culture et histoire - Page 1879
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Méridien Zéro - Entretien avec Alexandre Guelievitch Douguine
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In Memoriam futur proche
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Le fascinant Jean Bourdier
Avant de diriger l'hebdomadaire Minute, Jean Bourdier s'illustra parmi les étudiants bagarreurs du Quartier latin, où il chahutait les vendeurs de L'Humanité aux côtés des camelots du roi...
JEAN BOURDIER est mort il y a un an (le 3 octobre 2010). « Journaliste obstiné, écrivain occasionnel, Berrichon chauvin et maurassien stoïque », il vécut un roman épique : étudiant bagarreur au Quartier latin, passé par l'AF, dirigeant des Jeunes indépendants de Paris, soldat en Tunisie, engagé dans l'OAS, journaliste, directeur de Minute, éditeur... Un roman que le critique littéraire qu'il fut jugeait ainsi : « Quoiqu'il advienne de moi maintenant, j'ai eu la chance malgré les drames traversés en même temps que mon pays, d'avoir eu une existence merveilleuse. Non par mes propres mérites, mais par ceux des hommes et des femmes que le sort m'a fait rencontrer. » Jean-Baptiste Chaumeil a rassemblé dans un recueil les témoignages retraçant les tribulations d'un gentleman à qui fut épargné la « sottise absolue » de désespérer.... de ses amis. Nous reproduisons ci-dessous le témoignage de Pierre Chaumeil, ancien secrétaire de rédaction d'Aspects de la France, autre gentleman devenu "farmer" depuis qu'il s'est retiré sur son pré carré du Cantal. N.M.
À l'époque (vers 1946-1947), j'écrivais un billet violemment anti-communiste hebdomadaire pour le Journal du Cantal, organe départemental du Parti des Indépendants et Paysans dont l'un des pontifes n'était autre que Camille Laurens, député du Cantal, qui fut ministre de l'Agriculture durant quelques années. Plus tard, étudiant à Paris, je rencontrai Camille Laurens qui me déclara tout de go qu'il m'avait inscrit aux Jeunes Indépendants et Paysans qu'il venait de créer. Quoi qu'il en soit, quelques mois plus tard, je me rendis à une assemblée générale de ces jeunes. Nous étions une vingtaine (pour toute la France !) et il y avait là Jean Bourdier. Moins grand que moi, plus frêle aussi. Nous bavardâmes avec des remarques sans pitié pour le blabla des pontes du parti venus voir ces jeunes.
Jean prônait l'action. Moi aussi, qui n'en manquais pas trop, adhérent de l'Action française, vendeur volontaire d' Aspects de la France à la criée, héritier des fameux Camelots du roi ! Plus encore, j'avais été sélectionné par Gérard Gilles pour entrer au redoutable Groupe Lescure qui rassemblait les cogneurs déterminés de l'AF et qui prêtaient serment. En 1952-1953, ce fut l'idée de la Communauté européenne de défense qui apparut. Cette CED était appelée à créer une unité de combat militaire franco-allemande. D'emblée, l'AF y fut opposée à juste titre. Par ailleurs, tous les jours, de 11 h 30 jusqu'à midi et demi, des étudiants, appuyés de quelques gros bras du parti, vendaient L'Humanité à la porte de la Sorbonne, et le Groupe Lescure décida de le leur interdire. C’est-à- dire que la moitié du Groupe se tenait prête, dès 11 heures, à attaquer les vendeurs cocos et leurs protecteurs.
Bavette de boeuf
Jean Bourdier, ayant quitté les Indépendants et Paysans, avait constitué un groupe de valeur dénommé Jeunes Indépendants de Paris (JIP). Il eut vent de l'affaire de la Sorbonne car il venait à toutes les réunions publiques de l'AF, comme la plupart d'entre nous se rendaient aux conférences de Pierre Taittinger, mentor des JIP. Toujours est-il que ce matin de mars, à 11 heures, les "casseurs" du Groupe Lescure se trouvaient rejoints par une bonne poignée de JIP avec... Jean Bourdier. Nous avions choisi de nous rassembler rue Soufflot, car cela nous avantageait, nous n'avions qu'à dévaler la rue de la Sorbonne et à attaquer dans la descente les vendeurs de L'Huma et leurs protecteurs. Ce qui fut fait à midi pile. Il va sans dire que nous reçûmes quelques coups et le courageux Jean portait à l'oeil droit un énorme coquard. Nous remontâmes vers la rue Soufflot en passant devant nos adversaires assommés et les débris des Huma déchirées. Rue Soufflot, Jean Bourdier nous fit entrer dans un bistrot propre et coquet tenu par deux jeunes Anglaises. Jean commanda aussitôt une tranche de bavette de boeuf cru qu'il s'appliqua derechef sur l'oeil droit et à l'entour. Puis il bavarda avec nous comme si de rien n'était. C'est dans ces conversations qu'il était proprement fascinant. Il avait une connaissance extraordinaire et précise de l'histoire de France et de l'Europe, à quoi il faut ajouter une science exacte de la vie parlementaire française depuis un siècle. Cette extraordinaire mémoire, je n'en ai connue qu'une autre, celle de Louis-François Auphann, cousin de l'amiral et chef des informations de L'Action Française. Une demi-heure de conversation animée et la fascination reprenait : Jean rendait sa bavette aux deux Anglaises et il avait l'oeil débarrassé de toute marque, ses paupières étaient redevenues roses comme devant !
Amateur de blanc sec
Il se savait un peu léger en poids et en gabarit, mais son audace le contraignait à se battre, ce qui est le fait du véritable courage. Bien sûr, tout cela n'allait pas sans boire : pour lui du blanc sec, pour moi et la plupart, du rouge et de la bière... Troisième fascination : plus Jean Bourdier buvait, plus il se détachait, se raidissant en se flegmatisant, si l'on peut dire, à la manière des Britanniques. Alors qu'au contraire, nous autres devenions prolixes, bavards et rêveurs... Enfin, j'ai gardé pour Jean une amitié plutôt admirative, regrettant ses trop longs séjours outre-Manche. Et voici une dizaine d'années, je fis avec quelques confrères, dont Brigitte Bourdier, son épouse, un voyage de gastronomes à Séville et au pays de la manzanilla. J'ai offert à Brigitte un sombrero de couleur amarante et, pour qu'elle le remette à Jean, une navaja de Tolède qui fut loin de pouvoir trancher notre amitié. À bientôt, Jean.
Pierre Chaumeil L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 20 octobre au 2 novembre 2011
✓ Jean Bourdier, un gentleman français, Dualpha, 220 pages, 23 euros. Le même éditeur publie un livre posthume de Jean Bourdier, Mensonges historiques (235 p., 24 euros) qui démasque quelques forgeries contemporaines . -
Les rebelles s’en prennent au patrimoine culturel syrien
On pouvait malheureusement s’y attendre. Les sites archéologiques syriens sont le point de mire des rebelles. Le patrimoine culturel de la Syrie, héritage d’une histoire millénaire, est la partie la plus vulnérable mais aussi la plus attrayante pour les destructeurs du pays arabe. Complètement indifférents à la valeur qu’ont les sites et les pièces de collection aux yeux des Syriens mais aussi pour les personnes un tant soit peu civilisées, les rebelles sont en train de faire des ravages pour en tirer quelque profit. L’Irak a été pillé en son temps sous l’œil complice des troupes d’occupation. C’est désormais au tour de la Syrie. « Certains jours nous sommes des combattants et d’autres, nous sommes archéologues », déclare ironiquement dans un entretien au Washington Post un jeune rebelle de 27 ans originaire de la ville d’Idlib. Comme lui, d’autres rebelles interrogés par le quotidien d’Outre-Atlantique ont admis la contrebande d’antiquités, officiellement pour financer leur lutte contre le gouvernement de Bachar el-Assad.
Toujours selon le Washington Post, des dizaines d’œuvres ont disparu en quelques mois à peines. Pis, certaines sont irrémédiablement endommagées. Parmi les objets volés, une statue en or datant de l’époque araméenne (VIIIème siècle avant l’EC) provenant du musée d’Hama et désormais inscrite sur les tablettes d’Interpol. Plus grave encore, des mosaïques byzantines de la cité romaine d’Apamée, près d’Alep, ont été retirées au bulldozer.
Ceci n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg, et quand on sait tout ce que la Syrie recèle en matière de patrimoine (Palmyre, les châteaux des croisés, les sites pré-phéniciens, les villes de Damas et Alep, etc.), on peut facilement imaginer que les contrebandiers y trouveront leur compte.
Il existe, selon le Washington Post, de véritables équipes de fouilles composées de jeunes dont la mission est de trouver dans les sites archéologiques de l’or, des statuettes, des mosaïques, et tout ce qui peut avoir une valeur marchande, fut-ce au prix d’irréparables déprédations. La destination principale des œuvres volées est la Jordanie, où la contrebande est favorisée par le flux quotidien de quelque 2.000 réfugiés. « Tous les jours, nous sommes contactés pour acheter de l’or syrien, des mosaïques syriennes et des statuettes syriennes », a confirmé un antiquaire d’Amman. « Damas est vendue ici à Amman, pièce par pièce ».
La contrebande syrienne rappelle ce qui est survenu durant l’invasion de l’Irak par les États-Unis, car la Jordanie était également considérée comme un point de passage obligé pour les trésors volés. « Il est encore trop tôt pour comparer la situation en Syrie avec ce qui s’est passé en Irak », a dit Nayef Al Fayez, ministre du tourisme et des antiquités de Jordanie, « mais quand il y a des problèmes de sécurité, les sites archéologiques en sont les premières victimes. Et nous nous attendons à ce que ces événements se multiplient ».
L’UNESCO n’a pas été en mesure pour le moment de quantifier l’ampleur des pillages et des détériorations du fait de la difficulté d’accéder aux sites historiques dans un pays en proie à des attaques terroristes. Le krak des chevaliers, l’un des plus beaux châteaux inscrit au patrimoine de l’humanité, a été exposé à des tirs et à des bombardements. Les anciens souks d’Alep sont partis en fumée et la ville de Bosra, jadis capitale de la province romaine d’Arabie, a subi également d’importants dommages.
« Les gens peuvent nous condamner et nous traiter de voleurs », commente Abou Majed, un déserteur âgé de 30 ans qui dirige les chemins de la contrebande dans le sud du pays, « mais parfois, on doit sacrifier le passé pour garantir le futur ». Du fanatisme à la barbarie, il n’y a qu’un pas.Martin Capitaine http://www.voxnr.com
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Science sans conscience n'est que ruine de l'homme
Lorsque la science se met au service du Meilleur des mondes, elle détruit l'humanité.
« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », écrivait déjà Rabelais. Et cette ruine de l'âme fait la ruine de l'Homme. Comme l'écrit Jacques Attali dans un article dont Monde et Vie a précédemment rendu compte(1), les progrès techniques découlent des « valeurs » sur lesquelles se construit sous nos yeux le Meilleur des mondes « et s'orientent dans le sens qu'elles exigent ». Autrement dit, ils se mettent au service de ces prétendues valeurs (dans certains cas, car il ne s'agit pas ici de refuser le progrès scientifique en soi mais l'usage qui peut en être fait). À cet égard, Attali constate une progression de la pilule à la gestation pour autrui (GPA), autrement dit les mères porteuses, en passant par la procréation médicalement assistée (PMA). De la séparation de la sexualité et de la procréation, nous en arrivons en effet au divorce de la procréation et de la maternité.
Attali prévoit l'émergence à terme d'une « humanité unisexe », où des individus quasiment similaires, nantis pour les uns d'ovules, pour d'autres de spermatozoïdes, les mettront en commun pour faire naître des enfants, « seul ou à plusieurs, sans relation physique, et sans même que nul ne les porte. »
Science-fiction ? Reportons-nous à ce qu'écrivait dans l'un de nos récents numéros(2) le docteur Jean-Pierre Dickès : « on travaille actuellement à ce que l'on appelle une ectogenèse, un développement de l'embryon hors du sein maternel. L'utérus artificiel est devenu une réalité. » Dans le même article, le docteur Dickès évoquait aussi ; les travaux du docteur Craig Venter visant à créer un nouveau génome humain, ou encore la possibilité de « réaliser » (selon son expression) un enfant à partir du génome de deux femmes : il existe déjà dans le monde une trentaine d'enfants qui ont deux mères biologiques et le procédé est en cours de validation en Angleterre, précisait-il.
Le clonage humain est au bout du même chemin scientifique : pourquoi ne pas reproduire son double et accéder ainsi à une contre-façon de cette immortalité, à laquelle l'homme aspire mais dont Dieu seul était le maître jusqu'à présent ?
Cette vieille tentation luciférienne de la créature qui voudrait prendre la place du Créateur, ce rêve prométhéen, ne seraient-ils pas enfin, grâce à la science, à portée de main ? Le diable a endossé une blouse blanche ; et l'homme se rêve dieu.
Quand on touche à la génétique, une autre tentation se fait rapidement jour, celle de l'eugénisme. Si l'homme devient son propre créateur, pourquoi ne se créerait-il pas parfait et tout-puissant ?
Pour y parvenir, on commencera par éliminer les éléments défectueux, d'abord par le « dépistage » du handicap dans le sein maternel et l'avortement - mais rapidement, de manière moins archaïque, par la procréation artificielle et le tri génétique.
L'enfant choisi sur catalogue
Là encore, l'expérience est en cours et le progrès en marche. Aux États-Unis, où 1 % des bébés sont « produits » par PMA, existent déjà des cliniques telles que le Fertility Institute à Los Angeles, dirigé par le docteur Jeffrey Steinberg. Sur les 800 femmes qui y eurent recours à une fécondation in vitro (FIV) en 2009, écrit un journaliste du Monde Magazine qui y a réalisé un reportage(3), « 700 étaient en parfaite santé et auraient pu avoir un enfant de façon naturelle. Elles ont décidé de subir cette intervention coûteuse, contraignante et peut-être risquée dans un seul but : choisir le sexe de leur bébé. » Aux États-Unis, en effet, « le diagnostic génétique des embryons réalisé à l'occasion d'une FIV est légal quelles que soient les motivations des futurs parents. Trois jours après la fécondation de l'ovule, on prélève une cellule de l'embryon pour examiner son code génétique. » Reste à choisir à la carte : fille ou garçon ? Coût total de l'opération : 25 000 dollars.
Mais pourquoi s'en tenir au sexe de l'enfant ? Le docteur Steinberg a voulu proposer aux parents de choisir aussi la couleur des yeux de leur progéniture, mais une polémique déclenchée par les médias l'a obligé à y renoncer. Provisoirement, sans doute... Car il se prend à rêver : après tout, « depuis la nuit des temps, les parents rêvent d'avoir des enfants vigoureux, beaux, intelligents. Ils sont prêts à tous les sacrifices pour les aider à réussir dans la vie. »
Le docteur Zeringue exerce lui aussi dans une clinique californienne, où il propose aux couples un forfait à coût réduit (12 500 euros tout de même) pour pratiquer une FIV.
Pour pouvoir pratiquer ce « hard discount » de la fécondation in vitro, il a imaginé de promouvoir le don d'embryons surnuméraires offerts par les couples ayant déjà eu un enfant grâce à la PMA, et même de créer lui-même des embryons dans sa clinique - j'ai failli écrire : sa cuisine -, à partir de dons de sperme et d'ovules. « La clinique devient ainsi propriétaire des embryons, qu 'elle peut ensuite revendre, explique un article paru sur le site internet du consulat de France à Atlanta. Les futurs parents ont la possibilité de sélectionner leur embryon selon le profil de chaque donneur (taille, couleur des yeux...). Une fois que la clinique a réuni plusieurs couples s'accordant sur la même "combinaison" sperme/ovule, elle obtient alors par FIV une dizaine d'embryons (comme dans une FIV classique) qu'elle va ainsi répartir à travers les différents couples, chacun obtenant 2 ou 3 embryons provenant de la même fécondation. (...) Cependant, en faisant le choix de passer par cette clinique, les parents, qui payent moins cher, acceptent d'avoir un enfant avec lequel ils n 'auront aucun lien génétique et qui aura sûrement plusieurs frères et sœurs biologiques dans d'autres familles. » Mariages et incestes possibles à la clef...
Au bout du compte, le Meilleur des mondes recrée l'homme en le réduisant à la matière ; il n'est toujours pas parvenu à le doter d'une âme.
Hervé Bizien monde & vie 19 mars 2013
1.Monde et Vie n° 872, mars 2013
2.Monde et Vie n° 871, février 2013
3.Yves Eudes, La clinique des bébés sur mesure, Le Monde Magazine, juillet 2007 -
Un autre socialisme est possible !
Anarchie plus un ». Inspiré d’un aphorisme de Maurras, ce slogan a fait les beaux jours de 68, lorsque quelques jeunes royalistes le griffonnaient çà et là pour exprimer leur rejet de la république bourgeoise.
Si la fraternisation avec les lanceurs de pavés n’eut qu’un temps, ces dissidents de l’Action Française créèrent la NAF puis la NAR (Nouvelle Action Royaliste) la décennie suivante, non sans avoir délesté leur corpus idéologique de l’antisémitisme d’Etat et des compromissions du vieux félibre (mais à force d’avoir delésté leur corpus, ils ont fini par jeter le bébé avec l’eau du bain et ne plus avoir de corpus, NDLR). L’Histoire de ces socialistes monarchistes reste encore largement à écrire, tant la doxa les associe à une droite réactionnaire, méprisant la plèbe au nom de sa proximité avec le Comité des Forges. C’est oublier l’expérience du cercle Proudhon qui, au début du siècle dernier, regroupait royalistes d’Action Française et syndicalistes révolutionnaires comme Georges Sorel (1847-1922) et Edouard Berth (1875-1939). Auteur des Méfaits des intellectuels, Berth dernier reste injustement occulté de l’histoire officielle du socialisme. Il est heureux que l’érudit Alain de Benoist retrace sa trajectoire sinueuse dans un essai inspiré. Socialiste, patriote et conservateur, Berth célébrait les valeurs héroïques du prolétariat et de l’aristocratie contre les marchands du Temple. Il fraya un temps avec Maurras au nom de leur commune opposition à la démocratie bourgeoise, avant de s’enthousiasmer pour la révolution bolchévique – dont il regrettera la fossilisation bureaucratique. Avec Sorel, Berth donna toute sa vigueur au « mythe » de la grève générale pour imaginer un monde alternatif tant à la cogestion syndicale qu’à la préservation corporatiste des acquis sociaux. Le beau livre d’Alain de Benoist nous plonge dans l’esprit originel de la charte d’Amiens, une contre-culture ouvriériste réfractaire aux « illusions du progrès » (Sorel) que la CGT nouvelle a tôt fait d’oublier. À lire pour ne pas désespérer Florange !
Alain de Benoist, Edouard Berth, Le socialisme héroïque. Sorel-Maurras-Lénine, Pardès, 2013.
Daoud Boughezala -Causeur
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Alexis de Tocqueville, un aristocrate libéral
Alexis Henri Charles Clérel, vicomte de Tocqueville, naquit à Paris le 29 juin 1805 au sein d'une famille de vieille noblesse normande, comptant parmi ses ancêtres, dit-on, un compagnon de Guillaume le Conquérant. De leur terre d'origine en pays de Caux, les Clérel partirent au XIVe siècle se fixer dans le Cotentin. Au XVIIIe siècle, Bernard Clérel, comte de Tocqueville, épousa Catherine-Antoinette de Damas, descendante de saint Louis. Le fils né en 1772 de ce mariage, Hervé, épousa Louise-Madeleine Le Pelletier de Rosambo, dont le grand-père maternel, Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, ami des philosophes, ministre puis avocat du roi Louis XVI, mourut sur l'échafaud en 1794.
Les malheurs s'abattirent alors sur la famille et Hervé n'échappa à la guillotine que grâce à la chute de Robespierre le Neuf Thermidor. Il semble malgré tout, contrairement à son épouse toujours royaliste, avoir gardé toutes ses illusions sur les Lumières et sur la Révolution qu'il suffisait, pensaient les esprits avancés, de "contenir"... C'est dire de quel écartèlement idéologique héritaient les trois fils d'Hervé : Hippolyte, né en 1797, Édouard, né en 1800 (futur député, régent de la Banque de France et pair de France) et Alexis.
Esprit indépendant
Ce dernier fut d'abord instruit par l'abbé Lesueur, ancien prêtre réfractaire, puis il entra au collège de Metz et suivit à Paris de bonnes études de droit. En 1827, le voici juge auditeur à Versailles. Il affichait déjà une certaine indépendance d'esprit, savourant dans les oeuvres de François-René de Chateaubriand (beau-frère de sa tante Aline de Rosambo) le goût de la liberté qu'étaient censés cultiver les États-Unis.
Le renversement de la branche aînée des Bourbons et l'avènement du roi Louis-Philippe en 1830 le laissa insatisfait. Bien qu'ayant prêté du bout des lèvres le serment au nouveau roi exigé des magistrats (ce qui fut très mal vu d'une grande partie de sa famille), il demanda peu après un congé pour se rendre en Amérique sous prétexte d'y étudier, avec son ami Gustave de Beaumont, le système carcéral tant vanté par les philanthropes du temps. Pendant neuf mois, il rassembla une abondante provision de notes sur la démocratie américaine où lui paraissaient s'accorder la vraie liberté avec la vraie égalité...
À son retour en France, ayant épousé Marie Mattley, une Anglaise qui adopta la religion catholique, Alexis abandonna la magistrature et rédigea De la démocratie en Amérique. Dès la publication en 1835, le succès fut inouï et l'auteur salué comme un nouveau Montesquieu. Les portes de l'Académie des Sciences morales et politiques lui furent ouvertes dès 1838, celles de l'Académie française en 1841. Il venait alors de publier le second tome de De la démocratie en Amérique.
Piètre politique
Crut-il vraiment que cette renommée lui ouvrait un destin politique ? Toujours est-il que sous la Monarchie de Juillet, il fut député totalement indépendant, écartant le patronage du comte Molé (pourtant son cousin), dédaignant même les éloges du roi, s'obstinant à siéger sur les rangs de la gauche dynastique, refusant sa confiance au Premier ministre François Guizot, soutenant fortement la colonisation en Algérie, dénonçant l'électoralisme...
Après la révolution de février 1848, il se rallia à la république qui fit de lui en juin et pour quelques mois le ministre, non de l'Instruction publique qu'il aurait souhaitée et qui échut au vicomte de Falloux, mais des Affaires extérieures que venait de quitter Alphonse de Lamartine et auxquelles il ne connaissait pas grand chose... Au milieu des volte-face de ses collègues et des disputes entre partisans de la Chambre et complices du Prince Président, les avis d'Alexis de Tocqueville - de loin l'intelligence la plus remarquable du gouvernement - tombaient souvent à plat. Dans son remarquable Montesquieu, l'homme et l'héritage, publié aux éditions du Rocher en 1998 en collaboration avec Éric Vatré, Jean-François Chiappe regrette que Tocqueville ait alors négligé les enseignements de l'auteur de L'Esprit des lois et n'ait ainsi fait triompher des définitions claires de l'exécutif et du législatif. Le futur Napoléon III en profita, et la "carrière" politique de Tocqueville s'acheva le 2 décembre 1851 où il fut quelque temps arrêté à Vincennes.
C'est alors qu'il entama son analyse de L'Ancien Régime et la Révolution, dont le premier livre parut en 1856. Il n'y en eut pas de second car l'auteur mourut de la tuberculose à Cannes le 16 avril 1856.
Lucidité
Tocqueville fut donc un politique de peu d'envergure. Reste son oeuvre littéraire, d'une richesse incontestable et qu'il est difficile de classer dans telle ou telle discipline. Ayant érigé en quelque sorte au rang de principe fondamental sa volonté d'indépendance par rapport à tout dogme, à toute école de pensée, à toute tradition, il fut tout à la fois et jamais tout à fait historien, sociologue, penseur politique. « Je parle sur l'histoire et ne la raconte pas », écrivait-il. Qu'il parlât de la société américaine ou de la centralisation en France, il se voulut observateur détaché. Il n'en écrivit pas moins à partir d'une idée qui lui était propre, ou plutôt d'une foi dans le progrès de « l'égalité des conditions » entre les hommes. Ce sens de l'Histoire était selon lui commandé par une Providence.
Cela ne l'empêchait point de déplorer que les Français fussent toujours plus épris d'égalité que de liberté. Dans un colloque inter-académique tenu le 13 juin dernier, Raymond Boudon, membre de l'Académie des Sciences morales et politiques, a loué, non sans raison, Tocqueville d'avoir prévu tous les effets, dont beaucoup sont pervers, de cette évolution égalitariste.
Ainsi, par exemple, l'effacement de la notion d'honneur, ou encore un adoucissement des moeurs qui aboutit à mettre en place des peines moins sévères - ce qui ne va pas sans incidence sur l'aggravation de la criminalité. En outre, l'égalité amenant chacun à juger également de tout selon soi engendre, disait Tocqueville, « une sorte d'incrédulité instinctive », de « relativisme » aboutissant à une érosion des « croyances dogmatiques ». Raymond Boudon commente : « L'incrédulité et le scepticisme, le désenchantement [...] sont des traits inhérents à la modernité » laquelle rabaisse les croyances au rang de simples « opinions ». Ici nous nous permettrons de ne pas admirer outre mesure la perspicacité de Tocqueville, puisque l'expression « opinions même religieuses » dans la déclaration des Droits de l'Homme montrait dès 1789 que l'on s'orientait vers la religion relativisée, à la carte...
L'égalitarisme est également destructeur du beau qui fait place à l'inattendu, à l'inédit. Destructeur aussi de la famille et des sociétés, car l'homme se replie sur lui-même, ne cherchant plus que la satisfaction de ses désirs, et finalement se laissant absorber par la « tyrannie de l'opinion ».
Incohérence
On a du mal à comprendre comment un penseur si lucide sur les conséquences de l'égalitarisme a pu adhérer à la démocratie qui propulse ce même égalitarisme. On nous répondra que, pour Tocqueville, la liberté est primordiale et que si l'homme parvient à sauver son esprit critique, sa volonté de débattre, donc sa liberté de penser, grâce notamment à la liberté de la presse et au secours des communautés décentralisées où s'éduque le civisme et qui devraient renaître, tout danger de despotisme démocratique est écarté.
Bien sûr, dans les temps où nous vivons, seuls ceux qui savent sauver la liberté de l'esprit peuvent s'en tirer. mais cette confiance dans la liberté illimitée portant l'homme au sommet de sa dignité suffit-elle à répondre aux drames du monde moderne ? L'homme n'a-t-il pas besoin d'institutions pour le porter à bien user de sa liberté ? Tocqueville eût été mieux inspiré si, au lieu de jouer les esprits forts, il avait appliqué sa vive intelligence à rechercher les lois qui assurent la pérennité des sociétés, donc la sauvegarde concrète des libertés. En somme si, au lieu de s'arrêter aux scléroses et aux raidissements de l'Ancien Régime finissant, il avait essayé - ses traditions familiales l'y portaient - de comprendre le génie des institutions monarchiques qui avaient fait de la France un pays, comme a dit Funck-Brentano, « hérissé de libertés ».
par Michel FROMENTOUX LAction Française 2000 du 7 au 20 juillet 2005 -
Ile De France - Bienvenue En France
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L'homme nouveau est un être atomisé
La société contemporaine veut accoucher d'un « Homme nouveau », standardisé et déraciné.
L'un des points commun aux différents totalitarismes du XXe siècle, que l'on retrouve aussi bien dans la société communiste que dans la barbarie nazie, est de vouloir construire un homme nouveau, de parvenir à un changement radical de l'humanité classique telle que nous la connaissons depuis l'Antiquité. Cet homme nouveau est un être profondément déraciné, comme l'on bien perçu les philosophes Simone Weil (auteur de L'enracinement) et Gustave Thibon, pour qui « seules les fleurs artificielles n'ont pas de racines ».
Notre société contemporaine, mondialisée et atomisée rêve également de bâtir un homme nouveau. Si elle n'est pas à proprement parler encore totalitaire, elle tend à le devenir. Le règne de l'individualisme est également celui de l’homo economicus qui a remplacé le zoon politikon, l'animal politique d'Aristote. En effet, le marché mondial a besoin d'un consommateur standardisé pour maximiser les profits. Ainsi s'explique en partie l'expansion de la langue anglaise comme idiome unique des affaires ou la diffusion massive d'une sous-culture américanisée (films, musique...). Ainsi, à l'aide de cette grille de lecture, s'appréhende mieux le rôle central de la publicité (bien éloignée des « réclames » d'antan) et la tyrannie des marques et des logos : MacDonald, Nike, Apple... Ainsi s'explique parfaitement la mise en avant par les médias et beaucoup d'hommes politiques d'une société mondiale, culturellement métissée et du concept absurde de « citoyen du monde » bien illustré par le slogan d'une célèbre marque de vêtements : « United colors of Benetton ». Comment, pourtant, envisager un citoyen en dehors d'une « Cité », d'un « État », borné et distinct des autres par sa langue, son histoire, ses coutumes, sauf à croire une seconde en la réalisation de paroles de la chanson de John Lennon Imagine ? Nous serions alors dans une société sortie du Politique dont l'existence suppose une pluralité, un pluriversum d'entités (nations, empires...). L'homme moderne tend chaque jour un peu plus à n'être plus qu'un consommateur atomisé aux goûts standardisés. Ce consommateur type combine plusieurs caractéristiques. Le pouvoir d'achat, tout d'abord, par la régulation des naissances (contraception et avortement) et le malthusianisme qui récusent la phrase prononcée par l'économiste français Jean Bodin au XVIe siècle : « Il n'est de richesse que d'homme. » L'autonomie ensuite, source de productivité économique régulée par l'euthanasie des personnes âgées et des handicapés, c'est-à-dire des plus faibles, maquillée en « droit à mourir dans la dignité » : seul le travail rendrait libre... La standardisation des goûts, enfin, voire de la taille et des mensurations, en rêvant d'un consommateur androgyne de produit unisexe, façonné par la théorie du Genre, venue des Amériques, qui envahit désormais notre enseignement public. Ainsi, le mariage homosexuel s'inscrit évidemment dans cette déshumanisation à finalité consumériste.
Déshumaniser
Pour faire passer la pilule auprès des individus, il est nécessaire de déshumaniser l'homme, de rabaisser la gloire de son humanité: la tâche est notamment confiée aux revendications radicales de certains groupuscules, relatives aux droits des animaux : si l'homme est un animal comme les autres, il n'y a plus de raison d'en faire un être sacré aux yeux de Dieu et des autres hommes. Les débats autour de la chasse ou de la tauromachie sont donc loin d'être anodins.
Déshumaniser l'homme, c'est aussi le couper de toute charité envers ses semblables et de tout amour. La vraie solidarité, parce qu'elle échappe largement à la marchandisation, est une cible pour les tenants du nouvel ordre mondial. Au mieux la conçoivent-ils comme un effet pervers du nomadisme dont ils sont les chantres (aide aux immigrés) ou comme une façade du spectacle télévisuel (le concert des Restos du cœur). De même, certains homosexuels revendiquent explicitement le droit au mariage, non pas au nom d'un mimétisme des couples hétérosexuels, mais comme moyen de réduire à néant l'institution mariage, expression sociale de l'amour entre deux personnes de sexe opposé.
Peut-on penser échapper à cette « société spectaculaire intégré » (la formule est de Guy Debord) en se retranchant dans un espace communautaire, une contre-société catholique par exemple, ou en optant pour un « recours aux forêts » individualiste, tel celui prôné en son temps par Ernst Jünger ? Rien n'est moins sûr, car comme disait Georges Orwell en dissertant sur les totalitarismes : « La grande erreur est de croire que l'être humain soit un individu autonome. »
Nous sommes tributaires de la société dans laquelle nous vivons, celle où nous sommes nés. Elle nous influence, modifie nos comportements, souvent malgré nous, quelle que soit la force de nos réticences. On pourrait utilement relire à ce sujet un roman de Pierre Boutang, Le Secret de René Dorlinde, réflexion sur la société communiste, afin de s'interroger pour savoir si l'homme atomisé est encore capable d'écrire de la poésie. La seule réponse humaine possible est une réponse politique, rompant avec l'utopie d'une société monde régulée par les seuls Droits de l'homme et le seul marché. C'est une insurrection politique contre la société contemporaine qui permettra le retour à une commun decency, une décence commune, qu'appelait de ses vœux George Orwell. Ne croyons pas que nous mènerions pour autant un combat dénué de toute aspiration spirituelle. Ne perdons pas en effet de vue que, comme l'écrivait Georges Bernanos en 1946 : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on n'admet pas d'abord qu 'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »
Jacques Cognerais monde & vie 19 mars 2013 -
Chaque jour, on attente à nos libertés.
Entretien réalisé par José Meidinger.
Michel Déon a fait découvrir et aimer la Grèce à des générations de philhellènes. Livres à la main, nous avons couru et courons encore ces îles magiques qu’il a arpentées inlassablement avant de se retirer en Irlande, « la Grèce du Nord ».
À 94 ans, le dernier Hussard, compagnon de Nimier, Blondin et Laurent, n’a rien renié de son « histoire d’amour avec la Grèce » Extraits de l’entretien qu’il nous avait accordé pour Bonjour Athènes.
Un jour, Michel Déon, vous avez quitté le soleil de Spetsai pour les brumes de l’Irlande, vous avez déserté, oui déserté , la Grèce…
D’abord, je n’ai pas « déserté » la Grèce, mais après une dizaine d’années sans guère quitter mon île de Spetsai, j’ai dû, pour mon travail et l’éducation de mes enfants, passer un hiver au Portugal, puis des hivers en Irlande.
Le parfum de ces îles, Spetsai, Patmos, Hydra, leur séduction n’opéraient plus, un peu comme une histoire d’amour qui se terminait ? [...]
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