[Ci-dessus : Koestler photographié par Jerry Bauer, 1973]
Ils ne sont pas tellement nombreux les écrivains qui auront marqué notre siècle, à la fois acteurs et témoins. Puis, le moment venu, observateurs et philosophes. Dans leur grande recherche de l’absolu, leur hantise fut, selon la formule de Drieu La Rochelle, d’unir le rêve et l’action.
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Arthur Koestler sut rester lui-même, tout en scindant sa vie en deux attitudes complémentaires : l’activisme d’abord et la réflexion ensuite. Agitateur politique dans sa jeunesse, il devait tenter par la suite une approche scientifique des secrets de la condition humaine. Il fut étroitement mêlé à quelques-unes des grandes querelles de notre temps, engagé comme peu le furent dans le sionisme, le communisme, la guerre d’Espagne et la brutale rupture avec le stalinisme dès 1940. Grâce à lui, personne ne pouvait ignorer, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’intrinsèque perversité du régime bolchevique. Et il aura fallu un demi-siècle pour que les bonnes consciences soviétophiles osent dire : « On ne pouvait pas savoir ce qui se passait en URSS ! ». Le plus célèbre de ses romans, Le zéro et l’infini, avait pourtant été vendu en France à plus d’un million d’exemplaires et traduit en une trentaine de langues étrangères. Un esprit d’une si totale, liberté et d’une si grande exigence dérangeait tous les conformismes politiques et religieux. Cet ancien agitateur marxiste devait même rejoindre le comité de patronage de la revue Nouvelle École. Quel itinéraire ! Quand on évoque Arthur Koestler, il est révélateur de se reporter au fort haineux portrait qu’en trace Simone de Beauvoir dans Les Mandarins [1954] : « Ce visage triangulaire aux pommettes saillantes, aux yeux vifs et durs, à la bouche mince et presque féminine, ce n’était pas un visage français ; l’URSS était pour lui un pays ennemi, il n’aimait pas l’Amérique : pas un endroit sur terre où il se sentit chez lui ».