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  • Manuel Valls et Arnaud Montebourg à Corbehem : des manifestants pacifiques obligés de quitter la ville

    CORBEHEM (NOVOpress) - Des manifestants pacifiques ont réservé un comité d’accueil à Manuel Valls et Arnaud Montebourg en visite hier dans une usine de la commune de Corbehem (Pas-De-Calais). Ces manifestants se sont retrouvés obligés de choisir entre quitter la ville ou la garde à vue, alors qu’ils n’avaient procédé à aucune violence.

    Ils ont eu un premier contrôle d’identité après avoir sorti une pancarte “Hollande Dégage” devant la papeterie à l’arrivée de Manuel Valls et Arnaud Montebourg, contrôle effectué par 2 femmes et 1 homme du SDIG (ex RG) ainsi que 4 gendarmes. Ils ont subi un deuxième contrôle d’identité toujours par le SDIG qui les a fait sortir de la salle des fêtes où devait parler Arnaud Montebourg aux salariés. 15 CRS sont ensuite arrivés avec à leur tête un colonel de gendarmerie, et ont procédé à un troisième contrôle d’identité leur laissant choisir entre quitter la ville ou y retourner et finir en garde à vue.

    Au total, ont été mobilisés environ 80 CRS, 40 gendarmes, les agents du SDIG, 2 véhicules police nationale et 15 véhicules dans le convoi de Manuel Valls et Arnaud Montebourg.

    http://fr.novopress.info/156518/manuel-valls-arnaud-montebourg-corbehem-manifestants-pacifiques-obliges-quitter-ville/

  • Biologie de synthèse : Les multinationales veulent industrialiser la vie

    Thérapies plus efficaces, bactéries anti-pollution, carburants synthétiques… La biologie de synthèse nous réserverait un futur plein de promesses. Et attire les investissements des plus grands groupes mondiaux de biotechnologies, de l’énergie ou de l’agroalimentaire. Mais fabriquer artificiellement la vie, à partir d’ADN construit en laboratoire et d’usines à gènes brevetés, suscite de nombreuses interrogations.

    Alors que les premiers organismes intégralement conçus par ordinateur commencent à prendre vie, des ingénieurs rêvent déjà de planifier l’évolution et de corriger les « imperfections » de la nature. Enquête.

    « Fabriquer la vie ». Ainsi pourrait se résumer l’ambition de la biologie de synthèse. Cette branche des biotechnologies veut créer de toutes pièces des organismes vivants, inconnus à l’état naturel. Et aller plus loin encore que les OGM, qui modifient le code génétique d’un organisme pour lui donner une nouvelle fonctionnalité – croître plus vite ou résister à un pesticide.

    Avec la biologie de synthèse, nous entrons dans une autre dimension: on quitte le bricolage des gènes, pour aller vers une fabrication à grande échelle d’organismes artificiels, après modélisation et simulation informatique.

    « Un nouveau monde s’ouvre à nous », décrit le site de présentation du ministère de l’Économie. La biologie de synthèse, nouvel eldorado techno-scientifique, « pourrait apporter des thérapies plus efficaces, des médicaments moins chers, de nouveaux matériaux facilement recyclables, des biocarburants, des bactéries capables de dégrader les substances toxiques de l’environnement », s’enthousiasment les pouvoirs publics.

    Les géants de la chimie, de l’énergie, de l’agrobusiness et de la pharmacie – comme BP, Exxon Mobil, BASF ou Cargill – sont sur les rangs, mais aussi ceux de l’informatique, comme Microsoft ou Google [1]. La biologie de synthèse apporterait, selon ses promoteurs, la promesse de remplacer à terme le secteur de la chimie, avec des recettes miracles pour faire face aux pollutions et à l’épuisement des ressources.

    Briques d’ADN pour lego vivant

    Le développement de la discipline est pourtant récent. En 2010, après 15 ans de travail, une équipe de l’institut Craig Venter aux États-Unis crée une bactérie d’un genre nouveau : son unique chromosome est composé d’ADN entièrement fabriqué par les chercheurs.

    C’est le premier organisme vivant construit artificiellement. « Voici sur cette planète la première espèce capable de se reproduire ayant pour parent un ordinateur », s’enflamme son créateur, Craig Venter [2]. Même si, pour le moment, il s’agit surtout de recopier la vie, en recréant en laboratoire les composants de base du code génétique.

    Comment ça marche ? Des séquences d’ADN sont fabriquées « sur mesure », après modélisation informatique, puis reliées ensemble via des enzymes et bactéries. L’ADN ainsi synthétisé est inséré dans un châssis biologique – une bactérie ou une levure par exemple – pour pouvoir « fonctionner ».

    L’ADN synthétique est comme un logiciel, inséré dans un châssis-ordinateur. « Les gènes, les protéines, entre autres, sont à la cellule ce que les transistors, les condensateurs et les résistances sont à l’ordinateur », expliquent les chercheurs de l’université de Princeton [3]. Une sorte de lego du vivant, à base de « bio-briques » d’ADN standardisées, originales ou recopiant des briques d’ADN déjà existantes dans la nature.

    Des usines à gènes

    Les crédits de recherche dans ce domaine connaissent une croissance exponentielle depuis quelques années. Car les applications possibles seraient innombrables. Des produits arrivent déjà sur le marché : des bioplastiques issus du maïs, des tissus synthétiques à base de sucre céréalier, une saveur biosynthétique de pamplemousse ou du biodiésel.

    Les investissements se concentrent notamment sur le secteur de l’énergie, avec la production de micro-organismes ou d’algues modifiées capables de transformer de la biomasse en carburant. Les recettes de l’après-pétrole sortiront-elles des laboratoires de biologie de synthèse ?

    Le groupe pétrolier Exxon a déjà investi 100 millions de dollars pour développer un carburant à partir d’algues, en partenariat avec l’entreprise Synthetics Genomics, dirigé par Craig Venter. BP a consacré 500 millions de dollars pour le développement d’agrocarburants synthétiques, au sein de l’Energy Biosciences Institute.

    Quant à la Fondation Bill & Melinda Gates, elle finance la recherche d’applications médicales à hauteur de 43 millions de dollars… Deux types d’entreprises se partagent actuellement le marché. Celles qui fabriquent les composants de base, les gènes synthétiques : les « fonderies à gènes » comme Tech Dragon à Hong-Kong et Gene Art en Allemagne, dont le catalogue comprend des séquences génétiques du cerveau, du foie ou du cœur humain, ou DNA 2.0 aux États-Unis, qui propose aussi un logiciel gratuit pour « concevoir des séquences [d’ADN] sans être limité par ce que la nature peut offrir ».

    Ensuite, des entreprises de biotechnologies créent et commercialisent des organismes à partir de ces gènes, comme Synthetic Genomics aux États-Unis. 3000 chercheurs d’une quarantaine de pays travailleraient dans le secteur de la biologie de synthèse.

    Privatisation des ressources naturelles

    En France, quelques équipes de recherche, du Génopole d’Évry, se sont attelés à la biologie de synthèse, ainsi que sept entreprises de biotechnologie [4], selon un recensement du ministère de la Recherche. Celui-ci ambitionne de passer à la vitesse supérieure : « Il existe en France un gisement de compétences à mobiliser, permettant de viser une position mondiale de second ou troisième » [5]. En 2007 a été créé l’Institut de biologie systémique et synthétique (iSBB), qui comprend notamment la plate-forme abSYNTH, dont les équipements sont mis à disposition des entreprises et universités.

    Total a créé un département Biotech avec un axe sur la biologie de synthèse en 2009. Le groupe pétrolier est devenu un important actionnaire de la société de biotechnologie Amyris (États-Unis). Celle-ci dispose d’une plateforme de biologie de synthèse de pointe, permettant de construire très rapidement des levures, qui deviennent de « véritables usines vivantes, optimisées pour fermenter des sucres et pour produire des molécules », qui sont ensuite transformées en agrocarburants [6].

    Dans le secteur de la santé, c’est le groupe français Sanofi qui mène la danse. En 2013, Sanofi a annoncé la production à grande échelle d’artémisinine semi-synthétique, un principe actif utilisé contre le paludisme. Après dix années de recherche, financées par la Fondation Bill et Melinda Gates, un procédé a été breveté par Amyris [7], et une licence est octroyée à Sanofi.

    Vers la fin de l’agriculture « naturelle » ?

    Problème : cette production entre en concurrence avec celle d’artémisinine naturelle, dont vivent aujourd’hui des milliers d’agriculteurs. Un cas d’école concernant la biologie de synthèse, estime la Fondation Sciences citoyennes: un projet en apparence inattaquable car répondant à des enjeux de santé publique, des collusions entre scientifiques et entrepreneurs qui innovent dans les universités mais déposent des brevets via leurs start-up, puis cèdent les licences à des grandes entreprises. Avec le risque de captation de profits par des multinationales, pour des ressources génétiques également disponibles à l’état naturel [8].

    La concurrence entre production agricole et production industrielle biosynthétique pourrait concerner demain le réglisse, la vanille ou le caoutchouc : des produits de substitution, issus de la biologie de synthèse, sont déjà au point. Le fabricant de pneumatique Goodyear et le groupe DuPont ont lancé des recherches sur un micro-organisme synthétique produisant de l’isoprène utilisé pour la fabrication de pneus.

    Ce qui pourrait mettre en péril l’économie des vingt millions de familles qui dépendent aujourd’hui de la production de caoutchouc naturel. Michelin travaille sur des projets similaires avec Amyris. La biologie de synthèse permet de produire à moindre coût des produits à haute valeur ajoutée – huiles essentielles, saveurs et fragrances, composés médicinaux ou ingrédients pour cosmétiques. 

    « Des solutions de rechange synthétiques moins coûteuses qui ne dépendent pas de zones de culture, de conditions ou de producteurs spécifiques », décrit l’ONG canadienne ETC, qui a publié de nombreux rapports sur le sujet. Son émergence marquera-t-elle le début de la fin pour l’agriculture ?

    Car les brevets se multiplient. Amyris déploie beaucoup d’énergie pour faire breveter la biosynthèse des isoprénoïdes: cette classe compte plus de 55.000 composés naturels, dont le caoutchouc, l’huile de neem, l’huile de palme, le parfum de patchouli et l’huile de pin.

    Biologie de synthèse : une technologie miracle ?

    Les profits attendus sont immenses. La biologie de synthèse « apparaît comme la solution miracle qui devrait permettre de relancer la croissance, tout en préservant l’environnement, décrivent la chercheuse Bernadette Bensaude-Vincent et la journaliste Dorothée Benoit-Browaeys [9]. 

    Tout comme les nanotechnologies, ou comme la géoingénierie, elle fonctionne sur l’espoir de résoudre les problèmes posés par les technologies d’hier grâce aux technologies de demain ».

    Crise énergétique, maladies de civilisation, pollutions… La biologie de synthèse aurait réponse à tout. Après la bulle internet, voici donc la bulle « synbio » : « Mêmes mécanismes d’investissement sous-tendus par une économie de la promesse, mêmes prévisions de croissance exponentielle. »

    Les applications dans les secteurs de la santé et de l’énergie se diffusent déjà. Sans débat public sur les enjeux, sans contrôle par les autorités, sans réflexion sur l’impact sanitaire de la dissémination de ces molécules synthétisées, ou les risques pour l’environnement.

    Des organismes vivants, même artificiels, ça se reproduit. Donc ça se diffuse ! Et si la biologie de synthèse permet de produire des vaccins beaucoup plus rapidement, ces techniques peuvent aussi servir à fabriquer des virus, avec tous les risques possibles de détournements d’usage et de bioterrorisme. La législation, comme souvent, est en retard. Voire inexistante.

    Des scientifiques recommandent que les activités de recherche en biologie de synthèse se déroulent uniquement dans des laboratoires très sécurisés, de niveau de biosécurité P3 ou P4 (pour pathogène de classe 3 ou 4) où virus et bactéries sont manipulés sous haute-protection. En 2012, plus d’une centaines d’organisations internationales ont demandé un moratoire sur les usages commerciaux de la biologie de synthèse.

    Dispositif-suicide pour gérer l’incertitude

    En France, qu’en pensent les pouvoirs publics ? « La Délégation générale pour l’Armement (DGA) a réalisé une base des données des acteurs de la biologie de synthèse et a identifié les options biosécuritaires », décrit de manière lapidaire unrapport du ministère de la Recherche. Une veille sur la biologie de synthèse est organisée, ainsi qu’une « réunion interministérielle annuelle de concertation ».

    Mais, précise le rapport, « afin de ne pas pénaliser les avancées de la recherche dans ce domaine, il faut intégrer le risque nouveau avec une attitude d’incertitude positive ». Impossible de savoir ce que signifie ce principe de précaution version « positive attitude ».

    Les chercheurs planchent sur des solutions pour limiter la dissémination. Comme la possibilité que les organismes synthétiques s’autodétruisent quand ils ont terminé leur travail, grâce à un « dispositif-suicide ». Ou qu’ils ne puissent pas se reproduire, à l’image du gène « Terminator », qui rend stériles les graines OGM de seconde génération. Mais les organismes peuvent évoluer et s’adapter, suite au croisement avec d’autres organismes naturels ou modifiés, ou à des mutations spontanées.

    « On peut faire en sorte que la bestiole dépende de l’homme pour se nourrir. Mais elle peut évoluer. Dans 10-15 ans, elle aura trouvé un autre moyen de s’alimenter, par symbiose par exemple, » explique le chercheur François Kepès, de l’ISSB [10].

    Vers un nouvel « alphabet du vivant » : la xénobiologie

    Le nombre limité d’entreprises qui fabriquent les gènes synthétiques laisse penser que le secteur peut être réglementé. Les banques de séquences ADN standardisées comme BioBricks ou GenBank peuvent être soumises à des réglementations. Une autre solution est avancées par des chercheurs : le « confinement sémantique ». Pour éviter les contaminations d’ADN artificiel, il suffirait d’utiliser d’autres bases que celles existantes – les bases A (adénine), T (thymine), G (guanine) et C (cytosine), qui composent le « squelette » de l’ADN.

    Changer « l’alphabet du vivant » en quelque sorte, le langage génétique qui sous-tend toute forme de vie sur la planète. C’est ce que propose le projet Xenome, piloté par le biologiste Philippe Marlière au Génopole d’Evry, auquel participe le Commissariat à l’énergie atomique. Cette nouvelle branche de la biologie de synthèse – la xénobiologie – vise à créer, à côté de l’ADN qui existe depuis trois milliards d’années, un autre code. Plus les créatures artificielles sont éloignées de la biodiversité terrestre, moins les risques d’interférences seront importants.

    La xénobiologie empêcherait donc la contamination d’ADN. Et permettrait le développement de la biodiversité, estime Philippe Marlière [11] : « La biodiversité terrestre est étriquée et imparfaite. Elle pourra être élargie et dépassée en inventant des mondes vivants parallèles »« La biosphère rafistole ses dispositifs au fil de l’eau et bricole pour en créer de nouveaux », poursuit Philippe Marlière.

    Cette évolution par bricolage et rafistolage « révèle l’impasse faite sur une multitude d’autres assemblages chimiques qui auraient conduit à des organismes radicalement différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. La xénobiologie n’est rien d’autre que le projet d’engendrer cette biodiversité inédite en vue de l’explorer scientifiquement et de l’exploiter industriellement. » Une biodiversité artificielle, construite par des ingénieurs dans des labos. Des ingénieurs qui planifient la vie et son évolution…

    Biohackers et bidouille génétique « open source »

    Face aux risques de privatisation du vivant par la biologie de synthèse, un autre courant émerge, cette fois inspiré de l’open source et de l’accès libre au savoir. Le principe : pas de brevet sur les gènes. Les « biobriques », bases de la biologie de synthèse, seraient accessibles à tous, et non privatisées par des entreprises ou des labos de recherche.

    La biologie de synthèse à la portée de tous. C’est ce que défendent les « biohackers », qui bricolent du code génétique à partir d’informations disponibles sur internet et de matériel d’occasion acheté pour trois fois rien. Avec la baisse des coûts du séquençage de l’ADN, il est désormais possible de bidouiller de la génétique dans son garage.

    On peut commander à un laboratoire, qui le fabrique sur mesure, un segment d’ADN de synthèse conçu sur son ordinateur. En France, cette biologie de synthèse « Do-it-Yourself » se développe notamment autour du biohackerspace La Paillasse, un « laboratoire communautaire pour les biotechnologies citoyennes », à Vitry-sur-Seine. Des collectifs de passionnés fleurissent aux États-Unis.

    Comme le groupe DIYbio – Do-it-Yourself Biology, à San Francisco, où on apprend à extraire l’ADN de sa salive avec une pincée de sel, du liquide vaisselle, du jus de pamplemousse et du rhum. Vous vous voulez synthétiser de l’ADN humain ? Pas de panique, la recette est en ligne : il est possible de télécharger sur internet des séquences de génome humain (ici), aussi facilement qu’un film !

    Que deviennent les organismes trafiqués ?

    « Les débats sur l’open source en matière de biologie de synthèse semblent plus une diversion sur des recherches sans grand enjeu industriel ; les séquences d’ADN stratégiques sont, elles, privatisées »tranche Dorothée Benoit-Browaeys. Le bricolage d’ADN dans la chambre d’ami n’augure rien de bon du point de vue dissémination.

    Le témoignage de Josh, informaticien et biohacker californien est éloquent : « Quand je modifie mes bactéries pour qu’elles produisent de l’éthanol, j’introduis également une seconde modification qui les rend résistantes aux antibiotiques. Puis j’injecte des antibiotiques dans leur bocal pour faire le tri : seules celles sur lesquelles la modification a réussi survivent. »

    Que fait Josh avec ces stocks de bactéries génétiquement modifiées résistantes aux antibiotiques, qui« pourraient transmettre leur résistance à d’autres bactéries pathogènes, dangereuses pour l’homme » ? Mystère.

    La diffusion de la biologie de synthèse auprès d’un large public est aussi favorisée par la grande compétition IGEM (International Genetically Engineered Machine). Plus de 200 équipes étudiantes du monde entier sont invitées chaque année à inventer de nouvelles constructions en biologie de synthèse, à partir d’un répertoire d’environ 12 000 bio-briques standardisées et open source.

    Parmi les créations 2013 : la première machine à calculer bactérienne, par des étudiants de Toulouse [12], une version biologique du jeu Démineur par l’équipe de Zurich, ou une pile bactérienne que l’on peut imprimer soi-même avec une imprimante 3D… Chaque équipe étant sponsorisée par des entreprises, ici EADS, Sanofi, Novartis, Syngenta ou Sofiprotéol.

    Devenir soi-même un châssis pour ADN artificiel

    Novembre 2012. Dans l’amphithéâtre d’une école de chimie de Paris, une équipe d’étudiants présentent son projet pour le concours IGEM. De l’ADN a été injecté dans un têtard, devenu « châssis » pour biologie de synthèse. Le public interroge : quelles limites à la modification du vivant ? Quel statut pour les organismes créés ? « Un têtard, ce n’est pas vraiment un truc vivant », lâche un des étudiants.

    Certains d’entre eux portent un bracelet en plastique vert, remis lors d’un rassemblement IGEM : « Ça veut dire qu’on est d’accord pour devenir nous-mêmes des châssis », précisent-ils. De faire des tests sur eux-mêmes, donc. « Je suis étonnée de la candeur des étudiants IGEM. On les forme en leur disant que « tout est possible », dans une atmosphère joyeuse et bon enfant, décrit Catherine Bourgain, chercheuse, présidente de la Fondation sciences citoyennes et membre de l’Observatoire national de la biologie de synthèseBeaucoup de jeunes n’ont pas de recul critique, sont d’une naïveté confondante. La règle, c’est « libère ta créativité ». C’est flippant. »

    Vers où ces étudiants, futurs chercheurs en biologie de synthèse, feront-ils avancer la discipline? Quel contrôle les autorités publiques auront-elles sur les futurs développements ? Quelle formation des citoyens pour comprendre les enjeux ? « Le défi crucial est de créer les conditions pour que les avancées de la biologie de synthèse s’opèrent résolument dans un climat de confiance citoyenne et d’innovation manifestement responsable »avance le ministère de la Recherche.

    Un débat responsable, préconisé par Geneviève Fioraso, ministre de la Recherche, dans un rapport pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en 2012. Notamment pour « empêcher les dérives qui ont marqué les débats sur les OGM et les nanotechnologies » (sic). Pour le moment, le « dialogue public » est au point mort. Le débat semble déjà tranché.

    Notes:

    [1] Une enquête réalisée en 2012 par l’ONG canadienne ETC Group a révélé qu’à l’échelle planétaire, « les principaux investisseurs et promoteurs reliés au domaine de la biologie synthétique comprennent six des dix plus grandes entreprises chimiques, six des dix plus grandes entreprises productrices d’énergie, six des dix plus importants négociants en grains et sept des plus grandes entreprises pharmaceutiques ».

    [2] Cette bactérie est composée d’un seul chromosome, contenant 1,155 million de paires de base. Une molécule d’ADN est formée de deux brins en forme d’hélice sur lesquels sont placés quatre types de bases complémentaires, liées deux à deux : adénine (A) et thymine (T), cytosine (C) et guanine (G).

    [3] Cités par Frédéric Gaillard, Innovation scientifreak : la biologie de synthèse, Editions L’échappée, 2013. A lire également sur le site du collectif Pièces et main d’oeuvre.

    [4] Une à Clermont-Ferrand, une à Nîmes, et cinq en Île-de-France. Source.

    [5] Ministère de la Recherche, Stratégie nationale de recherche et d’innovation, 2011. Lire ici.

    [6] Source : Total.

    [7] L’entreprise a conçu une souche de levure modifiée qui produit de l’acide artémisinique à partir du glucose. Ce composé permet ensuite la production d’artémisinine.

    [8] L’objectif de Sanofi est de « produire 35 tonnes d’artémisinine en 2013 et 50-60 tonnes en moyenne en 2014. Il permettra de satisfaire en bonne partie la demande du marché ». Source : Sanofi. Voir également la synthèse réalisée par la Fondation Sciences citoyennes sur l’artémisinine.

    [9] Bernadette Bensaude-Vincent et Dorothée Benoit-Browaeys, Fabriquer la vie, Où va la biologie de synthèse ?, Éditions du Seuil, 2011.

    [10] Intervention lors des Assises du vivant, le 30 novembre 2012, à l’Unesco.

    [11] Lire ici.

  • Il se prépare une politique d’austérité sans précédent en France !

    Hormis juin 40, la capitale n’avait pas connu une telle humiliation depuis les cosaques sur le Champ de Mars... C’était il y a 200 ans !

    La Cour des Comptes n’y est pas allée par quatre chemins : « Il existe un risque réel que le déficit public [pour l’année écoulée] excède la dernière prévision du gouvernement de 4,1 % du PIB. » Petit rappel, la loi de Finances votée à l’automne 2012 s’était donnée pour objectif 3 % ! Quant à l’objectif de 3,6 % pour 2014, elle n’y croit plus et de pointer du doigt des prévisions de recettes fiscales trop optimistes et une manque de courage coté dépenses.

     Mais qu’en pense-t-on à Bruxelles ? « Au vu de la situation économique, il apparaît raisonnable de donner à la France un délai supplémentaire de deux ans pour passer sous la barre des 3 % de déficit. » Ainsi s’exprimait Olli Rehn 1 en mai dernier à Bruxelles. Un avertissement qu’il a réitéré la semaine dernière, mais cette fois le ton était plus ferme. On y apprend que la France est déjà sous une procédure disciplinaire – « Italy is no longer under an EU disciplinary procedure like France » ; quels cachottiers ces socialistes ! — et que faute de résultats immédiats, la Commission pourrait bien retourner la charge de la preuve à son profit : « Montrez-nous des mesures concrètes et alors seulement nous vous accorderons des délais… » C’est à se demander si la France n’avait pas été traitée plus respectueusement par Bismarck en 1871.

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  • Amour et Guerre, par Denis de Rougemont

    Parallélisme des formes

    Du désir à la mort par la passion, telle est la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour autant que nous sommes tributaires – inconsciemment bien entendu – d’un ensemble de moeurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles. Or passion signifie souffrance.

    Notre notion de l’amour, enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde qui flatte ou légitime obscurément, au plus secret de la conscience occidentale, le goût de la guerre.

    Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne, de profondes conséquences pour la morale, l’éducation, la politique. Un fort gros livre ne serait pas de trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit écrit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté de la tâche. Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséder à fond la matière rapidement explorée dans les pages qui précèdent, puis une solide culture militaire, enfin la somme des recherches psychologiques entreprises depuis le XIXè siècle sur la question de « l’instinct combatif » dans ses relations avec l’instinct sexuel. Faute de quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et surtout à les situer dans la logique du mythe, qui est mon vrai sujet.

    On peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’est pas moins instructif, en ce domaine, que la recherche des causes, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés: les figures courantes du langage le font voir avec plus d’évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeantes relatives à la genèse des instincts, je m’en tiendrai à quelques rapprochements formels entre les arts d’aimer et de guerroyer du XIIè siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement de marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’autre.

    Langage guerrier de l’amour 

    Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se rend à l’homme qui la conquiert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous possédions, le Théagène et Chariclée d’Héliodore (IIIè siècle) parle déjà des « luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévitables d’Eros ». Plutarque fait voir que la morale sexuelle des Spartiates s’ordonnait au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant les relations des époux, n’ont d’autre but que d’augmenter l’agressivité des soldats.

    Tout cela confirme la liaison naturelle, c’est-à-dire physiologique, de l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et leur conception de l’amour. Les deux domaines restent soumis à des lois tout à fait distinctes, et privées de commune mesure.

    Il n’en va plus de même dans notre histoire à partir des XIIè et XIIIè siècles. On voit alors le langage amoureux s’enrichir de tournures qui ne désignent plus seulement les gestes élémentaires du guerrier, mais qui sont empruntés d’une façon très précise à l’art des batailles, à la tactique militaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’une origine commune plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’un minutieux parallélisme.

    L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il cherche à vaincre les dernières défenses de sa pudeur, et à les tourner par surprise; enfin la dame se rend à sa merci. Mais alors, par une curieuse inversion bien typique de la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps que son vainqueur. Il deviendra le vassal de cette suzeraine, selon la règle des guerres féodales, tout comme si c’était lui qui avait subi la défaite (1). Il ne lui reste qu’à faire la preuve de sa vaillance, etc. Tout ceci pour le beau langage. Mais l’argot soldatesque et civil nous fournirait une profusion d’exemples  d’une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’introduction des armes à feu devait donner lieu à d’innombrables plaisanteries à double sens.

    Ce parallélisme d’ailleurs est complaisamment exploité par les écrivains. C’est un thème rhétorique inépuisable. « O ! trop heureux capitaine, écrit Brantôme, qui avez combattu et tué tant d’hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! O! trop heureux encore une fois, et plus, qui avez combattu et vaincu à tant d’autres assauts et de reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit! » Il ne faudra pas s’étonner si les auteurs mystiques reprennent ces métaphores devenues banales, et les transposent selon le processus décrit plus haut, dans le domaine de l’amour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son Ley de Amor: « Ne pense pas que le combat de l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’une guerre épouvantable sévit des deux cotés, car l’amour ne combat qu’à force de caresses et n’a d’autres menaces que ses tendres paroles. Ses flèches et ses coups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé ».

    ***

    On a vu que la rhétorique courtoise traduit, à l’origine, la lutte du Jour et de la Nuit. La mort y joue un rôle central: elle est la défaite du monde et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre. Mais ni cette origine religieuse, ni cette complicité physiologique des instincts de combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des expressions guerrières dans la littérature érotique d’Occident. Ce qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Age d’une règle effectivement commune à l’art d’aimer et à l’art militaire, et qui s’appelle la chevalerie.

    La chevalerie, loi de l’amour et de la guerre

    « Donner un style à l’amour », telle est, selon J. Huizinga, l’aspiration suprême de la société médiévale dans l’ordre éthique. « C’est une nécessité sociale, un besoin d’autant plus impérieux que les moeurs sont plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur d’un rite, la violence débordante de la passion l’exige. A moins que les émotions ne se laissent encadrer dans des formes et des règles, c’est la barbarie. L’Eglise avait pour tâche de réprimer la brutalité et la licence du peuple, mais elle n’y suffisait pas. L’aristocratie, en dehors des préceptes de la religion, avait sa culture à elle, à savoir la courtoisie, et elle y puisait les normes de sa conduite. » (Nous savons en effet que la courtoisie non seulement ne devait rien à l’Eglise, mais s’opposait à sa morale. Voilà qui peut nous inciter à réviser bien des jugements sur l’unité spirituelle de la société médiévale!) Or s’il est vrai que cette morale courtoise ne parvint guère à transformer les moeurs privées des hautes classes, qui demeuraient d’une « rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérature. Et par ailleurs, elle réussit à s’imposer à la réalité la plus violente du temps, celle de la guerre. Exemple unique d’un ars amandi, qui donne naissance à un ars bellandi.

     Ce n’est pas seulement dans le détail des règles de combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresque, mais dans la conduite même des batailles, et jusque dans la politique. Le formalisme militaire revêt à cette époque une valeur d’absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter des conventions d’une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Etoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamais de plus de quatre arpents; sinon ils devront mourir ou se rendre » Et, cette règle étrange, si l’on en croit Froissart, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux ». De même, les nécessités de la stratégie sont  sacrifiées à celles de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterre va à la rencontre des Français avant la bataille d’Azincourt. Par erreur, le soir, il dépasse le village que les fourrageurs lui ont assigné pour y dormir cette nuit-là. Or le roi « comme celuy qui gardoit le plus les cérémonies d’honneur très loables » vient hustement d’ordonner que les chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’armes, il ne peut donc revenir sur ses pas; il passe la nuit dans l’endroit où il est, et fait ranger l’avant-garde conformément à ce nouveau plan. » Les exemples abondent de carnages inutiles provoqués par des voeux d’une folle outrecuidance et que l’on tente d’accomplir au plus grand des périls possibles. C’est bien le péril qu’on recherche pour lui-même, car on n’est pas inapte en d’autres cas à trouver des prétextes pour esquiver ses engagements. La casuistique courtoise en offre d’excellents. Cette casuistique « ne régit pas seulement la morale et le droit; elle s’étend à tous les domaines où le style et la forme sont choses essentielles: les cérémonies, l’étiquette, les tournois, la chasse et surtout l’amour ». Elle a même exercé une influence déterminante sur le droit des gens à sa naissance. « Droit de butin, droit d’attaque – fidélité à la parole donnée sont régis par des règles semblables à celles qui gouvernent le tournoi et la chasse. » L’Arbre des Batailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu de la rendre? – Est-il permis de livrer bataille un jour de fête? – Vaut-il mieux se battre après les repas ou à jeun ? – Dans quels cas peut-on s’évader de captivité ? » Dans un autre ouvrage, on voit deux capitaines se disputer un prisonnier devant le chef : « C’est moi qui l’ai saisi le premier dit l’un, par le bras et par la main droite, et lui ai arraché le gant. – Mais à moi, dit l’autre, il a donné cette même main avec sa parole ».

    Quant aux idées politiques inspirées au Moyen Age par la conception chevaleresque, ce sont essentiellement selon Huizinga : la lutte pour la paix universelle basée sur l’union des rois, la conquête de Jérusalem et l’expulsion des Turcs. Idées chimériques mais dont l’empire ne cessera de s’exercer sur les princes jusqu’au XVè siècle, en dépit des transformations de tous ordres survenues entre-temps en Europe, et à l’encontre des intérêts réels les plus urgents.

    C’est ici que se marque le mieux le caractère particulier de l’idéal courtois, radicalement contradictoire avec la « dure réalité » de l’époque: il représente un pôle d’attraction pour les aspirations spirituelles brimées. C’est une forme d’évasion romantique, en même temps qu’un frein aux instincts. Le formalisme minutieux de la guerre s’oppose aux violences du sang féodal comme le culte de la chasteté, chez les troubadours, s’oppose à l’exaltation héroïque du XIIè siècle. « Dans la conscience du Moyen Age, se forment pour ainsi dire l’une à côté de l’autre deux conceptions de la vie: le conception pieuse, ascétique, attire à elle tous les sentiments moraux; la sensualité, abandonnée au diable, se venge terriblement. Que l’un ou l’autre de ces penchants prédomine, nous avons le saint ou le pécheur; mais en général, ils se tiennent en équilibre instable avec d’énormes écarts de la balance ».

    Les tournois, ou le mythe en acte

    Il est pourtant un domaine où s’opère la synthèse à peu près parfaite des instincts érotiques e guerriers et de la règle courtoise idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de la lice où se jouent les tournois.

    Là, les fureurs du sang se donnent libre cours mais sous l’égide et dans les cadres symboliques d’une cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction mythique du Tristan telle que nous la définissions: exprimer la passion dans toute sa force, mais en la voilant religieusement de manière à la rendre acceptable au jugement de la société. Le tournoi « joue » le mythe, physiquement : – « Les transports de l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous forme de lecture, mais surtout donnés en spectacle. Ce jeu peut revêtir deux formes: la représentation dramatique et le sport. Celui-ci est, au Moyen Age, de beaucoup le plus important. Le drame ne traitait encore, en général, que la matière sacrée; l’aventure amoureuse n’y était qu’exceptionnelle. Le sport médiéval, au contraire, et surtout le tournoi, était lui-même dramatique au plus haut point et contenait, en outre, une forte dose d’érotisme. Partout et toujours, le sport a associé ces deux facteurs: dramatique et amoureux; mais tandis que les sports modernes sont presque retournés à la simplicité grecque, le tournoi de la fin du Moyen Age, avec ses riches ornements et sa mise en scène, pouvait remplir les fonctions du drame lui-même ».

    Rien ne me paraît plus propre à restituer l’atmosphère de rève du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les oeuvres de Chastellain et les Mémoires d’Ollivier de la Marche, tous deux historiographes du fastueux et chevaleresque duché de Bourgogne au XVè siècle.

    L’amour et la mort s’y marient dans un paysage artificiel et symbolique de très haute mélancolie. « L’héroïsme par amour – voilà le motif romanesque qui doit apparaître partout et toujours. C’est la transformation immédiate du désir sensuel en un sacrifice de soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expression et la satisfaction du désir, qui paraissent tous deux impossibles se transforment en une chose plus élevée: l’action entreprise par amour. La mort devient alors la seule alternative à l’accomplissement du désir, et la délivrance est donc de toute manière assurée ».

    La mise en scène des tournois emprunte ses idées aux Romans de la Table Ronde. Ainsi, au XVè siècle, le Pas d’Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginaire. « La Fontaine est construite à cet effet. Pendant une année entière, tous les premiers du mois, un chevalier anonyme viendra déployer, devant la fontaine, une tente dans laquelle est assise une dame (en effigie naturellement); celle-ci tient une licorne qui porte qui porte trois écus. Tout chevalier qui touche l’écu s’engage à un combat dans les conditions décrites par les « chapitres » du pas d’armes. C’est à cheval qu’il faut toucher les boucliers : les chevaliers trouveront toujours des chevaux prêts à cet usage ».

    Denis de Rougemont In L’amour et l’Occident (1938)

    http://theatrum-belli.org/amour-et-guerre-par-denis-de-rougemont/