culture et histoire - Page 1976
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La face cachee des liberateurs
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Génération Lobotomie
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Marche forcée vers l’éducation numérique
Pour l’ancien PDG de Microsoft France Éric Boustouller, l’avenir de l’école se situe dans la numérisation de l’apprentissage [1]. L’idée étant d’avoir les mêmes processus partout dans le monde dans toutes les écoles. Bien entendu, Microsoft réfléchit là-dessus mais seulement de manière philanthropique. Informatique et humanitaire sont pratiquement synonymes, cela va de soi.
« C’est l’enseignant qui est la star », nous lançait cet honnête homme en 2007. Microsoft sera le facilitateur. La société américaine va en effet faciliter l’ouverture du tiroir-caisse.
Plus récemment, parallèlement à ces déclarations inquiétantes pour l’avenir de nos enfants, le frère Peillon, ministre de l’Inéducation nationale, vient de proposer son plan pour « faire entrer l’école dans l’ère du numérique » [2].
Il n’hésite d’ailleurs pas à reprendre la terminologie kantienne d’impératif en y ajoutant l’épithète pédagogique. Comme s’il était indispensable d’apprendre à lire et à compter à l’aide d’un ordinateur. Les vieux réacs que nous sommes ont bien fait l’apprentissage de ces disciplines avec nos gommes et nos stylos.
Première priorité : l’achat du matériel informatique. Non, non, on vous le dit, Microsoft ne va pas s’enrichir. Ensuite, il faudra former les profs. En dépit de toutes les formations imaginables, on voit mal comment ils pourraient concurrencer les nabots qui sont nés avec un ordinateur dans les mains.
Tout ce cirque a pour vocation de mieux transmettre le savoir. Encore une fois, en se pliant aux exigences des élèves, faisant par là même le jeu du marché [3], les autorités publiques s’inscrivent dans la continuité de Mai 68, qui a placé au même niveau l’élève et le professeur, supprimant ainsi toute idée d’autorité. L’élève devient alors un consommateur et le professeur un gentil organisateur, censé apporter un aspect ludique aux enseignements.
Par ailleurs, le numérique risque aussi de permettre à l’État d’exercer un contrôle approfondi sur le contenu des enseignements, laissant alors peu de marge de manœuvre à l’enseignant qui souhaite un peu s’écarter du matraquage idéologique distillé dès le primaire dans les écoles de la République.
Antoine S. http://www.egaliteetreconciliation.fr
Notes
[1] http://www.jer.me/Le-Patron-de-Microsoft-France-parle-de-l-ecole-de-demain_a402.html
[2] http://www.egaliteetreconciliation.fr/Mieux-apprendre-avec-le-numerique-15432.html
[3] Pour plus de précisions, lire L’Enseignement de l’ignorance de Jean-Claude Michéa.
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Les causes géopolitiques de la chute de l’empire romain
Pourquoi l’empire romain au sens fort s’est-il effondré au cours du Vème siècle de notre ère, même s’il a survécu sous une forme abâtardie autour de Constantinople ? Son échec est-il contextuel, Rome rencontrant une résistance qui au fur et à mesure du temps s’est étoffée jusqu’à pouvoir déferler sur l’empire même ? Ou bien son effondrement était-il inscrit dans ses gênes ?
A l’heure où on parle encore de la Méditerranée comme d’un espace de prospérité en devenir entre l’Europe et l’Afrique du nord, le président français Hollande rentrant à peine d’Algérie, nous y reviendrons, il est intéressant de s’interroger sur cet empire méditerranéen par excellence qu’a été Rome.
A l’origine, Rome avait vocation à unir autour d’elle les différentes cités et tribus de l’Italie, ce pays d’élevage de bœufs (« Vitalia »), toutes apparentées. Romulus et Numa surent unir Latins et Sabins et petit à peu les peuples italiques rejoignirent l’ensemble, non sans combattre. Picéniens, Mamertins, Ombriens, Sabelliens et Samnites deviendront des Romains. Etrusques et Gaulois de Cisalpine, Grecs des colonies, tribus siciliennes, tous rejoindront cette Italie unifiée bien avant Garibaldi.
Rome fut alors confrontée à deux ennemis qui menaçaient l’intégrité de la péninsule. Ce n’était pas tant les turbulents Gaulois, qui avaient pourtant pillé Rome une première fois, qui inquiétaient les Romains, que la Macédoine et Carthage. Au cours du IIème siècle avant J.C, la Macédoine fut conquise et la Grèce, libérée en apparence, unie à Rome. Les Scipions finiront de leur côté par vaincre la puissante cité phénicienne qu’était Carthage, au bout de trois conflits sanglants. Enfin, les royaumes hellénistiques s’effondreront comme un château de cartes sans combattre. Rome est ainsi à la tête de la Méditerranée orientale, alors même que son cœur est en Europe.
Par la suite, la république puis l’empire élargiront ses frontières, tant en Occident qu’en Orient. César ajoute à Rome la Gaule et la frontière germanique mais aussi l’Egypte. Auguste finalise la conquête de l’Espagne et s’empare de la Thrace. Claude conquiert la Bretagne. Trajan s’empare de la Dacie. L’empire a atteint sa taille maximale, mais est devenu très composite. C’est l’Oronte déferlant sur le Tibre que dénonce Juvénal. Rome n’est plus dans Rome, mais le monde entier est à Rome.
Or cet empire comprend des populations qui n’ont fondamentalement rien en commun et que le hasard historique a intégré à une même structure. La romanisation échoue en Orient là où l’hellénisation semble en revanche avoir percé. La démonstration en est le plus romain des Dieux, Mars lui-même, dont le culte va se répandre dans toute l’Europe mais sera totalement absent en Orient. En Afrique, certes, on l’honore mais parce que ce sont des colons italiens, vétérans des légions, et installés dans cette province, qui pensent à leur dieu tutélaire.
Non seulement les populations africaines et asiatiques de l’empire n’ont aucune affection pour ce conquérant au caractère si européen, même si elles s’installent à Rome même, faisant de la cité d’Auguste une métropole de plus d’un million d’habitants, mais elles réagissent à cette tutelle en affichant leur religiosité orientale puis en s’emparant du christianisme comme d’une arme contre l’Occident romain et européen. Ce n’est pas un hasard si au IIIème siècle de notre ère, quasiment absent en Europe, le christianisme devient un phénomène incontournable à Carthage, à Alexandrie et à Antioche, chez les anciens ennemis du peuple romain. Dans ces cités cosmopolites où une langue grecque dégénérée, un « graecula », domine, les dieux de Rome sont absents.
En outre, les Romains ont bien trop de frontières. Pour avoir échoué à conquérir la Germanie, alors que Germanicus y était presque parvenu mais avait été rappelé à Rome par décision de Tibère, celle-ci était demeurée une zone frontière périlleuse. Les Germains, qui pourtant n’aspiraient qu’à être romains lorsque l’occasion leur était donnée, restèrent en dehors. Leur société guerrière se renforça alors même que la barbarie venue des steppes de la profonde Asie menaçait de s’abattre sur la petite Europe. Les Calédoniens, eux-aussi restés indépendants, malgré l’action de Septime Sévère pour les mâter, représentaient une autre frontière non maîtrisée, et ce malgré la construction de murs de protection. L’exemple chinois et la ligne Maginot démontrent qu’on n’a jamais empêché une invasion en bâtissant une frontière de pierre.
En Afrique, les tribus berbères indépendantes continuaient de menacer aux frontières, alors que le vigoureux empire perse, qui a pris la place des Parthes au début du IIIème siècle, espère reprendre les territoires perdus depuis l’époque de Darius. Pour conserver la Syrie et l’Egypte, pour maintenir la paix aux frontières face aux tribus germaniques et celtes, l’empire romain devait se démultiplier, or il n’en avait pas les moyens.
Du temps de la grandeur, les légions romaines tenaient bons, mais formées de professionnels et non plus de conscrits, elles faisaient et défaisaient les empereurs. Mais si par malheur des attaques simultanées avaient lieu à ses frontières, Rome n’aurait pas les moyens de les enrayer. C’est ce qui finit par arriver au Vème siècle de notre ère. Usée par ses guerres à répétition contre les Perses, Rome fut incapable d’empêcher les Germains de déferler sur sa partie occidentale, poussés par la furie hunnique.
Avec le recul, on comprend que Rome ne pouvait pas géopolitiquement tenir quatre frontières en même temps. Par ailleurs, malgré des richesses indiscutables, la première richesse est l’homme. Celtes et Germains, Daces et Illyriens, mais aussi les Slaves, auraient fait d’excellents romains, et ceux qui étaient déjà dans l’empire l’avaient prouvé. Leurs dieux étaient sous d’autres noms ceux de Rome. Indo-européens comme eux, proches de ce que les Romains avaient été à l’origine, ce que ne manqua pas de signaler un Tacite, ils auraient renforcé l’empire au lieu de contribuer bien malgré eux à sa destruction.
En renonçant à conquérir la Germanie, au profit du puits financier sans fonds qu’était l’orient, Rome commit une erreur géopolitique fatale. Alors qu’Auguste avait défendu l’Europe contre l’Asie, c’était l’Asie qui au final dominait. Constantin abandonna Rome au profit de Byzance, qui restait malgré tout une ville européenne, mais surtout choisit d’adopter le christianisme, vengeance morale de l’Orient afrasien contre l’Occident aryaque qui l’avait dominé. Dernière née des religions orientales, favorisée par les élucubrations de quelques philosophes séduits par la pensée asiatique, préparée moralement par ceux qui sapèrent la religion traditionnelle (Socrate en tête), la religion chrétienne triompha par la trahison de l’empereur. Constantin trouva dans le christianisme les charmes qu’Antoine avait trouvés chez Cléopâtre. Et ainsi trahit-il Rome, comme l’a si bien dit l’historien André Piganiol.
Après quelques siècles, toutefois, le christianisme parvint à s’adapter à un environnement demeuré fondamentalement païen et à se colorer ainsi de formes de religiosité spécifiquement européennes, par le biais notamment de la réintroduction du principe du héros sous sa forme médiévale, par le culte des saints, par la construction de lieux de culte sur les anciens sanctuaires. »
Rome devait unifier l’Europe, tel était son destin, et voir dans la Mare Nostrum un espace frontière. C’est avec les conquêtes islamiques que la Méditerranée redevint ce qu’elle était au départ, une césure entre deux mondes. Le drame du colonialisme, français notamment, a été de faire la même erreur que les Romains deux millénaires auparavant. Enseigner « nos ancêtres les Gaulois » en Afrique ne pouvait pas davantage réussir que d’enseigner « nos ancêtres les Romains » aux Egyptiens d’Alexandrie.
Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE) http://www.reseau-identites.org
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La démocratie totalitaire.
Etes-vous réellement démocrate ?
Non pas simplement démocrate, mais très profondément démocrate, au point d’être illuminé par la révélation, comme Moïse sur le Mont Sinaï lorsque Dieu lui dit : « Tu seras démocrate et tu enseignerasles nations ».
Nous devons prendre conscience en effet que nous vivons des temps extraordinaires où culmine une lueur fondamentale : le voile nocturne dont l’humanité souffrait depuis des siècles s’est brusquement déchiré, tel le voile du Temple, pour que les rayons de la Vérité puissent caresser à nouveau nos esprits endormis.
Pourtant, la sagesse populaire semble bien éclairée quand elle affirme : « qui trop embrasse, mal étreint », car le trop-plein de conviction démocratique fait douter, à terme, de la sincérité des chantres, dont le but n’est pas nécessairement la qualité du principe, mais très probablement l’efficacité idéologique, la manipulation des valeurs permettant d’occulter la réalité d’un régime et de tromper in fine l’électeur.
De réalité vécue, le principe démocratique s’est progressivement transformé en un épouvantail dérisoire pour protéger le pré carré du Système contre les contradicteurs dont la pertinence des critiques et la justesse des vues ne cessent d’inquiéter.
Il y aurait ainsi les bons et les mauvais ; le bien total et le mal absolu, ainsi que des échelons intermédiaires étant mesurés à l’aune d’un bonus malus politicien déterminant le degré de religiosité démocratique des différents protagonistes.
Ainsi, dans un Etat phagocyté par des clans, se développe l’idée saugrenue selon laquelle des partis - en place depuis trop longtemps - représenteraient seuls et jalousement l’Idéal tant convoité, alors que d’autres le mettraient en péril, ces autres qui ne doivent surtout pas accéder au pouvoir, car l’observatoire qui veille au bon fonctionnement de cet état de choses, et qui n’est pas nécessairement composé d’élus du peuple, en a décidé ainsi. Mais la réalité démocratique est toute autre. La démocratie est un système où le peuple exerce une souveraineté qui s’établit entre autres par le passage aux urnes.
Une démocratieforte et fondée par la conviction, la diversité et la volonté d’un peuple, et la santé de ce type de régime, se mesure à l’ouverture du débat et à la liberté de contradiction.
L’absence de volonté populaire, l’indifférence et la cécité souhaitées de l’électeur, induisent a contrario l’inévitable dérive vers la partitocratie, les querelles de palais et son corollaire dramatique, la corruption.
Pensée Unique, langage stéréotypé, conformisme dans l’attitude concourent à faire glisser dangereusement notre système dans la réalité d’un totalitarisme mou gardant une forme rassurante et acceptable : l’emballagedémocratique.
Le Peuple ne doit pas se faire d’illusions : son absence et son silence continueront à consolider cette dérive, et la volonté populaire exprimée aux élections sera manipulée à nouveau -comme elle l’a déjà été lors des scrutins passés- si les voix se dirigent encore et toujours vers les partis adoubés par le régime.
Dans cet esprit, l’émergence de partis neufs, neutres, blancs ou « indignés » pouvait sembler encourageante car elle affaiblissait inévitablement cet édifice, mais le vide de l’imagination politique en l’alignement sur les grands principes éculés de la vitrine politique, les a conduit au néant.
Si vide il y a, il sera vite comblé, soit par le pouvoir ce qui est mauvais, soit par de nouvelles forces ce qui est bon ; car on ne peut fonder une politique sur l’unique thème des dysfonctionnements, des disparitions ou viols d’enfants, des conséquences du mondialisme ou des crises financières et économiques, aussi dramatiques fussent-ils.
Les voies sont tracées, le peuple doit en prendre conscience car il devra choisir demain démocratiquement ceux qu’il chargera d’assumer son destin.
Pour nous nationalistes, nos choix sont faits et nous serons à l’écoute de toutes celles et de tous ceux qui s’inquiètent et s’interrogent.
Pieter KERSTENS. http://www.la-plume-et-le-glaive.fr/
Source: club-acacia.
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« 1812 : La paix et la guerre » de Jean-Joël Brégeon
L’année 2012 n’est pas encore tout à fait achevée. Il est donc encore temps d’évoquer le bicentenaire de 1812 : une année clé dans l’histoire de l’Europe. Voici comment la résume l’historien Jean-Joël Brégeon dans 1812, la paix et la guerre : « L’année 1812 s’inscrit au nombre de ces moments décisifs qui changent le cours de l’histoire. Commencée dans la paix, elle va se terminer dans la guerre. Pour l’Empire français, ce fut le commencement de la fin. En janvier au sommet de sa puissance, Napoléon régente le continent. En mai à Dresde, presque toute l’Europe lui fait la cour. En décembre tout est joué : il vient de perdre la plus grande armée jamais réunie et doit regagner Paris pour faire face à un nouvel assaut. » JYLG
1812/2012 : les leçons de l’histoire
L’ouvrage est brillant ; il comporte douze chapitres, centrés sur le conflit entre l’Empereur des Français et le tsar avec les… Prussiens en embuscade. Le livre présente aussi douze « gros plans » sur des géants contemporains comme Kleist, Beethoven, Goethe, Clausewitz et Jomini, le tout illustré de treize œuvres d’art commentées : une manière de rappeler que Géricault, Turner, Canova et Goya sont… contemporains les uns des autres.
1812, la paix et la guerre : une lecture agréable, une narration parfaite, mais aussi une occasion de méditer sur l’histoire :
- – l’histoire d’un héros – l’Empereur – « l’âme du monde » (Hegel) à qui Ney déclare : « Sire, vous n’avez plus d’armée » ;
- – l’histoire des peuples qui se réveillent : Tyroliens, Espagnols, Prussiens, Polonais, Russes. Sur les ruines à venir de la « Grande Nation » c’est l’éveil du mouvement des nationalités qui va traverser tout le XIXe siècle et au-delà ;
- – l’histoire des guerres : étrange année 1812 qui voit le succès de « la petite guerre à la russe », héritière des Guerres de Vendée et des révoltes espagnole et tyrolienne et anticipatrice des guérillas du XXe et XXIe siècle. Etrange année 1812 qui voit apparaître les grandes batailles destructrices : à la bataille de la Moskova (ou de Borodino) l’artillerie domine et sert la défense. Déjà « le feu tue » : ce que la Guerre de sécession montrera, ce que les généraux de 1914 oublieront. Et pourtant la tuerie industrielle est née dès 1812.
L’année 2012 aura-t-elle la même importance que 1812 ? On peut en douter. Mais c’est incontestablement une étape de plus dans la fragmentation du monde : fragmentation des Etats-nations, certes artificiels en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient (Syrie) et en Europe (Catalogne, Ecosse, Flandre), voire aux Etats-Unis où la tentation confédérale du Vieux Sud reprend de la vigueur.
Plus grave encore, comme le rappelle Michel Geoffroy (*), dans les post-démocraties ce sont les allogènes qui emportent les décisions : Obama n’est pas l’élu des Américains qui ont fait l’Amérique ; Hollande n’est pas davantage l’élu des Français de souche. Ce sont désormais les minorités qui font la loi. Jusqu’à quand ?
Jean-Yves Le Gallou
Polémia
21/12/2012Jean-Joël Brégeon, 1812, la paix et la guerre, Librairie académique Perrin, mars 2012, 426 pages, 24,50 €
(*) Voir : Bilan 2012 : ethnicisation des clivages politiques et post-démocratie
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Comment l'Action Française imposa le cortège de Jeanne d'Arc
Le cortège traditionnel d'hommage à Jeanne d'are se déroulera le 13 mai 2012. Une tradition conquise et conservée de haute lutte par les camelots du roi.
L'année 1909 a été marquée par la béatification de Jeanne d'Arc, le 18 avril, à Saint-Pierre de Rome ; mais pas seulement. C'est aussi le 16 mai 1909 qu'à Paris se déroula « la première fête de Jeanne d'Arc », écrit Maurice Pujo, cofondateur avec Henri Vaugeois de l'Action française, dans son livre Les Camelots du roi (1).
À l'époque, rappelle Pujo, « Cette fête n'est encore que religieuse et la République maçonnique qui la voit d'un mauvais œil veut du moins la confiner dans les églises. Cependant un caractère populaire lui a été donné spontanément par les Parisiens qui ont pavoisé leurs fenêtres ; ces Parisiens catholiques et patriotes vont individuellement porter des fleurs aux statues de l'héroïne nationale et, dans l'après-midi, ils affluent autour de Notre-Dame où sera prononcé le panégyrique de la Bienheureuse. »
Or, le même jour, plus d'un millier de royalistes d'Action française se sont réunis pour le banquet annuel de la Saint-Philippe et, après les discours, la plupart des convives se disposent à se rendre à Notre-Dame. Les camelots du roi, fer de lance militant de la jeune Action française, prennent eux aussi la direction de la cathédrale derrière quatre drapeaux français et la bannière de Jeanne d'Arc portée par Lucien Lacour (qui giflera l'année suivante le président du Conseil, Aristide Briand).
« Tout à coup, poursuit Pujo, sans provocation, sans avertissement, sur le signe d'un monsieur dont le paletot s'est ouvert, une soixantaine d'agents en uniforme et en bourgeois se précipitent sur les drapeaux. Tout le monde se porte à leur défense. »
S'ensuit, entre camelots et sergots, une violente bagarre. Restés finalement maîtres du terrain, les royalistes reprennent leur marche vers Notre-Dame, « arborant toujours la bannière de Jeanne d'Arc et leurs drapeaux déchirés. » Mais, alors qu'elle arrive sur le parvis de la cathédrale, la colonne est de nouveau chargée par la police et une nouvelle bataille s'engage, au terme de laquelle, écrit encore Pujo, drapeaux et bannière restent aux mains des camelots du roi. Quarante et un de ces derniers, arrêtés au cours de la journée, rejoignent au quartier politique de la Santé les royalistes déjà incarcérés lors de l'affaire Thalamas (2), à la suite de laquelle Maurice Pujo lui-même avait été condamné à plusieurs mois d'emprisonnement.
Deux autres cortèges de Jeanne d'Arc sont organisés en 1910 et 1911, dans des conditions non moins mouvementées. La manifestation annuelle est finalement autorisée en 1912, et la fête de Jeanne d'Arc devient fête nationale et légale en 1921. Pour parvenir à ce résultat, les camelots du roi avaient cumulé quelque 10000 jours de prison.
En 1991 comme en 1909
Cependant, la lutte pour le maintien du cortège traditionnel devait reprendre quelques années après la Première Guerre mondiale: en 1925, Abraham Shrameck, ministre de l'Intérieur du Cartel des gauches, tente de nouveau de l'interdire, sans succès. En 1926, Jean Durand, successeur de Shrameck, met ses policiers sur le pied de guerre : cette fois, « ils » ne passeront pas ! De nouveau, des bagarres s'engagent, les royalistes forcent les barrages et une fois encore, la police renonce. Mais le bilan n'est pas léger : 150 camelots blessés, dont plusieurs grièvement, 118 agents également blessés, 221 manifestants arrêtés...
Nouvel épisode, quelque... soixante-cinq années plus tard! En 1990, Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur de François Mitterrand, prend prétexte de l'émotion suscitée dans l'opinion par la profanation de tombes juives à Carpentras pour interdire le cortège traditionnel d'hommage à sainte Jeanne d'Arc, sous prétexte de possibles troubles à l'ordre public. Cette année-là, les militants d'Action française se contentent de déployer une banderole sur l'une des tours de Notre-Dame de Paris, en signe de protestation.
Croyant la partie définitivement gagnée, le ministre réitère l'interdiction en 1991... et s'en trouve mal. Comme par le passé, camelots et étudiants d'AF se heurtent durement aux forces de police et chargent les barrages de CRS, en dépit desquels, place des Pyramides, une gerbe est jetée - plutôt que déposée - devant la statue de la sainte, tandis que pleuvent les coups de matraque, un royaliste, le comédien Jacques Fontan, parvient aussi à poser des fleurs aux pieds de Jeanne, au nez et à la barbe des argousins. Plus de cinquante militants royalistes sont interpellés au cours de cette chaude matinée ; les autres partent s'enfermer dans le Panthéon, Temple de la République, d'où les gardes-mobiles ne parviennent à les déloger qu'au bout de plusieurs heures : une centaine de camelot rejoignent ainsi au « violon » leurs camarades arrêtés dans la matinée. Mais pour le ministre, l'opération se solde par un échec : les médias commentent les événements dans un sens favorable aux jeunes royalistes. Et l'année suivante, le cortège est de nouveau autorisé.
La tradition se maintient, chaque année : en 2012, le cortège traditionnel partira de la place de l'Opéra, le 13 mai à 10 heures, pour aller fleurir la statue de la place des Pyramides. De quoi s'aérer l'esprit après cette triste présidentielle et parler enfin d'autre chose.
Hervé Bizien monde & vie 5 mai 2012
Maurice Pujo, Les Camelots du roi, Paris, Ernest Flammarion, 1933 ; réédité par Les Éditions du Manant, 1989.
Professeur au lycée Charlemagne. Thalamas avait tenu à ses élèves des propos sur Jeanne d'Arc qui lui avaient valu un blâme du ministre de l'instruction publique. En 1909, il fut autorisé à donner un cours en Sorbonne, sans posséder les titres universitaires suffisants. Après onze semaines de protestations, de perturbations et de bagarres, les camelots du roi le fessèrent sur la chaire indûment occupée. -
Carnet de route de Christian Vanneste
« Vendredi 7, au soir, je donnais une conférence au Grand Hotel de Tours, à l’invitation du Cercle Jean Royer. Le thème central en était la liberté d’expression. J’avais d’ailleurs été précédé par Robert Ménard. La rencontre du nom de Jean Royer et du thème me motivaient fortement.
J’ai toujours ressenti beaucoup d’admiration pour cet homme, solide, indépendant, courageux et volontaire. Gaulliste par les idées et non par les calculs, il avait été délégué du RPF en Indre-et-loire, et Ministre de Georges Pompidou, sous les gouvernements Mesmer. Il n’avait pas, après le RPF, appartenu aux partis qui se réclamaient du gaullisme mais avait soutenu en 1999 et en 2002 Philippe de Villiers et Jean-Pierre Chevènement : un gaulliste de conviction, défenseur d’une Nation souveraine, plutôt qu’un utilisateur cynique de la Croix de Lorraine, prêt à faire le contraire de ce que ce symbole exige à l’évidence. J’avais eu l’occasion de travailler à ses côtés durant mon premier mandat parlementaire. Il présidait un groupe consacré à la défense du commerce indépendant, lequel avait joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la loi Raffarin pour accroître les contraintes, notamment urbanistiques, liées à l’ouverture des grandes surfaces, dans la ligne de la loi Royer de 1973. Certaines biographies soulignent son profil conservateur, voire réactionnaire : un homme bien, en somme, et aujourd’hui, un visionnaire. Je me souviens de sa difficile campagne de 1974, alors qu’il défendait l’idée d’un redressement moral, dans le climat délétère d’après 1968, et qu’il dénonçait les dérives d’une pornographie envahissante. C’était l’époque où un certain nombre d’hommes politiques, et de têtes vides du show-bizz revendiquaient la prétendue libération à outrance, et, par exemple celle de la pédophilie. Stigmatisé comme partisan de l’Ordre Moral, ses réunions étaient violemment chahutées par les troupes de choc du désordre immoral. Il y a toujours des imbéciles, qui, de peur de rater une mode, vont trouver que c’est mieux. Il avait donc droit aux « femen » de ce temps. L’intolérance des prétendus tolérants est une malheureuse et pesante tradition française.
C’était le fil conducteur de mon intervention. Je rappelais en introduction la grande illusion des Français sur eux-mêmes. Ils se croient le pays fondateur des Droits de l’Homme, celui de la liberté de pensée, le pays voltairien par excellence. Les Droits de l’Homme sont essentiellement d’origine anglo-saxonne, et la déclaration de 1789 reprend les idées inscrites auparavant dans les constitutions des Etats Américains qui se sont libérés grâce à l’intervention de la Monarchie française. Elle a simplement le mérite de les systématiser et de leur donner un caractère universel. Trois remarques s’imposent toutefois. D’abord, en matière de liberté d’expression, le premier amendement à la Constitution Fédérale des Etats-Unis instaure une liberté d’expression absolue quand la française évoque les abus qui peuvent être réprimés, ouvrant la boîte de Pandore des restrictions. En second lieu, Burke, dans ses réflexions sur la Révolution a, dés le début de celle-ci, mis en garde contre ses dérapages. La violence, les massacres, la terreur ont, certes connu leur apogée en 1792-1794, mais étaient présents dès l’origine avec les meurtres de Juillet et d’Octobre 1789. Enfin, la fameuse formule de Saint-Just, selon laquelle, « il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté » annonce la dérive totalitaire de la Révolution qui servira de modèle aux marxistes, et qui consiste à penser et à accomplir le schéma suivant lequel la démocratie n’est pas l’alternance d’une diversité politique reconnue, mais la marche à gauche, le sinistrisme inéluctable, non par la victoire intellectuelle des idées, mais par l’élimination des adversaires.
Cette dérive typiquement française est toujours à l’oeuvre dans un pays marqué par la présence d’une droite de plus en plus décérébrée, et d’une gauche ancrée dans une idéologie marxisante dans la forme sinon dans le contenu. C’est ainsi que malgré l’apparente alternance se sont développées des législations restrictives de la liberté d’opinion. Avec le soutien d’une presse qui vote au moins à 80% à gauche, et qui trahit à l’évidence sa mission, une pensée unique a déterminé un politiquement correct, qui permet de disqualifier et d’exclure ceux qui ne s’y soumettent pas ou de les faire taire sous la pression du terrorisme intellectuel. On ne discute pas les idées, on « flingue » les hommes qui les portent. Les moyens employés sont ceux du totalitarisme : on oblige à parler une certaine langue pour contraindre à penser d’une certaine manière. Orwell et Klemperer ont analysé tous deux ce procédé. On passe de la langue novatrice qui est le privilège de l’humanité à une utilisation réflexe du langage suscitant réactions et amalgames. Le « crime-pensée » d’Orwell, c’est-à-dire l’hérésie de l’Inquisition ou le déviationnisme des tribunaux politiques,sont devenus aujourd’hui successivement le fascisme, englobant toute la vraie droite, puis le racisme ou xénophobie, stigmatisant le moindre patriote, et maintenant l’homophobie désignant à la vindicte publique celui qui ose défendre une idée conservatrice de la famille. Les tribunaux chargés de la répression ne sont pas exceptionnels, ce sont ceux de la République. Leurs armes sont les lois liberticides qui ont instauré une lecture unique de l’histoire sous peine de poursuites et une discrimination positive en faveur de de certaines « communautés », de leurs membres et des lobbys activistes qui prétendent défendre leurs intérêts : lois mémorielles donc et lois créant paradoxalement une inégalité entre les Français au nom de leur dignité qu’on croyait par définition égale entre tous les hommes et tous les citoyens. Certes, ces lois sont apparemment différentes : la loi Gayssot réprime la contestation d’une décision judiciaire quand la loi Taubira demande qu’on enseigne une vision pour le moins parcellaire et univoque de l’histoire avec le risque de se retrouver devant les tribunaux, si on la conteste. La protection du handicap, de l’appartenance religieuse ou de l’orientation sexuelle se présente comme une intention unique : elle ne l’est pas dans la mesure même où un état objectif, un comportement intime et une pensée qui, éventuellement condamne sévèrement ce dernier, ne peuvent être envisagés de la même manière. J’observe que ma Proposition de Loi sur la reconnaissance de l’Holodomor, le génocide par la faim que Staline a fait subir aux Ukrainiens n’a pas reçu le soutien de l’Assemblée, ni même celui du groupe UMP. C’est normal, les victimes de la gauche, comme les Vendéens, par exemple, sont réputés de droite et sont donc, de fait, dans le camp des coupables. La logique est totalement absente dans cette course folle en sens unique vers un mur, celui de la prison où l’on veut enfermer la réflexion, le bon sens, le goût de la vérité et ce pilier central de la dignité humaine qui est la liberté de penser et d’exprimer son opinion. Il est inutile de préciser que la presse locale n’a pas jugé bon de couvrir ma conférence et qu’une poignée d’opposants manifestait pour contester le droit à la parole du « facho », double preuve involontaire de la justesse de mes propos. »
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La grande aventure des sous-marins
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Comme l'Irak, la Syrie sera-t-elle « ramenée à l'âge de pierre » ? (arch 2010)
Si le marasme frappant le pays et surtout le tsunami des "affaires" lui en laissent le loisir, c'est en septembre que Nicolas Sarkozy devrait rendre à Bachar AI-Assad la visite officielle que celui-ci nous fit en juillet 2008, à l'occasion du sommet sur l'Union Pour la Méditerranée. Comment notre président sera-t-il reçu ? Fort courtoisement sans doute, même si les Syriens, quelque peu estomaqués par son style, le surnomment volontiers « le danseur», mimique burlesque à l'appui, et s'ébaudissent des 1 52 000 photos et de vidéos disponibles sur Internet et montrant notre Première Dame nue comme un ver. Au demeurant, c'est pour éviter toute fausse note que Bernard Kouchner avait été le premier ministre français des Affaires étrangères à se rendre le 23 mai dernier à Damas où - pur hasard, je vous l'assure -, je séjournais moi-même.
Si, à cette occasion, je n'ai pas croisé l'illustre French Doctor, et m'en console aisément, je regrette amèrement en revanche de n'avoir pas prolongé mon séjour jusqu'à début juin, en tout cas après l'arraisonnement meurtrier par les commandos marine israéliens du bateau amiral de la « flottille du salut » tentant de briser le blocus de Gaza. J'aurais bien aimé en effet suivre « en direct » les réactions des Jordaniens et surtout des Syriens.
MOSAÏQUE ETHNIQUE ET RELIGIEUSE
Peu avant la Révolution française, le jeune Français Constantin-François Chassebœuf parcourut pendant trois ans routes et pistes du Nil à l'Euphrate, de l'Egée à la mer Rouge, et publia à son retour, sous le nom de Volney, un passionnant « Voyage en Egypte et en Syrie » si documenté que, dans son introduction à l'édition de 1959 chez Mouton & Co, Jean Gaulmier écrit à juste titre qu' « il est encore presque impossible d'étudier, sous quelque aspect que ce soit, les régions visitées sans recourir à son témoignage », sur le climat, les ressources, les sites et surtout les innombrables minorités ethniques et religieuses chrétiens, druses , "Kourdes", Bédouins, Arméniens, Tcherkesses et autres Ottomans. À la différence de Volney, je n'ai passé que dix-sept jours en Syrie et en Jordanie et ce qu'on lira ne prétend nullement à l'exhaustivité ni même peut-être à la réalité vraie. Ce n'est qu'un kaléidoscope. D'images frappantes (des familles campagnardes pique-niquant au son d'un transistor criard sous les arcades de la célébrissime mosquée des Omeyyades, où les Occidentales doivent, comme dans les autres lieux de culte sunnites, revêtir un long manteau à capuchon) ou sublimes, celles du Krak des Chevaliers admirablement préservé, en passant par les « villes mortes » byzantines - mortes, déjà, de la désertification... Des sensations, des impressions retirées de ce que j'ai pu voir, de la Méditerranée aux frontières turque, irakienne et israéliennes au sud, et des conversations que j'ai pu avoir, facilitées par un puissant sésame : négligemment épinglé sur mon sac à dos, un badge à l'effigie de Saddam Hussein naguère offert par Farid Smahi. Un sésame qui m'a valu d'être interpellée dans les rues ou les mosquées, par des hommes et des femmes de toutes conditions, sur le thème immuable : « Saddam, very good man, Americans very bad ». Une entrée en matière comme une autre à des entretiens plus approfondis, et généralement très politiques.
LES PALESTINIENS, DES FRÈRES MAL AIMÉS
On ne s'en étonnera guère : dans leur immense majorité, Jordaniens et Syriens abhorrent l'Amérique - de Bush comme d'Obama -, et ils abominent l'Etat hébreu même si, sur les ondes de la radio de l'armée syrienne, le Grand Mufti Ahmed Bader Hassoun a rappelé le 19 janvier dernier que « l'islam exige de ses fidèles qu'ils protègent le judaïsme » et préconisé un rapprochement entre les adeptes des deux religions du Livre. Cette exécration induit-elle un total dévouement à la cause palestinienne ? Même si, au lendemain de la tuerie du 31 mai, le président Al-Assad a qualifié Israël, qui n'est « pas un partenaire pour la paix », d' « État pyromane », on peut en douter.
La chose est compréhensible dans le cas des Jordaniens de souche, désormais minoritaires sur leur propre territoire et qui n'ont pas , oublié les terribles combats de 1970 entre Bédouins autochtones et réfugiés palestiniens, batailles rangées qui aboutirent à la répression connue sous le nom de « Septembre noir ». Ayant naturalisé en masse les Cisjordaniens après 1948 et surtout 1967 à la suite de la guerre dite des Six-Jours, et accueilli leurs notables dans les gouvernements d'Amman, les sujets du roi Hussein s'estimèrent alors trahis et, depuis, une solide rancœur subsiste à l'égard de ces hôtes forcés.
D'autant que, accusent-ils, les plus beaux magasins, les plus luxueux hôtels du pays appartiennent à des Palestiniens, « en cheville avec les banques américaines », qui « tiennent tout ». D'ailleurs, Yacer Arafat, chef de l'OLP, n'avait-il pas profité de sa position pour accumuler frauduleusement « une immense fortune » dont il avait confié la gestion au Judéo-Marocain Gabriel Banon, par ailleurs beau-père du (très atlantiste) député français Pierre Lellouche, aujourd'hui secrétaire d'Etat aux Affaires européennes auprès de... Kouchner ?
« GAZA C'EST L'AFRIQUE »
Bien que n'ayant pas un tel contentieux avec les Palestiniens, les Syriens semblent partager ces préventions à leur égard. Du reste, rappellent-ils volontiers, « Gaza, c'est géographiquement en Afrique. » Autrement dit, c'est aussi exotique que ce Maghreb qu'ils méprisent, en particulier l'Algérie. « Nous, nous avons depuis des siècles une véritable littérature et nous sommes restés ethniquement des Arabes (ce qui reste à démontrer : les teints et les yeux clairs ne sont pas rares, héritages de la Galicie celte, de la présence alexandrine et de l'Empire ottoman où Albanais et Circassiens très leucodermes étaient nombreux) mais eux sont négrifiés par l'esclavage subsaharien et ils parlent un dialecte incompréhensible, un sabir pollué par le berbère et le français », m'a ainsi assené un universitaire aleppin, ajoutant : « Écoutez leur musique, le raï, c'est totalement métissé et çà ne ressemble à rien tandis que nous, si nous célébrons l'année Chopin, nous utilisons toujours les mélodies et les instruments traditionnels ».
En Jordanie, pour tenter d'apaiser les tensions entre "occupés" et "occupants" volontiers assimilés à des Levantins affairistes, le roi Abdullah II a épousé une Palestinienne, la blonde Rania. Mais celle-ci, en raison de ses études à l'université américaine du Caire et de son assiduité au Forum économique de Davos, n'est jamais parvenue à se débarrasser du sobriquet « l'Américaine » que lui a donné le petit peuple - qui avait surnommé « l'Anglaise » la princesse Mouna née Antoinette Avril Gardiner, deuxième épouse de Hussein et mère d'Abdullah. Preuve que de solides préventions anti-occidentales subsistent dans la patrie d'adoption du colonel Lawrence et de Glubb Pacha, créateur de la Légion Arabe... dont, au coucher du soleil, des vétérans en grand uniforme jouent de la cornemuse dans l'antique théâtre de Jerash, la toujours merveilleuse Gerasa perle de la Decapolis romaine du temps où Amman s'appelait Philadelphia -, dans l'espoir d'arrondir leur retraite.
Plus prudents, les dirigeants de Damas ont doté leurs Palestiniens de passeports "syro-palestiniens" afin, jurent-ils vertueusement, que ces réfugiés conservent leur « droit au retour » au cas, fort aléatoire, où Tel-Aviv se résignerait à la création d'un véritable État palestinien. Sans doute la télévision fait-elle grand cas des souffrances des Gazaouis et s'indigne-telle de cette abomination qu'est le « mur de la sécurité » ravageant et mutilant la Cisjordanie mais, dans le peuple, on sent que le cœur n'y est pas.
ALAOUITES, DONC CHIITES
En revanche, en Syrie comme en Jordanie,la fraternité semble totale, et spontanée, à l'égard de l'Irak, et c'est singulier dans le cas de la Syrie car les relations étaient si fraîches entre les deux factions Baath (parti fondé à Damas par le chrétien orthodoxe Michel Aflak) au pouvoir à Bagdad et à Damas que feu Hafed AIassad, ancien général d'aviation et ministre de la Défense parvenu au pouvoir en 1970, soutint Téhéran pendant l'interminable et meurtrier conflit Iran-Irak.
Si la quasi-totalité des Jordaniens sont sunnites, la Syrie musulmane, officiellement République laïque, est partagée entre sunnites, la majorité : 78 %, et trois sectes chiites très minoritaires, les druses, les ismaïliens et les alaouites 10 %, auxquels appartiennent une grande partie des cadres de l'armée et le clan des Al-assad encore que Bachar ait épousé une sunnite, Asma ( comme lui, toutefois, longiligne et d'apparence très aryenne avec ses cheveux blonds et son teint clair). Il est permis de penser que c'est cette appartenance, autant que la séculaire rivalité civilisationnelle entre Damas et Bagdad, qui incita Hafez à soutenir le pays des mollahs.
Mais comme rien n'est simple dans l'Orient compliqué, les chiites syriens se veulent "éclairés", au contraire de leurs coreligionnaires iraniens et irakiens. Contrairement à eux, ils n'ont ni clergé ni mosquées, boivent de l'alcool, sont généralement monogames et laissent leur épouse ou leurs filles s'habiller à l'européenne alors que les sunnites, influencés par l'islam wahhabite, se veulent ultra rigoristes, D'où la construction accélérée de mosquées dans les hameaux les plus perdus et la présence obsédante de femmes toutes de noir vêtues. Mais, comme rien n'est simple dans l'Orient compliqué (bis), prière de ne pas confondre cette vêture avec le niqab : si les Syriennes ont le visage et la tête voilés de noir, leur robe également noire est parfois si ajustée qu'elle ne cache rien de la silhouette, et souvent pailletée, de même que le voile. Certaines sont même ornées, dans le dos, de motifs en strass, fleurs ou papillons ! Quant aux dessous, mini slips et wonderbras pigeonnants made in China, ils occupent des étals entiers dans les souks où ces dames se disputent sans complexes ces affûtiaux affriolants.
Et rien de plus stupéfiant que de voir ces créatures voilées soulever leur voile pour allumer une cigarette ou, surtout en Jordanie d'ailleurs, sortir « en filles » pour fumer le narghilé et applaudir un chanteur à la mode.
HAMA TRENTE ANS APRÈS
La plus grande surprise de ce voyage, je l'ai d'ailleurs éprouvée à Hama, l'Epiphania hellénistique, temple du sunnisme et pour cela théâtre voici trente ans de violents affrontements. En 1980, en effet, un Frère musulman originaire d'Hama avait tenté d'assassiner le président Alassad, ce qui avait entraîné l'arrestation de plusieurs imams ; une agitation chronique s'ensuivit, qui déboucha en février 1982 sur une insurrection, conduite par une grosse centaine d'officiers sunnites. Assad réagit brutalement, ordonnant à l'armée d'assiéger la ville et de la bombarder à l'artillerie lourde. Le siège dura près d'un mois, et 10 000 civils selon le gouvernement - 25000 selon les insurgés - y perdirent la vie. Une hécatombe en tout cas très lourde pour cette cité d'un demi-million d'habitants et dont le tiers, y compris de nombreux joyaux architecturaux, fut alors détruit. Sans que, soit dit en passant, ce nettoyage par le vide soit beaucoup reproché à Hafez Al-assad alors qu'imputé à l'Irak (sauf par la CIA, qui en rendait l'Iran responsable), le gazage des cinq mille Kurdes de la ville frontalière d'Halabja fut toujours retenu à charge contre Saddam Hussein.
Je m'attendais donc à voir une ville sombre, austère, endeuillée. Or, en ces jours de festival - c'était vers le 11 mai -, Hama était joyeuse, bruyante et amicale envers les étrangers d'ailleurs très rares participant à ces réjouissances bon enfant se déroulant le long de l'Oronte, combien plus beau, avec ses admirables norias de bois datant de la présence byzantine et fonctionnant toujours malgré leurs quinze siècles d'âge, qu'à Antioche, où les Turcs semblent prendre pour un dépotoir le fleuve cher à Barrès.
LE GRAND TURC EN EMBUSCADE
C'est pourquoi, j'en reviens à Gaza, je me demande comment, au-delà des félicitations officielles, les Syriens ont pris l'opération de secours organisée par les Turcs et en reconnaissance de laquelle quantité de bébés gazaouis ont été prénommés Erdogan. En effet, si le mandat français (1918-1945) fut largement bénéfique sur le plan culturel et marqué par un début d'industrialisation, les Syriens ne pardonnent pas à Paris d'avoir laissé la Turquie s'emparer en 1939 du sandjak d'Alexandrette (lskanderun) et du district d'Antioche, et ils ne pardonnent pas davantage à la Turquie actuelle de contribuer à la désertification du pays - déjà si asséché par la perte du Golan et l'occupation depuis 1967 par les Israéliens qui récupèrent toutes les eaux du plateau par ses gigantesques barrages sur l'Euphrate. Excipant de la présence de camps d'entraînement de guérilleros kurdes - alors que les Syriens partagent avec les Turcs une solide méfiance à l'égard des Kurdes « qui ne sont jamais contents et cherchent toujours des histoires » -, Ankara avait ainsi à plusieurs reprises interrompu le cours de l'Euphrate.
Certes, les feuilletons télévisés turcs tel Le cri de pierres, violemment anti-israélien, ont été très suivis en Syrie où est en préparation une grande série historique sur la fin de l'empire ottoman, géant débonnaire « victime des puissances européennes », et les investissements turcs sont très appréciés, comme ceux de la chaîne hôtelière Dedeman, qui a construit un superbe établissement à Palmyre. Mais Damas commence à s'inquiéter de l'activisme diplomatique et économique déployé par Ankara dans les territoires arabes naguère possessions de la Sublime Porte. Au demeurant, la conversion relativement rapide de la République kémaliste du laïcisme à l'islam presque radical laisse sceptiques beaucoup de Syriens qui, fiers de leur histoire multimillénaire quand les futurs Seldjoukides n'étaient encore que des coureurs de steppe illettrés, y voient un simple opportunisme : bridé dans ses ambitions européennes, le Grand Turc chercherait des exutoires à sa volonté de puissance. En Asie centrale, à la faveur de l'éclatement de l'empire soviétique, et au Moyen-Orient en profitant de l'enlisement et des échecs du monde arabe.
L'HUMILIATION IRAKIENNE
De ces échecs, le plus cruellement ressenti car le plus humiliant est, à l'évidence, le si rapide effondrement de l'Irak et l'odieuse occupation qui s'en est suivie. Les Syriens - qui se targuent d'avoir inventé l'écriture, à Ougarit, dont les ruines n'évoquent aujourd'hui que de très loin la gloire et la prospérité passées - parlent du pillage des musées de Babylone et de Bagdad comme s'ils en avaient été eux-mêmes victimes et, surtout, ils ont ressenti physiquement le gigantesque et lamentable exode consécutif à la guerre. « Nous qui sommes pauvres et devons exercer plusieurs emplois pour obtenir un salaire décent, nous avons dû accueillir trois millions et demi de nos réfugiés, mais c'étaient nos frères », répètent-ils tandis que les Jordaniens, eux, assurent avoir reçu un million et demi de réfugiés. Des chiffres évidemment très exagérés, l'ONU ayant évalué à deux millions le nombre des Irakiens contraints à l'exil. Proportion déjà énorme : près du dixième de la population !
Ce qui est sûr en tout cas est que les deux pays comptent de très importantes communautés irakiennes et que le flux ne s'est pas tari, de plus en plus de chrétiens, victimes de persécutions, quittant l'Irak si heureusement rendu à la démocratie.
COUPOLES ET COUVENTS : JUSQUE À QUAND ?
En Jordanie, la présence chrétienne est marginale mais elle reste significative (13 % de la population selon les sources les plus optimistes) en Syrie où elle pourrait jouer un rôle important si, des nestoriens aux protestants, des jacobites orthodoxes aux melkites ou aux maronites catholiques, les chrétiens n'étaient divisés en multiples confessions qui ont, au fil des siècles, affaibli leur influence et favorisé l'essor de l'islam dans ces contrées qui furent pourtant les premières à accueillir la Bonne Nouvelle.
Il est peu de lieux aussi chargés d'émotion, esthétique comprise, que Saint-Siméon, hommage à ce moine stylite réputé avoir passé quarante-deux ans sur sa colonne. Jusqu'à l'achèvement de Sainte-Sophie, l'édifice fut la plus grande cathédrale chrétienne du monde. Par la beauté du site, l'harmonie des constructions aujourd'hui à moitié ruinées et la pureté de leurs lignes annonçant dès le Ve siècle le style roman, Saint-Siméon est une merveille qui parle autant au cœur qu'à l'esprit. Lorsque j'y allai, un prêtre italien célébrait la messe pour des pèlerins dont les touristes syriens respectaient la ferveur, intimant aux gosses braillards l'ordre de se taire.
Les écoles chrétiennes restent très courues, y compris par les musulmans de la Nomenklatura locale. Non loin de Damas, sur les contreforts des monts de l'Anti-Liban, le village de Maalula - dont le couvent Sainte-Thérèse est également un lieu de pèlerinage - est presque entièrement peuplé de catholiques de rite orthodoxe grec pratiquant encore l'araméen, la langue du Christ dans laquelle sont célébrés les offices. Alors que les Arméniens de Jérusalem se disent brimés par les autorités israéliennes et, pour certains, préparent leur départ, à Alep les coupoles dorées de leurs églises rivalisent de hauteur avec les minarets et en mai, mois de Marie, nombre de jeunes filles revêtent une longue robe bleue ceinturée de corde et coiffent un voile blanc, en révérence à la Vierge, sans que les musulmans semblent s'en formaliser. Dans mon hôtel de Damas, où un couple de catholiques latins fêtait ses noces d'argent, les voiles noirs des invitées mahométanes côtoyaient les spectaculaires robes du soir des chrétiennes.
Mais, outre que cette coexistence pacifique pourrait facilement basculer dans l'hystérie antichrétienne, comme cela s'est si souvent produit en terre d'islam, il n'est évidemment pas question de fraternisation poussée ni de mariages mixtes. Au demeurant, les mariages toujours arrangés par les familles, en Syrie comme en Jordanie, et généralement célébrés assez tard, le promis devant disposer d'une bonne situation et d'une maison avant de présenter sa demande - restent rares entre obédiences musulmanes même si l'alaouite Bachar a ouvert la voie en choisissant une sunnite. Ainsi les Druses pratiquent-ils la plus rigoureuse endogamie. « C'est mieux comme ça, m'expliquait l'un d'eux. On se connaît, on a la même histoire, les mêmes traditions, les mêmes coutumes. Chez nous, par exemple, il ne nous viendrait jamais à l'idée d'épouser une Noire ou une Chinoise même si elle nous plaisait. Il faut d'abord penser à la famille et aux enfants ! » Qui oserait dire le contraire ?
Ainsi, près d'Amman, survit depuis deux siècles une communauté de Nubiens importés d'Égypte par les Turcs pour travailler la canne à sucre. Regroupés dans le même village, ces "Nègres" se marient entre eux. Chacun chez soi et le troupeau sera bien gardé !
DE PETRA À PALMYRE, LA ROUTE DES MERVEILLES
Tout comme beaucoup d'Occidentaux se rendent en Jordanie à seule fin de faire de la plongée dans le golfe d'Aqaba et de découvrir Petra la nabatéenne, site en effet exceptionnel et, autour du fameux Khazneh - le "Trésor", si souvent vu en photos ou dans les films, qui ne lui rendent pas justice -, plus accessible qu'on ne le dit, jusqu'au Château croisé, au monastère du IIIe siècle et à l'Autel des sacrifices -, Palmyre la cananéenne est une étape obligée et parfois unique. « Si vous ne deviez voir qu'une seule chose en Syrie, ce serait Palmyre. Même si vous avez déjà vu assez de ruines pour le restant de vos jours, faites un effort car celles-ci sont inoubliables », ordonne ainsi le guide Lonely Planet.
Oasis dans l'immense désert caillouteux allant jusqu'à la ville-frontière de Deir ezZur, centre pétrolier où l'on empruntera bien sûr le « pont des Français » enjambant l'Euphrate et qui, à la fraîche, se transforme en paseo, Tadmor, rebaptisée , Palmyre par les Grecs et promue « ville libre » par les Romains en l'an 150 de notre ère, coupe bien sûr le souffle. Par l'incroyable étendue (50 hectares), la richesse et l'élégance de ses ruines, l'enchevêtrement des cultes et des traditions, les temples dédiés aux dieux Nebo et Bel (Baal) voisinant avec les autels des divinités romaines, les pharaoniques tombeaux de l'aristocratie marchande avec les thermes (édifiés sous Dioclétien), l'agora et le théâtre proprement palatiaI.
Palmyre, où Septimia Bathzabbai Zineb, dite reine Zénobie, leva en 270 l'étendard de la révolte contre l'Empire (qui vainquit ses armées et la ramena à Rome pour le triomphe d'Aurélien), est à l'architecture coloniale romaine ce que Hanoï fut à l'architecture coloniale française : un miracle, les architectes ayant avant tout veillé à respecter l'esprit des lieux où l'histoire souffle si fort. Mais elle n'est pas la seule : Apamée, Rassafa - non loin du lac Assad et ceinte de remparts à l'ombre desquels s'élevait la basilique Saint-Serge avant la conquête par le calife omeyyade Hicham -, Bosra avec son austère et grandiose théâtre de basalte (et son musée des mosaïques, où l'on peut admirer de superbes swastikas) sont aussi des endroits magiques, qu'il ne faut manquer sous aucun prétexte. Tant que la Syrie est un pays sûr, où les mendigots sont rares et les autorités inflexibles avec les voyous.
DES MENACES SE PRÉCISENT
Car qui peut présager de son avenir ? Appuyé sur une croissance longtemps impressionnante (+ 147 % en vingt ans, de 1983 à 2003, si bien que chacun ou presque mange à sa faim et que l'état sanitaire est convenable), le régime semble solide. Mais après les convulsions du Liban, l'ordalie infligée à l'Irak a montré la fragilité des régimes proche et moyen-orientaux et des menaces se dessinent. James Cartwright, adjoint du chef des armées des États-Unis, déclarait ainsi le 13 mai dernier : « Durant les dix prochaines années, nos forces auront à mener des combats semblables à ceux qui furent menés en Irak et en Afghanistan ». Hasard ? Le mois précédent, Damas avait été accusée par Washington d'avoir livré des missiles SCUD au Hezbollah, accusation reprise par Tel-Aviv, qui avertissait la Syrie de son intention de « la ramener à l'âge de pierre », bien que l'allégation ait été formellement démentie par Saad Hariri, Premier ministre du Liban (où Al-Assad s'est rendu à la mi-juillet). Ainsi d'ailleurs que par le Hezbollah qui précisait n'avoir nul besoin d'antiques SCUD, disposant depuis 2006 d'armes autrement sophistiquées.
N'importe, l'administration Obama profita aussitôt de l'occasion pour proroger d'un an les sanctions prises contre Damas en 2004, et la menace subsiste, au point que certains se demandent si, malgré l'enlisement des États-Unis en Irak et en Afghanistan, certains faucons néo-conservateurs ne gardent pas cette histoire de SCUD en réserve pour l'utiliser le moment venu, comme fut exploité contre Bagdad le mythe des « armes de destruction massive ».
Quitte à transformer en République islamique, soumise à la Charia, l'actuelle République laïque syrienne où les chrétiens bénéficient d'une relative sécurité ? Mais on sait que, sans hésitations ni états d'âme, ce risque fut pris ailleurs par ceux-là même qui proclament jusque sur leur monnaie « ln God we trust».
Camille Galic RIVROL du 30 juillet au 2 septembre 2010
< camille.ggalic@orange.ft >.