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culture et histoire - Page 1975

  • Importance de Maurice Barrès

    Jamais Maurras ne parvint à le pousser jusqu'au nationalisme intégral. Maurice Barrès (1862-1923) s'attira pourtant les hommages répétés du Martégal, qui saluait son évolution intellectuelle à l'inverse de celle de Rousseau, de Chateaubriand et des romantiques.
    Trop souvent négligé et méconnu, Maurice Barrès, un des plus grands prosateurs français, passe pour une sorte de dandy, de romantique avec un panache nationaliste. Il a séduit une certaine droite anarchiste qui le lit d'une manière trop superficielle. Du Culte du Moi au Roman de l'énergie nationale, quelle évolution ! La jeune école d'Action française reconnut sa dette envers celui qui, avec La Terre et Les Morts, "inventa", en quelque sorte, le nationalisme.
    Seule faiblesse
    Sa seule faiblesse fut l'incapacité de pousser l'amour de la France jusqu'à ses conséquences ultimes, jusqu'au nationalisme intégral, c'est-à-dire à la monarchie. Jamais Maurras ne put convaincre - et Dieu sait qu'il ne ménagea pas pour cette tâche sa puissance dialectique - de renoncer à la République celui qui fut député boulangiste et antidreyfusard (1), membre de la Ligue de la Patrie française, puis de la Ligue des patriotes, député de 1889 à 1893 et de 1906 à 1923. À sa mort, il siégeait à la Chambre au sein de l'Entente républicaine démocratique.
    Lors des funérailles nationales de Barrès, Léon Bérard, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, le compara à Chateaubriand en disant que le destin de Barrès lui paraissait « plus grand et meilleur ». Écoutons le commentaire de Charles Maurras :
    « Voilà la vérité. Elle a été dite aux funérailles de Barrès par un ministre de la République, M. Léon Bérard. Cette vérité essentielle, il n'y a qu'à la pousser un peu pour comprendre que l'histoire intellectuelle de Barrès représente l'évolution inverse de celle de Rousseau, de Chateaubriand et des Romantiques : avec des éléments de même substance, Barrès a abouti en art, en morale, en politique, aux compositions qui renversent les thèses et les termes de tous ces "fameux musiciens". Tous les aveugles cherchent à instituer des analogies entre l'individualisme collectif du kantien Fichte, où le moi déifié divinise une race, et les constructions précises, positives, concrètes, physiciennes où l'analyste français, loin de conférer à sa race les attributs de Dieu, découvrait et sentait vivre dans son moi, cette race, cette province, cette famille qui lui versaient le suc nourricier et la force génératrice ! Nous avons tous joué du philosophème allemand au sortir du collège ou de la Faculté, mais Barrès est bien des premiers qui s'en soit affranchi ; même au temps où, avec la simplicité de son âge, il se figurait en être captif, comme il en était loin, ce moraliste français d'une ligne si pure ! » (2)
    Dans un autre article, Barrès ou l'homme du rempart (3), Maurras montrait la perte que venait de subir la France dans un homme capable d'influencer dans le bon sens la politique allemande de la République. Il ajoutait, parlant de l'écrivain :
    « Vers 1885-1888, quand il apparut, il était temps ! L'anarchie littéraire hésitait, comme une bacchante, des derniers disciples de Hugo aux derniers imitateurs de Zola. Si l'impressionnisme, le naturalisme et toutes les autres formes d'un romantisme dégénéré ont été vaincus devant l'intelligence française durant la décade suivante, c'est à Barrès, à Barrès seul, qu'est dû le principal honneur du triomphe ; et son triomphe venait beaucoup plus de la nature et de la qualité de l'écrivain que de son calcul et de sa volonté. »
    Léon Blum
    Et pour finir, nous laisserons la parole, une fois n'est pas coutume, à un homme qui n'est pas tout à fait de notre famille d'esprit ! Dans La Revue Blanche, le jeune avocat Léon Blum, malgré ses préjugés idéologiques qui le font pencher vers Zola, donne la primauté à Barrès :
    « Je sais bien que Monsieur Zola est un grand écrivain ; j'aime son oeuvre qui est puissante et belle. Mais on peut le supprimer de son temps par un effort de pensée ; et son temps sera le même. Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable. »
    GÉRARD BAUDIN L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 21 mai au 3 juin 2009
    1 - Cf. Correspondance Barrès-Maurras, La République ou le Roi, édition établie par Guy Dupré, Plon, 1965.
    2 - L'Action Française, 9 décembre 1923, repris dans Maîtres et témoins de ma vie d'esprit, Flammarion, 1954.
    3 - L'Action Française, 7 décembre 1923.

  • “L’archéofuturisme V2.0″, un dernier plaisir avant 2013 !

    PARIS (NOVOpress) - Vous pensez que tout espoir est perdu pour l’homme blanc ? Vous avez tort. C’est ce que démontre Guillaume Faye, à travers la suite (constituée de plusieurs nouvelles) du célèbre ouvrage traduit en plusieurs langues « l’Archéofuturisme », suite éditée par la Diffusion du Lore. Véritable plaisir littéraire de cette fin d’année 2012, il redonnera du coeur à l’ouvrage à tous ceux qui luttent au quotidien, en faveur de la défense de l’enracinement charnel.

     

    À travers un ensemble de nouvelles qui nous mènent de la veille du conflit de 1914 à plusieurs milliers d’années après, le lecteur comprendra vite que l’avenir est avant tout un long passé, un renouvellement et une amélioration permanente de ce qui existe ou a déjà existé, ici ou ailleurs.

    À la veille de 1914, des jeunes Français riches et insouciants se retrouvent face à une voyante célèbre qui leur prédit un avenir sombre pour l’Europe, déchirée par les guerres fratricides, puis par la mondialisation et le progrès sans limite et enfin par une vague migratoire sans précédent, qui emportera tout sur son passage, provoquant des changements sans précédent et un chaos mondial.

    Malgré cela, la mémoire se transmet, mémoire matérielle, mais aussi instinctive et orale, et des foyers, d’Europe ou d’outre-Atlantique, renaissent, construisent, se développent de nouveau, différemment des civilisations qui les ont précédés, mais avec cette sensation pour le lecteur d’un éternel retour, qui lui permet clairement de s’identifier aussi bien aux tribus néomédiévales Voroi peuplant l’Oural au XXIIème siècle qu’aux civilisations technologiquement supérieures qui nous suivront, sur Terre, mais aussi sur Mars, dans les centaines de siècles à venir.

    Quel lien y a-t-il entre Jeanne, femme de France au sang noble, violée et assassinée en ce début de XXIème siècle par des hordes de « chance pour l’Europe » et Delphina Pythia, chanteuse pianiste célèbre vivant en 4086 ? Quelle est l’utilité d’enfermer pendant des siècles dans un coffre, un révolver datant de la guerre 14-18, des balles et du cuir sur lequel sont gravés plusieurs alphabets européens ?

    Que découvrira un marin-explorateur nommé Kristomb dans plusieurs siècles, après avoir traversé la mer avec ses caravelles du futur ?

    Pourquoi la technologie et la volonté de repousser toujours les limites connues conduiront systématiquement l’homme européen à grandir, puis à se rétracter, avant de renaître ?

    C’est à ces questions, et à de nombreuses autres, que répond cet opus de 205 pages, signé Guillaume Faye. « Il restait à peu près une trentaine de minutes avant l’arrivée des barbares. Elle pensa à se suicider en se jetant du haut des remparts dans la Manche. Mais ce n’était pas honorable de la part d’une descendante du marquis de Cinq-Fort mort au combat. Elle descendit lentement sur la jetée, marcha d’un pas déterminé vers le troupeau de crabes sombres. Elle leur barra la route du Mont St Michel, les mains sur les hanches, sachant qu’elle allait mourir, violée, dépecée. Et elle cria à la gueule des gueux qui s’avançait cette étrange formule, qu’elle avait entendu prononcer dans son enfant sans en comprendre le sens, mais qui soudain, intuitivement, lui semblait d’une évidence solaire : “Un jour, Apollon reviendra et ce sera pour toujours” ».

    http://fr.novopress.info

  • Comment la France abandonna Dupleix et les Indes

    Dupleix était né le 1er janvier 1697 à Landrecies où son père remplissait les fonctions de contrôleur des domaines. Sur son enfance et sur sa jeunesse, nous ne savons presque rien. À neuf ans, il est externe au collège des jésuites de Quimper, où il demeure jusqu'en 1713. Deux ans plus tard, il est enseigne à bord d'un vaisseau qui fait le commerce des Indes. On le retrouve à Nantes, à Saint-Malo, à Paris, sans que l'on puisse savoir ni la durée de ses séjours, ni de quoi il vit. Pendant ce temps son père est entré dans l'administration des tabacs, d'abord comme directeur d'une manufacture, puis comme fermier.
    La ferme des tabacs dépendait plus ou moins de la Compagnie des Indes. Fort de l'appui paternel, Dupleix se fait nommer à vingt-cinq ans conseiller et Commissaire général des troupes à Pondichéry. Mais, à nouveau, il faut avouer notre ignorance. Dupleix se tire sans doute avec honneur des missions subalternes qui lui sont confiées. Toutefois, différents incidents font croire qu'il manifeste dès ce moment un caractère hautain et dominateur qui indispose ses collègues et ses chefs. Il n'en est pas moins désigné en 1731 comme directeur à Chandernagor. La Compagnie encourageait ses employés à trafiquer pour leur compte. Dans son nouveau poste, il se montre administrateur habile et entreprenant. Il accroît le mouvement du port, fait bien les affaires des actionnaires et mieux encore les siennes. Enfin, il se marie avec une jeune veuve sans fortune et chargée d'enfants. Au départ de Dumas, en 1741, ses services l'imposent comme gouverneur et il vient résider à Pondichéry au début de 1742.
    Pour juger de son caractère, nous n'avons guère que ses lettres. Il s'y montre dès l'abord brutal et pesant. Il ne connaît pas l'art des nuances; sans être vulgaires ses plaisanteries manquent d'élégance et de légèreté; il n'a ni grâce ni souplesse.
    M. Alfred Martineau, professeur au Collège de France et ancien gouverneur des Établissements français de l'Inde, a consacré à Dupleix cinq volumes définitifs, au cours desquels il établit avec beaucoup de force que la politique d'intervention ne fut pas inspirée à Dupleix par des vues théoriques sur la colonisation. Elle se forma peu à peu au contact des faits et à la sollicitation des circonstances. Lorsque Dupleix se décida à en donner un grand exposé doctrinal, en 1753, son rappel était déjà décidé et son œuvre frappée à mort. En bref, ce sont les événements survenus autour de Pondichéry pendant la guerre de Succession qui lui révélèrent la prodigieuse faiblesse des souverains locaux. Il la pressentait déjà, mais il ne se rendait pas aussi exactement compte de la nullité de leurs troupes et de leurs gouvernements. Les victoires qu'il remporta avec une poignée d'hommes sur des armées cent fois plus considérables ouvrirent, à son imagination un champ illimité. D'autre part, le trésor de la Compagnie se trouvait à Paris et les comptoirs indiens ne pouvaient faire leurs achats qu'avec les fonds qui leur étaient envoyés de France. À plusieurs reprises, les bateaux avaient été arrêtés en route et les fonds avaient manqué. N'étant plus payés, employés et soldats avaient refusé le service. « Pas d'argent, pas de Suisses », disaient les principaux officiers. Pour empêcher les désertions, Dupleix avait dû engager sa fortune et son crédit. Deux ou trois fois, il avait été au bord de la ruine et la Compagnie avec lui. Le calcul et l'expérience lui prouvèrent aussi que le trafic des denrées tropicales était moins rémunérateur qu'on ne le pensait communément. La Compagnie supportait des frais généraux très lourds et la crainte d'avilir les prix entravait toujours le développement de ses importations. Dupleix en vint ainsi à la conviction qu'elle « ne pourrait se soutenir par le simple bénéfice de son commerce » et qu'il lui fallait aux Indes mêmes « un revenu fixe et assuré » : rentes foncières, impôts, monopoles, privilèges, tributs payés par les princes vaincus ou assistés. Jusqu'alors, on s'était contenté d'occuper quelques places dont l'entretien et la défense coûtaient d'autant plus cher qu'on n'y traitait point d'opérations commerciales sans acquitter les droits de douane et de péage prélevés par les dynastes locaux. La protection d'un domaine plus étendu ne serait ni plus difficile, ni plus dispendieuse. Quant aux frais de guerre, on les solderait au fur et à mesure avec les bénéfices de la conquête et le butin de la victoire. En fin de compte, la Compagnie régnerait sur un domaine dont l'acquisition ne lui aurait demandé qu'un peu d'audace et de persévérance.
    Deux États indigènes recouvraient à peu près la péninsule indienne au sud du Godavery : la soubabie du Deccan et la nababie du Carnatic; la première au nord, Ia seconde au sud-est, celle-là voisine de Bombay et des Marattes, celle-ci proche de Pondichéry et vassale de l'autre. Deccan et Carnatic était disputés par des princes rivaux, héritiers plus ou moins légitimes, prétendants plus ou moins fondés. Deux des concurrents demandèrent à Dupleix son alliance. Il mit à leur disposition des officiers et des troupes, vainquit leurs rivaux et, en échange des services rendus, leur imposa la reconnaissance de son protectorat. Mais Dupleix avait péché par excès d'optimisme. Ses moyens financiers furent toujours insuffisants. Inquiets pour leur commerce, les Anglais prirent à leur tour parti pour les princes que nous avions dépossédés. Il se fit ainsi entre les deux nations, sous le couvert de leurs clients respectifs, une guerre indirecte, mais cependant effective, durant laquelle les troupes européennes, servant comme auxiliaires, se combattirent l'une l'autre, tout en se prétendant en paix, Les opérations en devinrent plus onéreuses. Si dans le Deccan, où nous fûmes constamment victorieux, les recettes couvrirent bien les dépenses, dans le Carnatic, où la lutte s'éternisa, le déficit atteignit plusieurs millions de livres que Dupleix dut se procurer soit par des emprunts, soit en puisant dans ses fonds personnels. D'autre part, Dupleix escomptait un succès assez rapide pour que les Anglais n'eussent pas le temps d'intervenir à propos. Pour cela, il lui aurait fallu, dès le début, une force supérieure aux deux ou trois mille hommes dont il disposait.
    D'où il résulte en bonne logique qu'il ne pouvait réussir sans que sa politique fût, par avance, connue et appuyée par la Compagnie de France, dispensatrice des hommes et de l'argent. On retombe toujours au même point. Comment Dupleix eût-il trouvé à Paris un appui efficace quand l'opinion ne lui manifestait qu'indifférence ou hostilité et quand ses directeurs proclamaient eux-mêmes qu'ils réprouvaient toute intervention dans les affaires indigènes ?
    Avec un héroïsme qu'on ne saurait assez admirer, il se décida à passer outre et à se lancer dans l'aventure. Lorsque, par suite de complications inattendues, il se trouva entraîné dans une guerre véritable et de longue durée, il était trop tard pour en faire l'aveu à la Compagnie et pour lui demander son approbation. Les troupes marchaient, le temps aussi et il fallait plus d'un an pour obtenir une réponse de France. Amené par la suite à justifier cette prolongation des hostilités, il ne cessa de représenter les événements sous le jour le plus favorable, dissimulant les difficultés, atténuant les revers, annonçant une paix prochaine et avantageuse. Au reste, la Compagnie ne fut nullement conséquente en son opposition. Elle n'ordonna pas à Dupleix de rendre les territoires qu'il avait conquis. Tant qu'il fut victorieux, flattée du succès de ses armes, elle n'esquissa qu'une timide défense contre les faveurs de la Fortune. Pendant trois ans, elle ne sut à quoi se résoudre, partagée également entre la crainte de manquer sa chance et celle de s'engager trop. Tout en recommandant à Dupleix de traiter au plus vite, elle lui envoya plus de renforts qu'elle ne lui en accordait autrefois, mais pas assez cependant pour lui assurer une supériorité décidée sur ses adversaires.
    Jusqu'à la fin, il suppléa à tout par son génie. Comprenant l'âme indigène, sachant à la fois éblouir et terroriser, fastueux comme un sultan des Mille et une Nuits, magnifiquement aidé par sa femme, il soutint la lutte « avec une inlassable confiance, une ténacité merveilleuse et une admirable diplomatie; il ne se découragea jamais, même dans les situations qui paraissaient les plus désespérées et, par certains côtés, il mérite d'être comparé à Napoléon dont il devança les conceptions gigantesques en s'attaquant au même ennemi, sur un autre terrain, aussi vaste que l'Europe elle-même ». Sans doute est-il hasardeux de refaire l'histoire, mais en la circonstance, il n'est point téméraire d'avancer que Dupleix aurait fini par triompher, s'il avait pu mettre à la tête de ses troupes deux capitaines dignes de ce nom. Or, il n'en avait qu'un, Bussy, qui commandait au Deccan. Les chefs dont il se servit dans le Carnatic manquaient d'intelligence, de coup d'œil et d'audace. Connaissant leurs défauts, il essayait d'y parer en les accablant d'instructions minutieuses, de lettres quotidiennes ou biquotidiennes qui achevaient de les dérouter. On lui reproche d'avoir été tatillon; s'il avait abandonné ses lieutenants à leurs propres lumières, on l'accuserait de négligence. Il jugeait les hommes à leur valeur. Quand il en rencontra un, il sut l'apprécier. Jamais il ne marchanda sa confiance à Bussy et, en dépit de son tempérament autoritaire, il lui laissa toute initiative pour mener à bien la tâche qu'il lui avait prescrite. Non seulement Bussy conquit le Deccan par surprise, mais encore il le garda pendant sept ans et s'y fit aimer. Pour asseoir sa domination sur plusieurs millions d'Indiens, il disposait en tout de neuf cents hommes; il maintint son autorité et son prestige par une politique attentive, clairvoyante, autoritaire et souple à la fois. Il prenait soin de ne pas fatiguer le soubab et ses ministres par des audiences répétées, mais, en toute affaire importante, il leur faisait sentir son pouvoir occulte. Il avait l'art de traiter avec les grands seigneurs indiens et, sans être leur dupe, il leur témoignait une déférence apparente qui les flattait. Il paraissait leur laisser l'initiative des actes qu'il inspirait et, en caressant leur amour-propre, il apaisait leur amertume. De goûts très simples. il n'hésitait point à s'entourer d'un cérémonial éblouissant dont il se moquait en cachette, mais qui en imposait à la foule. « Comptez sur moi, écrivait-il à Dupleix, comme sur une personne qui vous est tout à fait dévouée par reconnaissance et par inclination... Vos nobles sentiments ont fait éclore le germe d'honneur qui était en moi et ce principe seul me guide aujourd'hui. »
    Et Dupleix lui écrivait de son côté « Courage, mon cher Bussy, vous menez tout cela avec grandeur et décence. Cette entreprise ne pouvait tomber en de meilleures mains. Je vous en remercie de tout mon cœur et vous prie de continuer sur le même ton... Rien n'est plus glorieux pour le règne de notre monarque ... Tout ce que vous me marquez sur la gloire que le Roi et la nation acquerront est bien véritable et si on m'a obligation de l'idée, que ne vous doit-on pas pour l'exécution ! »
    Dans le Camatic, hélas, tandis que les Anglais disposaient de deux véritables hommes de guerre, Clive et Lawrence, Dupleix n'avait à leur opposer qu'un incapable, Law de Lauriston, toujours lent, toujours surpris, toujours malheureux. Law se laissait véritablement hypnotiser par l'ennemi. Comme il assiégeait Tritchinopoly, il se prêta docilement aux manœuvres qu'espérait de lui l'armée de secours, abandonna son camp et alla se réfugier dans l'île de Sriringam où Clive entreprit de le bloquer. Au lieu de battre précipitamment en retraite, Law offrit sa démission et attendit son successeur. En hâte, Dupleix lui dépêcha son beau-frère d'Auteuil, avec une petite troupe. Quand il arriva, Law avait capitulé avec armes et bagages, six cents Européens, de l'artillerie, des munitions, un abondant matériel (juin 1752). D'Auteuil perdu avec quelques dizaines d'hommes essaya en vain de s'échapper. Lorsqu'il apprit le désastre, Dupleix fut admirable de sang-froid et de résolution. Il sauva Pondichéry, entrava la marche des Anglais, brouilla leurs alliances avec les indigènes et, sans remporter de succès décisifs, il reprit presque partout l'offensive. Si la garnison de Tritchinopoly n'était point, comme il s'en vantait, menacée à bref délai de famine et si elle recevait tant bien que mal un convoi sur deux, Clive et Lawrence de leur côté avaient dû abandonner l'espoir de nous vaincre en rase campagne. Enfin, Dupleix avait trouvé un chef, Mainville, qui sans valoir Bussy était infiniment supérieur à Law et à ses autres prédécesseurs.
    Mais la nouvelle de Sriringam transmise de Londres à Paris avait créé une véritable panique parmi les directeurs et les syndics de la Compagnie. Lorsque, deux ou trois mois plus tard, parvint à son tour le rapport de Dupleix, on n'y ajouta pas foi. Déjà on accusait le gouverneur d'avoir, depuis des années, travesti sa situation réelle et accumulé les mensonges, afin d'engager la Compagnie dans une aventure contraire à ses intérêts, mais dont il retirait lui-même de scandaleux profits. Dupleix ne trouva qu'un défenseur, le prince de Conti, chef du cabinet secret de Louis XV. Conti reflétait sans doute les idées du maître. Mais le secrétaire d'État à la Marine et le contrôleur général étaient gagnés à celles de la Compagnie : « Du commerce, rien que du commerce; point de victoires, point de conquêtes, beaucoup de marchandises et quelques augmentations de dividendes ».
    En mars 1753, on commença à parler de renvoi aux Indes d'un commissaire-enquêteur; en août, on désigna pour cette mission un des directeurs, Godeheu, « négociant pacifique et sage », écrit Voltaire; en octobre, enfin, comme les navires qui avaient dû quitter l'Inde en février n'étaient pas encore arrivés, les ministres excédés se décidèrent à faire signer au Roi l'ordre de révocation. Dupleix pourtant n'était pas coupable du retard des vaisseaux. Il les avait expédiés à la date ordinaire, mais par un fatal concours de circonstances, ils avaient tous relâché à l'île de France pour y réparer des avaries. Godeheu s'embarqua le 31 décembre sur le Duc-de-Bourgogne. Cinq autres vaisseaux, portant seize cents soldats l'accompagnaient. Dupleix était révoqué au moment précis où on lui envoyait de quoi vaincre !
    À Pondichéry, Godeheu fit exactement ce qu'on attendait de lui. Il explora la caisse, vérifia la comptabilité, gratta les fonds de tiroir, accumula les paperasses et traita Dupleix comme un marchand de chandelles peut traiter un conquérant. Après quoi, il s'entendit avec les Anglais, c'est-à-dire qu'il accepta toutes leurs demandes. La Compagnie s'engagea à abandonner graduellement ses conquêtes et renonça pour l'avenir à toutes alliances et dignités indigènes (décembre 1754).
    Dupleix mourut dix ans plus tard, ruiné par des spéculations imprudentes sans avoir pu se faire rendre les sommes qu'il avait déboursées pour donner un empire à la France. Un an après encore, Godeheu publiait contre lui un mémoire outrageant. Malignité, imposture, fausseté, mauvaise foi, perfidie, enivrement des grandeurs asiatiques, ressentiment, inconséquence, absurdité, déclamation, méchanceté ridicule : voilà de quoi était fait le caractère de Dupleix. Et le marchand de chandelles ronronnait avec satisfaction : Moi, je n'ai pas « porté mes vues à la sublimité où s'élevaient les siennes; je n'ai pas imaginé le plan... inouï de changer l'institution d'une compagnie commerçante, de ne l'occuper qu'à faire des conquêtes, de la rendre l'arbitre d'une partie du monde, de lui assujettir des souverains, de lui acquérir des royaumes... Je me suis soumis à des détails dont M. Dupleix avait dédaigné de s'occuper. Ma conduite a été approuvée par mes supérieurs.. Serait-elle moins digne du suffrage de mes concitoyens ? »
    Le nom de Godeheu est demeuré le symbole de la plus épaisse sottise, celle qui se fait passer pour de la prudence et du bon sens. Au moins, le Roi finit-il par prendre à sa charge les dettes de Dupleix afin, disait le procureur général, « de conserver à sa mémoire l'honneur que l'éclat de ses actions a répandu sur sa vie ».
    Pierre GAXOTTE. de l'Académie Française Historama septembre 1971

  • Petit éloge du long terme par Jacques GEORGES

     

    À long terme, nous serons tous morts. Même les civilisations sont mortelles. Le Reich de mille ans a duré douze ans. Le long terme serait-il une illusion ? Non : le long terme, les longues perspectives, ces notions perdues de vue depuis longtemps en démocratie de marché, sont nécessaires aux sociétés comme aux individus pour être bien dans leur peau, voilà le propos de ce petit article sur un grand sujet.

     

    La Chine, le sens du temps long

     

    Prenons la Chine. Voilà un pays qui depuis trente ans n’arrête pas de commencer par le commencement : construire pierre à pierre les conditions du développement (maîtrise démographique, priorité aux infrastructures de base et à l’éducation scolaire, technique et civique des citoyens, conception et mise en place d’un système bancaire et financier tourné vers le soutien à la production et l’entreprise, protectionnisme intelligent, maîtrise des parités de change, ordre dans la rue et dans les têtes), pour produire modestement et à bas coûts des articles essentiellement exportés, puis monter progressivement en gamme et en technologie, pour se retrouver, un beau matin, premier producteur industriel et deuxième P.I.B. de la planète. Le tout en ne distribuant en bienfaits salariaux et sociaux, voire en investissements « de confort » de type logement, que ce qui est possible, voire seulement nécessaire. Avec toujours en ligne de mire l’épargne, la compétitivité, le long terme, la réserve sous le pied, et, plus que tout, la préservation de son identité, de sa force, de sa fierté nationale. Une vraie Prusse orientale. Pardon pour ce jeu de mots, qui d’ailleurs va très loin.

     

    L’Europe ? L’idiot du village global

     

    Prenons maintenant l’Occident en général, l’Europe en particulier. Un socialiste intelligent a dit qu’elle était l’idiot du village global, ce qui résume bien les choses. Son plus beau fleuron, la Grèce, ne fait que magnifier les exemples espagnol, portugais, italien, français, et, il faut bien le dire, en grande partie aussi bruxellois : optimisme marchand, mondialisation heureuse, ouverture à tout va, liberté de circulation des marchandises, des services et des hommes, substitution de population et libanisation joyeuses, rationalisation marchande extrême de la fonction agricole, abandon implicite de l’industrie au profit d’un tas appelé « services », joie du baccalauréat pour tous, protection du consommateur, développement de la publicité et du crédit à la consommation, distributions massives de pains et de jeux, relances keynésiennes perpétuelles, endettement privé et public poussé à l’absurde, promesses électorales qui n’engagent que ceux qui les prennent au sérieux, yeux perpétuellement rivés sur les sondages. Le résultat, totalement prévisible, est là, sous nos yeux. Au bout du compte, la chère France, pour prendre son glorieux exemple, en est, à fin octobre 2012, à se poser avec angoisse la question existentielle de savoir si le taux de croissance du P.I.B. en 2012 sera de 0,8 ou de 0,3, ce qui change tout.

     

    La misère intellectuelle et morale de l’Europe

     

    On nous dira : et l’Allemagne, la Finlande, l’Autriche, et quelques autres ? Certes, ils sont un peu chinois de comportement ! Leur comportement garde un zeste de sérieux, de sens du long terme et de séquence logique des priorités qui font chaud au cœur à quelques-uns, dont, on l’a deviné, le rédacteur de ce petit billet. Que dit Angela ? Que rien ne sert de consommer, il faut produire à point; que quelqu’un doit bien finir par payer les dettes; que la malfaisance du capitalisme, ou du marché, ou des banques, ou de tous les boucs émissaires du monde, n’explique pas tout; que le vernis sur les ongles vient après une bonne douche, et autres commandements dictatoriaux du même acabit. Intolérable, clament en chœur les cigales indignées : les Allemands doivent coopérer en lâchant les vannes, en consommant davantage, en faisant un minimum d’inflation, bref, en s’alignant enfin sur les cancres majoritaires ! À défaut, l’Allemagne paiera, ce qui n’est que justice ! Sur ce point, extrêmes droites européennes, qui depuis peu méritent effectivement ce nom, et extrêmes gauches, toujours égales à elles-mêmes, sont d’accord. La misère intellectuelle et morale de l’Europe, en ce début de siècle, est immense.

     

    Soyons un instant sérieux, car le sujet l’est extrêmement. Le sens du long terme a quelque chose à voir avec l’état, disons la santé, des peuples. C’est une affaire ancienne, délicate, complexe. Sparte contre Athènes, la Prusse contre l’Autriche, la cigale contre la fourmi, le modèle rhénan versus le modèle anglo-saxon, la primauté de l’économique sur le social, c’était déjà un peu ça. La gauche s’identifie assez naturellement avec ce qu’il y a de pire à cet égard, quoique avec des nuances, voire des exceptions (on cite à tort ou à raison Mendès-France, Delors ou Schröder comme contre-exemples). La droite, par nature portée aux horizons longs, mais ayant besoin d’être élue, et n’étant souvent pas de droite, a rivalisé souvent avec succès en démagogie avec les meilleurs démagogues de l’équipe adverse. Le ludion Sarkozy, sympathique et actif par ailleurs, comme son excellent et populaire prédécesseur, illustrent bien cette dérive. Sans parler des collègues grec ou italien.

     

    Pour une trithérapie des nations européennes

     

    Comment commencer à s’en sortir ? À notre avis, par une trithérapie mêlant :

     

    1 – acheminement ordonné vers un protectionnisme continental identitaire intelligent de type Paris – Berlin – Moscou – Vladivostok,

     

    2 – inversion vigoureuse mais juste et astucieuse des flux migratoires, et, last but not least,

     

    3 – réforme intellectuelle et morale : réhabilitation de l’identité des Européens, du sens collectif, du long terme et de l’effort, ré-examen profond et/ou remisage de l’idéologie des « droidloms » aux orties, réexamen honnête de l’histoire du XXe siècle défigurée dans les années 1960 sur les fondements datés de Nuremberg et Bandoeng. Joli programme ! Avec un peu de chance, en cent ou deux cents ans à peine, c’est plié !

     

    Jacques Georges http://www.europemaxima.com/

     

    • D’abord mis en ligne sur Polémia, le 13 novembre 2012.

  • Les universités médiévales (XIIIe-XIVe)

    L’université est une invention européenne qui n’a aucun précédent historique ou équivalent dans une autre région du monde. Elle est la conséquence du développement urbain en Occident, et naît dans les premiers temps d’initiatives spontanées d’association de maîtres et d’élèves, à la fin du XIIe siècle. Ces groupements de maîtres et d’élèves font pression tant auprès des pouvoirs ecclésiastiques que des pouvoirs civils pour obtenir les privilèges propres à toute corporation.

    Vers le milieu du XIIIe siècle, l’Université parvient à s’affranchir des pouvoirs laïcs et épiscopaux pour ne dépendre que de la papauté. L’Université a alors le monopole de la collation des grades et cooptation, dispose de l’autonomie administrative (droit de faire prêter serment à ses membres et d’en exclure), de l’autonomie judiciaire et de l’autonomie financière.

    Les papes du XIIIe ont tout intérêt à accompagner et contrôler le développement des universités : elles fournissent les meilleurs cadres de l’Église, apporte aux prédicateurs une argumentation contre les hérésies, et permet de mieux définir l’orthodoxie par ses recherches théologiques (l’Université de Toulouse sera ainsi fondée en 1229 par la papauté pour contrer l’hérésie cathare, dès 1217 une bulle pontificale appelle maîtres et étudiants à venir étudier et enseigner dans le Midi). Les professeurs étaient quasiment tous des clercs. A noter que l’enseignement était alors (théoriquement) gratuit : en effet, le savoir étant perçu comme un don de Dieu, le vendre serait se rendre coupable de simonie (trafic et vente des biens et sacrements de l’Église). Les cours cesseront d’être gratuits lorsque les autorités civiles remettront les mains sur les universités à partir du XIVe siècle.

     

    On distingue quatre grandes facultés : la faculté des arts, la faculté de théologie, la faculté de droit (romain et canon) et la faculté de médecine. La faculté des arts est une faculté subalterne qui permet d’accéder à l’une des trois facultés supérieures.

    Note : Ici ne sera traité essentiellement que la faculté des arts (on pouvait d’ailleurs très bien arrêter ses études à sa sortie). Cet article ne se veut pas exhaustif, le sujet étant si vaste qu’il est impossible d’être complet. Je laisse par exemple volontairement à l’écart les querelles autour des Mendiants et autour d’Aristote…

    I. L’organisation de l’Université

    L’Université est une fédération de plusieurs écoles qui sont concurrentes puisque chaque maître dirige un établissement d’enseignement. La fréquentation de l’Université dépend en grande partie du prestige des professeurs, et de nombreux étudiants suivent tel ou tel maître à travers ses pérégrinations en Europe. Dans les universités de renom, les élèves ont des origines géographiques diverses : ils se regroupent au sein de la faculté dans les nations. Dès les années 1220 à Paris, il y a ainsi 4 nations : Français, Normands, Picards et Anglais. Les élèves originaires d’un même pays se groupent ensemble : ceux des pays latins rejoignent les Français, les Germaniques et les Slaves vont avec les Anglais, ceux de l’Ouest se placent avec les Normands tandis que les Flamands se regroupent avec les Picards.

    Chaque nation a son représentant, le procureur, qui participe avec les représentants des autres nations à l’élection du recteur de la faculté (qui est un maître es arts). Celui-ci a des pouvoirs étendus : il fait libérer les étudiants arrêtés par les agents du roi pour les faire juger au sein de l’Université, il fixe le loyer des logements et le prix de location des livres, dirige les finances, peut infliger des amendes et des arrêtés de suspension ou d’exclusion. Il est le représentant de l’Université à l’extérieur avec huit bedeaux (à Paris) : agents qui font exécuter les décisions. Son principal rôle est de protéger les privilèges de l’Université : exemption d’impôts, de toute forme de service militaire et surtout de toute juridiction laïque.

    Les problèmes de gestion sont simples puisque l’Université ne possède pas de bâtiments propres : le maître loue une salle à ses propres frais quand il ne fait pas cours à l’extérieur ou à son domicile. Les collèges (qui ne sont alors pas des établissements d’enseignement mais des résidences où les étudiants pauvres peuvent trouver gîte et couvert), fondés généralement par des mécènes, peuvent aussi accueillir des cours, comme le fameux collège de Robert de Sorbon (fondé en 1253) qui accueillera la faculté de théologie de Paris. Quant aux rentrées d’argent, elles viennent essentiellement des amendes et des contributions après examen.

    II. Cursus et programmes

    L’Université médiévale met fin à l’anarchie qui caractérise les écoles du haut Moyen Âge au niveau du cursus et du programme. En général, l’enseignement à la faculté des arts durait 6 ans, l’élève y entrant vers 14 ans et y sortant vers 20 ans ; il comprend deux examens, passés devant un jury de maîtres : le baccalauréat (attesté à Paris en 1231) au bout de deux ans (qui donne le droit de participer aux disputes) et la licence à la fin du cursus.

    Robert Grossetête
    Robert Grossetête (1175-1253),
    évêque de Lincoln, professeur
    à Oxford. Il est connu pour
    ses travaux sur la lumière.

    Les études « supérieures » sont souvent plus ardues et sont enseignées après 20 ans. Les études de théologie sont les plus difficiles, durant au minimum 8 ans (parfois jusqu’à 15 !) et requérant l’âge de 35 ans au moins pour l’obtention du doctorat.

    Les programmes d’études des facultés des arts sont basés sur ce que l’on appelle le trivium et le quadrivium, concepts hérités du philosophe romain Boèce. La grammaire (étude de la langue), la dialectique (art de raisonner) et la rhétorique (art de persuader) sont les trois disciplines du trivium ; la musique, l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie forment le quadrivium. D’une manière générale, l’enseignement donne la belle place à la dialectique, devant le quadrivium et les autres disciplines du trivium. L’Angleterre en revanche met à l’honneur le quadrivium et la pensée scientifique dont les maîtres Robert Grossetête et Roger Bacon seront les plus illustres représentants.

    III. Les livres

    Les études universitaires supposent des livres, ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’ordre pratique. Avec le développement de l’instruction, le livre doit cesser d’être un objet de luxe réservé aux élites. Les grandes villes universitaires (comme Paris ou Bologne) deviennent des grands centres de production de livres dont les ateliers surpassent les scriptoria ecclésiastiques.

    Le format même du livre change : les feuilles de parchemin deviennent moins épaisses, plus souples et moins jaunes ; le livre devient plus petit pour être transporté plus facilement ; la minuscule gothique, plus facile à dessiner, remplace la minuscule carolingienne ; la plume d’oie se substitue au roseau pour l’écriture ; les miniatures et enluminures se font beaucoup plus rares, le copistes laissant des espaces blancs pour que l’acheteur, s’il le souhaite, puisse faire peindre des ornementations.

    A la faculté des arts, les auteurs étudiés sont essentiellement, pour la grammaire, Sénèque, Lucain, Virgile, Horace, Ovide, Cicéron. En dialectique, la Logique de Boèce est étudiée jusqu’en 1255 au moins, puis l’Isagogue de Porphyre et l’Organon d’Aristote finissent par être pratiqués en entier. Pour le quadrivium, des traités scientifiques finissent par accompagner les vieux manuels : l’Heptateuque de Thierry de Chartres est ainsi souvent utilisé.
    En droit, ce sont le Décret de Gratien, le Code de Justinien, le Liber Feudorum (lois lombardes, pour Bologne) qui sont étudiés. La faculté de médecine s’appuie surtout sur l’Ars Medecinae, recueil de textes réunis au XIe comprenant des oeuvres d’Hippocrate et de Galien auxquels s’ajoutent plus tard des œuvres d’Avicenne, d’Averroès et de Rhazès. La faculté de théologie ajoute à la Bible le Livre des Sentences de Pierre Lombard et l’Historia Scholastica de Pierre la Mangeur.

    IV. La méthode scolastique

    Cours universitaire - Liber ethicorum
    Cours universitaire, Liber ethicorum (Henricus de Alemania, XIVe).

    L’enseignement médiéval repose pour une grand part sur l’oral et fait appel aux capacités de mémorisation. Les traités pédagogiques donnaient d’ailleurs des conseils pour entretenir sa mémoire et la développer.

    La scolastique (de schola : école), méthode d’enseignement médiévale, se divise en trois parties : lectio, disputatio, determinatio. La lectio (leçon) constitue le point de départ de l’enseignement et consiste en un commentaire du texte étudié (présentation de l’ouvrage étudié, de l’auteur, explication linéaire du texte).

    S’en suit la disputatio (dispute, débat), exercice séparé de la lectio qui consiste à discuter un point du texte. Une question peut être imaginée par le maître puis être débattue au cours d’une séance particulière (« Faut-il honorer ses parents ? Satan sera-t-il sauvé ? »). La dispute oppose les bacheliers en « répondants » (respondentes) et en « opposants » (opponentes). Le maître préside le débat, les étudiants débutants n’y participent pas mais y assistent pour s’y préparer. Cette étape est au cœur de la méthode scolastique, et très appréciée par les étudiants.

    Quand le débat est terminé, les questions et réponses fournissent une matière désordonnée à organiser pour former une doctrine. Cette doctrine est élaborée par le maître et exposée durant la determinatio (détermination), exposé doctrinal ayant lieu quelques jours après la dispute où le maître présente le résultat de sa pensée. La doctrine est mise à l’écrit par le maître ou un auditeur et publiée dans les Questions disputées.
    Plus tard se développe la dispute quodlibétique où le maître se propose de traiter un problème par n’importe qui sur n’importe quel sujet, exercice très difficile supposant une grande vivacité d’esprit car non préparé.

    http://histoire.fdesouche.com

    Bibliographie :
    LE GOFF, Jacques. Les intellectuels au Moyen Âge. Seuil, 1957.
    ROUCHE, Michel. Histoire de l’enseignement et de l’éducation. 1 – Ve av. J.-C. – XVe siècle. Nouvelle Librairie de France, 1981.
    VERGER, Jacques. Culture, enseignement et société en Occident aux XIIe et XIIIe siècles. PUR, 1999.

  • Pour se faire pardonner, la France accroît l'immigration algérienne…

    Les mots les plus durs et souvent inadaptés, prononcés notamment par François Hollande lui-même lors de son discours devant le parlement algérien le 20 décembre dernier, ont ravivé les passions et provoqué certains débordement verbaux. Dans le but de mieux apprécier les retombées de ce discours et sans vouloir attiser la polémique surgie, Polémia a relevé sur le site suisse Commentaires.com un article sous la signature de Philippe Barraud qui, au delà des échanges passionnés franco-français, donne une analyse, froide mais argumentée, que nous soumettons à nos lecteurs. Une vision depuis l’étranger est souvent positive.
    Polémia.

    M. François Hollande, venu faire acte de repentance devant un pouvoir non-démocratique en Algérie, a contribué au déclin de la France. C’était le énième avatar du « sanglot de l’homme blanc », prêt à sacrifier ses valeurs et sa civilisation sur l’autel de la culpabilité.


    Tout le monde y a pensé, mais personne n’a osé l’exprimer: l’Algérie est un pays autoritaire qui méprise les droits de l’homme et en particulier ceux des femmes, où les libertés sont une chimère, où l’économie est en ruine depuis un demi-siècle malgré une manne pétrolière dont on ne sait pas à qui elle profite. Et pourtant, le président de la France vient courber la tête devant un tel pouvoir. Mais bien sûr, dans l’esprit de l’homme blanc repentant façon Hollande, cette situation est la conséquence directe de la colonisation.

    Donc, c’est de notre faute, tout ce qui va mal dans les pays pauvres – ils ne sont pas en voie de développement, ils sont toujours plus pauvres, donc appelons un chat un chat – est toujours de la faute de l’Occident chrétien (chrétien, façon de parler, hélas), tandis que ces pays pauvres sont automatiquement parés de toutes les qualités, puisqu’ils sont des victimes.

    Il est évident que la colonisation a eu des aspects barbares. Mais on ose dire, contrairement aux affirmations de M. Hollande, qu’elle a aussi eu des aspects positifs. Si l’Inde est aujourd’hui la plus grande démocratie du monde, qui oserait prétendre que la colonisation anglaise n’y est pour rien? Rejeter le passé en bloc, ainsi que le fait M. Hollande, revient à juger globalement L’Histoire de la France comme honteuse et condamnable. Ce faisant, il agit en idéologue socialiste, mais certainement pas en citoyen français, et encore moins comme le premier d’entre eux. De quel droit peut-on juger et condamner nos prédécesseurs à la lumière des valeurs d’aujourd’hui? Aurions-nous fait mieux qu’eux, à leur place? C’est faire preuve d’une rare outrecuidance que de prétendre savoir trancher entre le bien et le mal, et rejeter ceux qui, il y a plus d’un siècle, ont eu la malchance de ne pas s’inscrire dans les bonnes cases des grilles de lecture socialistes contemporaines.

    L’Histoire a eu lieu, on ne peut pas la changer, donc, inutile de s’humilier au nom d’une sorte de masochisme purificateur. Au demeurant, lorsqu’il pousse son sanglot d’homme blanc, M. Hollande ne réalise pas qu’il méprise ceux qu’il veut flatter, et aux yeux desquels il croit devoir racheter son pays. L’excellent Pascal Bruckner, qui inventa d’ailleurs le concept du « sanglot de l’homme blanc » (1), analyse finement cette dérive dans son livre La tyrannie de la pénitence (2).


    Voici un extrait que l’on recommande à M. Hollande et à ses faiseurs de discours: « La vague de repentance qui gagne comme une épidémie nos latitudes et surtout les principales églises n’est salutaire qu’à condition d’admettre la réciproque : que d’autres croyances, d’autres régimes reconnaissent, eux aussi, leurs aberrations ! La contrition ne saurait être réservée à quelques-uns et la pureté consentie comme une rente morale à ceux qui se disent humiliés. Pour trop de pays, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine, l’autocritique se confond avec la recherche d’un bouc émissaire commode qui explique leurs malheurs: ce n’est jamais leur faute, toujours celle d’un grand tiers (l’Occident, la mondialisation, le capitalisme). Mais cette division n’est pas exempte de racisme: à refuser aux peuples des tropiques ou d’outre-mer toute responsabilité dans leur situation, on les prive par là même de toute liberté, on les replonge dans la situation d’infantilisme qui a présidé à la colonisation. Chaque guerre, chaque crime contre l’humanité chez les damnés de la terre serait un peu notre faute, devrait nous inciter à battre notre coulpe, à payer sans fin le fait d’appartenir au bloc des nations opulentes. Cette culture de l’excuse est surtout une culture de la condescendance. Rien ne nous autorise à couper l’humanité entre coupables et innocents : car l’innocence est le lot des enfants mais aussi des idiots, des esclaves. Un peuple qui n’est jamais tenu comptable de ses actes a perdu toutes les qualités qui permettent de le traiter comme un semblable. »
Ajoutons cette phrase, dans une note de bas de page, à propos de l’Algérie qui exige des excuses de la France: « Eh bien, qu’on admette publiquement la réalité de la sale guerre, l’usage de la torture, la brutalité de la colonisation dans ce pays. Mais qu’on invite les Algériens à faire de même, à dévoiler leurs parts d’ombre, à balayer devant leur porte. Réciprocité absolue! »
Il n’en est rien bien sûr, on le sait. Au contraire, M. Hollande croit devoir faciliter l’émigration algérienne en France, comme pour racheter le passé, en facilitant l’obtention de visas pour les Algériens ! On croît rêver… La France n’a sans doute pas assez de chômage avec des immigrés non qualifiés, pas assez de problèmes avec les communautés maghrébines qui ont chassé la République des cités, pas assez à faire à gérer les jeunes enragés qui s’abandonnent au jihadisme faute de perspectives, pas assez de familles nombreuses qui vivent exclusivement d’une politique sociale intenable. 
Créer un tel appel d’air à l’immigration musulmane, aujourd’hui, dans une France en voie de paupérisation rapide, voilà une faute politique gravissime, que sanctionnera la crise qui vient. Car bien entendu, lorsque M. Hollande annonce aux Français que la crise est derrière nous, il leur ment éhontément, comme on parle à des faibles d’esprit – ou à d’anciens colonisés. La crise, c’est demain.

    Philippe Barraud http://www.polemia.com
    Commentaires.com
    25/12/2012

    Notes :
    (1) Pascal Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc, Seuil 1983, réédition 2002, 309 pages.

    (2) Pascal Bruckner, La tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental, Grasset, 2006, réédition Livre de poche, collection Littérature & documents, nov. 2008, 251 pages.

  • Terrorisme stalinien d’outre-tombe – Par Flavien Blanchon

    LONDRES (NOVOpress) – Croulant sous les années, les titres et la vénération générale, enrichi par ses droits d’auteur sur ses livres imposés à tous les étudiants d’Angleterre et d’ailleurs, avant même de devenir, en 2003, l’heureux lauréat du Prix Balzan d’un million de francs suisses pour l’histoire européenne, couvert de doctorats honoris causa, membre de la British Academy, promu par Tony Blair compagnon d’honneur du Commonwealth – distinction réservée à quarante-cinq Britanniques pour leurs « services exceptionnels » à la culture –, le stalinien Eric Hobsbawm (photo) était le bouddha vivant de la gauche européenne. Lorsqu’il se montrait dans une réunion, selon un témoin oculaire, « l’atmosphère ressemblait à celle d’une audience pontificale ou d’une apparition publique du dalaï-lama ».

     

    Aussi sa mort cet automne, à quatre-vingt-quinze ans, fut-elle immédiatement suivie de son apothéose. Tout l’establishment médiatique britannique, de la BBC au Guardian, fit le panégyrique du « plus grand historien anglais », « un géant des Lumières dont le décès nous laisse tous plus pauvres ». Notre Monde national célébra sans rire son « impeccable lucidité », qui l’avait « préservé de toutes les dérives totalitaires, protégé par sa conscience d’être un “aristocrate communiste” ». Le président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz y alla de son communiqué pour saluer « un homme exceptionnel doté d’une extraordinaire lucidité », « une référence pour notre époque ».

    Le Guardian, fidèlement transcrit par Le Monde, ne craignit pas même de s’apitoyer sur le « maccarthysme universitaire » qui, pendant la guerre froide, aurait, paraît-il, empêché Hobsbawm d’obtenir « le poste à Cambridge qu’il avait toujours convoité », et l’aurait contraint à se rabattre sur l’université de Londres : quasiment la Sibérie !

    Bien rares furent ceux – dans le Telegraph, un peu le Spectator, surtout le Daily Mail, journal populaire tellement haï et méprisé par l’intelligentsia qu’il n’a plus rien à perdre –, qui osèrent troubler le chœur des pleureuses. Osèrent rappeler que Hobsbawm, ayant adhéré au Parti communiste britannique dans les années 1930, en resta membre sans discontinuer, malgré Budapest et Prague et tout le reste, jusqu’en 1991, quand ce qui restait du Parti finit par se dissoudre après l’effondrement de l’Union Soviétique.

    Osèrent noter que Hobsbawm commença sa carrière en publiant au début de 1940, sur instructions directes du Komintern, une grossière apologie de l’invasion soviétique de la Finlande, présentée comme un acte d’autodéfense contre « l’agression capitaliste » : « Nous devons rassembler les étudiants et les travailleurs de Grande-Bretagne derrière le slogan : PAS DE VOLONTAIRES POUR LA FINLANDE – NE TOUCHEZ PAS À LA RUSSIE ! » Et que cinquante ans plus tard, dans L’Âge des extrêmes, le plus impudemment partisan et le plus grotesquement surfait de ses livres, Hobsbawm resta fidèle à lui-même en faisant en sorte de ne pas même nommer le pacte germano-soviétique. Tout au plus, au détour d’une page, peut-on lire que, « après presque une décennie d’échec flagrant de la ligne d’unité antifasciste du Komintern, Staline la raya de son ordre du jour, tout au moins momentanément ».

    Osèrent relever la complaisance narcissique avec laquelle, dans ses mémoires, Interesting Times, Eric Hobsbawm évoque son militantisme communiste, en même temps que l’extraordinaire complexe de supériorité, à la fois intellectuel et social, qu’il y affiche à l’encontre de « la petite bourgeoisie thatchérienne ». Dans un compte rendu pénétrant de la New York Review of Books, Tony Judt avait parfaitement résumé les choses : « Eric Hobsbawm est un mandarin – un mandarin communiste – avec toute l’assurance et tous les préjugés de sa caste ».

    Osèrent citer ce dialogue tranquille en 1994, dans une émission culturelle de la BBC tout entière consacrée, grâce à la redevance audiovisuelle, à la promotion du livre d’Hobsbawm, Age of Extremes. L’animateur (l’historien Michael Ignatieff) :

    « En 1934, des millions de gens sont en train de mourir dans l’expérience soviétique. Si vous aviez su cela, est-ce que cela aurait fait une différence pour vous à l’époque ? Est-ce que cela aurait changé votre engagement ? Votre adhésion au Parti communiste ?

    – Hobsbawm (après un peu d’hésitation) : Probablement non.

    – Ignatieff : Pourquoi ?

    – Hobsbawm (emberlificoté) : Parce que, dans une période dans laquelle, comme vous pouvez l’imaginer, le meurtre de masse et la souffrance de masse sont absolument universels, la possibilité qu’un nouveau monde soit en train de naître dans une grande souffrance aurait toujours mérité d’être soutenue […].

    Ignatieff : Ce que cela revient à dire, c’est que, si les lendemains qui chantent avaient effectivement été créés, la perte de quinze ou vingt millions de personnes aurait pu être justifiée ?

    – Hobsbawm : Oui ».

    Hobsbawm n’était certainement pas un grand historien. Mais le dossier de la vie, de la mort et de la canonisation du stalinien Hobsbawm sera, pour les historiens de l’avenir, un document du plus haut intérêt. Peu de pages illustrent aussi bien le dérèglement mental et moral de la gauche intellectuelle européenne, sa bonne conscience que rien ne saurait entamer, sa prodigieuse impudence. « Tu t’es fait un front de prostituée, tu n’as pas voulu rougir ».

    Il manquait au tableau une dernière touche, que The Observer, le supplément dominical du Guardian, a finalement ajoutée pour Noël, sous la plume du journaliste Neal Ascherson, ancien étudiant de Hobsbawm, au début des années 1950, au très sélect King’s College de Cambridge – où Hobsbawm, comme on sait, aurait voulu faire toute sa carrière. Ascherson avait auparavant accompli son service militaire, dans les Royal Marines, et s’était battu en Malaisie contre la guérilla communiste – lancée par le Parti communiste malais, essentiellement composé de Chinois, pour introduire en Malaisie, par le sabotage, l’intimidation et l’assassinat, un régime aussi riant que celui du président Mao. Lors d’un dîner officiel au Collège, il mit sa médaille de campagne. Hobsbawm l’examine et lui demande : « Qu’est-ce que c’est que cette médaille que vous portez ?

    – C’est ma médaille de campagne. Pour service actif dans l’urgence malaise [the Malayan emergency, nom officiel de la guérilla] ».

    Réplique cinglante de Hobsbawm : « La Malaisie ? Vous devriez avoir honte de porter ça ».

    Ascherson en est visiblement resté traumatisé. « Je ne pense pas avoir rien répondu. Je me souviens avoir remarqué les étudiants autour de nous, les yeux écarquillés de stupeur. J’ai alors quitté la salle, en dégringolant dans l’escalier obscur, pour déboucher dans la vaste cour où il commençait à pleuvoir. Pendant quelque temps, j’ai fait le tour de la cour dans l’obscurité en pleurant. Après un certain temps, j’ai cherché à tâtons ma médaille, je l’ai détachée et mise dans la poche de ma veste. Je ne l’ai plus jamais portée ».

    Comme on aurait voulu qu’Ascherson ou l’un des étudiants qui assistaient à la scène osât dire à Hobsbawm que, non seulement, en tant que stalinien, il était mal placé pour donner des leçons de morale, mais que, Juif ayant fui l’Allemagne en 1933 puis ayant passé toute la Seconde Guerre mondiale, de son propre aveu, planqué à l’arrière sans jamais voir le feu, il devait au moins être reconnaissant à l’armée britannique ! Personne n’osa.

    Pis, Ascherson a subi une telle rééducation que, soixante ans après, à quatre-vingt piges, le malheureux en est encore à ramper dans la boue pour demander pardon aux lecteurs du Guardian. « J’avais déjà honte de porter cette médaille, et c’est pourquoi je la portais. J’avais besoin de quelqu’un pour me dire que j’avais honte, afin que je puisse affronter mon propre passé et essayer sérieusement de réconcilier ses contradictions. Eric Hobsbawm m’a appris beaucoup de bonnes choses, mais celle-là est la plus importante de toutes ».

    E morto anco minaccia, comme dit le Tasse du Sarrasin Argant. « Mort, il menace encore ». Hobsbawm a rejoint Staline, mais ses sectateurs et ses dévots demeurent, toujours aussi puissants à l’université et dans les médias. Toute dégoulinante du sang des charniers, hideuse de la lèpre morale de son négationnisme, aveugle à force de se boucher les yeux, sourde à force de se masturber, la gauche intellectuelle continue à porter beau, parler haut et faire la leçon : « Vous devriez avoir honte ». Il est des gens à qui elle fait encore peur.

    Flavien Blanchon pour Novopress

  • Huit siècles en vingt jours... pschitt !

    Le 27 décembre 1788 (il y avait 224 ans hier), le ministre Necker publie les articles qui régleront la tenue des Etats-Généraux du royaume, convoqués à Versailles pour le mois de mai suivant. Le mécanisme de la bombe à retardement est enclenché. Tic-tac !

    Vingt jours ! Le diamant de la monarchie absolue est carbonisé par le mécontentement populaire en trois semaines.
    Au delà de la relation minutieuse des faits qui signalent tous la marche du régime au Néant, les historiens s'accordent à dire que le roi Louis XVI, quelle que fut son éducation de qualité supérieure à celle des princes de son temps, n'a pas le tempérament qu'exige la situation du royaume. Qui "nomma" roi Louis Auguste de France ? Les lois fondamentales du royaume. C'est dire peu qu'elles se sont trompées. Certes leurs défenseurs soutiennent à raison que la loi de dévolution automatique est bourrée d'avantages et que la dépression momentanée de la chaîne dynastique causée par un moindre maillon n'altère en rien la suprématie du schéma à long terme. C'est vrai : la France parvenue à la suprématie continentale s'est faite sur cette courbe dynastique de huit siècles. Mais la rupture a bien lieu, ruinant l'ouvrage des quarante rois. Comment ? Relire les livres d'histoires, les biographies et hagiographies du roi Louis XVI. Le pourquoi est plus intéressant aujourd'hui que le comment. On peut accessoirement passer voir Jonas au Lys Noir qui, dans sa promotion des Bourbon-Busset, amalgame des choses très intéressantes sur la Révolution française à partir du feuillet n°10.

    On connait en chimie les proportions explosives d'élements inertes pris isolément. Le "flash" s'opère dans l'éprouvette politique d'abord. Mais nous, royalistes, accusons la subversion philosophique de la société et la récession économique due aux intempéries. On oublie l'égocentrisme des élites qui servaient le roi "quand l'occasion se présentait" et eux-mêmes d'abord. C'est commode, mais ce n'est que l'environnement difficile du temps ; et des rois de la chaîne en eurent de bien pires à gérer. Que l'on songe aux bouleversements générés par les croisades lointaines, à la peste noire, aux attaques du Saint-Empire, aux guerres franco-anglaises sur notre sol, aux guerres civiles dites de religion, à la Fronde...

    Aux fermentations sociales parfaitement connues, aux difficiles conditions d'existence du moment, le gouvernement et la Cour opposent le jeu d'un pouvoir stérile calfeutré chez soi et ne décident rien d'utile plus que d'en parler et s'en plaindre. Dans sa correspondance avec le comte de La Marck, Mirabeau, devenu un court moment conseiller privé du roi par son apostasie, se désole de gens amorphes, velléitaires et capricieux, à la fin, parfaits intrus dans la séquence historique (sources 1 et 2). De gouvernement du pays il n'y a point. On pare au plus pressé, on bascule l'idée du jour sur celle de la veille sachant qu'elle ne durera pas plus.

    L'affaire était quasiment jouée quand le roi-géographe en ses conseils où il baille, décida de chasser l'ennui dans sa guerre d'Amérique (1778-1783) pour laver l'affront anglais fait à son aïeul au traité de Paris (1763). Les intentions sont généreuses et stupides, en dehors même de la libre pratique donnée en France aux idées des agitateurs américains. Stupide deux fois :
    (1) la guerre vide les caisses du Trésor royal - on notera que les Insurgeants apprenant l'engagement français s'empressent de réduire leurs impôts militaires à proportion - et cette pénurie budgétaire met le royaume à la merci des effets destructurants des phases climatiques insupportables pour le peuple ;
    (2) la guerre ouverte déclarée à la première thalassocratie du monde, qui à l'évidence va se venger, ne vise pas la pieuvre à la tête, mais lui coupe seulement un bras, c'est tout ! Son sang de pieuvre c'est l'argent qu'elle sait mobiliser contre tous ses contempteurs. La France n'échappera pas au bec intact.

    Aucune analyse de cette opération exotique ne peut contredire ces deux stupidités. Il est difficile de croire qu'un roi aussi intelligent n'ait pas anticipé ces deux effets et qu'il se soit abandonné aux encouragements de tous ceux qui poussaient les feux de leurs propres projets. A trancher l'alternative, il ne s'est jamais trompé en prenant comme toujours ensuite, de deux décisions présentées, la mauvaise.

    Le royaume est par ailleurs confronté à une exigence de réforme structurelle profonde depuis que le pouvoir a décidé sous Louis XIV la normalisation du modèle, sans y parvenir. Les premières études sont poussées par Vauban (1633-1707), puis seront continuées par presque tous les ministres jusqu'au physiocrate Turgot. Aucune de réelle importance ne percera, à l'exception notable du renvoi des parlements par Maupéou, garde des Sceaux de Louis XV, mais d'abord fils d'un premier président du Parlement de Paris, qui connaissait l'infestation de ce second pouvoir !

    Pour sa partie achevée, la centralisation est fatale en ce qu'elle fait converger les mécontentements vers la clef de voûte du régime. Si avant Louis XIV le roi n'est que l'Etat, la "fonction publique" maintenant les chemins, creusant les canaux, faisant haute justice et la guerre plus qu'à son tour, après lui il devient en tout l'arbitre du dernier ressort. Qui dit arbitre dit plaideur perdant. S'il ne s'agit que de la Cour, on joue, si l'on y a goût, de l'influence des coteries bruissantes et désoeuvrées - ce que déteste faire Louis XVI - mais quand il s'agit des affaires publiques hors les murs, il faut assurer, et avec Louis XVI la fonction arbitrale devient translucide hélas. Il "décompresse" à la chasse quasi-quotidiennement comme un khan mongol et n'est manifestement pas intéressé par la politique politicienne qu'il laisse au vent qui vente du Cabinet. Son frère Artois ne fera pas mieux qui, devenu Charles X, remettra formellement sa tranquillité entre les mains de ses ministres.
    La grande affaire du temps est la convocation des Etats Généraux qui devrait tout régler une bonne fois. Mais Louis XVI a-t-il lu suffisamment de cahiers de doléances pour s'imprégner de l'état d'esprit du royaume¹, qui devient de plus en plus hostile aux dérives vécues localement du vieux régime féodal ? De toute la construction pyramidale ayant atteint le XVIII° siècle, il n'y a que lui à être encore aimé ; le reste est détesté par le populaire quand ce n'est pas moqué.
    Faut-il être aveugle pour ne pas voir la pulvérulence de la noblesse parisienne qui agiote et trafique sur les faveurs, en compétition avec le haut clergé pas moins pourri, les deux piliers termitiques du royaume ! Pour un ouvrage resté fameux sur la Révolution, l'abbé Liévin-Bonaventure Proyart titre Louis XVI détrôné avant d'être roi (1800) ! Ce livre est en ligne.

    A quoi sert-il dès lors de s'arc-bouter sur les rites d'une procédure civique comme le vote par Ordre ? Quand tout s'enfuit, on se braque sur la vieille coutume en innovant de bonne et mauvaise foi, pour retourner aux fondamentaux dont le peuple est le corps majeur quand le Ciel est muet. Mais il faut du populisme efficace, gouverner l'affaire, passer sur le ventre des importuns, activer les sicaires et ne pas sommeiller dans le fauteuil au su de tous ; des centaines de paires d'yeux peuvent se pousser du coude et murmurer aux Etats : "le roi dort".

    Dernière cause discrète, plus délicate à affirmer, est la sacralité de la fonction, non en elle-même mais par la lecture qu'en fait le titulaire. Sacré à Reims, le roi se sentirait-il intouchable ? Alis aquilæ. Ce qui lui laisserait croire que sa politique impolitique serait absoute un jour par son mentor, et qu'une embellie lui serait offerte par le Ciel. Son éducation très pieuse ne laissera d'étonner de fins politiques qui pressentiront un blocage éthique lors de futures circonstances graves. C'était bien vu, sauf la pitoyable irrésolution qui se cachait derrière : le dernier qui parle a raison à condition que lui-même, têtu, en prenne le contre-pied ! Mais le royaume avait-il eu le choix ? La Loi avait dit Louis-Auguste !

    Vingt jours ! Comptez sur vos doigts du 14 juillet au 4 août 1789 ! Aux désordres sociaux, aux fermentations progressistes d'une aristocratie corrompue, à la ghettoïsation d'une Cour dépeuplée éloignée à Versailles, s'ajoutent le pourrissement du régime politique lui-même et le désordre de l'Etat² dans son ultima ratio, les armées. Si l'on n'engage pas les régiments c'est moins par pusillanimité qu'au motif du défaut de sûreté des compagnies.
    L'Etat pré-normalisé initié par Louis XIV ne peut fonctionner correctement sans l'égalité de tous devant la justice, l'accès aux emplois sur compétences, l'égalité fiscale proportionnée aux capacités contributives de chacun. Or, abus, privilèges et contradictions fourmillent, les institutions féodales demeurent, mais vidées de sens par les lois césariennes, tout est disparate, rien ne coïncide.
    La réforme de l'Etat, poursuivie dans sa forme moderne par Calonne et qui s'achèvera brutalement sous l'Empire, ne peut être laissée au milieu du gué, pataugeant dans tous les inconvénients d'une transition qui n'en finit pas d'agonir, avec de chaque côté du chemin des profiteurs à l'affût, attisant les déboires et disposant de gros moyens de subversion, comme le duc d'Orléans plus tard Egalité, l'arbre qui dans l'histoire cacha la forêt des ambitieux. Ce ne pouvait être pire.

    Ainsi se retrouve-t-on à l'été 89 avec un régime féodal décrépit poussé à sa caricature, quasiment irréparable tant le système est vermoulu. Y pose-t-on la main que tout vient en poussière ! A l'issue des vingt jours, c'est la Nuit du Quatre Août qui enterre 1290 ans de monarchie de droit divin née avec le "sacre" de Clovis, pas encore formellement certes - il faudra deux mois au roi pour comprendre et accepter les décrets - mais qui ruine toute la charpente féodale, le principe chevaleresque "foi et hommage" de longtemps oublié, les vassaux sont devenus des clients, et dans le même ouragan, la Transcendance indispensable au Projet français. Tabula rasa !
    La Noblesse, convaincue de son anachronisme et finalement moins intéressée à la rénovation de l'Ancien régime qu'aux essais prometteurs d'un régime nouveau à l'anglaise, le Haut Clergé riche et honteux pas moins "moderne", ni l'une ni l'autre ne résisteront longtemps au vent de l'histoire qui souffle des loges, pire même, dans une course éperdue au brevet d'égalité, ils surenchériront dans la déconstruction du royaume. Il y eut véritablement implosion. La vérité est qu'en 1789, il n'y avait plus de royalistes à Paris. Quelle conséquence en tirer de nos jours pour nos lendemains qui tardent à chanter ?

    La question posée autrement : que conserver de l'Ancien régime dans la restauration qui vient : les pouvoirs régaliens absolus³ ? Les Lois qui produisirent trois frères, fossoyeurs malgré eux de la monarchie capétienne ? L'alliance du Trône et de l'Autel... (no comment) ? Les provinces, circonscriptions charnelles de terroirs homogènes dotés de leur vie propre, peut-être ? Le foisonnement des libertés par une large décentralisation des pouvoirs non strictement régaliens, assurément ? Chacun peut continuer cette liste juste amorcée ici et continuer cet article pour lui-même.

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    Notes
    (1): celui du baillage du Vigan est explicite, et même si l'on peut douter d'une rédaction domestique, il n'en a pas moins été signé 258 fois à Sumène le 14 novembre 1788 (la pétition de 1788 à Sumène).
    (2): on lira avec profit sur la Gallica le mémoire de Turgot au roi, décrivant le foutoir administratif de son royaume : Des Administrations provinciales. On comprend qu'il n'ait pas eu longtemps la cote.
    (3): absolus = indépendants de la bascule des majorités et des lobbies, selon la définition du CNRTL : dont l'existence ou la réalisation ou la valeur est indépendante de toute condition de temps, d'espace, de connaissance.