Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1881

  • Retour sur le congrès de la Licra : entretien avec Gérald Pichon

    PARIS (NOVOpress) – La plus vieille association antiraciste, la Licra, avait décidé de mettre au cœur de son dernier congrès le racisme anti-blancs. Nous avons demandé à Gérald Pichon, l’auteur de Sale Blanc (dont la vidéo promotion a dépassé les 30.000 vues) de nous livrer son analyse sur ce congrès.

    Gérald Pichon, le congrès de la Licra vient d’avoir lieu. Au programme une nouvelle donne, notamment quant au combat de cet organisme antiraciste contre le racisme anti-blancs ? Pour Novopress, vous aviez analysé les raisons de l’apparition de cette réalité au cœur du combat de la Licra. Au vu du congrès, votre analyse s’est-elle confirmée ?
    Mon analyse a été confirmée car la Licra s’est emparé de ce thème afin de mieux le minorer. Son président, Alain Jakubowicz, a évoqué dans son discours l’existence du « phénomène » du racisme anti-blancs avant de s’empresser d’ajouter « qu’il n’a pas la même ampleur et ne relève pas des mêmes mécanismes que le racisme au sens où nous l’entendons habituellement. » Le thème de mon livre Sale Blanc ! Chronique d’une haine qui n’existe pas est que pendant une trentaine d’années l’Etat et les associations subventionnées pour lutter contre le racisme n’ont pas entendu ou n’ont pas voulu entendre le cri des victimes de la haine antiblanche. La chape de plomb autour de ce tabou ayant cédé et devant le caractère massif des violences à l’égard des Français de souche, la Licra fait un timide pas en avant en évoquant « une nouvelle donne » du combat antiraciste. Mais rien dans son programme ne laisse supposer que les choses vont changer. A mon avis, la Licra pense qu’en évoquant ce sujet le soufflet va retomber.

    Vous dites qu’après avoir surfé sur la vague médiatique du racisme anti-blancs, le président de la Licra  semble la minorer, e st-ce là encore une discrimination à l’égard de ceux qui sont les premières victimes des haines raciales en France, les Français de souche ?
    Selon moi, ils pensent sincèrement que les premières victimes de la haine raciale en France sont les extra-Européens. Ce n’est donc pas une discrimination à l’égard des Français de souche mais une prise de conscience partielle de la réalité de la France en 2013. Il faut analyser la composition de la direction des associations antiracistes et de leurs membres. Pour simplifier, on voit le plus souvent des personnes âgées et des professeurs à la retraite dont le logiciel idéologique est hérité du combat pour la décolonisation et ayant milité toute leur vie pour lutter contre le Raciste, c’est à dire l’affreux mâle blanc. J’ai assisté, il y a quelques semaines, à une réunion du MRAP sur le racisme antiblancs et j’ai écouté attentivement les différents intervenants. J’ai appris une chose : le Blanc est forcément le Dominant, même s’il est plus pauvre qu’un extra-Européen, et forcément le Raciste, même s’il est victime de coups ou d’insultes à caractère racial. La deuxième chose que j’ai retenue, c’est que le conflit israélo-palestinien crée une véritable ligne de cassure au sein des associations antiracistes. Chaque communauté essayait à mot couvert de ramener la couverture de l’antiracisme à soi. Il n’est donc pas étonnant que la Licra essaie de faire de même avec le racisme antiblancs.

    Tout compte fait, La Licra n’est-elle pas toujours fidèle à sa ligne, en réduisant ce racisme à l’antisémitisme ?
    Je crois surtout que la Licra a pris conscience de la montée des tensions communautaires en France et qu’elle s’évertue à trouver des alliés. J’ai l’impression qu’on assiste à une veillée d’arme, du tous contre tous, « minorités visibles » contre « feujs », « minorités visibles » contre « majorité visible »… La vanne de gaz est percée et il suffit d’une étincelle pour que la déflagration souffle des quartiers entiers comme en 2005.

    http://fr.novopress.info

  • Le sacré : Unité du monde et destin du peuple

    Le problème posé ici est le suivant : que peut signifier la locution « unité du monde », que certains ont déjà élevée au rang de concept fondamental (1) et dans laquelle, apparemment, se trouve beaucoup plus qu'un antidote au dualisme métaphysique et chrétien ? En d'autres termes : comment penser “l'unité du monde” ? Pour répondre à cette question, considérons d'abord la formule grecque panta : en, « tout : un ». C'est, pourrait-on dire, sur ces simples mots d'Héraclite d'Éphèse que s'ouvre la pensée européenne. Toute sa vie, Heidegger n'a cessé de “tourner” autour d'eux en s'en rapprochant. « Tout : un » : que peut vouloir dire cela ?

    “Tout” est la multiplicité changeante de ce qui est, c'est-à-dire de ce qui se manifeste, se présente à nous : tout ce qui change et devient, tout ce qui coule. Panta rhei, « tout coule », dit une autre maxime d'Héraclite. Tout coule, et pourtant tout est un. Comment ce qui constitue la multiplicité même peut-il être “un” ? Qu'est-ce que cette unité du divers ? “Unité” signifie-t-il ici “totalité”, “globalité” ? Est-il ici seulement question de cette évidence ensembliste qui veut que chaque chose soit un élément de l'ensemble de toutes les choses, contribue à l'unicité de cet ensemble ? Certes non. Panta : En pourrait également s'énoncer : chaque étant : un. La ques­tion qui surgit alors est : comment ce qui à chaque instant se manifeste comme pluralité peut-il être un ?

    L'unité, par ailleurs, ne saurait être conçue en tant que “principe unifiant”, causal ou non. Une telle conception resterait enfermée dans le dualisme métaphysique, auquel d'ailleurs elle s'apparente, puisqu'elle ne permettrait jamais de résoudre la dualité de l'étant et du principe. La réponse souvent invoquée par la théologie chrétienne, qui postule l'unité du monde en Dieu, n'est en rien satisfaisante, dans la mesure où elle ne produit qu'une pseudo­unité surajoutée à la dualité fondamentale du monde et de Dieu.

    En fait, si nous voulons véritablement saisir ce que contient le panta : en héraclitéen, il nous est demandé, autant que possible, de sortir du “règne” de l'essence platonicienne, de l'essence comme principe ultime constituant le “soi” de chaque étant. Une telle conception des essences fondatrices accessibles à la ratio pèse, on le sait, sur la plupart des modes explicatifs en usage aujourd'hui. Cependant, elle ne va pas “de soi” : elle n'est venue qu'après la pensée présocratique (qui, à l'exception du poème de Parménide, nous est parvenue sous forme de fragments) et avant celle de Heidegger, qui s'est d'ailleurs constamment appuyée sur la précédente.

    Mais revenons-en au “paradoxe” évoqué plus haut : panta : en / panta rhei. On interprète souvent maladroite­ment l'image héraclitéenne du fleuve. « On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau (du fleuve) », dit en substance Héraclite. On en déduit que le fleuve n'est qu'en tant que devenir — en se gardant bien de se demander ce que peut signifier ce “devenir” —, et l'on conclut que, hors du devenir, il n'y a rien (à penser). On passe alors à côté de ce que voulait dire Héraclite, et à côté de ce qui, dans ce “devenir”, se présente comme question.

    Tout dans le fleuve est courant, changement, devenir. Mais qu'est-ce qui fonde ce devenir comme devenir-du­-fleuve, et, plus précisément, devenir-de-ce-fleuve-ci ? Autre formulation (qui est plus qu'une boutade) : si le fleuve est devenir, il faut bien qu'il soit. De fait, pour que soit pensable le devenir du fleuve, il faut qu'une entité rassemble en soi ce devenir, ou plutôt (pour éviter de penser à une entité “agissante”) que ce devenir se rassemble en une entité : on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau, mais cette eau qui coule est toujours celle du fleuve. Le fond de l'image du fleuve réside en ceci que le devenir voile ce qui est, dirons-nous par approximation, sa condition essentielle de possibilité : l'unité, celle-là même en laquelle sont assemblées les diverses et changeantes apparences (c'est-à-dire : manifestations de la présence) de l'étant.

    Cette unité où sont assemblés les divers modes de l'apparaître d'un étant, Heidegger la nomme Wesen. Ce mot est généralement traduit par “essence”. (Il n'est d'ailleurs pas une des nombreuses inventions terminologiques de Heidegger, mais appartient à la langue philosophique allemande, qui l'utilisa pour rendre le latin essentia). Il ne faut pas oublier néanmoins toute la distance qui sépare ce Wesen de l'essence platonicienne. Osons une définition : Wesen (“essence d'un étant”), “unité rassemblante de ses modes de présence (de ses manifestations phénoménales)”. Être veut alors dire “déployer” son essence, apparaître de manière multiple, changeante, ambi­guë, dans (et à partir de) l'unité de son essence. Il apparaît alors clairement que l'essence-unité rassemblante n'est “extérieure” ni à l'étant ni au temps, qu'elle n'induit aucune coupure entre un monde dit “sensible” et un monde dit “intelligible”. L'essence étant unité rassemblante des apparences, elle ne saurait être “au-delà” de ces apparences. Ne pouvant être pensée hors de son “déploiement” en présence, hors de son surgissement en un devenir, elle ne saurait non plus être “au-delà” du temps.

    les messagers de la “divinité”

    Loin d'induire une coupure entre le “sensible” et “l'intelligible”, la notion heideggérienne de Wesen réduit celle-ci à néant. L'essence se manifeste en présence ; elle n'est pas accessible hors de cette manifestation. Les présocra­tiques, d'ailleurs, étaient incapables de concevoir la moindre distinction entre le sensible et l'intelligible pour la simple raison que, pour eux, le penser et le sentir n'étaient que des modes d'un même “faire face à la pré­sence”. En allemand, “briller” et “apparaître” se disent tous deux scheinen. L'éclat, la lueur, l'apparence : der Schein. Paraître, c'est briller, laisser se déployer la totalité des signes de soi. Être et (ap)paraître ne sont donc nullement antinomiques. Être, c'“est” paraître, tout comme pour le soleil, être, c'“est” briller. Panta : en signifierait alors d'abord ceci : la pluralité des phénomènes est toujours rassemblée dans l'unité d'une essence (Wesen). La coupure entre “l'intelligible” et le “sensible” n'est qu'un sous-produit de la pensée socrato-platonicienne.

    Il vaut la peine d'insister. L'essence (Wesen) n'“est” aucun principe, ni actif (l'unité est toujours, pourrait-on dire, intrinsèque et implicite) ni explicatif (expliquer est toujours re-présenter ; or, par l'unité, on ne re-présente rien, et l'unité elle-même est sans doute absolument non re-présentable). Heidegger a parfois utilisé l'image de la coupe pour faire sentir que cette unité n'“est” pas un lien, causal ou non, qui unirait en interdisant on ne sait quel éparpillement. Bien au contraire, il faut s'exercer à penser la coupe comme recueillant en elle la multiplicité, tout en n'étant pas “extérieure” au recueillement. (La coupe du Wesen est à la fois “recueillante” et “recueillement”).

    Heidegger parlait des dieux (die Götter) en les appelant « les divins » (die göttlichen). Il voyait en eux les messa­gers de la « divinité » (die Gottheit). Maître Eckart, Angelus Silesius et d'autres ont aussi parlé de Gott ou de Gottheit en termes d'unité, de consubstantialité, de co-propriation. En fait, Gottheit ne signifie rien d'autre que cette « unité du monde » au sein de l'unité-recueillante que nous venons d'évoquer. Qu'est-ce alors que le sacré ? Il est le dévoilement de cette unité, et l'homme, en tant que faisant — face-à-l'étant (Da-sein), en est le dépositaire.

    Essayons maintenant d'approcher l'unité-recueillante du monde en certains de ses modes de dévoilement. L'un des modes les plus importants est constitué par le peuple (das Volk). Qu'est-ce qu'un peuple ? Ce n'est ni une somme d'individus ni une structure évoluant dans un temps linéaire. Un peuple est une entité qui rassemble les ancêtres, c'est-à-dire le passé-origine surgissant dans l'immédiat d'une présence-au-monde, les présents, c'est-­à-dire ceux qui vivent aujourd'hui et qui font la présence du monde, et les hommes-à-venir, notion qui repré­sente l'anticipation dans la présence au monde d'un être-en-projet.

    pas d'opposition entre le sacré et le profane

    L'unité-peuple est pour nous l'un des modes où se dévoile la Gottheit, la divinité de l'unité du monde. Nous dirons, par suite, que le sacré ne se laisse appréhender authentiquement qu'au sein d'une communauté popu­laire qui en constitue le « lieu de surgissement ». En ce sens, il n'y a pas de médiateur entre l'homme-d'un-peuple et la divinité ; celle-ci constitue pour lui le plus immédiat. Autrement dit, l'homme n'a accès à l'unité-du-monde qu'à partir (et dans) l'unité-du-peuple. Bien entendu, cela ne signifie pas qu'il n'y ait d'accès au sacré que dans la “religion collective”. Cela signifie que la personne individuelle ne peut s'ouvrir au sacré sans que l'ensemble du peuple soit “présent”, c'est-à-dire délimite le lieu de venue du sacré.

    Cette notion de co-propriation de l'homme authentique et de la communauté populaire dans l'unité-recueillante de l'être est à la fois très immédiate, car elle s'adresse à une sensibilité originaire, et très difficile à saisir, car elle s'exprime difficilement au travers d'un langage bâti sur l'effectivité du concept. Heidegger la développe à partir d'un certain nombre de considérations sur l'idée de monde.

    Pour Heidegger, un « monde » est un « existential », autrement dit un mode d'être de l'homme historial, c'est-à­-dire de l'homme en tant qu'il est engagé dans le déploiement du destin de la communauté dont il relève. Qu'est­-ce à dire ? Que cet homme ne vit jamais dans un “monde” qui lui serait indifférent et pré-existant, comme une boîte contenant un objet, mais qu'à proprement parler, il fonde sans cesse le “monde” en prenant sa part du destin communautaire. Heidegger dit : der Welt ist nicht, sondern weltet (le monde n'est pas, il mondifie). Le monde mondifie : il se manifeste comme une unité rassemblant d'une manière toujours progressante l'homme d'une communauté, cette communauté elle-même, les étants qui viennent à la “rencontre” de l'homme et les modes existentiels généralement représentés comme des fonctions culturelles. Cette unité de tout ce qui est dans un monde et de ce qui le fonde (l'homme historial) constitue à nos yeux un mode de la divinité.

    Un temple n'est sacré que dans la mesure où il est un lieu de co-appartenance de la communauté du peuple et des hommes de cette communauté. S'il est ainsi, ainsi est-il immédiatement perçu. Cette immédiateté est le signe de l'unité qui se manifeste dans la rencontre de l'homme et du temple, par laquelle le temple est livré à son être, et l'homme révélé au sien. Quand, au contraire, le temple devient un “médiateur” entre l'homme et le dieu, il a déjà cessé d'être sacré. (Une réflexion sur la notion d'“idole” pourrait être développée à partir de là). Que nous le voulions ou non, nous ne pourrons plus jamais voir le temple d'Apollon à Delphes ainsi que le voyait un Grec contemporain de ceux qui l'ont bâti. Pour celui-ci, la place du temple à l'intérieur de la polis allait de soi. Or, c'est précisément cet “allant de soi” qui signale l'étant mondain (la Chose) en opposition à l'étant hors-du-monde (l'Objet). On comprend, dès lors, que pour un paganisme authentique, il ne saurait y avoir de “lieux saints” en opposition à des “lieux profanes” (tout comme il ne saurait y avoir, en général, d'op­position entre le profane et le sacré). Est sacré, relève de la Gottheit, de l'Un, tout lieu “mondain”, toute chose, toute région du monde en tant que ce dernier est sans cesse fondé et soutenu par la communauté du peuple. Tacite disait à propos des Germains : « Ils nomment Dieu le secret des bois ». On pourrait traduire : « Le sacré est partout où se fonde le monde de la communauté du peuple ».

    Ce qui se manifeste dans la divinité, comme l'unité du monde, se manifeste partout, mais ne s'institue nulle part comme pouvoir (2). De même, la divinité n'étant aucun principe, elle n'est source également d'aucun prin­cipe, et en particulier d'aucune morale. Plutôt que d'“homme bon”, il vaudrait donc mieux, dans la perspective où nous nous plaçons, parler d'homme “bien destiné”, au sens que Heidegger a su retrouver chez les présocrati­ques. L'homme bien destiné est celui qui est “tout-un” avec le destin lui-même, c'est-à-dire avec l'Un de tous les tenants du peuple.

    Il ne saurait pour nous y avoir de doute sur ce point : l'homme n'existe qu'en tant qu'homme-du-peuple. Le peuple en tant qu'unité à penser ne se définit pas par l'homme. Le peuple est ce dans quoi se trouve réalisée une unité essentielle, en même temps que le mode d'approche de cette unité. Comme “lieu” (topos) de réalisa­tion d'un passé, d'un présent et d'un “à-venir”, le peuple n'est rien qui se laisse définir par l'homme. C'est au contraire l'homme qui ne se trouve révélé comme homme que par son appartenance à un peuple. Et si l'on tient à parler de “volonté de puissance”, on doit admettre que celle-ci tient son être de l'être du peuple, et non l'inverse.

    Mais qu'en est-il de l'être du peuple ? Notre formulation, loin de régler les problèmes, les fait au contraire surgir avec force. Certes, on peut conjecturer un lien fondamental avec ce que Heidegger appelle la temporalité de l'être, et qu'on peut appeler aussi tridimensionnalité du temps historique. Mais des interrogations surgissent, en particulier dès que l'on parle d'« auto-affirmation de la volonté de l'homme » ou d'« auto-affirmation de l'homme dans la volonté ».

    L'image d'un homme en pamoison devant sa propre marche vers la puissance, c'est-à-dire finalement devant lui-même, est à la fois puérile et bien commune : le réalisme socialiste l'a multipliée à l'infini. Ce n'est pas sur une telle image que l'on peut fonder le sacré, bien au contraire. Le mot “auto-affirmation” signifie-t-il affir­mation de l'homme en tant que “porteur d'une volonté” ? Supposons cela. Les difficultés auxquelles on se heurte sont tout de suite insurmontables. Définir l'homme comme “sujet voulant” n'est rien d'autre qu'utiliser un mode “moderne” de la définition métaphysique de l'homme comme “animal rationnel”. Déplacer le centre de gravité de la raison vers la volonté ne change rien quant au fond (surtout si l'on pense la volonté comme projection de la raison dans un univers de pensée nominaliste). L'homme comme “animal doué de volonté” reste un fantasme métaphysique. En outre, une telle définition revient à se couper définitivement l'accès au peuple en tant que phénomène fondateur, et donc, à l'essence de la volonté comme pro-venant de celle du peu­ple. L'homme en tant que porté-par-un-peuple ne saurait donc se définir, et encore moins s'affirmer, comme “sujet voulant”. Tout au plus peut-il interpréter la volonté comme ouverture au destin du peuple et lien à son essence. Un tel homme ne dit “je” que secondairement.

    homme-du-peuple et liberté-pour fonder-un-monde

    Allons plus loin. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'homme comme “animal-doué-de-volonté” ressem­ble à s'y méprendre à l'homme du nihilisme achevé, c'est-à-dire à l'homme de la technique mondiale. En effet, l'homme du nihilisme achevé se constitue comme tel en tant que, dans son “faire”, il se reconnaît lui-même comme seule réalité. “Poétiquement”, il est cet étant solitaire à qui l'existant dans son ensemble ne renvoie plus que sa propre image, tellement vidée de substance qu'elle n'est plus qu'un leurre. Poser l'homme comme “animal voulant”, après qu'il l'eut été comme “animal rationnel”, c'est-à-dire, en fin de compte, comme indi­vidu absolu, c'est s'enfermer à terme dans cette fatalité de l'homme seul parmi ses avatars. Or, si l'essence de la technique n'est rien de technique, l'essence de l'homme n'est rien d'humain. L'homme comme “animal voulant” est précisément celui qui a perdu tout lien avec le “non-humain en l'homme”, qui a totalement oublié l'être.

    Nous dirons, au contraire, que le non-humain est peut-être ce en quoi résident l'essence du sacré comme celle du peuple. Nous prendrons alors le mot d'“auto-affirmation” dans le sens que lui donne Heidegger, en parlant, par ex., de « l'auto-affirmation de l'université allemande » (die Selbstbehauptung der deutschen Universi­tät). Ce sens est celui d'un retour à l'essence ou, pour employer un vocabulaire plus expressif, d'une compré­hension et d'une explicitation (d'un déploiement) de ce qui appartient en propre à l'homme, de son essentiellement­ possible. La possibilité essentielle de l'homme, dit Heidegger, est sa liberté. Cette liberté est liberté-pour-fonder­-un-monde, c'est-à-dire — si l'on considère les textes que Heidegger a pu écrire “en situation” — liberté que l'homme en tant que porté-par-un-peuple reçoit de la pro-venance, du destin du peuple. La liberté humaine est liberté pour la fidélité à ce destin. Dès lors, la volonté peut être sortie du cadre métaphysique. Il suffit de la penser comme résolution de soi dans le déploiement du destin d'un peuple.

    Cette définition peut être difficile à recevoir en tant que notion à penser. Nous sommes, de toute évidence, encore trop conditionnés à penser la volonté comme l'attribut d'un ego absolu. Que dans une pensée radicale­ment différente de la volonté, l'ego doive se dissoudre (au moins en apparence) dans ce qui ne saurait se rame­ner à aucun “je”, le destin d'un peuple, voilà qui ne peut que troubler. Ceux qui, les premiers, ont reçu l'appel d'un peuple n'en ont-ils pourtant pas déjà fait l'expérience ? Le peuple dont nous relevons n'est pas en tant que présence ; il est en tant que venant. Nous ressentons son appel, et l'essence de notre action réside dans notre réponse à cet appel. Cette réponse n'est autre que l'expérience que nous faisons déjà de la liberté comme fidélité au destin d'un peuple. Chacun à un moment tragique de leur existence, Heidegger et René Char se sont retrouvés pour reconnaître que « toute grandeur est dans le départ qui oblige ». Cette simple phrase dit tout. L'engagement est fidélité résolue au destin du peuple qui nous appelle en tant qu'“à-venir”.

    Quels sont les rapports existant entre le sacré et l'auto-affirmation telle que nous la concevons ? Plus précisé­ment, quelle expérience du sacré avons-nous en tant que nous manifestons cette auto-affirmation ? Répondre à cette question, ce n'est pas dire ce qu'est le sacré aujourd'hui, tâche peut-être impossible, mais dire où il est. Panta : en : voilà Héraclite et voilà où est le sacré. Gott ist in mir das Feuer, ich bin ihm der Schein (Dieu est en moi le feu, je suis en lui l'éclat lumineux) : voilà Silesius et voilà où est le sacré. L'intuition que nous avons du sacré est qu'il réside dans une unité essentielle, et que c'est dans sa lumière que se déploie cette unité. Les textes sacrés indo-européens ne disent pas autre chose : ils disent la lumière dans laquelle un peuple se maintient en tant que peuple, c'est-à-dire la lumière dans laquelle se fait l'unité d'un monde. (Ainsi dans les Védas, où le sacrifice est pris comme acte de soutien du monde).

    Que le sacré puisse ou non se passer de dieux, c'est là une question qui vient trop tard ou trop tôt. Quand un dieu est reconnu comme figure, c'est qu'il a déjà cessé d'être en tant que dieu. Qu'est-ce donc qu'un dieu ? Voilà une interrogation face à laquelle la prudence s'impose. Lorsque Friedrich Georg Jünger évoque Apollon [in : Nouvelle école n°35, 1979], il parle d'un dieu qui n'est rien d'humain, qui ne symbolise en aucune façon quelque chose d'humain. Le seul Apollon dont il a voulu s'approcher est celui dont les Grecs de la haute époque avaient l'expérience, qui aussi le seul qui puisse nous concerner. Tout questionnement sur la “réalité effective” du dieu, questionnement nécessairement métaphysique, car refusant d'emblée de prendre en compte ce par quoi le dieu se tourne vers les hommes pour mieux pouvoir le mesurer à un seul critère d'existence “objective”, nous semble oiseux. Reli­sons ce texte. Apollon y est délivré comme énigme. Cette énigme n'a rien à voir avec les mystères des religions révélées ; elle ne contient ni n'inspire aucun credo, et même elle rejette tout credo comme lui étant essentielle­ment étranger. Mais elle n'en a pas moins ce caractère incontournable d'inconnu, où Heidegger a cru retrouver le signe premier de la divinité. Quelle est donc l'énigme qui a nom “Apollon” ? Elle n'est pas tel ou tel carac­tère, tel ou tel attribut, telle ou telle apparence du dieu. L'énigme est l'unité des aspects du dieu, le rassemble­ment de ses aspects, de ses Scheinen, de ses “apparaître” au sein d'un même. Cette unité est le divin dans Apol­lon, et la divinité elle-même.

    L'unité qui a pour nom “peuple” est aussi un tel mode d'approche de la divinité. Plus précisément, elle est à la fois le mode par lequel la divinité s'approche de l'homme dans le peuple, et le chemin par lequel l'homme en tant que porté-par-un-peuple s'approche de la divinité. Cette unité — qu'encore une fois il serait absurde de penser comme « unité d'un ensemble » — est le non-humain en l'homme. On pourrait alors reprendre, en la modifiant à peine, la sentence de Silesius : Das Volk ist in mir das Feuer, ich bin in ihm der Schein. Considé­rant le mot Schein dans le sens du grec phainestai, sa signification deviendrait la suivante : « Le peuple est en moi le feu, la flamme » (il est ce qui m'anime, me fait moi, me donne accès à mon essence, ce en quoi j'ai liberté de m'affirmer en tant que l'homme que je dois être), « Je suis en lui l'éclat de l'apparaître » (en tant qu'homme, je suis un aspect, un mode de l'apparaître du peuple, et ceci, en moi, est l'énigme et aussi, peut-être d'abord, le sacré).

    On dira encore : quel rapport y-a-t-il entre l'expérience que nous faisons du sacré dans la “nature”, face à (et dans nos rapports avec) l'existant dans son ensemble, et l'unité ? Cette question est assez vaine. Car où donc se réalise l'unité du monde sinon dans une perception de l'existant dans son ensemble, qui, est, comme le dit Heidegger, une “prise en garde” ? Il nous faut en fait réapprendre à penser le monde comme destin, et dépasser autant qu'il est possible la perception comme “activité d'un sujet”. Tant que l'homme demeure en son essence, le monde n'est jamais un “dehors” auquel l'homme aurait accès en tant que sujet. L'homme ne voit le monde en tant que monde qu'autant qu'il est lui-même l'apparaître d'un peuple. Unité du peuple et unité du monde sont deux modes d'un même.

    Nous autres aussi, bien que vivant en une époque où règne en maître la perception “objective” propre à l'indi­vidu (c'est-à-dire à ce que Heidegger appelait le « semi-homme »), nous faisons cette expérience. Si nous trou­vons du sacré dans la “nature”, c'est que nous la voyons, non en tant qu'individus, non en “sujets-voulants­-décidant-de-l'investir”, mais en hommes portés-par-un-peuple, le peuple européen, qui, rassemblé sur son essence (le “passé”), nous enjoint par son appel de le faire-venir à une nouvelle présence. Si la “nature”, pour nous, contient du sacré, ce n'est pas parce que nous y en avons mis, et pas non plus parce qu'elle nous renverrait l'image, au moins potentielle, de notre propre “volonté de puissance”, mais bien parce qu'un peuple est encore quelque peu en nous le « feu », même si nous n'en sommes encore que confusément l'« éclat ». Et c'est ce « feu » (das Feuer), constitutif de notre identité essentielle, de notre « hespérialité », qui est ce en quoi se dépose notre perception du monde, et donc aussi ce par quoi se réalise l'unité de notre monde.

    matin passé et matin venant sont les mêmes

    Que le sacré ait donc beaucoup à faire avec l'auto-affirmation de l'homme en tant que mode de l'apparaître d'un peuple, c'est ce que l'on ne saurait nier. Unité du monde, unité du peuple : le même. Le même, mais pas « la même chose » — et, sur ce point, nous renverrons à ce que Heidegger a pu écrire dans le texte, essentiel, intitulé Identité et différence. En tant que le même, unité du monde et unité du peuple se trouvent dans un rapport de co-propriation, ce qui revient à dire qu'ils s'y cherchent pour y trouver ce qui est à chacun son pro­pre. Le point, le “nœud” autour duquel s'enroulent ces “deux” unités est proprement pour nous le plus proche et le plus lointain. Il est, au sens le plus profond, le lieu de venue du sacré.

    Ce “nœud”, qui correspond peut-être à ce que Heidegger a interrogé sous le nom d'Ereignis, nous apparaît, à nous aussi, comme question. Il ne s'agit pas d'une question à résoudre, mais d'une question à déployer. Que signifie ce terme ? Certainement pas aligner des propositions logiques ou paralogiques. Déployer la question du lieu de venue du sacré, c'est fonder le sacré en tant que sacré, et, du même coup, le peuple en tant que peuple. Heidegger en était arrivé à dire : Ereignis ereignet ; et il ajoutait : « c'est tout ». Ce « c'est tout » ne pose pas une fin, mais ouvre un horizon, en ce sens qu'il est un ordre de « départ pour l'assaut » ; et dans ce départ, est toute grandeur. Il signifie, si l'on peut dire, laisser Ereignis ereignen, c'est-à-dire répondre à l'appel qui nous enjoint de prendre en notre garde la « croissance de ce qui est petit » — la venue d'un peuple que nous nommerons peut-être hespérial. Là et là seulement est l'auto-affirmation.

    Que dire maintenant de la technique ? Pour beaucoup, aujourd'hui, la technique reste quelque chose de “méca­nique”, de “machinal” : un zu-Hand, dont l'homme aurait usage en tant que sujet, et sur lequel il pourrait agir. Une telle conception nous semble erronée. Cette apparence que prend la technique d'objet à la disposition d'un homme-sujet n'est qu'un leurre, ou plutôt un masque. (Ce qui ne veut pas dire qu'elle soit fausse, car il n'y a jamais d'apparence “fausse”). Quitte à tout décrire en termes de sujet et d'objet, c'est bien plutôt la technique qu'il faudrait considérer comme “sujet”, et l'homme désintégré du “on” qu'il faudrait voir comme “objet”. La technique n'est un outil pour le bien-être ou la puissance que pour les hommes du nihilisme achevé. En fait, elle n'est pas un outil du tout. Elle est ce qui nous enjoint de voir l'étant comme objet, et l'être comme efficience. Cette injonction se confond avec la nuit où les peuples se sont perdus eux-mêmes, et le danger — ce « désert qui croît », ainsi que Nietzsche nous en a avertis — est que, dans cette nuit de la technique mondiale, l'homme finisse par perdre tout lien avec son essence.

    Relisons Nietzsche. S'il y a, aujourd'hui, un “seigneur de la terre”, c'est bien le « dernier homme » dont parle Zarathoustra, le « semi-homme » évoqué par Heidegger dans son texte sur le Service du Travail. C'est lui l'en­geance aveugle et oublieuse qui règne en maître dans la nuit de la technique mondiale. Qui règne sur quoi ? Non pas sur la terre, qui, en tant que phénomène, qu'entité ou mode du Geviert, lui est interdite, mais sur le désert.

    Quel est alors le salvateur qui vient avec l'ère de la technique ? On dira : l'être, en tant que lumière du matin qui se dévoile comme telle aux hommes du soir (Jean Beaufret). C'est dire trop et pas assez. On dira encore : l'Ereignis, en tant que signalé, devancé dans notre pensée, par le Gestell. Cette réponse, identique en fait à la précédente, ne nous mène pas plus loin. Il faut rappeler, en effet, que l'expérience que l'homme de l'aurore grecque avait de l'être ne s'est déployée en un monde que pour autant que l'être a pris cet homme en tant que son Dasein, c'est-à-dire, finalement en tant que peuple. Et de même, l'Ereignis implique la conjonction de l'unité­peuple et de l'unité intérieure de l'homme en tant que liberté pour l'accomplissement du destin du peuple.

    Que deviennent alors la poiésis et la téchnè ? En quoi sont-elles, identifiées comme au cœur de la technique, de l'ordre de ce qui sauve ? Sûrement pas dans le sens où nous aurions le pouvoir d'investir d'un “sens nou­veau” la production d'objets techniques. On ne peut asseoir sur la technique la tâche « destinale » de faire-venir d'un peuple. La poiésis nous regarde dans la mesure seulement où elle n'est au cœur de toute production techni­que d'objets que parce qu'elle est au cœur de tout faire-venir, de toute éclosion à la présence. Elle nous regarde d'abord en ceci que nous savons, comme on a savoir d'une évidence secrète, que vers nous s'est tourné ce qui « est encore petit », ce qui appelle à croître dans le danger. Et cela qui nous “appelle”, étant encore petit, pour qu'en son « faire-venir » nous trouvions notre liberté et notre destin, est un peuple et rien d'autre.

    Le monde n'est jamais fait d'objets. Le monde est destin de l'homme en tant que Dasein, ce qui signifie : le monde est monde pour autant qu'il est demeure de l'homme, et l'homme, lui, n'est homme qu'en tant que porté-par-un-peuple. Nous ne ferons pas venir à la présence le peuple qui nous appelle en tant qu'« à-venir » en nous efforçant de donner un autre “sens” à des objets, quels qu'ils soient. Les étants ne seront rendus dispo­nibles pour un usage poiétique qu'une fois délivrés à cet usage par un peuple. Ne confondons donc pas les raci­nes et les derniers rameaux de l'arbre. C'est un peuple — nos racines — qui est à « pro-duire », et non pas une “nouvelle technique”.

    Mais comment “pro-duit”-on un peuple ? On ne peut, à cet égard, qu'envisager un horizon appelé, une fois atteint, à disparaître pour céder la place à un autre. La pro-duction d'un peuple ne saurait en effet avoir de “fin”. Elle est un acte continu. Dans l'immédiat, il faut lutter par tous les moyens contre l'idée de l'homme­-sans-peuple, du « semi-homme », de cet individu moral qui peut d'autant mieux se construire un “humanisme” qu'il a oublié l'être et s'est ainsi détourné de l'essence de l'homme. Sur notre chemin, nous sommes guidés par une lumière qui, n'étant aucune lueur nocturne, ne peut être que celle du matin. Matin passé et matin venant sont pour nous les mêmes. Ma certitude la plus profonde est que nous sommes voués à ce matin.

    ► Patrick Simon, Nouvelle École n°37, 1982. http://vouloir.hautetfort.com/

    ◘ Notes : 

    (1) Cf. not. Alain de Benoist, Comment peut-on être païen ?, Albin Michel, 1981.

    (2) Là réside l'erreur de ceux qui, tel Pierre Chaunu dans La mémoire et le sacré, tirent argument de la non-opposition entre sacré et profane pour affirmer, de façon plutôt légère, que le paganisme est fondamentalement théocratique.

  • Conférence du Cercle Georges Sorel de Piero San Giorgio (Paris)

    Extrait de la conférence de Piero San Giorgio à la Cambuse, le local du MAS Ile de France.

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/

  • 1051 : Une alliance franco-russe

    Le 19 mai, Henri Ier épouse Anne de Kiev.
    Cette année-là, la vingtième de son règne, Henri Ier, quarante- trois ans, petit-fils d'Hugues Capet, épousait une princesse venue du bout du monde... Il était difficile pour le roi de France de rencontrer en Occident une fille de roi qui ne fût pas sa cousine à quelque degré, et il ne voulait pas connaître à son tour les difficultés avec l'Église vécues par son père Robert II le Pieux quand celui-ci s'était épris de Berthe de Bourgogne.
    En outre, Henri n'avait pas eu de chance avec les femmes issues des pays voisins : sa première fiancée, Mathilde, fille de l'empereur Conrad lI le Salique, avait quitté ce monde à l'âge de sept ans en 1034 ; il avait épousé la même année une autre Mathilde, fille de Luidolf de Frise, nièce de l'empereur Henri III, alors âgée de moins de dix ans et qui mourut en 1044 après lui avoir donné, semble-t-il, une fille morte au berceau.
    Le roi veuf dut se remettre en quête... Or voici que vers 1049, il entendit son entourage louer la Russie, ce grand pays devenu chrétien grâce au prince de Kiev, saint Vladimir Ier le Grand (958-1015), qui, à l'instar de notre Clovis cinq cents ans plus tôt, avait reçu le baptême en 988, converti par son épouse Anne Porphyrogénète, soeur de l'empereur de Constantinople Basile II. Le fils de ce dernier, Iaroslav le Sage (978-1054), donnait à son pays un grand essor. De son épouse Ingigerd de Suède, il avait deux filles dont la deuxième, Anne, âgée d'une vingtaine d'années, était réputée pour sa beauté ravissante, même sensuelle, comme des informateurs l'avaient rapporté à Henri...
    Il n'en fallut pas plus pour que le roi envoyât, sous la conduite de Roger, évêque de Chalons-sur-Marne, une ambassade chargée de bijoux qui demanda à Iaroslav la main de sa fille Anne pour le roi de France. Une telle proposition ne pouvait être refusée, et le prince slave était trop heureux d'ouvrir son pays à l'Occident. Anne fut sans tarder conduite en France sous une brillante et galante escorte. Henri, la voyant arriver à Reims au printemps 1051, en tomba aussitôt amoureux. Certains ont raconté qu'écartant les présentations d'usage, il se serait littéralement jeté sur elle devant tout le monde pour l'embrasser et que, l'étreinte un peu desserrée, elle lui aurait dit en rougissant : « Je suppose que c'est vous, n'est-ce pas, qui êtes le roi »...
    Le charme slave
    Le mariage fut célébré le 19 mai et la nouvelle reine se révéla aussitôt pieuse et charitable, avec le sourire et toujours dans la discrétion. Elle donna le jour en 1053 au futur Philippe Ier, ainsi prénommé en souvenir des rois de Macédoine dont prétendait descendre la Maison de Kiev. Tous les Philippe français, dont six rois, doivent depuis lors leur prénom à cette première alliance russe. Une alliance qui n'eut guère le temps de porter tous ses fruits, puisque le roi Henri Ier mourut dès 1060, après avoir l'année précédente pris la sage et désormais habituelle précaution de faire sacrer Philippe qui, de sa frèle et charmante voix de six ans, prononça impeccablement le serment du sacre.
    La régence revenant à l'oncle de l'enfant, Baudouin, comte de Flandre, Anne se retira dans le Valois d'abord à l'abbaye Saint-Vincent de Senlis, puis se mit à organiser des réceptions plus mondaines, attirant de galants seigneurs. L'un d'eux, Raoul, comte de Crépy-en-Valois, avait en 1051 accueilli au nom du roi la future reine à Montreuil-sur-Mer pour l'escorter jusqu'à Senlis : il ne l'avait jamais oubliée ! Marié, puis veuf, puis remarié sans amour, il osa tout bonnement enlever la reine-mère et la conduire secrètement à un prêtre facile... qui les maria. Les amoureux bravèrent des années durant les foudres de l'excommunication, puis tout s'apaisa à la mort de l'épouse légitime de Raoul. Après la mort de celui-ci en 1071, les historiens perdent la trace de la reine Anne, selon certains retournée en Russie, selon d'autres morte discrètement près de La Ferté-Allais vers 1076.
    Quoi qu'il en soit, ce mariage fut un événement de grande portée. Se rappeler que les relations franco-russes sont plus que millénaires et que tous les rois capétiens depuis Philippe Ier ont dans les veines du sang russe, n'est pas sans intérêt pour les relations diplomatiques de notre monde d'aujourd'hui.
    MICHEL FROMENTOUX  L’Action Française 2000 du 18 septembre au 1 er octobre 2008

  • Le fascinant Jean Bourdier

    Avant de diriger l'hebdomadaire Minute, Jean Bourdier s'illustra parmi les étudiants bagarreurs du Quartier latin, où il chahutait les vendeurs de L'Humanité aux côtés des camelots du roi...
    JEAN BOURDIER est mort il y a un an (le 3 octobre 2010). « Journaliste obstiné, écrivain occasionnel, Berrichon chauvin et maurassien stoïque », il vécut un roman épique : étudiant bagarreur au Quartier latin, passé par l'AF, dirigeant des Jeunes indépendants de Paris, soldat en Tunisie, engagé dans l'OAS, journaliste, directeur de Minute, éditeur... Un roman que le critique littéraire qu'il fut jugeait ainsi : « Quoiqu'il advienne de moi maintenant, j'ai eu la chance malgré les drames traversés en même temps que mon pays, d'avoir eu une existence merveilleuse. Non par mes propres mérites, mais par ceux des hommes et des femmes que le sort m'a fait rencontrer. » Jean-Baptiste Chaumeil a rassemblé dans un recueil les témoignages retraçant les tribulations d'un gentleman à qui fut épargné la « sottise absolue » de désespérer.... de ses amis. Nous reproduisons ci-dessous le témoignage de Pierre Chaumeil, ancien secrétaire de rédaction d'Aspects de la France, autre gentleman devenu "farmer" depuis qu'il s'est retiré sur son pré carré du Cantal.  N.M.
    À l'époque (vers 1946-1947), j'écrivais un billet violemment anti-communiste hebdomadaire pour le Journal du Cantal, organe départemental du Parti des Indépendants et Paysans dont l'un des pontifes n'était autre que Camille Laurens, député du Cantal, qui fut ministre de l'Agriculture durant quelques années. Plus tard, étudiant à Paris, je rencontrai Camille Laurens qui me déclara tout de go qu'il m'avait inscrit aux Jeunes Indépendants et Paysans qu'il venait de créer. Quoi qu'il en soit, quelques mois plus tard, je me rendis à une assemblée générale de ces jeunes. Nous étions une vingtaine (pour toute la France !) et il y avait là Jean Bourdier. Moins grand que moi, plus frêle aussi. Nous bavardâmes avec des remarques sans pitié pour le blabla des pontes du parti venus voir ces jeunes.
    Jean prônait l'action. Moi aussi, qui n'en manquais pas trop, adhérent de l'Action française, vendeur volontaire d' Aspects de la France à la criée, héritier des fameux Camelots du roi ! Plus encore, j'avais été sélectionné par Gérard Gilles pour entrer au redoutable Groupe Lescure qui rassemblait les cogneurs déterminés de l'AF et qui prêtaient serment. En 1952-1953, ce fut l'idée de la Communauté européenne de défense qui apparut. Cette CED était appelée à créer une unité de combat militaire franco-allemande. D'emblée, l'AF y fut opposée à juste titre. Par ailleurs, tous les jours, de 11 h 30 jusqu'à midi et demi, des étudiants, appuyés de quelques gros bras du parti, vendaient L'Humanité à la porte de la Sorbonne, et le Groupe Lescure décida de le leur interdire. C’est-à- dire que la moitié du Groupe se tenait prête, dès 11 heures, à attaquer les vendeurs cocos et leurs protecteurs.
    Bavette de boeuf
    Jean Bourdier, ayant quitté les Indépendants et Paysans, avait constitué un groupe de valeur dénommé Jeunes Indépendants de Paris (JIP). Il eut vent de l'affaire de la Sorbonne car il venait à toutes les réunions publiques de l'AF, comme la plupart d'entre nous se rendaient aux conférences de Pierre Taittinger, mentor des JIP. Toujours est-il que ce matin de mars, à 11 heures, les "casseurs" du Groupe Lescure se trouvaient rejoints par une bonne poignée de JIP avec... Jean Bourdier. Nous avions choisi de nous rassembler rue Soufflot, car cela nous avantageait, nous n'avions qu'à dévaler la rue de la Sorbonne et à attaquer dans la descente les vendeurs de L'Huma et leurs protecteurs. Ce qui fut fait à midi pile. Il va sans dire que nous reçûmes quelques coups et le courageux Jean portait à l'oeil droit un énorme coquard. Nous remontâmes vers la rue Soufflot en passant devant nos adversaires assommés et les débris des Huma déchirées. Rue Soufflot, Jean Bourdier nous fit entrer dans un bistrot propre et coquet tenu par deux jeunes Anglaises. Jean commanda aussitôt une tranche de bavette de boeuf cru qu'il s'appliqua derechef sur l'oeil droit et à l'entour. Puis il bavarda avec nous comme si de rien n'était. C'est dans ces conversations qu'il était proprement fascinant. Il avait une connaissance extraordinaire et précise de l'histoire de France et de l'Europe, à quoi il faut ajouter une science exacte de la vie parlementaire française depuis un siècle. Cette extraordinaire mémoire, je n'en ai connue qu'une autre, celle de Louis-François Auphann, cousin de l'amiral et chef des informations de L'Action Française. Une demi-heure de conversation animée et la fascination reprenait : Jean rendait sa bavette aux deux Anglaises et il avait l'oeil débarrassé de toute marque, ses paupières étaient redevenues roses comme devant !
    Amateur de blanc sec
    Il se savait un peu léger en poids et en gabarit, mais son audace le contraignait à se battre, ce qui est le fait du véritable courage. Bien sûr, tout cela n'allait pas sans boire : pour lui du blanc sec, pour moi et la plupart, du rouge et de la bière... Troisième fascination : plus Jean Bourdier buvait, plus il se détachait, se raidissant en se flegmatisant, si l'on peut dire, à la manière des Britanniques. Alors qu'au contraire, nous autres devenions prolixes, bavards et rêveurs... Enfin, j'ai gardé pour Jean une amitié plutôt admirative, regrettant ses trop longs séjours outre-Manche. Et voici une dizaine d'années, je fis avec quelques confrères, dont Brigitte Bourdier, son épouse, un voyage de gastronomes à Séville et au pays de la manzanilla. J'ai offert à Brigitte un sombrero de couleur amarante et, pour qu'elle le remette à Jean, une navaja de Tolède qui fut loin de pouvoir trancher notre amitié. À bientôt, Jean.
    Pierre Chaumeil L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 20 octobre au 2 novembre 2011
    Jean Bourdier, un gentleman français, Dualpha, 220 pages, 23 euros. Le même éditeur publie un livre posthume de Jean Bourdier, Mensonges historiques (235 p., 24 euros) qui démasque quelques forgeries contemporaines .

  • Les rebelles s’en prennent au patrimoine culturel syrien

    On pouvait malheureusement s’y attendre. Les sites archéologiques syriens sont le point de mire des rebelles. Le patrimoine culturel de la Syrie, héritage d’une histoire millénaire, est la partie la plus vulnérable mais aussi la plus attrayante pour les destructeurs du pays arabe. Complètement indifférents à la valeur qu’ont les sites et les pièces de collection aux yeux des Syriens mais aussi pour les personnes un tant soit peu civilisées, les rebelles sont en train de faire des ravages pour en tirer quelque profit. L’Irak a été pillé en son temps sous l’œil complice des troupes d’occupation. C’est désormais au tour de la Syrie. « Certains jours nous sommes des combattants et d’autres, nous sommes archéologues », déclare ironiquement dans un entretien au Washington Post un jeune rebelle de 27 ans originaire de la ville d’Idlib. Comme lui, d’autres rebelles interrogés par le quotidien d’Outre-Atlantique ont admis la contrebande d’antiquités, officiellement pour financer leur lutte contre le gouvernement de Bachar el-Assad.

    Toujours selon le Washington Post, des dizaines d’œuvres ont disparu en quelques mois à peines. Pis, certaines sont irrémédiablement endommagées. Parmi les objets volés, une statue en or datant de l’époque araméenne (VIIIème siècle avant l’EC) provenant du musée d’Hama et désormais inscrite sur les tablettes d’Interpol. Plus grave encore, des mosaïques byzantines de la cité romaine d’Apamée, près d’Alep, ont été retirées au bulldozer.

    Ceci n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg, et quand on sait tout ce que la Syrie recèle en matière de patrimoine (Palmyre, les châteaux des croisés, les sites pré-phéniciens, les villes de Damas et Alep, etc.), on peut facilement imaginer que les contrebandiers y trouveront leur compte.

    Il existe, selon le Washington Post, de véritables équipes de fouilles composées de jeunes dont la mission est de trouver dans les sites archéologiques de l’or, des statuettes, des mosaïques, et tout ce qui peut avoir une valeur marchande, fut-ce au prix d’irréparables déprédations. La destination principale des œuvres volées est la Jordanie, où la contrebande est favorisée par le flux quotidien de quelque 2.000 réfugiés. « Tous les jours, nous sommes contactés pour acheter de l’or syrien, des mosaïques syriennes et des statuettes syriennes », a confirmé un antiquaire d’Amman. « Damas est vendue ici à Amman, pièce par pièce ».

    La contrebande syrienne rappelle ce qui est survenu durant l’invasion de l’Irak par les États-Unis, car la Jordanie était également considérée comme un point de passage obligé pour les trésors volés. « Il est encore trop tôt pour comparer la situation en Syrie avec ce qui s’est passé en Irak », a dit Nayef Al Fayez, ministre du tourisme et des antiquités de Jordanie, « mais quand il y a des problèmes de sécurité, les sites archéologiques en sont les premières victimes. Et nous nous attendons à ce que ces événements se multiplient ».

    L’UNESCO n’a pas été en mesure pour le moment de quantifier l’ampleur des pillages et des détériorations du fait de la difficulté d’accéder aux sites historiques dans un pays en proie à des attaques terroristes. Le krak des chevaliers, l’un des plus beaux châteaux inscrit au patrimoine de l’humanité, a été exposé à des tirs et à des bombardements. Les anciens souks d’Alep sont partis en fumée et la ville de Bosra, jadis capitale de la province romaine d’Arabie, a subi également d’importants dommages.

    « Les gens peuvent nous condamner et nous traiter de voleurs », commente Abou Majed, un déserteur âgé de 30 ans qui dirige les chemins de la contrebande dans le sud du pays, « mais parfois, on doit sacrifier le passé pour garantir le futur ». Du fanatisme à la barbarie, il n’y a qu’un pas.

    Martin Capitaine http://www.voxnr.com