Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1712

  • L’hommage aixois à Guy Steinbach

     

    Samedi matin 9 novembre, les partisans de Maryse Joissains, le maire d’Aix-en-Provence, ont été complètement ahuris de voir se regrouper des personnes portant des insignes à fleurs de lys devant leur permanence électorale.

     

    Mais ils n’avaient pas à s’inquiéter. Ce rassemblement n’était pas destiné à s’immiscer dans les pauvres combinaisons municipales aixoises.

    Les royalistes qui s’étaient donné rendez-vous en haut du cours Mirabeau étaient là pour rendre hommage à Guy STEINBACH, le doyen des Camelots du Roi, ancien secrétaire général de la Restauration Nationale et président de l’Association Marius Plateau (anciens combattants d’AF) qui est décédé jeudi 7.

    Avec une très grande réactivité, Maxime et Stanislas avaient monté cette cérémonie en plein centre d’Aix.

    A midi, jeunes militants avec drapeaux fleurdelysés et anciens portant leur plaque de Camelot formèrent un carré devant la statue du roi René.

    Lecture fut faite de la biographie du militant exemplaire que fut Steinbach et d’un texte définissant ce qu’est un Camelot du Roi.

    Après avoir entonné "La Royale", les participants allèrent en cortège à la chapelle des Oblats pour déposer une gerbe et dire une prière.

    Cette manifestation, la seule à avoir eu lieu avant les obsèques de Guy Steinbach, a montré à la fois le dynamisme de l’Action Française-Provence, son esprit militant et son attachement aux leçons et aux exemples de nos aînés.

    Le combat pour la France et le Roi continue !

    D’autres photos sur le blog de l’Action française Provence

  • Les élus face à l'objection de conscience

    Les maires français revendiquent d'user d'une clause de conscience, sujet politique délicat depuis toujours, face au Mariage pour tous.
    L'objection de conscience, en politique, a toujours posé des dilemmes aux élus. Tout d'abord celui de la démission. Jusqu'où cautionner une politique ou des lois que l'on n'approuve pas ? Comment articuler responsabilité politique et conscience morale ? On se souvient de la phrase restée célèbre prononcée par Jean-Pierre Chevènement en 1983 : « Un ministre, ça ferme sa gueule. Et si ça veut l'ouvrir, ça démissionne. » Au final, Jean-Pierre Chevènement démissionnera deux fois... Le dernier ministre à avoir démissionné est la socialiste Delphine Batho, ancien membre de l'actuel gouvernement. La chose n'est pas nouvelle : les légitimistes français se barricadèrent dans leurs châteaux entre 1830 et 1870, comme l'évoquait volontiers Jean de La Varende dans ses œuvres. Ils ne voulaient collaborer ni avec Louis-Philippe, ni avec Napoléon III. De même en 1905, la crise des inventaires, la persécution des catholiques par la République(1) poussa nombre d'officiers, de fonctionnaires ou d'élus à démissionner de leurs fonctions (une attitude là encore évoquée par La Varende dans Le non de M. Rudel). La question fut encore d'actualité durant l'Occupation où les maires et les fonctionnaires durent souvent faire face à des cas de conscience extrêmement grave.
    Maires pour l'enfance
    Les maires sont évidemment concernés par l'objection de conscience quand la loi heurte leurs convictions en matière d'état-civil. Si le divorce ou le PACS sont des actes juridiques (le divorce étant néanmoins mentionné à l’État-civil), le mariage ouvert aux couples de même sexe, autorisé par la loi Taubira, place les élus opposés pour des raisons morales à cette évolution plus que contestable de la législation, devant un choix cornélien : légitimer cette aberration anthropologique ou se mettre hors la loi puisque le pouvoir ! et le Conseil constitutionnel refusent l'objection de conscience pour les élus locaux après qu'il ait été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Seule reste ouverte la saisine de la cour européenne des droits de l'homme. Comme l'a laissé entendre le maire UMP d'Arcangues (Pyrénées-Atlantiques), Jean-Michel Colo : « Nous allons faire dire à l'Europe ce que le Conseil constitutionnel n'a pas dit. Nous allons saisir la Cour européenne des droits de l'homme. » À la tête de ce combat, on trouve Frank Meyer, responsable du collectif des Maires pour l'enfance, évangéliste protestant et maire UDI de Sotteville-sous-le-Val (Seine-Maritime). Lors de l'audience du Conseil constitutionnel, il a notamment déclaré : « La question est de savoir si la loi Taubira sur le mariage pour tous n'enfreint pas l'une des libertés fondamentales, à savoir la liberté de conscience, et si elle n 'est pas contraire aux droits de l'homme, qui garantissent que nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses si elles ne troublent pas l'ordre public. » À ses côtés, on trouvait le maire CNIP du Chesnay, Philippe Brillault, porte-parole de la Manif pour tous et donc très en pointe sur le sujet. Il a déclaré à la télévision France 24 : « La vraie question c'est : la décision du Conseil constitutionnel est-elle juridique ou politique ? À mon avis, elle est politique. »
    Agents de l’État ?
    Que peut faire un maire face à un mariage entre personnes de même sexe, alors qu'il en réprouve le principe ? Déléguer la chose à l'un de ses adjoints, comme pour n'importe quel autre mariage, ou sinon à un élu de l'opposition. Que souhaiteraient-ils ? Que le préfet règle la question au nom de l’État. Comme officier d’État-civil, comme officier de police judiciaire, le maire n'est pas seulement un représentant du peuple, il est aussi un agent de l’État. Pour autant, il n'est pas un fonctionnaire, il n'a pas d'obligation morale de servir l’État. Il y aurait une grave contradiction interne à la démocratie de priver un élu de sa liberté d'opinion ou de conscience au prétexte qu'il serait un agent de l’État. Autant alors que ce dernier nomme les maires, comme ce fut le cas au XIXe siècle.
    Pour les élus qui se battent en faveur de la liberté de conscience, il s'agit là de défendre le caractère propre du politique face à l'empiétement étatiste. Le mariage homosexuel a créé un clivage profond dans la société française. Là où l'on ne peut contraindre un médecin à pratiquer un avortement, là où un citoyen pouvait refuser de faire son service militaire, au profit d'un service civil, on pourrait contraindre un élu local à faire fi de ses convictions profondes, de sa conception anthropologique ? Voilà la question que soulèvent de courageux élus malgré la pression médiatique et les menaces des préfets aux ordres du système (on l'a vu notamment dans le Vaucluse, face à la volonté de résistance des époux Bompard). Les catholiques se heurtent aujourd'hui à un totalitarisme rampant qui souhaite changer l'homme. L'objection de conscience va devenir un enjeu majeur de notre société. Il faut souhaiter que de nombreux élus prolongent leur réflexion sur le sujet, aidés en cela par des philosophes et des juristes. Nous sommes là au cœur des enjeux et des ambiguïtés de la laïcité, qu'on ne saurait réduire comme certains sont tentés de le faire à la seule question de l'islam.
    Jacques Cognerais monde & vie 12 novembre 2013
    1 Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors-la-loi, Perrin, 2005.

  • L’Africano-centrisme ou l’Histoire falsifiée

    Parlant de l’Afrique noire, Victor Hugo écrivait : « Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire. »
    L’auteur des "Misérables" avait-il raison ? A l’exception de l’Éthiopie et du Rwanda, l’Afrique sub-saharienne était un monde sans États ayant eu une profondeur historique, une continuité séculaire. Plus singulier encore, rien de ce qui a permis le progrès de l’humanité n’est sorti de l’Afrique noire. Le continent noir fut et continue d’être un continent récepteur et non concepteur.
     
    Cette réalité insupportable aux nationalistes africains des années 1950-1960 fut combattue par Cheick Anta Diop, autodidacte aussi brouillon que prolifique. A la faveur des indépendances, ce barde africain fut propulsé à la tête du prestigieux Institut français d’Afrique noire, dont le siège était à Dakar.
     
    Dans ce cadre privilégié, et grâce aux crédits français, il élabora de pseudo-théories scientifiques tolérées durant trois décennies par le microcosme africaniste décérébré par l’anticolonialisme et couché devant l’idéologie dominante. Prudents caméléons, presque tous les Africanistes français vivaient dans la terreur de risquer l’accusation de racisme s’ils avaient simplement osé dire tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, à savoir que les thèses du Cheick Anta Diop n’étaient rien de plus que des élucubrations de griot.
     
    Le postulat de Diop est, en effet, sans nuances : les Égyptiens ont tout inventé et la Grèce, puis Rome, sont les héritières de l’Égypte. Or, les Égyptiens étaient des Noirs. Conclusion : les Noirs sont donc les créateurs de la Civilisation de l’Antiquité classique.
     
    Timidement, les linguistes tentèrent d’expliquer, avec humilité, qu’entre l’Égyptien ancien et le Grec, les liens étaient aussi évidents qu’entre un pommier et un baril de clous et que le simple rapprochement de sens ne prouvait pas un apparentement linguistique. Dans le cas contraire, l’existence du lac Kasba au Canada aurait permis à Diop d’affirmer que le Bey d’Alger taquinait le goujon à l’ouest de la baie d’Hudson...
     
    Avec toutes les précautions, les Égyptologues risquèrent timidement une remarque de bon sens : les Égyptiens n’étaient pas des Noirs, ainsi que les milliers de momies mises au jour en apportent la preuve. Certes, la Nubie fut, durant certaines périodes tardives, une dépendance de l’Égypte, mais cela ne veut pas dire pour autant que les Nubiens aient peuplé la moyenne et la basse vallée du Nil.
     
    Un énorme complot
     
    Calembredaines, affirmait le "savant africain" car l’Égyptologie constitue un énorme complot contre la race noire. Et comment, demanderez-vous ? Mais tout simplement parce que les Égyptologues détruisirent systématiquement les momies noires pour ne garder que les blanches. CQFD ! Cette entreprise de falsification de l’histoire aurait pu en rester au niveau de l’anecdote. Elle aurait, à la limite, pu être étudiée dans nos universités comme un cas d’école d’idéologie appliquée à l’histoire par un autodidacte obnubilé par sa théorie et ignorant de l’ensemble d’une matière assimilée dominée.
     
    Or, elle est devenue l’Histoire officielle. Dans l’ "Histoire de l’Afrique" de l’Unesco, tome II, édité en 1980, Cheick Anta Diop développe, en effet, longuement ses fantasmes historico-racistes, à peine contredit par les Égyptologues avec lesquels il débat. A aucun moment, dans cette monumentale histoire éditée dans toutes les langues du monde, aucun spécialiste n’ose écrire ce qu’il faut penser des affirmations de Cheick Anta Diop, tant le tiers-mondisme dominant exerce une dictature intellectuelle interdisant toute critique. Les théories de Cheick Anta Diop furent reprises et amplifiées aux USA ; dans les universités noires, elles furent à la base du courant Africano-centriste. Pauvres USA ! La juxtaposition de ses peuples et de leurs cultures fait que désormais chaque minorité raciale y enseigne sa propre vision de l’histoire.
     
    Les Noirs, qui ont leurs universités et leurs professeurs, apprennent donc que l’Afrique noire, mère de la Civilisation et qui a tout inventé, fut non seulement pillée par les Blancs qui ont bâti leur puissance sur son pillage, mais encore stoppée dans son "merveilleux" élan par la colonisation qui l’empêcha d’atteindre la phase suivante de son évolution créatrice.
     
    Or l’Africano-centrisme des Noirs américains a pour soubassement les affirmations de Cheick Anta Diop. En Afrique même, les écoliers et les étudiants sont formés dans le même moule. Comment pourraient-ils mettre en doute cette histoire officielle puisque l’UNESCO lui a donné sa caution scientifique ? Comment ne pas la prendre pour "argent comptant" quand, au Cameroun et ailleurs, les professeurs d’histoire présentent Cheick Anta Diop comme "le plus éminent égyptologue actuel".
     
    Alain Froment, chercheur à l’ORSTOM, vient donc de rendre un immense service à la rigueur scientifique en publiant dans la revue "Cahiers d’Études africaines", n° 121-122, une mise au point définitive intitulée : "Origine et évolution de l’homme dans la pensée de Cheick Anta Diop : une analyse critique".
     
    De cet article, dont le sous-titre pourrait être "Épitaphe pour un mensonge politico-historique", l’on peut extraire cette citation qui résume toute la question : « Cheick Anta Diop a discrédité la recherche africaine par l’insuffisance de sa méthodologie, ses conclusions hâtives et la subordination des préoccupations scientifiques à celles de l’idéologie (...) De sérieuses lacunes bibliographiques et l’absence de recours à des procédés statistiques objectifs, la préférence allant au choix orienté de photographies et de radicaux sémantiques, jettent des doutes sur ses qualités scientifiques. Cependant, il est devenu une telle figure emblématique du nationalisme africain qu’on considère, en Afrique, comme très malvenu de mettre en doute ses travaux. »

  • La prise du pouvoir par Louis XIV

    Louis XIV est à la mode. Pierre Gaxotte nous avait déjà admirablement montré la France de Louis XIV. Philippe Erlanger vient de nous peindre l'homme et le souverain dans un livre qui connaît, chez Fayard, un gros succès. Les téléspectateurs ont pu suivre l'émission mise en scène par Roberto Rossellini, sur la prise du pouvoir par Louis XIV. Philippe Erlanger nous montre comment, à la mort de Mazarin, les ministres étaient convaincus que le jeune et timide Louis XIV les laisserait gouverner à leur guise. Le roi les stupéfia en leur déclarant qu'il ne voulait pas de Premier ministre et qu'il prendrait seul les décisions concernant le royaume.

    Le 7 mars 1661, le cardinal Mazarin prit noblement congé du roi et de la reine-mère. Louis en sortant pleura beaucoup. Le soir il réunit le Conseil pour la première fois, mais ne parla guère. On admira sa majesté sans rien soupçonner de ce qui se passait en lui. Chacun des ministres guettait un signe sur lequel il pourrait fonder ses espérances. Il n'y en eut point.

    « je veux gouverner »

    Après le Conseil, Le Tellier, perplexe, se rendit chez la reine-mère. Il se souvenait d'une phrase échappée quelques semaines auparavant des lèvres royales : « Je veux gouverner, assister au Conseil et n'y manquer un seul jour. » Fallait-il prendre cela au sérieux ? Anne d'Autriche éclata de rire.

    La journée du 8 mars fut une veillée d'armes. Nous savons, grâce aux Mémoires quelles pensées roulèrent dans l'esprit du jeune souverain brusquement amené au bord du Rubicon. Il s'était maintes fois demandé s'il se trouvait en état de le franchir.

    Les historiens de Louis XIV ont généralement méconnu qu'en décidant de saisir les rênes, il prenait une résolution presque aussi grave que s'il accomplissait un coup d'État.

    Depuis un demi-siècle, le monarque ne gouvernait pas. Même en remontant plus loin, Henri IV était une exception. Les derniers Valois avaient subi l'emprise de leur mère, Catherine de Médicis. Henri II était une cire molle. À vingt ans, François Ier ne rêvait que de batailles et laissait lui aussi un blanc-seing à sa mère, Louise de Savoie.

    Il fallait revenir deux siècles en arrière pour trouver un Louis XI saisissant le pouvoir dès son avènement. Encore s'agissait-il d'un homme déjà mûr, rompu aux astuces  de la politique.

    Et à l'étranger ? Ni l'Empire depuis Charles Quint, ni l'Espagne depuis Philippe II, ni l'Angleterre depuis Elizabeth n'avaient connu un souverain capable d'imposer seul son prestige et son autorité, d'identifier sa personne à la gloire d'un règne.

    Selon Mme de Motteville, Louis fut encouragé par l'exemple de Charles II qui faisait lui-même ses affaires. C'était une médiocre référence et le roi aurait eu de bonnes raisons d'hésiter sans l'amour de la gloire qui le dévorait comme un personnage de Corneille ; ce Corneille dont Marie Mancini lui avait lu tant  de vers.

    « Dans mon cœur je préférais à toute chose et à la vie même une haute réputation... Une passion maîtresse et dominante qui est celle de leur grandeur et de leur gloire étouffe toutes les autres en eux (les rois). L'amour de la gloire a les mêmes délicatesses et, si j'ose dire, les mêmes timidités que les plus tendres passions. »

    Louis était bien résolu à suivre le conseil de Mazarin et à ne pas prendre de Premier ministre, « rien n'étant plus indigne que de voir d'un côté toutes les fondions et de l'autre le seul titre de roi ».

    Il mesurait le poids de ses prochaines responsabilités : « Dans le haut rang que nous tenons, les moindres fautes ont toujours de fâcheuses suites. » Il ne se perdait pas dans les nuées : « La fonction des rois consiste principalement à laisser agir le bon sens. »

    Mais la conviction que son autorité avait la valeur d'un dogme lui conférait une assurance inébranlable : « Celui qui a donné des rois aux hommes a voulu qu'on les respectât comme ses lieutenants, se réservant à Lui seul le droit d'examiner leur conduite... Il n'est point de maxime plus établie par le Christianisme que cette humble soumission des sujets envers ceux qui leur sont préposés. »

    Le cardinal est mort

    L'heure venue, le roi, à son ordinaire, s'étendit auprès de la reine et s'endormit sans trahir le moindre trouble. Il avait donné ses consignes à sa nourrice, Pierrette Dufour, devenue femme de chambre de la reine. Selon l'étiquette, Pierrette Dufour couchait dans la même pièce.

    « Exerçant ici-bas une fonction toute divine, nous devons paraître incapables des agitations qui pourraient la ravaler. »

    Lorsqu'au petit matin, Pierrette Dufour entendit le roi remuer, elle s'approcha et lui fit silencieusement un signe convenu. Mazarin était mort entre deux et trois heures du matin.

    Louis se leva en évitant de réveiller la reine, s'habilla, gagna l'appartement du cardinal où il trouva le maréchal de Gramont qu'il embrassa en pleurant :

    —    Nous venons de perdre un bon ami, lui dit-il.

    Besmaus, gouverneur de la Bastille, était là également et se désolait.

    —    Console-toi, lui dit Louis, tu as retrouvé un bon maître.

    Mais lui-même paraissait accablé. Il ordonna que la Cour observât le deuil en noir, honneur réservé aux seuls membres de la famille royale. Certains ont voulu voir dans ce fait une preuve du mariage secret  de sa mère. Nous  croirons  plutôt le contraire : si le mariage avait eu lieu, le roi se serait gardé de lui donner cette sorte de confirmation.

    Aussitôt après son dîner, il prit le chemin de Paris, ayant enjoint aux ministres de se rendre le lendemain au Louvre à sept heures du matin. Il partageait le carrosse de sa mère. Marie-Thérèse enceinte voyageait en chaise.

    Louis continuait de montrer son chagrin et cela causait quelque irritation à la reine mère. Anne d'Autriche « fut la première qui dit à ceux qui sans cesse faisaient revivre le discours de la mort du cardinal qu'il n'en fallait plus parler ».

    Ce fut sa revanche sur l'effacement auquel sa créature l'avait contrainte. Mazarin n'ayant existé que par la reine, il appartenait à la reine de signifier son retour au néant.

    Révolution royale

    Le 10 mars à sept heures du matin, le chancelier Séguier, les ministres et les secrétaires d'État se rassemblèrent debout autour du fauteuil de Sa Majesté qui ne s'assit point.

    Les huit hommes scrutaient avec des sentiments qui allaient de la curiosité à la crainte le visage grave et sans éclat dont chacun vantait la beauté, mais qui, si nous en croyons le pinceau janséniste de Philippe de Champaigne, n'était nullement celui d'un Adonis. Le grand nez tombant, la bouche proéminente aux lèvres serrées, apparemment incapable de sourire, accentuaient ce que l'âme du personnage donnait à sa physionomie de froid,  d'énigmatique  et  de volontaire.

    Le roi s'adressa au chancelier sur le ton qu'il devait garder jusqu'à son dernier jour : le ton d'un homme « maître de soi comme de l'univers »   :

    — Monsieur, je vous ai fait assembler avec mes ministres et mes secrétaires d'État pour vous dire que, jusqu'à présent, j'ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le Cardinal. Il est temps que je les gouverne moi-même. Vous m'aiderez de vos conseils quand je vous les demanderai.

    « Hors le courant du sceau auquel je ne prétends rien changer, je vous prie et vous ordonne, Monsieur le Chancelier, de ne rien sceller en commandement que par mes ordres et sans m'en avoir parlé, à moins qu'un secrétaire d'État ne vous les porte de ma part. Et vous, mes secrétaires d'État, je vous ordonne de ne rien signer, pas même une sauvegarde ni un passeport sans mon commandement... Et vous, Monsieur le Surintendant, ... je vous prie de vous servir de Colbert que feu M. le Cardinal m'a recommandé. Pour Lionne il est assuré de mon affection, je suis content de ses services... »

    Ces paroles rencontrèrent une stupeur incrédule. Personne ne songea qu'elles ouvraient une phase nouvelle dans l'histoire de la France et du monde, une phase révolutionnaire.

    Jusqu'au premier tiers du XXe siècle, l'idée de révolution a toujours évoqué des mouvements issus du peuple et destinés, au moins théoriquement, à le libérer ou à le servir. Le sens du brusque changement survenu en 1661 en été faussé. Aux yeux d'un historien qui a observé à notre époque les révolutions autoritaires, quelquefois parties du sommet, il se dégage beaucoup plus clairement.

    On ne saurait trop le souligner : Louis XIV, en décidant de gouverner ne se comportait pas ainsi qu'un souverain respectueux d'une tradition ancestrale. Il agissait personnellement comme aurait pu le faire un César à la suite d'un plébiscite, voire d'un coup d'État.

    Quoique née des leçons de Mazarin, sa conception était originale. Elle impliquait l'établissement d'une dictature telle que la France n'en avait guère connu et qu'on aurait tort de confondre avec les dictatures modernes.

    Despote de droit divin

    Le dictateur moderne, généralement porté sur un élan des foules, doit jouer au tribun ; il a un besoin constant de maintenir, d'accroître sa popularité en accomplissant des actions spectaculaires ; au comble de sa puissance, il reste tributaire de la mauvaise fortune. Le dictateur de droit divin n'a besoin de s'inquiéter pour lui-même ni des revers ni des caprices de l'opinion. Cela lui permet la sérénité, la patience de ceux qui participent aux choses éternelles.

    Le comte de Chambord, dans son exil amer, disait de Louis XIV qu'il avait été le premier des Bonaparte. Il y a du vrai. Comme Napoléon, Louis voulait imposer sa griffe non seulement au gouvernement, mais aux multiples aspects de la vie nationale, à son époque même.

    Il entendait tout régler, depuis les préséances à la Cour jusqu'aux mouvements des troupes et aux controverses théologiques. Ni un mariage de quelque importance ni le tracé d'une route ne devaient être  résolus  s'il  ne  les  avait  approuvés.

    C'était l'emprise d'un homme sur un pays au point qu'on identifierait l'un à l'autre et qu'on ne pourrait plus envisager leur séparation inéluctable sans perplexité, ni sans angoisse.

    Là s'arrêtent les analogies. Napoléon marqua la différence essentielle en disant que, si les rois, ses ennemis, n'avaient pas à craindre de rentrer chez eux après une bataille perdue, lui n'était pas en position d'assumer ce  risque.

    Aucun homme au monde n'imaginait de supplanter le despote de droit divin dont la poigne allait étouffer les factions, anéantir les partis, effacer lés divisions idéologiques, si chères, pourtant, aux Français, et cela, par une discipline généralement consentie, non par la violence.

    Le roi devait, certes, avoir d'excellents services de renseignements et même créer la police moderne, mais jamais son autorité n'eut pour assise un système de terreur policière tel qu'il a fonctionné au XXe siècle sous les régimes totalitaires. Au XXe siècle encore, on a vu des dictateurs livrés à des fureurs, à des exaltations, parfois proches de l'hystérie. Pendant une existence offerte aux regards du public, Louis XIV ne perdra son calme que cinq fois en cinquante-quatre ans.

    la dictature du travail

    Dès le premier jour de son gouvernement, le roi montra à la Cour sceptique cette ardeur au travail qui ne se démentit plus. Il se fixa un emploi du temps rigoureux qui prit peu à peu la majesté et le caractère immuable d'un mouvement astral.

    Il donnait chaque jour six à huit heures au travail, « informé de tout, écoutant mes moindres sujets, sachant à toute heure le nombre et la qualité de mes troupes et l'état de mes places, donnant incessamment mes ordres pour tous les besoins, traitant immédiatement avec les ministres étrangers, recevant et lisant les dépêches, faisant moi-même une partie des réponses, réglant la recette et la dépense de mon Etat, tenant mes affaires aussi secrètes que pas un autre ne l'a fait avant moi ».

    Louis éprouvait une joie profonde à gouverner : « Je ne sais quel autre plaisir nous ne quitterions pour celui-là... J'éprouvai une  douceur difficile à exprimer.  »

    Il avait su d'emblée dominer ses ministres. Sa majesté naturelle, sa courtoisie inimitable, son impassibilité, son art d'écouter gravement, puis d'indiquer d'un mot la décision en imposaient d'une façon extraordinaire. Souvent, à l'improviste, on le voyait entrer dans le détail minutieux d'une affaire « quand il (le ministre) s'y attendait le moins, afin qu'il comprit que j'en pourrais faire autant sur d'autres sujets et à toutes les heures ».

    On a dit que son règne fut la dictature du travail. Ce fut aussi celle du secret. Le roi qui jetait sur ses sentiments et sur ses intentions un voile impénétrable entendait  protéger de même les  affaires de l'État. Il fit comprendre que l'indiscrétion était à ses yeux un crime inexpiable et l'on vit bientôt ministres et fonctionnaires aussi fermés que lui.

    L'antithèse est totale entre la méthode des gouvernements condamnés à donner chaque jour à l'opinion des explications vraies ou fausses et le mystère de celui-là. Mystère dont les inconvénients n'échappaient nullement à Louis XIV :

    « J'ai fait quelque réflexion à la condition, en cela dure et rigoureuse des rois qui doivent, pour ainsi dire un compte public de toutes leurs actions à tout l'univers et à tous les siècles et ne peuvent toutefois le rendre à qui que ce soit dans le temps même sans manquer à leurs plus grands intérêts et découvrir le secret de leur conduite. »

    Colbert contre Fouquet

    Le plus brillant, le plus intelligent des ministres, Nicolas Fouquet, se méprenait totalement. Anne d'Autriche ne lui disait-elle pas en haussant les épaules : « Il veut faire le capable » ? Le surintendant était persuadé que l'ardeur au travail disparaîtrait vite devant l'attrait des plaisirs, lui Fouquet, étant bien résolu à ne rien ménager pour permettre à Sa Majesté de s'y noyer.

    Ce corrupteur, devenu la dupe de son système, croyait pouvoir corrompre le roi. Le garçon avait eu une jeunesse assez morose sous la férule d'un magister avare. Le surintendant le comblerait, le « gâterait », au sens propre du terme, et tout naturellement le déchargerait des affaires.

    La nomination dé Colbert au poste d'intendant des Finances ne suffit pas à le mettre en garde. Ses espions découvrirent-ils que le roi et l'homme de confiance de Mazarin travaillaient chaque soir en tête à tête ? Probablement, mais le mépris cynique dans lequel Fouquet tenait les humains le rendait aveugle.

    Colbert, au contraire, avait compris immédiatement quelle était la volonté d'un Louis XIV et cela fit sa fortune. L'espèce de complicité, née entre eux lors de l'affaire Mancini, prit une autre forme tandis que, secrètement, le fils du drapier décortiquait devant le roi les comptes de Fouquet et mettait en lumière ses malversations.

    Louis XIV a-t-il créé Colbert ou Colbert a-t-il créé Louis XIV ? Cette vieille controverse est depuis longtemps dépassée. Le destin, comme il se plaît parfois à le faire, réunit deux êtres rigoureusement dissemblables dont l'union était nécessaire à l'accomplissement d'une grande œuvre.

    La chance de chacun fut d'estimer l'autre à sa valeur. Louis sut que le commis de basse extraction, noir, renfrogné, déplaisant, d'humeur toujours chagrine, serait l'instrument idéal de son pouvoir. Colbert, souple malgré sa carapace de fer, s'adapta sur le champ au nouveau maître.

    Le serviteur du cardinal avait dû (non sans profits personnels) se prêter aux trafics et aux combinaisons louches. Celui de Louis XIV tirerait sa faveur de son intégrité, de son intransigeance, de son amour pour la chose publique et surtout de son refus d'accepter le moindre avantage qui ne vînt pas du roi.

    Louis mit deux mois à se décider. Au début de mai, il était résolu à perdre Fouquet aussitôt que sa chute ne risquerait pas de nuire à la rentrée des impôts.

    Louis et Louise

    Marie Mancini épousa, au Louvre, le connétable Colonna et prit la route de l'Italie, ayant vu une dernière fois le roi penché à la portière pour lui dire adieu. En fait, elle cédait la place à Henriette d'Angleterre dont le mariage avec Monsieur fut célébré presque en même temps.

    Dès l'époque de ses fiançailles, Madame avait ravagé les coeurs et séduit les beaux esprits. À la Cour qui ne comptait encore que cent à deux cents personnes, les gens d'âge s'effaçaient. C'était le règne d'une jeunesse superbe, turbulente, débauchée, libertine, cruelle, rabelaisienne. Marie-Thérèse ne pouvait exercer aucun empire sur cette société qui découvrit en Madame sa véritable reine.

    À la fin d'avril, quand le duc et la duchesse d'Orléans le rejoignirent à Fontainebleau, le roi, à son tour, fut ébloui. La cousine laide et pauvre, tant rabaissée naguère, était en vérité la seule compagne digne de lui. Mignard consacra audacieusement l'apothéose de « Minette », qu'il peignit en bergère mythologique siégeant aux côtés d'Apollon-Louis XIV sous la protection des Amours.

    Le commerce du roi et de Marie Mancini avait été pendant deux ans d'une chasteté exemplaire, presque inconcevable aujourd'hui. Celui des modèles de Mignard ne semble pas avoir eu tant d'innocence. Il déchaîna la jalousie de Monsieur et l'indignation des trois reines (1).

    La plus effacée des filles d'honneur de Madame, une petite boiteuse de dix-sept ans, médiocrement jolie, Louise de La Vallière, fut chargée de détourner les soupçons. Or, elle aimait le roi que troubla la candeur d'un sentiment désintéressé. En peu de jours la « petite bourgeoise de Tours » supplanta l'orgueilleuse Stuart.

    Celle-ci se vengea en prenant pour amant le propre favori de son époux, le comte de Guiche. Ainsi naquirent à la fois la passion de Louis et de Louise, la guerre entre Monsieur et Madame.

    Le ciel semblait servir le roi, car tout cela lui était propice. L'inimitié entre son frère et sa belle-sœur, savamment envenimée et d'ailleurs entretenue par les folies de l'un et de l'autre, allait lui permettre de tenir la balance, de jouer les démiurges en un ménage qui, plus normal, lui aurait causé de graves soucis.

    Quant à Louise, sincère, pure, totalement dépourvue d'ambition, c'était une sorte de miracle qu'un roi eût trouvé pour maîtresse cette petite fille émerveillée. Louis le fut lui-même de se voir adoré, non comme un souverain, mais comme un amant. Marie l'avait subjugué, dominé. Celle-là était à ses pieds. Elle comblait son orgueil sans qu'il courût le risque de perdre la moindre part de sa liberté.

    Dès que Fouquet eut vent de l'affaire, il envoya une amie complaisante, Mme du Plessis-Bellièvre, offrir de sa part vingt mille pistoles à Mlle de La Vallière en l'assurant qu'elle ne manquerait jamais de rien. La douce enfant se cabra  :

    — Sachez, dit-elle, que deux cent mille livres ne me feraient pas faire un faux pas.

    du château de Vaux au carrosse de Nantes

    Le roi, prévenu, se sentit outragé. Il lui était intolérable qu'un sujet se sentît assez puissant pour s'offrir à protéger sa maîtresse.

    Le surintendant travaillait ardemment à sa propre perte. Il vendit sa charge de procureur général au Parlement qui le rendait presque inviolable et décida d'offrir à Sa Majesté une fête extraordinaire en son château de Vaux. Le jeune homme, intimidé, mesurerait ainsi la puissance, le faste et la gloire de son ministre.

    Louis XIV les mesura, en effet, dès qu'il eut franchi les grilles de Vaux, mais, si l'effet fut prodigieux, il ne répondit nullement à l'attente de son hôte. La féerie des jardins, des jets d'eau, des embrasements, des ballets, du festin prouvaient qu'il s'était formé un nouvel État dans l'État, un État opulent où se rassemblait l'élite du royaume. Et cela aux frais du prince humilié qui comparait ses châteaux mal entretenus, archaïques, avec cette demeure de satrape.

    — Madame, dit-il à sa mère, ne ferons-nous pas rendre gorge à ces gens-là ?

    Si Anne d'Autriche ne l'avait retenu, il eût interrompu la fête en faisant arrêter le maître de maison.

    Ce ne fut pas là, cependant, la répercussion principale de la fête de Vaux. Tout en s'indignant, Louis reçut une impression ineffaçable de ces illuminations, de ces feux d'artifice, de ces fontaines jaillissantes, de cette mythologie mise au service de l'art, de cette poésie, de ces jardins, de ces enchantements si bien ordonnés.

    Il se jura de les recréer dans des proportions dignes d'un roi de France, il se jura que, de Molière à Le Nôtre, les génies du temps seraient désormais à son service, non à celui d'un financier suspect. La révolution qui devait gagner l'Europe et transformer le style de la vie délicieuse fut conçue en cette soirée du 17 août 1661.

    De ce jour, la haine royale s'associa à la haine de Colbert. Ce fut le premier exemple de l'implacable résolution avec laquelle Louis XIV sut poursuivre un homme tombé dans sa disgrâce sans que ni le temps, ni les circonstances, ni même le châtiment du coupable eussent raison de son ressentiment.

    Fouquet avait cherché follement à se donner un point d'appui territorial en faisant fortifier Belle-Isle et la côte bretonne. Le roi voulut l'abattre dans la province même où il se croyait en sûreté.

    Il gagna Nantes précipitamment, à la grande surprise de la Cour. Le 5 septembre, de grand matin, il y présida le Conseil et se sépara du surintendant en lui souriant de la manière la plus propre à dissiper des inquiétudes naissantes. Un moment après, M. d'Artagnan, commandant d'une brigade des mousquetaires, arrêtait Nicolas Fouquet.

    — Monsieur, dit le prisonnier, tandis qu'on le conduisait à un carrosse « fermé de treillis de fer », que ceci ne fasse pas d'éclat !

    Il ne comprenait décidément rien au roi qui voulait cet éclat et déclarait à la face du monde :

    — Il est temps que je fasse mes affaires moi-même !

    Les grands commis deviennent des princes

    Ce fut l'occasion d'une réforme du gouvernement. Villeroy reçut la présidence d'un Conseil des Finances remanié auquel appartenait Colbert en simple qualité d'intendant. La charge de contrôleur général, celle de surintendant étant abolie, ne fut créée en sa faveur qu'en 1665.

    Le Conseil d'En-Haut où se traitaient les grandes affaires était composé des personnes que Sa Majesté appelait pour y délibérer sans leur remettre aucune patente et cela seul conférait aux élus le titre de ministre. Grande nouveauté : de vingt-quatre le nombre de ces ministres fut ramené à trois, Le Tellier, Lionne et Colbert lui-même.

    Le chancelier assistait également au Conseil et les secrétaires d'Etat qui se bornaient à rapporter les questions, puis à inscrire les décisions prises. Parmi eux se trouvait le jeune Louvois, fils de Le Tellier, comme survivancier de la charge de secrétaire à la Guerre,

    La spécialisation ministérielle n'existait pas. Cependant, le chancelier veillait sur la Justice, les Affaires étrangères étaient le domaine de Lionne, la Guerre celui de Le Tellier. Avec sa formidable boulimie de travail, Colbert envahit à peu près tout le reste, des Finances à la Police, du Commerce aux Travaux publics, de la Marine aux Beaux-Arts, du Travail aux Colonies, sans oublier la Maison du roi.

    D'esprit cartésien comme son maître, il s'appliqua d'abord à transformer l'administration dont il fit une bureaucratie monarchique, unifiée, centralisée telle que nul autre pays n'en possédait. Laissant aux nobles gouverneurs le soin de représenter fastueusement le roi dans les provinces, il concentra les pouvoirs entre les mains des intendants roturiers.

    Mais Louis XIV estimait que le fait seul d'être cet instrument sortait un homme de sa classe originelle. À l'indicible horreur du patriarcat, il anoblit la plupart des grands commis. Quant aux ministres, dépositaires d'une part de l'autorité suprême, il fallut les appeler « Monseigneur » et leur accorder un rang princier. Le service du roi donnait des droits égaux à ceux de la naissance.

    Louis n'appela au Conseil aucun membre de sa famille, aucun duc, aucun grand. Anne d'Autriche ulcérée annonça qu'elle se retirait au Val-de-Grâce. Son fils la retint comme elle l'espérait, mais ne céda ni sur le chapitre politique ni sur celui de ses amours.

    D'ailleurs, Marie - Thérèse, toujours convaincue que seule une princesse pouvait émouvoir le cœur d'un roi, s'était calmée au sujet de Madame et ne songeait pas à une La Vallière. Le 1er novembre 1661, elle mit au monde le Grand Dauphin.

    Le roi était resté tendrement près d'elle pendant la durée du « travail ». Quand il eut vu son fils, il oublia sa majesté, courut ouvrir la fenêtre et cria lui-même à la foule  :

    — La reine est accouchée d'un garçon !

    Ce nouveau-né, garant de l'avenir, évitait à son père les incertitudes qui avaient si longtemps affaibli le gouvernement de Richelieu, il couronnait un édifice apparemment indestructible.

    La primauté de la France

    Soudain, le sort parut vouloir mettre à l'épreuve un roi si heureux ou lui fournir l'occasion de pleinement se révéler. Presque en même temps, un grave incident diplomatique se produisit à Londres et les effets d'une mauvaise récolte provoquèrent une crise économique propre à ruiner le pays.

    De longue date le Très Chrétien et le Catholique se disputaient la préséance. À l'occasion d'une cérémonie, la vieille querelle éclata violemment entre leurs ambassadeurs en Angleterre. Les Espagnols du baron de Vatteville, soutenus par la populace, tuèrent les chevaux des carrosses du comte d'Estrade dont les gens furent blessés et dispersés.

    En apprenant la nouvelle, le roi ne prit conseil de personne. Malgré Lionne un peu effaré, il renvoya l'ambassadeur espagnol, rappela le sien de Madrid ainsi que d'Estrade, exigea de Charles II la punition des coupables et, de Philippe IV, une réparation qui sanctionnerait la primauté française.

    Sans qu'un coup de feu eût été tiré, le roi d'Espagne dut s'humilier, consacrer l'hégémonie des Bourbons. Un ambassadeur extraordinaire se rendit au Louvre. Devant les principaux de la Cour et la totalité du corps diplomatique, il assura le roi des regrets de Philippe IV au nom duquel il promit « que les ambassadeurs et ministres espagnols ne concourraient plus avec ceux de France ».

    Cet éclatant succès de Louis XIV marqua le début d'une politique de prestige dont le caractère agressif, impérialiste, peut choquer, mais qui répondait exactement, il faut le reconnaître, aux aspirations du pays.

    Quelques mois après, à la suite d'une affaire analogue survenue à Rome, le roi menaça d'envoyer une armée en Italie, le Parlement cita le Pape (protecteur de Retz) et fit saisir le Comtat-Venaissin. Alexandre VII n'osa même pas parler d'excommunication, comme ses prédécesseurs n'y auraient pas manqué. Il souscrivit à tout. Le roi en profita pour s'attirer la reconnaissance du duc de Parme et du duc de Modène en leur faisant rendre certains territoires.

    S'il ne ménageait ni le Souverain Pontife ni son propre beau-frère, il n'avait aucune raison de se montrer moins ferme envers son besogneux cousin, Charles II. Sur son ordre, la flotte française refusa de saluer la première le pavillon britannique, hommage que l'Angleterre prétendait dû à sa supériorité maritime. L'Europe savait désormais quel était « le plus grand roi du monde ». La France en fut émerveillée.

    Le roi fait réduire les tailles

    Cependant, elle était encore une fois victime d'une disette qui semblait devoir déchaîner des catastrophes en chaîne « comme si Dieu qui prend soin de tempérer les biens et les maux eût voulu balancer les grandes et heureuses espérances de l'avenir par une infortune présente. »

    Louis, suivant les conseils de Colbert, agit de nouveau en révolutionnaire et même, si l'on ose le terme, en socialiste.

    « J'obligeai les provinces les plus abondantes à secourir les autres (c'était une formidable innovation), les particuliers à ouvrir leurs magasins et à exposer leurs denrées à prix équitable. J'envoyai mes ordres de tous côtés pour faire venir par mer de Dantzig et des autres pays étrangers le plus de blés qu'il fût possible ; je les fis acheter de mon épargne ; je les distribuai gratuitement, la plus grande partie au petit peuple des villes… je fis vendre le reste à ceux qui en pouvaient acheter, mais j'y mis un prix très modique et dont le profit, s'il y en avait, était employé au soulagement des pauvres qui tiraient des plus riches, par ce moyen, un secours volontaire, naturel et sensible. »

    Plus socialiste encore fut son attitude à l'égard des bourgeois qui, profitant des troubles, avaient acquis à vil prix les titres d'une rente dont l'intérêt était devenu exorbitant. Les rentes furent rachetées « en rendant le véritable prix qu'il (le possesseur) en a reçu et en imputant sur ce prix principal ce qu'il a été payé d'arrérages au-delà de l'intérêt légitime ».

    L'État et les villes se trouvèrent ainsi allégés d'un poids énorme. Ce fut le roi personnellement qui, se référant aux dernières prescriptions de Mazarin, fit réduire les tailles, c'est-à-dire les impôts directs sous lesquels gémissaient les paysans. De cinquante-trois millions, ces taxes descendirent à trente-neuf, les remises des receveurs furent diminuées et une Chambre de Justice poursuivit impitoyablement les financiers malhonnêtes.

    Pour la première fois depuis Sully, on mit de l'ordre dans les finances, mais, contrairement à Henri IV, Louis XIV ne laissa pas à son seul ministre le soin de gérer son bien.

    « Je m'étais déjà assujetti à signer moi-même toutes les ordonnances qui s'expédiaient pour les moindres dépenses de l'Etat. Je trouvai que ce n'était pas assez et je voulus bien me donner la peine de marquer de ma propre main sur un petit livre que je pusse voir à tous les moments, d'un côté des fonds qui devaient me revenir chaque mois, de l'autre, toutes les sommes payées par mes ordonnances dans ce mois-là... »

    Tels furent les principaux actes du gouvernement personnel de Louis XIV au cours de sa première année.

    Philippe Erlanger Historia janvier 1967

    (1) Marie-Thérèse, Anne d'Autriche et Henriette de France, mère de Madame.

  • Toujours Venner !

    La disparition volontaire de Dominique Venner n’en finit pas de susciter des projets éditoriaux. Après l’hommage rendu par les Bouquins de Synthèse nationale avec un remarquable Venner. Présent !, un autre recueil dirigé cette fois-ci par la rédaction de La Nouvelle Revue d’Histoire serait en cours de préparation avec des contributeurs plus renommés.

    En attendant la sortie prochaine de ce livre collectif, les Éditions d’Héligoland éditent en version audio Le choc de l’histoire, publié en 2011 chez Via Romana. Il faut saluer cette initiative quand bien même le livre audio n’est guère prisé par le public français. Il pallie avantageusement l’impossibilité de lecture quand on conduit ou on a perdu la vue. Son autre avantage est de remplacer les sempiternels bruits diffusés par des radios commerciales abrutissantes.

    Pour la circonstance, c’est sa veuve, Clotilde Venner, qui répond à la place de son mari à ses questions désormais lues par le jeune Guillaume Bagnuls. Cet essai se trouve au croisement du Samouraï d’Occident, d’Histoire et identité des Européens et du Siècle de 1914. Outre une évident commodité pour les déplacements, ce livre audio peut – doit – trouver auprès d’un jeune public accro à l’oralité et réfractaire à l’écrit soutenu un écho très favorable. Le livre audio est peut-être une solution dans la reconquête identitaire des esprits.

    IDées est la maison d’édition du Bloc Identitaire implantée Nice. Elle vient de publier le manifeste de 1962 intitulé Pour une critique positive qui révolutionna le combat nationaliste à la fin de la Guerre d’Algérie.

    Signé par Jean-David Cattin et Philippe Verdon – Raybaud, l’avant-propos replace le texte dans son contexte historique. Ils ont maintenu l’anonymat de l’auteur alors que « Dominique Venner est communément considéré comme le rédacteur ». « S’il ne l’a jamais revendiqué publiquement, il n’a jamais nié non plus (et encore moins renié) la paternité du texte ». Or, dans Le Cœur rebelle, Venner a écrit qu’« à la Santé, je rédigeais une sorte de bilan qui énonçait des directions pour une action future. Ce texte, Pour une critique positive, fut publié anonymement avant ma mise en liberté à la fin de 1962 ».

    Cinquante ans après, le propos demeure précis, méthodique, rigoureux et abrupt. Si certaines réflexions ne sont plus opérantes – pensons au nationalisme et à l’Occident -, sa teneur conserve toute sa pertinence, en particulier avec la distinction fondamentale entre les « nationaux » et les « nationalistes ». Les premiers demeurent la plaie purulente des seconds, car ces « modérés », autrefois vilipendés par l’excellent Abel Bonnard, cherchent toujours des accommodements pratiques et électoraux.

    Les manifestations contre le « mariage » homosexuel ont démontré leur pusillanimité ainsi que leur appétence au cocufiage volontaire. Gazés, matraqués, gardés à vue, ils auraient pu s’enrager, monter des barricades, fomenter des émeutes, marcher sur l’Élysée, Matignon et le Palais Bourbon… Non, ces manifestants gardèrent un esprit ludique, festif et légaliste – hyper-légaliste même – si bien qu’un trimestre plus tard, au dire des sondages, ce lectorat droitier et lâche s’entiche de l’ineffable ministre de l’Intérieur qui ordonna quand même leur matraquage et leur gazage.

    Toutes les tares vues et dénoncées en son temps par cet opuscule roboratif perdurent encore à l’heure actuelle. Elles s’aggravent même ! Pour une critique positive reste plus que jamais d’actualité afin d’édifier un authentique mouvement révolutionnaire et identitaire européen, dégagé autant de la nostalgie incapacitante que de la dédiabolisation médiatique. Grâce à son format réduit – cette réédition se met facilement dans la poche d’un manteau -, son faible nombre de pages et la modicité de son prix, elle est à recommander chaudement aux jeunes Européens d’autant que « la jeunesse d’Europe aura de nouvelles cathédrales à construire et un nouvel empire à édifier ».

    Bastien Valorgues http://www.europemaxima.com/

    Pour une critique positive. Écrit par un militant pour des militants, IDées, Nice, 2013, 75 p., 5 €.

    • Dominique Venner, Le choc de l’histoire. Religion, mémoire, identité, C.D. audio lu par Clotilde Venner, Les Éditions d’Héligoland, Pont-Authou, 15 €.

  • La responsabilité de la gauche dans les 2 guerres mondiales

    Lu dans Minute :

     

    "A entendre François Hollande, les deux guerres mondiales n’auraient pas eu lieu « sans l’esprit de revanche, sans les ravages de la crise économique, sans le fléau des extrémismes, sans la faiblesse des organisations chargées de sanctionner les manquements au droit, et sans les gouvernements qui, préférant la honte à la guerre, acceptèrent l’une sans éviter l’autre ». Mais au fait, qui était au gouvernement, en août 1914 ? Un socialiste nommé René Viviani, d’ailleurs co-fondateur du journal « L’Humanité » avec Jaurès. Qui était aux affaires en septembre 1939, lors de la déclaration de guerre à l’Allemagne ? Edouard Daladier, radical, véritable homme de gauche qui, deux ans auparavant, occupait les fonctions de ministre de la Défense au sein du gouvernement de Front populaire. Daladier, l’homme de Munich, qui, en 1938, préféra « la honte à la guerre » !

    Heureusement, aujourd’hui, nous n’aurions, selon Flanby, plus rien à craindre, les Nations unies, la Charte internationale des droits de l’Homme et l’Union européenne étant garantes de la paix du monde. L’affirmation est audacieuse, de la part d’un chef d’Etat qui voulait, voilà quelques semaines, bombarder la Syrie même sans la bénédiction de l’ONU…"

    Michel Janva

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • 18/11 : conférence sur le gender à Bruxelles

  • Quand Ayrault fait dans l'ignoble

    Addendum 12/11/2013

    Cdans l’air – 11/11/2013 – Nicolas Offenstadt, historien – Les 11 novembre agités, une longue histoire, déjà …

    Pardonnez-moi, c’est important, vous dites ce soir à ceux qui nous écoutent :  » le 11 novembre est de fait, aussi historiquement, une date de contestation, de manifestation : on vient dire qu’on est pas content, au delà du respect des morts et du patriotisme » – Yves Calvi

    « Deux cent personnes environ de mouvements d’extrême droite se sont permis de siffler le président de la République le jour de la commémoration des morts de la Grande Guerre. C’est un acte grave, pas seulement un acte contre le Président de la République, c’est un acte contre les morts de la Grande Guerre, contre la République et la Nation », a affirmé le premier ministre.

    « Cela nécessite un sursaut fort et puissant pour dire : ‘ça suffit les attaques racistes, ça suffit les attaques contre la loi, la République, le droit, les destructions de biens publics’. [...]

    Le Figaro

    Lire la suite

  • Okinawa : la « bataille Ragnarök » (1er avril – 21 juin 1945) par Rémy VALAT

    En mémoire du soldat Tsukamoto Sakuichi, mort au combat à Okinawa (1945)

     

    塚本作一氏を偲んで

    Il y a 68 ans s’est déroulée sur l’île d’Okinawa une des batailles les plus sanglantes de la Seconde Guerre mondiale. Les habitants de l’île, retournée sous la souveraineté du Japon en 1972, vivent dans le souvenir de cette bataille et subissent au quotidien les conséquences de celle-ci : présence de l’armée américaine d’occupation, à la fois fardeau financier et source de crimes sexuels, un sol miné par 2 100 tonnes d’obus encore intacts, des séquelles psychologiques et morales. En un mot, le Japon paye encore le prix de la défaite face aux forces alliées en septembre 1945.

    Une île martyre…

    L’île est encore occupée par un fort contingent de troupes de marine américaines, bien que 9 000 soldats vont être prochainement déplacés sur l’échiquier de la zone Pacifique, en application des accords bilatéraux nippo-américains, récemment révisés, sur le redéploiement des forces américaines stationnées à Okinawa (2006). Les États-Unis vont relocaliser une partie de leurs unités à Guam et à Darwin (Australie). Ces mouvements sont une réponse à la montée en puissance de la flotte de guerre chinoise au sud et à l’est de la Mer de Chine, flotte qui mène d’audacieuses actions de déstabilisations près des îlots dont ils revendiquent la souveraineté (les îles japonaises Senkaku). La stratégie navale chinoise aurait pour ambition de prévenir la présence de porte-avions américains, par la construction de bâtiments de la même catégorie et l’amélioration de son équipement en missiles balistiques anti-navires : la dispersion des unités américaines aurait pour objectif de multiplier les cibles potentielles et de créer une nouvelle donne stratégique. Les unités restantes (9 000 hommes environ) aurait pour zone d’intervention l’Asie du nord-est (péninsule coréenne et façade orientale de la Chine comprise), celle de Guam la zone du Pacifique ouest, et enfin, celle de Darwin, le sud de la Mer de Chine et l’Océan Indien. La présence de la 3e force expéditionnaire du corps des Marine (IIIrd Marine Expeditionary Force) (1) et d’une formation équivalente à un régiment (les 2 200 hommes du 31st Marine Expeditionary Unit) est jugé indispensable par les autorités américaines qui considèrent l’île comme une « position clé de la ligne de front (key frontline base) face à la Chine et à la Corée du Nord. Washington a aussi argué que cette nouvelle répartition faciliterait les interventions humanitaires américaines en cas de catastrophe naturelle majeure dans la zone du Pacifique, ce qui ne peut laisser le gouvernement japonais indifférent après le désastre du 11 mars 2011.

    Or la population tolère de moins en moins le coût financier et la présence de l’armée américaine dans l’île, dont 10 % du territoire est affecté aux installations militaires. La soldatesque commet régulièrement des actes de délinquance et les habitants subissent les nuisances des entraînements, et aussi un certain mépris des autorités états-uniennes pour leur sécurité. 24 Osprey MV-22, appareils destinés au remplacement des hélicoptères de transport de troupes CH-46 ont été officiellement choisis pour leurs meilleures capacités techniques comparativement aux hélicoptères CH-46 (vitesse double et capacité de portage triple). Leur rayon d’action (3 900 km) permettrait une rapide projection de troupes sur la péninsule coréenne. Mais, les déficiences techniques à répétition ayant occasionné le décès des personnels embarqués (Maroc, Floride et le 5 août 2013 sur une base américaine d’Okinawa) inquiètent les habitants et autorités locales qui se sont opposés vigoureusement à leur arrivée. Les Okinawaiens font également obstacle au déménagement de la base aéronavale de Futenma (qui doit être réinstallée dans la la baie de Henoko). Cette résistance passive, qui rappelle sur la forme celui du « Mouvement d’opposition à l’extension du camp du Larzac » des années 1970 : un noyau de militants, soutenus par la population, se relaient en permanence sur le chantier pour empêcher la progression des travaux. S’ajoute à cela le fléau des viols perpétrés régulièrement et en quasi-impunité (en raison de l’extra-territorialité des polices militaires) depuis 1945 par des soldats américains (118 viols ont été commis par des GI’s entre 1972 et 2008, selon un décompte de l’association des femmes d’Okinawa contre la violence militaire, réalisé à partir de rapports de police et de la presse locale (2). Ce phénomène récurrent (deux marins américains ont été condamnés cette année par un tribunal japonais à 9 et 10 ans de prison pour le viol en octobre 2012 d’une habitante de l’île) a obligé l’état-major des marines a décrété un couvre-feu pour ses hommes.

    L’actualité entretient le souvenir douloureux de la Seconde Guerre mondiale, la bataille est ancrée dans les mémoires, et aussi souvent dans les chairs. L’année dernière (le 23 juin 2012, en marge des cérémonies officielles) des contemporains de l’affrontement ont relaté leur histoire. « Maman, je suis encore venue te voir cette année », susurre une habitante de Naha, Keiko Oshiro (68 ans). Nourrisson en 1945, Oshiro ne se souvient pas du visage de sa jeune mère, Tomi, âgée de 21 ans, atteinte à l’épaule par une balle alors qu’elle l’alimentait au sein. Selon le témoignages de proches, Tomi serait décédée dans une des grottes servant d’abris et d’hôpitaux aux militaires et aux civils. Lorsque le nom de sa mère a été gravé sur l’un des murs du Mémorial en 1995, Oshiro a pu commencer à faire le deuil de cette disparition… Fumi Nakamura (79 ans), une habitante du village de Nakagusuku est également venue rendre hommage à son père, mort de la malaria dans un camp des prisonniers. Résidant à proximité d’un aérodrome militaire américain, Nakamura déclare se crisper lorsqu’elle entend le rugissement du moteur des avions…

    On comprend, à la lecture des récits de ces témoins que les habitants de l’île souffrent encore des conséquences de cet épisode de leur histoire : la guerre est restée quelque part en eux. En août 2012, 40 résidents de l’île (survivants ou membres de la famille des victimes) ont décidé d’ester contre le gouvernement : ils réclament un dédommagement financier et moral (une compensation financière de 440 millions de yen et des excuses officielles) pour les souffrances endurées pendant la Seconde Guerre mondiale, soulevant au passage la douloureuse question de l’implication des civils dans la bataille. Cette réclamation s’insère dans un mouvement plus large de reconnaissance des excès de l’armée impériale commis à l’encontre des habitants pendant la guerre.

    Okinawa est une île marquée par l’Histoire… De par sa position géostratégique, et les derniers développements dans la région le confirment, l’île reste et restera une pièce maîtresse de l’« échiquier nord-américain» dans la région, notamment en raison de l’importance militaire des îles Nansei, passage obligé pour la marine de guerre chinoise voguant vers le Pacifique. Okinawa est un « porte-avion fixe » et une base avancée de l’armée américaine faisant face au continent est-asiatique. Pour ces raisons, les États-Unis ne sont pas prêts de retirer leurs troupes d’une position aussi importante, de surcroît acquise par la mort au combat de milliers de GI’s et de marines, au cours de ce qui a probablement été la bataille la plus sanglante de la bataille du Pacifique. Bataille ayant eu également pour conséquence (même si ce n’était pas la raison première), les bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki… Position qui cependant pourrait légitimement défendue par les forces japonaises elles-mêmes, si l’article 9 de la Constitution venait enfin à être modifié et redonnerait au Japon (troisième puissance économique mondiale) sa dignité et sa place comme grande puissance à part entière. De grands espoirs sont portés sur le Premier ministre Abe Shinzô qui œuvre en ce sens dans un contexte international devenu favorable (3).

    La bataille : enjeux, unités engagées, déroulement des opérations et bilan des pertes humaines

    Okinawa est une bataille majeure de la guerre Asie – Pacifique : l’ « Opération Iceberg », nom de code donné à l’automne 1944 par l’état-major américain au plan d’invasion des îles Ryûkyû, est l’opération amphibie ayant mobilisé le plus de moyens humains et matériels sur le front Pacifique depuis 1941. Pour la seconde fois, l’armée impériale japonaise va défendre le sol national avec opiniâtreté et courage (Iwo Jima est tombée le26 mars). Surtout, il s’agit d’empêcher l’armée américaine de contrôler les deux bases aériennes de l’île (Yontan et Kadena), autant de facilités pour les flottes de bombardiers stratégiques d’atteindre les îles principales du Japon et sa capitale (550 km environs séparent les deux archipels). Okinawa prise, les troupes américaines pourraient y stationner en prévision de l’invasion du Japon, programmée pour le printemps 1946 (Opération DownFall).

    Les troupes alliées, très majoritairement américaines (la contribution britannique et des pays du Commonwealth, plus modeste, est navale et logistique) sont appuyées par une importante marine de guerre. L’armée d’invasion (la Xe armée), de plus de 180 000 hommes ayant une expérience du feu inégale, a été subdivisée en deux corps d’armée et en unités de réserve : le IIIe corps amphibie, composé de deux divisions de marines (1re et 6e divisions); le XXIVe corps d’infanterie (7e et 96e divisions d’infanterie), et en réserve la 2e division de marines ainsi que les 27e et 77e divisions d’infanterie. Cette armée est dirigée par le général Raymond A. Spruance.

    L’armée japonaise (la 32e armée, composée de deux divisions d’infanterie  – 24e, 62e divisions – et d’une brigade mixte indépendante), d’un effectif avoisinant 70 000 combattants. La 62e division est une unité aguerrie ayant combattu en Chine. Ce corps principal a été renforcé par des unités à terre de la marine (9 000 hommes), des habitants des îles Ryûkyû réquisitionnés comme combattants ou comme auxiliaires du génie (39 000 individus) et des formations plus modestes composées de lycéens servant de coursiers, de miliciens ou affectés aux hôpitaux de campagne. Les forces navales sont inexistantes ou presque et les forces aériennes reposent sur les unités de Tokubetsu kôgeki-tai (特別攻撃隊), les kamikaze. Comme le firent les officiers commandant les positions de Tarawa ou d’Iwo Jima, les troupes japonaises se sont fortifiées et cantonnées dans des positions souterraines aménagées, construites le plus souvent avec les seuls outils individuels du fantassin (pelle, pioches), un éclairage sommaire et dans des conditions sanitaires pénibles d’un sous-sol volcanique (chaleur et humidité). Les soldats-ouvriers ont ainsi creusé un dense réseau de tunnels de communication et d’installations connectés entre-eux et équipés de discrets systèmes de ventilation. Cette défense a été conçu pour compenser la nette supériorité de la puissance de feu de l’armée d’invasion (aviation, marine et infanterie). D’un point de vue tactique, les fantassins japonais, outre leur valeur intrinsèque, disposent de lance-grenades à tir courbe, très utiles en défense.

    Avant les opérations terrestres du printemps 1945, l’île a été intensément bombardée : lors du raid du 10 octobre 1944, l’aviation stratégique américaine procède à 1 400 sorties et a lancé 600 tonnes de bombes sur les installations portuaires de Naha et les positions de l’armée. 65 000 civils périrent. Le Jour J, le principal débarquement américain (1er avril 1945) se déroule sans opposition et fait suite aux attaques des îles Kerama et des îlots de Keise prises d’assaut respectivement les 26 et 31 mars.

    Sur mer, les unités déployées le long de la côte subissent, à partir du 6 avril, des attaques massives et répétées des unités aériennes de kamikaze : entre le 26 mars et le 30 avril, 20 bâtiments lourds sont coulés et 157 unités ont été endommagées; l’armée de l’air japonaise perd 1 100 appareils… Du début des raids massifs au 22 juin, 1 465 unités de kamikaze ont été engagées avec pour cibles privilégiées : les porte-avions. Dans le même esprit, le cuirassé Yamato (le bâtiment était escorté par 8 destroyers), lancé dans une attaque suicide contre l’U.S. Navy, est coulé par l’aviation embarquée américaine (7 avril) sans avoir pu faire le moindre dégât à la flotte de débarquement alliée. Sur une échelle stratégique générale (période du 3 mars au 16 août 1945), les forces aériennes de l’armée de terre et de la marine japonaises ont perdu 2 571 pilotes et aéronefs; la flotte américaine recense 13 navires coulés (dont 9 destroyers) et un grand nombre de navires sérieusement endommagés (9 cuirassés, 10 porte-avions, 4 croiseurs, 58 destroyerset 93 navires de différentes catégories).

    Sur terre, les unités américaines ont lancé l’offensive sur deux axes après leur débarquement sur les plages de Hagushi (au nord de Naha). La partie nord de l’île est tombée assez rapidement : les aérodromes, enjeux de la bataille, ont été capturés peu après le débarquement (Kadena et Yomidan); le 21 avril, un aérodrome est rendu opérationnel sur l’île de Ie. Le 18 avril, la résistance nippone n’est plus que sporadique et locale dans cette partie de l’île.

    Mais, comme à Iwo Jima, Ushijima a concentré et fortifié ses unités sur un terrain difficile et c’est dans la partie sud de l’île que va se livrer une sanglante guerre d’usure, proche des combats de la Grande Guerre en Europe. Les positions méridionales de l’île d’Okinawa ont été renforcées et les unités japonaises défendent le terrain pied à pied, avec l’énergie du désespoir et au prix de pertes humaines importantes. Le 12 avril, les unités japonaises contre-attaquent nuitamment avant d’être repoussées et récidivent le 14 avril avec un même résultat. L’offensive américaine reprend, après une relève des unités les plus marquées par l’attrition. La dernière contre-attaque japonaise, le 4 mai, échoue également : mise à découvert, l’artillerie mise en batterie pour appuyer l’assaut a été partiellement anéantie par les canons lourds américains. En juin, sous une pluie continuelle (le phénomène de « mousson japonais », le « tsuyu »), la bataille fait rage autour de la position dite du « Shuri Castle »; celle-ci tombée, la 32e armée se replie, fin mai, encore plus au sud et se positionne sur sa dernière ligne de défense, dans la péninsule de Kiyan. Le dernier carré japonais (environ 40 000 hommes) se bat avec l’énergie du désespoir : face à l’attaque de la 6e division de marines, 4 000 marins japonais (dont l’amiral Minoru Ota) se suicident dans les constructions souterraines leur servant de quartier-général (13 juin).

    Le 21 juin se livrent les derniers combats d’importance : les généraux Ushijima et Chô se donnent la mort par éventration dans leurs quartiers généraux de la cote 89. Jusqu’en août 1945, des éléments isolés poursuivaient encore le combat contre l’armée américaine en différents points de l’île.

    Les pertes humaines sont sans précédent sur le front du Pacifique : l’armée américaine déplore 62 000 hommes mis hors de combat (dont 12 500 tués ou portés disparus), à titre de comparaison 58 000 GI’s trouveront la mort au Vietnam entre 1967 et 1973… L’armée japonaise déplore 95 000 morts au combat ou s’étant donné la mort par seppuku ou à l’aide d’une grenade à main (voir l’épisode poignant du film de Clint Eastwood, Letters from Iwo Jima, montrant la mort de soldats japonais selon ce procédé). 7 400 soldats japonais ont été faits prisonniers. Les pertes humaines au sein de la population civile sont estimées être entre 42 000 et 150 000 tués; mais les statistiques officielles de l’armée américaine – qui prennent en considération les civils réquisitionnés – avancent le chiffre de 142 058 victimes (soit ? de la population).

    Suicides volontaires ou sacrifice programmé ? Un phénomène d’implication totale de l’individu impliquant les militaires…

    La bataille d’Okinawa frappe encore les imaginations par les suicides de masse de combattants et de civils, mais aussi par la détermination des combattants (attaques nocturnes au corps-à-corps, collision volontaire de pilotes kamikaze sur les bâtiments de la flotte américaine, flottilles de bateaux suicides, sortie du cuirassé Yamato).

    L’histoire des kamikaze a fait coulé beaucoup d’encre. Les morts volontaires de pilotes japonais (et américains) dans le Pacifique étaient avant cela des actes héroïques et isolés, d’hommes aux commandes d’un engin sérieusement endommagé et se trouvant dans une situation sans issue. Dès 1942, des pilotes japonais se sacrifient dans de semblables situations et l’idée d’attaques suicides massives chemine dans les esprits en raison du renversement de la situation militaire. La 201e escadrille est la première formation de volontaires a avoir été formée dans ce but et engagée pendant la bataille de Leyte (la première mission se déroule le 25 octobre 1944). Selon Raymond Lamont-Brown, les pilotes auraient eu différents profils à différents moments de leur implication dans la guerre; des profils qui auraient évolués dans le temps. Dans un premier temps se seraient engagés uniquement des volontaires, patriotes fervents, romantiques et inspirés par l’esprit de la chevalerie japonaise : ce sont eux qui instituent les pratiques et les rituels attribués aux kamikaze (écriture de testaments et de poèmes, port d’attributs patriotiques et faisant référence à l’esprit guerrier japonais, la consommation de la dernière coupe de saké, etc.). Les générations suivantes de volontaires auraient eu des motivations plus « rationnelles » : ces jeunes hommes sont souvent des étudiants dont la formation a été interrompue par la guerre ou plus généralement des individus ayant reçu une excellente éducation (85 % étaient lycéens ou étudiants). La lettre de Sasaki Hachirô ci-dessus témoigne d’une grande maturité, mais aussi et surtout d’une forme de résignation : on se sacrifie par devoir, par nécessité… À l’extrême fin de la guerre, toujours selon Raymond Lamont-Brown, d’autres jeunes pilotes auraient été recrutés parmi les délinquants ou des personnes dont le comportement les mettaient en marge de la société. Il est difficile de prendre pour argent comptant une telle catégorisation, mais il est probable qu’il y ait eu une « dépréciation » de la qualité morales des pilotes (des volontaires éduqués aux exclus de la société) en raison du manque de candidats à la mort… La jeunesse (17 ans pour certains) et le niveau d’éducation élevé des kamikaze montre la volonté consciente ou non des autorités militaires à priver la nation d’un futur… Il témoigne aussi peut-être d’une forte intériorisation des valeurs patriotiques apprises, notamment (mais pas seulement) en milieu scolaire. Pendant la bataille d’Okinawa les pilotes étaient aux commandes de chasseurs de combats ou de bombardiers-torpilles (ohka). Ils ont été engagés dans 10 raids majeurs contre la flotte américaine (6 avril – 2 juin 1945). Sur mer, des navires-torpilles, basés dans l’île de Kerama, n’ont pu être engagés et ont été détruits dans leurs installations par les soldats de la 77e division américaine et le cuirassé Yamato, nous l’avons vu, a été coulé avec 4 destroyers de son escorte.

    Enfin, sur terre, l’armée impériale se livre à des attaques nocturnes ayant pour objectif d’engager l’ennemi en limitant les effets ravageurs de sa puissance de feu. On constate pendant la bataille que, comme pendant la Grande Guerre, l’usage d’une puissance de feu considérable ne peut empêcher la confrontation directe et rapprochée des infanteries ennemies. Celle-ci est souvent d’une brutalité multipliée, parce que fondée sur la recherche du corps-à-corps en réponse à la volonté d’annihilation par les armes de destructions massives (exemple des Stosstruppen de la Première Guerre mondiale). Le soldat japonais s’est bâti une solide réputation de combattant résolu autant pour cette raison que pour sa valeur intrinsèque. Toutefois, la détermination des soldats nippons est une composante de la stratégie des armées alliées qui a pris en considération ce « facteur ». Le maréchal William Slim, commandant des forces alliées en Inde aurait déclaré : « Tout le monde parle de se battre jusqu’au dernier homme, mais actuellement seuls les Japonais le font ». Si les « charges banzai » ont eu un impact moral sur les combattants alliés, les moteurs psychologiques de celles-ci sont plus complexes qu’il n’y parait. Dans son ouvrage, Joanna Bourke (4) souligne l’importance de l’action de « tuer ». Sans minorer l’importance des facteurs et effets psychologiques collectifs (camaraderie, propagande, diabolisation de l’ennemi) et individuels, essentiellement la peur de la mort, cette étude apporte un éclairage significatif l’« intimité » de l’homicide en temps de guerre, la mort donnée au contact de l’ennemi. Les représentations de l’acte de tuer, bâtie souvent sur une éducation, une vision romantique de la guerre ou instrumentalisée par la propagande, tiennent une place importante; et bien souvent l’attaque à la baïonnette ou à l’arme blanche, est considérée être la plus virile et prend une dimension mythique (au Japon le « mythe du samurai »), que renforce le « culte de l’offensive » prôné par l’état-major (qui rappelle la doctrine française des premiers mois de la Grande Guerre). L’entraînement et la discipline (très difficiles dans l’armée impériale japonaise) stimulent le sentiment d’agressivité tout en se mariant aux représentations positives (le mythe du guerrier/« nous ») et négatives (dévalorisation de l’ennemi/« eux ») : l’accent est mis sur les comportements instinctifs et les pulsions primales. Ces facteurs « théoriques » prennent une ampleur plus importante avec l’enchaînement des violences et le sentiment de livrer un combat désespéré.  Ces facteurs sont des pistes utiles à la compréhension des moteurs psychologiques externes et généraux sous-jacents aux attaques suicides, conduites dans un contexte militaire ayant pour horizon la défaite.

    Le suicide individuel ou collectif à la grenade était une pratique de l’armée impériale en campagne, souvent le fait de soldats épuisés, grièvement blessés et d’aucune « utilité » militaire. Le sergent Nishiji Yasumasa, décrit une scène de mort collective dans la jungle birmane :« Il arrivait souvent que les soldats prennent leur propres vies par paires. Ils s’étreignaient et plaçaient une grenade entre eux. Nous appelions cela un suicide double. »

    Les officiers supérieurs pratiquaient généralement l’éventration au sabre (exemple sus-mentionné des généraux Ushijima et Chô) ou livraient le dernier combat avec leurs hommes.

    Les modes opératoires pourraient être divisés en deux catégories : celui du combattant en pleine potentialité (et correspondant aux normes admises par le groupe) et les autres. Les premiers se donnent la mort avec « noblesse » (seppuku, suicide des pilotes kamikaze) ou au combat avec des armes nobles et viriles (arme blanche, baïonnette); un combat visant au corps-à-corps. Concernant les pilotes d’avion, il pourrait s’agir ici d’une importation des valeurs martiales occidentales qui assimile le combat aérien à un duel chevaleresque (constatations de Joanna Bourke). Que se soit l’arme blanche ou les commandes d’un avion, l’« arme » (avion, sabre, baïonnette) est un prolongement de la main de l’homme : la mort est donnée par la volonté et l’aptitude du combattant à tuer. Il s’agit d’un acte jugé authentique. Les armes de projection (fusils, fusils-mitrailleurs, mitrailleuses, etc.) ou projetées (grenade à main) sont moins valorisantes (parce que utilisées à distance par un tireur susceptible d’atteindre sa cible à l’insu de celle-ci), c’est pourquoi, elles sont utilisées par les combattants ne se trouvant plus en mesure de se battre. Il y a peut-être, au regard de ces constatations, une dimension culturelle et symbolique dans ces actes. Une dimension que nous replacerons dans un contexte général, en infra.

    Il est surtout intéressant de constater le phénomène de contagion de la pratique et des méthodes suicidaires des militaires aux civils.

    … Et, par contagion, les populations civiles

    C’est surtout l’implication directe des civils dans la bataille, phénomène majeur de la Seconde Guerre mondiale (et déjà constaté pendant la Grande Guerre) qui marque encore les esprits, même si en cela la bataille d’Okinawa ne constitue pas un précédent : celle de Saipan (15 juin – 9 juillet 1944), la préfigurait déjà. Pourquoi ? Parce que la prise de cette île signifiait le bombardement régulier du sol national… Le général Saito n’a fait aucune distinction entre civils et militaires dans les derniers moments de la bataille (préconisant que les premiers s’arment de lances en bambou) qui s’est conclue par une attaque suicide de grande ampleur. Dans le cas de la bataille de Saipan également, des civils se sont jetés du haut de falaises…

    À la différence de la population d’Iwo Jima, qui a été évacuée sur l’ordre du général Kuribayashi, les habitants d’Okinawa ont dû rester sur place et ont été mobilisés pour des travaux de terrassement et comme combattants. D’ailleurs une population aussi nombreuse aurait-elle pu être déplacée, compte tenu de l’état de délabrement de la flotte japonaise, après plus de trois années de guerre dans le Pacifique ?

    La population a souffert des excès de militaires (confiscation de nourriture, exécution d’habitants soupçonnés d’espionnage en raison de la différence de leur dialecte) et des conditions sanitaires. Si une frontière perméable exista entre le statut de civil et de combattant (Jean-Louis Margolin les qualifient de « civils militarisés »), c’était autant pour des motifs opérationnels qu’idéologiques (une nation unie contre l’envahisseur) : les habitants de l’île sont des auxiliaires précieux en raison de leur connaissance du terrain, mais aussi, pratique peu honorable, comme chair à canons : si des soldats porteurs d’une charge d’explosif ont pu se faire passer pour des civils pour commettre des attaques suicides, les civils étaient souvent utilisés pour cette mission ou comme boucliers humains pour couvrir une attaque… Sur l’île d’Ie, des femmes armées de lances se sont opposées aux troupes américaines. Ailleurs, des collégiens ont été enrôlés dès l’âge de 13 ans et divisés en escouades, souvent armés de sabres, voire d’explosifs : leur mission dans ce cas était de se précipiter sur les chars américains ou d’aller au contact de l’ennemi. Imamine Yasunabu témoigne : « Il y eut un cas où le groupe avec qui j’étais aperçut 40 ou 50 militaires américains à peu près à 100 mètres. Nous priâmes notre professeur de nous permettre d’ouvrir le feu. À ce moment, nous disposions de fusils. Il refusa, et l’ennemi finit par disparaître sans que nous ayons eu une chance d’agir. Je fus à cette époque stupéfait du comportement du professeur. Maintenant, je le comprends. Il réalisait que le Japon était en train de perdre, et il ne voulait pas sacrifier ses élèves. Nous n’avions que 6 balles chacun. Si nous avions ouvert le feu, les Américains, bien équipés, nous auraient aisément anéantis. »

    La similitude des décisions et du comportement des officiers supérieurs à l’endroit des populations civiles à Saipan et à Okinawa laissent supposer la possible existence de directives de l’état-major général à l’endroit des populations civiles (ce qui a été partiellement admis par le ministère de l’ Éducation japonais en 2006), mais il ne fait aucun doute que celles-ci étaient considérées comme des « combattants ».

    Enfin, sur ordre de l’armée, les habitants auraient été incités ou contraints de se suicider sur le modèle des militaires. Les suicides se sont produits par vagues, tout au long de la bataille : la première a eu lieue au moment du débarquement, voire dans certains cas, avant celui-ci, par crainte des représailles et des exactions américaines. Les circonstances ont été décrites par l’historien Jean-Louis Margolin : les responsables, civils ou militaires, organisèrent des regroupements communautaires (familles, voisins); les participants après un toast d’adieu se donnaient la mort (une personne dégoupillait une grenade au milieu d’un petit groupe de participants). Des témoins auraient assistés à des scènes d’horreur entre membres d’une même famille : assassinat à l’arme blanche, matraquages à mort, lapidations…

    Komine Masao (77 ans en 2007), un survivant des suicides compulsifs de l’île de Tokashiki, raconte (propos recueillis par Kamata Satoshi, le narrateur dans l’extrait qui suit) :« Monsieur Komine m’a montré une grotte d’évacuation [des populations] construite à flanc de colline. Il avait 15 ans au moment de la bataille, et avec l’aide de son jeune frère (qui avait atteint le premier grade [sic]), il l’a creusé pour que sa famille puisse y trouver refuge. La cavité était large de 3 mètres et profonde de 10 mètres. À l’intérieur, Masao, sa grand-mère , tantes et autres parents y ont trouvé refuge des attaques aériennes et des tirs de l’artillerie de marine, mais le 28 mars, le jour suivant le débarquement américain dans l’île, ils se rendirent à Nishiyama, désigné comme un “ point de rassemblement ”. Ce jour-là, des grenades ont été distribuées aux personnes réunies. Massao et ses parents s’assirent en cercle. Sa mère et sa sœur, qui étaient allées chercher du ravitaillement, à leur retour se joignirent au cercle. Sa mère étreignit ses enfants comme s’ils étaient deux jeunes oisillons. Alors le cercle de chaque famille se resserra, se pressant les uns contre les autres et les grenades détonnèrent. Des explosions assourdissantes se firent écho et les gens crièrent. À cet instant, un feu de mortier américain s’abattit sur eux. Comme il était un enfant, Masao n’a pas reçu de grenade, mais le milicien (“ local defense soldier ” dans le texte, ou bôeitai) près de lui en avait une et elle explosa. Sur le sol gisaient des gens recouverts de sang. Les corps allongés les uns sur les autres. Ce jour-là, 315 personnes moururent sur l’île de Tokashiki, soit le tiers de la population du village de Awaren. Les personnes en familles qui ne parvinrent pas à faire exploser leurs grenades s’entre-tuèrent à la faucille ou au rasoir, en se frappant avec des battes ou des rochers ou s’étranglèrent avec des cordes…Ceux qui encore en vie se pendirent eux-mêmes ».

    Dans d’autres cas, les militaires accompagnent en les contraignant peut-être les civils dans la mort, comme en témoigne notamment le récit de Frank Barron, combattant de la 77e division d’infanterie. L’action se déroule à Kerama Retto, le 26 mars 1944 : « Comme nous atteignions le sommet du premier repli de terrain, j’ai réalisé que les fantassins autour de moi étaient pétrifiés. Aussitôt mon attention a été attiré par un groupe de civils. Sur notre droite, sur le rebord du précipice, une jeune femme portant un nourrisson dans ses bras, avec derrière elle, une autre jeune femme, précédée d’un enfant de 2 ou 3 ans. Elles étaient à 30 ou 40 pieds de moi, toutes les deux nous regardant fixement comme de petits animaux apeurés. À cet instant, apparu la tête d’un homme derrière les épaules de la femme (sic). Je n’ai pu seulement voir que sa tête et son cou, mais il avait un collet d’uniforme. Si cet homme a une arme, à savoir une grenade, nous serions réellement en situation périlleuse, à moins que nous n’ouvrions le feu et tuions l’ensemble des individus se trouvant sur cette colline. J’ai fait signe à l’homme de s’approcher de moi, tandis que je me déplaçai de quelques pas pour voir si il avait quelque chose à aux mains. En un instant, ils étaient tous évanouis. Si j’avais  fait quelques pas de plus, j’aurais pu voir leurs corps rebondir le long de la paroi jalonnant leur chute. »

    Ailleurs, les suicides en masse se firent avec de la mort-au-rat, quand les grenades vinrent à manquer (île de Zamami, en ce lieu 358 civils trouvèrent la mort). Il y eu des cas, où des officiers poussèrent la population au suicide, puis se rendirent aux troupes américaines (îles de Tokashiki et de Zamami).

    Cet ensemble de témoignages illustre le contexte d’extrême tension nerveuse dans laquelle se trouvait les habitants. Si il est impossible de connaître les mobiles exacts des personnes à s’entre-tuer ou à commettre l’acte suprême d’autodestruction. Les actes perpétrés par les uns et les autres sont révélateurs d’un contexte : il existe probablement une étude sur ces questions, mais pour saisir ces mécanismes, je renvoie à la lecture du livre d’Alain Corbin (Le village des cannibales), une analyse du massacre d’Hautefaye en 1870.

    En définitive, cette tactique délibérée ou non a eu pour effet de raidir l’affrontement : les soldats américains préférant souvent ouvrir le feu, et même sur des enfants, que d’être victimes d’une potentielle attaque suicide.

    Okinawa : une « bataille Ragnarök » dans une guerre totale ?

    Nous pourrions qualifier l’affrontement d’Okinawa de « bataille Ragnarök », une bataille ultime, eschatologique (nous signalons au passage que cette dimension n’apparaît pas dans la mythologie japonaise). Pourquoi ?

    Tout d’abord parce qu’elle se déroule sur le sol national, comme à Iwo Jima. Il ne s’agit plus d’îles lointaines comme auparavant. Nous sommes dans le contexte des bombardements de Tôkyô, celui de la nuit du 9 au 10 mars (20 jours avant l’attaque générale sur Okinawa), surpasse en victimes et en intensité celui de Dresde (100 000 victimes de bombes incendiaires lancées de manière à provoquer un maximum de dégâts sur la population et leurs habitations, 30 km2 de surface urbaines ont été détruits). En cette fin de conflit (commencé en 1937), la violence devient quasi-paroxystique et le nombre des pertes humaines augmente sensiblement (186 000 combattants jusqu’en 1941, puis 2 millions, dont 400 000 civils entre 1942 et 1945).

    Les officiers supérieurs (et probablement une large partie de la population) ont conscience de livrer une bataille perdue d’avance… Le capitaine Koichi Itoh a déclaré, lorsqu’il a été interrogé sur ces événements plusieurs années après : « Je n’ai jamais envisagé, après le commencement de la guerre, que nous puissions la gagner. Mais après la chute de Saipan, je me suis résolu à admettre que nous l’avions perdue. »

    Quelque puisse être le mobile, l’honneur, la défense de la patrie, différer l’invasion américaine, etc., la guerre est perdue et l’on redoute la ire du vainqueur (le sentiment de peur est entretenu par la propagande) et peut-être la fin d’une vision du Japon.

    À cela s’ajoute des facteurs internes, tout d’abord le rôle de la propagande. Si cette dernière a pu être intériorisée par les combattants japonais (et en particulier sur les officiers) et peut-être les plus jeunes habitants d’Okinawa, son impact est difficile à déterminer, mais les acteurs ont dû se positionner par rapport à elle. De la lucide méfiance (dans sa lettre Sasaki Hachirô qualifie de « litanies creuses » les discours des « chefs militaires ») à l’adhésion sincère et naïve (dans son journal personnel un jeune habitant d’Okinawa de 16 ans qualifie les Américains de « Bêtes démoniaques », plusieurs passages du texte répète son patriotisme et son attachement au Japon au point de donner sa vie), la palette des motivations a pu varier dans le temps. Les femmes et les enfants qui se donnent la mort « à chaud » dans la bataille n’ont probablement pas suivi le même « raisonnement » qu’un pilote de kamikaze qui « à froid » décide de se porter volontaire pour une mission sans retour.

    Ces suicides marquent aussi un refus de la réalité, de la défaite et de ses possibles conséquences. D’autant et bien qu’occulté par l’ampleur du nombre des suicides parmi les civils, il apparaîtrait aujourd’hui que, comme sur le sol français (et à une échelle moins importante que l’armée russe en Allemagne au printemps 1945), des soldats américains aient violé des habitantes de l’île (peut-être 10 000 cas).

    Cette bataille (par un phénomène déjà constaté dans d’autres engagements nippo-américains dans le Pacifique et en particulier à Saipan) prend une dimension symbolique : le Japon offre la valeur (et les valeurs traditionnelles) de ses combattants aux moyensimpersonnels et techniques de l’armée américaine… Cette interprétation paraît résulter autant d’une décision pragmatique sur le champ de bataille que d’une interprétation dépréciative sur la combativité du soldat américain. L’exemple des femmes armées de lance (à l’instar des « fédérés » de la Révolution française, mais aussi parce que les armes longues sont généralement l’apanage des femmes au Japon, par exemple le naginata) symbolise l’engagement total d’un peuple (les femmes étant généralement tenues éloignées du métier des armes) pour défendre son sol, teintés de la part de quelques officiers d’une forme de mépris de la vie humaine. La dimension symbolique se retrouve peut-être également dans les suicides de mères et de leurs enfants du haut des falaises d’Itoman, peut-être un répétition involontaire et inconsciente du sacrifice du jeune empereur Antoku, précipité dans les flots par sa grand-mère Nii qui l’accompagne dans la mort lorsque la bataille navale de Dan-no-Ura (1185) a été perdue pour le clan Taira (face aux Minamoto qui instaureront le premier shôgunat).

     

    Si ces facteurs ont motivés les suicides compulsifs (coercition des militaires, propagande et l’éducation données aux jeunes habitants de l’île dans le cadre d’une politique d’assimilation), on recherche aussi échapper à l’ennemi et la mort paraît être le seul refuge, comme pour les défenseurs de Massada… On redoute la culpabilité et l’infamie pour avoir préféré le déshonneur de vivre et d’endosser une partie de la responsabilité de la défaite… On retrouve un écho de cet état d’esprit (notamment dans la littérature et les mangas) dans la jeune génération n’ayant pas pris les armes de l’après-guerre… Les arguments culturels ont été avancés, le code de l’honneur du « bushidô » (en réalité une construction intellectuelle à destination des Occidentaux) notamment… Mais que penser de la lettre de Ichizu Hayashi, pilote de confession chrétienne ? On se rend bien compte qu’il est quasi-impossible de comprendre totalement le phénomène.

    En 1944, le Japon était entré, selon l’expression de Maurice Pinguet, dans l’« engrenage du sacrifice » : « Dans la guerre du Pacifique, l’armée japonaise avait mis son existence en jeu, la défaite serait sa mort – ce serait donc aussi la mort du Japon : elle s’identifiait trop étroitement à la nation pour imaginer une autre conclusion. » Cela, je pense, résume bien ce qui s’est déroulé à Okinawa à une échelle ayant atteint quasiment son paroxysme.

    Rémy Valat http://www.europemaxima.com/

    Notes

    1 : L’accord initial prévoyait, selon une source rendue disponible par la marine américaine en 2009, le départ de l’état-major du IIIrd M.E.F. pour Guam. Cette structure est un élément singulier des forces américaines outre-mers : elle est dirigé par un lieutenant-général qui commande les forces américaines sur l’île et sert de coordinateur pour la « zone d’Okinawa ».

    2 : Cf. http://japon.aujourdhuilemonde.com/au-japoncontre-les-viols-des-soldats-americains-les-femmes-lancent-un-cri-dalarme

    3 : Le 28 août dernier, le ministre de la Défense japonais, Itsunori Onodera et le secrétaire d’État à la Défense nord-américain, Chuck Hagel, ont entamé une discussion en faveur d’une possibilité pour les forces aériennes d’autodéfense japonaise d’effectuer des frappes préventives sur des bases ennemies (c’est-à-dire contre la Corée du Nord).

    4 : Joanna Bourke, Intimate Story of Killing. Face-to-Face Killing in Twentieth-Century Warfare, Londres, Granta, 1999. Cette étude aborde aussi la guerre du Pacifique, bien que centrée sur la Première Guerre mondiale.

     

    Bibliographie

    • Astor Gerald, Operation Iceberg. The invasion and conquest of Okinawa in World War II, World War II Library, 1995.

    • Daily Yomiuri (The), 24 juin et 16 août 2012.

    • Kakehashi Kumiko, Lettres d’Iwo Jima. La plus violente bataille du Pacifique racontée par les soldats japonais, Les Arènes, 2011.

    • Lamont-Brown Raymond, Kamikaze. Japan’s suicide samurai, Cassell Military Paperbacks, 1997.

    • Margolin Jean-Louis, Violences et crimes du Japon en guerre (1937 – 1945), Hachette, Pluriel, 2007.

    • Pinguet Maurice, La mort volontaire au Japon, Tel – Gallimard, 1984.

    • Rabson Steve, The Politics of Trauma. Compulsory Suicides During the Battle of Okinawa and Postwar Retrospectives, http://intersections.anu.edu.au/issue24/rabson.htm.

    • U.S. Army in the World War II. The War in the Pacific. Okinawa The last battle,www.ibiblio.org/hyperwar/USA/USA-P-Okinawa/USA-P-Okinawa.

    Concernant les violences et leur dimension psychologiques en temps de guerre, voici quelques pistes de lectures :

    — Alain Corbin, Le village des cannibales, Aubier, 1990.

    — Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires, le 101e bataillon de réserve de police allemande et la solution finale en Pologne, Belles Lettres, 1994, (chapitre « Des hommes ordinaires »).

    — Louis Crocq, Les traumatismes de guerre, Odile Jacob, 2006.

    — Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et des génocides, Le Seuil, 2003.

    — Rémy Valat, Les calots bleus et la bataille de Paris. Une force de police auxiliaire pendant la guerre d’Algérie, Michalon, 2007 (chapitre « Salah est mort ! Les moteurs psychologiques d’une unité en guerre »).

  • Le roi injustement mal aimé

    Il y a quelques années, lorsqu’on voulait montrer à un étudiant à quel point la vérité pouvait être éloignée des élucubrations partisanes, on lui donnait à lire les ouvrages de Pierre Gaxotte. Ceux-ci, à bien des égards, conservent leur valeur. Toutefois, depuis 1933, date de parution du Siècle de Louis XV, les historiens ont dépouillé des milliers de liasses d’’archives. En matière d’’histoire économique, ils ont étudié les fluctuations à périodes courtes et longues, et leurs conséquences sur la vie du continent tout entier, y compris sur sa démographie. Ils ont avec Roland Mousnier, élaboré le concept de société d’’ordres et étudié son évolution progressive vers la société de classes. On ne peut plus, de nos jours, comprendre le XVIIIe siècle sans avoir lu les grands livres de Michel Antoine (1) et d’’Emmanuel Leroy-Ladurie (2). Une mise à jour des brillants essais de Pierre Gaxotte s’’imposait. Elle se trouve réalisée avec ce livre de M. Aimé Richardt.
    Vivants portraits
    Il séduit d’’abord par ses qualités de style et par la clarté de sa présentation. Il comporte des chapitres courts, subdivisés en paragraphes, coiffés de titres ce qui est commode – et on y trouve même, en annexe, deux documents d’’histoire économique et sociale extraits d’’archives provinciales ; un rappel des opérations militaires de 1756 à 1763 - ce qui allège le récit de noms et de dates de batailles –- et enfin, en quelques pages, une claire généalogie, permettant d’’éviter toute confusion : la descendance de Louis XV et de son fils le Dauphin Louis. Le livre de M. Richardt est un précis comme l’’on disait autrefois, dans lequel les explications accompagnent les faits.
    À la différence de l’’école dite des Annales, qui a sévi longtemps, il attache beaucoup d’’importance aux personnalités. De là de vivants portraits du roi, de son épouse, et bien sûr, de ses maîtresses. On devient indulgent à l’’égard de Louis XV, marié trop jeune à une princesse plus âgée que lui, et l’’on sait, grâce à une magnifique exposition, qui eut lieu il y a quatre ans, ce que furent le charme et la culture de Mme de Pompadour (3). Très vivantes également, sont les évocations du régent et du cardinal de Fleury, exemple de promotion sociale par la voie cléricale, au demeurant parfaitement justifiée. Tous les événements du règne sont présentés avec exactitude, ainsi la bataille de Fontenoy, mais ils sont accompagnés des critiques formulées notamment dans des chansons ou de petits vers moqueurs.
    La révolution royale
    S’’il ne dissimule nullement les faiblesses et les hésitations de Louis XV, M. Richardt expose avec clarté la grandeur de l’œ’œuvre qu’’il ne réalisa malheureusement que sur le tard : la réforme du pouvoir judiciaire. Il expose, et il a raison de le faire de façon à la fois détaillée et très claire, la lutte acharnée qui mit aux prises le duc d’’Aiguillon, exerçant depuis 1733, les fonctions de gouverneur de Bretagne, et le procureur général du Parlement de Rennes, La Chalotais, soutenu par ses confrères. L’’importance de l’’enjeu explique l’’acharnement des parlementaires : ils prétendaient contrôler tous les actes, même les plus secrets, de l’’administration royale, faire comparaître devant eux les agents du roi, et notamment statuer sur leur conduite. Ils voulaient faire de même des intendants, les meilleurs serviteurs du pouvoir, les rendre responsables devant les juges, comme en Angleterre, des actes effectués dans l’’exercice de leurs fonctions.
    Il apparut évident qu’’il fallait ôter aux parlements et autres cours souveraines leurs pouvoirs touchant aux domaines politique et administratif. Il était “de salut public” d’’opérer une modernisation, de confiner les tribunaux dans leurs fonctions judiciaires, de séparer la justice de l’’administration, de libérer l’’État pour ses tâches propres.
    La révolution royale eu lieu dans la nuit du 19 au 20 janvier 1771, et M. Richardt en précise les grandes lignes. L’’Édit du 23 février, portant création des “Conseils supérieurs” était excellent. Mais, il mécontentera bien du monde, à commencer par les bénéficiaires du régime antérieur, ainsi qu’’une opinion aveugle. Et l’’on vit partir dans l’’opprobre, le 12 mai 1774, ce roi qui avait vu et tenté le bien, et à qui il n’’avait manqué, sans doute, qu’’une lourde poigne de “despote éclairé” pour être acclamé et aimé...
    Le livre de M. Richardt, bien informé et écrit, constitue une bonne synthèse concernant le règne de ce roi fort injustement mal aimé”.
    René Pillorget L’’Action Française 2000– du 18 au 31 janvier 2007
    (1) Michel Antoine : Le cœœur de l’’État. Surintendant, contrôle général et intendances des finances, 1552-1791. Éd. Fayard, 2003.
    (2) Emmanuel Leroy-Ladurie : Histoire des paysans français. De la Peste noire à la révolution. Éd. du Seuil, P.U.F., 2002.
    (3) Exposition : Madame de Pompadour. Réunion des Musées nationaux, 2002.
    * Aimé Richardt : Louis XV le malaimé. Préface du prince Jean de France, duc de Vendôme ; présentation de Bertrand Renouvin ; postface de Michel Fromentoux. Éd. François-Xavier de Guibert. 384 pages. Disponible à nos bureaux : 29 euros. Franco: 32,77 euros.