Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1096

  • «Julien Freund, penseur du politique»

    Conférence du 27 septembre 2016

    Ex: http://cerclepeguy.blogspot.com
    INTRODUCTION: JULIEN FREUND, PHILOSOPHE ENGAGE?
    Penseur méconnu de la seconde moitié du XXème siècle, Julien Freund (1921-1993) n'en constitue pas moins l'une des figures les plus brillantes de la philosophie politique, et c'est à juste titre que son œuvre commence enfin à connaître un regain d'intérêt. Né à Henridorff en Moselle, Julien Freund a 19 ans lorsque éclate la Seconde Guerre mondiale. Pris en otage à la suite de l'assassinat d'un soldat allemand en 1940, il parvient à s'échapper et rejoint la Résistance. A nouveau arrêté en 1942, il s'échappe une nouvelle fois en 1944. Témoin de la geste communiste de la Résistance, il devient un spectateur désabusé de la Libération et de l’épuration. Il adhère à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) en 1946, mais en sort dépité par les combines d’appareil propres à la IVème République. Il se réfugie dans la philosophie, dont il obtient l'agrégation en 1949. Il entame alors une thèse, fruit de la « déception surmontée » de son engagement politique, thèse qu'il soutiendra quinze ans plus tard sous la direction successive de Jean Hippolyte et de Raymond Aron, et devient professeur de sociologie à l'université de Strasbourg. Malgré son excellente qualité, trois facteurs font que son œuvre demeure relativement méconnue. Premièrement, il a eu le défaut de n’avoir pas été marxiste à une époque où le champ de la philosophie politique était dévolu aux thuriféraires de Marx; deuxièmement Julien Freund est connu comme le propagateur en France de la pensée de Carl Schmitt, philosophe allemand ayant rejoint le parti nazi; troisièmement, on lui reproche son affiliation plus ou moins distante au GRECE (Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne), mouvement d'extrême droite néo-païen aux positions franchement anti-chrétiennes, qui se positionna dans les années 1970-1980 en défenseur de la civilisation et de l'identité européennes. La question que le conférencier va alors se poser est de savoir si cet oubli est mérité, ou si l'on ne risquerait pas au contraire de perdre un enseignement en philosophie politique de grande valeur. Pour nous convaincre de cette seconde éventualité, il a fait le choix de présenter la notion du politique chez Julien Freund, en commençant par sa définition, avant de nous en présenter trois présupposés essentiels puis la finalité.
    1. Définition du politique : le politique, la politique, l’impolitique
    2410811588.jpgLa politique est cette « activité contingente, qui s’exprime dans des institutions variables et dans des évènements historiques de toutes sortes » : non seulement la politique politicienne, celle de tous les jours, mais encore les changements de régimes et systèmes politiques, ne sont que des épiphénomènes qui obéissent, en vérité, à une série d’invariants liés à la nature humaine.
    Le politique, en revanche, est un domaine particulier des relations sociales, distinct du domaine économique, moral ou religieux. Ce domaine perdure à travers les siècles et les millénaires, « indépendamment des variations historiques, des contingences spatiales et temporelles, des régimes et des systèmes politiques ». Le politique signe donc l'ensemble des principes permanents sous-jacents à la politique qui en est une simple manifestation.
    Alors que la politique est contingente, dépendante des lieux et des époques, le politique est universel, inscrit dans la nature humaine. Freund s'inscrit sur ce point dans la droite ligne d'Aristote, en refusant de faire de la société un artefact, le fruit d'un contrat entre individus libres selon la conception de Hobbes puis de Rousseau, et en affirmant au contraire que l'homme est naturellement sociable, et que par conséquent la société elle-même est naturelle. L'état de nature, tel que le conçoit Rousseau, n'existe pas, et ne peut servir à la rigueur que de spéculation philosophique. Le politique, comme nous le verrons plus loin, n'est pas une fin en soi, mais il n'est pas non plus réductible à un autre champ de l'activité humaine, c'est-à-dire qu'il ne s'agit d'une extension ni de la biologie, ni de l'économie, ni de la technique, ni du droit, ni même de la morale. Le politique est autonome, et ceux qui voudraient faire de la politique en méconnaissant cette réalité, sont « impolitiques », c’est-à-dire qu’ils blessent la vocation du politique en le subordonnant à un autre ordre (économique, notamment).
    1. Présupposés du politique
    Le politique se fonde sur un triple jeu de relations:
    • commandement - obéissance
    • public - privé
    • ami - ennemi
    Le politique est inconcevable sans une relation de commandement. L'affirmation de cette relation correspond, selon la terminologie de Pierre-André Taguieff, au « Julien Freund conservateur ». Même dans un régime « libéral », une démocratie moderne, où le commandement semble réduit et tempéré dans sa forme, il s'avère impossible de se débarrasser de l'autorité d'une part et de l'obéissance de l'autre. Freund rejoint sur ce point Tocqueville qui faisait remarquer que le citoyen est bien plus dépendant de l'Etat que ne l'était un sujet du roi. Pour Freund, héritier de Max Weber, le commandement est un phénomène de puissance et c’est cette puissance qui façonne la volonté du groupe. La première définition de la souveraineté n’est donc pas de nature juridique, mais de nature pleinement politique, étant fondée sur la puissance et la force. Il ne faut cependant pas oublier que, même si ce n'est pas le droit qui en fixe les barrières, la puissance est limitée par sa finalité propre, qui est la protection de la collectivité.
    La relation privé - public, attribuée au « Julien Freund libéral », définit la frontière de la sphère privée au sein de la société, celle où l'individu est libre de ses choix, en tout cas par rapport à la collectivité. La position de cette frontière peut certes fluctuer selon les lieux et les époques, mais de même que pour le principe de puissance, il est impossible de s'en débarrasser. Même dans les régimes totalitaires, il existe toujours quelques activités et relations qui échappent au contrôle de l’État. Sous cet angle, l'histoire de l'Occident semble animée par une aspiration permanente à étendre cette sphère privée, alors que le totalitarisme est un effort pour effacer la distinction entre privé et public. Cette dialectique entre sphère privée et publique est vitale, car c'est elle qui est source de la vie et du dynamisme de la société: ce ne sont pas les institutions encadrant le génie et l'activité individuelles qui produisent les innovations, mais à l'inverse, sans ce cadre, les initiatives individuelles ne pourraient s'épanouir et bénéficier à l'ensemble de la société.
    242682803.gifLes deux présupposés précédents déterminent la vie au sein d'une collectivité, mais c'est à la dernière, la relation ami-ennemi, qu'il revient de circonscrire cette collectivité par rapport aux entités extérieures. La mise en avant de l'antagonisme « ami-ennemi » comme facteur du politique est un héritage du philosophe allemand Carl Schmitt, qui affirme que l'ennemi est le facteur déterminant du politique. Cet ennemi peut être réel ou virtuel - c’est à dire que sa menace peut exister en acte ou seulement en puissance - mais sa désignation est indispensable à l’unité et à la pérennité de la collectivité, car c'est lui qui donne sa cohérence à la société : « l’inimitié donne la signification politique à une collectivité, à un peuple ou à une nation, car exister politiquement c’est être indépendant ». Le propre de l’Etat est d’éliminer l’inimitié à l’intérieur (ce qui n’exclut,évidemment pas des « adversités » politiques) et de le bloquer à l’extérieur : « l’unité politique d’une collectivité a en effet, pour fondement la suppression des ennemis intérieurs et l’opposition vigilante aux ennemis extérieurs ». L’enjeu pour la collectivité est donc d’identifier et de nommer son ennemi car, quand bien même elle s’y refuserait par pacifisme, elle finirait par être désignée comme ennemie par une autre entité (« c’est l’ennemi qui vous désigne ») qui tirerait alors parti de son défaut de préparation au conflit. Selon cette vision des choses, la guerre est toujours latente, non pas comme une fin, mais comme un dernier recours. Cette perspective tragique, qui exclut l’avènement d’un Etat universel, déplaisait particulièrement au premier directeur de thèse de Julien Freund, l’hégéliano-marxiste Jean Hippolyte, qui concevait l'histoire humaine comme tendant inéluctablement vers la paix universelle, et c'est pour ce motif qu'il laissa à Raymond Aron le soin de poursuivre l'encadrement de cette thèse.
    1. Finalité du politique
    En disciple d'Aristote, Julien Freund soutient que la finalité du politique, c'est le bien commun, autrement dit le bien de la communauté comme entité à part entière. Ce bien commun se distingue d'une part de la somme des biens individuels et d'autre part du bien de l’État pour lui-même qui est au contraire un organe au service de la société, au service de la protection du bien commun. Les individus, en tant que membres de la communauté, profitent du bien commun de deux façons:
    • tout d'abord, le bien commun se manifeste par la sécurité extérieure, qui seule garantit la pérennité de la collectivité politique.
    • et surtout, le bien commun se définit comme la concorde au sein de la communauté, concorde qui assure aux membres la bona vita de S. Thomas d'Aquin. Il ne s'agit évidemment pas d'une amitié intime entre tous les membres, mais d'un certain accord entre leurs diverses vies et activités. Pour que cette concorde continue à voir le jour, il est nécessaire aux différents individus de se reconnaître comme membres d'une même patrie; c'est pourquoi la question de l'identité est primordiale pour le politique, en tant que fondement de l'entente entre les membres : « on a beau ironiser sur le concept de patrie et concevoir l’humanité sur le mode anarchique et abstrait comme composée uniquement d’individus isolés aspirant à leur seule liberté personnelle, il n’empêche que la patrie est une réalité sociale concrète, introduisant l’homogénéité et le sens de la collaboration entre les hommes. Elle est même une des sources essentielles du dynamisme collectif, de la stabilité et de la continuité d’une unité politique dans le temps », écrit Freund.
    CONCLUSION : UNE PENSEE ETRANGEMENT ACTUELLE
    Après en avoir dressé un rapide portrait, il est intéressant de constater à quel point les idées de Julien Freund sont pertinentes au regard de la situation de la France de 2016 : la politique gouvernementale, fondée d’une part sur un projet « sociétal » qui nie la distinction privé/public et d’autre part sur une vision « économiciste » de l’homme, semble proprement « impolitique », tandis que l’Etat se place en défaut par rapport à la finalité-même du politique : la sécurité extérieure et la concorde intérieure se dégradent chaque jour davantage, au moment où l’on se refuse à nommer notre ennemi et à accorder une quelconque importance à ce qui fait notre identité nationale.
    Questions:
    Q: Julien Freund a une conception "tragique" de la politique d'après l'expression du conférencier, car il estime que la guerre est toujours latente. Mais en disant que la guerre est simplement latente et non inexorable, ne laisse-t-il pas l'espoir qu'il est en le pouvoir des hommes d'éviter le conflit?
    A: La guerre n'est pas inévitable, c'est vrai, mais ce qui est tragique c'est ce sentiment d'inimitié, qui lui est permanent, ainsi que ce rapport de forces également permanent qui délimite les communautés les unes par rapport aux autres. En outre, la bonne volonté d'un côté ne suffit pas à éviter les conflits, car bien souvent on ne choisit pas ses ennemis, « c'est l'ennemi qui vous désigne », et alors, si la collectivité veut perdurer, elle n'a d'autre choix que de se battre.
    3673118993.jpgQ: Cette inimitié entre sociétés et les guerres qui en résultent sont présentées comme naturelles à l'homme. Faut-il comprendre naturelles à l'homme déchu ou à l'homme tel que Dieu l'a créé originellement?
    A: Quoique catholique, Freund, et c'est un reproche que l'on peut légitimement lui faire, ne se préoccupe pas des questions métaphysiques ou religieuses. Son approche est, si l'on veut, phénoménologique voire empirique: il prend l'homme dans son état actuel, sans se préoccuper de la raison de cet état, et en tire les conclusions que l'on a vues.
    Q: Freund prétend que l'homme est naturellement politique; pourtant, n'est-ce pas un constat universel que les hommes s'accordent difficilement entre eux, n'ont pas vraiment le sens du bien commun, et poursuivent au contraire de préférence leur bien particulier? Ne faudrait-il pas plutôt dire que l'homme est naturellement social?
    A: Pour Freund, la réponse est claire: l'homme est un être de relations, il est donc politique au sens premier du terme. Cela ne veut pas dire qu'il suive toujours les "règles du jeu", ni à l'inverse que les défauts que l'on peut remarquer aujourd'hui soient absolument insurmontables. Au contraire, ces défauts sont très actuels et le fruit d'une détérioration relativement récente du politique.
    Q: Dans la distinction privé-public, la sphère privée a été définie comme relevant de l’individu et des rapports entre individus. Quelle position cela laisse-t-il à la famille, souvent considérée comme cellule de base de la société plutôt que l'individu?
    A: Pour Freund, la famille appartient au domaine de la sphère privée, qui est une sphère autonome. Il garde une certaine distance à l’égard des penseurs qui présentent la communauté politique comme une simple extension de cercle familial.

  • ZOOM : Mathilde Gibelin / Le retour du Crapouillot : l'Ecologie quel scandale !

  • Maurrassisme et Catholicisme : Grand Texte XXXVIII

    Maurras s'explique ici, avec une hauteur de vue incomparable et dans une langue superbe  sur le grand respect, la sourde tendresse, la profonde affection qu'il voue - et avec lui toute l'Action française, croyants ou non - à l'Eglise catholique. Au temps où Maurras publie ce vrai grand texte, comme au nôtre, cet attachement a toujours suscité une sorte de critique catholique venue de milieux bien déterminés - suspectant sa sincérité ou mettant en cause ses motivations supposées. Cette même mouvance s'employait par ailleurs, à combattre tout ce qui, dans l'Eglise pouvait relever de la Tradition. Nous partageons aujourd'hui encore les analyses et les sentiments de Maurras envers le Catholicisme - ce qui est pourtant devenu parfois fort difficile du fait de tels des revirements, évolutions, ou prises de position actuelles de l'Eglise. Mais nous n'ajouterons pas à la longueur de ce superbe texte.   Lafautearousseau 

    I

    3350972466.pngOn se trompe souvent sur le sens et sur la nature des raisons pour lesquelles certains esprits irréligieux ou sans croyance religieuse ont voué au Catholicisme un grand respect mêlé d'une sourde tendresse et d'une profonde affection. — C'est de la politique, dit-on souvent. Et l'on ajoute : — Simple goût de l'autorité. On poursuit quelquefois : — Vous désirez une religion pour le peuple… Sans souscrire à d'aussi sommaires inepties, les plus modérés se souviennent d'un propos de M. Brunetière : « L'Église catholique est un gouvernement », et concluent : vous aimez ce gouvernement fort.

    Tout cela est frivole, pour ne pas dire plus. Quelque étendue que l'on accorde au terme de gouvernement, en quelque sens extrême qu'on le reçoive, il sera toujours débordé par la plénitude du grand être moral auquel s'élève la pensée quand la bouche prononce le nom de l'Église de Rome. Elle est sans doute un gouvernement, elle est aussi mille autres choses. Le vieillard en vêtements blancs qui siège au sommet du système catholique peut ressembler aux princes du sceptre et de l'épée quand il tranche et sépare, quand il rejette ou qu'il fulmine ; mais la plupart du temps son autorité participe de la fonction pacifique du chef de chœur quand il bat la mesure d'un chant que ses choristes conçoivent comme lui, en même temps que lui. La règle extérieure n'épuise pas la notion du Catholicisme, et c'est lui qui passe infiniment cette règle. Mais où la règle cesse, l'harmonie est loin de cesser. Elle s'amplifie au contraire. Sans consister toujours en une obédience, le Catholicisme est partout un ordre. C'est à la notion la plus générale de l'ordre que cette essence religieuse correspond pour ses admirateurs du dehors.

    Il ne faut donc pas s'arrêter à la seule hiérarchie visible des personnes et des fonctions. Ces gradins successifs sur lesquels s'échelonne la majestueuse série des juridictions font déjà pressentir les distinctions et les classements que le Catholicisme a su introduire ou raffermir dans la vie de l'esprit et l'intelligence du monde. Les constantes maximes qui distribuent les rangs dans sa propre organisation se retrouvent dans la rigueur des choix critiques, des préférences raisonnées que la logique de son dogme suggère aux plus libres fidèles. Tout ce que pense l'homme reçoit, du jugement et du sentiment de l'Église, place proportionnelle au degré d'importance, d'utilité ou de bonté. Le nombre de ces désignations électives est trop élevé, leur qualification est trop minutieuse, motivée trop subtilement, pour qu'il ne semble pas toujours assez facile d'y contester, avec une apparence de raison, quelque point de détail. Où l'Église prend sa revanche, où tous ses avantages reconquièrent leur force, c'est lorsqu'on en revient à considérer les ensembles. Rien au monde n'est comparable à ce corps de principes si généraux, de coutumes si souples, soumis à la même pensée, et tel enfin que ceux qui consentirent à l'admettre n'ont jamais pu se plaindre sérieusement d'avoir erré par ignorance et faute de savoir au juste ce qu'ils devaient. La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l'incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir.

    Cet ordre intellectuel n'a rien de stérile. Ses bienfaits rejoignent la vie pratique. Son génie prévoyant guide et soutient la volonté, l'ayant pressentie avant l'acte, dès l'intention en germe, et même au premier jet naissant du vœu et du désir. Par d'insinuantes manœuvres ou des exercices violents répétés d'âge en âge pour assouplir ou pour dompter, la vie morale est prise à sa source, captée, orientée et même conduite, comme par la main d'un artiste supérieur.

    Pareille discipline des puissances du cœur doit descendre au delà du cœur. Quiconque se prévaut de l'origine catholique en a gardé un corps ondoyé et trempé d'habitudes profondes qui sont symbolisées par l'action de l'encens, du sel ou du chrême sacrés, mais qui déterminent des influences et des modifications radicales. De là est née cette sensibilité catholique, la plus étendue et la plus vibrante du monde moderne, parce qu'elle provient de l'idée d'un ordre imposé à tout. Qui dit ordre dit accumulation et distribution de richesses : moralement, réserve de puissance et de sympathie.

    II

    On pourrait expliquer l'insigne merveille de la sensibilité catholique par les seules vertus d'une prédication de fraternité et d'amour, si la fraternité et l'amour n'avaient produit des résultats assez contraires quand on les a prêchés hors du catholicisme. N'oublions pas que plus d'une fois dans l'histoire il arriva de proposer « la fraternité ou la mort » et que le catholicisme a toujours imposé la fraternité sans l'armer de la plus légère menace : lorsqu'il s'est montré rigoureux ou sévère jusqu'à la mort, c'est de justice ou de salut social qu'il s'est prévalu, non d'amour. Le trait le plus marquant de la prédication catholique est d'avoir préservé la philanthropie de ses propres vertiges, et défendu l'amour contre la logique de son excès. Dans l'intérêt d'une passion qui tend bien au sublime, mais dont la nature est aussi de s'aigrir et de se tourner en haine aussitôt qu'on lui permet d'être la maîtresse, le catholicisme a forgé à l'amour les plus nobles freins, sans l'altérer ni l'opprimer.

    Par une opération comparable aux chefs-d'œuvre de la plus haute poésie, les sentiments furent pliés aux divisions et aux nombres de la Pensée ; ce qui était aveugle en reçut des yeux vigilants ; le cœur humain, qui est aussi prompt aux artifices du sophisme qu'à la brutalité du simple état sauvage, se trouva redressé en même temps qu'éclairé.

    Un pareil travail d'ennoblissement opéré sur l'âme sensible par l'âme raisonnable était d'une nécessité d'autant plus vive que la puissance de sentir semble avoir redoublé depuis l'ère moderne. « Dieu est tout amour », disait-on. Que serait devenu le monde si, retournant les termes de ce principe, on eût tiré de là que « tout amour est Dieu » ? Bien des âmes que la tendresse de l'évangile touche, inclinent à la flatteuse erreur de ce panthéisme qui, égalisant tous les actes, confondant tous les êtres, légitime et avilit tout. Si elle eût triomphé, un peu de temps aurait suffi pour détruire l'épargne des plus belles générations de l'humanité. Mais elle a été combattue par l'enseignement et l'éducation que donnait l'Église : — Tout amour n'est pas Dieu, tout amour est « DE DIEU ». Les croyants durent formuler, sous peine de retranchement, cette distinction vénérable, qui sauve encore l'Occident de ceux que Macaulay appelle les barbares d'en bas.

    Aux plus beaux mouvements de l'âme, l'Église répéta comme un dogme de foi : « Vous n'êtes pas des dieux ». À la plus belle âme elle-même : « Vous n'êtes pas un Dieu non plus ». En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l'idée et à l'observance du tout, les avis de l'Église éloignèrent l'individu de l'autel qu'un fol amour-propre lui proposait tout bas de s'édifier à lui-même ; ils lui représentèrent combien d'êtres et d'hommes, existant près de lui, méritaient d'être considérés avec lui : — n'étant pas seul au monde, tu ne fais pas la loi du monde, ni seulement ta propre loi. Ce sage et dur rappel à la vue des choses réelles ne fut tant écouté que parce qu'il venait de l'Église même. La meilleure amie de chaque homme, la bienfaitrice commune du genre humain, sans cesse inclinée sur les âmes pour les cultiver, les polir et les perfectionner, pouvait leur interdire de se choisir pour centre.

    Elle leur montrait ce point dangereux de tous les progrès obtenus ou désirés par elle. L'apothéose de l'individu abstrait se trouvait ainsi réprouvée par l'institution la plus secourable à tout individu vivant. L'individualisme était exclu au nom du plus large amour des personnes, et ceux-là mêmes qu'entre tous les hommes elle appelait, avec une dilection profonde, les humbles, recevaient d'elle un traitement de privilège, à la condition très précise de ne point tirer de leur humilité un orgueil, ni de la sujétion le principe de la révolte.
    La douce main qu'elle leur tend n'est point destinée à leur bander les yeux. Elle peut s'efforcer de corriger l'effet d'une vérité âpre. Elle ne cherche pas à la nier ni à la remplacer par de vides fictions. Ce qui est : voilà le principe de toute charitable sagesse. On peut désirer autre chose. Il faut d'abord savoir cela. Puisque le système du monde veut que les plus sérieuses garanties de tous les « droits des humbles » ou leurs plus sûres chances de bien et de salut soient liées au salut et au bien des puissants, l'Église n'encombre pas cette vérité de contestations superflues. S'il y a des puissants féroces, elle les adoucit, pour que le bien de la puissance qui est en eux donne tous ses fruits ; s'ils sont bons, elle fortifie leur autorité en l'utilisant pour ses vues, loin d'en relâcher la précieuse consistance. Il faudrait se conduire tout autrement si notre univers était construit d'autre sorte et si l'on pouvait y obtenir des progrès d'une autre façon. Mais tel est l'ordre. Il faut le connaître si l'on veut utiliser un seul de ses éléments. Se conformer à l'ordre abrège et facilite l'œuvre. Contredire ou discuter l'ordre est perdre son temps. Le catholicisme n'a jamais usé ses puissances contre des statuts éternels ; il a renouvelé la face de la terre par un effort d'enthousiasme soutenu et mis en valeur au moyen d'un parfait bon sens. Les réformateurs radicaux et les amateurs de révolution n'ont pas manqué de lui conseiller une autre conduite, en le raillant amèrement de tant de précautions. Mais il les a tranquillement excommuniés un par un.

    III

    L'Église catholique, l'Église de l'Ordre, c'étaient pour beaucoup d'entre nous deux termes si évidemment synonymes qu'il arrivait de dire : « un livre catholique » pour désigner un beau livre, classique, composé en conformité avec la raison universelle et la coutume séculaire du monde civilisé ; au lieu qu'un « livre protestant » nous désignait tout au contraire des sauvageons sans race, dont les auteurs, non dépourvus de tout génie personnel, apparaissaient des révoltés ou des incultes. Un peu de réflexion nous avait aisément délivrés des contradictions possibles établies par l'histoire et la philosophie romantiques entre le catholicisme du Moyen-Âge et celui de la Renaissance. Nous cessions d'opposer ces deux périodes, ne pouvant raisonnablement reconnaître de différences bien profondes entre le génie religieux qui s'était montré accueillant pour Aristote et pour Virgile et celui qui reçut un peu plus tard, dans une mesure à peine plus forte, les influences d'Homère et de Phidias. Nous admirions quelle inimitié ardente, austère, implacable, ont montrée aux œuvres de l'art et aux signes de la beauté les plus résolus ennemis de l'organisation catholique. Luther est iconoclaste comme Tolstoï, comme Rousseau. Leur commun rêve est de briser les formes et de diviser les esprits. C'est un rêve anti-catholique. Au contraire, le rêve d'assembler et de composer, la volonté de réunir, sans être des aspirations nécessairement catholiques, sont nécessairement les amis du catholicisme. À tous les points de vue, dans tous les domaines et sous tous les rapports, ce qui construit est pour, ce qui détruit est contre ; quel esprit noble ou quel esprit juste peut hésiter ?

    Chez quelques-uns, que je connais, on n'hésita guère. Plus encore que par sa structure extérieure, d'ailleurs admirable, plus que par ses vertus politiques, d'ailleurs infiniment précieuses, le catholicisme faisait leur admiration pour sa nature intime, pour son esprit. Mais ce n'était pas l'offenser que de l'avoir considéré aussi comme l'arche du salut des sociétés. S'il inspire le respect de la propriété ou le culte de l'autorité paternelle ou l'amour de la concorde publique, comment ceux qui ont songé particulièrement à l'utilité de ces biens seraient-ils blâmables d'en avoir témoigné gratitude au catholicisme ? Il y a presque du courage à louer aujourd'hui une doctrine religieuse qui affaiblit la révolution et resserre le lien de discipline et de concorde publique, je l'avouerai sans embarras. Dans un milieu de politiques positivistes que je connais bien, c'est d'un Êtes vous catholiques ? que l'on a toujours salué les nouveaux arrivants qui témoignaient de quelque sentiment religieux. Une profession catholique rassurait instantanément et, bien qu'on n'ait jamais exclu personne pour ses croyances, la pleine confiance, l'entente parfaite n'a jamais existé qu'à titre exceptionnel hors de cette condition.

    La raison en est simple en effet, dès qu'on s'en tient à ce point de vue social. Le croyant qui n'est pas catholique dissimule dans les replis inaccessibles du for intérieur un monde obscur et vague de pensées ou de volontés que la moindre ébullition, morale ou immorale, peut lui présenter aisément comme la voix, l'inspiration et l'opération de Dieu même.

    Aucun contrôle extérieur de ce qui est ainsi cru le bien et le mal absolus. Point de juge, point de conseil à opposer au jugement et au conseil de ce divin arbitre intérieur. Les plus malfaisantes erreurs peuvent être affectées et multipliées, de ce fait, par un infini. Effrénée comme une passion et consacrée comme une idole, cette conscience privée peut se déclarer, s'il lui plaît, pour peu que l'illusion s'en mêle, maîtresse d'elle-même et loi plénière de tout : ce métaphysique instrument de révolte n'est pas un élément sociable, on en conviendra, mais un caprice et un mystère toujours menaçant pour autrui.

    Il faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l'homme et de la société ; pour la résoudre, il faut constituer des autorités vivantes chargées d'interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là et là seulement, l'homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l'homme n'ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d'un froissement, et la société trouve devant elle un grand corps, une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoique inégalement compétentes. L'Église incarne, représente l'homme intérieur tout entier ; l'unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L'État, un lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il contre une poussière de consciences individuelles, que les asservir à ses lois ou flotter à la merci de leur tourbillon ? 

    Charles MAURRAS 

    L'on peut aussi lire intégralement ...

    La Démocratie religieuse 

    Le Dilemme de Marc Sangnier (1906)

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2016/10/26/grands-textes-xxxviii-5865894.html

  • La démolition du système scolaire date du Général De Gaulle

    L'Homme Nouveau publie une passionnante enquête de Jean de Viguerie sur la crise scolaire en France. L'auteur date la décadence du système éducatif au général De Gaulle. Extrait :

    6a00d83451619c69e201bb0948f74d970d-250wi.jpg"[...] Revenu au pouvoir en 1958, élu président de la République, Charles De Gaulle se saisit du dossier « instruction publique » et impose deux réformes capitales, la « démocratisation » et la diminution des enseignements dispensés. De Gaulle s’occupe personnellement de la « démocratisation ». Il y travaille en « Conseil privé restreint » avec Jacques Narbonne, son conseiller pour ces questions, Christian Fouchet, ministre de l’Éducation nationale, et à l’occasion, le recteur Jean Capelle. Le projet à l’étude, comme l’autre, celui de la diminution des enseignements, feraient partie d’un plan d’ensemble intitulé « réforme » ou « réforme générale de l’enseignement ». Les deux expressions reviennent de temps en temps dans les notes ou les procès-verbaux. On en parle comme d’un plan déjà élaboré, et sur le point d’être appliqué. Ce plan, tout au moins la partie « démocratisation », est celui du parti communiste présenté aux deux assemblées en 1947 par les députés communistes Langevin et Wallon, et alors rejeté. Il prévoyait de faire passer en 6ème, c’est-à-dire dans le secondaire, tous les élèves de la dernière classe du primaire. De Gaulle l’adopte. Il n’a pas le choix. C’est très probablement l’une des deux conditions de la « paix sociale », l’autre étant l’abandon de l’Algérie. Nous disons « très probablement », n’ayant aucune preuve écrite d’un tel accord. La décision ne tarde pas. L’examen d’entrée en 6ème est supprimé par la circulaire ministérielle du 13 mars 1959. Les assemblées n’ont pas été consultées. C’est une mesure choc, mais on a fait en sorte que le public n’en voie pas l’importance. La propagande officielle la justifie par le principe d’égalité : le baccalauréat, dit-elle, ne sera plus réservé aux enfants de la bourgeoisie. Or, il ne l’avait jamais été. Toutes les classes du secondaire comptaient des enfants de tous les milieux sociaux. On sélectionnait les meilleurs du primaire, si leurs parents le voulaient bien. Toute sélection étant supprimée, la qualité de l’enseignement secondaire ne peut qu’en souffrir. Le ministère tente d’y parer. Il crée en 1962 des « collèges d’enseignement général », d’où les élèves venus du primaire, et s’adaptant mal, pourront accéder soit au primaire supérieur, soit aux enseignements professionnels. L’idée est sans doute ingénieuse, mais ces collèges sont supprimés en 1975.

    Diminution des savoirs

    À la démocratisation s’ajoute, nous l’avons dit plus haut, la diminution des savoirs fondamentaux. C’est l’autre réforme due au général De Gaulle, et qui est comprise dans ce qu’on appelle au ministère, « la réforme générale de l’enseignement ». Celle-ci ne semble pas avoir été évoquée au « Conseil privé restreint ». Elle est préparée au ministère et publiée ensuite au Bulletin officiel de l’Éducation nationale (B.O.E.N.) dans les années 1963, 1964 et 1965, sous la forme de circulaires ministérielles, et sans intervention (comme pour la démocratisation) du pouvoir législatif. Y sont indiquées les notions dont l’étude sera moins approfondie, ou même facultative. [...]

    Après avoir dégradé les enseignements primaire et secondaire, le pouvoir gaulliste s’en prend à l’enseignement supérieur, mais cette fois la réforme est soumise à l’approbation du Parlement et elle est votée le 11 octobre 1968 à la quasi-unanimité des députés. Edgard Faure, ministre de l’Éducation nationale en est officiellement l’auteur, mais on a la certitude que les communistes avaient mis au point le projet. Cette loi donne le gouvernement des universités à des conseils irresponsables où les professeurs sont en minorité, les étudiants, le personnel administratif et technique et les « personnalités extérieures » formant une majorité incapable de promouvoir un enseignement de qualité et de comprendre l’importance d’une recherche scientifique de haut niveau. Parti d’une agitation étudiante (le mouvement du 22 mars) une sorte de révolution mi-étudiante, mi-ouvrière avait profondément troublé et paralysé le pays au cours des mois de mai et juin 68. On a cru, on croit encore aujourd’hui, que la réforme des universités a été de la part du chef de l’État une satisfaction donnée aux « soixante- huitards ». En fait, De Gaulle ne s’était jamais inquiété pour l’université, dont il se souciait peu. S’il s’était inquiété, c’était pour son propre pouvoir. Une fois rassuré par les manifestations en sa faveur, par la promesse du général Massu de le soutenir, enfin par son succès triomphal aux élections législatives, il aurait très bien pu faire voter une réforme universitaire beaucoup moins démagogique. Mais il trouva plus sûr de céder aux directives du parti communiste et de faire adopter son plan. La loi d’orientation de 68, en dégradant l’enseignement supérieur, n’est que la suite et l’achèvement des réformes de l’enseignement préparées par le PC et accomplies depuis 1958 par le gouvernement De Gaulle. 68 n’est pas un commencement mais l’achèvement d’un premier travail de démolition. [...]"

    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Après Calais, Civitas organise une conférence à Metz et une autre à Strasbourg

    1061921246.jpg

     
    Affiche-metz-28-oct-2016.jpg
  • « Le Crépuscule de la France d’en haut » de Christophe Guilluy

    guilly-588x330.jpg

    Christophe Guilluy, dans Le Crépuscule de la France d’en haut, poursuit le travail d’investigation entamé avec ses deux ouvrages précédents, Fractures françaises (2013) et La France périphérique (2014), qui lui ont valu à juste titre succès de librairie et une certaine forme de reconnaissance médiatique sur lesquels Polémia a appelé l’attention en leur temps.

    Ce géographe a en effet rejoint la cohorte des philosophes, démographes, sociologues et autres politologues qui sont réputés venir de « la gauche », mais qui, à un moment donné de leur réflexion, estiment en leur âme et conscience devoir rompre avec l’idéologie dominante, tant celle-ci leur paraît enfermée dans le déni de réalité.

    C’est dire que Christophe Guilluy, comme Michel Onzain, Michèle Tribalat ou Jean–Claude Michéa, est périodiquement cloué au pilori par les « nouveaux bien-pensants », tout simplement parce que, comme dans la chanson de Gilbert Bécaud, « il a dit la vérité, il doit être exécuté ».

    On retrouvera dans Le Crépuscule de la France d’en haut une thématique amorcée dans les ouvrages précédents : le clivage fondamental de la société française s’organise moins autour de l’opposition entre la ville et ses banlieues que dans une coupure entre les « métropoles » et la France périphérique, c’est-à-dire tout le reste : banlieues et zones péri-urbaines, villes petites et moyennes et ce qui subsiste du pays rural.

    A la France périphérique reviennent la désertification démographique, industrielle et commerciale, le chômage et, de surcroît, pour les banlieues une perte des repères identitaires accentuée par une immigration incontrôlée et un communautarisme qui sont notre lot quotidien.

    A contrario, les nouvelles métropoles dont l’illustration est offerte de façon criante par Paris et par Londres, regroupent de plus en plus les « heureux de la mondialisation », cette nouvelle classe dominante, déjà décrite avec talent par Luc Gaffié dans La Bobocratie (1).

    Cette nouvelle bourgeoisie possède l’argent, qui est d’ailleurs sa première valeur de référence et lui permet d’être la seule à pouvoir s’offrir le luxe de vivre au cœur des métropoles, consentant au mieux de faire construire – pas trop près tout de même – quelques logements sociaux pour abriter les « petites mains » qui lui assureront les services publics ou privés dont elle a besoin au quotidien. Mais généralement la situation se solde par une « bunkerisation » de fait dans les centres-villes, en rejetant les gens les plus modestes vers des banlieues de plus en plus lointaines avec leur cortège de transports en commun surchargés et d’insécurité culturelle, pour reprendre un euphémisme utilisé par Laurent Bouvet dans son ouvrage éponyme (2).

    Mais l’argent ne suffit pas si l’on ne maîtrise pas les consciences. Outre les dirigeants et cadres supérieurs du secteur économique et les professions libérales de haut niveau, la classe dominante englobe également la caste politique et médiatique, ces « faiseurs d’opinion » essentiels pour assurer une emprise sur la majorité, par le martèlement incessant de l’idéologie des droits de l’homme et du vivre-ensemble, et la stigmatisation de toute pensée dissidente. Guilluy affirme sans détours que le phénomène des métropoles est intrinsèquement lié au triomphe de la mondialisation et de l’idéologie libérale-libertaire. En rejoignant ainsi les analyses dont Polémia et bien d’autres se font l’écho depuis des années, on comprendra aisément qu’il ne soit pas couvert d’éloges dans Libération ou dans Le Monde. On pourra s’étonner, en revanche, qu’il ait les faveurs du Figaroou de Valeurs actuelles, dont le lecteur moyen, qu’il le veuille ou non, est un bénéficiaire objectif de la mondialisation…

    Certains trouveront que la réflexion de l’auteur, qui tourne autour de la notion de classe sociale et utilise abondamment le concept de « classe populaire », comporte horresco referens quelques relents de marxisme. Je pense pour ma part qu’il faut faire justice de ce type d’accusations, pour plusieurs raisons :

    En premier lieu, il n’est pas inutile de rappeler que l’antimarxisme ne se nourrit pas de la négation de l’existence ni même de la lutte des classes, mais de la contestation de l’idée que cette lutte soit le moteur de l’Histoire. Rien de tel chez Guilluy : l’opposition entre classe dominante et classes populaires ne comporte aucune vision messianique du rôle de ces dernières, aucune insinuation de l’émergence d’un nouveau prolétariat, ni aucune perspective de révolution inéluctable. Il s’agit de montrer que le règne de la « classe moyenne » n’est désormais rien de plus qu’un mythe, alors que depuis plusieurs décennies cette classe est tirée vers le bas par la mondialisation pour se fondre dans une notion plus générale de classe modeste ou populaire qui représente de nos jours largement plus de la moitié de la population française.

    Christophe Guilluy met, par ailleurs, en évidence que si cet antagonisme entre la majorité des « gens ordinaires » – pour reprendre un terme cher à Michéa (3) – et la classe dominante ultra-minoritaire ne débouche pas – jusqu’à maintenant – sur des troubles graves, mis à part les conflits à caractère ethnoculturel, c’est bien parce qu’une part non négligeable des classes populaires demeure persuadée que les bienfaits de la mondialisation l’emportent sur ses effets dévastateurs. Dans ce domaine, la police de la pensée et les médias aux mains des multinationales ou de chefs d’entreprise acquis à la mondialisation ont encore une redoutable efficacité, même si elle est de plus en plus battue en brèche.

    L’auteur précise également son analyse sur trois points importants :

    • La confrontation qu’il met en évidence n’a rien à voir avec une révolte contre les « super-riches ». Il souligne à juste titre que ce thème est utilisé comme un leurre ou un paratonnerre par la caste politique et médiatique pour détourner l’attention de ses propres turpitudes, en désignant un ennemi d’autant plus commode qu’on le sait hors d’atteinte. C’est l’application de la méthode du « quart d’heure de haine » telle qu’elle est narrée par George Orwell dans son incontournable chef-d’œuvre 1984 (4).
    • Les questions de l’immigration et du multiculturalisme ne sont pas évacuées mais, aux yeux de Guilluy, elles sont un facteur aggravant de la désagrégation sociale que nous observons, pas son explication unique. On ne le suivra guère lorsqu’il décèle chez certaines « élites » issues de l’immigration un besoin d’identité et de sécurité culturelle peu différent de celui qui anime les classes modestes « de souche », car c’est un comportement qui paraît relever sinon du phantasme, au moins de l’exception. Mais on peut au moins être d’accord avec l’idée que la mondialisation est un phénomène à multiples facettes, et ne saurait être réduit à sa dimension migratoire.
    • Dans cette volonté de se garder de tout réductionnisme, Guilluy note avec raison que les aspirations des classes populaires au regard de la mondialisation vont bien au-delà de celles de l’électorat du FN, puisque toutes les enquêtes récentes montrent que c’est bien plus de 50% des Français qui marquent un attachement à plus d’identité, de sécurité, de sédentarité et d’enracinement.

    Un tel constat pourrait laisser à penser que l’avenir est prometteur. Pourtant, bien que les mondialistes soient nettement minoritaires et de plus en plus contestés, Christophe Guilluy estime, de son point de vue de géographe, que le processus de ségrégation territoriale et de désertification de la France périphérique sont trop avancés pour être réversibles.

    Lorsqu’on observe la convergence de vues entre la désastreuse Anne Hidalgo à Paris et le nouveau maire de Londres Sadiq Khan, en faveur d’un repli sur soi de la ville centre par rapport aux banlieues, on ne peut pas être vraiment enclin à l’optimisme. D’ailleurs, les projets pharaoniques du Grand Paris et singulièrement le grand réseau de transport express ne sont-ils pas destinés à tenir les classes modestes à distance de Paris, qui serait ainsi réservée à ses riches habitants, aux touristes et à leurs services ancillaires ?

    En définitive, en dépit de quelques réserves, la lecture du Crépuscule de la France d’en haut offre un constat de l’état de la société française qui rejoint sur bien des points nos analyses, et l’on ne saurait trop saluer le courage de Christophe Guilluy, qui brise les tabous sans renoncer pour autant à son expertise de géographe. Les démarches sans concessions comme la sienne sont de moins en moins isolées dans le domaine des sciences humaines, et les cris d’orfraie qu’elles suscitent sont à la mesure de la débandade des idéologies cosmopolites.

    Bernard Mazin , 23/10/2016

    Christophe Guilluy, Le Crépuscule de la France d’en haut, éd. Flammarion, 2016, 253 p.

    Ouvrages cités :

    • (1) Luc Gaffié, La Bobocratie, une classe à part, Ed. Xenia, 2016.
    • (2) Laurent Bouvet, L’Insécurité culturelle, Ed. Fayard, 2015.
    • (3) Jean-Claude Michéa, Le Complexe d’Orphée : la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, Ed. Flammarion, Champs Essais, 2011.
    • (4) George Orwell, 1984, Folio, 1949.

    Ouvrages de Christophe Guilly :

    Fractures françaises
    La France prériphérique

    http://www.polemia.com/le-crepuscule-de-la-france-den-haut-de-christophe-guilluy/

  • Une lecture européenne du Trône de Fer (1/3)

    Source : institut-iliade.com — Une lecture européenne du Trône de Fer ou « De la permanence et de la vitalité des représentations européennes dans un phénomène littéraire et télévisuel mondial ». Pourquoi s’intéresser, en tant qu’Européen, aux raisons du succès de George R.R. Martin ? Première partie.

    Série télévisée désormais culte, « Game of Thrones » est inspirée d’une série littéraire (toujours inachevée à ce jour) imaginée par l’Américain George R.R. Martin, A Song of ice and fire – traduite en français sous le titre de Le Trône de fer.

    La série télévisée (produite par la chaîne de télévision américaine HBO) mérite à ce jour tous les superlatifs : série la plus téléchargée, série la plus récompensée [1] et la plus attendue par les téléspectateurs, devenue un référent incontournable pour le choix des prénoms des nouveaux-nés (les prénoms des personnages Arya et même Khaleesi sont donnés aux enfants !), se déclinant en nombreux jeux (Monopoly, Risk, jeux de rôle, jeux de cartes) et dérivés (Les Cartes du monde, Les Origines de la saga, les recettes de Game of Thrones, etc.).

    La série littéraire, commencée en 1996, a été quant à elle traduite dans plus de quarante langues et vendue à plus de soixante-huit millions d’exemplaires (pour les cinq premiers tomes), avec des groupes d’admirateurs dans le monde entier [2].

    Mais comment expliquer ce véritable phénomène de société ? Certains s’y sont essayés, avec un succès parfois relatif, comme l’hebdomadaire Le Point faisant un parallèle entre le monde politique français et les familles nobles de Westeros…

    En revanche – et cet essai se fonde en partie sur celles-ci – des analyses pertinentes ont été réalisées par Frédéric Lemaire (Comment Bourdieu éclaire Game of Thrones – et vice-versa), par Stéphane Rolet dans le hors-série du magazine Lire du printemps 2015 (Le trône de fer décrypté) ou par le magazine Slate sous le plume de Alix Baptiste Joubert. La page Wikipedia sur le Trône de Fer est aussi particulièrement complète et intéressante.

    Plus qu’une analyse précise du monde du Trône de Fer ou un essai dressant hypothèses et explications aux nombreuses zones d’ombres de la série, ce travail est d’abord une lecture – engagée – de l’œuvre littéraire de Martin et de son adaptation télévisée.

    Beaucoup ont tenté d’expliquer le succès de la série par la « profondeur » de l’œuvre, les éléments se rapportant à l’histoire, la science politique ou même les thèses de Bourdieu – le lecteur/spectateur étant attiré et fasciné par les messages quasi-subliminaux. D’autres ont souligné le style « moderne » de l’auteur renouvelant le genre de l’heroic-fantasy. Certains enfin, critiques voire cyniques, ont ramené le succès de la série à sa violence, aux scènes de sexe, aux (trop) nombreux revirements de situation, à l’esthétique cinématographique servant de piètres valeurs mercantiles et égoïstes…

    Cependant, comme le souligne Alix Baptiste Joubert, « la fascination généralisée pour cette série pourtant basée sur un triptyque assez basique inceste/mains coupées/morts vivants est un mystère qui résiste à toutes les tentatives d’explication ».

    Comment expliquer en effet la fascination d’un monde médiéval-fantastique, de ses personnages si éloignés des « élites » actuelles, d’une intrigue épique, chez des lecteurs et des spectateurs englués dans un monde matériel, se désintéressant de l’Histoire, méconnaissant la civilisation européenne, se détournant de la spiritualité et se méfiant de l’identité – notion dépassée voire dangereuse ?

    La réponse est peut-être tout simplement culturelle, même civilisationnelle, et les clefs d’explication, n’en déplaise sans doute à Martin lui-même et aux réalisateurs américains de la série, se trouvent dans la tradition telle que l’entend Dominique Venner : « la tradition n’est pas le passé, mais au contraire ce qui ne passe pas et qui revient sous des formes différentes. Elle désigne l’essence d’une civilisation d’une très longue durée ».

    C’est de ce « murmure » que naît le succès d’un Chant de glace et de feu.

    En somme, la série nous parle parce qu’elle se réfère à notre histoire, à nos mythes, à nos légendes. Par la puissance évocatrice de la littérature, d’une part, et celle du cinéma, d’autre part, les représentations de la civilisation européenne plurimillénaire retrouvent leur place dans une nouvelle dynamique de réenchantement du monde.

    Ainsi, dans notre lutte pour faire renaître chez nos compatriotes endormis la conscience de leur culture charnelle, attachée aux pierres, aux forêts et aux fleuves, de nos mythes et de notre si riche histoire, retrouver dans le Trône de fer et dans Game of thrones des éléments authentiquement européens participe à une réappropriation de ses propres origines et du sens de sa civilisation.

    Ce travail présente ainsi deux niveaux de compréhension intimement liés pour expliquer le succès de la série en Occident, mais montre aussi (il est intéressant de noter qu’au Canada, l’université de Colombie-Britannique a instauré un cours de littérature intitulé : « Notre Moyen Âge moderne, un chant de glace et de feu » ! ) à quel point cette série prend racine dans l’univers européen (au sens temporel, spatial mais aussi métaphysique) pour le renvoyer, de manière forte et originale, à nous-mêmes.

    Réalisée dans le cadre de la « mission » et des travaux de l’Institut Iliade, cette lecture doit permettre de retrouver et de dévoiler, de mettre en lumière, des enseignements allant du souffle épique d’Homère à la critique du monde moderne de Julius Evola, et de porter un regard nouveau sur la situation que vit (ou subit) l’Europe aujourd’hui.

    Médias à la fois facile d’accès et riche, les versions télé et papier de Game of Thrones peuvent ainsi être utilisés pour éveiller les lecteurs et autres aficionados de ce « Chant de glace et de feu » à l’Histoire européenne et à ses mythes enracinés, à des valeurs oubliées, galvaudées ou moquées par notre époque.

    Une plongée dans « la matière » de la fantasy, le renouveau de l’imaginaire européen et de ses mythes fondateurs

    La fantasy est un vaste champ littéraire développé à partir de la tradition légendaire européenne. A Song of ice and fire appartient pleinement à ce genre hérité de la vaste tradition légendaire européenne, des épopées d’Homère à Beowulf, des Eddas aux Chansons de geste, de la saga arthurienne aux contes de fées. La fantasy est un moyen d’expression moderne de l’imagination populaire – le filtre du fantastique permettant de mieux appréhender certaines réalités. L’œuvre de Martin n’y fait pas défaut.

    Genre littéraire aujourd’hui reconnu, la fantasy a obtenu ses quartiers de noblesse avec (notamment) Robert E. Howard (Conan, Kull le roi barbare, Solomon Kane), J.R.R. Tolkien (Le Silmarillon, Le Hobbit, Le Seigneur des anneaux) et compte aujourd’hui de nombreux sous-genres et autant d’auteurs de renom. Martin reconnaît d’ailleurs l’influence sur son œuvre de grands messieurs comme Homère et Tolkien bien sûr, mais aussi de Lovecraft, Roger Zelazny, Jack Vance, aux côtés de Shakespeare, Sir Walter Scott et Maurice Druon (pour ses Rois maudits).

    Ainsi, le lecteur/spectateur, amateur averti ou néophyte du genre, se retrouve plongé dans un univers qui lui parle d’une manière presque inconsciente lorsqu’apparaissent dragons, morts-vivants, sorciers, elfes (le Peuple de la Forêt), géants et autres loups monstrueux.

    Mais l’originalité de Martin tient sans doute à sa manière de jouer avec les règles du genre. Il parvient en effet à rendre crédible son univers, en le dotant d’une vraie géographie et d’une histoire fouillée, en donnant par exemple forces détails sur les armées en déplacement et leur logistique, sur les villes et les villages, sur la vie quotidienne à Westeros, à Dorne, chez les Fer-Nés, sur le Mur, à Braavos, chez les Dotraakis, sur la côte des esclaves… Bien entendu, la série littéraire est plus précise que la série télévisée, mais le spectateur reste malgré tout fasciné par la réalité de cet univers.

    Martin se rapproche en cela d’un Tolkien et peut-être (et surtout) d’Homère chez qui le surnaturel (les dieux et leurs actions), s’ils ne représentent pas le cœur de l’action, font intimement partie à la fois du monde et de l’intrigue.

    Par ailleurs, la présence de la magie, ou plutôt sa réapparition dans l’univers, permet de le « réenchanter » et en retour d’offrir une autre vision au lecteur/spectateur de ce qu’il est possible d’imaginer.

    La place de la mort, de la violence et le refus de toute dichotomie « bien/mal »est un autre point fondamental chez Martin.

    Martin joue ici avec l’une des normes de la fantasy moderne : le héros gagne à la fin. Or, chez Martin, nul ne peut deviner qui sera le prochain roi (ou reine) sur le trône de fer et encore moins qui survivra. Là aussi il se rapproche de Tolkien (surtout dans le Silmarillon) et d’Homère (dans L’Iliade) : les Stark, alors qu’ils incarnent des héros archétypaux, sont décimés ; les Lannister, malgré leur puissance, vacillent ; les Tyrell, qui représentent une puissance montante, trébuchent ; ce qui reste des Targaryen, malgré leurs dragons, ne sont assurés de rien…

    Ensuite, aucun des personnages n’est totalement bon ou totalement mauvais. Martin se rapproche là aussi de la tradition homérique, du Tolkien du Silmarillon, des héros des mythes antiques comme Héraclès, Persée, Jason, Thésée, qui possèdent tous leur part sombre.

    A l’inverse, les Lannister, que l’on pourrait a priori aisément qualifier de méchants, ne personnifient en aucun cas le Mal : Tawin, le chef de sa maison, prône la fidélité des siens à leur sang et leur rang ; Jaime, vaniteux et détestable au début de l’intrigue, connaît une évolution, presqu’une initiation, après avoir eu la main coupée. Le lecteur/spectateur peut se retrouver en eux parce qu’ils sont suffisamment complexes et capables de bon comme de mauvais.

    Certains autres personnages sont complètement abjects, comme Ramsay Bolton ou Joffrey Baratheon qui incarnent une hybris maladive et dégénérée.

    La place de la violence (à laquelle on peut ajouter celle du sexe) choque et fascine à la fois chez Martin. La série de HBO va même encore plus loin – la puissance des images et des scènes filmées étant dans ce domaine supérieure aux mots et à l’imagination. Martin explique qu’il utilise la violence pour se rapprocher de la réalité des guerres, donnant moult détails sur les cadavres puants, les villages détruits, les tortures, les viols… La scène des « Noces pourpres » reste sans doute l’une des scènes les plus dures de la série, voire de l’histoire des séries télévisées ! Mais Martin ne fait que renouer avec, par exemple, les descriptions d’Homère, fort prolixe pour décrire la mort des guerriers troyens ou grecs. Et comment ne pas songer à « Barbe Bleue » quand on découvre les agissements de Ramsay Bolton, à « Vlad Tepès » lorsqu’on nous décrit la bannière de son père lord Bolton dit « l’Ecorcheur »…

    La référence à des temps légendaires, la puissance évocatrice du mythe agite également l’univers de Game of Thrones. Martin a doté son monde d’une histoire qui lui donne cohérence et profondeur. Et qui fait à nouveau écho à nos propres mythes. Ainsi, l’histoire de Westeros remonte à plus de 10.000 ans, le continent se forgeant au gré de diverses migrations de peuples venant « de l’autre côté du détroit ». Le premier âge se nomme l’Age de l’Aube et voit les Premiers Hommes débarquer sur Westeros. Cette première migration fait clairement écho aux premières grandes migrations indo-européennes, les Premiers Hommes arborant des armes et armures en cuivre dont la description rappelle celle des premiers peuples celtes.

    Entrant en lutte avec les Enfants de la Forêt, le Petit Peuple autochtone, les Premiers Hommes finissent après plusieurs siècles de combat par signer un pacte et adopter leurs dieux, fondant leurs sanctuaires au cœur des forêts autour d’arbres séculaires, les barrals. Puis vient l’Age des Héros, qui couvre 4.000 ans, période tout aussi mythique (la connaissance ne passe pas encore par l’écriture), qui voit les dieux se mêler aux hommes pour façonner le continent, créer les premiers royaumes et bâtir le Mur. C’est durant cette période que se déroulent les premiers affrontements avec les Autres, les Marcheurs blancs, des revenants qui apportent mort et destruction – ils seront vaincus une première fois grâce à l’aide des Enfants de la Forêt, lors d’une bataille marquant la fin de l’Age des Héros.

    « L’histoire écrite » de Westeros débute avec une nouvelle migration, celle des Andals, peuple au teint clair, maîtrisant le fer et apportant de nouveaux dieux (les Sept). Les Andals entrent en conflit avec les Premiers Hommes mais finissent par se mêler avec eux pour ne former plus qu’un seul peuple – le Nord restant toutefois constitué majoritairement par les descendants des Premiers Hommes.

    Enfin, dernière migration légendaire, celle du peuple des Roynars qui s’établissent dans le sud, à Dorne. Menés par leur reine qui brûle ses vaisseaux en accostant, ils se mêlent aux autochtones et leurs chefs fondent une nouvelle dynastie débouchant sur une civilisation à part entière qui rappelle celle de l’Espagne des Omeyades.

    Parallèlement à la construction des royaumes de Westeros, s’érige de l’autre côté du Détroit, sur le continent d’Essos (qui rappelle la Perse antique) l’empire de Valyria, dont la puissance repose sur des dragons. Dominant toutes les nations voisines, dont certaines vieilles civilisations, les Valyriens chutent à la manière de l’Atlantide à cause du Fléau de Valyria, qui, si sa nature exacte est inconnue, ne laisse qu’une seule famille échapper à l’anéantissement : la maison Targaryen. Ce sont ses héritiers, à la beauté légendaire, aux yeux clairs et aux cheveux d’argent ou d’or, qui se lanceront sur leurs dragons à la conquête de Westeros.

    Il est intéressant de noter que si les familles nobles de Westeros se mélangent, au gré des alliances, à l’image des familles royales européennes, le continent est avant tout façonné par le peuple qui reste attaché charnellement à ses terres, ses villages et ses villes. Les seuls moments où l’on assiste à des « migrations », ce sont les périodes de troubles qui jettent sur les routes aussi bien des armées de paysans que des réfugiés fuyant les destructions et les combats. A nouveau, un parallèle peut se faire avec les peuples européens, assez peu touchés (même en France) par les migrations extra-européennes jusqu’à l’ère industrielle.

    Jouant avec les codes du genre de la fantasy, s’inspirant plus ou moins librement des mythes et légendes européens, alliant descriptions détaillées et références plus générales, Martin assoit son monde sur une matrice qui ne peut que parler à tout Européen – voire à tout Occidental.

    A suivre.

    Notes

    [1] Game of Thrones a obtenu 12 prix en septembre 2015 lors de la 67e édition des Emmy Awards, cérémonie qui récompense les meilleurs programmes de l’industrie télévisuelle américaine, après avoir été nominé 24 fois aux Creative Emmy Awards de la même année. Record à nouveau dépassé en septembre 2016…

    [2] Telle « La Garde de nuit » (voir leur site www.lagardedenuit.com), association de fans français, dont l’expertise et les analyses de l’œuvre de Martin sont régulièrement saluées par l’auteur.

    http://fr.novopress.info/201287/une-lecture-europeenne-du-trone-de-fer-13/