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culture et histoire - Page 1883

  • Effondrement du dollar et cycles de Kondratiev

    L’économiste russe Alexandre Aïvazov se fonde sur la théorie des cycles de Kondratiev pour prévoir l’effondrement de l’économie américaine aux alentours de 2014 et le transfert du leadership mondial vers la Chine. Le texte étudie également les perspectives de la Russie dans le monde “post-dollar”. Une synthèse du livre non traduit en français « Quand le dollar s’effondrera » (articles écrits entre 2008 et 2012).

    L’économiste russe Nikolai Kondratiev a émis une théorie des cycles longs, indiquant que l’économie pouvait se décomposer en périodes de croissance et de déclin, qui durent chacune entre 30 et 60 ans.

    À travers ses travaux, Kondratieff tente de démontrer la corrélation entre les cycles économico-boursiers et les excès de création monétaire basés sur la dette.

    Un cycle de Kondratiev est un cycle économique de l’ordre de 30 à 60 ans aussi appelé cycle de longue durée. Mis en évidence dès 1926 dans son ouvrage Les vagues longues de la conjoncture, il présente deux phases distinctes : une phase ascendante (phase A) et une phase descendante (phase B).

    Graphe retraçant le cycle de Kondratieff et les actifs à privilégier en ces différentes saisons. L’or et le cash sont les valeurs clé du moment. (Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

    I. Grandes étapes des bouleversements à venir

     

    La récession qui a éclaté en 2008 dans les pays développés s’est diffusée à toute l’économie mondiale: le monde est entré dans la phase baissière du Cinquième grand cycle de Kondratiev, qui durera jusqu’en 2020-2025. La récession  durera jusqu’à la fin 2009, après quoi surviendra un léger soubresaut de l’économie mondiale dû aux mesures anticrise menées par les gouvernements occidentaux.

    Mais en 2012-2013 commencera une dépression bien plus profonde et grave que la dépression des années 1930. Elle va toucher de plein fouet le secteur réel de l’économie et les pays se protègeront en introduisant des mesures protectionnistes. Parallèlement, ils commenceront à se débarrasser d’un dollar déclinant.

    Quand ces mesures prendront un caractère massif, le troisième défaut du dollar aura lieu (le premier remontant à 1933, le second à 1971), et la pyramide constituée par l’ensemble des dettes accumulées par les USA s’effondrera. Les États-Unis déclareront alors au monde: « la liberté du commerce et la libre-circulation des capitaux sont la principale valeur des USA (à qui elle a permis de consommer 40% du PIB mondial en n’en produisant que 20%). Et comme le reste du monde viole la pierre angulaire de l’économie de marché spéculative et néolibérale avec ses mesures protectionnistes, nous renonçons au dollar en tant que monnaie de réserve. Nos dettes sont effacées« .

    Ce défaut sur sa dette s’accompagnera de la transition vers une nouvelle devise (probablement l’Amero avec le Canada, le Mexique, et peut-être la Grande-Bretagne). Les États-Unis décideront alors librement d’échanger les dollars contre les Amero au taux qui les arrange en fonction des affinités. Certains pays se verront refuser la conversion.

    Suite à cela, jusqu’en 2016, l’économie mondiale s’adaptera à cette nouvelle situation. Le monde entier verra émerger des groupements régionaux de type Union européenne autour de gros pays comme la Chine, l’Inde, la Russie etc. ou de blocs d’États (pays islamiques, Amérique latine). Ces unions se doteront de devises régionales, qui pourraient être adossées à l’étalon or. De nouvelles organisations, formées sous les auspices de l’ONU et libérées des dictats américain, prendront la relève de l’OMC et du FMI, ces instruments de régulation visant en réalité à imposer partout la doctrine néolibérale.

    Pendant la gestation de ces unions régionales on verra apparaître les bases des nouvelles innovations qui constitueront la 6e BASE TECHNIQUE industrielle de la période haussière du VIe cycle de Kondratiev. Il s’agira probablement des nano- et biotechnologies, de l’ingénierie génétique, des technologies de l’information, des télécommunications spatiales et digitales, de l’énergie verte etc. On assistera ensuite à la phase haussière du 6e cycle de Kondratiev. Toutefois, avant cela, on traversera en 2017-2019 à une crise d’adaptation moins profonde que la précédente (2015).

    La phase actuelle, la vague baissière du 5CK (5e cycle de Kondratiev) s’achèvera aux alentours de 2020, puis l’économie entrera dans une phase haussière qui durera environ 20-25 ans. Avant cela, nous devrons donc faire face à une série de crises liées à la gestation de la nouvelle base technique et d’une architecture globale de marché dotée de nouveaux organismes de régulation. Tout ceci se fera sur la base du néo-keynésianisme, qui détrônera l’idéologie libérale qui dominait depuis les années 1980.

    II. La chute inéluctable du dollar

    Après la Deuxième Guerre mondiale, le système financier international fonctionnait selon les règles instaurées à Bretton Woods. Ce système considérait comme unique monnaie de réserve internationale le dollar fermement indexé sur l’équivalent or (1 once d’or = 35 dollars). Différents pays ont d’ailleurs recouru au droit d’effectuer la conversion de leurs dollars en or, comme la France de De Gaulle. Ceci a nettement amenuisé les réserves des USA, qui détenaient 70% de l’or mondial au lendemain de la guerre. Bretton Woods a été remplacé par les accords de Jamaïque, qui déliaient le dollar de l’étalon or. Ce fut le début d’une vaste dégringolade.

    Actuellement, les USA, produisant environ 20% du PIB mondial, consomment près de 40% de la production mondiale avec moins de 5% de la population planétaire. 

    Comment le pays couvre-t-il cette différence? En imprimant des dollars et en émettant des bons du trésor et d’autres titres sans plus de valeur que le morceau de papier sur lequel elles sont imprimées. Le prix de ces obligations ne cesse de baisser, ce dont témoigne notamment la hausse de l’or. Actuellement, la dette américaine atteint 60 milliards d’euros, soit quatre fois le PIB américain et près de la totalité du PIB mondial.

    Si les USA décidaient de rembourser leur dette, ils devraient pendant quatre ans s’abstenir de consommer quoi que ce soit et verser la totalité de leurs revenus. Mais qu’il soit clair que les États-Unis n’ont aucune intention de rembourser leur dette, ce qui causerait une chute des dépenses publiques et une baisse du niveau de vie des Américains. C’est pourquoi ils ont transformé leur système financier en une énorme pyramide financière afin de prolonger sa durée de vie. Le tout appuyé par des agences de notation chargées de « confirmer » la solidité de la pyramide américaine.

    Car l’économie américaine fonctionne en fin de compte comme n’importe quelle pyramide financière. Le principe d’une pyramide? L’afflux de nouvelles entrées financières sert à honorer les engagements envers les investisseurs précédents et à réaliser différentes opérations (publicité, manipulation des taux, etc) visant à attirer encore et toujours de ressources. Mais les entrées d’argent doivent toujours être supérieures aux investissements précédents. C’est pourquoi toute pyramide possède une limite de croissance.

    Le système financier américain arrive actuellement aux limites de sa croissance. Quelle que soit la politique menée à l’avenir, l’effondrement du dollar est inévitable. Des processus de stagflation se dessinent, comme dans les années 1970. Les déficits budgétaire, extérieur et des paiements des USA s’approfondissent. Le niveau d’épargne est devenu négatif pour la première fois de toute l’histoire des États-Unis, et la valeur du dollar a été divisée par 1,5 ces cinq dernières années. L’or et les matières premières, de leur côté, augmentent. La méfiance envers le dollar et le système financier fondé sur cette devise s’intensifie dans de nombreux pays. La fuite hors du dollar vers l’euro a commencé (la Chine ayant déjà annoncé le transfert d’une partie de ses réserves en euros).

    III. Les cycles de Kondratiev

    Il y a plus de 80 ans, l’éminent économiste russe N. Kondratiev a formulé et théorisé l’existence de vastes cycles économiques (45-60 ans) durant lesquels se produit le renouvellement de la « réserve des principaux biens matériels ». Cela signifie que les forces productives mondiales évoluent vers un niveau plus élevé de développement. Ces cycles sont divisés en phase haussière et phase baissière. Le passage d’un cycle à l’autre est basé sur les processus d’accumulation, de concentration, de pulvérisation et de dévalorisation du capital en tant que facteur clé de développement de l’économie capitaliste.

    Pendant la révolution russe de février 1917, Kondratiev fut adjoint au ministre du Ravitaillement des gouvernements Lvov et Kerensky. Dans les années 1920, il est le brillant directeur de l’Institut des Conjonctures Économiques au Commissariat du Peuple aux Finances. Son passé, mais aussi ses théories gênantes démontrant que le capitalisme reprendrait son expansion après chaque crise, lui valut les foudres de Staline.

    « Chaque étape suivante du cycle est la conséquence des conditions accumulées au cours de la période précédente, et les cycles, dans un contexte d’économie capitaliste, se succèdent naturellement, tout comme les phases viennent l’une après l’autre. Il convient cependant de se rappeler que chaque nouveau cycle évolue dans de nouvelles conditions historiques concrètes, à un nouveau niveau de développement des forces productives, c’est pourquoi on n’est jamais en présence de la répétition pure et simple d’un nouveau cycle« .

    Voici la succession des cycles projetée par Kondratiev:

    Ier cycle: – Phase haussière: fin des années 1780-début des années 1790 – 1810-1817

    - Phase baissière: 1810-1817 à 1844-1851

    IIe cycle: – Phase haussière: de 1844-1851 à 1870-1875

    - Phase baissière: de 1870-1875 à 1890-1896

    IIIe cycle: – Phase haussière de 1890-1896 à 1914-1920

    - Phase baissière de 1914-1920 à 1936-1940.

    IVe cycle: -  Phase haussière: de 1936-1940 à 1966-1971

    - Phase baissière: de 1966-1971 à 1980-1985

    Ve cycle: -  Phase haussière: de 1980-1985 à 2000-2007

    - Phase baissière: de 2000-2007 à 2015-2025

    VIe cycle: – Phase haussière: de 2015-2025 à 2035-2045

    Kondratiev a été emprisonné en 1930 et fusillé en 1938, sa théorie ayant été mal perçue des autorités soviétiques (il était notamment hostile à une planification rigoureuse sans prise en compte de la réaction du marché). Son travail est passé aux oubliettes pendant près de 60 ans avant d’être redécouvert dans les années 1985 et affiné par différents économistes. Kondratiev était tout de même parvenu à prédire avec précision la phase baissière de la fin des années 1920 (grande dépression).

    Chaque cycle repose sur un agrégat de technologies de base, vecteur de développement qui va donner naissance à différents secteurs économiques et générer de nouveaux investissements. Il est à noter que cette base technologique est créée pendant la période baissière de la phase précédente, chaque crise contenant les germes de la croissance future. L’évolution du nouveau cycle se caractérise de la sorte: étape pionnière (implantation des nouvelles technologies), expansion (utilisation de masse), saturation, et disparition complète de toute perspective d’expansion future.

    Dès l’étape de saturation, on note une baisse du rythme de croissance, on observe çà et là des phénomènes de surinvestissement et des capacités excédentaires. Le profit devient si faible dans le secteur réel que ce processus n’est plus attrayant. L’argent se dirige alors vers les spéculations financières, où ils dégagent des profits phénoménaux. Des bulles se forment dans l’immobilier, les finances etc., provoquant en fin de compte la disparition du capital qui y est investi.

    Les périodes de crise (phase baissière) exigent objectivement un renforcement du rôle dirigiste et des fonctions de l’État dans l’économie avec une forte restriction de l’utilisation des schémas libéraux. A l’inverse, les périodes de hausse exigent au contraire plus de liberté pour les entrepreneurs et la prise de décisions en matière d’investissement, la levée des obstacles aux flux de capitaux, et une plus grande flexibilité du marché du travail.

    Cette libéralisation est nécessaire afin de permettre l’assimilation des innovations de base, la réorganisation structurelle et l’expansion économique. Cependant, en phase de saturation, cette libéralisation mènera à la surchauffe de l’économie et à la formation de différentes bulles et pyramides, accélérant l’arrivée de la crise et une nouvelle vague d’ »étatisation » de l’économie.

    6CK

    Graphique permettant de visualiser la crise actuelle (phase baissière du Ve CK) et le début de la phase haussière du VIe CK. Verticale: PIB mondial, horizontale: années.

    IV. Consensus de Washington vs. Consensus de Pékin

    Actuellement, la Russie est dominée par le modèle de développement économique néolibéral. Ce modèle est qualifié par Aïvazov de « spéculatif », car son essence est de détruire tout obstacle à l’accumulation incontrôlée de capitaux par le biais de la spéculation. C’est l’économie dite « casino ».

    Ce modèle s’est imposé dans les années 1980 avec l’arrivée au pouvoir de Reagan et de Thatcher. Les vecteurs de cette idéologie étaient les grandes compagnies transnationales qui ont alors accumulé une immense puissance financière et économique. Leur capitale officieuse est la City de Londres, les grandes compagnies ayant auparavant, selon Aïvazov, cherché à s’implanter à Paris en demandant le transfert de la capitale française à Lyon.

    Les grands axes du « consensus de Washington » sont:

    - Politique du pays visant en premier lieu à le rendre attrayant aux yeux des investisseurs.

    - Réduction au strict minimum des programmes d’aide sociale. Monétisation de ces derniers.

    - Politique monétaire restrictive profitant aux riches.

    - Totale liberté de déplacement des capitaux

    - Privatisation et transformation de toute ressource en bien de consommation.

    - Réformes fiscales visant à imposer le gros du fardeau aux couches les plus pauvres de la société.

    Le « consensus de Washington » a été à la base des réformes menées en Russie, en Amérique latine, en Europe de l’Est et en Asie, à l’exception de la Chine, par le biais du FMI et de la Banque mondiale.  Le principe était de forcer ces pays à ne pas créer leur propre système financier, mais à s’arrimer à des devises étrangères, principalement le dollar.

    Face au consensus de Washington a peu émergé une alternative parfois qualifiée de « consensus de Shanghai », qui a permis d’assurer une forte croissance, d’éviter l’instabilité politique, et malgré la pression du FMI/BM, de mettre en place un système financier sous contrôle souverain.

    C’est précisément la Chine qui montre que la croissance économique n’est pas uniquement possible sous la bannière américaine, mais aussi sous le contrôle d’un État souverain. Un État qui soutient l’innovation, renforce la politique industrielle, et soutient l’expansion des entreprises nationales sur la scène internationale.

    Ses principes de base sont:

    - Assurer la croissance en maintenant une indépendance vis-à-vis du capital international.

    - Efforts d’innovation et recherche.

    - Protection des frontières nationales et des intérêts nationaux.

    - Accumulation d’instruments de force asymétrique (par exemple des milliards de dollars de réserves de change).

    La Chine a obtenu une stabilité monétaire, et cherche à renforcer la justice sociale en augmentant la part du PIB redistribuée par l’État et en intensifiant le contrôle sur le gros capital privé. Pékin ne vit pas la mondialisation comme une libéralisation totale, l’État conservant une importante mainmise sur l’économie (de l’ordre de 65%). Le géant asiatique s’impose en outre comme le moteur de processus de régionalisation à différents niveaux (BRICS, ASEAN, OCS, etc).

    V. Trois modèles pour demain

    Nous entrons actuellement dans une phase de grands bouleversements. Le monde, tel les trois preux russes, se demande: par où aller? Actuellement, on voit émerger trois grands modèles, qui se dessineront de façon précise après la phase baissière du cycle de Kondratiev (d’ici 2015).

    a) Le modèle des néoconservateurs américains. Ce modèle est fondé sur la manipulation de la conscience collective à l’aide des médias transfrontaliers, des drogues, et de la culture pop. Son but final: l’implantation de cartes à puce dans tous les domaines de la société, et même l’être humain afin de le contrôler. Les néocons prévoient l’utilisation d’armées de mercenaires privées pour régler les questions sensibles en contournant les organisations internationales. Ses instigateurs cachent leurs fonds dans différents paradis fiscaux. L’utilisation du « terrorisme » à des fins de manipulation collective devrait s’intensifier dans le cadre de ce modèle.

    b) Le modèle néokeynésien ou modèle chinois est pratiquement l’incarnation de l’idée de Kondratiev selon laquelle un plan étatique doit exister, mais qu’il est vérifié et confirmé par le marché. Kondratiev était opposé à une planification dirigiste stricte, mais considérait que les objectifs devaient être combinés à de fines adaptations et réglages de marché, définis par le consommateur final. Un modèle éprouvé lors de la dernière crise, lorsque la Chine a compensé la chute de ses exportations en investissant dans la hausse de son marché intérieur et dans des projets d’investissement. La Chine a réduit ses pertes et aidé d’autres pays à surmonter la crise.

    c) Modèle islamique. Ce modèle acquiert dernièrement un rayonnement croissant. Les investissements réalisés conformément à la loi islamique constituent une sorte de placement éthique. Les investissements dans certains activités telles que la vente d’alcool, la promotion des jeux de hasard etc sont interdits. Les banques islamiques refusent l’usure. Les banques possédées par des actionnaires et les établissements de dépôt y sont séparés. En outre, les établissements islamiques ne prennent pas part aux activités spéculatives et à l’économie dite « casino ».

    VI. D’où vient la Russie?

    La Russie a toujours eu un temps de retard sur l’évolution des autres économies, les guerres ayant au cours de l’histoire constitué la « preuve » de cette arriération.  Alors que l’Angleterre était équipée de navires à vapeur, la flotte russe était uniquement constituée de navires à voile, car l’occident était en phase de gestation d’une nouvelle Base technique. Cette Base technique, la Russie l’a laissée échapper en raison de la « stabilité » prônée par les dirigeants de l’époque de Nicolas Ier. La guerre de Crimée de 1853-56 a mis à jour ce retard pris par la Russie.

    La « stabilité » de l’époque d’Alexandre III et le début du règne de Nicolas II ont débouché sur la défaite lors de la guerre russo-japonaise. La nouvelle base technique fondée sur l’électricité, formée à l’Ouest au dernier tiers du XIXe siècle, n’a commencé à voir le jour en Russie que 40 ans plus tard, sous l’URSS.

    Une seule fois au cours des 250 dernières années, la Russie a été à l’ “avant-garde de la compétition économique”: c’est quand elle a utilisé la grande dépression (phase baissière du IVe CK) afin de posséder les dernières innovations. La façon dont une telle percée a été réalisée (goulag, Golodomor) constitue une autre question.

    Mais le fait est qu’en trois plans quinquennaux, l’URSS est parvenue à faire surmonter au pays un retard de 40 ans. Le pays est remonté dans le peloton de tête, s’assurant la victoire lors de la 2 GM et par la suite ses succès dans le domaine spatial.

    L’URSS a par la suite manqué une nouvelle étape technique durant la « stagnation » sous Brejnev, ce qui a provoqué sa défaite lors de la guerre froide.

    Concernant les perspectives de la Russie dans le futur (6e) cycle de Kondratiev: les slogans scandés par les dirigeants russes, qui appellent à mettre en place une « économie de l’innovation », resteront lettre morte tant qu’ils s’efforceront d’arrimer l’économie russe au dollar américain au lieu de financer la mise en place des infrastructures de la prochaine révolution technologique.

    VII. Où va la Russie?

    La Russie est dans une situation paradoxale: d’un côté Moscou, par la bouche de son leader national, a ébauché une doctrine (Stratégie 2020) absolument en phase avec les exigences du Sixième cycle de Kondratiev; de l’autre, ce même leader national et les personnes en charge de l’économie russe au sein du gouvernement et de la Banque de Russie affichent dans leur politique une totale soumission aux principes du Consensus de Washington et au modèle néolibéral, à l’origine de la crise.

    Les principes du Consensus de Washington ont été imposés à partir de 1992 en Russie sous la pression du FMI. Le défaut de paiement de la Russie de 1998 a été la conséquence directe des réformes libérales menées au pas de course (« thérapie de choc »).

    Si l’on observe la politique monétaire menée par la Russie jusqu’à une date récente, on constate que le principal canal d’émission du rouble est l’achat de devises étrangères. La Banque centrale de Russie imprime de l’argent, stimulant de la sorte l’inflation, non pas en fonction des besoins de l’économie nationale, mais uniquement en vue du rachat des devises étrangères.  D’énorme sommes ont en outre été allouées au Fonds de stabilisation en devise, arrimant de la sorte l’économie du pays au dollar US. Cette politique a notamment obligé les banques et entreprises russes à aller emprunter de l’argent à l’étranger pour assurer leur développement. C’est précisément ce qui a cantonné la Russie au statut d’économie de matières premières.

    Les discours appelant à mettre en place en Russie une économie de l’innovation resteront lettre morte tant que le pays restera attelé au consensus de Washington; les puissances occidentales ne tolèreront pas que la Russie passe du statut de marchand de matières premières à celui de concurrent.

    La Russie est actuellement face à un choix historique. Si notre pays continue d’évoluer dans le sillage du système financier américain, en pensant passivement que « si ça se trouve on s’en sortira », notre système sera enterré sous les décombres de la pyramide américaine.

    En effet, la Russie n’a pour le moment pas été capable de mettre en place un système financier souverain. Le ministère russe des Finances et la Banque de Russie financent en réalité le déficit du budget US, mais pas les banques et corporations russes. Ce n’est que quand le tonnerre a grondé en 2008 que nos autorités financières se sont rappelées l’existence d’un système financier russe autonome, créant en toute hâte un système de refinancement au sein du pays et insufflant de l’argent dans l’économie russe. Ceci a notamment permis  d’éponger les crédits en devises des entreprises russes.

    Les tentatives visant à sauver le système financier actuel sont vouées à l’échec. Si elle se lance dans cette voie, la Russie sera perdante.

    Mais il existe une autre voie possible. La Russie peut saisir au bond la balle de l’initiative civilisationnelle, et se poser en architecte en leader du « monde post-dollar » en promouvant les réformes nécessaires avec les BRICS et d’autres pays.

    Aucun autre Etat que la Russie n’a l’expérience nécessaire dans ce domaine. Même la Chine n’est pas encore assez mûre. Elle n’a pas l’expérience de  puissance mondiale que la Russie, héritière de l’URSS, a formée après la Seconde Guerre mondiale pendant la Guerre froide. L’Europe divisée s’est confinée au rôle de vassale des Etats-Unis.

    La Russie peut être la locomotive de l’architecture du futur système mondial, destinée à surmonter les conséquences destructrices de la phase baissière du Cinquième cycle de Kondratiev. Quand en 2012-2015 l’économie américaine s’effondrera, la Russie, riche de ses étendues immenses, de ses fantastiques réserves de matières premières, des terres les plus fertiles au monde et d’un fort potentiel scientifique, pourrait devenir le centre d’attraction des investissements du monde entier et d’utilisation des technologies de pointe.

    La Russie doit absolument intégrer l’OPEP, créer une « OPEP du gaz », mais aussi promouvoir une « OPEP alimentaire » vouée à organiser la lutte contre la spéculation effrénée sur les marchés.

    Il faut ici se rappeler comment la Russie est parvenue, lors de la phase baissière du 4e cycle de Kondratiev, à utiliser la Grande dépression de 1929 pour rattraper son retard, modernisant et industrialisant son économie, ce qui lui a permis de remporter la Seconde guerre mondiale, d’atteindre la parité militaire avec les États-Unis et, par la suite, de remporter la bataille pour la conquête de l’espace.

    Si la Russie continue durant la phase baissière du 5e cycle de Kondratiev à soutenir un système financier en ruine avec ses réserves de change et les moyens de son Fonds de stabilisation, elle périclitera. Il faut donc investir les fonds russes dans les innovations de la nouvelle (6e) Base technique, dans l’infrastructure du pays, et peut-être en dernière instance dans des corporations occidentales dépréciées qu’elle pourra racheter à bas prix. Mais surtout, elle doit éviter à tout prix d’investir dans les instruments financiers d’un système américain en faillite.

    Les choix historiques ont une importance cruciale: il y a 100 ans, la Russie réalisait une erreur stratégique en se mettant aux côtés de l’Alliance dirigée par l’empire britannique et la dynastie Rothschild. Le résultat fut la révolution, la destruction de l’Empire russe, la guerre civile. Une mer de sang et les souffrances de millions de gens: tel est le prix d’une erreur que Nicolas II paya lui aussi de sa vie.

    Actuellement, la Russie est exactement dans la même situation: choisira-t-elle de soutenir un système appartenant au passé, mais encore puissant, incarné par les pays anglo-saxons et Israël, ou s’alliera-t-elle aux nouveaux centres de l’économie mondiale (BRICS, OCS, Union eurasiatique) représentant le moteur de l’avenir? Telle est la question.

    Impressions russes   http://fortune.fdesouche.com

  • L'affaire Dreyfus entre nous

    L’affaire Dreyfus occupe une place primordiale dans la mythologie républicaine ; quoique reléguée dans l'histoire, estompée par le culte mémoriel de la Shoah, elle a été et reste l'élément fondateur de notre culpabilité collective. À nous Français - la France de l'affaire Dreyfus est antisémite ; à nous nationalistes - de Maurras à Le Pen, la droite française porte le stigmate d'avoir fait condamner un innocent. Une affaire qui nous agace, une affaire qui nous gêne, une affaire qu'on aimerait bien oublier, mais qu'on nous ressort régulièrement. Alors que faire ? Faut-il pratiquer la repentance ? Faut-il affirmer orgueilleusement la culpabilité du traître de 1894 ? Avant de définir une attitude, péché mignon de notre camp, il faudrait d'abord travailler, tenter d'y voir clair. C'est ce que j'ai fait, partie avec l'idée de comprendre, de dégager l'affaire réelle du verbiage qui l'entoure, de réfuter légendes et ragots - à commencer par ceux véhiculés « chez nous » qui sont autant de pièges. Je voulais faire sobre et court (à l'origine, un simple article pour Rivarol !), mais l'affaire Dreyfus est trop complexe, une question en entraîne une autre et, sept ans après, j'ai abouti à Dreyfus-Esterhazy, réfutation de la vulgate, réfutation dont ma plus grande fierté est d'avoir convaincu de son bien-fondé Georges-Paul Wagner, à qui la seconde édition est dédiée*.
    Reprenons à zéro. D'abord il y a deux « affaires Dreyfus » : la première, celle de 1894, qui s'achève par la condamnation d'Alfred Dreyfus pour trahison ; la seconde qui commence dans les coulisses en 1896, devient publique à l'automne 1897 avec l'apparition d'Esterhazy présenté comme le véritable coupable, atteint son paroxysme en 1898 et s'achève en 1899 par une nouvelle condamnation de Dreyfus au procès de Rennes. La seconde cassation et la réhabilitation, en 1906, ne sont, pour dire vite, que les retombées d'une affaire déjà refroidie et politiquement jugée.
    L'AFFAIRE DE 1894
    En 1894, l'affaire est celle du "bordereau", note manuscrite trouvée dans la corbeille à papiers de l'attaché militaire de l'ambassade d'Allemagne, Maximilien von Schwartzkoppen. L'origine est incontestable : nous connaissons aujourd'hui une masse de documents de même provenance, certains très importants, ainsi jetés à légère par un homme qui pratiquait pourtant fort sérieusement l'espionnage, avec des résultats tangibles. Mais nous sommes au XIXe siècle, aux balbutiements du Renseignement, qui se pratique alors avec des méthodes d'une grande naïveté à nos yeux (lunettes noires pour se dissimuler, petit trou dans les conduits pour écouter les conversations...) Les militaires français connaissent le sérieux de la source, mais ne peuvent la révéler. Cela donnera lieu à bien des complications... Le bordereau, anonyme, est une liste de cinq sujets sur lesquels l'auteur propose « quelques renseignements intéressants » qui semblent émaner de différents bureaux du ministère de la Guerre ; d'où l'idée de chercher parmi les officiers stagiaires. Un seul élément concret : l'écriture. Les comparaisons d'écriture mènent à Alfred Dreyfus.
    26 septembre - 22 décembre : enquête, premiers interrogatoires, instruction, procès, condamnation, tout cela est mené au pas de charge. Un dossier secret a été remis au tribunal militaire à l'insu de la défense, contenant des pièces issues de la même source que le bordereau. Nous sommes en 1894, dans un contexte très tendu avec l'Allemagne, haïe-admirée depuis l'humiliante défaite de 1870 ; on ne badine pas avec la trahison ; on ne s'embarrasse pas de scrupules juridiques. Son pourvoi en cassation rejeté, Dreyfus est dégradé le 5 janvier 1895 et expédié à l'île du Diable.
    Que peut-on dire de cette première phase ?
    D'abord, rejeter énergiquement la version selon laquelle Alfred Dreyfus aurait été accusé parce qu'il était un officier israélite. C'est absolument faux. Cet argument de propagande de l'époque repose sur des allégations sans fondement, reprises et amplifiées par des auteurs qui se copient les uns et les autres (notamment une déclaration tronquée et altérée du colonel Sandherr que l'on retrouve partout). Rien ne l'étaye. Dreyfus a été repéré parce qu'on cherchait la "taupe" parmi les stagiaires étant passés par les différents bureaux de l'état-major et que son écriture ressemblait à celle du bordereau. Son attitude gênée lors des interrogatoires, ses réponses embarrassées, parfois contradictoires, ont fait le reste.
    Ensuite, se débarrasser d'une légende tenace chez les antidreyfusards : non, Dreyfus n'a pas avoué. En aucun cas de vrais aveux au caractère officiel. Mais pas davantage ces bribes d'aveux qui lui auraient échappés le jour de la dégradation. Propos peu cohérents, d'interprétation aventureuse, recueillis dans des conditions de déréliction, rapportés tardivement dans des circonstances suspectes : rien à retenir de ces sornettes ni des sombres histoires qui les entourent (décès inexpliqués, etc.)
    Enfin, regarder en face les faiblesses du procès, grosses des tempêtes à venir. La mise en accusation d'Alfred Dreyfus reposait sur de forts soupçons, sa culpabilité a emporté la sincère conviction des différents acteurs du drame. Et pourtant... Et pourtant les expertises d'écriture n'ont pas fait l'unanimité. Le contenu des notes énumérées dans le bordereau n'a pas été connu, ni même cerné par d'éventuels recoupements. Aucune des pièces du dossier secret n'incrimine formellement Dreyfus. C'est léger, très très léger... On a établi qu'il pouvait connaître les thèmes évoqués, non qu'il les a connus ; on n'a pu trouver de mobile, l'accusé étant fortuné, son appartenance à des cercles de jeu évoquée mais non prouvée ; on a mis en évidence le caractère fureteur, rancunier, antipathique du personnage. Tout cela, exact, ne fait pas un coupable.
    Ajoutons que le procès de Rennes, qui a fait la lumière sur beaucoup de points, n'a pas apporté plus de preuves contre Dreyfus. Sa condamnation, à cinq voix contre deux, pour trahison « avec circonstances atténuantes » (lesquelles ?! Il est stupéfiant que les militaristes se soient réjouis de pareil verdict...) porte la trace des doutes éprouvés par les juges.
    Alors ?
    Coupable ? Innocent ? Sincèrement je ne sais pas, et je ne pense pas qu'on puisse savoir sans retrouver les fameuses notes livrées à l'Allemagne, mais ce qui est sûr c'est qu'aujourd'hui Alfred Dreyfus serait relaxé au bénéfice du doute. Le contexte de l'époque, l'horreur qu'inspirait la trahison (à comparer avec la pédomanie de nos jours), la volonté d'un châtiment exemplaire, peuvent expliquer les carences du procès de 1894. Mais cela ne saurait les justifier, ni constituer une caution historique. Non, un tribunal militaire n'est pas infaillible ! Et il est bien dommage que les nationalistes de l'époque ne se soient pas rangés derrière l'avis d'Urbain Gohier, très tôt partisan de la révision d'une condamnation qui « en violant les garanties que la loi accorde à tout accusé [...] créait un précédent qui pouvait être employé contre n'importe quel citoyen français n'épousant pas les idées du gouvernement ».
    ESTERHAZY
    Coupable ? Pas sûr, ce qui suffit pour un acquittement juridique. Innocent ? Jamais les partisans de Dreyfus n'auraient pu imposer cet acquittement historique sans le secours d'un « vrai coupable » : Esterhazy.
    Allons droit au but. J'ai acquis la conviction qu'Esterhazy a été stipendié par les dreyfusards pour endosser la culpabilité. Cette hypothèse, évidemment dénigrée par les auteurs actuels, a été évoquée en son temps par les antidreyfusards, voire même affirmée, mais jamais étayée sérieusement. Elle nécessite une connaissance approfondie de l'affaire (impossible de faire simple...), elle reste une hypothèse au sens strict où je n'en apporte pas la preuve formelle, mais elle repose sur des arguments solides, elle est cohérente et permet d'expliquer nombre de mystères de l'affaire. Les lecteurs d'Ecrits de Paris, pas plus que ceux de mon livre, ne sont obligés de me suivre jusqu'au bout, mais au moins qu'ils retiennent quelques bases saines. À utiliser sans modération !
    On nous gave de sornettes. Non, Esterhazy n'a pas été confondu par les experts en écriture. Les seules expertises officielles, effectuées par des professionnels, ont conclu que son écriture n'était pas celle du bordereau. Certes une kyrielle de témoins, parés de titres universitaires, sont venus dire que les deux écritures étaient identiques : mais tous sont des dreyfusards engagés, aucun n'a de compétences en graphologie. Certes des lettres providentielles d'Esterhazy sont réapparues, comportant des analogies d'écriture flagrantes : toutes sont suspectes d'avoir été refaites après coup et certaines ont une histoire si rocambolesque que les auteurs de la vulgate choisissent de la passer sous silence.
    Non, les aveux d'Esterhazy ne prouvent rien du tout. Il a d'abord été acquitté, sinon avec la complicité des militaires, du moins à leur grande satisfaction car ils n'ont vu que du feu à ce qui se préparait. Cet acquittement (janvier 1898), qui donne lieu au célèbre « J'accuse » de Zola et lance la phase aiguë de la crise, met Esterhazy définitivement à l'abri de toute poursuite : c'est alors seulement qu'il avoue être l'auteur du bordereau, aveux rétractés, modifiés, renouvelés au gré des circonstances. Argument joker des dreyfusards, ces pseudoaveux ne donnent aucune explication satisfaisante.
    Plus subtil, réservé aux connaisseurs, il y a aussi la dénonciation de Schwartzkoppen. Dans un ouvrage posthume, publié en 1930, celui-ci "avoue" que son informateur était bien Esterhazy. Parmi d'autres éléments suspects, je montre que des passages entiers de ce petit livre sont recopiés dans les œuvres de Joseph Reinach, le grand ordonnateur dreyfusard. Exit.
    Non, car certains le croient, la Cour de cassation, en 1906, n'a pas établi la culpabilité d'Esterhazy dont le cas ne lui était nullement soumis.
    Non, on n'a jamais pu établir ni qu'Esterhazy était en mesure de fournir les renseignements évoqués, ni qu'il était allé « en manœuvres » comme l'annonce l'auteur du bordereau - on sait même qu'il a commis un faux pour faire croire qu'il était au camp de Châlons lors d'essais du canon de 120. Les auteurs modernes, devant renoncer aux théories extravagantes de l'époque, telle une complicité avec le colonel Henry, se contentent d'une version soft, faisant de leur traître un petit espion de pacotille, mi-fou mi-escroc, ce qui permet de renoncer à toute démonstration. En ce qui concerne la trahison de 1894, le dossier d'Esterhazy est vide, bien plus vide que celui de Dreyfus.
    Non, Esterhazy n'a pas été le jouet des services de renseignements lors des contacts qui s'établissent à l'automne 1897. Cet épisode particulièrement ténébreux et compromettant pour l'armée, surtout en un temps où l'espionnage était ressenti comme indigne d'un officier, est à l'origine de moult complications, l'état-major se trouvant contraint de désavouer un homme courageux et lucide comme du Paty de Clam, ennemi numéro un des dreyfusards. Je montre qu'il est bien plus plausible que ce soit Esterhazy qui ait piégé les militaires, Esterhazy téléguidé par les dreyfusards.
    Le fait est qu'à ce moment toutes ses initiatives poussent à la réouverture du dossier Dreyfus, issue que les militaires repoussent tant qu'ils le peuvent, et sont d'un synchronisme parfait avec les démarches politiques du sénateur Scheurer-Kestener au même moment.
    Non, Esterhazy n'est pas un vieil ami d'Edouard Drumont - s'il a ses entrées à la Libre Parole, c'est après en avoir forcé les portes en 1896, et ses interventions de 1897 à 1899 dans le quotidien antisémite ont pour principal résultat de ridiculiser le journal. En revanche, c'est une vieille relation des Rothschild ; philosémite affiché, témoin de Crémieu-Foa dans le duel de celui-ci contre Drumont en 1892, il arrive à soutirer des subsides de cette élite israélite, tôt mobilisée pour défendre son coreligionnaire. Il existe une lettre d'Esterhazy, de début 1895, offrant ses services à Edmond de Rothschild. Toujours à court d'argent, dénué de scrupules, il était bien l'homme à utiliser comme coupable de substitution.
    Mais si Esterhazy n'est pas celui qu'on dit, il faut que le colonel Picquart, qui a découvert sa culpabilité à partir d'un nouveau document issu de la corbeille de Schwartzoppen, le Petit bleu, ne soit pas le preux chevalier que nous présente la vulgate. Les éléments existent étayant cette insolente hypothèse. Je montre par exemple que dès avril 1896, Picquart a établi une corrélation entre Esterhazy et Dreyfus, ce qui est contraire à toutes ses affirmations et dissimule forcément quelque chose.
    MUR DE MENSONGES
    Bien des coïncidences sont gênantes pour les dreyfusards. Simultanéité des actions de Picquart et de Mathieu Dreyfus en 1896, d'Esterhazy et de Scheurer-Kestner à l'automne 1897. Selon nos auteurs, tout cela serait fortuit. Comme il serait fortuit qu'Esterhazy soit dénoncé par sa cousine au moment où l'enquête contre lui piétine, puis quelques mois plus tard par son neveu dans un contexte qui permet de faire revenir Picquart en scène au moment précis où les dreyfusards en ont besoin. J'ai sorti tous ces faits de l'ombre. J'ai analysé des points cruciaux comme la façon dont Mathieu Dreyfus a eu connaissance du dossier secret : ce qu'on nous raconte ne tient pas, et l'officier qui a remis ledit dossier au conseil de guerre était Picquart...
    Il faut savoir que les dreyfusards ont entouré leur propre histoire d'un mur de silence, voire de mensonges justifiés â l'époque pour des militants, mais qu'il est sidérant de voir pieusement respectés par de prétendus historiens (visions d'une voyante, vertu intransigeante de la famille réputée s'être abstenue de tout contact avec l'Allemagne, avec Scheurer - ce qui est faux, etc.) C'est en grattant cette croûte maintenant séculaire que j'ai dressé une liste de questions auxquelles une réponse cohérente est la duplicité d’Esterhazy au profit de Dreyfus.
    LES ENJEUX
    Ce qui pourrait n'être qu'une passionnante énigme policière sortie du passé est une histoire lourde d'implications politiques. Dreyfus, hypothétique victime d'une erreur judiciaire comme il y en a eu cent, est un personnage falot qui s'efface derrière sa cause. Aujourd'hui comme hier, on se s'engage pas pour ou contre Dreyfus, mais pour ou contre l'armée, pour ou contre l'ordre moral, pour ou contre les droits de l'individu, etc. Ce sont les dreyfusards qui ont placé l'affaire sur ce terrain idéologique, de façon irréversible à partir de « J'accuse ». Et les nationalistes se sont rués joyeusement dans la bataille. Avec le recul, on ne peut que regretter que de belles intelligences comme Maurras, Brunetière, Barrès aient accepté les enjeux dans les termes imposés par les dreyfusards : ou Dreyfus est coupable et l'autorité de l'Etat est intacte ; ou Dreyfus est innocent et l'armée, donc le sentiment patriotique, est intrinsèquement coupable. C'était prendre un risque énorme sur un cas individuel - alors qu'aucun d'entre eux ne connaissait le dossier !
    Et cette attitude se crispe encore à la découverte du faux Henry. En 1898, il apparaît que le colonel Henry a introduit, en 1896, un faux document accablant Dreyfus dans un dossier décidément trop maigre. Au lieu d'une saine prudence politique, les nationaux se jettent à corps perdu dans la défense du faussaire... Tous en rang par deux derrière l'armée - qui accumule les maladresses ! Cette défense inconditionnelle a bloqué les esprits sur la culpabilité de Dreyfus, argument de foi (tout comme son innocence en est devenu un) les empêchant d'aller voir sérieusement du côté d’Esterhazy. Le meilleur livre antidreyfusards, Précis de l'affaire Dreyfus de Dutrait-Crozon, est symptomatique : puisque Dreyfus est coupable, Esterhazy est un homme de paille, inutile de chercher à le prouver. C'est l'inverse qu'il aurait fallu faire ! C'est la seule solution que je peux proposer.
    Les dreyfusards, largement minoritaires au début, ont peu à peu réuni toutes les forces anticonservatrices. À partir de J'accuse, qualifié par Jules Guesde de « plus grand acte révolutionnaire du siècle », tout ce qui est antimilitariste et anticlérical se rallie à la cause de Dreyfus dont les potentialités apparaissent énormes : ce n'est plus d'une éventuelle erreur judiciaire qu'il est question, c'est la perversité des valeurs traditionnelles qui est en cause. Peu à peu, francs-maçons, opportunistes, socialistes vont se lancer dans la bataille, les derniers devant renoncer à l'antisémitisme, jusqu'alors autant « de gauche » que « de droite » ; mais l'innocente victime est un juif... cela exige quelques sacrifices. Les dreyfusards leur livrent clef en main une machine à détruire le prestige de l'armée (pourtant si républicaine...), donc du patriotisme, donc du clergé catholique, donc de cette vieille France qui croyait encore aux valeurs éternelles. Ils prennent, ils jouent et ils gagnent. Les gouvernements Waldeck-Rousseau, Combes sont directement issus de l'affaire. Les forces nationales sont réduites à la défensive, désormais en position d'accusés. Et pour longtemps.
    CASSER LE MYTHE
    L'Affaire Dreyfus a ficelé le nationalisme français dans le rôle du méchant, en grande partie par manque d'esprit critique. Je pense donc qu'il ne faut pas nous enferrer dans une défense à contretemps des positions antidreyfusardes, largement assises sur une méconnaissance du dossier et une confiance aveugle en des militaires qui ne la méritaient pas toujours. En revanche, il reste nécessaire de dénoncer la propagande dreyfusarde, de montrer que la belle histoire qu'on nous raconte est fondée sur des mensonges et des silences inacceptables. Casser le mythe, réclamer un vrai travail d'historien. Révisionnisme, encore et toujours...
    Monique DELCROIX. Ecrits de Paris novembre 2010
    *Dreyfus-Esterhazy, Réfutation de la vulgate, 2e édition 2010. 464 pages avec bibliographie et index, 25 € ou 29 € port compris. Editions Akribéia, 45/3 route de Vourles, F-69230 Saint-Genis-Laval.

  • CHARLES PÉGUY : UN MÉCONTEMPORAIN PLUS ACTUEL QUE JAMAIS

    Péguy dévoyé, Péguy discrédité, mais Péguy restauré ! Il n’y a pas si longtemps, tout boursouflé de sa fatuité légendaire, Bernard-Henri Lévy s’échinait à vouloir faire de Péguy un héraut du « national-socialisme à la française. » Péguy le paysan, Péguy le débris d’une « vielle France », Péguy le représentant d’une « France moisie. » Ils furent plusieurs à vitupérer ainsi contre Péguy, à afficher leur mépris pour ce poète mort au champ d’honneur, à, finalement, le cribler de délit de patriotisme, d’exigence, de fidélité. « Ces gens-là », arrogants  « modernes », si prompts à s’acoquiner avec la première vermine venue, ne supportent pas les dissonances affirmées par ce « mécontemporain ». Un certain conservatisme, le rejet d’un monde moderne dégradé, son côté franc-tireur agacent. Quelques irréductibles osèrent, cependant, réhabiliter Péguy. Il y eut Alain Finkelkraut et son Mécontemporain dans lequel il fit acte de résistance en reformulant la juste pensée de Péguy. Il y eut également le grand Georges Steiner qui, en honnête lecteur, n’hésita pas à avouer son attachement et son admiration pour ce paysan disciple de Bergson. Georges Steiner, celui-là même qui déclarait « préférer Boutang aux staliniens qui renient Paul Morand », ou qui voyait dans Les Deux Etendards de Lucien Rebatet, « le chef d’œuvre secret de la littérature moderne. » Nul doute que Steiner et Finkelkraut avaient bien compris ce mot d’Henri Massis : il y a une certaine « investiture à recevoir de Péguy. » (1926 dans Le Roseau d’or.)

    Normalien, écrivain, poète, pamphlétaire, ce demi-boursier d’Etat fut sans conteste l’une des plus justes expressions de l’âme française. Maurice Barrès vit d’ailleurs en lui « une humanité à la française. » (sous-titre du livre d’Arnaud Teyssier sur Péguy) Elève de Romain Rolland et Bergson à Normale sup’ – qui eurent sur lui une influence évidente – Péguy fut d’abord de conviction socialiste. La découverte de la misère ouvrière planant dans les rues de Paris décida de cet engagement. Pour lui, le socialisme était seul capable de transformer le monde. Il soutint longtemps Jaurès avant de lui reprocher sa trahison envers la nation. Parallèlement, Péguy va écrire une Jeanne d’Arc qui sera publiée en juin 1897 et qui est pour lui « la première incarnation de l’âme socialiste. » Ulcéré par l’antisémitisme, Péguy va, en janvier 1898, signer les protestations que publie L’Aurore pour demander la révision du procès Dreyfus. Le déchaînement des passions pendant l’Affaire l’ébranlera véritablement. Il sera de toutes les confrontations entre dreyfusards et antidreyfusards. Mais l’aventure socialiste va vite s’essouffler. Le rejet du monde moderne éprouvé par Péguy va venir s’y greffer. La réforme scolaire de 1902, portant sur l’enseignement secondaire unique et les humanités modernes sera l’occasion pour Péguy d’exprimer ses premiers désaccords. Jaurès prend ses distances avec lui. Et inversement. Péguy dénonce l’effritement des justes principes républicains au profit d’une politique partisane. Ce qui l’accable, c’est la dominance d’un discours anticlérical, antimilitariste et matérialiste dans la pensée socialiste. Péguy est rebuté par la prééminence d’un dogmatisme suffisant et d’un certain anticatholicisme. L’expérience de la solitude se rapproche. La mutation du socialiste athée en nationaliste chrétien n’est pas loin. « Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble un même, un seul mouvement de démystication. C’est du même mouvement profond, d’un seul mouvement, que ce peuple ne croit plus à la République et qu’il ne croit plus à Dieu. Une même stérilité dessèche la cité politique et la cité chrétienne. C’est proprement la stérilité moderne. » écrit-il dans Notre Jeunesse.

    Dans Notre Jeunesse, Péguy tire le bilan de son aventure socialiste et de son engagement dreyfusard avec lucidité, sans complaisance. En réhabilitant l’affaire Dreyfus, « Péguy analyse comment en exploitant un grand moment historique, on dégringole d’héroïsme en combine. » (Jean Bastaire, auteur de la préface de Notre Jeunesse) Péguy vise bien sûr le pouvoir socialiste, Jaurès en tête. Mais Péguy amorce aussi un discours visant à critiquer la modernité. Selon lui, le monde moderne est dégradé, avili. « Tout commence par la mystique et finit en politique » écrit-il avant de rajouter : « La mystique républicaine, c’était quand on mourait pour la République ; la politique républicaine, c’est à présent qu’on en vit.» Péguy souffrit véritablement de voir la politique dévoyée. Il s’insurgeait contre ce qu’on appelle aujourd’hui la « politique politicienne. » C’est-à-dire comment une politique coupée de son inspiration, – de sa mystique – ne peut que s’affaisser, et même, devenir aliénation. LE politique n’est alors plus un moyen de transcendance pour servir un peuple et un pays, mais devient une besogne journalière, sillonnée par le cynisme, afin de garder le pouvoir. La politique dévoyée, c’est-à-dire la pratique politicienne, est pour Péguy « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. »

    Péguy se tourmente sur le devenir de la France, craint une perte progressive de son identité. Il souhaitera même bientôt la guerre avec l’Allemagne pour que la France retrouve l’intégrité de son territoire. Le but de Péguy est de poser les jalons d’une « mystique républicaine et nationaliste ensemble, inséparablement patriotique. » La conception qu’il se fait de la France se rapproche de celle d’un Bernanos et, plus tard, d’un de Gaulle qui confiera à Alain Peyrefitte : « Aucun auteur n’a eu autant d’influence sur moi dans ma jeunesse que Péguy ; aucun ne m’a autant inspiré dans ce que j’ai entrepris de faire ; l’esprit de la Vè République, vous le trouverez dans Les Cahiers de la Quinzaine. » Selon Péguy, la République est monarchique et le peuple français une harmonie entre un peuple et une terre travaillée par des siècles de christianisme. Il s’oppose également avec virulence à l’étendard moderne de l’universalisme : « Je ne veux pas que l’autre soit le même, je veux que l’autre soit autre. C’est à Babel qu’était la confusion, dit Dieu, cette fois que l’homme voulut faire le malin. ».

    Après avoir rompu avec le socialisme Péguy va désormais consacrer sa vie aux Cahiers de la Quinzaine, revue indépendante fondée en 1900. Avec des amis fidèles et désireux de proposer une nouvelle vision du monde – comme Romain Rolland, André Suarès, Georges Sorel ou Julien Benda – Péguy va, malgré les déboires financiers et les luttes perpétuelles, imposer sa revue sur la scène littéraire, politique et sociale. Réunis chaque jeudi dans cette « boutique » en face de la Sorbonne, Péguy et ses amis n’ont d’autres ambitions que celle de « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste. » Exigence et refus de la moindre concession, « les Cahiers sont, sans exception, faits pour mécontenter au moins un tiers de la clientèle. Mécontenter, c’est-à-dire heurter, remuer, faire travailler. » Les Cahiers sont finalement le terreau idéal pour l’homme de combat qu’est Charles Péguy. Et qui dit combat dit vigueur, volonté, violence, le tout nimbé de profondes méditations : Situations, De la grippe. « Du vitriol dans de l’eau bénite » pour reprendre Lavisse. Si Les Cahiers deviennent l’instrument idoine pour la défense de valeurs chères à Péguy ainsi qu’un moyen de faire découvrir de nouveaux auteurs, ils garantissent aussi à Péguy la diffusion de son œuvre. Ainsi se succèdent pamphlets et méditations religieuses : Jeanne d’Arc, drame en trois pièces (Domremy, Les Batailles, Rouen) Notre Patrie (1905), Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910), Le Mystère des saints Innocents (1912), L’Argent (1912)…Dans Notre Patrie, Péguy pointe le danger allemand et la menace de guerre. Ce pamphlet répond au pamphlet de Gustave Hervé, socialiste antimilitariste et auteur de Leur Patrie…Cette réplique de Péguy confirme, en 1905, une rupture définitive avec le camp socialiste. Dans l’Argent, Péguy relate le monde de son enfance, un monde pas encore gangréné par l’argent. A travers la lecture des œuvres religieuses de Péguy, on observe comment l’écrivain opère un « ressourcement. » Il confie en 1908 à son ami Joseph Lotte : « Je ne t’ai pas tout dit…J’ai retrouvé la foi…Je suis catholique… » Ce sont de ses méditations que naissent les œuvres poétiques telles que Le Mystère de la charité Jeanne d’Arc (que Barrès admirait) et le Mystère des saints-innocents. En 1912, Péguy effectuera plusieurs pèlerinages à Chartes ; on en retrouvera l’écho dans La Tapisserie de Sainte-Geneviève notamment.

    Figure gémellaire et bien que divergente de Barrès, Péguy fut un représentant emblématique du patriotisme français, l’idée même, peut-être, du « miracle français. » Lorsque survint la guerre de 14, Péguy travaillait à un poème évoquant le Paradis. Il sera tué le premier jour de la bataille de la Marne, d’une balle au front. Celui qui « ameutait toute l’histoire de France qu’il portait en lui » (Barrès) était parti pour la guerre avec la conscience de servir une juste cause. « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle » écrivait-il déjà dans Notre Patrie. Heureux sont ceux qui lisent Péguy, car dans cette époque décadente, celui qui a toujours honni la tiédeur apparaît plus que jamais comme le guide qu’il faut à notre temps, riche d’une œuvre faite pour (ré)concilier la « vielle France » et la « France actuelle. »

    « Pouvons-nous, en effet, oublier que c’est sur notre génération – celle qui eut ses vingt ans vers 1905, l’année où parut Notre Patrie – que Péguy avait reporté toute son espérance ? C’est pour nous qu’il avait travaillé, pour que nous nous installions dans son travail, pressentant quelle serait la mission de notre jeunesse, et qu’il fallait lui déblayer la route, lui découvrir le dépôt sacré et français. « Il ne faut pas désespérer, écrivait-il en 1913, à son ami Lotte. Notre pays a des ressources inépuisables. La jeunesse qui vient est admirable. » Henri Massis.
    Par Alexandre Le Dinh http://www.avenirfrance.fr/

  • L'avènement de l'ethno-socialisme

    Dr. Pierre Krebs

    Genève, 20 Janvier, 2013

    Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie, disait Jacques Prévert. Et il clignait de l’œil. Mais notre peuple à qui on a désappris les valeurs essentielles de la vérité et les règles élémentaires de la liberté ne comprend même plus les clins d’oeil et il se laisse hacher menu, chaque matin, dans la machine-à-mentir du Système quand il ne se couche pas à plat ventre, le visage dans la poussière, devant les idoles en matière plastique de Mammon.

    Que faire alors? interroge l’homme révolté.

    Et le sage de lui répondre : Traque le mensonge et laisse éclater la vérité sur la place publique! – Fort bien. Seulement, lorsque la vérité a été dite et les mensonges oubliés, il reste encore les menteurs, rétorque l’homme révolté.

    Mais l’homme sage se tait. Le rebelle, alors, de lui dire : Écrase l’échine des pleutres de tes bottes et marche droit quand tous se couchent! – Excellente idée. Mais la rébellion d’un desperado ne transforme pas pour autant les lâches en héros, ni une société de cloportes en un peuple brave et fier ni une capitulation en victoire, riposte l’homme révolté!

    Mais le rebelle se tait. Le révolutionnaire, alors, prend la parole : Ne perds pas de temps à traquer le mensonge. Laisse les cloportes pourrir dans les poubelles de leur destin. Crée un ordre hiérarchisé de cadres. Délimite les buts. Mets les idées et les valeurs au-dessus des hommes. Pose les jalons de la nouvelle époque!

    Révolution! Le mot est lâché. Il résonne du cliquetis des armes et de l’entrechoc des idées, les idées qui sont au monde ce que la musique est à l’orchestre. Les révolutions, qui sont les forceps de l’histoire, accouchent, elles, les idées. Leur dénouement n’est jamais que l’aboutissement d’une longue période préparatoire, rebelle par nature au dilettantisme.

    De fait : une révolution ne s’improvise pas.

    Les révolutionnaires sont des gens sérieux, rigoureux, conséquents et disciplinés. Les charlots finissent vite dans les poubelles! Car une révolution, "il faut la gagner! Une révolution ne se fait qu’une seule fois" prévient Moeller van den Bruck. Le révolutionnaire, préfiguration de l’homme nouveau, a effacé en lui-même tous les stigmates de l’homme ancien.

    Il réunit la foi du missionnaire, semeur d’idées et le pragmatisme de l’homme d’action, qui les applique. Son parcours est difficile, laborieux, périlleux. Aucune pression ne peut le faire plier, aucune intrigue le diviser, aucun opportunisme ne peut lui faire changer de cap. Pour l’unique raison qu’il ne cesse, un seul instant, de croire à l’unité incorruptible de sa communauté, à la force rédemptrice de ses idées et à leur accomplissement dans la révolution!

    Quant à nous, ce n’est ni à Rome, ni à Berlin, et encore moins à Moscou que ce cheminement a commencé, mais sous le soleil torride de l’Algérie enfiévrée et ensanglantée des années 50.

    C’est en effet dans le chaudron de la passionaria algérienne, rempli à ras bord d’une mixture explosive s’il en fut, brassage innommable d’espérances trahies et de trahisons décorées, de courage inutile et de lâchetés récompensées, de fidélités trompées et d’injustices impunies que devaient poindre les premiers ébats d’un révolte immature, prise au piège de sa passion, si latine et de sa jactance, si méditerranéenne. L’arbre de l’utopie coloniale lui cachait encore toute la forêt de la logique racialiste que Terre et Peuple a résumée dans un slogan qui claque aux vents de l’évidence sa vérité tellement simple : À chaque peuple, sa terre !

    ABC du droit des peuples, ABC du respect envers le peuples, ABC de la paix entre les peuples.  

    Ces rebelles étaient sans le savoir des révoltés d’arrière-garde qui se battaient pour une cause sans avenir parce qu’il manquait à la revendication du sol la légitimité supérieure : le droit du sang. Et cependant : ces révoltés de l’Algérie française, victorieux sur le terrain mais défaits par la politique, ignoraient encore que ce traumatisme les aiderait à transformer une défaite passagère en victoire intérieure, celle-là capitale pour l’avenir.

    Les plus intelligents, rescapés du Front Nationaliste, allaient en effet passer sans transition à une vitesse supérieure de la réflexion. Un manuel de réflexion, Pour une Critique Positive, pose dès 1964 les bases de la théorie et de l’action pré-révolutionnaires. Ce sera le Que faire? Des Nationalistes. Une analyse sévère et précise des causes de l’échec algérien, la mise à nu des tares de l’opposition nationale, la dissection du mécanisme des événements et des rouages de la société métamorphose d’un coup les motifs d’une révolte contre un régime en principes d’action contre un Système. C’est le premier cocon révolutionnaire. 

    Dans l’approche qu’elle porte sur les événements, les idées et les hommes, la critique positive applique le paramètre du réalisme biologique entrevu à la dimension du monde blanc, autrement dit de la conscience raciale. Ce nouveau paramètre qui transcende dorénavant toute la démarche critique, bouleverse les frontières nationales arbitraires qu’il replace sur leurs lignes de front naturelles : celles du sang, deuxième cocon révolutionnaire.

    Le réalisme biologique détient en effet la clé déterminante qui permet de saisir et de comprendre tous les points d’appui idéologiques du puzzle religieux, culturel et politique du Système, ses tenants et aboutissants. La conscience révolutionnaire identitaire européenne vient d’éclore, troisième cocon révolutionnaire.

    La théorie a désormais trouvé ses assises. Merci Dominique Venner !

    Le sacrifice aura été lourd : une défaite, des victimes et des tragédies par milliers, des condamnations, des remises en question et des revirements doctrinaux radicaux. Mais la métamorphose est un succès : les rebelles désordonnés, parfois burlesques d’une Algérie française désormais incompatible avec les nouveaux axiomes, ont mué en révolutionnaires d’avant-garde, en une élite capable de juger et d’expliquer les événements parce que maître d’une doctrine de la connaissance, c’est-à-dire maître d’une vue-du-monde.

    Et c’est cela, désormais, qui comptera.

    C’est à cette époque que beaucoup parmi nous sont entrés dans le combat révolutionnaire, comme d'autres, il faut bien le dire, entrent dans un ordre. La foi en la révolution, la vision d’un monde nouveau, la certitude d’incarner une idée juste et nécessaire devenaient le moteur de tout ce à quoi, désormais, nous aspirions : abattre dès que possible un Système qui condamne l’idéal européen d’un type humain supérieur qui voue les masses ahuries au culte suicidaire du métissage, qui déclare hors-la-loi les valeurs les plus élémentaires de l’esprit européen classique : le culte des valeurs viriles, le courage, le goût du risque, l’esprit de discipline et de maîtrise de soi, la loyauté, la fidélité au serment, la soumission au devoir, la noblesse du travail, le mépris du lucre.

    Rongée par les métastases du Système l’Europe a dégringolé, en un temps record, les marches de l’Olympe et elle n’en finit plus de végéter dans quelques sous-sols Monoprix de la société marchande, tandis que les grands mythes conducteurs de notre culture s’évanouissent dans la mémoire des nouvelles générations à proportion égale des ahurissements multiformes qui les broient, à l’âge judéo-américain qui a troqué Périclès, Faust ou Mozart contre les pitres shootés du show-business, les zombies en matière plastique repeints en blanc à la Michael Jackson. Puis, au fil du temps, la notion de Révolution s’est encore métamorphosée dans une idée enchanteresse, un peu comme si Merlin l’avait enfouie dans quelque tréfonds de notre conscience, aussi insaisissable et aussi mystérieuse qu'un archétype, à cheval sur la prise de conscience intolérable d'une réalité humaine, politique, sociale, culturelle de plus en plus abjecte – et une vision du monde qui nous emplit, comme un empire intérieur, nous guide et nous oriente à travers les déchets biologiques d’une société moribonde effondrée au milieu de ses ruines que l’on évalue à leur pesant de surconsumérisme adipeux, d’individualisme termitophile, de couardise épidermique, de soumission mécanique, de bêtise cultivée, à force de pousser les ténèbres dans les catacombes d'une Europe qui s'éloigne à pas de métis de son sang, de son esprit et de ses dieux.

    La révolution, ironise Dominique Venner, n’est ni un bal costumé ni un exutoire pour mythomanes. Depuis maintenant un demi-siècle que nous ruminons ce mot, nous avons appris à mesurer l’importance qu’il faut donner aux idées, l’efficacité qu’il faut donner à l’organisation et le sérieux qu’il faut consacrer à la tactique et à la stratégie, toutes choses déjà écrites dans Critique Positive, plus actuelle que jamais depuis que des nationaux de carton à la Poujade ou de plastique à la Le Pen n’ont cessé d’illustrer et de confirmer les tares de ce qu’il faut bien appeler la maladie infantile du nationalisme. Mais Révolution n’est encore que le prénom de la révolution identitaire encore à l’affût de l’étincelle qui fera s’embraser le volcan.

    L’Action Européenne veut être précisément la synergie des ateliers révolutionnaires pour nous équiper de concepts et d’idées qui sont à la Résistance ce que les munitions sont aux armes, pour mieux organiser les moyens de la Résistance, pour mieux renforcer l’efficacité de cette Résistance. Elle veut rassembler tous ceux qui savent que si la nation s’est transformée en fonds de boutique ou en bazar d’Anatolie, l’âme du peuple, son histoire, sa conscience, sa pensée, continuent de palpiter, de battre, de vivre dans l’âme, dans la conscience et dans la volonté de celles et de ceux qui en sont devenus les gardiens et les éveilleurs!

    Nous sommes mes amis les éveilleurs de l’âme de notre race et les gardiens de son sang! A ceux qui l'auraient peut-être oublié, rappelons-le : nous sommes en guerre !

    Une guerre à mort, la guerre du globalisme contre les Peuples, la guerre de l’arbitraire contre le droit, la guerre du nomadisme contre l'enracinement, la guerre de l'or et de la marchandise contre le Sang et le Sol, la guerre des planétariens contre les identitaires. La même guerre, deux fois millénaire, qui commença entre Athènes et Jérusalem et qui se poursuit avec des moyens autrement efficaces et décuplés entre une Jerusalem washingtonisée et une Athènes élargie au monde blanc tout entier.

    Une guerre de tous les instants, de tous les lieux, de tous les pays qui soumet nos peuples au harcèlement permanent d'un ennemi pluriforme qui parle toutes les langues et porte toutes les peaux, qui colporte tous les mensonges, même les plus invraisemblables, qui s’adonne à toutes les perfidies, même les plus inimaginables, et qui mène, d'un bout à l'autre du globe, la guerre la plus dangereuse, la plus barbare, la plus totale que de mémoire d’homme on n’ait jamais connue.

    Une guerre qui laisse abdiquer la raison des plus faibles, fait vaciller leurs consciences, endort leurs instincts, leur fait oublier les racines, empoisonne leurs organismes.

    Guerre politique, par le biais des gouvernements au pouvoir et des partis à la laisse du pouvoir ; guerre juridique, par le biais de magistrats métamorphosés en inquisiteurs ; guerre répressive, par le vote de lois de plus en plus arbitraires ; guerre professionnelle, par le biais des dénonciations qui mettent en péril les salaires ; guerre publicitaire généralisée qui fait la promotion du métissage à tous les degrés et à tous les endroits, sur l'affiche du métro comme dans la salle d'attente de la gare, dans le catalogue de la Redoute ou le prospectus du supermarché, le commentaire du musée ou la lettre pastorale du village ; guerre nutritionnelle et énergétique, que mènent des sociétés criminelles à la Monsanto, qui pillent les ressources pour imposer des aliments manipulés ; guerre médiatique de la presse écrite, parlée, télévisée ; guerre culturelle, par le biais du cinéma, du théâtre, de la peinture, de l'architecture ou des arts en général, lesquels ne sont plus valorisés pour leur qualité intrinsèque mais admis ou refusés selon qu'ils sont ou non "politiquement corrects" ; guerre pédagogique, qui soumet les enfants au pilonnage des éducateurs du Système ; je vous ferai grâce du sermon du dimanche auquel, vous avez, j’espère, militants identitaires, le privilège insigne d'échapper!

    1. La révolution identitaire – son nom l’indique – sera d’abord une révolution du Sang et du Sol. Le Sang est l'alpha de la vie d'un Peuple et de sa culture mais il peut devenu aussi l'omega de sa dégénérescence et de sa mort si le peuple ne respecte plus les lois naturelles de son homogénéité. Le sol est le corps spatial du Sang dont il importe de circonscrire les frontières et d'assurer la protection. L’éthologue de pointe Irenäus Eibl-Eibesfeldt le dit clairement : les ethnies obéissent, pour se développer et pour survivre, à des mécanismes d’auto-protection identitaire et territoriale qui sont le moteur de l’évolution. La révolution identitaire sera une révolution ethnopolitique qui bouleversera les données habituelles de la géopolitique. Car nous sommes conscients d'appartenir au même phylum génétique, quelles que soient ses variantes germaniques, celtiques, grecques, romaines ou slaves. Eibl-Eibesfeldt est là aussi catégorique : la population européenne est encore, aux plan biologique et anthropologique, homogène et parfaitement bien caractérisée.

    2. La révolution identitaire sera une révolution religieuse, parce que fidèle à la plus longue mémoire indo-européenne, et culturelle, parce que organique et enracinée par opposition à la civilisation planétaire égalitariste américano-occidentale, civilisation cosmopolite du capitalisme apatride et sauvage, de l’économie et du matérialisme érigés en valeur absolue. Une civilisation qui a décrété, ignominie suprême, par un retournement spectaculaire des valeurs européennes, que le destin des hommes, dorénavant, serait assujetti à celui des marchands!

    3. La révolution identitaire sera une révolution écologique qui mettra fin au mythe mortifère de la croissance continue qui fait courir le monde à la catastrophe et qui est, pour reprendre une phrase de Gustave Thibon le propre des chutes plus que des ascensions. Favorable à la théorie de la décroissance, elle s’emploiera à mettre un frein radical aussi bien à la surconsommation absurde qu’au néo-barbarisme de l’exploitation inconsidérée qui saccagent et polluent l’environnement, épuisent les ressources, menacent la santé. L’environnement n’est pas seulement un espace de vie, l’environnement donne un sens à notre vie. Il est à notre corps, à notre esprit et à notre âme ce que sont les arbres pour la forêt.

    4. La révolution identitaire sera une révolution économique : nous sommes tous conscients que le capitalisme apatride et marchand est une des têtes du Mal absolu. Il faut trancher impérativement cette tête monstrueuse si l’on veut rendre justice aux hommes et à la terre. Nous déclarons la guerre à l'évangile du Profit et nous condamnons le veau d'Or à l'abattage. Le socialisme "qui est pour nous l'enracinement, la hiérarchie, l'organisation" commence, là où finit le marxisme, constatait Moeller van den Bruck. Pour ajouter qu’il "ne peut être compris qu’en se plaçant à un point de vue juif. Ce n’est pas par hasard que tous les traits de Marx sont mosaïques, macchabéiques, talmudique". Le libéralisme qui "a miné les civilisations, détruit les religions, ruiné des patries" a pris la relève du marxisme. Le cosmopolitisme continue l'internationale, les technocrates ont pris la place des bureaucrates et ce sont, encore et toujours, les mêmes lobbies macchabéiques qui continuent d’exploiter la planète et d’assujettir les peuples. La révolution identitaire saura s’inspirer du socialisme français dans la tradition de Proudhon et de Sorel et du socialisme allemand organique. Ce socialisme identitaire, sera, mes amis, le principe du nouvel Empire européen, fondé sur une définition de l’homme dans laquelle l’éthique de l’honneur, le courage, l’énergie, la loyauté, le civisme retrouveront les rôles naturels qu’ils ont perdus. Le socialisme identitaire, au service exclusif de la Communauté du Peuple, sera consubstantiel de l'économie organique, elle-même conçue comme un organisme vivant et hiérarchisé, soumis à la volonté du Politique. Voilà pourquoi notre révolution sera une révolution ethno-socialiste! C’est à Pierre Vial que nous devons cette définition.

    Je décèle dans l’immédiat 3 priorités majeures :

    1. La création d’une Académie Identitaire.

    2. La coordination d’actions communes dans tous les pays où notre mouvance a pris pied. Eugène Krampon propose aussi la création d’un Komintern identitaire.

    3. Pour être opératifs demain, il est impératif que les Lois du nouvel État soient déjà formulées. Des spécialistes du Droit Constitutionnel peuvent déjà formuler les axiomes et les lois du nouveau Droit identitaire. Y compris les chefs d’accusation qui permettraient d’assigner devant les nouveaux tribunaux les apprentis sorciers du métissage organisé.

    Sachons être donc la minorité agissante qui a compris, comme le disait Maurice Bardèche, que "cette tâche immense nécessite un vaste outil de travail de préparation et de formation", qui a su forger une conscience révolutionnaire, qui sait que "rien ne sera fait tant que les germes du régime ne seront pas extirpés jusqu’à la dernière racine", tant que l’on n’aura pas expliqué "au peuple combien on l’a trompé", et comment on le mène sur le bûcher de son éradication raciale ; la minorité agissante "pénétrée d’une nouvelle conception du monde", maîtresse d’une doctrine claire qui réussit à convaincre les plus incrédules par "sa mystique, son exemple, sa sincérité", qui enseigne "un ordre politique fondé sur la hiérarchie du mérite et de la valeur et qui apporte une solution universelle aux problèmes posés à l’homme par la révolution technique" (critique positive).

    Devenons pour cela les nouveaux corps francs de la Révolution, soyons les éveilleurs de notre peuple, forgé par le même sang, soudé dans la même volonté, uni autour du même destin! Le défi est immense, certes, à la limite de la raison, mais qu’importe, mes amis, car c’est de cette folie que la sagesse accouche, c’est de cette volonté que la vie se garde et c’est de ce désespoir que rejaillit l’espérance!

    À condition de le savoir, à condition d’y croire, à condition de le vouloir.

    >>> http://www.europaeische-aktion.org/Artikel/fr/Lavenement-...


    http://fierteseuropeennes.hautetfort.com

  • « Les génocides de Staline » de Norman M. Naimark

    Livre présenté par Camille Galic.

    En ce soixantième anniversaire de la mort (dans son lit, et couvert d’honneurs) du « Petit Père des peuples », est-il enfin temps d’admettre que les similitudes « entre le nazisme et le stalinisme sont trop nombreuses pour être ignorées » et qu’ « en fin de compte », si Adolf Hitler fut un génocideur, Joseph Staline le fut aussi ? C’est la conclusion du grand universitaire américain Norman M. Naimark, spécialiste de l’ère soviétique à l’université de Stanford, dans son livre court et assez mal écrit mais dense, « Les génocides de Staline ». C.G.

    Les génocides de Staline

    Les génocides de Staline

    Pour beaucoup d’entre nous, et bien avant la publication du Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997) dû à Stéphane Courtois, le caractère génocidaire des régimes issus du marxisme-léninisme était une évidence, l’ancien zek croate (et ci-devant trotskiste) Ante Ciliga l’ayant par exemple établi dès 1938 dans Au pays du grand mensonge  (Gallimard). Mais le sujet reste explosif.

    Peut-on comparer « crimes soviétiques » et « horreurs nazies » ?

    Moins en raison, désormais, de l’opposition des communistes que de l’OPA lancée par Israël et la diaspora sur le terme de génocide ainsi que l’explique Naimark dans un premier chapitre (« La question du génocide ») passablement embarrassé et plein de formules propitiatoires sur la barbarie du IIIe Reich et l’unicité de la Shoah qui, « pour nombre de raisons, doit être considéré comme le pire cas de génocide de l’époque moderne » ainsi qu’il le répète in fine à l’usage de ceux qui n’auraient pas compris. « L’horreur fondamentale inspirée par l’Holocauste, insiste ainsi l’universitaire états-unien, influence à juste titre notre appréhension d’un certain nombre de questions politiques et morales importantes. Du fait précisément que l’Union soviétique eut un rôle primordial dans la victoire sur le nazisme et perdit 27 millions de citoyens contre le monstre qui engendra Auschwitz et Babi Yar, il existe une réticence considérable et compréhensible à classer les crimes soviétiques dans la même catégorie que les horreurs nazies. »

    Cela constaté, il faut passer aux choses sérieuses, c’est-à-dire à l’examen des faits. Et ceux-ci sont accablants, qu’il s’agisse de la liquidation des « ennemis de classe » ou de celle de peuples catalogués comme potentiellement dangereux pour l’avenir radieux du socialisme.

    Après la dékoulakisation, l’Holodomor

    Parmi les premiers, les Koulaks, surnom d’ailleurs obscène donné aux paysans aisés. Plusieurs « dizaines de milliers » d’entre eux furent « rapidement éliminés » en 1929 et « plus de deux millions » envoyés au Goulag où 250.000 succombèrent « dans la seule période 1932-1933 ». Une cadence que l’on devait revoir au moment des grandes purges organisées par Staline à la fin des années 1930 et destinées à décapiter toute opposition… et toute concurrence, la famille et l’entourage (parfois simplement professionnel) des adversaires et des rivaux potentiels du maître du Kremlin étant sur son ordre exprès « exécutés comme des chiens » et, dans le meilleur des cas, déportés dans ce que Soljenitsyne devait appeler l’archipel.

    Parmi les seconds, les Baltes, les Polonais (22.000 morts dont Staline tenta jusqu’à Nuremberg de faire endosser la responsabilité au chancelier allemand) et les Ukrainiens trop attachés à leurs traditions et à leurs spécificités, religieuses notamment, et donc réputés réfractaires à l’idéologie communiste. D’où la terrifiante « Holodomor », famine systématiquement organisée en Ukraine par Lazare Moïsseïevitch Kaganovitch – qui, lui aussi, mourut dans son lit, presque centenaire. Cette disette sans précédent fit au minimum 6 à 7 millions de morts et entraîna cannibalisme et nécrophagie dans « un cycle de dé-civilisation » dûment programmé, selon Naimark.

    La moitié des Tatars et 38% des Kazakhs anéantis !

    Mais l’historien mentionne d’autres cas qui sont moins connus, tel celui des Tatars de Crimée, des Tchétchènes et des Ingouches, massivement déportés et dispersés dans des déserts d’Asie centrale car « destinés à l’élimination, sinon physique, du moins en tant que nationalités ayant leur identité propre ». Résultat : sur les 190.000 Tatars déplacés, « 70.000 à 90.000 moururent pendant les premières années d’exil », du fait de la faim et des conditions climatiques extrêmes succédant à d’interminables acheminements en train, sans eau ni nourriture – ce qui devait être dix ans plus tard le lot des Allemands chassés des territoires germaniques de l’Europe de l’Est et eux aussi « expulsés » dans des conditions inhumaines, tragédie tacitement occultée mais récemment dévoilée par un autre universitaire américain, R. M. Douglas (*).

    Autre région sinistrée et délibérément dépeuplée car on connaissait à Moscou l’ampleur des réserves en hydrocarbures du territoire, le Kazakhstan : « Le nombre de décès attribuables à la famine fut de 1,45 million, 38% de la population. » Si l’on ajoute que « beaucoup de Kazakhs furent abattus parce qu’ils essayaient de fuir leur pays », le génocide est ici aussi avéré. De même que dans le cas d’ethnies sibériennes jugées par Staline « irrationnelles » car numériquement insignifiantes… et donc non viables de toute façon !

    Qu’en disent nos belles âmes toujours si sensibles, à juste titre, au sort réservé aux Indiens des deux Amériques par les Espagnols puis les Yankees ?

    Humanité Staline

    L’indécent hommage de L’Huma

    Nonobstant, la plupart des démocrates patentés y allèrent le 5 mars 1953 de leur hommage ému au grand disparu. En France, cependant qu’une minute de silence était observée à l’Assemblée nationale à la demande du président Herrriot, Le Monde, déjà « quotidien de référence », célébrait en Staline « l’homme qui a réconcilié la Russie et la révolution au point de les rendre inséparables » et qui « a aussi permis à l’homme de remporter sur la nature quelques-unes de ses plus magnifiques victoires » – on sait au prix de quels désastres pour l’environnement, tel l’assèchement de la mer d’Aral. Et L’Humanité, fidèle à elle-même, titrait à sa une sur « Le deuil de tous les peuples ».

    Ceux, du moins, qui avaient survécu au génocidaire Staline… Lequel n’avait d’ailleurs rien inventé (M. Naimark n’insiste pas suffisamment sur ce point) mais simplement porté à son paroxysme le système hérité de Lénine, créateur dès son décret de décembre 1917 des Kontzentratzionyé lageri, autrement dit des camps de concentration où devait périr, exécutés ou malades, affamés et à bout de forces, plus du dixième de la population soviétique de l’époque.

    Camille Galic http://www.polemia.com
    21/03/2013

    Normam M. Naimark, Les génocides de Staline, Ed. L’Arche 2012, 140 pages avec notes, 15 €. Traduction de Jean Pouvelle.

    Note :

    (*) Voir http://www.polemia.com/mot-clef/les-expulses/

  • Trois livres sur les relations germano-soviétiques de 1918 à 1944

     

     

    La problématique complexe des relations germano-soviétiques revient sur le tapis en Allemagne Fédérale depuis quelque temps. Trois livres se sont penchés sur la question récemment, illustrant leurs propos de textes officiels ou émanant de personnalités politiques. Pour connaître l'arrière-plan de l'accord Ribbentrop-Molotov, l'historien britannique Gordon Lang, dans le premier volume de son ouvrage,

     

    ♦ “... Die Polen verprügeln...” : Sowjetische Kriegstreibereien bei der deutschen Führung 1920 bis 1941

     

    [1er vol. : 1914 bis 1937, Askania-Weißbuchreihe, Lindhorst, 1988, 176 p. ; cf. aussi vol. 2 : von 1936 bis 1945, 1989, 176 p.] retrace toute l'histoire des rapprochements entre l'Allemagne et l'URSS, isolée sur la scène diplomatique, contre les puissances bénéficiaires du Traité de Versailles et contre l'État polonais né en 1919 et hostile à tous ses voisins. L'enquête de Gordon Lang est minutieuse et, en tant que Britannique, il se réfère aux jugements sévères que portait David Lloyd George sur la création de l'État polonais. Lloyd George, en effet, écrivait :

     

    « La proposition de la Commission polonaise, de placer 2.100.000 Allemands sous la domination d'un peuple qui, jamais dans l'histoire, n'avait démontré la capacité de se gouverner soi-même, doit nécessairement déboucher tôt ou tard sur une nouvelle guerre en Europe orientale ».

     

    Le Premier Ministre gallois n'a pas été écouté. John Maynard Keynes, qui quitta la table de négociation en guise de protestation, n'eut pas davantage l'oreille des Français qui voulaient à tout prix installer un État ami sur les rives de la Vistule. Notable exception, le Maréchal Foch dit avec sagesse : « Ce n'est pas une paix. C'est un armistice qui durera vingt ans ».

     

     

    Ni les Soviétiques, exclus de Versailles et virtuellement en guerre avec le monde entier, ni les Allemands, punis avec la sévérité extrême que l'on sait, ne pouvaient accepter les conditions du Traité. Leurs intérêts devaient donc immanquablement se rencontrer. En Allemagne, les troupes gouvernementales et les Corps Francs matent les insurrections rouges, tandis que Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinés. D'autres chefs rouges, en revanche, furent courtisés par le gouvernement anti-bolchévique, dont Radek, emprisonné à Berlin-Moabit puis transféré en résidence surveillée, et Viktor Kopp, venu de Moscou pour suggérer au Directeur du Département de l'Est du Ministère des Affaires Étrangères allemand, le baron Adolf Georg Otto von Maltzan, de jeter les bases d'une coopération entre l'Armée Rouge et la Reichswehr pour lutter contre la Pologne.

     

     

    Maltzan écrivit, immédiatement après l'entrevue, un mémorandum qui stipulait en substance que, vu l'échec des négociations à Copenhague entre Britanniques et Soviétiques, Lénine voulait éliminer la Pologne, pion des Occidentaux, afin de faire fléchir Londres. Pour réaliser cet objectif, il fallait combiner une entente entre Russes et Allemands. Maltzan explique que l'Allemagne ne marchera jamais avec les Français pour sauver la Pologne, que la Reichswehr, réduite à 100.000 hommes, suffisait à peine pour maintenir l'ordre intérieur, et que des relations avec l'URSS s'avèrraient illusoires tant que la propagande bolchévique vitupérait contre le gouvernement de Berlin et créer des désordres dans la rue. Kopp promit de mettre en frein à cette propagande et suggéra les bases d'un accord commercial, mettant dans la balance l'or russe à échanger contre des locomotives et des machines-outils allemandes.

     

     

     

    [La situation militaire en Europe au lendemain de Versailles. Le Reich est coincé dans l'étau franco-polono-tchèque qui aligne en pied de paix 1.015.000 hommes et en pied de guerre 8.200.000 hommes. Face à cette masse formidable, la Reichswehr ne peut aligner que 100.000 hommes. La diplomatie allemande jouera donc la carte russe, de façon à coincer la Pologne entre l'Armée Rouge et ses frontières. Quand les milices communistes et national-socialistes tiendront la rue en excitant les masses contre les clauses de Versailles, la Reichswehr s'avèrera insuffisante pour maintenir l'ordre intérieur.]

     

    L'objectif soviétique : renforcer l'industrie allemande et faire vaciller l'Empire Britannique

     

     

    Au cours des mois qui suivirent, il apparut clairement que l'objectif des Soviétiques était de renforcer l'industrie allemande, de façon à s'en servir comme “magasin” pour moderniser la Russie, dont l'objectif politique n'était pas, pour l'instant, de porter la révolution mondiale en Europe, mais de jeter son dévolu sur l'Asie, l'Asie Mineure, la Perse et l'Afghanistan et de susciter des troubles en Égypte et aux Indes, afin de faire vaciller l'Empire britannique. En juillet 1920, Kopp revient à la charge et fait savoir que l'URSS souhaite le retour à l'Allemagne du Corridor de Dantzig, afin de faciliter les communications commerciales entre le Reich et la Russie, via la Poméranie et la Prusse Orientale. L'aile gauche du parti socialiste polonais reçut l'ordre de Moscou de réclamer le retour aux frontières de 1914, réduisant la Pologne à la province russe qu'elle avait été de 1815 à 1918.

     

     

    L'objectif des Allemands, surtout de l'état-major du Général von Seeckt, et des Soviétiques était de contourner tout éventuel blocus britannique et de briser la volonté française de balkaniser l'Europe centrale. L'élimination militaire de la Pologne et l'entente germano-russe pèseraient d'un tel poids que jamais les armées françaises exsangues n'oseraient entrer en Allemagne puisqu'un tel geste serait voué à un cuisant échec. Seeckt, avec son armée insignifiante, devait menacer habilement les Français tout en ne les provoquant pas trop, de façon à ce qu'ils ne déclenchent pas une guerre d'encerclement avant que les Russes ne puissent intervenir.

     

     

    L'analyse était juste mais, sur le terrain, l'Armée Rouge est battue par les Polonais et par la stratégie de Weygand, dépêché dare-dare à Varsovie. Cet échec soviétique, assorti d'énormes compensations territoriales au bénéfice de la Pologne (Traité de Riga, 18 mars 1921), n'empêcha pas la collaboration secrète avec la Reichswehr : toutes les armes interdites à l'Allemagne par les clauses du Traité de Versailles, comme les avions, les bombes, les blindés de combat et de reconnaissance, l'artillerie lourde, les gaz de combat, les canons anti-aériens, etc. furent construites et testées en Russie dans des bases secrètes.

     

     

    Gordon Lang consacre un très long chapitre sur la collaboration germano-russe partant de l'accord Rathenau-Tchitchérine (1922), avec pour toile de fond l'occupation de la Ruhr (1923) et l'affaire Schlageter, le Pacte de Locarno (1925), le refus de la part de la SPD de réviser les clauses de Versailles, l'éviction de Trotsky et l'avènement de Staline (1927), l'accession de Hindenburg à la Présidence du Reich (1927), la montée du national-socialisme.

     

     

    Staline donne l'ordre au KPD de collaborer avec la NSDAP

     

    La politique de Staline était de créer le socialisme dans un seul pays et de transformer l'URSS en un “croiseur cuirassé”, en lutte contre les impérialismes. Pour parvenir à cet objectif, il fallait industrialiser à outrance un pays essentiellement agricole. On sait à quelles tragédies cette volonté à conduit pour le paysannat slave et les koulaks. L'Allemagne, elle, s'est partiellement sauvée du marasme grâce à cette volonté politique : dès l'arrivée de Staline au pouvoir, les échanges économiques entre les 2 pays quintuplent. Les machines quittent les usines allemandes pour la Russie nouvelle et, en échange, les Soviétiques, livrent du pétrole, des minerais et des céréales.

     

     

    Quand le parti de Hitler prend de l'ampleur et obtient le soutien de la droite (de la Deutsch-Nationale Volkspartei,  en abrégé DNVP), les communistes allemands visent la création d'un front commun avec la SPD, un parti modéré dont la ligne globale avait été d'accepter bon gré mal gré les réparations. L'ordre de Moscou, formulé par Staline lui-même, exigeait une politique diamétralement opposée : marcher avec la NSDAP contre les modérés qui acceptaient Versailles ! Dans l'optique de Staline, un pouvoir socialo-communiste dans le Reich aurait affaibli l'industrie allemande, réservoir de machines pour la Russie nouvelle, et aurait donc en conséquence diminuer la puissance montante de Moscou. Les communistes allemands reçurent l'ordre précis de ne rien entreprendre d'aventureux contre la droite, contre les nazis ou contre la Reichswehr, de façon à ce que la collaboration germano-russe puisse créer un front anti-occidental et anti-impérialiste.

     

     

    Le 1er juin 1932, le nouveau gouvernement von Papen place le Général von Schleicher à la tête du Ministère de la Reichswehr en remplacement du Général Groener, fidèle exécutant de la doctrine de von Seeckt. Moscou ordonne aussitôt aux communistes allemands de combattre les sociaux-démocrates et de les présenter à leurs ouailles comme les ennemis principaux de la classe ouvrière. Pas question donc d'assigner ce rôle négatif aux nationaux-socialistes. Le chef du Komintern, Dimitri Manouilski, explique que, dialectiquement, la NSDAP est à l'avant-garde de la dictature du prolétariat tandis que les sociaux-démocrates trompent les masses en agitant l'épouvantail anti-fasciste. Pendant la campagne électorale, la KPD et la NSDAP militent pour une abrogation pure et simple de toutes les clauses de Versailles et rejettent toutes les formes de réparations. La SPD, elle, ne veut pas de révision du Traité et perd sa crédibilité auprès des millions de chômeurs allemands.

     

     

    La Reichswehr aurait été incapable de mater un putsch conjoint des nazis et des communistes

     

     

    Aux élections du 6 novembre 1932, malgré le recul des nationaux-socialistes, l'ambassadeur soviétique Khintchouk réitère les ordres de Moscou aux communistes allemands car « Hitler ouvre la voie à une Allemagne soviétisée ». Communistes et Nationaux-Socialistes organisent de concert une grève des transports en commun à Berlin, qui connaît un franc succès. Schleicher est inquiet : il met les circonscriptions militaires en alerte et simule des manœuvres pour savoir si la Reichswehr serait capable de briser un putsch perpétré de concert par les communistes et les nazis.

     

    Le rapport final qui lui est transmis le 2 décembre 1932 est alarmant : l'armée serait incapable de faire face à un putsch unissant les 2 partis “extrémistes”. Ne disposant que de 100.000 hommes, elle est en infériorité numérique devant les 130.000 militants du Kampfbund [Ligue de combat] communiste, renforcés par les 30.000 adolescents de l'organisation de jeunesse, et des 400.000 SA et HJ de la NSDAP. De plus, la réussite du mouvement de grève conjoint dans les transports publics berlinois a démontré que les putschistes éventuels pourraient paralyser les chemins de fer, empêchant tout mouvement de troupes vers les centres insurrectionnels. Schleicher est dès lors obligé, pour sauver la République de Weimar aux abois, de faire des concessions aux Alliés pour que ceux-ci permettent à la Reichswehr de disposer de 300.000 hommes lors de la Conférence de Genève prévue pour 1933.

     

     

    Poussé dans le dos par le Komintern, la KPD entonne des refrains aussi patriotiques que les nationaux. Le Komintern proclame le 10 janvier 1933 :

     

    « Il faut combattre sans merci les oppresseurs de la nation ! Il faut lutter contre l'occupation de la Sarre, l'oppression des Alsaciens et des Lorrains, contrer la politique rapace de l'impérialisme polonais à Dantzig, lutter contre l'oppression des Allemands en Haute-Silésie, en Pomérélie et au Tyrol du Sud, contre la mise en esclavage des peuples et des minorités ethniques en Tchécoslovaquie, contre la perte de ses droits par le peuple autrichien ».

     

    Mais Moscou continue à faire davantage confiance à la NSDAP.

     

     

    Le 22 janvier 1933, les hitlériens projettent une manifestation provocatrice devant le quartier général communiste de Berlin. Les Soviétiques donnent l'ordre à leurs coreligionnaires berlinois de ne pas s'y opposer. Après la prise du pouvoir par Hitler, l'immeuble sera perquisitionné et la police y trouvera des “preuves” d'un projet de putsch communiste. Le Reichstag brûle le 27 février, apparemment par l'action d'un communiste hollandais, Marinus van der Lubbe. La KPD est interdite. À Moscou, les milieux gouvernementaux restent calmes et choisissent l'attentisme : il faut sauver les relations privilégiées entre l'URSS et l'Allemagne et ne pas les gâcher par une propagande anti-nazie irréfléchie.

     

     

    Litvinov, Hitler et Rosenberg

     

     

    Les Soviétiques refuseront de tenir compte des déclamations anti-communistes des dirigeants nazis. Litvinov avertit cependant Dirksen, ambassadeur du Reich à Moscou, que cette bienveillance cessera si l'Allemagne tente un rapprochement avec la France, comme l'avaient fait les sociaux-démocrates de Stresemann et vraisemblablement le Général Schleicher. Litvinov déclare que le gouvernement soviétique n'a pas l'intention de changer sa politique à l'égard de l'Allemagne mais fera tout pour empêcher une alliance germano-française. En échange, Litvinov promet de ne pas s'allier avec la France et de ne pas réitérer la politique d'encerclement de l'Entente avant 1914, l'URSS n'ayant pas intérêt à reconnaître les clauses du Traité de Versailles et l'existence de l'État polonais. Le 29 avril 1933, Hitler reçoit Khintchouk en présence du Baron Konstantin von Neurath, et promet de ne pas s'occuper des affaires intérieures russes à la condition expresse que les Soviétiques n'interviennent pas dans les affaires intérieures allemandes (en clair : cessent de soutenir les communistes allemands).

     

     

    Pendant les premières années du régime hitlérien, les relations germano-russes sont donc restées positives avec toutefois une seule petite ombre au tableau : les activités d'Alfred Rosenberg, chef du bureau des affaires étrangères de la NSDAP et rédacteur-en-chef de son organe de presse, le Völkischer Beobachter. Né dans les pays baltes, ayant étudié à Moscou, Rosenberg haïssait le communisme soviétique. Il rêvait d'une balkanisation de l'URSS et notamment d'une Ukraine indépendante. Hitler ne le nomma pas Ministre des Affaires Étrangères du Reich, ce qui soulagea les Soviétiques. Des envoyés spéciaux laissaient sous-entendre régulièrement que si Rosenberg devenait Ministre des Affaires Étrangères, les Soviétiques pourraient être amenés à reconduire leur alliance avec la France. La tragédie de la “Nuit des longs couteaux”, au cours de laquelle Schleicher est éliminé, satisfait Staline qui voyaient dans les victimes des instruments d'une politique d'alliance avec la France (donc avec la Pologne).

     

     

    Démontant le système de Versailles pièce par pièce, Hitler rapatrie les usines d'armement disséminées en Russie. Les installations de Kama et de Tomka, où furent élaborés les premiers chars allemands et la tactique offensive de l'arme blindée, sont démantelées et reconstruites en Allemagne. Ensuite, c'est au tour du centre aérien de Vivoupal, matrice de la future Luftwaffe. Les usines avaient bien servi le Reich et l'URSS ; les 2 puissances avaient pu moderniser leurs armées à outrance. Dans l'Armée Rouge et la nouvelle Wehrmacht, on retrouvera les mêmes armes modernes, supérieures à celles de tous leurs adversaires.

     

     

    L'élimination de Toukhatchevski

     

    Hitler, en annulant les effets de l'article 198 du Traité de Versailles, se rendait parfaitement compte que la Reichswehr avait créé l'Armée Rouge de Staline. Comment ôter aux Soviétiques l'atout que les relations privilégiées entre les 2 armées leur avaient octroyés ? Gordon Lang décrit le rôle de Heydrich : celui-ci avait pu observer les purges contre les trotskistes et constater avec quelle rage paranoïaque Staline poursuivait et éliminait ses adversaires. Soupçonneux à l'extrême, le dictateur géorgien prenait assez aisément pour argent comptant les bruits de complot, vrais ou imaginaires. Heydrich en conclut qu'il suffisait de faire courir la rumeur que le Maréchal Toukhatchevski complotait contre Staline. Or une vieille haine couvait entre les 2 hommes.

     

     

    Lors de l'offensive soviétique contre la Pologne en 1920, Toukhatchevski marcha victorieusement sur Varsovie et donna l'ordre au deuxième corps d'armée soviétique, commandé par Vorochilov et Boudienny, de faire mouvement vers la capitale polonaise et de prendre en tenaille leur adversaire. Vorochilov et Boudienny, sous l'impulsion de Staline, alors commissaire politique aux armées, refusèrent de suivre cet ordre et marchèrent sur Lemberg, capitale de la Galicie. Weygand, commandant en chef des troupes polonaises, s'engouffra dans la brèche et battit tour à tour les armées de Toukhatchevski et de Vorochilov, Boudienny et Staline. Toukhatchevski n'avait jamais raté l'occasion de rappeler cette gaffe monumentale de Staline. En fabriquant de faux documents accablants pour le Maréchal, Heydrich savait que Staline sauterait sur l'occasion pour éliminer ce témoin génant de sa faute politique majeure. L'élimination de l'état-major soviétique réduisit l'Armée Rouge à l'impuissance pendant plusieurs années. Parmi les rescapés des purges : Vorochilov et Boudienny...

     

     

    Si Staline était indubitablement germanophile, Toukhatchevski, contrairement à la plupart des trotskistes épurés ou dissidents, l'était aussi. Lang reproduit un document intéressant de 1935 : les notes prises lors de l'entrée en fonction du nouvel attaché militaire allemand en URSS, le Général Ernst-August Köstring. Ces notes révèlent la volonté de Toukhatchevski de s'en tenir aux principes de von Seeckt. En 1936, Toukhatchevski conseille au Ministre des Affaires Étrangères roumain, Nikolae Titulescu de ne pas lier le destin de la Roumanie à la France et à la Grande-Bretagne, États vieux et usés, mais à l'Allemagne, État jeune et dynamique. Pourquoi Heydrich a-t-il contribué à liquider un militaire compétent, ami de son pays ? Parce que la germanophilie de Toukhatchevski n'était pas inconditionnelle, vu le pacte Anti-Komintern : le Maréchal avait organisé des manœuvres et des Kriegspiele,  dans lesquels l'Allemagne envahissait l'URSS et l'Armée Rouge organisait la défense du territoire. Ce fait dément les accusations d'espionnage au profit de l'Allemagne. Est-ce l'encouragement aux Roumains à s'aligner avec l'Allemagne qui a servi d'alibi aux épurateurs staliniens ? En effet, une Roumanie sans garantie allemande aurait été une proie facile pour l'URSS qui voulait récupérer la Bessarabie...

     

     

    Le premier volume du livre de Gordon Lang s'arrête sur l'épisode de l'élimination de Toukhatchevski. Un autre historien, Karl Höffkes, dans

     

    ♦ Deutsch-sowjetische Geheimverbindungen : Unveröffentliche diplomatische Depeschen zwischen Berlin und Moskau im Vorfeld des Zweiten Weltkriegs,

     

    [Veröffentlichungen des Instituts für deutsche Nachkriegsgeschichte : Band 15, Grabert Verlag, Tübingen, 1988, 298 p.] présente tous les documents relatifs au pacte germano-soviétique [dit Traité Ribbentrop-Molotov], signé le 23 août 1939.

     

     

    Höffkes classe les documents par ordre chronologique, ce qui permet de suivre l'évolution des événements qui ont conduit au partage de la Pologne en septembre 1939. Il signale aussi que, vu la participation militaire active des Soviétiques au démembrement de la Pologne, à l'occupation des Pays Baltes et de la Bessarabie/Bukovine entre le 17 septembre 1939 et le 22 juin 1941, la culpabilité allemande dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ne saurait être exclusive, indépendamment des raisons qui ont poussé les 2 puissances à agir. Officiellement, les Soviétiques prétendent être rentrés en Pologne parce que l'État polonais avait cessé d'exister et que leur devoir était de protéger les populations ukrainiennes et biélorusses de Volhynie et de Galicie. Les Alliés avaient déclaré la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939 mais ne feront pas de même pour la Russie après le 17 septembre. Dans la Pravda du 29 novembre 1939, Staline lui-même justifie ses positions :

     

    1. Ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué la France et l'Angleterre, mais ce sont la France et l'Angleterre qui ont attaqué l'Allemagne et ont donc pris sur elles la responsabilité de la guerre actuelle.

    2. Après le déclenchement des hostilités, l'Allemagne a fait des propositions de paix à la France et à l'Angleterre et l'Union Soviétique a ouvertement soutenu ces propositions allemandes, parce qu'elle a cru et croit toujours qu'une fin rapide de la guerre améliorerait radicalement le sort de tous les pays et de tous les peuples.

    3. Les castes dominantes de France et d'Angleterre ont rejeté de façon blessante les propositions de paix allemandes et les efforts de l'Union Soviétique en vue de mettre rapidement fin à la guerre. Voilà les faits.

     

    Les “protocoles secrets”, niés par les Soviétiques

     

    En annexe au texte officiel du Pacte germano-soviétique existaient des “protocoles secrets supplémentaires”, où les intentions les plus offensives des 2 partenaires transparaissaient très clairement. Ces protocoles n'ont pu être évoqués lors du Procès de Nuremberg en 1946. L'avocat de Hess, le Dr. Seidl, reçut l'interdiction de lire le texte, sous pression du procureur soviétique Rudenko. L'hebdomadaire londonien The Economist s'insurgera contre cette atteinte aux droits de la défense, si flagrante puisque la teneur des “protocoles secrets supplémentaires” avait pu être vérifiée dans les faits.

     

     

    Dans les documents consignés dans le livre de Höffkes, nous avons repéré beaucoup de détails intéressants. Ainsi, dans le texte du protocole des conversations entre le Dr. Schnurre et le chargé d'affaires soviétique Astakhov, daté du 17 mai 1939, on apprend que l'Union Soviétique souhaitait que les accords commerciaux entre la Tchécoslovaquie et l'URSS demeurent tels quels sous le protectorat allemand, instauré après la disparition de la République tchécoslovaque. Il suffisait, disait Astakhov, de les reconduire purement et simplement. L'élimination de la Tchécoslovaquie ne créait aucun problème entre le Reich et l'URSS (cf. Höffkes, doc. n°5).

     

     

    Dans un rapport envoyé par l'ambassadeur allemand à Moscou, von der Schulenburg, au Secrétaire d'État aux Affaires Étrangères von Weizsaecker (père de l'actuel Président de la RFA), daté du 22 mai 1939, on apprend les difficultés que rencontrent les Alliés à Moscou pour créer un gigantesque front anti-fasciste englobant l'URSS. Les Anglais hésitent à garantir les frontières de l'URSS, de peur de pousser complètement les Japonais dans les bras des Allemands (doc. n°8).

     

    Le document n°15, consistant en un rapport du sous-secrétaire Dr. Woermann à propos de ses conversations avec l'envoyé bulgare Draganoff, daté du 15 juin 1939, nous apprend le rôle que joua ce diplomate bulgare dans la gestation du Pacte du 23 août. Draganoff connaissait personnellement Astakhov, lequel lui avait dit que l'URSS était sollicitée par 2 stratégies : l'une postulait l'alliance avec la France et l'Angleterre, l'autre l'alliance avec l'Allemagne, indépendamment des idéologies communiste et nationale-socialiste. L'URSS choisirait l'Allemagne sans hésiter si l'Allemagne déclarait officiellement qu'elle n'attaquerait pas la Russie ou si elle signait avec l'URSS un pacte de non-agression.

     

     

    Pour les Soviétiques, l'URSS et le Reich s'opposent aux démocraties capitalistes

     

    Le document n°24, un rapport de Schnurre sur ses conversations avec Astakhov et Babarine (Directeur de la représentation commerciale soviétique à Berlin), témoigne des intentions soviétiques à la date du 27 juillet 1939. Les Soviétiques souhaitent une reprise des relations économiques, politiques et culturelles avec le Reich. La presse des 2 pays doit modérer ses propos, suggèrent les 2 diplomates soviétiques, et ne pas publier d'articles offensants contre l'autre. L'Allemagne, l'Italie et l'URSS ont une chose en commun, malgré toutes les divergences idéologiques : l'hostilité aux démocraties capitalistes. De ce fait, l'URSS ne peut s'aligner sur les démocraties occidentales. Astakhov signale, rapporte Schnurre, que des problèmes peuvent surgir du fait que l'Allemagne comme l'URSS considèrent que les Pays Baltes, la Finlande et la Roumanie appartiennent à leur sphère d'influence. Il peut ainsi apparaître que l'Allemagne cherche à utiliser ces petites puissances contre l'URSS, comme avait cherché à le faire la France, en créant le “cordon sanitaire” après Versailles.

     

     

    Et Astakhov poursuit : l'Angleterre ne peut rien offrir de concret à la Russie ; l'alliance germano-japonaise n'est pas dirigée contre la Russie ; la question polonaise, avec le corridor de Dantzig, finira par être résolue au bénéfice du Reich. Une inquiétude point tout de même chez Astakhov : l'Allemagne hitlérienne se considère-t-elle comme l'héritière de l'Autriche en Europe orientale, en d'autres mots, cherche-t-elle à inclure dans sa sphère d'influence les pays galiciens et ukrainiens soumis jadis à la Double Monarchie austro-hongroise ? L'objet du rapport de Schnurre contribua à dissiper des malentendus. Aujourd'hui, il nous renseigne admirablement non seulement sur les intentions soviétiques de l'été 1939 mais aussi sur les intérêts éternels de la Russie en Europe Orientale.

     

     

    Le document n°28, un câble de Schulenburg au Ministère des Affaires Étrangères (3 août 1939), révèle quelques réticences de Molotov : le pacte Anti-Komintern n'est pas une simple façade comme on tente depuis quelques semaines de le faire accroire tant du côté soviétique que du côté allemand. En effet, ce pacte a soutenu les projets agressifs du Japon à l'égard de l'URSS — le Japon venait d'être battu aux confins de la Mandchourie par les troupes de Joukov — et l'Allemagne a appuyé le Japon, tout en refusant de participer à des conférences internationales si l'URSS y participait aussi, l'exemple le plus flagrant étant Munich. Schulenburg rétorqua que l'URSS, en signant un traité avec la France en 1935, s'est laissée entraîner dans des menées anti-allemandes et qu'en conséquence l'Allemagne a dû réviser certaines de ses positions, au départ russophiles.

     

     

    Les positions de Ribbentrop et d'Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin

     

    Le document n°33, un télégramme de von Ribbentrop à Schulenburg daté du 14 août 1939, nous indique la position du Ministre des Affaires Étrangères du Reich. Il n'y a pas de conflit d'intérêts entre l'URSS et le Reich sur la ligne reliant la Baltique à la Mer Noire ; les divergences de vue dues aux idéologies ont certes engendré la méfiance réciproque, mais ce ballast doit être progressivement éliminé car il apparaît de plus en plus évident, sur la scène internationale, que les démocraties occidentales capitalistes sont également ennemies de l'Allemagne nationale-socialiste et de la Russie stalinienne. Si la Russie et l'Allemagne s'entre-déchirent, ce sera dans l'intérêt des démocraties occidentales : voilà ce qu'il faut éviter. Les menées bellicistes de l'Angleterre postulent un règlement rapide du contentieux germano-soviétique. Dans ce même télégramme, Ribbentrop suggère une visite personnelle à Moscou.

     

    Le document n°48, daté du 22 août 1939, la veille de la signature du Pacte, rend compte d'une conversation téléphonique entre Ribbentrop et l'ambassadeur du Japon, Oshima, sur les projets allemands et soviétiques. Outre que l'apparent changement d'attitude des Allemands risquait de choquer quelques milieux japonais, l'ambassadeur nippon émettait une seule réticence : l'URSS, rassurée en Europe, renforcerait sans doute son front extrême-oriental et rallumerait le conflit sino-japonais pour en tirer toutes sortes de profits. Quoi qu'il en soit, l'évolution dans cette direction était prévisible et comme le Japon ne souhaite pas réanimer le conflit qui venait de l'opposer à l'URSS, l'ambassadeur nippon rassure Ribbentrop : la position du Japon ne changera pas. L'ennemi n°1 du Japon comme de l'Allemagne était désormais l'Angleterre : il fallait donc que les 2 puissances du Pacte Anti-Komintern normalisent leurs relations avec Moscou.

     

     

    Les conversations entre Staline, Ribbentrop et Molotov

     

     

    Le document n°51 est mieux connu et consiste en un rapport du sous-secrétaire Hencke sur les conversations entre Ribbentrop, Staline et Molotov dans la nuit du 23 au 24 août 1939. Les 3 hommes d'État passèrent en revue l'état du monde. L'Allemagne offrait sa médiation pour aplanir les différends entre l'URSS et le Japon. Staline critiquait l'annexion de l'Albanie par l'Italie et craignait que Mussolini ne s'attaque à la Grèce. Ribbentrop répondit que Mussolini se félicitait du rapprochement entre Russes et Allemands. L'Allemagne souhaitait de bonnes relations avec la Turquie mais celle-ci avait répondu en adhérant à la coalition anti-allemande, sans en informer le gouvernement du Reich. Tous se plaignaient de l'attitude turque et évoquaient les sommes d'argent versées par l'Angleterre pour la propagande anti-allemande en Turquie.

     

     

    Quant à l'Angleterre, Ribbentrop se rendait compte qu'elle cherchait à troubler le rapprochement germano-russe et Staline constatait la faiblesse numérique de l'armée anglaise, le tassement en importance de sa flotte et son manque d'aviateurs patentés. Mais Staline ajoutait que malgré ses faiblesses, l'Angleterre pourrait mener la guerre avec ruse et tenacité. Staline demanda à Ribbentrop ce qu'il pensait de l'armée française, très importante numériquement sur le papier ; l'Allemand répondit que les classes de recrues dans le Reich s'élevaient à une moyenne de 300.000 hommes, alors qu'elles n'étaient que de quelque 150.000 hommes en France, vu le recul démographique du pays. La ligne Siegfried (Westwall) était 5 fois plus puissante que la ligne Maginot et, par conséquent, toute attaque française contre l'Allemagne serait vouée à l'échec.

     

     

    Le document n°53 reproduit les fameux “protocoles secrets supplémentaires”, signés par Ribbentrop et Molotov, où Russes et Allemands se partagent l'Europe Orientale en zones d'influence (cf. la carte ci-dessous). Rappelons que le point 3 mentionne l'intérêt soviétique pour la Bessarabie attribuée en 1918 à la Roumanie. L'Allemagne déclare se désintéresser de cette région.

     

     

     

    [Le pacte germano-soviétique sur la carte (cliquer dessus). En renonçant au morceau de Pologne situé à l'est de Varsovie mais à l'ouest de l'ancienne frontière des tsars, Staline joue habilement : les Allemands occupent ainsi seuls un territoire qui n'a jamais été à eux. Au regard du droit, les Soviétiques ne faisaient que récupérer les territoires que leur avaient arrachés la Pologne lors du Traité de Riga (1921). Du coup, ils ne faisaient plus figure d' “agresseurs”.]

     

    L'avis de Mussolini

     

     

    Le document n°55 est une lettre de Hitler adressée à Mussolini et datée du 25 août 1939. Hitler demande l'avis de Mussolini sur la situation nouvelle.

     

     

    Le document n°56 reproduit la réponse du Duce, envoyée le jour même. En voici le contenu intégral :

     

    « Führer, je réponds à votre lettre que vient de me remettre à l'instant l'ambassadeur von Mackensen.
    1. En ce qui concerne l'accord avec la Russie, j'y souscris entièrement. Son Excellence Göring vous dira que je confirme les propos tenus lors des entretiens que j'ai eus avec lui en avril dernier : en l'occurence qu'un rapprochement entre l'Allemagne et la Russie est nécessaire pour éviter l'encerclement par les démocraties.
    2. J'estime qu'il est utile de faire le nécessaire pour éviter une rupture ou un refroidissement avec le Japon, à cause du nouveau rapprochement de celui-ci avec les États démocratiques qui en résulterait. Dans ce sens, j'ai envoyé un télégramme à Tokyo et il semble qu'après avoir surmonté l'effet de surprise, l'opinion publique japonaise adoptera une meilleure attitude psychologique.
    3. L'accord de Moscou bloque la Roumanie et peut contribuer à faire changer la position de la Turquie, qui a accepté les prêts anglais, mais n'a pas encore signé d'alliance. Une nouvelle attitude de la Turquie réduirait à néant tous les plans stratégiques des Français et des Anglais en Méditerranée orientale.
    4. Pour ce qui concerne la Pologne, je comprends parfaitement l'attitude de l'Allemagne et admets le fait qu'une situation aussi tendue ne peut perdurer à l'infini.
    5. Pour ce qui concerne l'attitude pratique de l'Italie en cas d'une action militaire, mon point de vue est le suivant :
      Si l'Allemagne attaque la Pologne et que le conflit demeure localisé, l'Italie accordera à l'Allemagne toutes formes d'aide politique et économique.
      Si l'Allemagne attaque et que les Alliés de la Pologne amorcent une contre-attaque contre l'Allemagne, je porte d'avance à votre connaissance, qu'il me paraît opportun que je ne doive pas prendre moi-même l'initiative d'activités belligérantes, vu l'état actuel des préparatifs de guerre de l'Italie, dont nous vous avons tenus au courant régulièrement et à temps, vous, Führer, ainsi que von Ribbentrop.
      Mais notre intervention peut être immédiate si l'Allemagne nous livre sans retard le matériel militaire et les matières premières nécessaires à contenir l'assaut que Français et Anglais dirigeront essentiellement contre nous.
      Lors de notre rencontre, la guerre était prévue pour 1942 ; à ce moment-là j'aurais été prêt sur terre, sur mer et dans les airs selon les plans prévus.
    Je suis en outre d'avis que les simples préparatifs militaires, ceux déjà entamés et les autres, qui devront être commencés dans l'avenir en Europe et en Afrique, immobiliseront d'importantes forces françaises et britanniques.

     

    J'estime que c'est mon devoir inconditionnel, en tant qu'ami loyal, de vous dire toute la vérité et de vous avertir d'avance de la situation réelle : ne pas le faire aurait des conséquences désagréables pour nous tous. Voilà ma conception des choses et, puisque sous peu je devrai convoquer les plus hauts organes du régime, je vous prierais de me faire connaître la vôtre.
    s. MUSSOLINI. »
    L'enquête de Höffkes ne reprend que des documents datés entre le 17 avril 1939 et le 28 septembre 1939. Après cette date, Russes et Allemands collaborent étroitement pour réduire toute résistance polonaise au silence. Staline tente de réaliser sur le terrain la zone d'influence qui lui a été octroyée le 23 août. La Finlande résiste héroïquement pendant la guerre d'hiver de 1939-40 et Staline doit se contenter de quelques lambeaux de territoires qui sont toutefois stratégiquement importants. Dans le sillage de la campagne de France, il occupe les Pays Baltes, avec, en plus, une bande territoriale de la Lithuanie, normalement attribuée au Reich. Ensuite, il occupe la Bessarabie et la Bukovine, contre les accords qui le liaient à Hitler [cf. à ce propos Jens Hecker, Der Ostblock : Enstehung, Entwicklung und Struktur, 1939-1980, Nomos Verl., Baden-Baden, 1983]. 

     

     

    À partir de ce moment, l'Allemagne devient réticente et la méfiance de Hitler à l'égard des “bolchéviques” ne cesse plus de croître. Le discours “anti-fasciste” est réinjecté dans les écoles de l'Armée Rouge. Staline encourage les Yougoslaves à résister aux pressions allemandes ; les Anglais lui suggèrent, contre sa promesse d'entrer en guerre à leurs côtés, la “direction des Balkans”. Molotov en parle à Hitler et demande au Führer s'il est prêt à faire une concession équivalente. À partir de ce moment, Hitler envisage la guerre avec l'URSS. Le gouvernement yougoslave adhère à l'Axe puis est renversé par un putsch ; Staline reconnaît le nouveau gouvernement et Hitler envahit la Yougoslavie. Les relations privilégiées entre le Reich et l'URSS avaient cessé d'exister...

     

     

    Les protocoles du 9 novembre 1940

     

     

    La dernière tentative allemande de mener une politique commune avec la Russie date du 9 novembre 1940. Molotov est à Berlin pour négocier. Il détient une position de force : l'URSS a reconstitué le territoire des tsars de 1914, Finlande exceptée.

     

     

    L'Allemagne n'a pas réussi à mettre l'Angleterre à genoux. Molotov exige dès lors les Dardanelles, la Bulgarie, la Roumanie, la Finlande, un accès à la Mer du Nord... Hitler rétorque en soumettant un plan de “coalition continentale euro-asiatique”, inspiré du théoricien de la géopolitique, Haushofer. L'Allemagne et la Russie se partageraient la tâche : le Reich réorganiserait l'Europe tandis que la Russie recevrait en héritage une bonne part de l'Empire britannique en Asie. Staline dominerait ainsi la Perse, l'Afghanistan et les Indes, tout en bénéficiant d'une immense façade maritime dans l'Océan Indien. Les protocoles du 9 novembre 1940 n'ont jamais été signés. Les Soviétiques ont toujours nié leur authenticité, comme ils ont nié l'authenticité des “protocoles secrets supplémentaires” du 23 août 1939.

     

     

    Le texte de ces protocoles non signés, nous l'avons retrouvé dans le livre de Peter Kleist (Die europäische Tragödie,  Verlag K.W. Schütz KG, Pr. Oldendorf, 1971, 320 p.). Les 3 pays de l'Axe suggéraient à l'URSS de participer à la construction de la paix, promettaient de respecter les possessions soviétiques, de ne pas adhérer individuellement à une coalition qui serait dirigée contre l'une des 4 puissances signataires. La durée de cet accord serait de 10 ans. Dans le protocole secret n°1, soumis aux 4 puissances, l'Allemagne promettait de ne plus étendre sa puissance en Europe mais de faire valoir ses droits en Afrique centrale. L'Italie promettait de ne plus poser de revendications territoriales en Europe mais de concentrer sa pression en Afrique du Nord et du Nord-Est. Le Japon promettait que ses aspirations seraient circonscrites à l'espace extrême-oriental au Sud de l'archipel japonais. L'URSS devait promettre que ses aspirations d'expansion territoriale se porteraient à l'avenir vers l'Océan Indien.

     

     

    Un second protocole secret, devant être signé par les 3 puissances européennes de la “quadripartite” envisagée, prévoyait de dégager la Turquie de ses obligations à l'égard de la France et de l'Angleterre. Une offensive diplomatique dans ce sens devait être amorcée dans la loyauté, avec échanges d'information réciproques. Les 3 pays devaient viser à établir un accord avec la Turquie, respectant l'intégrité territoriale turque. Un troisième point prévoyait le règlement de la navigation dans les détroits, impliquant une révision du statut de Montreux. L'URSS recevrait le droit de franchir les détroits, tandis que toutes les États riverains de la Mer Noire. Les navires de commerce pourraient sans difficultés majeures continuer à franchir les détroits.

     

     

    Les Soviétiques refusent de participer à la construction de la “Grande Eurasie”

     

     

    Cette suggestion, pourtant pleine de sagesse, n'a pas été retenue par les Soviétiques, encore fascinés par la volonté séculaire des Tsars de contrôler tout l'espace orthodoxe du Sud-Est de l'Europe et de conquérir Constantinople. Le refus de participer à la construction de la “Grande Eurasie” semble être corroboré par le témoignage récent d'un officiel soviétique passé à l'Ouest, Viktor Souvorov (ou Suworow) (in Der Eisbrecher : Hitler in Stalins Kalkül, Klett-Cotta, 1988, 420 p.). Pour le transfuge russe, le calcul de Staline a été le suivant : laisser les forces allemandes venir à bout de la France et de l'Angleterre, puis dicter des conditions énormes à l'Allemagne exsangue, de façon à la tenir totalement sous la coupe de la Russie. En cas de refus, les Armées Rouges envahiraient l'Europe.

     

     

    Hitler aurait été conscient de ce projet et n'aurait jamais envisagé de conquérir un “espace vital” à l'Est, explique un autre historien, Max Klüver (in : Präventivschlag 1941 : Zur Vorgeschichte des Rußland-Feldzuges, Druffel Verlag, Leoni am Starnberger See, 1986-89, 2e éd., 359 p.). Son enquête minutieuse retrace au jour le jour l'évolution de la situation en Europe depuis le 23 août : la dépendance de l'Allemagne vis-à-vis des matières premières russes, les plans coloniaux du Reich après l'effondrement de la France, la création d'un foyer juif à Madagascar, le problème épineux de la Bukovine, l'offre de paix de Hitler à l'Angleterre, l'accord économique limité entre la Grande-Bretagne et l'URSS du 27 août 1940, l'arrivée de Eden sur la scène et l'amélioration des relations soviéto-britanniques, la nouvelle doctrine de l'Armée Rouge, l'arbitrage de Vienne réglant les problèmes de frontières entre la Hongrie et la Roumanie, la pomme de discorde finlandaise, le refus de la part de Molotov d'accepter le protocole du 9 novembre 1940, la campagne des Balkans, le Traité soviéto-yougoslave du 5 avril 1941. Ce livre explique l'échec de l'accord d'août 1939 et révèle en fait que l'Opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941, était une « guerre préventive ». Nous y reviendrons.

     

     

    Cette “guerre préventive” se déclenche donc le 22 juin 1941. Les Allemands avancent rapidement. Après 4 jours, toute la Lithuanie tombe entre leurs mains ; vers la mi-juillet, ils sont aux portes de Leningrad. Le Reich se trouve désormais confronté à une mosaïque de peuples slaves et non slaves, aux frontières floues, disséminés sur un territoire immense, qu'il s'agit d'administrer, d'abord pour faciliter les opérations militaires, ensuite pour créer les bases d'un avenir non soviétique. Les avis divergeaient considérablement : les uns souhaitaient imposer un régime dur de type colonial dans l'espace balte, ukrainien, biélorusse, russe et caucasien ; les autres estimaient qu'il fallait se mettre à l'écoute des aspirations des peuples occupant ces pays, canaliser ces aspirations au profit du reste de l'Europe et atteler leurs potentialités humaines et économiques à un grand projet d'avenir : l'espace indépendant de la Grande Europe, de l'Atlantique à l'Oural et au-delà.

     

     

    41ctga10.jpgLe Professeur Alfred Schickel, Directeur de la Zeitgeschichtliche Forschungsstelle d'Ingolstadt (Bavière), a exhumé 6 mémoranda du Prof. Theodor Oberländer mobilisé pendant la guerre avec le grade de Capitaine (Hauptmann) dans l'Abwehr. Oberländer était un adversaire résolu des plans de type colonial pour l'espace slave ; professeur de sciences politiques et d'agronomie, il avait effectué plusieurs voyages dans le Caucase comme conseiller agricole à l'époque du tandem germano-soviétique sous Weimar, avant de devenir Doyen de l'Université de Prague en 1940.

     

     

    Ami de Canaris, Oberländer fut, tout au long du conflit, un chaleureux partisan de la coopération entre les peuples de l'Est et l'Allemagne ainsi qu'un avocat passionné de la mise sur pied d'unités militaires composées de ressortissants des divers peuples d'URSS. Les éditions Mut (Postfach 1 - D-2811 Asendorf) ont récemment publié [en 1987, 144 p.] les textes intégraux de ses 6 mémoranda sous le titre :

     

    ♦ Der Osten und die Deutsche Wehrmacht : Sechs Denkschriften aus den Jahren 1941-43 gegen die NS-Kolonialthese

     

    Le premier mémorandum (octobre 1941) concerne le Caucase, région bien connue du Professeur Oberländer. Outre une description géographique, ethnographique et historique de la région, le texte comporte une esquisse des événements qui ont conduit à la bolchévisation du Caucase et un plan suggéré aux nouvelles autorités allemandes. Ce plan prévoit :

     

    1. un nouvel ordre agricole, comprenant un démantèlement des kolkhoses et adapté à chaque ethnie et à chaque type de culture ou d'élevage ;
    2. une administration autonome, gérée par des élites autochtones ;
    3. la liberté religieuse et culturelle, qui permettra d'enthousiasmer les Caucasiens pour l'idée d'une Europe continentale libre et indépendante. Oberländer souligne l'importance stratégique de la région, plaque tournante entre la plaine ukrainienne et les plateaux iranien et anatolien, surplombant les champs pétrolifères irakiens. Si le bloc continental européen doit voir le jour, il importe que le Caucase puisse y jouer un rôle capital et que les populations qui le composent se sentent intimement concernées par la création de la Nouvelle Europe et lui apportent la richesse de leur diversité culturelle et leur pétrole.

     

    Le second mémorandum (28 octobre 1941) avait pour objet de donner des directives au haut commandement afin d'assurer l'approvisionnement des armées en marche et de garantir l'acquisition d'un maximum de surplus en substances alimentaires sur les terres ukrainiennes. Articulé en 5 volets, le texte décrit notamment l'atmosphère dans les villes et villages ukrainiens au moment de l'entrée des troupes allemandes. À l'Ouest de l'ancienne frontière polono-soviétique, les Allemands furent d'emblée reçus en libérateurs et l'on attendait d'eux qu'ils contribuent à réaliser les aspirations du nationalisme ukrainien. À l'Est de l'ancienne frontière, les Allemands rencontrèrent une population attentiste, inquiète, amortie par 2 décennies de terreur communiste mais non directement hostile aux nouveaux occupants. Cette population était prête à accepter un régime d'occupation très dur car elle était parfaitement habituée à des traitements d'une incroyable rudesse.

     

     

    Pour Oberländer, ce fatalisme ne devait pas induire les autorités allemandes à profiter de cette sinistre flexibilité mais au contraire à offrir généreusement des libertés afin de susciter les enthousiasmes. Le paysannat, qui n'avait pas oublié les rigueurs staliniennes de 1933, devait pouvoir espérer un régime plus favorable voire un avenir radieux, sur les terres les plus fertiles en blé d'Europe. Le gouvernement militaire devait dès lors prévoir la distribution de graines, le démantèlement graduel du système kolkhosien par l'octroi de primes à la production, éveiller l'initiative personnelle à tous les niveaux, engager des ingénieurs autochtones pour surveiller et maximiser la production, mettre sur pied une Croix-Rouge ukrainienne, offrir à l'Ukraine toute sa place dans la Nouvelle Europe à égalité avec les autres nations de l'Axe, recruter une police et une armée ukrainiennes. Pour parfaire cette politique, il importait d'éviter les bavures ; en filigrane, on perçoit une dénonciation véhémente des erreurs psychologiques déjà commises par les militaires et les administrateurs allemands.

     

     

    Le troisième mémorandum d'Oberländer (automne 1942) signale le phénomène des partisans à l'arrière des lignes allemandes. Les partisans sont peu nombreux, signale Oberländer ; beaucoup d'entre eux ne sont pas des habitants de la région mais des troupes soviétiques parachutées. Mais la déception de certains Ukrainiens nationalistes, d'abord prêts à collaborer avec les Allemands contre les Staliniens, grossira indubitablement leurs rangs. En conséquence, il faut prévoir et favoriser une politique allant dans le sens des intérêts nationaux ukrainiens, créer les conditions d'un État ukrainien pleinement souverain. Le quatrième mémorandum formule les mêmes desiderata de manière quelque peu plus formelle.

     

     

    Le cinquième mémorandum consiste en 24 thèses sur la situation militaire à la mi-mars 1943. Comme le signale les éditeurs, ces 24 thèses constituent une sévère critique de la politique menée par le gouvernement allemand dans les territoires occupés mais, vu la censure, contiennent des éléments de phraséologie nationale-socialiste, évoquant, entre autres, le « génie du Führer ». Ce texte est d'une importance capitale : il révèle une vision grandiose du destin de l'Europe, quoiqu'encore marqué d'un catholicisme impérial que l'on retrouve chez Carl Schmitt. Oberländer part d'un éventail de faits historiques connus : les peuples dominants ont de tous temps fondé des Empires et assuré une paix intérieure aux territoires qu'ils dominaient.

     

     

    Les événements de la guerre en cours prouvent que les techniques modernes, réduisant les pesanteurs du temps et de l'espace, ont rapproché les peuples et favorisé les projets d'unification européenne. Dans la thèse troisième, Oberländer pose l'équation “Allemagne (le Reich auquel il accorde une dimension spirituelle et non raciale) = Continent européen”, exactement comme l'avaient propagée les théoriciens de la géopolitique Kjellén et Haushofer.

     

    « Thèse 3 : L'Allemagne et son continent sont inséparables. Le moment est enfin venu, de transformer en réalité politique ces faits naturels, c'est-à-dire de créer le Großraum [Grand Espace] européen, sous la direction de l'Allemagne (Oberländer reprend ici le jargon national-socialiste). La situation qu'occupe l'Allemagne est défavorable en ceci : nous avons, en l'espace de très peu d'années — donc simultanément si l'on veut parler en termes d'histoire — voulu parfaire 2 tâches historiques s'excluant l'une l'autre sur le plan pratique :
    1. Créer la Grande-Allemagne (Großdeutschland), ce qui a suscité la désapprobation de tous les peuples limitrophes, directement concernés, et la méfiance de bon nombre d'autres nations ;
    2. Parfaire l'unification européenne, tâche pour laquelle nous devons transformer les mêmes peuples hostiles en alliés et les gagner à notre cause. C'est pourquoi il est important de prendre systématiquement en compte tous les réflexes psychologiques, en tous les domaines de la politique européenne. Fuir cette tâche serait de la trahison ; non seulement à l'endroit de l'Europe mais aussi à l'endroit de notre propre peuple. Car tout peuple appelé à exercer le leadership mais qui cherche à se soustraire à sa tâche, sombre dans l'insignifiance spirituelle et politique, comme le prouve l'exemple historique des États grecs de l'Antiquité. »

     

    Les points suivants du mémorandum d'Oberländer constituent un réquisitoire contre les diverses formes de matérialisme massificateur : l'Europe de l'avenir doit se baser sur des valeurs de personnalité collective, propres à chaque peuple. La garantie accordée à ces innombrables personnalités devait, pensait Oberländer, susciter une synergie à l'échelle continentale. Les pays “occupés” ne devaient plus être nommés de cette façon : il fallait systématiquement, surtout à l'Est, parler de “territoires libérés”.

     

     

    Au centre de la problématique néo-européenne, Oberländer place la “question slave”. C'est cette question qui a déclenché la Première Guerre mondiale. L'Allemagne doit apparaître comme la puissance libératrice des peuples slaves soumis à la Russie et/ou au bolchévisme, non comme une nouvelle puissance coloniale, comme la manipulatrice d'un nouveau knout. Les Slaves de l'Ouest et de l'Est doivent être mobilisés pour la construction de l'Europe Nouvelle, à l'instar des Bulgares, des Slovaques et des Croates. L'Europe ne peut se passer d'eux : ni sur le plan géopolitique-stratégique ni sur le plan économique (complémentarité des richesses minières et agricoles des pays slaves avec l'infrastructure industrielle de l'Europe occidentale).

     

     

    Dans cette optique, Oberländer critique les thèses anti-slaves à connotations racistes : la composition ethnique des peuples russe, ukrainien et biélorusse englobe un solide pourcentage de “sang nordique”, donc la thèse d'une radicale différence somatique entre Slaves et Germains ne tient pas debout. La question de l'accroissement du territoire national allemand, des zones de peuplement allemand, doit se résoudre raisonnablement, sans raidir l'ensemble des peuples slaves : Allemands et Ukrainiens doivent trouver un modus vivendi, peut-être au détriment de la Pologne.

     

     

    Dans son sixième mémorandum (22 juin 1943), Oberländer précise sa pensée quant au grand-espace européen. La Petite-Europe, c'est-à-dire l'Europe sans l'espace slave, n'est qu'un appendice péninsulaire de la masse continentale asiatique, comparable à la Grèce au sein de l'Empire romain. Pour éviter cet handicap et pour inclure les potentialités des peuples slaves, ce qui signifie, du même coup, agrandir et consolider la charpente de la Grande Europe, l'Allemagne doit pratiquer une politique de la main tendue, favoriser des réformes agraires pour s'allier le paysannat ébranlé par le communisme, recréer des strates d'artisans indépendants dans la population, etc.

     

     

    Les propositions d'Oberländer sont restées lettre morte. La disgrâce de Canaris provoqua son éclipse des rangs des décisionnaires allemands.

     

     

    À l'heure de la perestroïka, des remaniements multiples en Europe centrale et orientale, à l'heure d'une volonté générale mais confuse de modernisation, de l'abandon des chimères étriquées et obsolètes du marxisme-léninisme, il importe de connaître tous les éléments des complicités et des inimitiés qui ont marqué l'histoire des peuples russe, allemand, polonais, balte, ukrainien, caucasien, etc. La construction d'un ensemble solide ne peut reposer sur les sables mouvants des proclamations idéologiques. L'histoire tragique, mouvementée, glorieuse ou sanglante, représente un socle de concrétude bien plus solide...

     

     

    Les amateurs de terribles simplifications, les spécialistes de l'arasement programmé de tous les souvenirs et de tous les réflexes naturels des peuples, partent perdants, sont condamnés à l'échec même s'ils mobilisent des moyens colossaux pour se hisser momentanément sous les feux de la rampe. Construire la “maison commune”, c'est se mettre à l'écoute de l'histoire et non pas rêver à un quelconque monde sans heurts, à un paradis artificiel de gadgets éphémères. Les adeptes soft-idéologiques de la gorbimania tombent sans doute dans le panneau, mais au-delà des promesses roses-bonbon du gorbatchévisme, veillent les gardiens de la mémoire historique.

    ► texte publié sous le pseudonyme de "Luc Nannens", in: Vouloir n°56/58, 1989. http://robertsteuckers.blogspot.fr/