, Geography and Politics in a World Divided, Londres, Methuen, 2e ed, 1973.
20 Parmi les essais de réflexion sur ce point, François THUAL, Méthodes de la géopolitique, Ellipses, 1996.
21 Qui a donné l’élan initial avec son petit livre Geopolitics of Nuclear Era, New York, Crane Russak, 1977.
22 Zbigniew BRZEZINSKI, Le grand échiquier, Bayard, 1998.
23 Ferruccio BOTTI, « Le concept de géostratégie et son application à la nation italienne dans les théories du général Durando (1846) », Stratégique n° 58, 1995-2, pp.121-137.
24 Pascal LOROT (dir.), Introduction à la géoéconomie, Économica, 1998.
25 Cf. Lars WEDIN, « Kjellèn. La naissance de la géopolitique et la pensée navale suédoise », dans H. COUTAU-BÉGARIE, La pensée géopolitique navale : L’évolution de la pensée navale V, ISC‑Économica, 1995, pp.227-244.
26 Cf. Pierre BIRNBAUM, La fin du politique, Seuil, 1980.
27 Songeons simplement au triomphe de la sociologie durkheimienne sur ses rivales, comme la psychologie sociale de Théodule Ribot ou Gustave Le Bon ou la sociologie de Le Play ou Worms, qui ont eu une grande influence en leur temps, mais qui n’ont pas eu de postérité.
28 Le livre fondateur étant celui de Hans J. MORGENTHAU, Politics among Nations, 1948. Avant lui, Spykman avait apporté une contribution importante avec International Politics, 1933.
29 Cf. les préfaces de Hans Adolf JACOBSEN et Jean KLEIN à Karl HAUSHOFER, De la géopolitique, Fayard, 1987.
30 Cf. H.P. WILLMOTT, La guerre du Pacifique 1941-1945, Autrement, coll. Atlas des guerres, 2001.
31 Cf. Golbery do COUTO e SILVA, Geopolitica do Brasil & Conjuntura politica nacional o poder executivo, Rio de Janeiro, Libraria Jose Olympio, 3e ed., 1980.
32 Cf. H. COUTAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, op.cit., pp.751-754.
33 Ioannis LOUCAS a écrit un essai de géopolitique (1999), malheureusement réservé aux érudits (fort rares) capables de lire le grec moderne.
34 Not. C. JEAN, Geopolitica, Rome, Laterza, 1995. Cf. M. Antonsich, Geografia politica e Geopolitica in Italia dal 1945 ad oggi, Trieste, Quaderni di ricerca del dottorato in Geografia Politica, 1996.
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Sur l'identité européenne
Définir l'identité de l'Europe dans un exposé d'une demi-heure tient de la gageure ! Mais, c'est vrai, il faut être capable de synthétiser ses idées, de transmettre l'essentiel en peu de mots. Mieux : en peu de cartes [projection de 5 cartes].
L'Europe, c'est avant toute chose une histoire. C'est cette histoire qui est son identité. C'est la somme des gestes qui ont été accomplies. Rien d'autre. Et certainement pas un code ou une abstraction qui se profilerait derrière cette histoire et qui serait plus “sublime” que le réel. L'histoire qui fonde notre identité est une histoire très longue, dont les origines ne sont pas connues du grand public, auquel on cache l'épopée initiale de nos peuples. Les choses sont en train de changer dans le bon sens. Au cours des dix dernières années, les revues de bonne vulgarisation scientifique nous parlent de plus en plus souvent de la grande chevauchée des Proto-Iraniens, puis des Scythes, en direction de l'Asie centrale. Les archéologues Mallory et Mair viennent de retracer l'émouvante aventure du peuple qui nous a laissé les “momies du Tarim” dans le Sin Kiang chinois, des corps quasi intacts qui nous ressemblent comme des frères. Partis d'Europe centrale, en effet, des vagues de cavaliers européens ont poussé au moins jusqu'aux plaines du Sin Kiang, sinon jusqu'au Pacifique. Pendant des siècles, des royaumes européens ont subsisté dans ces régions, alors très hospitalières et fertiles. Une civilisation tout à la fois européenne, indienne et bouddhiste, a laissé des traces sublimes au cœur du continent asiatique.Associer l'idée de divin à la lumière solaire et sidérale
Les racines de l'Europe se retrouvent, dans leurs traces les plus anciennes, essentiellement dans la tradition iranienne, ou avestique, dont Paul Du Breuil et Henry Corbin ont exploré l'univers mental. Paul Du Breuil retrace méticuleusement la religion très ancienne, guerrière, de cette branche aventurière du peuple européen, qui avait domestiqué le cheval, inventé les attelages et le char de combat. Cette religion est une religion de la Lumière et du Soleil, avec le dieu Aruna (l'Aurore) comme conducteur du char solaire. Garuda, le frère d'Aruna, est, dans cette mythologie, le “seigneur du Ciel” et le “chef des oiseaux”. Il personnifie la puissance masculine et on le représente souvent sous la forme d'un oiseau à tête d'aigle, blanc ou doré, parfois avec des ailes rouges. On constate très tôt, dit Paul Du Breuil, “que le symbolisme religieux eurasien, a associé l'idée du divin avec la lumière, solaire ou sidérale, et avec un oiseau fabuleux, fort et de haut vol”. Cette triple symbolique du Soleil, du Ciel et de l'Aigle, se retrouve chez le chef et père des dieux dans le panthéon romain, Jupiter. Et l'idée d'empire, dans les traditions européennes, conserve le symbole de l'aigle. De l'Iran avestique à nos jours, cette symbolique immortelle nous est restée. Sa pérennité atteste bel et bien que sa présence inamovible en fait un fondement de notre identité.Le monde avestique, aboutissement d'une grande migration européenne aux temps proto-historiques, nous a légué les notions cardinales de notre identité la plus profonde, qui ne cesse de transparaître malgré les mutations, malgré les conversions au christianisme ou à l'islam, malgré les invasions calamiteuses des Huns, des Mongols ou des Turcs, malgré les despotismes de toutes natures, qui ont dévoyé et fourvoyé les Européens au cours d'une histoire qui ne cesse d'être tumultueuse. Arthur de Gobineau a démontré la précellence du monde iranien, sa supériorité pratique par rapport à un hellénisme trop discursif et dialectique. À sa suite, Henry Corbin, en explorant les textes que nous a laissés le poète médiéval persan Sohrawardi, nous a restitué une bonne part de notre identité spirituelle profonde, de notre manière primordiale de voir et de sentir le monde : pour Sohrawardi, légataire médiéval de l'immémorial passé avestique, l'Esprit Saint est Donateur de formes, la Lumière immatérielle est la première manifestation de l'Être primordial, qui, lui aussi, est Lumière, pleine Lumière resplendissante, synthèse du panthéon ouranien des dieux diurnes (cf. Dumézil, Haudry).Dans cette spiritualité euro-avestique de la proto-histoire, de cette époque où vraiment tout s'est révélé, il y a précellence du Soleil ; les âmes nobles et les chefs charismatiques ont une aura que les Perses appelaient Xvarnah (Lumière de Gloire) et que l'on représente sous forme d'une auréole à rayons solaires. Ce culte lumineux s'est répercuté dans la tradition médiévale européenne dans la figure omniprésente de l'archange Saint-Michel, dont le culte est d'origine iranienne et zoroastrienne. Et surprise : le culte de Saint Michel va ressusciter à Bruxelles dans quelques jours, lors de la fête de l'Ommegang, en l'honneur de l'étendard impérial de Charles-Quint. Le géant Saint-Michel ressortira dans les rues, après une très longue éclipse, ajoutant l'indispensable spiritualité archangélique à cette fête impériale unique en Europe. Signe des temps ? Osons l'espérer !La force archangélique et michaëlienne
Pour Hans Werner Schroeder, les archanges, legs de la tradition iranienne dans l'Europe médiévale, insufflent les forces cosmiques originelles dans les actions des hommes justes et droits et protègent les peuples contre le déclin de leurs forces vives. L'archange aux vastes ailes déployées et protectrices, que l'on retrouve dans les mythologies avestiques et médiévales-chrétiennes, indique la voie, fait signe, invite à le suivre dans sa marche ou son vol toujours ascendant vers la lumière des lumières : la force archangélique et michaëlienne, écrit Emil Bock, induit une dynamique permanente, une tension perpétuelle vers la lumière, le sublime, le dépassement. Elle ne se contente jamais de ce qui est déjà là, de ce qui est acquis, devenu, de ce qui est achevé et clos, elle incite à se plonger dans le devenir, à innover, à avancer en tous domaines, à forger des formes nouvelles, à combattre sans relâche pour des causes qui doivent encore être gagnées. Dans le culte de Saint-Michel, l'archange n'offre rien aux hommes qui le suivent, ni avantages matériels ni récompenses morales. L'archange n'est pas consolateur. Il n'est pas là pour nous éviter ennuis et difficultés. Il n'aime pas le confort des hommes, car il sait qu'avec des êtres plongés dans l'opulence, on ne peut rien faire de grand ni de lumineux.
La religion la plus ancienne des peuples européens est donc cette religion de Lumière, de gloire, de dynamique et d'effort sur soi. Elle est née parmi les clans européens qui s'étaient enfoncés le plus profondément dans le cœur du continent asiatique, qui avaient atteint les rives de l'Océan Indien et s'étaient installés en Inde. L'identité la plus profonde de l'Europe est donc cette trajectoire qui part de l'embouchure du Danube en Mer Noire vers le Caucase et au-delà du Caucase vers les hauts plateaux iraniens et vers la vallée de l'Indus, ou, au Nord, à travers l'Asie centrale, la Bactriane, vers le Pamir et les dépressions du Takla Makan dans le Sin Kiang, aujourd'hui chinois.Une chaîne ininterrompue de trois empires solides
L'idéal impérial européen s'est ancré dans notre antiquité sur cette ligne de projection : entre 2000 et 1500 av. JC, l'expansion européenne correspond à celle des civilisations semi-sédentaires dites d'Androvno et de Qarasouk. À cette époque-là, les langues européennes se répandent en Iran, jusqu'aux rives de l'Océan Indien. Cimmériens, Saces, Scythes, Tokhariens, Wou-Souen et Yuezhi se succèdent sur le théâtre mouvant de la grande plaine centre-asiatique. Entre 300 et 400 de notre ère, 3 empires se juxtaposent entre l'Atlantique et l'Inde du Nord : Rome, les Sassanides parthes et l'Empire gupta en Inde. L'Empire gupta avait été fondé par les Yuezhi européens, qui nommaient leur territoire le Kusana et étaient au départ vassaux des Sassanides. Les Gupta fédèrent les clans du Kusana et les Tokhariens du Tarim. À ce moment historique-là, une chaîne ininterrompue de 3 empires solides, dotés d'armées bien entraînées, auraient pu faire barrage contre les pressions hunno-mongoles, voire se fédérer en un bloc partant d'Ecosse pour aboutir au delta du Gange.
Mais le destin a voulu un sort différent, pour le grand malheur de tous nos peuples : Rome a été minée par le christianisme et les dissensions internes ; l'empire s'est scindé en 2, puis en 4 (la tétrarchie), puis s'est effondré. Les Sassanides connaissent une période de répit, traitent avec l'Empereur romain d'Orient, Justinien, et partent à la conquête de la péninsule arabique, avant de succomber sous les coups de l'Islam conquérant. L'Empire des Gupta s'effondre sous les coups des Huns du Sud.
La fin de l'Antiquité signifie la fin des empires déterminés directement et exclusivement par des valeurs d'inspiration européenne, c'est-à-dire des valeurs ouraniennes, archangéliques et michaëliennes, voire mazdéennes ou mithraïques. Les peuples hunniques, mongols ou turcs se ressemblent en Asie centrale et en chassent les Européens, les massacrent ou les dominent, les transformant en petites peuplades résiduaires, oublieuses de leurs racines et de leurs valeurs. Au Sud, les tribus arabes, armées par l'idéologie religieuse islamique, bousculent Byzance et la Perse et pénètrent à leur tour en Asie centrale.L'invasion des Huns provoque un chaos indescriptible
L'identité européenne ne peut s'affirmer que si elle demeure maîtresse des grandes voies de communication qui unissent la Méditerranée ou la Baltique à la Chine et à l'Inde. Dynamique, l'identité européenne s'affirme ou disparaît sur un espace donné ; elle entre en déclin, se rabougrit si cet espace n'est plus maîtrisé ou s'il n'est plus accessible. Cet espace, c'est l'Asie centrale. À la fin de la période antique, les Ruan Ruan mongols bousculent les Xianbei, qui bousculent les chefferies turques des marges du monde chinois, qui bousculent à leur tour les Huns du Kazakhstan, qui passent sur le corps des Alains européens à l'Ouest de la Caspienne, dont les débris se heurtent aux Goths, qui franchissent la frontière de l'Empire romain agonisant, précipitant le sous-continent européen, berceau de nos peuples, dans un chaos indescriptible. Finalement, les Huns sont arrêtés en 451 en Champagne par l'alliance entre Romains et Germains.Le destin de l'Europe s'est donc joué en Asie centrale. La perte de contrôle de cette vaste zone géographique entraîne la chute de l'Europe : hier comme aujourd'hui. Les ennemis de l'Europe le savent : ce n'est donc pas un hasard si Zbigniew Brzezinski entend jouer la carte turque/turcophone contre la Russie, l'Inde, l'Iran et l'Europe dans ce qu'il appelle les “Balkans eurasiens”. Ce que je viens de vous dire sur la proto-histoire à l'Est de la Volga et de la Caspienne n'est pas la tentative d'un cuistre d'étaler son érudition, mais de rappeler que la dynamique amorcée par nos plus lointains ancêtres dans ces régions du monde et que la dynamique amorcée lentement d'abord, brutalement ensuite, par les peuples hunniques et turco-mongols à la fin de l'antiquité sont des dynamiques qui restent actuelles et dont les aléas sont observés et étudiés avec la plus grande attention dans les états-majors diplomatique et militaire américains aujourd'hui.
En effet, une partie non négligeable du succès américain en Afghanistan, en Mésopotamie, en Asie centrale dans les républiques musulmanes et turcophones de l'ex-URSS est due à une bonne connaissance des dynamiques à l'œuvre dans cette région centrale de la grande masse continentale eurasiatique. Encyclopédies, atlas historiques, thèses en histoire et ouvrages de vulgarisation, émissions de télévision s'accumulent pour les expliciter dans tous leurs détails. L'Europe continentale, les espaces linguistiques français, allemand et autres, sont en retard : personne, même dans les hauts postes de commandement, ne connaît ces dynamiques. Dans la guerre de l'information qui s'annonce et dont nous avons perdu la première manche, la connaissance généralisée de ces dynamiques sera un impératif crucial : mais les choses avancent, lentement mais sûrement, car des revues grand public comme Archeologia, Grands Reportages, Géo, National Geographic (version française) commencent systématiquement à nous informer sur ces sujets. L'or des Scythes, les villes florissantes de la Sérinde et de l'antique Bactriane, la Route de la Soie, les voyages de Marco Polo, la Croisière Jaune de Citroën sont autant de thèmes proposés à nos contemporains. François-Bernard Huyghe, spécialiste de la guerre cognitive à l'ère numérique, figure cardinale de la pensée stratégique française aujourd'hui, nous a laissé un ouvrage de base sur l'Asie centrale. En Suisse, le Professeur Jacques Bertin nous a fourni en 1997 un Atlas historique universel, où tout ce que je vous dis est explicité par des cartes limpides et didactiques.Une organisation optimale du territoire
L'objectif stratégique de cette vulgarisation, destinée à éveiller le grand public aux thèmes majeurs de la géostratégie planétaire, est de damer le pion à la stratégie préconisée par Zbigniew Brzezinski dont le but final est de soustraire l'espace noyau de l'Asie centrale au contrôle de toutes les puissances périphériques, surtout la Russie et l'Europe, mais aussi l'Inde et l'Iran. Brzezinski n'a pas hésité à dire que les Américains avaient pour but d'imiter les Mongols : de consolider une hégémonie économique et militaire sans gérer ni administrer le territoire, sans le mailler correctement à la façon des Romains et des Parthes. L'Amérique a inventé l'hégémonie irresponsable, alors que les 3 grands Empires juxtaposés des Romains, des Parthes et des Gupta visaient une organisation optimale du territoire, une consolidation définitive, dont les traces sont encore perceptibles aujourd'hui, même dans les provinces les plus reculées de l'Empire romain : le Mur d'Hadrien, les thermes de Bath, le tracé des villes de Timgad et de Lambèze en Afrique du Nord sont autant de témoignages archéologiques de la volonté de marquer durablement le territoire, de hisser peuples et tribus à un niveau de civilisation élevé, de type urbain ou agricole mais toujours sédentaire. Car cela aussi, c'est l'identité essentielle de l'Europe. La volonté d'organiser, d'assurer une pax féconde et durable, demeure le modèle impérial de l'Europe, un modèle qui est le contraire diamétral de ce que proposent les Américains aujourd'hui, par la voix de Brzezinski.
Rien de tel du côté des Mongols, modèles des Américains aujourd'hui. Nulle trace sur les territoires qu'ils ont soumis de merveilles architecturales comme le Pont du Gard. Nulle trace d'un urbanisme paradigmatique. Nulle trace de routes. La dynamique nomade des tribus hunniques, mongoles et turques n'aboutit à aucun ordre territorial cohérent, même si elle vise une domination universelle. Elle ne propose aucun “nomos” de la Terre. Et face à cette absence d'organisation romaine ou parthe, Brzezinski se montre admiratif et écrit : « Seul l'extraordinaire empire mongol approche notre définition de la puissance mondiale ». Une puissance sans résultat sur le plan de l'organisation. Brzezinski et les stratèges américains veulent réactiver une dynamique anti-impériale, donc contraire aux principes qui sous-tendent l'identité européenne, et asseoir de la sorte un foyer permanent de dissolution pour les formes plus ou moins impériales ou étatiques qui survivent dans son voisinage. Brzezinski écrit, admiratif : « L'empire gengiskhanide a pu soumettre le Royaume de Pologne, la Hongrie, le Saint-Empire (?), plusieurs principautés russes, la califat de Bagdad et l'Empire chinois des Song ». Réflexion historique en apparence ingénue. Mais elle démontre, pour qui sait lire entre les lignes, que la réactivation d'un pôle turc, à références hunniques ou gengiskhanides, doit servir :
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à annihiler les pôles d'impérialité en Europe,
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à mettre hors jeu l'Allemagne, héritière du Saint-Empire et de l'œuvre du Prince Eugène de Savoie-Carignan,
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à tenir en échec définitivement l'Empire russe,
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à détruire toute concentration de puissance en Mésopotamie et
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à surveiller la Chine.
Connaître l'histoire des mouvements de peuples en Asie centrale permet de contrer la stratégie américaine, mise au point par Brzezinski, de lui apporter une réponse russe, indienne, européenne. Pour les Américains, il s'agit d'activer des forces de désordre, des forces dont l'esprit est diamétralement différent de celui de Rome et de la Perse sassanide. Si ces forces sont actives en une zone aussi cruciale de la masse continentale eurasienne, c'est-à-dire sur le territoire que la géopolitique britannique et américaine, théorisée par Mackinder et Spykman, nomme le heartland, le Cœur du Grand Continent, elles ébranlent les concentrations périphériques de puissance politique, leur impose des “frontières démembrées”, selon une terminologie que Henry Kissinger avait reprise à Richelieu et à Vauban. Tel est bien l'objectif de Kissinger et de Brzezinski : “démembrer” les franges territoriales extérieures de la Russie, de l'Iran, de l'Europe, priver celle-ci d'un accès à la Méditerranée orientale. C'est pour cette raison que les États-Unis ont voulu créer le chaos dans les Balkans, en diabolisant la Serbie, dont le territoire se situe sur l'axe Belgrade-Salonique, c'est-à-dire sur la voie la plus courte entre le Danube navigable, à l'Ouest des anciennes “cataractes”, et la Mer Égée, dans le bassin oriental de la Méditerranée. Diaboliser la Serbie sert à bloquer le Danube en sa portion la plus importante stratégiquement parlant, sert aussi à créer artificiellement en vide en plein milieu d'une péninsule qui a servi de tremplin à toutes les opérations européennes en Asie Mineure et au Proche-Orient. Celui-ci doit demeurer une chasse gardée des États-Unis.
Quelles ont été dans l'histoire les ripostes européennes à cette menace permanente et récurrente de dissolution venue de la zone matricielle des peuples hunniques, turcs et mongols, située entre le Lac Baïkal en Sibérie et les côtes du Pacifique ?Luttwak : d'une étude du limes romain à l'occupation de la Hongrie par les troupes américaines
L'Empire romain, probablement mieux informé des mouvements de populations en Asie que ne le laissent supposer les sources qui sont restées à notre disposition, avait compris que l'Empire devait se défendre, se colmater et se verrouiller à 2 endroits précis : en Pannonie, l'actuelle Hongrie, et dans la Dobroudja au Sud du Delta du Danube. Le Danube est l'artère centrale de l'Europe. C'est le fleuve qui la symbolise, qui la traverse tout entière de la Forêt Noire à la Mer Noire, qui constitue une voie d'eau centrale, une voie de communication incontournable. La maîtrise de cette voie assure à l'Europe sa cohésion, protège ipso facto son identité, est la garante de sa puissance, donc de sa survie, est finalement son identité géo-spatiale, la base tellurique du développement de son esprit de conquête et d'organisation, une base sans laquelle cet esprit ne peut se concrétiser, sans laquelle cet esprit n'a pas de conteneur. Ce n'est donc pas un hasard si les États-Unis déploient dorénavant leurs troupes en Hongrie le long du cours du Danube, qui, là-bas, coule du Nord au Sud, en direction de Belgrade.Le théoricien militaire américain, originaire de Roumanie, Edward Luttwak, avait rédigé un ouvrage magistral sur les limes romains en Europe centrale [La Grande Stratégie de l'Empire romain]. Les militaires du Pentagone appliquent aujourd'hui dans le concret les conclusions théoriques de l'historien. De même, un général britannique à la retraite, après une longue carrière à l'OTAN et au SHAPE à Mons-Casteaux en Hainaut, publie une histoire des guerres de Rome contre Carthage, où, curieusement, les opérations dans les Balkans, les jeux d'alliance entre puissances tribales de l'époque, laissent entrevoir la pérennité des enjeux spatiaux, la difficulté d'unifier cette péninsule faite de bassins fluviaux, de vallées et de plateaux isolés les uns des autres. Rome a excité les tribus illyriennes des Balkans les unes contre les autres pour en arriver à maîtriser l'ensemble de la péninsule. On est frappé, dans le récit du Général Nigel Bagnall, de voir comme il convient d'éloigner de l'Adriatique et de l'Égée la puissance tribale centrale, dont le territoire correspondait peu ou prou à celui de la Serbie actuelle ! L'historien militaire a parlé, les blindés et les F-16 de l'OTAN ont agi, quelques années après ! Moralité : l'étude de l'histoire antique, médiévale ou contemporaine est une activité hautement stratégique, ce n'est pas de la simple érudition. Les puissances dominantes anglo-saxonnes nous le démontrent chaque jour, tandis que l'ignorance des dynamiques de l'histoire sanctionne la faiblesse de l'Europe.
Revenons à l'histoire antique. Dès que les Huns franchissent le Danube, dans la Dobroudja en poursuivant les Goths ou en Pannonie, l'empire romain s'effondre. Quand les Avares, issus de la confédération des Ruan Ruan, s'installent en Europe au VIIe siècle, les royaumes germaniques, dont ceux des rois fainéants mérovingiens, ne parviennent pas à imposer à notre sous-continent un ordre durable. Charlemagne arrête provisoirement le danger, mais le Saint-Empire ne s'impose qu'après la victoire de Lechfeld en 955, où Othon Ier vainc les Hongrois et fait promettre à leurs chefs de défendre la plaine de Pannonie contre toute invasion future venue des steppes. En 1945, les Hongrois de Budapest défendent le Danube héroïquement : les filles et les garçons de la ville, âgés de 12 à 18 ans, sortent de leurs écoles pour se battre contre l'Armée Rouge, maison par maison, pan de mur par pan de mur. Je me souviendrais toujours des paroles d'une dame hongroise, qui me racontait la mort de son frère aîné, tué, fusil au poing, à 13 ans, dans les ruines de Budapest. Ces jeunes Magyars voulaient honorer la promesse faite jadis par leur Roi, mille ans auparavant. Un héroïsme admirable, qui mérite notre plus grand respect. Mais un héroïsme qui prouve surtout une chose : pour les peuples forts, le temps ne passe pas, le passé est toujours présent, la continuité n'est jamais brisée, les devoirs que l'histoire a imposés jadis doivent être honorés, même un millénaire après la promesse.
Après l'appel d'Urbain II à Clermont-Ferrand en 1096, les Croisés peuvent traverser la Hongrie du Roi Coloman et se porter vers l'Anatolie byzantine et la Palestine pour contrer l'invasion turque seldjoukide ; les Seldjoukides interdisent aux Européens l'accès aux routes terrestres vers l'Inde et la Chine, ce que les Arabes, précédemment, n'avaient jamais fait. Urbain II était très conscient de cet enjeu géopolitique. Mais les efforts des Croisés ne suffiront pas pour barrer la route aux Ottomans, héritiers des Seldjoukides et des Ilkhans, dominateurs turco-mongols de la Perse vaincue. L'objectif des Ottomans, conscients de l'histoire des peuplades hunno-turques, animés par la volonté de perpétuer la geste pluri-millénaire de leurs peuples contre les Européens, est de prendre le Danube, son embouchure et son delta, son cours oriental à l'Est de ses cataractes entre l'actuelle frontière serbo-roumaine ; ils entendent ensuite prendre Budapest, clef de la plaine pannonienne puis Vienne, capitale du Saint-Empire qu'ils appelaient la “Pomme d'Or”. Ils passent sur le corps des Serbes, des Bosniaques, des Croates, des Hongrois, des Frioulans et des Carinthiens, mais le bloc germanique, retranché derrière les premiers contreforts des Alpes, leur résistent. Il faudra une longue contre-attaque, une guerre d'usure de 3 siècles pour envoyer enfin au tapis le danger ottoman. Cette lutte de reconquista, comparable à la Reconquista espagnole, fonde, elle aussi l'identité politique et militaire de l'Europe. Ce n'est pas un hasard si la disparition du danger ottoman a ouvert l'ère des guerres civiles entre Européens, depuis les guerres révolutionnaires et napoléoniennes aux 2 guerres mondiales, dont on ne mesure pas encore pleinement la tragédie démographique qu'elles ont représentée pour l'Europe.L'arme redoutable du janissariat
Au départ, dans cette longue lutte de l'Europe danubienne contre les offensives continuelles des Ottomans, la balance démographique semblait en faveur de l'Europe. Le rapport était de 67 millions d'Européens contre une douzaine de millions de musulmans turcs. Mais la Turquie avait hérité et faite sienne une tradition persane-européenne de première importance : la notion de service armé de la jeunesse, la fotowwat, dont l'expression turque est l'Ordre des Janissaires. Pour Paul Du Breuil, l'origine des chevaleries et des ordres militaires remonte à la conquête de l'Asie centrale et des hauts plateaux iraniens par les peuples européens de la proto-histoire. Elle s'est transmise aux Perses (et aux Parthes), aux Alains, aux Sarmates, aux Goths et aux Arméniens de l'époque médiévale.De cette matrice iranienne et pontique, elle est passée, au temps des croisades, à l'Occident. Le nom même de l'Ordre de la Toison d'Or, fondé par les Ducs de Bourgogne, indique une “orientation” géographique vers l'aire pontique (la Mer Noire), l'Arménie caucasienne et l'Iran, berceau de la première organisation militaire rigoureuse des peuples européens, à l'aurore de l'histoire. C'est parce qu'ils ont traversé les territoires des Iraniens et des Arméniens que les Turcs seldjoukides comprennent l'importance d'un ordre militaire similaire à la fotowwat persane. C'est ainsi que naît l'ordre des janissaires, très discipliné, capable de vaincre des armées européennes plus nombreuses, mais moins disciplinées, ainsi que s'en plaint Ogier Ghiselin de Bousbeque, dans un texte qui figure aujourd'hui encore dans l'anthologie de la pensée stratégique de Gérard Chaliand, manuel de base des officiers français.
La discipline du janissariat ottoman culbute donc les armées serbes, croates et hongroises. La riposte européenne sera double : d'une part, les cosaques d'Ivan le Terrible prennent Kazan, la capitale des Tatars en 1552, puis descendent le cours de la Volga et coupent la route d'invasion traditionnelle des peuples hunniques et turcs au nord de la Caspienne, sur le cours de la Volga et dans son delta, à hauteur d'Astrakhan, qui tombe en 1556. Sur mer, les Portugais contournent l'Afrique et tombent dans le dos des puissances musulmanes dans l'Océan indien. Le cosaque sur terre, le marin sur l'océan ont représenté l'identité active et dynamique, aventurière et risquée de l'Europe au moment où elle était encerclée, de Tanger à Alexandrie, dans les Balkans, sur le Danube, sur la Volga et en Ukraine. La double opération maritime et terrestre des Russes et des Portugais desserre l'étau qui étranglait l'Europe et amorce une lente reconquista, qui ne sera jamais complètement achevée, car Constantinople n'est pas redevenue grecque ; la dissolution bâclée de l'ex-URSS rend cette hypothétique reconquista plus aléatoire que jamais, en créant un espace de chaos non maîtrisable dans les “Balkans eurasiens”.Eugène de Savoie : une excellente connaissance de la littérature militaire classique
L'esprit européen s'est incarné au XVIIe siècle dans un personnage hors du commun : le Prince Eugène de Savoie-Carignan. Garçonnet chétif et disgrâcieux, auquel on impose la tonsure à 8 ans pour en faire un moine, il voue son enfance et son adolescence à l'étude des classiques, mais rêve d'une carrière militaire, que Louis XIV lui refuse mais que l'Empereur d'Autriche accepte avec enthousiasme. Son excellente connaissance des classiques militaires en fait un capitaine méthodique, qui prépare la reconquête des Balkans, en organisant une flotte sur le Danube à l'imitation de celle que les Romains avaient construites à Passau (Batavia) en Bavière. Les plans d'Eugène de Savoie, le “noble chevalier”, permettent, avec la Sainte-Alliance qui allie Polonais, Bavarois, Autrichiens, Hongrois, Prussiens et Russes, de reconquérir 400.000 km2 sur les Ottomans. Avec les victoires successives d'Eugène de Savoie, le ressac des Ottomans est amorcé : ils n'avanceront plus d'un pouce. Quelques décennies plus tard, Catherine II et Potemkine reprennent la Crimée et font de la rive septentrionale de la Mer Noire une rive européenne à part entière, pour la première fois depuis l'irruption des Huns dans l'écoumène de nos peuples.
L'identité géopolitique européenne est donc ce combat pluri-millénaire pour des frontières stables et “membrées”, pour le libre passage vers le cœur de l'Eurasie, qu'avait réclamé Urbain II à Clermont-Ferrand en prêchant la première croisade. L'identité culturelle européenne est cette culture militaire, cet art de la chevalerie, héritée des héros de l'ère avestique. L'identité culturelle européenne est cette volonté d'organiser l'espace, l'ager des Romains, de lui imprégner une marque définitive. Mais aujourd'hui, où en est-on ? Quelle est notre situation objective ?Au cours des 15 à 20 dernières années, nous avons accumulé défaite sur défaite. Nos maigres atouts géostratégiques sont tombés les uns après les autres comme s'ils n'étaient qu'un alignement de dominos. La stratégie “mongolomorphe” de Brzezinski semble porter ses fruits. L'Europe et la Russie ne sont plus que des territoires loques, pantelants, sans ressort et sans plus aucune énergie propre. En effet :-
L'Europe a perdu sur le Danube : la Serbie, territoire qui relie l'Europe centrale danubienne à l'Égée, ancienne route des Doriens et des ancêtres macédoniens d'Alexandre le Grand, est soustraite à toute dynamique positive, vu l'embargo qu'on lui impose depuis Washington. L'Autriche a failli se faire diaboliser de la même manière, à l'époque très récente où Jacques Chirac et Louis Michel faisaient le jeu des Américains. Les armées américaines s'installent en Hongrie, aux mêmes endroits où campaient les légions de Rome pour "membrer" la frontière la plus fragile de l'Europe, la plaine hongroise, la Puszta, qui relie directement notre continent, via les plaines ukrainiennes et les immensités sibériennes, au territoire originel des peuples hunniques.
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L'Europe et la Russie perdent tous leurs atouts dans le Caucase, où la Géorgie de Chevarnadze joue à fond la carte américano-turque, où l'Azerbaïdjan est complètement inféodé à l'OTAN et à la Turquie, où les Tchétchènes, armés par les Turcs, les Saoudiens et les Américains, tiennent l'armée russe en échec et organisent des attentats sanglants à Moscou, comme en octobre dernier au théâtre Doubrovna. Dans ce contexte caucasien, la malheureuse Arménie est encerclée, menacée de toutes parts, n'a que des ennemis à ses frontières, sauf l'Iran, sur une longueur de 42 km à peine, zone que l'OTAN veut tout simplement “acheter” pour surveiller et menacer l'Iran.
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L'Europe, la Russie et l'Inde perdent dans le Cachemire, où la présence pakistanaise, solidement ancrée, empêchent la création d'un corridor de communication entre l'Inde et le Tadjikistan et entre celui-ci et la Russie. La présence pakistanaise empêche d'établir le lien qui aurait pu exister entre nos territoires à l'époque des 3 empires juxtaposés, juste avant la catastrophe des invasions hunniques.
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L'Europe perd dans les mers intérieures : l'Albanie, inféodée au binôme américano-turc, surveille le Détroit d'Otrante. Des navires de guerre américains, basés en Albanie, pourraient complètement verrouiller l'Adriatique et étouffer l'économie de l'Italie du Nord, dont l'axe fluvial, le Pô, débouche dans cette Mer Adriatique, au sud de Venise. L'objectif est justement d'empêcher l'éclosion d'une nouvelle Venise, d'une nouvelle “Sérénissime”, dont l'hinterland serait la Mitteleuropa tout entière. L'objectif est aussi d'empêcher l'Europe de rééditer l'exploit de Don Juan d'Autriche, vainqueur de la flotte ottomane à Lépante en 1571. Qui plus est, l'Europe perd tous ses atouts et son allié potentiel dans le Golfe, zone stratégique de première importance pour contrôler notre sous-continent. En effet, à partir de 1941, quand les Britanniques s'emparent tour à tour de l'Irak, de la Syrie et du Liban, puis, avec l'aide des Soviétiques, de l'Iran, ils se dotent d'une base arrière permettant d'alimenter en matières premières, en matériels de tous ordres et en pétrole, les armées concentrées en Egypte, qui s'empareront de la Libye, de la Tunisie et de l'Italie ; et aussi d'alimenter les armées soviétiques, via les chemins de fer iraniens, la liaison maritime sur la Caspienne et, de là, via la liaison fluviale de la Volga. Seule la bataille de Stalingrad a failli couper cette artère. Comme l'a souvent souligné Jean Parvulesco, l'Europe est à la merci de toute grande puissance qui tiendrait fermement en son pouvoir la Mésopotamie et les régions avoisinantes. Plus bref, Parvulesco a dit : « L'Europe se tient par le Sud-Est ». La victoire anglo-saxonne et soviétique de 1945 en est la plus belle démonstration. Et c'est parce que cette région est vitale, sur le plan géostratégique, que les Américains tiennent à s'en emparer définitivement aujourd'hui, ne veulent plus la lâcher. Le scénario de base est et reste le même. Nous pourrions citer d'innombrables exemples historiques.
Nous sommes ramenés des siècles en arrière
Dès lors, cette situation désastreuse nous ramène plusieurs siècles en arrière, au temps où les Ottomans assiégeaient Vienne, où les Tatars étaient solidement installés sur le cours des 2 grands fleuves russes que sont la Kama et la Volga, où les sultans du Maroc envisageaient de reprendre pied dans la péninsule ibérique. Oui, nous sommes revenus plusieurs siècles en arrière depuis les événements du Golfe en 1991, depuis les événements de Yougoslavie dans la décennie 90, depuis l'éclatement de la mosaïque caucasienne et la rébellion tchétchène, depuis l'occupation de l'Afghanistan et depuis celle, toute récente, de l'Irak. Cette situation implique :-
Que les Européens doivent montrer une unité de vue inflexible dans les Balkans et contester là-bas toute présence turque, saoudienne ou américaine.
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Que les Européens ôtent toute marge de manœuvre à la Turquie dans les Balkans et dans le Caucase.
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Que les Européens doivent rendre à nouveau toute circulation libre sur le Danube, en englobant la Serbie dans ce projet.
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Que les Européens doivent réaliser une triple liaison par canaux, routes et voies de chemin de fer entre Belgrade et Salonique, soit entre l'Europe centrale danubienne et l'Égée.
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Que les Européens doivent s'assurer la maîtrise stratégique de Chypre, faire pression sur la Turquie pour qu'elle évacue l'île sans condition.
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Que les Européens appuient l'Arménie encerclée contre l'alliance entre Turcs, Américains, Azéris, Géorgiens, Saoudiens et Tchétchènes.
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Que les Européens doivent jouer la carte kurde contre la Turquie.
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Que les Européens appuient l'Inde dans la lutte qui l'oppose au Pakistan, allié des États-Unis, dans la question irrésolue du Cachemire.
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Que les Européens mènent une politique arabe intelligente, se basant sur les idéologies nationales-étatiques de type baathiste ou nassériennes, à l'exclusion des intégrismes islamistes, généralement manipulés par les services américains, comme ce fut le cas des talibans, ou des frères musulmans contre Nasser, ou des Chiites contre Saddam Hussein.
Les deux anacondas
Pratiquer cette géopolitique, à multiples volets, nous conduit :-
À repenser la théorie de l'anaconda. Pour Karl Haushofer, le célèbre géopolitologue allemand, que l'on redécouvre après une longue éclipse, l'anaconda, ce sont les flottes des puissances maritimes anglo-saxonnes qui enserrent le grand continent asiatique et le condamnent à l'asphyxie. Cet anaconda est toujours là. Mais, il est doublé d'un nouvel anaconda, le réseau dense des satellites qui entourent la Terre, nous espionnent, nous surveillent et nous condamnent à la stagnation. Cet anaconda est, par exemple, le réseau ÉCHELON. L'identité combattante de l'Europe consiste aujourd'hui à apporter une réponse à ce défi. Or le défi spatial ne peut être résolu que par un partenariat avec la Russie en ce domaine, comme le préconise Henri de Grossouvre dans son excellent ouvrage sur l'Axe Paris-Berlin-Moscou.
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À avoir une politique maritime audacieuse, comme celle qu'avait eue Louis XVI en France. L'Europe doit être présente sur mer, militairement, certes, mais doit aussi revendiquer ses droits aux richesses halieutiques. Ensuite, un système de défense des côtes s'avère impératif.
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À affirmer son indépendance militaire, à partir de l'Eurocorps, qui pourrait devenir une "Force de Réaction Rapide” européenne, celle-là même à laquelle la Turquie a opposé son veto naguère.
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À déconstruire les archaïsmes institutionnels qui subsistent encore au sein de l'UE.
L'identité politique européenne, seule identité vraiment concrète puisque nous savons depuis Aristote que l'homme est un animal politique, un zôon politikon, réside donc, aujourd'hui, en cette époque de calamités, à prendre conscience de nos déboires géopolitiques, que je viens d'énoncer, et à agir pour promouvoir une politique spatiale, maritime et militaire claire. Il est évident que cette prise de conscience et que ce plan d'action n'aboutiront au succès que s'ils sont impulsés et portés par des hommes qui ont le profil volontaire, actif et lumineux, archangélique et michaëlien, que nous ont légué, il y a plusieurs millénaires, les Européens arrivés sur les hauts plateaux iraniens, pour y donner naissance à la tradition avestique, la seule, la vraie, la Grande Tradition, celle de notre “Orient” pré-persan, noyau de toutes les chevaleries opératives.
◘ Communication de Robert Steuckers à la « Fête de l'Identité », Santes/Lille, le 28 juin 2003
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11 septembre 2001: « Rien n'explique que les avions aient pu pénétrer aussi facilement l'intérieur des zones les mieux protégées du monde »
Journaliste d'investigation, Eric Raynaud se passionne depuis huit ans pour les attentats du 11 septembre 2001. Auteur d'un livre intitulé 11 septembre, les vérités cachées, il est convaincu que les tours du World Trade Center avaient été piégées avant que les avions ne les percutent. Il s'explique pour Monde et Vie.
M&V : Le 11 septembre 2001, le monde entier a assisté en direct à l'écroulement des tours du World Trade Center à New-York, heurtées de plein fouet par des avions de ligne détournés par des terroristes. Pour tout le monde, ces terroristes et leur chef, un certain Oussama ben Laden, jusqu'alors inconnu du grand public, en étaient seuls responsables. Comment en êtes-vous arrivé à douter de la version officielle des événements ?
- Eric Raynaud : A l'époque,je suis resté «scotché», le souffle coupé, devant ma télévision jusqu'à cinq heures du matin et je ne me suis pas posé de question sur la manière dont l'événement avait pu se produire. Les questions sont venues plus tard, d'abord à la lecture du livre de Thierry Meyssan sur l'attentat visant le Pentagone, « L'Effroyable imposture », puis lors de la publication des conclusions de la commission d'enquête américaine conduite par l'administration Bush-Cheney, absolument pas crédibles. Des scientifiques de premier rang sont d'ailleurs montés au créneau pour critiquer cette version officielle des faits, avec des arguments puissants. Après l'élection de Barack Obama, la parole s'est un peu libérée.
Elle est plus libre aux Etats-Unis qu'en France...
- En effet, de nombreuses associations s'y sont créées et se sont pour la plupart fédérées au sein d'un Mouvement pour la vérité sur le 11 septembre, afin de réclamer l'ouverture d'une nouvelle enquête. Des associations de victimes et de familles de victimes, de pompiers, de témoins, de Professionnels du bâtiment - architectes et ingénieurs -, d'anciens agents des services secrets, une association de personnalités religieuses et une autre rassemblant des dirigeants politiques internationaux ont demandé que la lumière soit faite sur les nombreuses obscurités de ce drame.
Selon vous, que s'est-il réellement produit le 11 septembre ?
- Il s'agit indubitablement d'attentats perpétrés par des terroristes - nous avons tous vu les avions percuter les tours -, mais je suis convaincu que Georges Bush et les membres de son administration avaient des éléments démontrant qu'ils allaient se produire. Les services secrets d'au moins quinze pays, dont le Mossad, les services secrets afghans et la DGSE française (dès le mois de janvier !), les avaient prévenus qu'un attentat allait avoir lieu avec des avions détournés. La CIA en avait aussi fait état le 6 août 2001, lors du briefing quotidien en présence de George Bush. L'administration en place a volontairement laissé faire et probablement accompagné le mouvement. On ne s'explique pas autrement que les avions aient pu pénétrer aussi facilement à l'intérieur des zones les mieux protégées du monde : New-York, Washington et le Pentagone. Il faut savoir qu'autour du Pentagone est tracé un cercle virtuel, baptisé P 56, dans lequel on n'entre pas sans émettre un message accompagné d'un code qui est changé tous les jours. Si ce message codé n'est pas reçu, des missiles sont immédiatement lancés contre l'appareil intrus. Les avions qui ont percuté les tours auraient également dus être interceptés par la chasse américaine dans les six minutes. À 8 h 30, deux appareils étaient prêts à décoller et à se porter sur l'adversaire en 5 ou 6 minutes. Or ils sont restés au sol pendant une heure et demi, laissant le deuxième avion se fracasser sur la deuxième tour...
Vous évoquez dans votre livre la découverte d'un scientifique, Niels Harrit ? De quoi s'agit-il ?
- Niels Harrit est un scientifique danois, spécialisé en nanochimie. En mars dernier, il a publié dans un bulletin scientifique à comité de lecture - ce qui pour un scientifique est un gage de sérieux - une étude dans laquelle il expliquait avoir trouvé, dans les poussières de béton des tours écroulées, des particules de nanothermite. Il s'agit d'un mélange chimique qui possède des propriétés explosives ou de fusion et dont les ouvriers des chemins de fer se servaient naguère pour couper les rails. Plus c'est petit, plus c'est exogène, et plus ça «pète». Cet explosif atteint très rapidement des températures de 2 500 degrés et brûle sans apport d'oxygène. Le kérosène que contenaient les réservoirs des avions ne brûle, lui, qu'à une température de 800 à 850 degrés. Or, l'acier ne fond pas à moins de 1580 degrés... Par ailleurs, la nanothermite peut servir, soit comme explosif, soit pour découper. Il est probable qu'il y a eu à la fois des charges de découpe et d'explosion, ce qui expliquerait que des poutres de plusieurs tonnes aient été expulsées à 180 mètres, ainsi que la vitesse à laquelle les tours sont tombées : 10 secondes, vitesse de la chute libre, au lieu des 30 secondes minimum qu'il aurait fallu pour écraser 110 étages, selon les spécialistes.
Vous soupçonnez les Américains d'avoir eux-mêmes miné les tours. Pourquoi ?
- Cet explosif est fabriqué sous licence militaire, dans des laboratoires militaires, à usage militaire. Il est donc permis de se demander ce que font ces particules dans les poussières du Worl Trade Center. Je vois mal des islamistes fabriquer la nanothermite dans les grottes d'Afghanistan... Ils auraient pu l'acheter, mais encore aurait-il fallu pouvoir placer les explosifs dans les tours. Car, selon Niels Harrit, il aurait fallu plus de 10 tonnes de nanothermite répartie dans tous les étages des deux tours et de la tour 7 - la troisième à être tombée - pour provoquer de tels dégâts. On sait par des témoins que des explosions ont eu lieu dans les tours, on les entend distinctement lorsqu'on consulte les archives filmées. Un témoin nommé Rodriguez, qui travaillait dans les « Twins Towers » et dont George Bush a fait un héros national car il a sauvé plusieurs personnes, a été brûlé par une énorme explosion dans les sous-sols.
Comment aurait-on pu introduire discrètement plus de 10 tonnes d'explosifs dans les tours ?
- Des journalistes de la télévision danoise l'ont demandé à Niels Harrit, qui leur a répondu : « sur des palettes », et leur a conseillé d'aller poser la question aux responsables de la société qui était en charge de la sécurité des tours, Securacom. Cette société, qui assurait aussi la sécurité de l'aéroport de Dulles, d'où est parti l'avion qui se serait écrasé sur le Pentagone, était dirigée... par Marvin Bush, le propre frère de George Bush, et par leur cousin Wirt Walker. Les responsables de Securacom n'ont jamais été interrogés par la commission d'enquête... Ils auraient pu expliquer pourquoi les chiens renifleurs d'explosifs avaient été retirés du World Trade Center quinze jours avant les attentats ? Des familles ont demandé des explications, elles n'ont jamais reçu de réponse. Peu de temps avant les attentats aussi, il avait été procédé à une opération de réfection des ascenseurs, au cœur d'une colonne d'acier qui monte dans la cage d'ascenseur. Ces ascenseurs avaient pourtant déjà été révisés à peine dix-huit mois plus tôt...
Vous avez abordé aussi dans votre livre le cas de la tour 7, la troisième à s'être écroulée, sans avoir été percutée par aucun avion...
- Le rapport final de la commission d'enquête passe purement et simplement sous silence la chute de cette tour, dans laquelle se trouvaient les bureaux de la CIA, mais aussi le bunker du maire de New-York, à l'époque Rudy Giuliani. On a avancé pour expliquer son écroulement que des débris entrés par les fenêtres de cette tour y avaient allumé des incendies qui auraient affaibli sa structure. Or cette tour, d'une hauteur de 165 mètres, est tombée elle aussi à la vitesse de la chute libre, en 6,5 secondes, dans son empreinte et sans qu'un seul des immeubles qui l'entourent ait été touché.
Vous doutez également de la version officielle concernant l'attentat contre le Pentagone. Pourquoi ?
- Le toit du Pentagone, censé avoir été également frappé par un Boeing, s'est écroulé seulement trois quarts d'heure après l'impact. Des photos prises par des militaires présents à ce moment-là laissent apparaître, au point d'impact, un trou de 5 mètres sur 5... fait par un avion de 38 mètres d'envergure ! En outre, une association rassemblant à la fois des pilotes de ligne et de chasse a fait savoir qu'il aurait fallu exécuter, pour se planter dans le Pentagone de cette manière, une manœuvre en spirale impossible à exécuter ! Le pilote de chasse qui a inspiré le film Top Gun, membre de l'association des pilotes pour la vérité sur le 11 septembre et qui affiche 400 missions de combat, a déclaré que lui-même ne saurait pas la faire - or, le terroriste qui est censé avoir réussi cette même manœuvre avec un Boeing 757 s'était vu refuser deux semaines auparavant la location d'un Cessna, parce qu'il n'arrivait pas à le piloter. Enfin, on ne trouve pas de débris de l'avion sur la pelouse : ni sièges, ni bagages, juste des pièces de métal qui font la surface d'une main.
Autre chose : le 757 est censé avoir traversé trois anneaux du Pentagone celui-ci est constitué de cinq «anneaux», bâtiments concentriques en béton armé, avec d'énormes poutres de protection. A la sortie, dans le sixième mur (il y a deux murs par anneau), on voit un trou circulaire de 2,30 mètre, dont on nous dit que c'est le nez de l'avion. Or le nez d'un 757 n'est même pas en aluminium, mais en fibre de carbone pour que les communications soient meilleures. De la fibre de carbone qui traverse des murs en béton armé ? Je demande à voir... Mais justement, en dépit des 84 caméras qui surveillaient l'endroit, on ne dispose pas d'une seule image montrant le choc et l'avion qui s'engouffre dans le mur : le FBI refuse de les montrer, en dépit des demandes des plaignants.
Mais que sont devenus l'avion et ses passagers - car il a bien décollé ?
- C'est une question à laquelle je suis incapable de répondre. On n'a rien retrouvé à l'intérieur du pentagone. La commission d'enquête a expliqué que la chaleur avait été telle que l'avion s'était volatilisé - moyennant quoi, sans crainte de se contredire, on a affirmé aux familles que leurs proches présents dans l'avion avaient été identifiés grâce à des traces d'ADN ou des empreintes digitales... Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est impossible qu'un 757 ait percuté le Pentagone. Selon l'hypothèse la plus courue, il se serait agi d'un missile. Cette hypothèse pourrait être renforcée par les résultats obtenus par une spécialiste qui est allée mesurer la radioactivité sur place : elle est dix fois supérieure à ce qu'elle était à l'origine.
De même, je ne sais pas ce qu'il a pu advenir des personnes qui se trouvaient dans l'avion qui se serait écrasé en Pennsylvanie. On a trouvé un trou de 30 mètres dans un champ, là encore sans une valise, ni un siège, ni un morceau de fuselage. Selon une hypothèse, cet avion-là aurait été abattu par l'armée : après les attaques contre les tours et le Pentagone, il pouvait sembler préférable de le descendre et de tuer 47 personnes pour en sauver 4 000. Aujourd'hui, le gouvernement ne dément plus formellement cette hypothèse.
On a dit que des passagers de cet avion avaient téléphoné à leurs proches...
- Lors du procès de Moussaoui (survivant du groupe terroriste, ndlr), ses avocats ont demandé les expertises du FBI concernant les conversations téléphoniques d'avion jusqu'au sol. Les experts ont expliqué qu'il ne pouvait pas y avoir eu de telles conversations avec la terre ferme, de la hauteur à laquelle volait l'avion. En 2001, on n'avait pas encore la technologie suffisante. Il n'est pas impossible en revanche que les gens, au sol, aient reçu des coups de téléphone - mais de qui, comment, par qui ? Je ne le sais pas.
Pourquoi tout cela ? En se rendant complice des terroristes, le gouvernement américain aurait pris des risques énormes...
- Ce cas de figure s'est déjà vu : on sait aujourd'hui qu'avant Pearl Harbor, par exemple, les Américains avaient été prévenus de l'attaque japonaise. Pour les Américains, il était important d'aller en Irak et en Afghanistan, à cause du pétrole. Un an auparavant, un groupe néoconservateur avait d'ailleurs publié un Projet pour un nouveau siècle américain (PNAC, Project for a New American Century), dont les rédacteurs expliquaient que les Etats-Unis étaient en train de perdre la guerre de l'énergie et qu'il fallait établir des bases au Moyen-Orient, mais que l'opinion publique américaine n'était pas prête à la guerre, « sauf à ce qu'un élément moteur n'advienne, du type Pearl Harbor, qui retournerait l'opinion et permettrait de passer immédiatement à l'action. » Je pense que Bush était au courant qu'il allait se produire quelque chose. La nuit précédente, il couchait dans un hôtel et contrairement à l'habitude, il y avait une batterie anti-missile sur le toit. Mais je crois qu'il ne pensait pas que ça irait si loin et qu'il a été doublé par Dick Cheney.
Propos recueillis par Hervé Bizien monde & vie 12 octobre 2009 -
COLONISATION DE L’ALGERIE… : Les raisons de la conquête
« Chose étrange et bien vraie pourtant, ce qui manque à la France en Alger, c’est un peu de barbarie. Les Turcs allaient plus vite, plus sûrement et plus loin ; ils savaient mieux couper les têtes. La première chose qui frappe le sauvage, ce n’est pas la raison, c’est la force » (Victor Hugo dans « Le Rhin » en 1842)
Lors de son voyage en Algérie, François Hollande a reconnu publiquement que : « Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste, brutal et destructeur. Je reconnais ici les souffrances que le système colonial a infligé au peuple algérien »… et encore : « La France est responsable d’une colonisation injuste et brutale ; elle est responsable des massacres d’innocents algériens à Sétif, Guelma et Khenattra »... tout en se gardant bien, de dénoncer ces centaines d’autres massacres d’innocents européens qui ont précédé les représailles et ces autres milliers de massacres d’innocents européens et musulmans fidèles à la France qui ont jalonné huit années de terrorisme aveugle et lâche. Par cette indécente sélectivité minable, le Chef de l’état a injurié et humilié –non les Français d’Algérie, comme se plaisent à dire certains idiots utiles de service- mais, tout simplement, la France, son peuple, son Histoire, son honneur ainsi que la mémoire et le sacrifice de ses soldats.
Depuis lors, un florilège de réactions issues du milieu « progressiste » n’a pas manqué de vilipender en des termes diffamants l’œuvre colonisatrice de la France en Algérie. C’est ainsi, qu’encouragé par l’attitude et les déclarations du Chef de l’Etat, ce petit monde de « moralistes à la conscience pure » n’a eu de cesse de monter les enchères en comparant le colonialisme français à l’esclavagisme… Cela a permis, entre autres bouffons du Président, à Harlem Désir, Premier secrétaire du Parti socialiste, de pérorer de la sorte : « Je salue les déclarations historiques de François Hollande aujourd’hui à Alger. Le Président de la République a su trouver les mots pour évoquer le caractère injuste et brutal de la colonisation française en Algérie et les souffrances qu’elle a imposées au peuple algérien. »
Ces déclarations infamantes, basées sur une méconnaissance totale du sujet, inspirées de surcroît par un sentiment anti-français, nous dépeignent « l’Algérie coloniale, comme ayant été l’apartheid ». Ces « historiens » de bas étage nous « rappellent » que « la colonisation était contraire aux lois de la République, notamment par son côté ségrégationniste » (sic). Quelle hérésie !
Si Charles X fut à l’origine de « l’expédition d’Alger », c’est précisément la République (la IIe) qui ordonna la conquête de l’Algérie. Cependant, à cette époque il n’était aucunement question de colonisation. Ce que Charles X -et avec lui l’Europe- voulait, c’était supprimer la piraterie en Méditerranée. En effet, toute la côte « barbaresque », de l’Egypte à Gibraltar, n’était qu’une seule et très active base d’opérations de piraterie dirigée contre la France, l’Espagne, l’Italie et surtout contre les convois chargés de marchandises qui sillonnaient la Méditerranée.
C’est pour réduire cette piraterie que les premières incursions chrétiennes de représailles sur les côtes algériennes virent le jour au début du XVIe siècle et permirent aux Espagnols, sous la conduite de Pedro Navarro, d’investir Alger et de libérer trois-cents captifs chrétiens. Pour les en chasser, les algériens firent appel en 1515 aux corsaires turcs qui occupaient depuis 1513 le port de Djidjelli en Kabylie, notamment à un pirate sanguinaire, Kheir-Ed-Din, dit Barberousse en raison de la couleur de sa barbe. Ils occupèrent Alger et y instaurèrent un régime de terreur, exécutant ceux qui refusaient la nouvelle domination turque. Ainsi, par l’entremise de ce pirate que le sultan de Stamboul avait nommé émir des émirs, beylerbey, la Turquie prit officiellement pied dans le bassin occidental de la Méditerranée. Alger était pour elle une base avancée, ce que Gibraltar et Singapour furent plus tard pour l’Angleterre. De là, elle pouvait porter des coups très durs à la navigation chrétienne. Avec ces ressources, Barberousse et les Turcs chassèrent les Espagnols et conquirent le territoire algérien, allant jusqu’à placer le pays sous la dépendance nominale du sultan de Constantinople. Le Maghreb était devenu une province turque.
Forte de ses soixante bâtiments dont trente-cinq galères, la flotte algérienne écumait la Méditerranée et amassait des trésors. De plus une autre source énorme de profits était constituée par l’esclavage. Il s’exerçait, pour une part, aux dépens de populations d’Afrique noire que l’on enlevait après avoir investi les villages et, pour une autre part, de la piraterie. L’avantage de cette dernière résidait dans l’échange des esclaves chrétiens contre de fortes rançons. Un bénédictin espagnol, le Père Haedo, estimait qu’Alger devait avoir 60 000 habitants et 25 000 esclaves chrétiens.
Quand Charles X décida l’occupation d’Alger, la Prusse, l’Autriche, la Russie, les grands de l’heure, approuvèrent sans commentaires particuliers. C’est ainsi qu’en cette aube du 25 mai 1830, la France partit pour l’Algérie… sans se douter qu’elle allait y rester 132 ans.
Aussi quant nos « historiens de salons » s’élèvent contre « la saisie de terres, l’annexion de territoires, l’évangélisation, le pillage des ressources minières » (sic), ils ne peuvent qu’engendrer le ridicule… En effet, en 1830, l’Algérie n’était pas un territoire indépendant mais, nous l’avons vu, une possession turque. L’occupation par la France n’a donc eu pour résultat que de substituer à une occupation étrangère celle d’un autre pays. De plus, cette Algérie là ne constituait pas un Etat, encore moins une nation. Elle n’avait pas de frontières. Elle constituait une mosaïque de tribus qu’aucun lien, sauf le religieux, n’unissait entre elles, encore que d’une façon très fragmentaire.
Concernant la saisie de terres, ils voudraient nous faire croire que les premiers pionniers firent main basse sur de riches et fertiles terres agricoles enlevées de force aux indigènes. A leur arrivée, ils découvrirent, en guise de richesses, un désert, une lande hérissée de broussailles au bord d’un marais pestilentiel où pullulaient les moustiques.
En 1841, dans son étude « Solution de la question d’Algérie », le général Duvivier écrivait : « Les plaines telles celles de la Mitidja, de Bône et tant d’autres ne sont que des foyers de maladies et morts. Les assainir, on n’y parviendra jamais… Les plaines pour les Européens, sont et seront toujours longtemps de vastes tombeaux. Qu’on abandonne ces fétides fosses ! »
Fosses fétides ! Vastes tombeaux ! Quel programme engageant ! Et le général Berthezène d’affirmer, menaçant : « La Mitidja n’est qu’un immense cloaque. Elle sera le tombeau de tous ceux qui oseront l’exploiter ».
Concernant l’évangélisation, nos « historiens » se sont encore fourvoyés… S’ils reprochent à la France cette annexion, ils « oublient » cependant de signaler que ce sont les ascendants des « victimes du colonialisme français » qu’ils défendent aujourd’hui avec tant de véhémence, qui sont les véritables colonialistes.
Qui a annexé ce pays autrefois habité par la race berbère et qui faisait alors partie intégrante du monde occidental ?
Qui a soumis par la force ce même peuple berbère, majoritairement chrétien, à la conversion à l’Islam ?Quant au « pillage des ressources minières », que d’infamies !
« L’exploration scientifique de l’Algérie, avait dit Renan, sera l’un des titres de gloire de la France au XIXe et au XXe siècle ». Eh bien c’est la France qui a découvert et mis en valeur à grand frais les zones pétrolifères et les gisements de gaz du Sahara prétendument destinés à assurer son indépendance. En a-t-elle profité ? A-t-elle eu seulement le temps de les exploiter ?
C’est encore elle qui a construit à coups de milliards de francs la base navale nucléaire de Mers-el-Kébir. Que lui a-t-elle rapporté ?
Quant au « côté ségrégationniste » avancé par ces inénarrables trublions, on voit bien qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Algérie française, jamais fréquenté la moindre école où chrétiens, juifs et musulmans vivaient à l’unisson.
Cependant, au lieu de s’évertuer à salir de façon éhontée la mémoire de l’œuvre française en Algérie, pourquoi ne nous expliquent-ils pas, une fois pour toute, les raisons pour lesquelles ces « pauvres petits maghrébins », une fois leur indépendance acquise, se sont empressés de rejoindre la France… cette France qui les a tant fait souffrir ?
Pourquoi ne nous rapportent-ils pas avec autant d’ardeur, la misère qui, depuis 50 ans, pèse sur l’Algérie comme une chape et que l’on tait parce qu’elle est un démenti flagrant aux mensonges de tous ceux qui n’ont de cesse de condamner « le rôle positif de la présence française outre-mer ».
Durant l’épisode sanglant de la guerre d’Algérie, le leitmotiv constant des responsables du FLN était que la rébellion se justifiait par le besoin de plus de justice, de bonheur et de liberté pour la « malheureuse » population musulmane. Cependant au cours d’une audience qu’il accorda à un haut prélat d’Algérie, en septembre 1961, sa Sainteté Jean XXIII prononça : « Vous avez vos idées, c’est bien, mais moi j’ai constaté une chose : c’est que chaque fois que la France se retire d’un pays, la liberté et la civilisation reculent. »
Que ces paroles du Pape nous inspirent de fécondes réflexions. C’est là mon souhait pour 2013.
José CASTANO http://www.actionfrancaise.net
« A son indépendance, nul pays extérieur au monde occidental, Japon et Afrique du Sud exceptés, ne dispose d’une infrastructure aussi développée que l’Algérie » (Béchir Ben Yahmed, fondateur de « Jeune Afrique »)