écologie et environnement - Page 147
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Le gouvernement s'apprête à supprimer de facto le principe pollueur-payeur
Le poids des lobbies aurait conduit le gouvernement à déposer un amendement explosif sur le projet de loi biodiversité. Il permettrait aux industriels de ne rien payer en cas de préjudice écologique qu'ils auraient causé.Le diable se cache souvent dans les détails. Et c’est un détail de taille, un détail énorme, qui se niche dans un amendement que le gouvernement vient de déposer sur le projet de loi biodiversité, examiné en deuxième lecture et en commission à l’Assemblée nationale à partir de ce mardi soir, 18 heures. Un amendement qui serait à même de donner un «permis de polluer» aux industriels… aux frais du contribuable.En clair, si un tel texte avait existé avant le procès intenté à Total suite à la marée noire de l’Erika en 1999, le groupe pétrolier aurait pu s’en prévaloir pour ne pas avoir à régler un centime au titre du préjudice écologique. Et donc, in fine, cela aurait été aux citoyens de régler la facture. Cela sera-t-il le cas désormais pour les prochaines marées noires, pollutions aux boues rouges, aux nitrates et autres joyeusetés? C’est en tout cas se qui se profile si cet amendement du gouvernement est adopté en l’état.Régression inédite du droit de l'environnementOfficiellement, celui-ci propose d’inscrire cette notion de préjudice écologique dans le code civil, notion validée en 2012 par une jurisprudence de la Cour de cassation dans le cadre du procès de l’Erika. Mais «en réalité, il s’agirait d’en rendre impossible la réparation en multipliant les conditions. Le code civil va gagner un maigre symbole, le code de l’environnement va perdre beaucoup. C’est même la porte ouverte à l’une des plus importantes régressions du droit de l’environnement», résume l’avocat en droit de l’environnement Arnaud Gossement.Le gouvernement propose de rédiger ainsi un futur article 1386-19 du code civil : « Art. 1386-19. - Indépendamment des préjudices réparés suivant les modalités du droit commun, est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique résultant d’une atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.« N’est pas réparable, sur le fondement du présent titre, le préjudice résultant d’une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France ou par un titre délivré pour leur application.»L’énorme «détail», le voici, dans le deuxième alinéa ce dernier paragraphe et dans cette mention «n’est pas réparable». «Il s’agit du "permis de polluer" qui avait déjà été défendu lors de l’élaboration de la loi sur la responsabilité environnementale, en 2008», sous un gouvernement de droite, rappelle Arnaud Gossement.Et de détailler ce que cela signifie concrètement. «Une pollution causée par une activité qui a bénéficié d’une autorisation administrative (comme un permis de construire, une autorisation d’exploiter, une autorisation de forer, etc.) ne pourra jamais être qualifiée de préjudice écologique et ne pourra, à ce titre, faire l’objet d’aucune réparation. Que l’autorisation administrative soit légale ou non. Il suffit de disposer d’un "titre" ou simplement de démontrer que l’atteinte a été "autorisée"», explique l’avocat.«Du pollueur-payeur au contribuable-payeur»Résultat? «Une pollution générée par une activité autorisée engagerait – pour la réparation du préjudice écologique - la responsabilité, non du bénéficiaire de l’autorisation, mais de son auteur : l’administration. C’est donc la responsabilité de l’Etat, c’est à dire du contribuable, qui serait uniquement recherchée. Nous passerions alors du principe pollueur payeur au principe contribuable payeur».Bref, mine de rien, ce «détail» est en réalité une bombe. Pour l’instant, cette disposition ne vaut que pour le préjudice écologique. «Mais c’est un pied dans la porte, estime Gossement. L’étape d’après pourrait concerner d’autres dommages. Par exemple pour une marée noire, il peut aussi exister des dommages pour l’activité d’hôtellerie, la santé, etc.»Jointe par Libération, la député PS et ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho confie n’avoir appris l’existence de cet amendement que ce matin, puisqu’il n’était auparavant pas dans les tuyaux des amendements auxquels les députés ont accès. «Je vais vigoureusement combattre ce qui serait un recul sans précédent», promet-elle.Delphine Batho a déposé illico deux sous-amendements. Le premier entend «supprimer le permis de polluer que ce texte reconnaît», dit la député, car il s’agirait-là «d’une régression grave et sans précédent du droit de l’environnement» . «Si on peut utiliser un parallèle, aujourd’hui, quand un médicament est autorisé et qu’il s’avère par la suite, comme cela a été le cas pour le Mediator, qu’il cause un préjudice, la responsabilité du laboratoire pharmaceutique est engagée. Or là, avec cet amendement, les firmes peuvent se laver les mains de toute conséquence de leur activité sur l’environnement, qu’il s’agisse de pollutions de nature industrielle ou même des pesticides, poursuit Batho. La deuxième phrase de l’alinéa 7 aboutirait aussi, de fait, à ce qu’il n’y ait plus d’indemnisation possible, comme il y en a eu pour l’Erika», au titre du préjudice écologique. Ce qui fait l’objet de son autre sous-amendement, destiné à supprimer cette phrase.Poids des lobbiesLa député est-elle tombée des nues en découvrant ce texte? Même pas tant que ça. «Il ne faut pas être naïf. Ce n’est pas un hasard si la reconnaissance du préjudice écologique dans la loi prend autant de temps depuis la jurisprudence Erika. Les réticences et le poids des lobbies sont considérables, et aboutissent désormais à un non-sens total»Le poids des lobbies? «Il y a eu un lobbying monstrueux auprès du gouvernement de la part, principalement, du Medef et de l’Afep [la très puissante Association française des entreprises privées, ndlr]. Cet amendement a été rédigé directement au Medef, puis imposé par Bercy», croit savoir une source bien informée. -
Monsanto condamné pour l’intoxication d’un agriculteur français
C’est un long combat qui se termine pour Paul François, agriculteur de Bernac, en Charente, engagé depuis près de dix ans dans une bataille contre le géant américain Monsanto. Jeudi 10 septembre, la cour d’appel de Lyon lui a définitivement donné raison en concluant que la firme multinationale était responsable du préjudice qu’il a subi à la suite de l’inhalation du pesticide pour le maïs Lasso.La cour confirme ainsi le jugement en première instance du tribunal de grande instance de Lyon, qui, en février 2012, avait reconnu « responsable » Monsanto et l’avait condamné à « indemniser entièrement » le céréalier charentais. Elle invoque à l’encontre de la multinationale « un manquement contractuel », lui reprochant « d’avoir failli à son obligation générale d’information pour n’avoir pas respecté les règles en matière d’emballage et d’étiquetage des produits ».« Décision historique »Paul François s’est félicité, lors d’une conférence de presse à Paris, jeudi, de cette « décision historique », ajoutant que « le pot de terre peut gagner contre le pot de fer ». « Pour la première fois, un fabricant de pesticides est condamné à indemniser un agriculteur pour l’avoir intoxiqué », a insisté son avocat, François Lafforgue. « Cette décision est le point de départ d’un grand mouvement d’indemnisations. Elle ouvre une brèche dans la responsabilité des fabricants », a-t-il ajouté, appelant à la création d’un fonds pour indemniser les victimes de pesticides.« La reconnaissance de la responsabilité de Monsanto dans cette affaire est essentielle : les firmes qui mettent sur le marché ces produits doivent comprendre que dorénavant elles ne pourront plus se défausser de leurs responsabilités vis-à-vis des pouvoirs publics ou l’utilisateur et que des comptes leur seront demandés, abonde dans un communiqué Maria Pelletier, présidente de l’ONG Générations futures. C’est une étape importante pour toutes les autres victimes des pesticides qui espèrent voir enfin confirmée la responsabilité des firmes dans la survenue des maladies qui les touchent. »S’il refuse de passer pour une icône écologiste ou altermondialiste, ce céréalier charentais restera comme le premier en France à avoir fait condamner le géant de l’agrochimie américain. Il est en tout cas le premier à avoir rompu le silence sur les dangers des herbicides, insecticides et autres fongicides longtemps vantés.Troubles neurologiquesLa vie de cet exploitant de 51 ans à la tête de 240 hectares, longtemps affectés à la monoculture céréalière, a basculé le 27 avril 2004. Ce jour-là, voulant vérifier le nettoyage de la cuve d’un pulvérisateur, il a inhalé une forte dose de vapeurs toxiques. Pris de malaise, il a juste le temps d’expliquer ce qui vient de se produire à son épouse avant de finir aux urgences, crachant du sang : « Tout ce qui est arrivé après, je ne m’en souviens pas. »Après cinq semaines d’arrêt, Paul François reprend son travail mais souffre d’importants problèmes d’élocution, d’absences, de maux de tête violents. À la fin de novembre 2004, il s’effondre sur le carrelage de sa maison, où ses filles le découvrent inconscient.S’ensuit une longue période d’hospitalisation durant laquelle les médecins ont craint plus d’une fois pour sa vie, sans jamais faire le lien avec l’herbicide de Monsanto. D’examen en examen, de coma en coma, une importante défaillance au niveau cérébral a fini par être trouvée.Aidé de sa famille, Paul François a commencé à enquêter sur le Lasso, à ses frais. Il faut attendre mai 2005 pour identifier le coupable : le monochlorobenzène, solvant répertorié comme hautement toxique et entrant à 50 % dans la composition de l’herbicide.Depuis, Paul François vit avec une défaillance cérébrale, souffre de troubles neurologiques et doit subir une IRM tous les six mois, des lésions étant apparues au niveau du cerveau.« Les produits chimiques, c’était du pain bénit »A la lutte contre la maladie a succédé le combat juridique. Déjà pour faire reconnaître son intoxication comme maladie professionnelle. Un premier refus de la Mutualité sociale agricole (MSA) pousse Paul François à engager une procédure devant le tribunal des affaires sociales d’Angoulême. En novembre 2009, ce dernier condamne la MSA à admettre les conséquences de l’intoxication comme maladie professionnelle.Cette décision est confirmée par la cour d’appel de Bordeaux, le 28 janvier 2010, affirmant la responsabilité de l’herbicide Lasso dans les problèmes de santé dont souffre l’agriculteur.Parallèlement, dès février 2007, Paul François décide d’attaquer la firme Monsanto, car il est convaincu qu’elle connaissait les dangers du Lasso bien avant son interdiction en France, en novembre 2007. Le Lasso a en effet été interdit dès 1985 au Canada, et depuis 1992 en Belgique et au Royaume-Uni.Bien que se reprochant « d’avoir été aussi naïf avec les firmes », l’agriculteur assume le fait d’être issu d’une génération « tout pesticide ». « J’ai vécu et évolué avec la chimie. C’était du pain béni et d’un grand confort, avoue-t-il. On utilisait des produits chimiques mais on produisait plus. Et comme tous, j’en étais fier. »Aujourd’hui, Paul François, qui « vit avec une épée de Damoclès sur la tête », a considérablement réduit son utilisation de produits chimiques, « pour remettre du vivant dans le sol ». Et, aidé par son associé, il est en train de convertir une centaine d’hectares en agriculture bio. Mais il ne travaille plus à plein temps, obligé qu’il est souvent de rester alité.Laetitia Van EeckhoutLien permanent Catégories : actualité, écologie et environnement, lobby, santé et médecine 0 commentaire -
Le « label bio » dans le viseur de l’Union européenne et des lobbys ?
C’est la santé de nos enfants qui est désormais en cause.
L’Union européenne s’apprêterait à « assouplir » sa législation en matière d’agriculture biologique. Autrement dit, introduire une brèche au sein d’un label économiquement porteur, vers lequel un nombre croissant de nos concitoyens se tournent en dépit de son coût, susceptible de peser sur de nombreux foyers. Ou comment la technocratie pourrait détourner les efforts de la société civile, au sein de laquelle croît pourtant la volonté d’un changement.Alors que les produits issus de l’agriculture biologique représentent en moyenne un surcoût de 57 %, l’Agence BIO note une spectaculaire augmentation de près de 20 % de leur consommation entre 2012 et 2014. C’est dire qu’une profonde transformation des mentalités est en cours, susceptible de porter la reconversion de nombreuses exploitations et de renforcer l’économie nationale. Risquant pourtant de se heurter aux intérêts des lobbys et au manque de vision des élites de l’Union, susceptibles de court-circuiter d’une directive et d’une loi les aspirations populaires.
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Petit traité de bioconservatisme par Georges FELTIN-TRACOL
Plusieurs mois avant la parution presque simultanée de l’encyclique Laudato si’ du pape conciliaire Bergoglio et de la revue Limite (dont la recension du premier numéro fut mise en ligne le 1er novembre 2015 sur le présent site), la tendance la plus pertinente de cette vaste mouvance hétéroclite coagulée autour de « La Manif pour Tous » produisit un court et dense essai intitulé Nos limites, clin d’œil contraire auNo limit anglo-saxon, libéral et progressiste.
Co-écrit par trois responsables des Veilleurs qui témoignaient de leur opposition à la funeste loi Taubira par une protestation silencieuse et une lecture d’œuvres inactuelles – action hautement subversive à l’heure où regarder les écrans s’impose comme un préalable quasi-obligatoire au sordide vivre-ensemble républicain -, cet ouvrage concrétise l’émergence d’un « bioconservatisme » en France. Ainsi, les auteurs insistent-ils sur le fait que « ce petit livre n’est ni un programme ni un manifeste. C’est un essai, une ébauche pour tenter de comprendre comment et pourquoi le sens des limites est la condition de toute vie sociale durable (p. 9) ». Leurs réflexions se nourrissent du débat interne aux Verts opposant l’ancien élève de Jacques Ellul, le député européen et syndicaliste paysan José Bové, à la sénatrice trinationale franco-turco-israélienne Esther Benbassa. « D’un côté, ceux pour qui l’écologie est indissolublement sociale, naturelle et anthropologique; de l’autre, ceux pour qui l’éthique environnementale ne saurait s’embarrasser de considérations morales sans déroger au sacro-saint progrès (p. 68). » Et si cette discussion préfigurait de nouveaux rapports propres aux enjeux du XXIe siècle ? D’ailleurs, « la gauche et la droite, qui se disputent âprement face caméra, assurent les auteurs, s’opposent moins qu’elles ne se complètent et se prolongent, aucune d’entre elles deux ne remettent en cause le système économique productiviste fondé sur la croissance et la consommation maximales (p. 25) ».
Une écologie organique
Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Nørgaard Rokvam se réclament de l’« écologie intégrale » qui n’est ni la grotesque écologie de marché, ni l’écologie radicale. « Promouvoir une écologie intégrale, c’est défendre le droit de chacun à bénéficier d’un toit qui lui soit propre (p. 34). » Nos limites dresse par conséquent un sévère constat qu’on partage volontiers. Parce que, à la suite de Zigmunt Bauman, « la société liquide éclate en archipel (p. 17) », ils se prononcent pour la convivialité et encouragent les AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), les SEL (systèmes d’échanges locaux) et le « prix suspendu » (on offre par anticipation à un inconnu un café, un pain, une place de cinéma). Alors que « l’écologie intégrale implique moins l’indifférenciation (l’anonymat) que la complémentarité, la bureaucratie que la proximité, la croissance que le partage (p. 75) », les auteurs considèrent que « l’individu ne saurait être la mesure de toute chose sans compromettre la possibilité même de la vie sociale : dès lors que tout est individuellement permis, plus rien n’est collectivement possible (p. 18) ». Mieux encore, ils voient dans « l’individualisme hédoniste […] le principal vecteur de la lutte contre toute forme de retenue morale : lemarketing publicitaire nous fait croire que nous pourrions tout être, tout faire, tout prendre, ne rien manquer et ne manquer de rien (p. 66) ». Au nom du respect complet de la vie, de sa conception jusqu’à sa fin naturelle, ils refusent le mariage gay, la GPA, la PMA et l’euthanasie. En revanche, ils restent discrets sur l’avortement et évitent la question brûlante de la peine de mort. Les auteurs estiment qu’il existe une réelle et profonde continuité entre la protection des écosystèmes et la sauvegarde de l’intégrité humaine qu’ils résument par un slogan percutant : « Défense du mariage, défense du bocage, même combat ! (p. 109) ».
Ils envisagent « une authentique insurrection des consciences (p. 108) » d’autant que leur combat se veut plus qu’anthropologique, il devient organique. « Seule la reconstitution d’un tissu dense de solidarités concrètes nous permettra de vivre ensemble et non pas à côté. Or, pour être authentique, toute solidarité requiert une communauté de destin, c’est-à-dire la conscience d’appartenir à un même corps social, constitué de biens durables et vivants (p. 14). » Et puis, « la société n’est pas une somme d’individus quelconques à qui l’on pourrait accorder indifféremment un maximum de droits. C’est un organisme infiniment complexe et vulnérable qui ne saurait subsister sans respecter un certain nombre de conditions, de limites et de règles (p. 29) ». Leur anti-individualisme postule la reconnaissance « qu’on ne peut être libre hors-sol, c’est-à-dire hors-cadre, hors-norme, parce qu’il n’y a pas d’identité sans appartenance, pas d’existence sans référent commun. L’incarnation est en effet la condition de notre croissance intérieure (p. 39) ».
Cette sympathique vision organique pour laquelle l’homme « a besoin d’enracinement et de fidélité, de normes intelligibles et fermes, pour n’être pas fétu balayé par le vent (p. 13) » implique dès lors des limitations. En politique, c’est la frontière. Celle-ci, « barrière amovible, est nécessaire à l’harmonie du foyer, quelle que soit la taille (p. 83) ». A contrario du Comité invisible dans À nos amis, les auteurs avouent « préférer le local au global (p. 75) », car « la globalisation est un rouleau compresseur qui nivelle à défaut d’unifier (p. 78) ». La globalisation et non la mondialisation. Par globalisation, ils désignent l’expansion du Marché libéral à toutes les dimensions du Vivant et non plus au seul domaine marchand. Soumis à la logique libérale de la guerre de tous contre tous, « un monde ouvert peut vite devenir une jungle où s’exerce le droit du plus fort (p. 61) ». « Le mercantilisme contemporain, relèvent-ils, s’accommode parfaitement de l’effacement de toute frontière objective (notamment biologique) (p. 67). » Contre la fascination macabre de l’Androgyne et de ses déclinaisons actuelles (le gendérisme et le transsexualisme), l’altérité sexuelle demeure la première des différences essentielles.
Les auteurs soutiennent d’autres limitations. Par exemple, « l’extension rapide de l’Union européenne offre un exemple éloquent de gigantisme informe (p. 80) ». Mais Nos limites n’est pas un brûlot anti-européen. « Promouvoir une écologie fondée sur la limite, ce n’est pas rejeter l’unité européenne, c’est bien plutôt veiller à ce que la coopération ne détruise pas la cohérence. Tout étalement entraîne une dilution (p. 82). » Sans le savoir, les auteurs sont alter européens. Ont-ils naguère consulté le site Europæ Gentes de l’avocat Frédéric Pichon ? Ont-ils aussi lu l’essai collectif, Les Alter Européens, réalisé sous sa direction (1) ? Ces lecteurs attentifs de Hervé Juvin observent en outre que « la globalisation, loin d’éradiquer les frontières, ne fait en réalité que les déplacer (p. 84) ». En effet, « au sein des espaces ouverts comme Schengen s’érigent de nouvelles défenses, plus individuelles que collectives : digicodes, contrôles d’identité, alarmes, péages, télésurveillance, etc. L’insécurité croît dès lors que la communauté a perdu son ordre interne, parce que les références communes disparaissent, remplacées peu à peu par quelques slogans de propagande économique (p. 83) ». Les frontières produisent en permanence de l’altérité, et c’est heureux !
Contre la réification des rapports politiques et humain
Le déplacement des frontières cher aux thuriféraires de « la “ mondialisation heureuse ”, en fait de prospérité planétaire, entraîne une concurrence acharnée qui consiste de plus en plus à vendre à des chômeurs des gadgets produits par des esclaves (p. 29) ». Dorénavant, « traditions, écosystèmes, institutions, frontières, rien n’échappe au rouleau compresseur libéral-libertaire qui fustige comme fasciste tout obstacle à son expansion (p. 19) ». Le résultat fait que « si vivre, ce n’est plus que survivre, et si l’individu n’est plus qu’« un mort à crédit », déplaçable et remplaçable à l’envi, pourquoi donner encore la vie ? (p. 16) ». Cette interrogation ne concerne que le monde développé…
Leur diagnostic de la société française mérite une attention particulière. Ces chrétiens assumés, enfants de Jean-Paul II, de Benoît XVI et de François, condamnent la laïcité officielle, cette « valeur en soi, une idéologie positive apte à devenir une “ religion pour la République ” que tout un chacun devrait professer avec ferveur (p. 45) ». S’ils épinglent avec bonheur cette matrice du conformisme qu’est l’abject système scolaire hexagonale, ils se trompent toutefois de cible. En se référant à Ivan Illich et à son Deschooling Society (1971) au titre biaisé en français, ils oublient d’imputer la responsabilité de cette mise au pas de la pensée à la IIIe République et à ses « hussards noirs » génocidaires. Pour eux, l’alternative scolaire serait la méthode Montessori et non l’école à la maison ou la scolarité hors contrat. Cette pédagogie favoriserait « le civisme, cet autre nom de la fraternité républicaine, [qui] requiert la transmission vivante, c’est-à-dire critique, d’une culture commune, fondatrice et structurante, qui soit une boussole autant qu’un garde-fou dans les bouleversements du monde. Et le civisme […] ne commence-t-il pas avec le souci de répondre ensemble de l’avenir, d’enrichir notre héritage pour le transmettre aux générations futures ? (p. 19). » Et l’apprentissage sur le terrain à la mode scoute ou bündisch ?
Ces adversaires déterminés de « la tyrannie de la subjectivité (p. 46) » se gardent bien d’attaquer frontalement la sinistre idéologie des Lumières. Ils ne s’inscrivent pas non plus dans un activisme néo-luddite quelconque. Les auteurs veulent résister aux « assauts de la technique sans âme et du marché sans loi (p. 109) ». Mais la technique est-elle vraiment sans âme ? Ils semblent ignorer que l’âme européenne se structure depuis toujours autour de figures archétypales telles Prométhée, Dionysos, Apollon, Faust et Épithémée. Pourquoi leur méfiance envers la technique ne s’étend-elle pas au piercing, aux écouteurs et au téléphone portatif, ces premiers appendices de la machinisation consentante de l’être humain ?
« Faire l’éloge de la limite, ce n’est pas refuser les innovations techniques, c’est en interroger le sens pour les réorienter au service du bien commun (p. 93) ». Soit, mais pour quel bien commun ? Nos limites tonne contre le transhumanisme, l’antispécisme et la « pensée robotique » parce que, « loin d’être une délivrance cérébrale, l’Intelligence Artificielle n’est qu’une démission de la pensée, un renoncement, une soumission à la loi des machines (p. 40) ». Sans surprise aucune, les auteurs condamnent l’eugénisme accusé de favoriser le darwinisme social. Cet eugénisme correspond-il seulement à celui de Platon et du Dr Alexis Carrel ?
Ce livre avance par ailleurs que « l’humain et la nature peuvent faire bon ménage pourvu qu’on cesse de déraciner l’un(e) pour diviniser l’autre (p. 13) ». Or, l’humain et la nature co-appartiennent en fait au cosmos. Le monothéisme suppose une césure qu’ignoraient les anciens paganismes.
Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Nørgaard Rokvam n’arrivent pas ainsi à se départir du prisme d’une modernité certaine. « Le bonheur des générations futures est à ce prix (p. 109). » Mais qu’est-ce que le bonheur ? Pour Maurice Druon, « la condition première du bonheur est de convenir à son destin (2) ».
Toujours de notables équivoques
Ils utilisent les écrits de Thoreau, de Chantal Delsol, de Simone Weil, de Jean-Claude Michéa, de Michel Houellebecq, de Paul Valéry, de Hanna Arendt, de Günther Anders, son premier époux, de Bernard Charbonneau, etc. Leur approche n’est pas cependant nouvelle. Dans les années 1990, la sympathique revue animée par Laurent Ozon, Le recours aux forêts, traitait déjà de tous ces sujets avec les mêmes références. En revanche, relevons l’absence de mention du père de l’écologie conservatrice, Édouard Goldsmith, du grand penseur allemand de et contre la Technique, Martin Heidegger, et du philosophe catholique paysan, Gustave Thibon ! Pourquoi ? Parce qu’ils penseraient mal ?
En outre, « il est temps de repenser notre modèle de développement (p. 71) ». Le développement s’impose-t-il obligatoirement ? Ne faudrait-il pas plutôt poursuivre les travaux de François Partant et son anti-développementalisme ? Les auteurs célèbrent les communautés parce qu’elles établissent l’identité. Mais l’enchâssement interactif des identités et des communautés irait jusqu’à « l’unique famille humaine (p. 62) ». Une assertion bien aventureuse et très hypothétique qui se coule dans la doxa dominante. Si, pour eux, « le sans-frontiérisme global apparaît […] sous maints aspects comme un néo-colonialisme impitoyable au service des seuls intérêts du marché (pp. 85 – 86) », ils soutiennent que « comme tous ceux qui fuient la misère en quête d’un avenir meilleur, réfugiés politiques ou climatiques, loin d’être des envahisseurs, ils subissent de plein fouet la précarisation accélérée du monde (pp. 86 – 87) ». Le « bougisme » frappe où il veut. La preuve ! Bien sûr, « qui a une identité stable ne peut qu’accueillir sereinement l’altérité (p. 84, note 2) », mais pourquoi ne font-ils pas alors cause commune en faveur du port légitime du foulard musulman ?L’écologie est foncièrement différencialiste, sinon ce n’est plus de l’écologie !
Enfin, lire que « face aux défis formidables que nous présente l’avenir, prôner l’écologie humaine, c’est promouvoir une “ éthique de la non-puissance ” (Jacques Ellul) (pp. 107 – 108) », on atteint des sommets dans l’irénisme, à moins que cela soit une belle démonstration d’écolo-angélisme… Comme la quasi-totalité des écologistes véritables (à part le cas original, précurseur et radical du penseur finnois Pentti Linkola), Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Nørgaard Rokvam se détournent (volontairement ou non ?) les lois d’airain du politique. En oubliant, en écartant ou en récusant tout concept de puissance, leur projet de société conviviale se transforme en proie aisée pour les autres intervenants du Grand Jeu historique. Ils devraient méditer la réponse que fit Julien Freund le jour de sa soutenance de thèse, le 26 juin 1965, au membre du jury, le professeur socialiste, pacifiste et kantien, Jean Hyppolite : « Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, lui lance Julien Freund, car vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez l’ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin (3) ». Son directeur de thèse, Raymond Aron, expliquait pour sa part que « la puissance politique n’est pas un absolu mais une relation humaine (4) ». L’écologie, y compris intégrale, demeure cette science des relations entre les vivants.
Georges Feltin-Tracol
Notes
1 : Frédéric Pichon (présente), Les Alter Européens. Cette autre Europe de Paris à Berlin via Moscou, préface d’Alexis Arette, Dualpha, coll. « À nouveau siècle, nouveaux enjeux », 2009.
2 : Maurice Druon, Réformer la démocratie, Plon, 1982, p. 137.
3 : Julien Freund, L’Aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet, Critérion, 1991, p. 45, souligné par l’auteur.
4 : Raymond Aron, Paix et Guerre entre les Nations, Calmann-Lévy, 1962, p. 92.
• Gaultier Bès (avec Marianne Durano et Axel Nørgaard Rokvam), Nos limites. Pour une écologie intégrale, Le Centurion, 2014, 111 p., 3,95 €.
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Non, ça ne coûte pas plus cher de consommer mieux et local !
Repenser notre façon de consommer en se passant de la grande distribution pourrait être une solution à la crise agricole. Une journaliste de la rédaction du Figaro.fr a relevé le défi des internautes de ne plus se rendre dans les grandes surfaces. Les premières conclusions de l’expérience participative sont sans appel.
Sur le marché des producteurs de pays
En pleine crise du secteur agricole, j’ai décidé de relever un défi lancé par les internautes : celui de ne plus mettre les pieds dans un supermarché pendant un mois. L’expérience gustative et participative vise à privilégier les circuits courts pour soutenir les producteurs. Repenser notre façon de consommer en se passant de la grande distribution pourrait en effet être une solution à la grave crise que traverse le secteur. Mais est-ce réaliste, compliqué, coûteux de bannir les grandes surfaces de notre quotidien ?
À en croire certains habitués des circuits courts, rien de plus simple. Sauf que, comme beaucoup de consommateurs français, j’étais accro aux grandes surfaces ! Hormis quelques achats sur le marché le dimanche, j’achetais absolument tout au supermarché (je n’en suis pas fière)… et je me faisais livrer (en achetant quelques produits estampillés bio pour me donner bonne conscience). Mais ça, c’était avant. Car après une semaine d’expérience, je ne pourrais plus revenir en arrière.
Oui, c’est possible de vivre hors des sentiers de la grande distribution
Au lancement du défi, nous vous avions sollicités pour récolter vos conseils, bons plans, astuces pour trouver des alternatives aux supermarchés. L’expérience participative a suscité un réel engouement sur Twitter et Facebook, ce qui m’a été d’une grande aide.[....]
La suite sur Le Figaro.fr
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Non-ca-ne-coute-pas-plus-cher-de
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Catherine, la paysanne « rebelle » qui vend ses semences illégales
Une véritable « guerre des graines » semble s’être enclenchée en réaction à l’accaparement du patrimoine agricole par des groupes industriels, avec l’aval des autorités. Cette résistance s’observe à travers les cas symboliques d’individus issus de l’agriculture paysanne, de l’agroforesterie ou encore de la permaculture. Rencontre avec Catherine, responsable du groupe Semailles, qui persiste à vendre ses fameuses « graines interdites » !
Les semences constituent certainement la richesse la plus essentielle de la culture paysanne. Pendant des millénaires, les agriculteurs ont sélectionné le plus naturellement du monde les meilleures espèces de végétaux. Celles qui étaient les mieux adaptées à leur terroir, les plus résistantes tant aux intempéries qu’aux parasites, et les plus productives. Au fil des siècles, ce savoir s’est transmis gratuitement d’une génération à l’autre, mais aussi d’un paysan à l’autre. Une sorte d’«open source phytogénétique» avant l’heure, en quelque sorte.
Le marche de l’industrialisation
C’était sans compter sur l’industrialisation galopante du secteur et un lobbying forcené. À la fin des années 1990, les institutions internationales sont venues s’accaparer l’enjeu crucial de l’agriculture moderne, avec deux attitudes assez contradictoires. Tout d’abord, en 1998, l’Union Européenne entérine la directive 98/44/CE, censée légiférer en matière de protection juridique des inventions biotechnologiques. Comme tout mauvais médicament, cette directive induit implicitement un puissant effet secondaire : tout procédé de sélection de plantes pouvait alors être breveté, même si ce procédé est « naturel ».
La Grande chambre de recours de l’Office Européen des Brevets a d’ailleurs rappelé, pas plus tard qu’en mars 2015, que la directive n’interdit en rien la « brevetabilité des traits natifs préexistants », et a donc confirmé que des plantes issues de procédés « essentiellement biologiques » peuvent aussi être brevetées. Une nouvelle qui fera la joie des multinationales de la semence comme Monsanto, Bayer et Syngenta (récemment racheté par le chinois ChemChina pour 43 milliards de dollars, soit la plus grosse acquisition en date d’une entreprise étrangère par une entreprise chinoise).
Ensuite, avec un autre traité, le Tirpaa (Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture). Signé sous l’égide de l’Onu en 2001, il est entré en vigueur en 2004. En théorie, son objectif louable est de donner accès à des millions d’échantillons de semences rassemblées aux quatre coins de la Terre et, toujours en théorie, garantir un partage équitable des bénéfices issus de leur exploitation. Il en découle également un droit des agriculteurs de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs propres semences. Cependant, le catalogue européen des espèces et variétés de plantes cultivées est très drastique en matière de semences autorisées à la vente. Comment faire pour survivre dans cette schizophrénie législative quand on est un petit producteur de semences naturelles ?
Le combat de Catherine
Productrice belge de semences biologique, Catherine Andrianne gère sa société semencière de main de maître. Son commerce de graines biologiques, Semailles, ne désemplit pas. L’incessant va-et-vient de ses clients témoigne du succès que rencontrent ses semences paysannes dans un contexte où l’opposition aux logiques industrielle gagne du terrain. L’émission télévisée belge « Alors, on change ! » a dressé son portrait à l’occasion d’un numéro consacré à la désobéissance civile.Catherine Andrianne lors d’une journée portes ouvertes de son jardin Pour cause, Catherine commercialise des semences non inscrites dans le catalogue européen des espèces et variétés. Une activité qui, si elle permet de sauvegarder notre patrimoine et de lutter contre la perte de biodiversité, est totalement illégale. Pourtant, Catherine n’en démord pas ! Depuis la diffusion de son portrait en 2014, elle a encore ajouté une soixantaine de variétés de semences « interdites » supplémentaires à son inventaire. Avec l’achat de ces nouvelles graines, le nombre de semences qu’elle propose atteint aujourd’hui plus de 600 espèces différentes.
Une réforme du commerce des semences en stand-by
Cette situation à peine croyable est due à une législation européenne en matière de commercialisation des semences particulièrement complexe et, aujourd’hui, profitable aux industriels. À l’heure actuelle, la réforme de la législation sur le commerce des semences, qui devait éclaircir la situation, est au point mort. Mise en application, elle simplifierait l’enregistrement de variétés rares dans le catalogue européen et autoriserait probablement les micro-entreprises (de moins de dix employés et dont le chiffre d’affaire est inférieur à 2 millions) à commercialiser eux aussi des variétés de semences aujourd’hui non enregistrées. Paradoxalement, cette même réforme doit faciliter la commercialisation de semences brevetées dont la conservation et la reproduction seront interdites, entrainant inexorablement une perte de biodiversité.
De leur côté, les députés européens se sont récemment estimés « surpris par la décision de l’Office européen des brevets autorisant les brevets sur de tels produits », appelant la Commission Européenne à clarifier d’urgence les règles existantes et à protéger l’accès des sélectionneurs de semences au matériel biologique. Vous avez dit schizophrénie ? Si la situation n’était pas suffisamment complexe, dans ce brouillard législatif, l’ombre du TTIP plane sur le secteur semencier. En effet, certains craignent qu’un rejet de la réforme ramènerait à des directives bien moins adaptées aux droits des agriculteurs en adaptant une nouvelle proposition au fameux TTIP, le fameux Traité de libre-échange transatlantique.
Si Catherine est optimiste, sa situation légale et celle de Semailles reste floue. En attendant qu’un cadre législatif soit clairement défini, aucun contrôle spécifique à la commercialisation des semences paysannes n’est effectué. En effet, l’un des enjeux de la réforme du commerce des semences est de déterminer qui de l’AFSCA (Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire) ou de la DGRNE (Direction Générale des Ressources Naturelles et de l’Environnement) se chargera de ces inspections. Un scénario complexe voire surréaliste à l’image de nos administrations.Dans l’expectative, Catherine poursuit donc le commerce de ses semences paysannes en toute illégalité, mais aussi en toute sérénité. Et ce, pour le plus grand plaisir de clients toujours plus nombreux en Belgique autant que depuis la France. -
À quoi peut bien servir l’écologie urbaine ? par Pierre LE VIGAN
Fabrice Hadjadj dit : « L’apôtre qui balbutie comme un homme ivre vaut mieux que celui parle comme un livre ». Essayons de nous situer entre ces deux extrêmes. Partons d’un constat. Le déferlement des vagues du capitalisme (d’abord industriel) puis du turbocapitalisme (largement financiarisé) a complètement changé le monde. En 1980 déjà, Raymond Williams faisait le constat suivant : « Nous-mêmes, nous sommes des produits : la pollution de la société industrielle n’est pas seulement à trouver dans l’eau et dans l’air, mais dans les bidonvilles, dans les embouteillages, et ces éléments non pas seulement comme objets physiques mais nous-mêmes en eux et en relation avec eux […] Le processus […] doit être vu comme un tout mais pas de manière abstraite ou singulière. Nous devons prendre en compte tous nos produits et activités, bons et mauvais, et voir les rapports qui se jouent entre eux qui sont nos propres relations (1) ».
Plus de 60 % d’urbains sur terre, et bientôt les trois quart
Situons l’enjeu de notre sujet, l’écologie urbaine. En 1800 environ 3 % de la population mondiale vivait en ville, en 1900, c’était 15 %, en 1950, nous avons doublé en pourcentage d’urbains, c’était 30 %. En l’an 2000 c’était 50 %. Nous en sommes à quelque 60 %. L’urbanisation apparaît une tendance inexorable. Elle a été massive en France. Nous avons basculé d’une civilisation à une autre des années quarante aux années actuelles. C’est ce que Henri Mendras a appelé « la fin des paysans ».
À partir de là, il est clair que si nous n’appliquons pas l’écologie à la ville, cela n’a aucun sens. Cela ne concernerait pas la majorité des hommes. Étymologiquement, l’écologie est la science de l’habitat. C’est l’habitat au sens large : nous vivons dans une maison, mais aussi dans un territoire, et dans un environnement mental. C’est notre écosystème (2). C’est pourquoi l’écologie de la ville a sa place dans une écologie plus large, l’écologie des civilisations, car c’est ainsi que les hommes vivent. Ils créent des habitusintermédiaires entre l’individu et l’humanité en général. Ces habitus sont les peuples, les civilisations, les enracinements, les religions. Les hommes n’accèdent pas directement à l’universel. Ils y accèdent par des médiations. Vouloir nier ces dernières fut tout le projet moderne, amplifié par le projet hypermoderne. Une vraie postmodernité ne peut consister qu’à revenir sur ce projet moderne de nier les médiations, qui bien entendu sont plurielles, car l’homme est multidimensionnel.
Le terme écologie a été créé par l’Allemand Ernst Haeckel. Sa société de pensée fut après sa mort interdite par les nationaux-socialistes. Il définissait l’écologie comme « la science des relations de l’organisme avec l’environnement ». Comment transformons–nous notre environnement en puisant dedans et en le manipulant, et comment cet environnement transformé nous transforme lui-même (on a aussi appelé cela anthroponomie : comment les phénomènes que nous vivons réagissent sur les lois comportementales de notre propre humanité) ? Le moins que l’on puisse dire est que la question est majeure.
L’écologie n’est pas le simple environnement
L’écologie a souvent été réduite à un simple environnementalisme. Dans les années 1970 est apparu un « ministère de l’environnement ». La question était : comment préserver notre « cadre de vie » ? Il s’agissait de voir la nature en tant qu’elle nous est utile, si possible pas trop moche quand elle est dans notre champ de vision. Faut-il préciser que l’écologie va au-delà. Il s’agit des équilibres entre l’homme et la nature. Et de ces équilibres à long terme. « La rupture entre l’homme et la nature c’est aussi la rupture de l’homme avec lui-même » écrit Philippe de Villiers.
L’écologie est la prise en compte de ces équilibres, et en ce sens l’écologie urbaine n’est qu’une branche de l’écologie humaine. C’est l’étude des rapports, tels qu’ils se nouent et se transforment, entre la nature et la ville. Ajoutons qu’elle ne concerne pas seulement les rapports des hommes et de la nature, mais les rapports des hommes entre eux. Une société où l’on prend soin de la nature et du vivant n’est pas sans conséquence sur les rapports des hommes entre eux et plus généralement sur la conception par les hommes de « la vie bonne ».
Pas d’écologie urbaine sans éthologie humaine
Si nous parlons des rapports des hommes entre eux, c’est qu’il y a un lien entre l’écologie humaine et l’éthologie. La vie en ville multiplie les frictions, elle est un terrain d’étude des comportements humains, et c’est le propos de l’éthologie humaine. C’est en d’autres termes l’étude systémique du comportement de l’homme en société, en tant qu’il est un animal mais n’est pas seulement cela. Cela doit à Aristote mais aussi à Konrad Lorenz, à Irenaus Eibl-Eibesfeldt, à Boris Cyrulnik, à Edgar Morin… Cette éthologie humaine est à prendre en compte par l’écologie urbaine, sauf à l’atrophier.
Quelle est l’origine de l’écologie urbaine ? C’est l’École de Chicago (3) (école sociologique à ne pas confondre avec son homonyme en économie, une école ultra-libérale). Elle apparaît dans les années 1900 et se renouvelle vers 1940-1950. C’est à cette dernière époque qu’elle commence à être connue, avec notamment Erving Goffman. L’École de Chicago analyse la constitution des ghettos, et l’ensemble des phénomènes de ségrégation et marginalité, à partir de l’exemple de Chicago. C’est une école de sociologie urbaine. Mais les idées ne sont pas neutres, elles agissent sur le réel, et l’École de Chicago a poussé à intégrer des préoccupations d’écologie urbaine. L’École de Chicago donnera naissance à des monographies comme celle intitulée Middletown, et consacrée à Muncie, dans l’Indiana.
L’école de Chicago influence plusieurs études de sociologie menées par Paul-Henri Chombart de Lauwe, Jean-Claude Chamboredon et d’autres. Les marxistes ont aussi essayé d’adapter à l’économie urbaine les théories de Marx comme la baisse tendancielle du taux de profit. Les promoteurs capitalistes agissent en effet comme tout possesseur de capital qui cherche à accroître son profit. Reste à connaître les répercussions précises de cela sur les formes urbaines : reproduction du même modèle de bâtiment plus économique que la variété, consommation d’espace excessive avec des lotissements pavillonnaires, la viabilisation des terrains étant assurée par la puissance publique, construction de tours dans les zones où une forte densité est possible et rentable, etc. Francis Godard, Manuel Castells, Edmond Préteceille ont travaillé dans cette direction et ont du s’ouvrir à d’autres angles de vue que ceux strictement marxistes.
D’Henri Lefebvre à Michel Ragon
Une place à part doit être faite à Henri Lefebvre. Ses études tendent à montrer que l’homme moderne, celui des sociétés soumises au Capital connaît une vie inauthentique, à la fois dans son espace (la ville) et dans le temps (sa temporalité est entravée par les exigences du productivisme). L’opposition travail/loisir devient une opposition production/consommation. La séparation a/ des lieux de production, b/ de loisir et consommation, et c/ des lieux de résidence aboutit à une mise en morceau de l’homme moderne, à une désunification de l’homme. Par son analyse du malaise qui s’est installé entre l’homme et la ville, Henri Lefebvre, mais aussi d’autres auteurs comme Michel Ragon éclairent les voies de ce qui pourrait être une écologie urbaine.
En France, la notion d’écologie urbaine est reprise à partir des années 1980 par Christian Garnier. Avant même l’usage du terme écologie urbaine, des auteurs ont développé une réflexion sur la ville dans une perspective proche de l’écologie urbaine : en France, Gaston Bardet, Marcel Poëte, Jean-Louis Harouel, Françoise Choay, Henri Laborit, ailleurs Patrick Geddes, Louis Wirth et d’autres. Toutes ces études ont été très marquées par La ville (4), le livre de Max Weber paru en 1921. Dans ce livre inachevé Max Weber explique que toute ville est ordonnée autour d’un idéal-type. Celui des villes modernes de l’Occident exprime ainsi notre rationalité spécifique.
Quelle écologie urbaine doit être pensée et mise en œuvre ? Il faut d’abord, d’une manière générale, imaginer la ville comme un support d’activités humaines qui doivent prendre en compte le sol qui est le leur. Ce sol, c’est une terre, qui permet la vie de l’homme à certaines conditions, des conditions qu’il importe de préserver. Il s’agit donc de ne pas épuiser notre planète. Notre sol, c’est aussi un territoire historique. La terre de France et les terres d’Europe ne sont pas n’importe quelle terre, leur culture, leur agriculture, leur histoire urbaine est spécifique. Il faut faire avec notre histoire, et non pas dans un esprit de table rase. Faire n’importe quoi de notre terre, c’est faire n’importe qui de notre mémoire. Nous priver de passé, c’est aussi nous priver d’avenir. Il s’agit de ne pas épuiser le réservoir mythologique de notre terre, sa dimension sacrale.
En second lieu, l’écologie urbaine doit partir des besoins humains. L’homme a besoin de repères et d’échelles maîtrisables. Le gigantisme ne lui convient pas (5). Maîtriser la taille est un enjeu essentiel.
Le turbocapitalisme crée des turbovilles (qui sont des antivilles)
Le premier aspect est donc celui de la ponction de l’homme sur la nature via la ville. C’est la question de la ville durable. Ville économe en énergie, ville ne détruisant pas la nature autour d’elle, voilà les impératifs. Cela implique l’ensemble de la conception du réseau de villes dans un pays. Bien entendu, ce réseau est le fruit d’une histoire. En France, il y a depuis six ou sept siècles une hypertrophie de Paris ? Il y a une part d’irréversibilité. Mais pas de fatalité. Les pouvoirs publics – en sortant du libéralisme – peuvent accentuer ou faire évoluer certaines caractéristiques. Dans le turbocapitalisme mis en oeuvre par les dirigeants de la France, la priorité est donnée à quelques très grandes métropoles (moins de 10). Ces turbovilles ne sont pas pour les hommes. Elles nous déshumanisent et nous décivilisent. D’autres choix sont possibles. Plutôt que de développer encore Lyon ou Bordeaux, mieux vaut donner leur chance à Niort, la Roche-sur-Yon, Besançon, etc. Cela implique de revenir à une politique active de la puissance publique et à une politique d’aménagement du territoire. Sans répéter les erreurs du productivisme des années 1960.
Pour limiter la ponction de l’homme sur la nature et sur les paysages naturels, il faut aussi éviter l’étendue spatiale excessive des villes. Cela s’appelle lutter contre l’étalement urbain. Tous les ans la France artificialise quelque 80 000 hectares de terres (800 km2), soit en 4 ans la surface agricole moyenne d’un département. Ou encore 1,5 % du territoire national tous les 10 ans. Tous les 10 ans depuis les années 1990 les surfaces urbanisées (route, constructions, chantiers) augmentent d’environ 15 %. Cela s’ajoute bien entendu à l’existant. « Les villes couvrent désormais 119 000 km2 de territoire, contre 100 000 en 1999. Ainsi, 1 368 communes rurales en 1999 sont devenues urbaines en 2010, le plus souvent par intégration à une agglomération, alors qu’à l’inverse seulement 100 communes urbaines sont devenues rurales (6) ». C’est 22 % de notre territoire qui est déjà artificialisé, c’est-à-dire soustrait à la régulation naturelle et à ses rythmes.
Halte à l’étalement urbain et à la démesure des villes
Pour éviter la poursuite de la consommation d’espace par les villes, il faut se satisfaire d’un non accroissement de la population de nombre de ces villes, celles qui sont déjà trop étendues. Or, ce sont celles-là même que les gouvernements veulent développer plus encore. Ils nous emmènent dans le mur. Il faut en tout cas, au minimum, densifier l’existant et non consommer de nouveaux espaces. Il faut ainsi construire sur le construit. Il est frappant, quand on voyage en France, de trouver des bourgs, ou des petites villes, dont le centre ville est quasiment à l’abandon, en terme d’entretien des maisons et de l’espace public, mais qui ont créé des lotissements pavillonnaires en périphérie, avec des « pavillons » tous identiques et sans charme. Or, l’étalement urbain, en plus de ses inconvénients en matière d’écologie (nouvelles routes à viabiliser et à entretenir…), est contradictoire avec la création de lien social, favorise la voiture, l’individualisme extrême et rend irréalisable l’organisation de transports en commun, bref favorise un mode de vie renforçant l’emprise de la société de consommation. C’est ici que les préoccupations écologiques – le premier aspect que nous avons évoqué – rejoignent les préoccupations directement humaines, les besoins humains qu’éclairent l’écologie et l’éthologie, notamment le besoin de repères, le besoin de liens de proximité, le besoin d’un équilibre entre l’« entre soi » et l’ouverture.
L’homme a besoin d’une densité raisonnable. De quoi parle-t–on ? Il faut d’abord dissiper les idées reçues. « 65 % des Français pensent que la densité est quelque chose de négatif » relevait l’Observatoire de la ville en 2007. Les grands ensembles ont en fait une densité faible à l’échelle du quartier, en intégrant bien sûr la voirie. Elle est de 0,6 ou 0,7 environ soit 700 m2 construit sur un terrain de 1 000 m2. C’est ce que l’on appelle le coefficient d’occupation des sols (COS). Dans les quartiers parisiens de type haussmannien, la densité est de 6 à 7 fois supérieure. Elle est entre 4 et 5 de COS (5 000 m2 construits sur 1 000 m2 au sol). Reste aussi à savoir s’il s’agit, et dans quels pourcentages, de bâti de logement ou de bâti de locaux d’activité, ce qui ne donne pas le même rythme à la ville, la même vie, la même animation.
Il y a densité et densité : la qualité est le vrai enjeu
Il y a aussi la densité par habitants. Un logement de 70 m2 est–il occupé par trois personnes ou par cinq personnes ? La réponse varie notamment selon les milieux sociaux. Tous ces paramètres doivent être pris en compte. Ils interviennent dans le vécu et le ressenti de chacun. La densité, c’est la question du bâti à l’hectare mais aussi aux échelles plus grandes, comme le km2 (exemple : Paris c’est 100 km2 et donc 10 000 ha [hectares], et la ville inclue jardins, rues, boulevard périphérique, etc.) mais c’est aussi la question de la taille de la population à ces mêmes échelles.
Dans le XVIe arrondissement de Paris, il y a quelques 100 000 logements sur 16 km2. Cela fait un peu plus de 6 000 logements au km2 soit 60 logements à l’hectare. Avec 160 000 habitants, le XVIe a une densité de près de 10 000 habitants au km2, soit 100 habitants à l’ha. Il faut donc notamment mettre en regard 100 habitants pour 60 logements, ce qui donne une première indication de logement plutôt sous-occupés (ce que confirmerait la prise en compte de la taille de ces logements). On relève en tout aussi qu’un des arrondissements les plus denses en termes de bâti est un des plus recherchés. La densité urbaine ne paraît pas être dans ce cas une souffrance insurmontable. Peut-être parce qu’il y a aussi un environnement de qualité et un bâti de qualité. Il peut, en d’autres termes, y avoir qualité urbaine et densité assez élevée. Si le bâti et les espaces publics sont de qualité, et si la sécurité est bonne.
De nouveaux quartiers intégrant les préoccupations de ville durable ont une densité assez proche du XVIequoique un peu inférieure. Ainsi Fribourg-en-Brisgau vise les 50 logements/ha. Autre exemple, les nouveaux quartiers sur l’eau d’Amsterdam sont autour de 25 logements à l’ha. Avec au moins deux personnes par logement, ce qui est une estimation minimum, on remarque que nous avons une densité nettement supérieure à la ville de La Courneuve. Avec 40 000 habitants sur 7,5 km2 l’ensemble de la commune n’a en effet qu’un peu plus de 50 habitants à l’hectare. En termes de densité de population les maisons sur l’eau d’Amsterdam font mieux ! Et ce sans la moindre barre et tour.
L’essentiel à retenir c’est qu’une densité de bâti faible peut correspondre aussi bien à des quartiers considérés comme « agréables » tel Le Vésinet et à des quartiers peu appréciés comme les « 4 000 » de La Courneuve.
Si une densité raisonnable est nécessaire, elle ne résume pas tous les axes de l’écologie urbaine. Le phénomène des « villes lentes » représente une utile prise de conscience des directions nécessaires. Lenteur rime avec taille raisonnable. Les « villes lentes » ne doivent pas dépasser 60 000 habitants (un exemple de ville lente : Segonzac, en Charente). En d’autres termes, il faut fixer une limite au développement. À partir d’une certaine taille, se « développer » c’est grossir, et grossir c’est devenir impotent. Cela vaut pour les États comme pour les villes. Les villes lentes ne sont pas le contraire des villes rapides, elles sont le contraire des villes obèses.
Les grosses villes sont des villes obèses
Les villes lentes sont d’ailleurs souvent plus rapides que les grosses villes qui, malgré tout un réseau de transports rapides, sont celles où l’on perd le plus de temps dans les trajets. Explication : les grosses villes sont souvent des villes obèses. Pour éviter des villes obèses, il faut relocaliser l’économie et la répartir partout. Il faut créer des territoires autonomes et équilibrés entre habitat, activités et subsistance. Il faut à chaque ville son bassin de nourriture à proximité et cela dans la permaculture, une agriculture naturelle, permanente et renouvelable. Il faut économiser la nature tout comme les forces des hommes. À la réduction du temps de travail doit correspondre une réduction du temps et de l’intensité d’exploitation de la nature. Il nous faut cesser de coloniser la nature.
Comment relocaliser ? En sortant des spécialisations économiques excessives, en faisant de tout, et partout. Les savoirs faire doivent être reconquis, les industries réimplantées partout, mais des industries sans le productivisme frénétique, des industries à taille, là aussi, raisonnable. Il faut retrouver l’esprit des petits ateliers de la France des années 1900. Il ne doit plus y avoir un seul département français sans ses industries et ses ouvriers, dans la métallurgie, dans les machines à bois, dans la construction de bateaux, de fours à pain, etc. Il faut nous revivifier au contact des beautés de l’industrie. Cela ne peut se faire qu’avec un État stratège, avec les outils de la fiscalité, du contrôle des banques et de la planification subsidiaire, de l’État aux régions. L’objectif dans lequel prend place l’écologie urbaine c’est « vivre et travailler au pays ». C’est l’autonomie des territoires, et donc l’autonomie des hommes.
Tout relocaliser. Y compris nos imaginaires
En résumé, il faut se donner comme objectif de replier les villes sur elles-mêmes et de mettre fin à l’étalement urbain, de privilégier l’essor des villes moyennes et non celui des villes déjà trop grandes, de relocaliser l’économie et mettant en œuvre la préférence locale, d’aller vers de petits habitats collectifs, ou vers l’individuel groupé, de favoriser le développement des transports en commun, possibles seulement dans une ville dense.
Habiter n’est pas seulement se loger. Cela désigne le séjour de l’homme sur la terre. Heidegger écrit : « Les bâtiments donnent une demeure à l’homme. Il les habite et pourtant il n’y habite pas, si habiter veut dire seulement que nous occupons un logis. À vrai dire, dans la crise présente du logement, il est déjà rassurant et réjouissant d’en occuper un; des bâtiments à usage d’habitation fournissent sans doute des logements, aujourd’hui les demeures peuvent même être bien comprises, faciliter la vie pratique, être d’un prix accessible, ouvertes à l’air, à la lumière et au soleil : mais ont-elles en elles-mêmes de quoi nous garantir qu’une habitation a lieu ? (7) ». La question de l’écologie urbaine est cela même : nous permettre d’habiter la ville en tant que nous habitons le monde.
Pierre Le Vigan
Notes
1 : cf. Problems in materialism and culture. Selected essays, London, 1980.
2 : La notion d’écosystème a été introduite en 1941 par Raymond Lindeman et développée ensuite par Eugène Odum.
3 : Yves Grafmeyer et Isaac Joseph (dir.), L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Aubier, 1984.
4 : La Découverte, 2014, postface d’Yves Sintomer.
5 : Olivier Rey, Une question de taille, Stock, 2014. Voir aussi Thierry Paquot, La folie des hauteurs. Pourquoi s’obstiner à construire des tours, François Bourin, 2008; Désastres urbains. Les villes meurent aussi, La Découverte, 2015.
6 : cf. www.actu-environnement.com, 25 août 2011.
7 : Martin Heidegger, « Bâtir, habiter, penser », conférence de 1951 in Essais et conférences, Gallimard, 1958.
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Le monde selon Monsanto : rappel utile en pleine affaire de microcéphalies au Brésil
Avec 17.500 salariés, des milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel et une implantation dans quarante-six pays, Monsanto est le leader mondial des OGM, mais aussi l’une des entreprises les plus controversées de l’histoire industrielle. Production de PCB (pyralène), de polystyrène, d’herbicides dévastateurs (comme l’« agent orange » pendant la guerre du Viêtnam) ou d’hormones de croissance bovine et laitière (interdites en Europe) : depuis sa création en 1901, la firme a accumulé les procès en raison de la toxicité de ses produits. Grâce à la commercialisation de semences transgéniques, conçues notamment pour résister aux épandages de Roundup, l’herbicide le plus vendu au monde, elle prétend vouloir faire reculer les limites des écosystèmes pour le bien de l’humanité. Qu’en est-il exactement ? Quels sont les objectifs de cette entreprise, qui, après avoir longtemps négligé les impacts écologiques et humains de ses activités, s’intéresse tout à coup au problème de la faim dans le monde au point de se donner des allures d’organisation humanitaire ? Alors que le nom de Monsanto est pointé du doigt dans l’affaire des microcéphalies du Brésil erronément mises d’abord sur le dos du virus Zika, ce reportage est à (re)voir.
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ZOOM : Audrey Jougla - Manifeste contre la vivisection
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Périco Légasse : « Notre pays importe les cordes avec lesquelles nos agriculteurs se pendent »
En pleine crise agricole et à moins d'une semaine du Salon de l'Agriculture, Périco Légasse revient sur les dégâts causés par la Commission européenne, la FNSEA et la spéculation boursière à une filière jadis reine en France. [Entretien dans Figarovox du 19.02]. Pour lui, cette crise est le résultat d'une dérive productiviste qui met en danger notre identité nationale. Ainsi, on commence à se rendre compte que le problème agricole français n'est pas seulement économique ou financier et ne se réduit pas à une affaire de management. Il est avant tout identitaire et civilisationnel. Périco Légasse apporte au moins ici sa pierre à un débat de fond qui concerne au sens plein notre nation. Sauvegarder l'identité française, ce n'est pas seulement la préserver, par exemple, des migrants, mais aussi des maladies de la postmodernité. LFAR
La crise agricole est en train de prendre une tournure inquiétante. Est-on arrivé à ce fameux point de rupture dont certains experts pensent qu'il pourrait générer des chaos encore plus tragiques ?
Tout porte à le croire, car les mesures décidées par le gouvernement et présentées par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale prouvent qu'il y a, cette fois-ci, une grande inquiétude au sommet de l'Etat. Et s'il s'est décidé à passer à l'acte aussi rapidement, c'est qu'il y a urgence. Que faut-il, après les incidents de ces derniers mois, pour qu'enfin l'on comprenne à Paris comme à Bruxelles que cette crise-là n'est pas comme les précédentes ? Elle est celle de ceux qui n'ont plus rien à perdre. On sait depuis trop longtemps que certains secteurs au bord du désespoir vont basculer dans l'irréparable. Violences, suicides, affrontements.
N'empêche, des situations aussi extrêmes auraient pu être évitées bien plus tôt puisque nos dirigeants trouvent soudain les moyens de prendre la crise par les cornes. N'empêche, la méthode reste la même : on continue, à coups de millions d'euros, trouvés dieu sait où, finalement payés par le contribuable, à colmater les brèches, à panser les plaies, à mettre des rustines sur les fuites, pour repousser le problème au prochain déluge. Cette stratégie est irresponsable car elle ne résout rien sur le fond. Elle est surtout l'aveu que le gouvernement français ne dispose plus des leviers nécessaires à une réforme structurelle du mode de fonctionnement de notre agriculture. Ces leviers, c'est la Commission européenne qui les détient et nous savons de quelle agriculture rêve la Commission. Son modèle ? Les usines à cochon allemandes, avec main d'œuvre bulgare payée à la roumaine, dont la viande de porc agglomérée a donné le coup de grâce aux éleveurs intensifs bretons auxquels on avait assuré que leurs tarifs étaient imbattables. C'est ça l'Europe libérale libre et non faussée ?
Personne n'a donc vu venir le danger ? C'est étonnant...
Nous avons accepté d'être dépossédés de prérogatives souveraines qui font défaut aujourd'hui à la République française pour sauver sa paysannerie. J'espère qu'il y aura un jour un tribunal de l'histoire pour juger les coupables qui ont accepté ces reniements successifs. L'éleveur laitier au bord du gouffre, qui voit son voisin revenir du super marché avec dix packs de lait UHT importés de Pologne, et auquel on demande son trentième certificat vétérinaire, a peut être des raisons de désespérer de cette Europe portée aux nues par son maire, son député, son sénateur, son président de chambre d'agriculture, son gouvernement, son chef d'Etat, souvent son journal, sa télé ou sa radio.
La pression exercée par les services de l'Etat, la banque, l'Europe et les aléas du marché sur nos agriculteurs atteint-elle ses limites ?
De normes sanitaires en règles communautaires, de contraintes financières en directives administratives, d'emprunts asphyxiants auxquels on les a poussés en leur tenant le stylo, aux pratiques commerciales imposées par le lobby agro industriel et par la grande distribution, les agriculteurs de France sont à bout. Pas les gros céréaliers nantis, liés à certaines coopératives et gavés de subsides européens, mais ceux qui nourrissent directement la population. Promenés et balancés de promesses électorales en programmes gouvernementaux jamais tenus, sous prétexte que nous sommes 12, puis 15, puis 18, puis 28 Etats à décider ensemble, ils ont contenu leur colère durant des décennies. « Mais rassurez vous, nous défendons bec et ongles vos intérêts à Bruxelles. Faites nous confiance, nous vous soutenons » … comme la corde soutient le pendu. Les chambres d'agriculture ont poussé les exploitants à devenir exploités, les incitant à s'agrandir en surface, à concentrer la ressource, à augmenter les rendements, à acheter des machines chaque fois plus grosses et coûteuses pour s'installer dans un productivisme global et compétitif. Ces paysans sont aujourd'hui floués, ruinés, abandonnés. On ne peut pas demander à un homme qui est à terre d'obtempérer sous peine de sanction, ni à un homme pris à la gorge, et qui ne sait plus comment nourrir sa famille, de s'acquitter des ses échéances bancaires ou sociales. Alors, épouvantable réalité, ceux qui sont acculés, à bouts de nerfs, sans lendemain, basculent parfois dans l'irréparable. La colère des agriculteurs est à l'image des désordres qui menacent la planète.
L'importance du mouvement, la pugnacité des agriculteurs révoltés et l'extension du phénomène à toute la France révèlent-elles une souffrance plus profonde que ce que l'on peut imaginer ?
Nous sommes au delà de la tragédie humaine. Le désespoir agricole nous conduit à une tragédie nationale de grande ampleur. Et les effets aggravants vont exacerber les exaspérations déjà explosives. Car ce ne sont plus seulement les éleveurs bovins et les producteurs laitiers qui durcissent leurs actions. A l'Assemblée Nationale, ce jeudi 17 février, Manuel Valls déclarait que le gouvernement et l'Europe ont pris leurs responsabilités (baisse de 7 points pour les cotisations sociales des agriculteurs en difficulté et année blanche fiscale pour ceux à faibles revenus), et qu'il a appartient désormais aux agriculteurs de prendre les leurs. C'est le comble.
Qui a conduit l'agriculture française dans cette impasse, toutes majorités confondues, depuis trente ans, en partenariat politique étroit avec le syndicat majoritaire? Qui, jusqu'au vote de la loi d'avenir, et de son programme d'agro-écologie porté par Stéphane Le Foll, en septembre 2014, par le parlement, a validé toutes les dispositions inféodant davantage l'agriculture française aux desiderata des lobbies bruxellois ? Qui a validé la dérégulation du marché et la suppression des quotas laitiers sans contreparties ? Qui refuse d'imposer la traçabilité des viandes entrant dans la composition des produits transformés ? Qui laisse pénétrer chaque année sur notre territoire des millions de tonnes de tourteau de soja destinées à gaver nos élevages intensifs ? Qui favorise l'importation déloyale et faussée de millions de litres de lait en provenance d'autres continents pour satisfaire aux oukases tarifaires de la grande distribution ? Les cours mondiaux! Toujours les cours, mais alors qu'on le dise clairement, la France est soumise aux aléas d'une corbeille boursière qui décide de la survie ou non de nos exploitations agricoles. Quelle nation souveraine digne de ce nom peut accepter de sacrifier une partie de son peuple aux ambitions de patrons de casinos où le blé, la viande et le lait sont des jetons sur un tapis vert ? La seule vraie question qui vaille est: ça nous rapporte quoi? La mort de nos campagnes, de ceux qui les entretiennent et une dépendance accrue aux systèmes agro industriels qui abîment la Terre, l'homme et l'animal.
Alors qu'on recense environ un suicide d'agriculteur tous les trois jours, les pouvoirs publics prennent-ils la mesure du drame ?
Les agriculteurs étranglés, aux abois, meurtris, voient leur pays importer les cordes auxquelles ils se pendent. Un paysan qui se suicide n'est finalement que le dégât collatéral de la modernisation de l'agriculture et de l'adaptation au marché globalisé. Le bœuf que l'on jette aux piranhas pour que le reste du troupeau puisse passer. Le seul problème est que, finalement, tout le troupeau y passe. Qui sont ces agriculteurs qui se suicident ? Précisément ceux qui appliquent à la lettre depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans pour certains, les instructions et les recommandations du syndicat majoritaire, cette FNSEA qui a beau jeu aujourd'hui de barrer les routes et de bloquer les villes après avoir encouragé et accompagné toutes les politiques ayant conduit à ce massacre. Précisément ceux qui ont cru, en toute bonne foi (on leur avait si bien expliqué qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles) que les programmes officiels, de gestion des cultures et des élevages pour se conformer aux lois du marché, les conduiraient à la richesse. Ceux-là sont ceux qui se pendent les premiers sous le regard compassé de ceux qui ont tressé la corde fatidique. Certes, il y a bien eu la PAC, avec des centaines de milliards reversés aux agriculteurs les plus riches qui s'alignaient doctement sur les critères du productivisme alors que les autres étaient obligés de tendre la main à Bruxelles pour obtenir une obole. Comment une puissance au patrimoine agricole si glorieux et si performant a-t-elle pu laisser ce trésor se détériorer aussi vite et aussi tragiquement. Quelqu'un a forcément menti à un moment donné de l'histoire.
Le Salon de l'Agriculture s'ouvre dans dix jours. Que faut-il en attendre ?
On l'appelait autrefois la Foire agricole. C'était une fête. La vitrine des fiertés paysannes de la France. L'engagement fervent de ceux qui montaient à la capitale pour témoigner qu'une majeure partie du pays continuait à travailler la terre pour nourrir la nation. L'édition 2016 sera marquée par les drames et les détresses ayant marqué les douze derniers mois. Mais rien n'y fera. La Foire restera celle des grandes enseignes industrielles et commerciales dont les bénéfices se sont faits sur l'éradication d'une société qu'ils ont contribué à ruiner. Qu'un vainqueur vienne planter ses aigles sur le territoire du vaincu est une chose, mais qu'un marchand de produits toxiques vienne édifier un mausolée au milieu du cimetière de ses victimes en arborant un grand panneau sur lequel on peut lire « Voici mon œuvre » est pour le moins original. Car les grandes enseignes mercantiles qui fleurissent le long des allées du salon, entre les vaches et les cochons, les sacs de grain et les bidons de lait, les vergers reconstitués et les prairies artificielles, pour faire croire qu'elles sont les bienfaitrices de ce qui n'est plus qu'un musée de la honte agricole, n'auront pas le courage de financer un grand mur sur lequel on pourrait afficher les trois mille photos des paysans qui se sont suicidés depuis 2007. Et si l'on demandait aux grandes marques dont les panneaux colorent à perte de vue les halls de la porte de Versailles d'indiquer combien de tonnes de lait en poudre néo-zélandais, de fruits et légumes saturés de pesticides, de viandes infâmes, de produits cuisinés nocifs, etc, etc, elles ont importés, puis déversés, à prix écrasés, sur les rayons des grandes surfaces, tout en creusant la tombe des agriculteurs français n'ayant pu s'aligner sur les tarifs de cette merde… Que faut-il en attendre? Plus de larmes et plus de sang pour les agriculteurs pris au piège et plus de profits et de bonne conscience pour ceux qui les exploitent.
Existe-t-il une perspective pour sortir de cette impasse ?
Oui, et même plusieurs: un gouvernement de combat et non un casting pour meeting électoral du PS avec supplétifs d'occasion. Exemple, dans la configuration politique actuelle, c'est Stéphane Le Foll qu'il aurait fallu nommer Premier ministre, afin de faire du programme d'agro-écologie, tout juste initié mais bientôt amplifié, une priorité nationale qui soit l'objectif premier du gouvernement de la République. Face à la détresse agricole, ce grand projet couvre toutes les problématiques et ouvre des perspectives au-delà même des enjeux agricoles. Il s'agit d'une redéfinition des logiques ayant prévalu jusqu'à aujourd'hui afin que l'agriculteur ne soit plus tributaire des spéculations et des OPA que la finance internationale lance sur les ressources alimentaires. Une seule réalité s'impose à toutes les autres: l'agriculture n'est pas faite pour produire, elle est faite pour nourrir. Nous avons la formule, nous avons le processus, nous avons des expériences. Un tel défi ne peut que susciter un vaste consensus populaire. De toutes les façons, seule une baisse générale de la production compensée par une redistribution qualitative de notre agriculture vers des formes de cultures et d'élevages répondant à la fois aux besoins et aux attentes de la population et aux impératifs d'un monde durable permettront de sortir de cette impasse. L'exacte contraire de ce que prône la FNSEA, toujours persuadée que le salut ne peut venir que d'une augmentation ultra modernisée de la taille des exploitations et des volumes, c'est-à-dire l'aggravation de tout ce qui a conduit l'agriculture française dans le mur. Cette redéfinition est une question de survie. Et plus l'on attendra avant de la décider, moins nous aurons de chance de voir nos agriculteurs redevenir des paysans. La clé du problème est là: rendez nous nos paysans!
Et en projetant un peu plus loin ?
De même, il est fondamental de mettre en place un programme scolaire d'éducation citoyenne du consommateur concerté avec le ministère de l'Agriculture. Les bases existent sous le projet « classes du goût », créées par Jacques Puisais en 1975 puis expérimentées un temps dans certains collèges. Le client de demain doit apprendre à consommer pour se faire du bien, pour soutenir une agriculture qui le nourrisse sainement tout en préservant l'environnement, pour soutenir une industrie agroalimentaire créatrice de richesse et d'emploi dans le respect d'une agriculture porteuse d'avenir, pour soutenir un artisanat employeur garantissant la pérennité de savoirs faire et d'activités. Consommer moins mais mieux. Chaque année, chaque Français jette 7 kilos d'aliments frais emballés. Des millions de tonnes de nourriture à bas prix que l'on pourrait reconvertir en profit pour les agriculteurs qui produiraient donc un peu moins mais mieux payés. Sur le terrain de la compétitivité internationale, nous serons toujours battus par des systèmes qui peuvent produire encore plus infâme et moins cher. Cela passe par une émancipation des diktats bruxellois et le retour à la subsidiarité française en matière de normes agricoles. Enfin, repeupler nos campagnes et remettre en culture des terres abandonnées ou abîmées tout en créant une activité agricole conformes aux enjeux contemporains, non dans la surproduction surconsommée, mais dans une juste productivité qui permette de satisfaire 99% de la demande intérieure et d'en exporter l'excellence vers des marchés demandeurs. La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer. •
Périco Légasse est rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie à l'hebdomadaire Marianne.
Entretien par Alexandre Devecchio
Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter :@AlexDevecchio